A-7-87
Affaire concernant la Loi canadienne sur les
droits de la personne
Et une plainte déposée le 27 novembre 1986 par
Subhaschan Singh en vertu du paragraphe 32(1)
de la Loi canadienne sur les droits de la personne
contre le ministre des Affaires extérieures
Et le pouvoir de la Commission canadienne des
droits de la personne d'enquêter sur cette plainte
en vertu de l'article 35 de la Loi canadienne sur
les droits de la personne
RÉPERTORIÉ: SINGH (RE) (C.A.)
Cour d'appel, juges Mahoney, Hugessen et Desjar-
dins—Ottawa, 20, 21 avril et 9 mai 1988.
Droits de la personne — Renvois de la Commission cana-
dienne des droits de la personne pour établir si elle a compé-
tence pour enquêter sur des plaintes d'actes discriminatoires en
raison du refus de délivrer des visas de visiteurs et de permet-
tre à des proches parents de parrainer des membres de la
famille en vue d'obtenir le droit d'établissement — Il est
impossible de dire que les ministères concernés ne sont pas des
fournisseurs de services destinés au public au sens de l'art. 5
de la Loi — On ne peut pas dire qu'une personne à qui l'on
refuse, pour des motifs illicites, la possibilité de parrainer une
demande du droit d'établissement n'est pas une victime au sens
de la Loi, et s'il s'agit d'un citoyen canadien ou d'un résident
permanent au sens de l'art. 32(5)b), la Commission peut
entendre la plainte.
Immigration Le ministère des Affaires extérieures et la
Commission canadienne de l'emploi et de l'immigration sont-
ils des fournisseurs de services destinés au public au sens de
l'art. 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne?
La personne â qui on refuse, pour des motifs illicites, la
possibilité de parrainer une demande de droit d'établissement
peut être une victime au sens de la Loi, si la Commission
canadienne des droits de la personne a compétence pour faire
enquête sur la plainte.
La Commission canadienne des droits de la personne a saisi
la Cour de dix renvois en vue de décider si la Commission a
compétence pour faire enquête sur les plaintes concernant le
refus du ministère des Affaires extérieures et de la Commission
canadienne de l'emploi et de l'immigration de délivrer des visas
de visiteurs à de proches parents et de les autoriser à parrainer
les membres appartenant à la catégorie de la famille désirant
immigrer au Canada. On a fait valoir que la Commission
n'était pas compétente parce que les ministères concernés ne
sont pas des fournisseurs de services destinés au public au sens
de l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne,
et que les victimes des prétendus actes discriminatoires ne sont
pas des citoyens canadiens ou des résidents permanents du
Canada, et ne peuvent donc se prévaloir de l'alinéa 32(5)b) de
la Loi canadienne sur les droits de la personne.
Arrêt: les questions faisant l'objet des renvois devraient
recevoir une réponse affirmative.
La Commission a le droit de faire enquête sur une plainte au
sujet de laquelle il pourrait s'avérer qu'elle n'a pas compétence.
Le sous-alinéa 36(3)b)(ii) prévoit clairement que la Commis
sion doit décider si une plainte est ou non de sa compétence. La
Cour ne devrait l'empêcher d'agir que lorsqu'il est clair que le
tribunal n'a pas compétence. Les questions soulevées sont de
savoir s'il est impossible que les plaintes se rapportent à des
actes discriminatoires commis à l'occasion de la fourniture de
services au public et s'il est impossible de qualifier les plai-
gnants de victimes des actes discriminatoires reprochés. Il n'est
pas clair que les services rendus, tant au Canada qu'à l'étran-
ger, par les fonctionnaires chargés de l'application de la Loi sur
l'immigration de 1976 ne sont pas des services destinés au
public. L'intérêt du répondant est expressément reconnu par la
Loi et s'accorde en outre avec l'objectif de l'alinéa 3c) visant à
faciliter la réunion des proches parents. Une personne à qui l'on
refuse, pour des motifs illicites, la possibilité de parrainer une
demande de droit d'établissement est une evictimee au sens de
la Loi. Dans ces conditions, on ne peut dire que dans les renvois
en question, la victime n'était pas un citoyen canadien ou un
résident permanent au sens de l'alinéa 82(5)b) de la Loi.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C.
1976-77, chap. 33, art. 2, 5, 32(5)b), 33b)(ii),
36(3)b)(ii) (mod. par S.C. 1985, chap. 26, art. 69).
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap.
10, art. 28(4).
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52,
art. 3c),e), 79.
Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172,
art. 4, 5, 6.
Sex Discrimination Act 1975 (R.-U.), 1975, chap. 65,
art. 29.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Lodge c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration,
[1979] I C.F. 775 (C.A.); Procureur général du Canada
c. Cumming, [1980] 2 C.F. 122 (1« inst.); Cornez v. City
of Edmonton (1982), 3 C.H.R.R. 882.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Amin v. Entry Clearance Officer, Bombay, [1983] 2 All
E.R. 864 (H.L.); Kassam v. Immigration Appeal Tribu
nal, [1980] 2 All E.R. 330 (C.A.); Compagnie des che-
mins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commis-
sion canadienne des droits de la personne), [1987] I
R.C.S. 1114; Commission ontarienne des droits de la
personne et O'Malley c. Simpsons-Sears Limited et
autres, [1985] 2 R.C.S. 536.
AVOCATS:
Russell G. Juriansz pour la Commission
canadienne des droits de la personne.
J. Grant Sinclair, c.r. pour le ministère des
Affaires extérieures, la Commission cana-
dienne de l'emploi et de l'immigration et le
procureur général du Canada.
PROCUREURS:
Blake, Cassels & Graydon, Toronto, pour la
Commission canadienne des droits de la
personne.
Le sous-procureur général du Canada pour le
ministère des Affaires extérieures, la Com
mission canadienne de l'emploi et de l'immi-
gration et le procureur général du Canada.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HUGESSEN: La Commission cana-
dienne des droits de la personne a saisi la Cour de
dix renvois en vertu du paragraphe 28(4) de la Loi
sur la Cour fédérale'. Voici le texte des résolu-
tions autorisant les renvois:
[TRADUCTION] [Dossier n° A-7-87]
Subhaschan Singh c. Ministère des Affaires extérieures
La Commission a résolu de renvoyer la question suivante
devant la Cour fédérale du Canada:
«La Commission canadienne des droits de la personne peut-elle
autoriser un enquêteur en vertu du paragraphe 35(2) de la Loi
canadienne sur les droits de la personne à mener ou à poursui-
vre une enquête concernant la plainte par laquelle Subhaschan
Singh, une personne se trouvant légalement au Canada, prétend
que le ministère des Affaires extérieures a commis un acte
discriminatoire fondé sur la situation de famille, l'état matri
monial et l'âge en refusant de délivrer un visa de visiteur à la
sœur de Subhaschan Singh, Ousha Davi Singh`!»
[Dossier n° A-8-87]
Subhaschan Singh c. Commission de l'emploi et de l'immigra-
tion du Canada
La Commission a résolu de renvoyer la question suivante
devant la Cour fédérale du Canada:
«La Commission canadienne des droits de la personne peut-elle
autoriser un enquêteur en vertu du paragraphe 35(2) de la Loi
canadienne sur les droits de la personne à mener ou à poursui-
vre une enquête concernant la plainte par laquelle Subhaschan
Singh, une personne se trouvant légalement au Canada, prétend
que la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada a
commis un acte discriminatoire fondé sur la situation de
famille, l'état matrimonial et l'âge en refusant de délivrer un
visa de visiteur à la soeur de Subhaschan Singh, Ousha Davi
Singh'!»
S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10.
[Dossier n° A-9-87]
Gabriela Rebeca Miralles Etcheverry c. Ministère des Affaires
extérieures
La Commission a résolu de renvoyer la question suivante
devant la Cour fédérale du Canada:
«La Commission canadienne des droits de la personne peut-elle
autoriser un enquêteur en vertu du paragraphe 35(2) de la Loi
canadienne sur les droits de la personne à mener ou à poursui-
vre une enquête concernant la plainte par laquelle Gabriela
Rebeca Miralles Etcheverry, une personne se trouvant légale-
ment au Canada, prétend que le ministère des Affaires exté-
rieures a commis un acte discriminatoire fondé sur l'origine
nationale ou ethnique en refusant de délivrer un visa de visiteur
à la soeur et aux neveux de M"'° Etcheverry'?«
[Dossier n° A-10-87]
Gabriela Rebeca Miralles Etcheverry c. Commission de l'em-
ploi et de l'immigration du Canada
La Commission a résolu de renvoyer la question suivante
devant la Cour fédérale du Canada:
..La Commission canadienne des droits de la personne peut-elle
autoriser un enquêteur en vertu du paragraphe 35(2) de la Loi
canadienne sur les droits de la personne à mener ou à poursui-
vre une enquête concernant la plainte par laquelle Gabriela
Rebeca Miralles Etchevery, une personne se trouvant légale-
ment au Canada, prétend que la Commission de l'emploi et de
l'immigration du Canada a commis un acte discriminatoire
fondé sur l'origine nationale ou ethnique en refusant de délivrer
un visa de visiteur à la sœur et aux neveux de M"'° Etcheverry?
[Dossier n° A-1 I-87]
Hameed et Massarat Naqvi c. Commission de l'emploi et de
l'immigration du Canada
La Commission a résolu de renvoyer la question suivante
devant la Cour fédérale du Canada:
«La Commission canadienne des droits de la personne peut-elle
autoriser un enquêteur en vertu du paragraphe 35(2) de la Loi
canadienne sur les droits de la personne à mener ou à pour-
suivre une enquête concernant la plainte par laquelle Hameed
et Massarat Naqvi, des personnes se trouvant légalement au
Canada, prétendent que la Commission de l'emploi et de l'im-
migration du Canada a commis un acte discriminatoire fondé
sur la race, la couleur, l'origine nationale ou ethnique ou l'état
matrimonial en refusant de délivrer un visa de visiteur à la
soeur de Massarat Naqvi et belle-sœur de Hameed Naqvi, Naz
Sultan?>
[Dossier n° A-12-87]
Jawaharlal Menghani c. Commission de l'emploi et de l'immi-
gration du Canada et ministère des Affaires extérieures
La Commission a résolu de renvoyer la question suivante
devant la Cour fédérale du Canada:
«La Commission canadienne des droits de la personne peut-elle
désigner une personne dans le but de favoriser la conclusion
d'un règlement en ce qui concerne la plainte par laquelle
Jawaharlal Menghani, une personne se trouvant légalement au
Canada, allègue que la Commission de l'emploi et de l'immi-
gration du Canada et le ministère des Affaires extérieures ont
commis un acte discriminatoire fondé sur l'origine nationale ou
ethnique en refusant de permettre au plaignant, Jawaharlal
Menghani, de parrainer son frère Nandlal Menghani et en
refusant de délivrer un visa d'immigrant au frère du
plaignant?»
[Dossier n° A-13-87]
Kashmir Kaur Uppal c. Commission de l'emploi et de l'immi-
gration du Canada et ministère des Affaires extérieures
La Commission a résolu de renvoyer la question suivante
devant la Cour fédérale du Canada:
»La Commission canadienne des droits de la personne peut-elle
autoriser un enquêteur en vertu de l'article 35(2) de la Loi
canadienne sur les droits de la personne à mener ou à poursui-
vre une enquête concernant la plainte par laquelle Kashmir
Kaur Uppal, une personne se trouvant légalement au Canada,
prétend que la Commission de l'emploi et de l'immigration du
Canada et le ministère des Affaires extérieures ont commis un
acte discriminatoire fondé sur l'origine nationale ou ethnique en
refusant de permettre à la plaignante de parrainer son conjoint,
Makhan Singh Uppal, et en refusant de délivrer un visa
d'immigrant au conjoint de la plaignante'?»
[Dossier n° A-14-87]
Tarsem Singh Bains c. Commission de l'emploi et de l'immigra-
tion du Canada et ministère des Affaires extérieures
La Commission a résolu de renvoyer la question suivante
devant la Cour fédérale du Canada:
»La Commission canadienne des droits de la personne peut-elle
autoriser un enquêteur en vertu de l'article 35(2) de la Loi
canadienne sur les droits de la personne à mener ou à poursui-
vre une enquête concernant la plainte par laquelle Tarsem
Singh Bains, une personne se trouvant légalement au Canada,
prétend que la Commission de l'emploi et de l'immigration du
Canada et le ministère des Affaires extérieures ont commis un
acte discriminatoire fondé sur la race et l'origine nationale ou
ethnique en ne reconnaissant pas la légalité de l'adoption du fils
du frère du plaignant en Inde'?»
[Dossier n° A-15-87]
Saeeda Mansoory c. Commission de l'emploi et de l'immigra-
tion du Canada
La Commission a résolu de renvoyer la question suivante
devant la Cour fédérale du Canada:
«La Commission canadienne des droits de la personne peut-elle
autoriser un enquêteur en vertu de l'article 35(2) de la Loi
canadienne sur les droits de la personne à mener ou à poursui-
vre une enquête concernant la plainte par laquelle Saeeda
Mansoory, une personne se trouvant légalement au Canada,
prétend que la Commission de l'emploi et de l'immigration du
Canada a commis un acte discriminatoire fondé sur l'origine
nationale ou ethnique en refusant de permettre à la plaignante
de parrainer son père, Yasin Mansoory, et en refusant de
délivrer un visa d'immigrant au père de Saeeda Mansoory'?”
[Dossier n° A-16-87]
Saeeda Mansoory c. Ministère des Affaires extérieures
La Commission a résolu de renvoyer la question suivante
devant la Cour fédérale du Canada:
«La Commission canadienne des droits de la personne peut-elle
autoriser un enquêteur en vertu de l'article 35(2) de la Loi
canadienne sur les droits de la personne à mener ou à poursui-
vre une enquête concernant la plainte par laquelle Kashmir
Kaur Uppal, une personne se trouvant légalement au Canada,
prétend que la Commission de l'emploi et de l'immigration du
Canada et le ministère des Affaires extérieures ont commis un
acte discriminatoire fondé sur l'origine nationale ou ethnique en
refusant de délivrer un visa d'immigrant au père de la plai-
gnante, Yasin Mansoory, niant ainsi à Saeeda Mansoory le
droit de parrainer son père?,,
Les faits à l'origine des renvois ne sont évidem-
ment pas contestés et peuvent être rapidement
exposés. Chacune des plaintes mentionnées a été
déposée devant la Commission en vertu de l'article
32 de la Loi canadienne sur les droits de la
personnel. Les plaignants sont tous soit des
citoyens canadiens ou des résidents permanents du
Canada. Dans les cinq premières affaires (dossiers
n°' A-7-87 à A-11-87), les plaignants prétendent
avoir été victimes d'un acte discriminatoire fondé
sur un motif illicite en raison du refus du gouver-
nement de délivrer des visas de visiteurs à de
proches parents. Dans les cinq affaires du second
groupe (dossiers n°' A-12-87 à A-16-87), les plai-
gnants affirment avoir été victimes d'un acte dis-
criminatoire fondé sur un motif illicite en raison
du refus du gouvernement de reconnaître leur droit
de parrainer un proche parent à titre de personne
appartenant à la catégorie de la famille et à la
suite du refus concomitant de délivrer un visa
d'immigrant aux parents en question. Il n'est pas
nécessaire d'exposer dans chaque cas le détail des
actes discriminatoires reprochés pour comprendre
l'argumentation. Il suffit de dire que, dans le cas
des visiteurs, l'on prétend que les visas ont été
refusés parce que, par exemple, pour des raisons
liées à des motifs illicites, on pense que le visiteur
éventuel n'est pas un visiteur authentique et que,
dans le cas des demandes de parrainage, le droit de
parrainer a été refusé parce que, par exemple, pour
des raisons liées à des motifs illicites, le gouverne-
2 S.C. 1976-77, chap. 33.
ment a imposé des exigences déraisonnables quant
à la preuve du lien de parenté exigé.
La Commission a, relativement à toutes les
plaintes, tenté de mener une enquête, mais a été
incapable de le faire en raison du refus du gouver-
nement de reconnaître qu'elle est compétente pour
faire enquête sur les questions faisant l'objet des
plaintes. Ce refus est lui-même fondé sur deux
motifs: le premier veut que les ministères gouver-
nementaux concernés ne soient pas des
5. ... fournisseur[s] de ... services ... destinés ad public ...
au sens de l'article 5 de la Loi canadienne sur les
droits de a personne, et le deuxième motif veut
que de toute façon les victimes des prétendus actes
discriminatoires n'étaient pas des citoyens cana-
diens ou des résidents permanents du Canada, ce
qui empêchait les cas de tomber sous le coup de
l'alinéa 32(5)b) de la Loi canadienne sur les droits
de la personne.
Une question préliminaire se pose en ce qui
concerne la portée de la décision que notre Cour
est appelée à rendre au sujet des renvois. Il est
expressément question dans ceux-ci de la compé-
tence ou du pouvoir de la Commission de faire
enquête sur les diverses plaintes. La Commission
est d'avis qu'à cette étape-ci, ce genre d'enquête
comprend nécessairement le droit de faire enquête
sur une plainte au sujet de laquelle il pourrait
éventuellement s'avérer que la Commission n'a pas
compétence. Le gouvernement, pour sa part,
adopte le point de vue selon lequel, puisque les
renvois ont été faits, la Cour est d'ores et déjà
saisie de la question de la compétence de la Com
mission pour connaître des plaintes in limine et
qu'il faut répondre à cette question.
Un examen de la Loi canadienne sur les droits
de la personne démontre clairement que la Com
mission est un organisme dont les pouvoirs d'en-
quête comprennent le pouvoir de faire enquête sur
les limites de sa propre compétence. La compé-
tence initiale de la Commission est déclenchée par
le dépôt d'une plainte. Une fois qu'elle est saisie
d'une plainte, la Commission est tenue, de par les
termes impératifs de l'article 33, de statuer sur la
plainte («la Commission doit statuer»). La question
de la compétence est explicitement traitée au sous-
alinéa 33b)(ii), d'une façon qui démontre à l'évi-
dence l'intention du législateur que la Commission
décide elle-même en premier lieu si une question
relève de sa compétence.
Il en va de même après la fin de l'enquête de la
Commission: le sous-alinéa 36(3)b)(ii) [mod. par
S.C. 1985, chap. 26, art. 69] prévoit clairement
que la Commission doit décider si une plainte est
ou non de sa compétence.
La position de notre Cour à l'égard de la compé-
tence de la Commission s'accorde avec cette lec
ture de la Loi. Dans l'arrêt Lodge c. Ministre de
l'Emploi et de l'Immigration, [1979] 1 C.F. 775
(C.A.), le juge Le Dain, qui s'exprimait pour le
compte de la Cour, a déclaré [aux pages 785-786]:
Ayant conclu pour ces motifs que la Cour ne peut accorder
d'injonction dans un dessein tel que celui invoqué en l'espèce, je
n'estime pas nécessaire de déterminer si l'application des dispo
sitions de la Loi sur l'immigration concernant l'enquête et
l'expulsion constitue un service destiné au public au sens où
l'entend l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la
personne. La question de savoir dans quelle mesure, le cas
échéant, l'application de textes législatifs fédéraux, édictés dans
un but réglementaire ou non, tombent sous le coup de la Loi
canadienne sur les droits de la personne est, il va sans dire,
importante. On pourrait, à partir des faits établis dans chacun
des cas, établir des distinctions importantes entre les différents
aspects de la fonction publique. Il est préférable, je crois, que
ces questions soient tranchées en premier lieu par la Commis
sion, comme le stipule l'article 33, avant qu'un tribunal soit
appelé à statuer ... [C'est moi qui souligne.]
De même, dans le jugement Procureur général
du Canada c. Cumming, [ 1980] 2 C.F. 122 (l re
inst.), le juge en chef adjoint Thurlow (tel était
alors son titre) a tenu les propos suivants [aux
pages 131 133]:
Quant au premier point, qui touche, à mon sens, la compé-
tence du tribunal, je n'admets pas l'affirmation générale selon
laquelle le ministère du Revenu national, quand il établit les
cotisations d'impôt, ne fournit pas des services au sens de
l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le
libellé de la Loi est large et tant par son objet que par son but,
la Loi ne demande pas une interprétation stricte. Toutefois,
selon moi, il n'est pas impossible que la fourniture de tels
services au public soit l'occasion d'une distinction illicite pour
l'un des motifs énoncés dans la Loi.
1l est préférable pour la Cour de laisser le tribunal tenir ses
enquêtes librement et de ne pas le lui interdire, sauf dans les cas
où il est clair et indubitable que le tribunal n'est pas compétent
pour statuer sur la question qui lui est soumise. Tel n'est pas le
cas en l'espèce, à mon sens. [C'est moi qui souligne.]
Même si ces affaires concernaient des poursuites
intentées devant la Division de première instance
et mettaient en cause la compétence de la Com
mission, je ne crois pas que le fait que la présente
affaire nous soit soumise sous forme de renvoi en
vertu du paragraphe 28(4) de la Loi sur la Cour
fédérale change quelque chose. La Commission a
reçu des plaintes. La Loi l'oblige à faire enquête
sur ces plaintes. -Le gouvernement a adopté le point
de vue selon lequel les plaintes ne relèvent mani-
festement pas de la compétence de la Commission
et a refusé de permettre à celle-ci de poursuivre
son enquête. Ce faisant, il a lui-même mis en cause
le droit de la Commission de faire enquête pour
déterminer si une question relève ou non de sa
compétence.
À l'audience, on a quelque peu débattu la ques
tion du critère à appliquer. L'avocat du gouverne-
ment a fait valoir que le critère des «cas [...]
clair[s] et indubitable[s]» utilisé par le juge en
chef adjoint Thurlow dans l'extrait tiré du juge-
ment Cumming, précité, était trop élevé. J'avoue
que je ne comprends pas son raisonnement. L'avo-
cat reconnaît que la Cour ne devrait intervenir à
cette étape que lorsqu'il est clair que le tribunal
n'a pas compétence. Une fois ce fait acquis, il me
semble qu'en exigeant une conviction au-delà de
tout doute on ne fait rien d'autre que de jouer sur
le sens des mots. Ce qui est important, c'est que la
Cour ne devrait pas intervenir pour empêcher un
organisme comme la Commission de s'acquitter de
l'obligation que la Loi met à sa charge de faire
enquête sur des questions qui peuvent vraisembla-
blement relever de sa compétence, à moins que la
Cour puisse dire avec assurance que ces questions
ne sont pas de la compétence de la Commission.
Vues sous cet angle, les questions soulevées par
les présents renvois se ramènent très simplement à
savoir s'il est impossible que les plaintes se rappor-
tent à des actes discriminatoires commis à l'occa-
sion de la fourniture de services destinés au public
et s'il est impossible de qualifier les plaignants de
victimes des actes discriminatoires reprochés. Pour
les motifs qui suivent, je suis incapable de dire
qu'il faut répondre à l'une ou à l'autre question de
façon à déclarer à cette étape-ci la Commission
incompétente.
L'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de
la personne est ainsi libellé: -
5. Constitue un acte discriminatoire le fait pour le fournis-
seur de biens, de services, d'installations ou de moyens d'héber-
gement destinés au public
a) d'en priver, ou
b) de défavoriser, à l'occasion de leur fourniture,
un individu, pour un motif de distinction illicite.
Cette disposition diffère sensiblement du texte
de l'article 29 de la Sex Discrimination Act 1975
(R.-U.) [1975, chap. 65] qui prévoit ce qui suit:
[TRADUCTION] 29.— (I) Constitue un acte illicite le fait
pour toute personne concernée par la fourniture (moyennent
rétribution ou non) de biens, d'installations ou de services au
public ou à une partie du public d'établir une distinction illicite
à l'égard d'une femme qui cherche à obtenir ou à utiliser ces
biens, installations ou services
a) en refusant ou en omettant délibérément de les lui
fournir;
b) en refusant ou en omettant délibérément de lui fournir
des biens, des installations ou des services de qualité analo
gue, d'une façon analogue ou à des conditions analogues
selon les modalités normalement utilisées dans le cas de
membres du public de sexe masculin ou (lorsqu'elle appar-
tient à une partie du public) à celles utilisées dans le cas de
membres de sexe masculin de cette partie du public.
(2) Les actes suivants sont des exemples des installations et
services mentionnés au paragraphe (I )—
a) accès à un lieu où les membres du public ou d'une partie
du public sont autorisés à entrer et utilisation de ce lieu;
b) logement dans un hôtel, une pension de famille ou un
autre établissement semblable;
e) facilités bancaires ou d'assurance ou possibilité d'obtenir
une subvention, un prêt, du crédit ou du financement;
d) équipements scolaires;
e) installations de divertissement, de loisir ou de repos;
J) moyens de transport;
g) services de toute profession ou métier et de toute adminis
tration locale ou autre.
En Angleterre, la Cour d'appel et la Chambre
des lords ont toutes deux interprété cette disposi
tion de façon restrictive, de façon à en limiter
l'application aux activités «commerciales» et à
exclure les services que rend un fonctionnaire dans
l'exercice de ses fonctions lorsqu'il contrôle l'afflux
des immigrants dans le pays'.
Sans mettre en doute de quelque façon que ce
soit le bien-fondé de ces décisions, je remarque
qu'elles s'appuient très fortement sur l'énuméra-
tion des exemples qu'on trouve au paragraphe
3 Voir Amin v. Entry Clearance Officer, Bombay, [1983] 2
All E.R. 864 (H.L.); Kassam v. Immigration Appeal Tribunal.
[1980] 2 All E.R. 330 (C.A.).
29(2) de la loi du Royaume-Uni et qu'il s'agit là
d'une caractéristique notablement absente de notre
Loi. Les tribunaux du Royaume-Uni semblent
également ne pas s'inspirer de la règle d'interpré-
tation maintenant bien établie chez nous suivant
laquelle les lois relatives aux droits de la personne
doivent recevoir une interprétation qui soit large et
libérale et qui s'accorde avec les objets de la loi 4 .
Le libellé de notre article 5 est également ins-
tructif. Alors que l'alinéa a) dispose que le fait de
priver un individu d'un service, etc. pour un motif
illicite constitue un acte discriminatoire, l'alinéa b)
semble pour ainsi dire aborder les choses du point
de vue opposé et sans tenir compte de la personne
à qui les services sont ou pourraient être rendus.
Ainsi donc, constitue un acte discriminatoire
5.... le fait pour le fournisseur de ... services ... destinés
au public
b) de défavoriser, à l'occasion de leur fourniture,
un individu, pour un motif de distinction illicite.
Si l'on reformule la chose sous forme algébrique,
constitue un acte discriminatoire le fait pour A, à
l'occasion de la fourniture de services à B, d'établir
une distinction illicite à l'égard de C. Ou, de façon
concrète, constituerait un acte discriminatoire le
fait pour un policier qui fournit des services de
régulation de la circulation au grand public, de
traiter un contrevenant plus sévèrement qu'un
autre en raison de son origine nationale ou
ethnique 5 .
On peut à vrai dire soutenir que les termes
qualificatifs de l'article 5
5.... le fournisseur de ... services ... destinés au public.
ne peuvent jouer qu'un rôle limitatif dans le con-
texte des services qui sont rendus par des person-
nes physiques ou par des personnes morales et que,
par définition, les services que rendent les fonc-
tionnaires publics aux frais de l'État sont des
services destinés au public et qu'ils tombent donc
sous le coup de l'article 5. I1 n'est cependant pas
nécessaire de trancher cette question de façon
définitive à cette étape-ci et il suffit de dire qu'il
est loin d'être clair pour moi que les services
4 Voir par exemple Compagnie des chemins de fer nationaux
du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la
personne), [1987] I R.C.S. 1114.
5 Voir Gomez v. City of Edmonton (1982), 3 C.H.R.R. 882.
rendus, tant au Canada qu'à l'étranger, par les
fonctionnaires chargés de l'application de la Loi
sur l'immigration de 1976 6 ne sont pas des servi
ces destinés au public.
Je passe maintenant à la seconde objection sou-
levée par le gouvernement pour contester la com-
pétence de la Commission. Cette objection est
fondée sur le fait qu'étant donné que les personnes
qui demandent des visas de visiteur et celles qui
présentent des demandes parrainées de droit d'éta-
blissement se trouvaient toutes nécessairement à
l'extérieur du Canada au moment de leur
demande, il est interdit à la Commission de statuer
sur l'affaire de par les termes de l'alinéa 32(5)b):
32....
(5) Pour l'application de la présente Partie, la Commission
n'est validement saisie d'une plainte que si l'acte dis-
criminatoire
b) a eu lieu à l'extérieur du Canada alors que la victime était
un citoyen canadien ou qu'elle était admise au Canada pour
y résider en permanence; ...
À mon avis, cet argument est tout à fait intena-
ble pour ce qui est des plaintes découlant du refus
de faire droit aux demandes parrainées de droit
d'établissement. Quelle que soit la nature de l'inté-
rêt du répondant, cet intérêt est expressément
reconnu à l'article 79 de la Loi sur l'immigration
de 1976 et aux articles 4, 5 et 6 du Règlement sur
l'immigration de 1978 7 . Cet intérêt s'accorde en
outre avec l'objectif énoncé à l'alinéa 3c) de la Loi:
3....
c) de faciliter la réunion au Canada des citoyens canadiens et
résidents permanents avec leurs proches parents de
l'étranger;
Les plaignants prétendent qu'on a, pour des
motifs illicites, nié à des citoyens canadiens et à
des résidents permanents du Canada le droit de
parrainer des membres de leur famille se trouvant
à l'étranger. Le principe explicite que sous-tend la
Loi canadienne sur les droits de la personne est
énoncé à l'article 2:
2....
a) tous ont droit, dans la mesure compatible avec leurs
devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des
chances d'épanouissement ...
6 S.C. 1976-77, chap. 52.
DORS/78-172.
À mon sens, une personne à qui l'on refuse, pour
des motifs illicites, la possibilité de parrainer une
demande de droit d'établissement est une «victime»
au sens de la Loi, peu importe que d'autres person-
nes soient ou non aussi des victimes.
J'irais cependant beaucoup plus loin. La ques
tion de savoir qui est la «victime» de l'acte discri-
minatoire reproché est presque exclusivement une
question de fait. La législation sur les droits de la
personne ne tient pas tant compte de l'intention à
l'origine des actes discriminatoires que de leur
effets. L'effet n'est d'aucune façon limitée à la
«cible» présumée de l'acte discriminatoire et il est
tout à fait concevable qu'un acte discriminatoire
puisse avoir des conséquences qui sont suffisam-
ment directes et immédiates pour justifier qu'on
qualifie de «victimes» des personnes qui n'ont
jamais été visées par l'auteur des actes en question.
Ainsi donc, même dans le cas d'un refus de déli-
vrer des visas de visiteur, il est loin d'être impossi
ble que les plaignants qui se trouvent au Canada et
qui désirent recevoir la visite de parents se trou-
vant à l'étranger soient eux-mêmes victimes d'ac-
tes discriminatoires qui sont dirigés contre les
parents en question. Un exemple simple illustrera
la chose. Pourrait-on sérieusement prétendre qu'un
citoyen canadien qui a besoin d'une visite d'un
frère ou d'une soeur pour obtenir la transplantation
d'un organe vital n'est pas victime du refus de
délivrer, pour des motifs illicites, un visa de visi-
teur à ce frère ou à cette soeur?
Il n'est évidemment pas nécessaire d'aller aussi
loin et d'évoquer des situations où la vie est mena
cée. J'ai déjà fait allusion à l'alinéa 3c) de la Loi
sur l'immigration de 1976. L'objectif qui y est
énoncé ne me semble pas se limiter à faciliter
l'examen des demandes de résidence permanente
et à exclure de ce fait les demandes de simple
visite. Mais la réunion des familles n'est pas le seul
objectif que poursuit la Loi sur l'immigration de
1976. L'alinéa 3e) vise expressément les visiteurs
et affirme que l'un des objectifs de la Loi est:
3....
e) de faciliter le séjour au Canada de visiteurs en vue de
promouvoir le commerce, le tourisme, les activités scientifi-
ques et culturelles ainsi que la compréhension internationale;
8 Voir Commission ontarienne des droits de la personne et
O'Malley c. Simpsons-Sears Limited et autres, [1985] 2
R.C.S. 536.
Si l'on refuse de délivrer un visa de visiteur pour
des motifs illicites et qu'on prive ainsi un citoyen
canadien ou un résident permanent du Canada
d'occasions commerciales ou culturelles impor-
tantes, on pourrait certainement soutenir que cette
personne était l'une des victimes de l'acte
discriminatoire.
Dans ces conditions, il m'est impossible à cette
étape-ci d'affirmer que dans les renvois en question
la victime n'était pas un citoyen canadien ou un
résident permanent au sens de l'alinéa 32(5)b) de
la Loi canadienne sur les droits de la personne.
Pour les motifs exposés ci-dessus, je répondrais
par l'affirmative aux questions posées dans les
divers renvois.
LE JUGE MAHONEY: Je suis du même avis.
LE JUGE DESJARDINS: Je suis du même avis.
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