A-273-87
Société canadienne des postes (requérante)
c.
Syndicat des postiers du Canada, Union des fac-
teurs du Canada, Association canadienne des maî-
tres de postes et ajdoints, Alliance de la Fonction
publique du Canada, Association des officiers des
postes du Canada, Institut professionnel de la
Fonction publique du Canada, Fraternité interna-
tionale des ouvriers en électricité, section locale
2228, Association of Rural Route Mail Couriers
of Canada, Association des courriers ruraux du
Québec (intimés)
et
Conseil canadien des relations du travail (tribu-
nal)
RÉPERTORIÉ: SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES c. S.P.C.
(CA.)
Cour d'appel, juges Marceau, Hugessen et Desjar-
dins—Ottawa, 12 novembre et 21 décembre 1987.
Service postal — En vertu de l'art. 13(6) de la Loi sur la
Société canadienne des postes, les entrepreneurs postaux sont
réputés n'être pas des employés aux fins de la partie V du
Code canadien du travail — Le Conseil canadien des relations
du travail a décidé que l'art. 13(6) ne s'appliquait pas aux
facteurs ruraux — Le Conseil a mal interprété l'art. 13(6) et
les définitions d'«entrepreneur postal» et de «transmission»
figurant à l'art. 2 — Le mot «transmission» s'entend de
l'ensemble du processus d'envoi d'articles par la poste, de la
mise à la poste à la livraison — L'emploi de l'expression
«contrat d'entreprise» dans la définition d'«entrepreneur
postal» visait la forme du contrat — Les personnes qui sont
parties à ces contrats pour la transmission des envois ne sont
pas des employés même si elles se trouvent dans une position
de dépendance semblable à celle des personnes ayant un con-
trat de travail.
Relations du travail — Compétence du Conseil canadien des
relations du travail — L'art. 13(6) de la Loi sur la Société
canadienne des postes prévoit que les entrepreneurs postaux
sont réputés n'être pas des employés aux fins de la partie V du
Code canadien du travail — L'art. 118p)(1) confère au Conseil
le pouvoir de décider si une personne est un employé — L'art.
13(6) définit et limite la compétence générale du Conseil— La
décision du Conseil et sujette à annulation puisqu'il ne peut se
donner une compétence qu'il n'a pas — Le Conseil a commis
une erreur en décidant que l'art. 13(6) ne s'appliquait pas aux
facteurs ruraux — Décision annulée.
Contrôle judiciaire — Demandes d'examen — Le Conseil
canadien des relations du travail a statué que l'art. 13(6) de la
Loi sur la Société canadienne des postes ne s'appliquait pas
aux facteurs ruraux — Le Conseil a-t-il déterminé les limites
de sa propre compétence ou a-t-il tranché une question dans
l'exercice de sa compétence? — Examen de ce paragraphe qui
porte sur l'application du Code, qui a été intégré dans une
autre loi, et dont la rédaction fait voir une disposition déter-
minative sous forme négative — La Loi vise en général à
élargir la compétence du Conseil, mais l'art. 13(6) restreint ses
activités dans un nouveau domaine — La décision du Conseil
est-elle susceptible de contrôle judiciaire? — Effet de l'art.
122 du Code, et de la doctrine de la déférence judiciaire — La
décision du Conseil est-elle fondée? — Annulation de la
décision du Conseil.
Il s'agit d'une demande d'annulation de la décision par
laquelle le Conseil canadien des relations du travail a statué
que le paragraphe 13(6) de la Loi sur la Société canadienne
des postes ne s'appliquait pas aux facteurs ruraux, et que les
facteurs étaient des employés au sens de l'article 107 du Code
canadien du travail. Il est prévu au paragraphe 13(6) que
«Pour l'application de la partie V du Code canadien du travail
[aux] ... employés, les entrepreneurs postaux sont réputés
n'être ni des entrepreneurs dépendants ni des employés ou
travailleurs au sens du paragraphe 107(1) du code». L'expres-
sion «entrepreneur postal» désigne toute «personne partie à un
contrat d'entreprise avec la Société pour la transmission des
envois». Le mot «transmission» s'entend d'«acheminement par
tout moyen de transport ... » 11 résulte de la décision du
Conseil que les facteurs ruraux, qui ont toujours été traités
comme des entrepreneurs indépendants, seront considérés
comme des employés et seront inclus dans une unité de négocia-
tion. En vertu du sous-alinéa 1 l8p)(i) du Code, le Conseil peut
déterminer, aux fins de la partie V du Code, qu'un groupe de
personnes sont des employés. La question se pose de savoir si le
Conseil a déterminé les limites de sa propre compétence ou s'il
n'a fait que trancher une question qui s'est présentée dans
l'exercice de sa compétence.
Arrêt (le juge Marceau a prononcé des motifs concourant en
partie au résultat): la demande devrait être accueillie.
Le juge Hugessen: Par le paragraphe 13(6), le législateur
visait à définir et à limiter la compétence du Conseil. En
premier lieu, le paragraphe parle de l'application de la partie V
du Code, qui est la source même de la compétence du Conseil,
ce qui fait de ce paragraphe un texte «destiné à circonscrire le
champ d'activité» du Conseil. En deuxième lieu, le pragraphe
13(6) est une disposition déterminative sous forme négative. En
utilisant cette forme, la Loi admet implicitement que les entre
preneurs postaux peuvent être des employés pour l'application
de la partie V du Code, mais elle dispose qu'ils ne doivent pas
être considérés comme tels à cet effet. Le législateur a restreint
le pouvoir du Conseil de les déclarer employés. En troisième
lieu, le fait que le paragraphe 13(6) soit intégré dans la Loi sur
la Société canadienne des postes étaye la conclusion qu'il s'agit
d'une disposition de compétence. L'application de ce paragra-
phe est tributaire de la définition de l'expression «entrepreneur
postal» figurant à l'article 2, ce qui déborde nettement de la
compétence que le Conseil tient du Code. La conclusion du
Conseil selon laquelle les facteurs ruraux ne sont pas des
entrepreneurs postaux dépasse le simple domaine des relations
de travail. Le législateur n'aurait pas pu vouloir investir le
Conseil du pouvoir de rendre en la matière des décisions
exemptes de contrôle. En dernier lieu, il faut considérer le
contexte général de la Loi elle-même. La Loi sur la Société
canadienne des postes visait notamment à soustraire les
employés des Postes au régime de la Loi sur l'emploi dans la
Fonction publique et à les placer sous l'empire du Code cana-
dien du travail. La Loi étend ainsi la compétence du Conseil.
En conséquence, le paragraphe 13(6), qui restreint les activités
du Conseil dans une partie du nouveau domaine que le reste de
la Loi lui assigne, est une disposition de compétence.
Le Conseil a eu tort de décider que les facteurs ruraux
n'étaient pas des entrepreneurs postaux. Aucune ambiguïté
n'entache les définitions des expressions «entrepreneur postal»
et «transmission». C'est à tort que le Conseil a décidé que
l'acheminement du courrier était exclu de la définition de
«transmission», parce qu'il est inclus dans les fonctions de
relevage et de livraison. Dans plusieurs dispositions, le mot
«transmission» comprend l'ensemble du processus d'envoi d'arti-
cle, de la mise à la poste à la livraison. L'interprétation du
Conseil conduirait également à des conséquences anormales,
parce qu'un véhicule utilisé pour le relevage des envois serait
exclu de la définition de «post office» de la version anglaise,
alors que le même véhicule serait inclus dans la définition
française de «bureaux de poste». Le Conseil a également eu tort
de décider que les facteurs ruraux n'étaient pas liés par des
contrats d'entreprise, (expression employé dans la définition
française d'«entrepreneur postal»), et n'étaient donc pas des
entrepreneurs postaux. Le paragraphe 13(6) serait redondant
s'il visait uniquement à considérer comme n'étant pas des
entrepreneurs dépendants les personnes qui ne pourraient
jamais l'être en tout cas. Le législateur a tenu compte de la
forme du contrat lorsqu'il a employé l'expression «contrat d'en-
treprise» dans la définition d'«entrepreneur postal». Les person-
nes qui sont parties à ces contrats ne doivent pas être des
employés même si leur contrat peut les mettre dans une posi
tion de dépendance telle qu'elles sont assimilées à des personnes
ayant un contrat de travail. En dernier lieu, l'explication du but
du paragraphe 13(6) par le ministre responsable devant le
comité parlementaire jette quelque lumière sur le contexte de la
promulgation du paragraphe 13(6). Il est curieux que le Con-
seil n'ait pas tenu compte de ce document qui expliquait que
l'intention était de préserver le système d'appel de soumissions
et d'éviter l'accroissement des dépenses qui pourrait survenir si
les entrepreneurs transportant le courrier rural devaient se
syndiquer. Les facteurs ruraux étaient des entrepreneurs pos-
taux, et la Loi sur la Société canadienne des postes a préservé
cette situation.
Puisque la décision portait uniquement sur les facteurs
ruraux et que ceux-ci ne relèvent pas de la compétence du
Conseil, il n'y a pas lieu de renvoyer l'affaire au Conseil.
Le juge Desjardins (motifs concourants): Le Conseil devait
trancher la question de savoir si les facteurs ruraux étaient des
employés au sens du paragraphe 107(1) du Code et, dans
l'affirmative, si le paragraphe 13(6) de la Loi sur la Société
canadienne des postes prohibe cette conclusion. La première
partie de la décision relevait de la compétence du Conseil, mais
la seconde partie ne l'était pas, puisque le Conseil devait
déborder du cadre de sa compétence pour interpréter le para-
graphe 13(6) de la Loi sur la Société canadienne des postes. Le
Conseil ne saurait s'attribuer une compétence qu'elle n'a pas au
moyen d'une interprétation erronée d'une loi dont dépend sa
compétence.
Le juge Marceau (motifs concourant en partie au résultat):
La question de savoir si les facteurs ruraux étaient des
employés de Postes Canada n'était pas une question juridiction-
nelle. Le sous-alinéa 118p)(1) du Code confère expressément au
Conseil le pouvoir de déterminer si une personne est un
employé. Pour arriver à cette décision, il fallait tout d'abord
résoudre d'autres questions, dont la question qui exigeait l'in-
terprétation du paragraphe 13(6) de la Loi sur la Société
canadienne des postes. Il 'agissait d'une question mixte de fait
et de droit puisqu'elle nécessitait l'analyse des rapports contrac-
tuels pour déterminer si les facteurs ruraux étaient visés par le
paragraphe 13(6), et l'interprétation stricte du paragraphe
13(6) compte tenu des définitions figurant à l'article 2. Le
paragraphe 13(6) se rapporte à la compétence en ce qui
entraîne des conséquences directes sur la compétence vu qu'il
exclut la possibilité d'attribuer une qualification juridique aux
rapports de personnes qui se trouvent dans une situation de fait
donnée. Toutefois, cette disposition n'est pas juridictionnelle
puisqu'elle ne détermine pas les pouvoirs du Conseil.
Néanmoins, la décision du Conseil devrait être examinée sur
la base de l'exactitude. La déférence judiciaire habituellement
due aux décisions d'un tribunal administratif spécialisé ne
s'applique pas en l'espèce puisque l'interprétation de la Loi sur
la Société canadienne des postes ne relève pas du champ de
compétence du Conseil. L'interprétation par le Conseil de
l'article 2 et du paragraphe 13(6) de la Loi était erronée et
manifestement déraisonnable. Il rendait le paragraphe 13(6)
redondant et absurde.
Plutôt que d'annuler la décision, la question de savoir si les
facteurs ruraux sont des employés devrait être renvoyée au
Conseil.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.).
Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, art.
107 (mod. par S.C. 1972, chap. 18, art. 1), 109 (mod.,
idem), 118p)(1) (mod., idem), 122 (mod. par S.C.
1977-78, chap. 27, art. 43).
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap.
10, art. 28.
Loi sur la Société canadienne des postes, S.C.
1980-81-82-83, chap. 54, art. 2, 13(6), 14, 15, 17(1)g),
34(3),(6), 38, 67à 71.
Loi sur les postes, S.R.C. 1970, chap. P-14, art. 2(1), 22
à 35.
Loi sur les relations de travail dans la Fonction publi-
que, S.R.C. 1970, chap. P-35.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
R. c. Verrette, [1978] 2 R.C.S. 838; Komo Construction
Inc. et al. c. Commision des Relations de Travail du
Québec et al., [1968] R.C.S. 172; Syndicat des employés
de production du Québec et de l'Acadie c. Conseil cana-
dien des relations du travail et autres, [1984] 2 R.C.S.
412; 14 D.L.R. (4th) 457.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Paul L'Anglais Inc. c. Conseil canadien des relations du
travail, [1979] 2 C.F. 444 (C.A.); Alliance de la Fonc-
tion publique du Canada c. Conseil canadien des rela
tions du travail, A-872-85, juge Hugessen, jugement en
date du 6-3-86, C.A.F., non publié.
DÉCISIONS CITÉES:
Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale
963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick,
[1979] 2 R.C.S. 227; Re Service Employees Internatio
nal Union, Local 204 and Broadway Manor Nursing
Home et al. and two other applications (1984), 48 O.R.
(2d) 225 (C.A.); Ontario Secondary School Teachers'
Federation, District 14 and Board of Education of
Borough of York and two other applications, Re (1987),
35 D.L.R. (4th) 588 (C. div. Ont.); Renvoi relatif â la
Upper Churchill Water Rights Reversion Act, [1984] I
R.C.S. 297; Re Freight Emergency Service Ltd. (1984),
55 di 172 (C.C.R.T.); Blanchard c. Control Data Canada
Ltée et autre, [1984] 2 R.C.S. 476; 55 N.R. 194.
AVOCATS:
John A. Coleman, Robert Monette et Mary
Gleason pour la requérante.
Gaston Nadeau pour l'intimé Syndicat des
postiers du Canada.
John P. Nelligan, c.r., et Sean T. McGee pour
les intimés Union des facteurs du Canada,
Association canadienne des maîtres de poste
et adjoints, Institut professionnel de la Fonc-
tion publique du Canada et Association of
Rural Route Mail Couriers of Canada.
Andrew J. Raven pour les intimées Alliance
de la fonction publique du Canada et Frater-
nité internationale des ouvriers en électricité,
section locale 2228.
Gordon F. Henderson, c.r., et Martin W.
Mason pour le tribunal Conseil canadien des
relations du travail.
PROCUREURS:
Ogilvy, Renault, Montréal, pour la requé-
rante.
Trudel, Nadeau, Lesage, Cleary, Larivière &
Associés, Montréal, pour l'intimé Syndicat
des postiers du Canada.
Nelligan/Power, Ottawa, pour les intimés
Union des facteurs du Canada, Association
canadienne des maîtres de postes et adjoints,
Institut professionnel de la Fonction publique
du Canada et Association of Rural Route
Mail Couriers of Canada.
Soloway, Wright, Houston, Greenberg,
O'Grady, Morin, Ottawa, pour les intimées
Alliance de la Fonction publique du Canada
et Fraternité internationale des ouvriers en
électricité, section locale 2228.
Emond, Harnden, Ottawa, pour l'intimée
Association des officiers des postes du
Canada.
Gowling & Henderson, Ottawa, pour le tribu
nal Conseil canadien des relations du travail.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU (concourant en partie au
résultat): Je conviens avec le juge Hugessen qu'il
faut annuler la décision du Conseil contestée en
l'espèce, parce que ce dernier l'a rendue contraire-
ment à une interprétation correcte d'une disposi
tion de la Loi sur la Société canadienne des postes
[S.C. 1980-81-82-83, chap. 54]. Sauf le respect
que je dois au juge Hugessen, je dois dire cepen-
dant que je ne saurais souscrire à toutes les conclu
sions qu'il a tirées dans ses motifs, et je juge
nécessaire d'exprimer brièvement mes vues person-
nelles sur certaines d'entre elles.
1. L'analyse de mon collègue est centrée sur la
conclusion que la question dont était saisi le Con-
seil était une question de compétence, ce qui exclu-
rait l'application de la règle de la déférence judi-
ciaire à l'égard des décisions des tribunaux
administratifs spécialisés, règle que la Cour
suprême a souvent réitérée depuis l'arrêt Syndicat
canadien de la Fonction publique, section locale
963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick,
[1979] 2 R.C.S. 227. Le fait qu'il s'agissait d'une
question de compétence avait pour effet de rendre
la décision susceptible d'examen selon le critère de
l'exactitude ou de l'erreur et non selon le critère du
caractère «manifestement déraisonnable». Je ne
saurais partager cette conclusion. Si je comprends
bien les principes établis par la Cour suprême en
matière de contrôle judiciaire des décisions des
tribunaux administratifs, il ne me semble pas que
le Conseil, en rendant son ordonnance, statuait sur
une question qu'on peut à juste titre qualifier de
question de compétence.
Selon mon interprétation des arrêts de la Cour
suprême, pour qu'on puisse à juste titre la qualifier
de question de compétence, une question ne doit
pas être simplement celle à laquelle une réponse
s'impose pour déterminer si, vu les faits de la
cause, le tribunal a le pouvoir d'agir ou d'agir
d'une certaine manière. Il faut que se pose une
question de ce type, c'est-à-dire une question qui se
rapporte à la compétence, pour qu'une décision
d'un tribunal dont les ordonnances sont protégées
par une nette clause privative soit susceptible de
l'examen prévu à l'alinéa 28(1)a) de la Loi sur la
Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10]'.
Pour être la source d'une erreur de compétence
susceptible d'examen sur la base de l'exactitude et
de l'erreur, une question doit être plus qu'une
question qui se rapporte simplement à la compé-
tence. Comme l'a dit le juge Beetz dans les motifs
qu'il a rédigés au nom de la Cour à l'appui de
l'arrêt qui fait époque Syndicat des employés de
production du Québec et de l'Acadie c. Conseil
canadien des relations du travail et autres, [1984]
2 R.C.S. 412 (la décision R.-C.), la question doit
être celle qui se rapporte à l'interprétation d'une
disposition législative qui «décrit, énumère et limite
les pouvoirs» du tribunal. La notion d'ultra vires
est strictement engagée. A mon sens, c'est là l'es-
sence d'une véritable question de compétence qui
rend une décision d'un tribunal susceptible d'exa-
men complet.
Pour ce qui est de la décision qui nous concerne
en l'espèce, la première observation à faire est que,
comme avec n'importe quelle décision, elle a été le
résultat de la détermination de plus d'une question.
La décision était en soi la réponse à une question
fondamentale qui faisait l'objet même de l'enquête
préliminaire, savoir si les facteurs ruraux étaient
des employés de la Société canadienne des postes
' Il faut se rappeler en l'espèce la formulation exacte de la
disposition:
28. (1) Nonobstant ..
a) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a
autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence; [Je
souligne le mot-clé de ma proposition.]
Ce «lien de compétence» dans la disposition ne signifie bien
entendu pas que les deux branches de la règle ne seraient pas
essentiellement différentes; à ce que je vois, l'une se rapporte au
contenu de la décision et fait jouer la notion d'ultra vires,
l'autre à la manière dont on est parvenu à la décision et fait
jouer la notion de justice fondamentale.
pour l'application de la partie V du Code canadien
du travail [S.R.C. 1970, chap. L-1 (mod. par S.C.
1972, chap. 18, art. 1)]. Il ne s'agit certes pas
d'une question juridictionnelle au sens de l'affaire
R.-C.; elle est même expressément définie au sous-
alinéa 118p)(i) [mod., idem] du Code canadien du
travail comme une question qui, si elle se pose à
l'occasion d'une procédure engagée devant lui, doit
être tranchée par le Conseil. Il est vrai que pour
arriver à la décision qui tranche cette question
fondamentale, il fallait tout d'abord résoudre d'au-
tres questions. Ne s'agissait-il pas de questions
accessoires de la nature de celles dites «préliminai-
res» ou «accessoires» que la Cour suprême a reje-
tées comme étant susceptibles d'élever la décision
finale elle-même au niveau de celle qui se rapporte
à une question de compétence proprement dite?
(Cf. les remarques faites par le juge Dickson (tel
était son titre) dans l'arrêt Société des alcools du
Nouveau-Brunswick, à la page 233; et celles faites
par le juge Beetz dans l'arrêt R.-C., à la page
421). Mais, en tout état de cause, examinons si
l'une de ces questions peut être qualifiée de juri-
dictionnelle au sens de l'arrêt R.-C. Certaines de
ces questions se rapportaient à la qualification
juridique des rapports contractuels entre les fac-
teurs ruraux et Postes Canada: il s'agissait de
questions mixtes de fait et de droit qui n'étaient
certainement pas des questions de compétence pro-
prement dites. Parmi les autres se trouvait celle
exigeant l'interprétation du paragraphe 13(6) de la
Loi sur la Société canadienne des postes, et c'est le
fondement de la proposition de mon collègue. La
question était en fait mixte, puisqu'il s'agissait de
savoir si les facteurs ruraux, étant donné la nature
de leurs rapports contractuels avec la Société cana-
dienne des postes, étaient visés par le paragraphe
13(6) de la Loi sur la Société canadienne des
postes, mais sa substance juridique impliquait l'in-
terprétation stricte de la disposition compte tenu
d'une définition donnée à l'article 2 de la même
Loi. Cette disposition est-elle à juste titre juridic-
tionnelle de manière à faire d'une erreur quant à
son interprétation une erreur juridictionnelle qui
vicie inexorablement la décision finale? Avec dé-
férence, je ne crois pas que ce soit le cas. D'après
sa formulation, elle ne détermine pas les pouvoirs
du Conseil; elle exclut simplement la possibilité
d'attribuer une qualification légale particulière
aux rapports de personnes qui se trouvent dans une
situation de fait déterminée. Il en résulte indubita-
blement des conséquences directes quant à la com-
pétence en ce sens qu'elle peut empêcher le Conseil
d'adopter une qualification qui aurait assujetti les
individus dont il s'agit à ses ordonnances, la ques
tion est certainement une question qui se rapporte
à la compétence, mais il en est de même de toute
règle établie en vertu d'une loi qui permet de
déterminer la qualification de rapports contrac-
tuels particuliers.
Toutefois, je dois dire en l'espèce que même si je
ne pense pas que la question dont a été saisi le
Conseil était une question vraiment juridiction-
nelle au sens qu'ont donné à l'expression le juge
Beetz et la Cour suprême, je ne suis pas porté à
rejeter le point de vue de mon collègue selon lequel
l'interprétation par le Conseil du paragraphe 13(6)
de la Loi sur la Société canadienne des postes
devrait être examinée sur la base de «l'exactitude
ou de l'erreur», et la décision rendue, puisqu'elle
reposait complètement sur cette interprétation,
confirmée ou annulée en conséquence. À mon avis,
la déférence judiciaire habituellement due à la
compétence et au jugement particuliers d'un tribu
nal administratif spécialisé est complètement
injustifiée en l'espèce: l'interprétation de la Loi sur
la Société canadienne des postes, relative plus
directement à deux de ses dispositions mais don-
nant lieu à des effets accessoires sur d'autres, n'est
pas une question qui relève du champ de compé-
tence du Conseil. On ne peut certainement pas
déduire de la manière dont la règle est exprimée
que l'intention du législateur était de laisser au
Conseil le soin de donner à la prescription sa juste
teneur.
2. Étant donné le doute que j'ai exprimé quant à
la possibilité de qualifier de vraiment juridiction-
nelle la question que le Conseil devait trancher,
j'estime que je devrais renforcer ma position en
ajoutant le commentaire suivant. À mon avis, l'in-
terprétation par le Conseil des deux dispositions de
la Loi sur la Société canadienne des postes qui
s'opposaient à sa conclusion était non seulement
erronée, comme le montre l'analyse approfondie
présentée par le juge Hugessen, mais elle était
aussi, je le dis avec déférence, manifestement
déraisonnable. En ajoutant des qualifications à la
définition d'«entrepreneur postal» figurant à l'arti-
cle 2 de la Loi et en lui attribuant le sens unique et
strict d'entrepreneur postal indépendant, le Conseil
fait dire à la partie essentielle du paragraphe
13(6): les entrepreneurs postaux indépendants ne
sont réputés n'être ni des entrepreneurs dépendants
ni des employés ou travailleurs. Je ne pense pas
qu'on puisse laisser entendre que le législateur
aurait pu édicter, comme texte législatif, une telle
proposition qui est plus qu'une simple redondance
inutile. Dire qu'un mur rouge est réputé être un
mur rouge est une redondance qui peut être défen-
dable, mais dire qu'un mur rouge est réputé n'être
ni un mur jaune ni un mur bleu serait inexcusable
parce qu'il s'agit d'une absurdité.
3. En dernier lieu, je ne statuerais pas sur la
demande dont est saisie la Cour exactement
comme l'a proposé mon collègue. L'annulation de
la décision du Conseil ne me semble pas suffisante.
Ce dernier est toujours saisi de la véritable ques
tion à laquelle la décision devait répondre, savoir si
les facteurs ruraux sont des employés de la Société
canadienne des postes pour l'application de la
partie V du Code canadien du travail, et il doit la
trancher. Même si les directives contenues dans le
jugement de cette Cour ne laissent aucun choix
quant à cette décision, j'estime qu'il appartient au
Conseil de la rendre.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HUGESSEN: La demande fondée sur
l'article 28 vise la décision par laquelle le Conseil
canadien des relations du travail a conclu
[ ... ] que le paragraphe 13(6) de la Loi sur la Société
canadienne des postes ne s'applique pas aux facteurs
ruraux
et
[ ... ] que les facteurs ruraux sont des employés au sens de
l'article 107 du Code canadien du travail.
Cette décision porte sur les facteurs ruraux,
ceux qu'on voit presque quotidiennement dans des
régions rurales habitées du pays. Ils conduisent
leur propre voiture, suivant un itinéraire postal
déterminé pour livrer et ramasser du courrier dans
les boîtes aux lettres privées qui se trouvent au
bord de la route.
La plus grande difficulté que suscite la présente
demande tient à la question préalable de savoir si
par cette décision, le Conseil a déterminé les limi-
tes de sa propre compétence, ou s'il n'a fait que
trancher une question qui s'est présentée dans le
cadre de sa compétence. Dans le premier cas, la
décision est susceptible d'annulation si elle est
entachée d'erreur car il est constant qu'un tribunal
ne saurait, par une décision erronée, s'attribuer
une compétence qu'il n'a pas.
Si, d'autre part, la question sur laquelle le Con-
seil s'est prononcé relève de sa compétence, il est
protégé du contrôle judiciaire expressément par les
dispositions privatives de l'article 122 du Code
canadien du travail 2 tout comme par l'application,
de façon générale, de la règle de la déférence
judiciaire à l'égard des décisions des tribunaux
administratifs. Dans ce cas, la Cour ne peut inter-
venir que si la décision est si manifestement dérai-
sonnable qu'elle constitue une application dolosive
de la loi.
La Société canadienne des postes a été créée par
une loi adoptée en avril 1981 3 , qui a aboli du
même coup l'ancien ministère des Postes. Quoique
la Cour ne puisse tenir la chose pour fait notoire, il
ressort clairement de la loi elle-même qu'en l'adop-
tant le législateur visait notamment à soustraire les
employés des Postes à la compétence de la Fonc-
tion publique pour qu'ils relèvent désormais du
Conseil canadien des relations du travail. Ce der-
nier a donc, à la demande de la Société canadienne
des postes, procédé à un examen général de toutes
les unités de négociation dans les Postes Canada.
Les conditions de travail des facteurs ruraux
n'avaient jamais fait l'objet d'une négociation col
lective dans le cadre de la Loi sur les relations de
travail dans la Fonction publique 4 . Le ministère
des Postes les avait toujours considérés comme des
entrepreneurs indépendants. La Société cana-
dienne des postes a continué de le faire. Par sa
décision, le Conseil a fait savoir qu'il considérait
les facteurs ruraux comme des employés et qu'il
avait l'intention de les inclure dans une ou plu-
sieurs des unités de négociation selon qu'il le juge-
rait indiqué pour la Société canadienne des postes.
Toutefois, il n'a pas encore défini quelles étaient
ces unités de négociation ni accrédité un agent
2 S.R.C. 1970, chap. L-1 (mod. par S.C. 1977-78, chap. 27,
art. 43).
3 S.C. 1980-81-82-83, chap. 54.
4 S.R.C. 1970, chap. P-35.
négociateur pour représenter les intéressés.
Normalement, le Conseil a toute compétence
pour déterminer qu'un groupe de personnes sont
des employés au sens du Code canadien du travail.
Il s'agit là d'un pouvoir qu'il tient expressément de
sa loi organique (voir en particulier le sous-alinéa
118p)(i)) 5 . En conséquence, le Conseil peut com-
mettre en la matière une erreur de droit ou de fait
sans s'exposer au contrôle judiciaire. Ce qui distin-
gue le cas des facteurs ruraux de la normale est
que le législateur semble les avoir expressément
prévus dans la Loi sur la Société canadienne des
postes.
La disposition applicable est le paragraphe
13(6):
13....
(6) Pour l'application de la partie V du Code canadien du
travail à la Société ainsi qu'à ses dirigeants et employés, les
entrepreneurs postaux sont réputés n'être ni des entrepreneurs
dépendants ni des employés ou travailleurs au sens du paragra-
phe 107(1) du code.
Les dispositions suivantes des définitions de l'ar-
ticle 2 sont également pertinentes:
2....
«entrepreneur postal» Toute personne partie à un contrat d'en-
treprise avec la Société pour la transmission des renvois.
«transmission» Acheminement par tout moyen de transport,
ainsi que par les moyens électroniques ou optiques.
Conscient, ainsi que je dois l'être, de la règle qui
est d'éviter de qualifier trop rapidement un point
de question de compétence lorsqu'il existe un doute
à cet égard 6 , j'estime néanmoins que, par le para-
graphe 13(6), le législateur visait à définir et à
5 C'est ce fait qui fait de la décision du Conseil une «décision»
au sens de l'article 28 et qui distingue l'espèce présente des
affaires Paul L'Anglais Inc. c. Conseil canadien des relations
du travail, [1979] 2 C.F. 444 (C.A.), et Alliance de la Fonc-
tion publique du Canada c. Conseil canadien des relations du
travail, A-872-85, juge Hugessen, jugement en date du 6-3-86,
C.A.F., non publié. Il y a en l'espèce plus qu'une simple
prétention de compétence; en décidant que les facteurs ruraux
sont des employés, le Conseil entendait exercer effectivement sa
compétence.
6 Voir Syndicat canadien de la Fonction publique, section
locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick,
[1979] 2 R.C.S. 227, le juge Dickson [tel était alors son titre],
à la p. 233.
limiter la compétence du Conseil. Autrement dit,
c'est là une disposition que le Conseil doit interpré-
ter de façon appropriée s'il veut se soustraire au
contrôle judiciaire. Ma conclusion est fondée sur
plusieurs motifs.
En premier lieu, le paragraphe parle de l'«appli-
cation» de la partie V du Code canadien du tra
vail, qui est la source même de la compétence du
Conseil. Aux fins d'une telle application, c'est-à-
dire dans la définition de la compétence du Con-
seil, les entrepreneurs postaux sont réputés n'être
pas des employés, ce qui fait de ce paragraphe un
texte destiné à circonscrire le champ d'activité du
Conseil'. En fait, le Conseil lui-même semble par-
tager ce point de vue: selon sa décision, il voit dans
le paragraphe 13(6) «une dérogation expresse à
l'application générale de la partie V du Code
canadien du travail». Mais pareille dérogation
peut-elle être autre chose qu'une limitation de la
compétence ou du pouvoir de l'organisme chargé
de cette application?
Il y a lieu de noter, car le fait est à mon avis
significatif, que le paragraphe 13(6) est une dispo
sition «déterminative» et qu'il est exprimé sous
forme négative. Dans l'arrêt R. c. Verrette, [1978]
2 R.C.S. 838, la page 845, le juge Beetz a
analysé le rôle des dispositions déterminatives en
ces termes:
Une disposition déterminative est une fiction légale; elle recon-
naît implicitement qu'une chose n'est pas ce qu'elle est censée
être, mais décrète qu'à des fins particulières, elle sera considé-
rée comme étant ce qu'elle n'est pas ou ne semble pas être. Par
cet artifice, une disposition déterminative donne à un mot ou à
une expression un sens autre que celui qu'on leur reconnaît
habituellement et qu'il conserve là où l'on utilise; elle étend la
portée de ce mot ou de cette expression comme le mot «com-
prend» dans certaines définitions; cependant, en toute logique,
le verbe «comprend» n'est pas adéquat et sonne faux parce que
la disposition crée une fiction.
La forme négative de la disposition déterminative
signifie qu'en l'espèce la Loi admet implicitement
que les entrepreneurs postaux peuvent être des
employés pour l'application de la partie V du Code
7 Le juge Pigeon, dans Komo Construction Inc. et al. c.
Commission des Relations de Travail du Québec et al., [19681
R.C.S. 172, à la p. 175. Le juge Beetz, qui rendait l'arrêt de la
Cour, a cité avec approbation ce passage dans l'arrêt Syndicat
des employés de production du Québec et de l'Acadie c.
Conseil canadien des relations du travail et autres, [1984] 2
R.C.S. 412, la p. 420.
canadien du travail, mais dispose qu'ils ne doivent
pas être considérés comme tels à cet effet.
Le Conseil est indubitablement habilité à décla-
rer qui est ou n'est pas un employé, mais ce
pouvoir est circonscrit en l'espèce. Le législateur,
en déterminant que des personnes d'une certaine
catégorie ne sont pas des employés soumis à l'ap-
plication de la partie V du Code 8 même si elles
peuvent l'être dans les faits, a restreint le pouvoir
du Conseil de les déclarer employés. Ainsi, toute
déclaration du Conseil selon laquelle les entrepre
neurs postaux étaient des employés serait sans
effet vu la disposition contraire du législateur. A
cet égard, le fait pour le Conseil de décider que les
facteurs ruraux ne sont pas des entrepreneurs pos-
taux et sont par conséquent des employés pour
l'application du Code équivaudrait à décider que
les employés postaux soumis à l'ancienne Loi sur
les postes 9 n'étaient pas des employés de Sa
Majesté et relevaient donc de la compétence du
Conseil malgré le paragraphe 109(4) [mod. par
S.C. 1972, chap. 18, art. 1]; dans l'un et l'autre
cas, le législateur a défini les limites de la compé-
tence du Conseil et ce dernier ne peut changer
cette définition. Le paragraphe 13(6) est donc
vraiment une disposition de compétence et non pas
une simple directive, savoir que le Conseil doit
exercer ses pouvoirs d'une certaine façon.
Cette conclusion est encore renforcée à mon avis
par le fait que le paragraphe 13(6) est intégré dans
la Loi sur la Société canadienne des postes. Bien
que ce paragraphe porte sur les relations de travail
donc sur une matière qui relève de la compétence
du Conseil, son application est tributaire de la
définition de l'expression «entrepreneur postal>
figurant à l'article 2. En fait, la décision du Con-
seil repose entièrement sur son interprétation de
cette définition, interprétation, qui à son tour,
s'appuie sur ce qui, de l'avis du Conseil, est une
bonne interprétation d'autres parties de la Loi.
8 La version anglaise précise que c'est «notwithstanding»
(nonobstant) l'une quelconque des autres dispositions de la
partie V: cela s'entend clairement de ces dispositions qui attri-
buent compétence au Conseil et qui le protègent contre tout
contrôle.
9 S.R.C. 1970, chap. P-14.
Voilà qui déborde nettement de sa «compétence» 10 .
En fait, le seul autre passage où figure l'expression
«entrepreneurs postaux» est l'article 38. Cette dis
position traite de la responsabilité civile de la
Société pour les pertes ou les retards dans le
traitement des envois: un entrepreneur postal jouit
de la même immunité que la Couronne et la
Société à l'égard des réclamations du public, mais
il continue d'être responsable envers la Société
elle-même dans l'exécution de son contrat d'entre-
prise. La conclusion du Conseil selon laquelle les
facteurs ruraux ne sont pas des entrepreneurs pos-
taux a donc des répercussions qui dépassent de
beaucoup le simple domaine des relations de tra
vail. Il est difficile de croire que le législateur a
voulu investir le Conseil du pouvoir de rendre en la
matière des décisions exemptes de contrôle.
En dernier lieu, il faut considérer le contexte
général de la Loi sur la Société canadienne des
postes lui-même. J'ai déjà dit que cette Loi visait
notamment à soustraire les employés des Postes au
régime de la Loi sur l'emploi dans la Fonction
publique et à les placer sous l'empire du Code
canadien du travail. Cette fin ressort clairement
de la lecture de l'article 13 et des articles 67 à 71.
Autrement dit, la Loi vise entre autres à étendre la
compétence du Conseil canadien des relations du
travail aux personnes qui n'y étaient pas assujetties
en vertu de l'article 109 du Code canadien du
travail. Aussi est-il difficile de dire que le paragra-
phe 13(6), qui sert à restreindre les activités du
Conseil dans une partie du nouveau domaine que
le reste de la Loi lui assigne, ne constitue pas
lui-même une disposition de compétence.
En conséquence, je conclus que le critère à
appliquer pour juger la décision du Conseil est
l'exactitude:
Or une fois qu'une question est qualifiée de question de
compétence et a fait l'objet d'une décision par un tribunal
administratif, la cour supérieure chargée d'exercer le pouvoir
de contrôle et de surveillance sur ce tribunal ne peut, sans
refuser elle-même d'exercer sa propre compétence, s'abstenir de
10 Cf., Re Service Employees International Union, Local 204
and Broadway Manor Nursing Home et al. and two other
applications (1984), 48 O.R. (2d) 225 (C.A.); Ontario Secon
dary School Teachers' Federation, District 14 and Board of
Education of Borough of York and two other applications, Re
(1987), 35 D.L.R. (4th) 588 (C. div. Ont.).
statuer sur l'exactitude de cette décision ou statuer sur elle au
moyen d'un critère approximatif.
(Syndicat des employés de production du Québec et de l'Aca-
die c. Conseil canadien des relations du travail, susmentionné,
A la page 441).
Pour ma part, je conclus sans peine, je l'admets,
que le Conseil a eu tort de décider que les facteurs
ruraux n'étaient pas des entrepreneurs postaux au
sens de la Loi sur la Société canadienne des
postes.
Il convient de se rappeler qu'aux termes de la
loi, est entrepreneur postal la personne qui est
partie à
2....
... un contrat d'entreprise ... pour la transmission des envois.
«Transmission», de son côté, a pour définition:
2....
... Acheminement par tout moyen de transport ...
Le Conseil aurait trouvé dans ces dispositions
législatives une ambiguïté telle qu'il a dû les inter-
préter. L'ambiguïté m'échappe. Les facteurs
ruraux acheminent les envois d'un endroit à l'au-
tre. Ils le font en vertu d'un contrat. Ils sont donc
des entrepreneurs postaux. Il est difficile d'imagi-
ner comment le législateur aurait pu s'exprimer en
termes plus clairs.
Quoi qu'il en soit, le Conseil a jugé approprié
d'examiner d'autres dispositions de la loi où figu-
rent le mot «transmission» et ses dérivés. Il a
conclu:
... que le mot «transmission» est différent et distinct du «rele-
vage» et de la «distribution».
Reconnaissant que les facteurs ruraux ramassent
et livrent le courrier, le Conseil a conclu en outre
que leurs fonctions
... ne s'étendent pas jusqu'à la transmission de courrier dans le
sens où cela est entendu dans la loi.
Puisqu'il ressort de la description des fonctions
des facteurs ruraux qu'ils acheminent, en fait, le
courrier au cours de leurs tournées, il semble
qu'aux yeux du Conseil cet acheminement est
exclu de la définition de «transmission» parce qu'il
est inclus dans les fonctions de relevage et de
livraison:
Nous sommes convaincus que la fonction principale des fac-
teurs ruraux consiste à relever et à livrer les envois, tandis que
les entrepreneurs postaux sont un autre groupe de personnes
contractuelles qui s'occupent du transport, par camion ou autre,
des envois entre les villes.
J'estime que le Conseil a mal interprété les
dispositions de la Loi sur la Société canadienne
des postes.
En premier lieu, rien dans la Loi ne permet de
conclure que la «transmission» des envois est une
fonction distincte, limitée à l'acheminement et au
transport par camion des envois entre les villes et
excluant tout acte d'acheminement qui est acces-
soire au relevage et à la livraison du courrier. Au
contraire, le mot «transmission» s'entend, dans cer-
taines dispositions, de l'ensemble du processus
d'envoi d'articles par la poste, de la mise à la poste
à la livraison, ce qui correspond à la définition
compréhensive que la Loi lui donne. À titre
d'exemple, on ne saurait guère interpréter l'alinéa
17(1)g), qui autorise la transmission en franchise
des articles à l'usage des aveugles ou de ceux qui se
rattachent exclusivement aux activités de la
Société, comme prévoyant seulement l'achemine-
ment et le transport par camion des envois entre
les villes. Il en est de même du paragraphe 34(6),
qui prévoit l'adoption de règlements régissant la
transmission des envois en franchise pour le gou-
verneur général et les sénateurs et députés et, plus
particulièrement, du paragraphe 34(3), qui auto-
rise les députés à «transmettre en franchise à leurs
électeurs».
Il convient également d'examiner les articles 14
et 15 qui prévoient le privilège exclusif de la
Société dans le «relevage et la transmission des
lettres et leur distribution». Le paragraphe 14(2) et
les sous-alinéas 15(1)e), g) et i) emploient tous le
mot «transmission» ou ses dérivés dans un sens tout
à fait incompatible avec l'interprétation que le
Conseil en a donné.
D'autres parties de l'article 2, l'article portant
définition, donneraient également lieu à des ano
malies si l'on souscrivait à l'interprétation que
donne le Conseil du mot «transmission». Toujours à
titre d'exemple, on peut considérer la définition de
«mail conveyance» et de «bureaux de poste»:
2....
«bureaux de poste» Les locaux dont la Société autorise l'emploi
pour le dépôt, le relevage ou l'acceptation des objets, ou pour
le tri, la manutention, la transmission ou la distribution des
envois. La présente définition s'applique en outre au matériel
et aux installations dont la Société autorise l'emploi aux
même fins.
«mail conveyance» means any physical, electronic, optical or
other means used to transmit mail;
Ainsi donc, dans la version anglaise de la Loi,
«post office» comprend l'expression «mail con
veyance». Cette expression est définie dans la ver
sion anglaise et non dans la version française. Cela
se comprend quand on considère la définition fran-
çaise de «bureaux de poste» qui, à la différence de
la version anglaise, comprend le «matériel» autorisé
par la Société pour le «relevage» lequel, à son tour,
est défini dans la version française et non dans la
version anglaise. Or si, comme l'a estimé le Con-
seil, la transmission des envois exclut le relevage,
un véhicule utilisé pour le relevage des envois ne
constitue pas un «mail conveyance» et n'est donc
pas inclus dans la définition de «post office» de la
version anglaise. Le même véhicule serait, bien
entendu, inclus dans la définition française de
«bureaux de poste». C'est seulement en considérant
le mot «transmission» dans la plénitude que lui
donne le libellé sans équivoque de la définition
qu'on peut éviter ce curieux paradoxe.
J'aimerais ajouter que, si l'on devait considérer
le relevage et la distribution comme étant distincts
de la transmission, la Loi ne semble pas voir dans
la livraison au moins un élément du processus,
mais plutôt un acte instantané:
2....
(2) Pour l'application de la présente loi, le destinataire d'un
envoi est censé en avoir reçu livraison si s'est effectuée, selon les
modalités de distribution habituellement appliquées à son
égard, l'une des opérations suivantes:
a) remise de l'envoi à son lieu de résidence ou de travail ou à
son établissement;
b) remise de l'envoi dans sa boite postale, dans sa boîte aux
lettres rurale ou en tout autre endroit affecté au même usage;
c) remise de l'envoi entre ses mains ou entre celles d'une
personne apparemment autorisée par lui à en recevoir livrai-
son, notamment un domestique ou un mandataire.
L'acheminement ne comprendrait donc pas la
livraison elle-même.
À part l'ambiguïté qu'il aurait trouvée dans la
définition de «transmission», le Conseil s'est fondé
sur un autre motif pour décider que les facteurs
ruraux n'étaient pas des entrepreneurs postaux. La
définition française de cette dernière expression
fait état d'«un contrat d'entreprise» que le Conseil
a eu raison d'interpréter comme étant l'équivalent
de «contract for services». Ayant conclu que les
facteurs ruraux étaient, en fait, des entrepreneurs
et des employés dépendants, le Conseil pouvait
sans difficulté décider qu'ils n'étaient pas liés par
des contrats d'entreprise et ne sauraient donc être
des entrepreneurs postaux. Deux remarques, il me
semble, suffisent pour régler cette question.
Premièrement, le raisonnement du Conseil est
artificiel. Deuxièmement, l'ensemble du paragra-
phe 13(6) devient redondant s'il vise uniquement à
déclarer que ne sont pas des entrepreneurs ou
employés dépendants des personnes qui ne pour-
raient l'être en tout cas. J'estime évident que le
législateur avait à l'esprit la forme du contrat
lorsqu'il a employé l'expression «contrat d'entre-
prise» dans la définition «d'entrepreneur postal».
Les personnes qui sont parties à des contrats de ce
genre pour la transmission des envois ne doivent
pas être des entrepreneurs ou des employés dépen-
dants même si leur contrat peut les mettre dans
une position de dépendance telle qu'elles sont, en
droit, assimilées à des personnes ayant un contrat
de travail.
Il reste une dernière question à examiner. Le
Conseil avait à sa disposition un extrait des délibé-
rations du comité parlementaire qui a examiné le
projet de la Loi sur la Société canadienne des
postes avant son adoption. Selon cet extrait le
ministre chargé du projet de loi a expliqué le but
du paragraphe 13(6) en ces termes:
Il y a plusieurs raisons: l'une des plus importantes est évidem-
ment que cette Loi proposée sur la Société Canadienne des
Postes doit avoir préséance sur le code canadien du travail, car
si cette Loi ne l'emportait pas sur le code canadien du travail,
nous croyons que le système d'appel de soumissions qui existe à
l'heure actuelle serait détruit. Le système actuel de contrats de
services pour le transport du courrier terrestre que nous avons à
l'heure actuelle représente à peu près 90 millions de dollars. Si
nous devions pousser cette affaire jusqu'au bout, je ne voudrais
pas exagérer le chiffre, mais l'accroissement des dépenses qui
pourrait résulter de cet amendement pourrait être le double ou
le triple du montant actuel.
En troisième lieu, les entrepreneurs transportant le courrier
rural font à peu près 69 p. 100 de tout ce travail contractuel, et
60 p. 100 de ces entrepreneurs travaillent moins de quatre
heures par jour et, par conséquent, si l'on veut qu'ils se syndi-
quent, le syndicat insistera pour qu'ils soient employés à plein
temps, ce qui triplerait les frais. Voilà quelques-unes des raisons
pour lesquelles je crois qu'il serait fort risqué pour l'instant de
modifier cet article. (aux pages 41:53 et 41:54).
Le Conseil a refusé de tenir compte de ce docu
ment en invoquant Renvoi relatif à la Upper
Churchill Water Rights Reversion Act, [1984] 1
R.C.S. 297 ".
Étant donné le large pouvoir discrétionnaire du
Conseil concernant les sources d'information qu'il
peut choisir de considérer, je ne saurais dire qu'il a
commis une erreur en refusant de tenir compte de
ce document. Je trouve néanmoins son attitude
curieuse vu d'autres décisions publiées où le Con-
seil s'est libéralement fondé sur ce genre de docu
ment pour interpréter le Code canadien du
travail' 2 .
Pour ma part, bien que je ne considère pas la
déclaration du ministre comme étant concluante ni
même très importante, j'estime qu'elle est d'une
certaine utilité parce qu'elle fournit quelques con-
sidérations sous-jacentes à l'adoption du paragra-
phe 13(6). Je trouve également utiles les disposi
tions de l'ancienne Loi sur les postes relatives aux
entrepreneurs postaux (paragraphe 2(1), «employé
de la poste» et les articles 22 à 35 inclusivement).
Tous ces documents éclairent la situation qui exis-
tait avant l'adoption de la Loi sur la Société
canadienne des postes. Il est constant qu'à l'épo-
que, les facteurs ruraux étaient considérés comme
des entrepreneurs postaux et non pas des employés
de la poste. J'ai déjà conclu que les dispositions de
la Loi sur la Société canadienne des postes sont
claires et prévoient la même chose. Cette Loi, loin
de changer la situation des facteurs ruraux, l'a
préservée telle quelle.
J'accueillerais la demande fondée sur l'article 28
et j'annulerais la décision du Conseil. Puisque
cette décision portait uniquement sur les facteurs
ruraux et que ceux-ci ne relèvent pas de la compé-
" Le Conseil était également d'avis que « ... le libellé dont il
est question dans les libérations du comité n'est pas celui qui a
été adopté». Le Conseil a eu tort: il ressort d'une lecture des p.
41:49 41:51 du compte rendu que le Conseil disposait d'un
amendement apporté par le gouvernement au projet de loi
initial; cet amendement a été adopté à la p. 41:54; il est devenu
le paragraphe 13(6) de la Loi.
12 Voir par exemple Re Freight Emergency Service Ltd.
(1984), 55 di 172 (C.C.R.T.), aux p. 192-194.
tence du Conseil, il n'y a pas lieu de renvoyer
l'affaire au Conseil. La prétention de certaines des
parties selon laquelle le paragraphe 13(6) va à
l'encontre de la Charte des droits [Charte cana-
dienne des droits et libertés, qui constitue la Partie
I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R.-U.)] n'a pas été considérée par le Conseil ni
n'a fait l'objet d'une argumentation devant nous;
puisque, ainsi qu'il a été dit déjà, le Conseil n'a pas
compétence pour statuer sur les entrepreneurs pos-
taux, cette question devra être déférée à une autre
instance.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE DESJARDINS (motifs concourants): Le
Conseil avait à trancher trois questions:
1) Les facteurs ruraux sont-ils des employés au
sens du paragraphe 107 (1) du Code?
2) Si le Conseil en arrive à une conclusion affirma
tive, le paragraphe 13(6) de la Loi sur la Société
canadienne des postes prohibe-t-il une telle
conclusion?
3) Si le Conseil estime que le paragraphe 13(6) a
une telle portée, y a-t-il contravention à la Charte
canadienne des droits et libertés?
Les deux premières questions étaient des ques
tions interdépendantes car une fois que le Conseil
eut établi les rapports contractuels entre les fac-
teurs ruraux et Postes Canada sous le régime du
paragraphe 107(1) du Code canadien du travail, il
devait encore examiner la question de savoir si ces
facteurs étaient des «entrepreneurs postaux» au
sens de l'article 2 de la Loi sur la Société cana-
dienne des postes puisque, aux termes du paragra-
phe 13(6) de la même Loi, les «entrepreneurs
postaux» sont «réputés n'être ni des entrepreneurs
dépendants ni des employés ou travailleurs au sens
du paragraphe 107(1) du Code».
En fait, les deux premières questions étaient
deux facettes du même point litigieux, savoir si les
facteurs ruraux étaient des employés au sens du
paragraphe 107(1) du Code canadien du travail.
L'examen que le Conseil a fait de la première
facette de la question relevait de son expertise et
de sa compétence. En s'attaquant à la deuxième
facette de la question, le Conseil a dû déborder du
cadre de sa loi organique pour interpréter le para-
graphe 13(6) de la Loi sur la Société canadienne
des postes, ce qui fait qu'il est sorti de son champ
d'expertise. La question en est alors devenue une
de compétence (Blanchard c. Control Data
Canada Liée et autre, [ 1984] 2 R.C.S. 476, à la
page 491; 55 N.R. 194, à la p. 212; Ontario
Secondary School Teachers' Federation, District
14 and Board of Education of Borough of York
and two other applications, Re (1987), 35 D.L.R.
(4th) 588 (C. div. Ont.), à la page 595). Dès lors,
le Conseil n'était plus en droit de se tromper
puisqu'il ne saurait, par une interprétation erronée
d'une loi dont dépend sa compétence, s'attribuer
une compétence qu'il n'a pas. Dans ce cas, le
concept de déférence judiciaire ne s'applique pas.
(Syndicat des employés de production du Québec
et de l'Acadie c. Conseil canadien des relations du
travail et autres, [1984] 2 R.C.S. 412, aux pages
441 et 442; 14 D.L.R. (4th) 457, aux pages 479 et
480). Pour les motifs invoqués par le juge Huges-
sen, j'estime que le Conseil s'est trompé dans son
interprétation du paragraphe 13(6) de la Loi sur
la Société canadienne des postes.
Je souscris à la caractérisation et aux motifs de
jugement rendus par le juge Hugessen.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.