T-1062-87
Dar Bar Singh Padda (demandeur)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (défen-
deur)
RÉPERTORIÉ: PADDA c. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET
DE L'IMMIGRATION)
Division de première instance, juge Collier—Van-
couver, 29 mars 1988.
Contrôle judiciaire — Recours en equity — Jugements
déclaratoires — Nullité de l'ordonnance d'expulsion — La
Commission a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié
au sens de la Convention — Absence d'audience — Expulsion
ordonnée — On a décidé dans l'affaire Singh qu'il était
nécessaire de tenir une audience dans les cas de réexamen —
La Cour d'appel fédérale a annulé la décision de la Commis
sion — Cette dernière a conclu de nouveau que le demandeur
n'était pas un réfugié au sens de la Convention — Il s'agit de
savoir si l'ordonnance d'expulsion est frappée d'une nullité
relative ou d'une nullité absolue — Désapprobation de l'em-
ploi de ces termes en droit administratif — La décision
originaire de la Commission est nulle ab initio — L'ordon-
nance d'expulsion est également nulle — Le résultat de la
nouvelle enquête, après quatre années, ne sera pas nécessaire-
ment la même puisque les faits et la loi peuvent changer —
Rejet de l'argument dit des »portes d'écluse» fondé sur un
arriéré des revendications du statut de réfugié.
Immigration — Expulsion — Ordonnance d'expulsion
rendue à la suite de la décision de la Commission d'appel de
l'immigration selon laquelle le demandeur n'est pas un réfugié
au sens de la Convention — La décision de la Commission
relative au statut de réfugié au sens de la Convention est
annulée — À la nouvelle audience, la Commission a conclu de
nouveau que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la
Convention — Puisque la décision en vertu de laquelle l'or-
donnance d'expulsion a été rendue était nulle ab initio, l'or-
donnance d'expulsion est également nulle.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.).
Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appen-
dice III.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap.
10, art. 28.
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52,
art. 45(1), 70(1).
Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Durayappah v. Fernando, [1967] 2 All E.R. 152 (P.C.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion, [1985] 1 R.C.S. 177.
DÉCISION CITÉE:
Junior Books Ltd. v. Veitchi Co. Ltd., [1983] 1 A.C. 520
(H.L.).
DOCTRINE
Wade, H. W. R. Administrative Law, 4th ed. Clarendon
Press: Oxford, 1977.
AVOCATS:
Andrew J. A. McKinley pour le demandeur.
David A. Coulson pour le défendeur.
PROCUREURS:
Andrew J. A. McKinley, Vancouver, pour le
demandeur.
Clark, Wilson, Vancouver, pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés à l'audience par
LE JUGE COLLIER: L'action du demandeur vise
à obtenir un jugement déclaratoire portant qu'une
ordonnance d'expulsion rendue contre lui le 6
décembre 1984 est invalide et sans effet.
Un exposé convenu des faits a été déposé au
procès.
Le demandeur est un ressortissant indien. Il est
arrivé au Canada, le 17 août 1981, titre de
visiteur. Ce statut a pris fin le 19 avril 1982. Le
demandeur est resté au pays. Il a également tra-
vaillé, sans y être autorisé, en contravention du
Règlement sur l'immigration [de 1978, DORS/78-
172].
Il a fait l'objet d'une enquête suivant la Loi. À
l'enquête, il a revendiqué le statut de réfugié au
sens de la Convention en conformité avec le para-
graphe 45(1) de la Loi [Loi sur l'immigration de
1976, S.C. 1976-77, chap. 52]. L'enquête s'est
poursuivie, mais elle a alors été suspendue afin que
le demandeur puisse être interrogé par un agent
d'immigration supérieur relativement à sa revendi-
cation du statut de réfugié.
Cette revendication a ensuite été transmise au
ministre défendeur. Celui-ci a jugé que le deman-
deur n'était pas un réfugié au sens de la
Convention.
Par la suite, le demandeur s'est adressé à la
Commission d'appel de l'immigration, en confor-
mité avec le paragraphe 70(1), pour faire réexami-
ner sa revendication du statut de réfugié. Le 16
juillet 1984, la Commission a jugé que le deman-
deur n'était pas un réfugié au sens de la
Convention.
Bien que ce ne soit pas indiqué dans l'exposé des
faits, il est admis de part et d'autre que la Com
mission n'a pas tenu d'audience. C'était la pratique
à l'époque.
L'enquête a repris, et l'ordonnance d'expulsion
attaquée a été rendue.
Le demandeur a alors demandé, en conformité
avec l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale
[S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10], que l'ordon-
nance soit annulée. Cette demande a été rejetée le
18 juin 1985.
Puis a été rendue la décision, maintenant célè-
bre, de la Cour suprême du Canada dans l'affaire
Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de
l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177. La Cour a
statué que, dans les cas de réexamen, la Commis
sion doit tenir des audiences. Trois juges ont consi-
déré que la loi alors en vigueur allait à l'encontre
de la Charte [Charte canadienne des droits et
libertés, qui constitue la Partie I de la Loi consti-
tutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] tandis que les
trois autres juges ont considéré qu'elle allait à
l'encontre de la Déclaration canadienne des droits
[S.R.C. 1970, Appendice III].
Le demandeur a alors interjeté appel, auprès de
la Cour d'appel fédérale, de la décision rendue par
la Commission le 16 juillet 1984 au sujet du
réexamen de la revendication. Cette Cour a, le 6
janvier 1986, annulé la décision de la Commission
et renvoyé l'affaire «pour que la revendication du
demandeur soit réexaminée après une audience sur
le fond en conformité avec les principes de justice
fondamentale.»
La Commission a tenu une nouvelle audition de
l'affaire. Le 20 mars 1987, la Commission a jugé,
une fois de plus, que le demandeur n'était pas un
réfugié au sens de la Convention.
Les fonctionnaires de l'immigration ont pris des
mesures en vue d'exécuter l'ordonnance d'expul-
sion de 1984. La présente action a alors été inten-
tée. Une injonction interlocutoire a été prononcée
contre les défendeurs pour les empêcher de ren-
voyer le demandeur du Canada avant l'audition de
la présente action.
Le demandeur soutient ce qui suit: une ordon-
nance d'expulsion ne pouvait pas être rendue avant
que la Commission ne se soit prononcée sur la
demande de réexamen; ladite Commission a rendu
une décision le 16 juillet 1984; l'ordonnance d'ex-
pulsion a ensuite été prononcée. Mais la décision
de la Commission a été annulée; cette décision
n'existait plus en droit; l'ordonnance d'expulsion
était fondée sur une prémisse fausse ou invalide
selon laquelle le demandeur n'était pas un réfugié
au sens de la Convention; la décision de la Com
mission étant invalide ou nulle, l'ordonnance d'ex-
pulsion entre dans la même catégorie.
Quant aux défendeurs, ils ont allégué que l'or-
donnance d'expulsion constitue encore aujourd'hui
une ordonnance valide; elle est nulle d'une nullité
relative, mais non pas nulle d'une nullité absolue;
dans les circonstances de l'espèce, il n'y aurait pas
lieu de rendre le jugement déclaratoire recherché.
L'avocat des défendeurs a établi une distinction
entre une ordonnance ou décision nulle d'une nul-
lité absolue et une ordonnance ou décision nulle
d'une nullité relative. Je ne considère pas cette
distinction comme pertinente en l'espèce. Si elle
était pertinente, je crois que l'ordonnance d'expul-
sion en question serait nulle d'une nullité absolue.
Je me reporte à l'arrêt Durayappah v. Fernando,
[1967] 2 All E.R. 152 (P.C.). Dans cette affai-
re-là, le ministre des Affaires municipales du
Ceylan a rendu une ordonnance selon laquelle un
conseil municipal n'avait pas la compétence voulue
pour exercer ses fonctions, et il a ordonné que le
conseil soit dissout et remplacé. Dans l'enquête
tenue préalablement, le conseil n'avait pas eu la
possibilité de se faire entendre. Le maire, agissant
en son propre nom, et non le conseil lui-même, a
intenté une poursuite afin de faire annuler l'ordon-
nance rendue par le ministre. Le Conseil privé a
statué qu'il y avait eu violation des règles de
justice naturelle: le conseil aurait dû avoir la possi-
bilité de se faire entendre. Cependant se posait la
question de savoir si le maire avait le droit de
poursuivre l'action. La réponse était non. Lord
Upjohn s'est élevé, aux pages 158 à 160, contre
l'utilisation des notions de «nullité absolue» et «nul-
lité relative» dans le domaine du droit administra-
tif ou du contrôle judiciaire. La distinction, selon
lui, devrait se faire entre «nullité» et «nullité abso-
lue» ou «nullité relative». À la page 160, je cite ce
qui suit:
[TRADUCTION] Bien qu'en l'espèce leurs seigneuries ne doutent
pas que, dans une action intentée par le conseil, la Cour eût dû
statuer que l'ordonnance était nulle dès le début et n'avait
jamais produit aucun effet, c'est une tout autre affaire de dire
que l'ordonnance était un acte nul dont pouvait profiter toute
autre personne ayant un intérêt légitime dans l'affaire.
En l'espèce, à mon avis, la décision rendue par la
Commission le 16 juillet 1984 était nulle dès le
début et n'avait jamais produit aucun effet.
La personne qui a attaqué la décision était celle
contre laquelle l'ordonnance a effectivement été
rendue. L'ordonnance d'expulsion ne pouvait, selon
la Loi, être rendue qu'à la suite d'une décision de
la Commission qui était valide en droit.
L'ordonnance d'expulsion découlait de la déci-
sion non valide de la Commission. L'ordonnance
d'expulsion était, à mon avis, également nulle et ne
produisait, et ne produit aucun effet. Voir à ce
sujet Wade, H. W. R. Administrative Law, 4e éd.,
Clarendon Press: Oxford, 1977, la page 283 et
suivantes.
Les défendeurs ont soutenu que, de toute façon,
il ne faudrait pas faire droit à la demande de
jugement déclaratoire. Ils ont indiqué que l'en-
quête déjà tenue ne peut pas être rouverte; une
nouvelle enquête devrait être amorcée; toute la
procédure serait reprise; on arriverait nécessaire-
ment aux mêmes résultats; le demandeur serait
considéré comme n'étant pas un réfugié au sens de
la Convention; et une ordonnance d'expulsion
serait rendue une fois de plus.
Je ne suis pas d'accord.
Il ne s'ensuit pas que les mêmes résultats seront
obtenus inévitablement. Nous sommes en 1988, et
non plus en 1984. Les faits peuvent avoir changé.
Il est possible que la loi change d'ici à ce que de
nouvelles procédures prennent fin.
Enfin, les défendeurs signalent l'énorme arriéré
des revendications du statut de réfugié qui sont
encore en instance à l'un ou l'autre stade. On
estime de 200 à 400 le nombre de demandeurs qui
peuvent se trouver dans la même situation que le
demandeur en espèce.
Il s'agit d'un genre d'allégation dit des «portes
d'écluse», qui ressemble quelque peu aux alléga-
tions avancées dans certaines actions en domma-
ges-intérêts: voir, par exemple, Junior Books Ltd.
v. Veitchi Co. Ltd., [1983] A.C. 520 (H.L.).
Je n'accepte pas ce genre d'allégation.
Il y a eu violation des garanties juridiques du
demandeur. S'il y en a beaucoup d'autres dont les
droits ont été violés de la même façon, ils ont
également droit à un redressement.
Il y aura donc un jugement déclaratoire portant
que l'ordonnance d'expulsion rendue contre le
demandeur le 16 décembre 1984 est nulle et sans
effet.
Le jugement déclaratoire ne sera valable qu'à
l'encontre du ministre défendeur.
Le demandeur a droit aux dépens de la présente
action.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.