T-2557-86
Syndicat international des débardeurs et magasi-
niers—sections locales canadiennes 500, 502, 503,
504, 505, 506, 508, 515 et 519—et Toute personne
normalement employée au débardage ou à des
opérations connexes dans un port de la côte ouest
du Canada et assujettie aux dispositions de la Loi
de 1986 sur les opérations portuaires (deman-
deurs)
c.
La Reine (défenderesse)
RÉPERTORIE: S.I.D.M. c. CANADA
Division de première instance, juge McNair—
Vancouver, 20 avril; Ottawa, 31 août 1988.
Droit constitutionnel — Charte des droits Clause limita-
tive Action principale attaquant la constitutionnalité de la
Loi de 1986 sur les opérations portuaires Défense fondée
sur une limite dont la justification peut se démontrer — Les
demandeurs ont réclamé des renseignements concernant la
présentation et l'adoption de la Loi pour prouver les buts
poursuivis par le législateur et pour démolir la défense à
l'avance — La Couronne a refusé de divulguer des renseigne-
ments confidentiels du Cabinet en vertu de l'art. 36.3 de la Loi
sur la preuve au Canada — Rejet d'une requête en radiation
de la défense L'analyse des objectifs poursuivis par le
législateur implique l'examen de la loi elle-même et non pas
des options politiques sur lesquelles on a délibéré au cours de
la présentation de cette loi — La requête est prématurée, car il
faut prouver qu'il y a eu violation de droits garantis par la
Charte avant que l'opposant devienne obligé de prouver l'exis-
tence d'une limite dont la justification puisse se démontrer —
La Cour ne veut pas présumer, sans la tenue d'un procès, qu'il
y a eu violation de droits garantis par la Charte ni non plus se
prononcer sur le bien-fondé d'une telle allégation à cette étape
— La simple allégation qu'il y a eu violation de la Charte ne
limite pas les procédures auxquelles la défenderesse peut
recourir.
Pratique — Privilège — La Couronne a invoqué l'art. 36.3
de la Loi sur la preuve au Canada pour refuser de divulguer
des renseignements confidentiels du Cabinet sur les circons-
tances ayant entouré la présentation et l'adoption d'une loi
L'art. 36.3 constitue la codification dans une loi de la conven
tion constitutionnelle de common law relative aux renseigne-
ments confidentiels du Cabinet — Ce privilège figure dans une
loi déterminée relevant de la compétence du Parlement
L'obligation que les actions soient jugées en conformité avec
les lois de la preuve fait partie des principes de justice
fondamentale — Le certificat en bonne et due forme est
probant quant au privilège revendiqué — Il s'agissait d'un
certificat qui était en bonne et due forme selon le principe
énoncé dans l'arrêt Smith, Kline & French c. Procureur géné-
ral du Canada et qui était conforme à l'art. 36.3(1J et (4).
Pratique — Communication de documents et interrogatoire
préalable — Production de documents — Le fait pour la
Couronne d'invoquer le privilège conféré à l'exécutif constitue
une «excuse raisonnable« pour refuser de fournir les docu
ments comme l'exige la Règle 460(1) — L'art. 36.3 de la Loi
sur la preuve au Canada ne peut servir de fondement au
privilège à l'égard de la non-divulgation de renseignements
confidentiels du Cabinet en l'absence d'un certificat — La
communication, visée à la Règle 448, des catégories de docu
ments mentionnés dans la lettre a été accordée, sans préjudice
au droit de la défenderesse de revendiquer le privilège conféré
à l'exécutif et de produire un certificat en bonne et due forme.
Contrôle judiciaire — Recours en equity — Jugements
déclaratoires — La Couronne a refusé de divulguer des rensei-
gnements et a invoqué le privilège conféré à l'exécutif selon
l'art. 36.3 de la Loi sur la preuve au Canada — Les deman-
deurs ont, à l'occasion de requêtes en jugement interlocutoire,
allégué que le choix fondé sur l'art. 36.3 contrecarrait complè-
tement leur preuve et constituait donc un manquement aux
principes de justice fondamentale — On ne doit pas statuer sur
la constitutionnalité de l'art. 36.3 au moyen d'un jugement
déclaratoire, à l'occasion d'une requête sommaire, lorsque la
question n'a pas été soulevée dans les plaidoiries.
Il s'agissait d'une requête en radiation de la défense pour le
motif qu'elle empêchait que l'action soit jugée de façon équita-
ble ou qu'elle constituait un recours abusif au tribunal, ou pour
refus de produire des documents en conformité avec les Règles.
Dans l'action principale, le demandeur conteste la constitution-
nalité de la Loi de 1986 sur les opérations portuaires. Lorsque
les procureurs des demandeurs ont demandé des renseigne-
ments sur les circonstances ayant entouré la présentation et
l'adoption de cette Loi, la défenderesse a refusé de les fournir
en invoquant le privilège conféré à l'exécutif par l'article 36.3
de la Loi sur la preuve au Canada. La défense s'appuyait en
partie sur le fait que la Loi attaquée constituait une limite dont
la justification pouvait se démontrer suivant l'article premier de
la Charte. Les demandeurs ont soutenu que la défenderesse
devra prouver que la Loi attaquée a un lien rationnel avec le
but de la Loi, ce qui à son tour exigera une explication quant
aux raisons pour lesquelles et aux circonstances dans lesquelles
la Loi a été adoptée. Il a donc été allégué que la Couronne, en
faisant ce choix, manquait aux principes de justice fondamen-
tale parce qu'elle camouflait les objectifs véritables de la Loi
derrière le certificat visé à l'article 36.3 et contrecarrait totale-
ment la preuve des demandeurs. Une dissimulation de ce genre
privait les demandeurs du droit à la liberté que leur garantit
l'article 7 de la Charte. Les demandeurs ont également pré-
tendu que le choix de la Couronne ne constituait pas une
«excuse raisonnable» pour refuser de produire les documents
comme l'exige la Règle 460. Ils ont aussi tenté d'obtenir, en
vertu de la Règle 448, la communication générale de docu
ments qui étaient identifiés dans une lettre adressée aux procu-
reurs de la défenderesse par les procureurs des demandeurs et
qui s'ajoutaient à la liste visée à la Règle 447 et fournie par la
défenderesse. La plupart des documents en question semblaient
être des documents confidentiels du Cabinet.
Jugement: la requête doit être rejetée, sauf en ce qui con-
cerne la demande de communication de documents qui est
fondée sur la Règle 448 et qui doit être accueillie sous réserve
des restrictions.
Premièrement, dans une analyse en vertu de l'article premier,
l'objectif poursuivi par le législateur devrait être déterminé à
partir d'un examen de la loi elle-même et non pas de toute la
gamme des options politiques sur lesquelles a délibéré le Cabi
net au cours de la présentation de cette loi.
Deuxièmement, le redressement sollicité par les demandeurs
suppose que les droits que leur garantit la Charte ont été violés.
Un tribunal ne devrait pas faire une telle supposition dans le
cadre d'une requête sommaire ni non plus se prononcer avant le
procès sur le bien-fondé des allégations fondées sur la Charte.
C'est encore à la partie qui invoque la violation des droits que
lui garantit la Charte qu'il incombe de prouver de telles viola
tions. C'est seulement ensuite que l'opposant devient obligé de
prouver l'existence d'une limitation dont la justification peut se
démontrer. De toute façon, le défendeur peut recourir aux
mêmes procédures dans la défense de son action, y compris au
choix visé à l'article 36.3 de la Loi sur la preuve au Canada.
L'obligation que les actions soient jugées en conformité avec les
règles de pratique et de procédure et compte tenu des lois
régulières de la preuve fait partie des principes de justice
fondamentale et constitue une garantie contre l'anarchie en
matière judiciaire.
Troisièmement, d'après les Règles de la Cour fédérale, on ne
peut pas tenter d'obtenir un jugement déclaratoire au moyen
d'une motion introductive d'instance, mais seulement au moyen
d'une action. Les demandeurs ne peuvent pas contester la
constitutionnalité de l'article 36.3 au moment de la présenta-
tion d'une requête sommaire sans avoir même soulevé une telle
question dans leurs plaidoiries.
Il est bien établi qu'un tribunal ne peut pas aller au-delà d'un
certificat visé par le paragraphe 36.3(I) et examiner les docu
ments. Il s'agissait d'un document en bonne et due forme dans
le contexte du principe énoncé dans l'arrêt Smith, Kline &
French c. Procureur général du Canada. Il suffit à protéger les
renseignements confidentiels du Cabinet mentionnés dans les
questions énumérées de l'interrogatoire préalable. Il constituait
également une excuse raisonnable pour ne pas radier la défense
en vertu des Règles 460 et 465(20) ainsi qu'une fin de non-rece-
voir pour la requête en radiation des demandeurs en vertu de la
Règle 419(l )d) et J).
L'article 36.3 ne peut pas servir de fondement au privilège à
l'égard de la non-divulgation de renseignements confidentiels
contenus dans des documents du Cabinet si aucun certificat
émanant du greffier du Conseil privé n'identifie ces documents
ni ne mentionne les motifs précis du privilège revendiqué à leur
égard. On devrait donc permettre la communication de docu
ments en vertu de la Règle 448 mais elle devrait se limiter aux
catégories de documents mentionnés dans la lettre des procu-
reurs des demandeurs et sans qu'il soit porté préjudice au droit
de la défenderesse de s'opposer à la production de tout docu
ment en raison du privilège créé par l'article 36.3 et sur dépôt
d'un certificat en bonne et due forme.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. I, 2d), 7, 24(1).
Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appen-
dice III, art. 2e).
Loi de 1986 sur les opérations portuaires, S.C. 1986,
chap. 46.
Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10,
art. 36.3 (édicté par S.C. 1980-81-82-83, chap. III,
art. 4, ann. III).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles
302b), 419(1 )d),J), 447, 448, 460 (mod. par
DORS/79-57, art. 13), 465(18),(20).
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Smith, Kline & French Laboratories Limited c. Procu-
reur général du Canada, [1983] I C.F. 917 (1" inst.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Carey c. Ontario, [1986] 2 R.C.S. 637; 72 N.R. 81.
DÉCISION EXAMINÉE:
La Reine c. Oakes, [ 1986] 1 R.C.S. 103.
DÉCISIONS CITÉES:
Wilson c. Ministre de la Justice, [1985] 1 C.F. 586
(C.A.); Rothmans de Pall Mall Canada Limitée c.
Ministre du Revenu national (N° 2), [1976] 2 C.F. 512
(C.A.); Canada (vérificateur général) c. Canada (minis-
tre de l'Énergie, des Mines et des Ressources), [1987]
C.F. 406 (C.A.); Ouvrage de raffinage de métaux Domi
nion Ltée c. Énergie atomique du Canada Ltée, [1988]
R.J.Q. 2232 (C.S.); McAlpine of Nfld. Ltd. c. La Reine
(1985), 9 C.L.R. 276 (C.F. l" inst.); New West Cons
truction Co. Ltd. c. La Reine, [1980] 2 C.F. 44 (I'° inst.).
DOCTRINE
Jackett, W. R. The Federal Court of Canada: A Manual
of Practice. Ottawa: Information Canada, 1971.
AVOCATS:
P. N. M. Glass pour les demandeurs.
E. A. Bowie, c.r. et Margaret N. Kinnear pour
la défenderesse.
PROCUREURS:
Swinton & Company, Vancouver, pour les
demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MCNAIR: Il s'agit d'une requête pré-
sentée par les demandeurs en vue d'obtenir diffé-
rentes formes de redressement interlocutoire et sur
le plan de la procédure, en conformité avec les
Règles 302b), 419(1)d), 419(1)f), 448, 460,
465(18) et 465(20) des Règles de la Cour fédérale
[C.R.C., chap. 663] et de l'article 7 et du paragra-
phe 24(1) de la Charte canadienne des droits et
libertés [qui constitue la Partie I de la Loi consti-
tutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)]. Les demandes
de redressement découleraient du refus de la Cou-
ronne de fournir certains documents et renseigne-
ments et de son refus également de répondre à
certaines questions à l'interrogatoire préalable,
refus qui se fondent sur le privilège conféré au
pouvoir exécutif par l'article 36.3 de la Loi sur la
preuve au Canada [S.R.C. 1970, chap. E-10
(édicté par S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, art. 4
(annexe III))].
Toute l'affaire vient de l'action intentée par les
demandeurs en vue d'obtenir un jugement déclara-
toire contestant la constitutionnalité de la Loi de
1986 sur les opérations portuaires, S.C. 1986,
chap. 46, qui, selon lesdits demandeurs, viole le
droit à la liberté d'association et le droit à la
liberté que leur garantissent l'alinéa 2d) et l'article
7 de la Charte. Pour aider à l'avancement de ces
revendications, les procureurs des demandeurs ont
demandé aux procureurs de la défenderesse de
fournir des renseignements et de produire des
documents concernant les circonstances entourant
la présentation et l'adoption de la Loi de 1986 sur
les opérations portuaires. Les procureurs de la
défenderesse ont constamment refusé, en invo-
quant l'article 36.3 de la Loi sur la preuve au
Canada, de fournir tout renseignement ou docu
ment qui divulguerait des renseignements confi-
dentiels du Conseil privé de la Reine pour le
Canada. Pour faire avancer leur cause, les procu-
reurs des demandeurs ont procédé à un interroga-
toire préalable du fonctionnaire concerné de la
défenderesse, M. William Kelly. Celui-ci a, sur les
directives de l'avocat, refusé de répondre aux ques
tions énumérées au paragraphe 5 de l'avis de
requête. Ce geste reposait sur le même refus de
divulguer des renseignements confidentiels du
Conseil privé de la Reine pour le Canada.
La stratégie générale des demandeurs, me sem-
ble-t-il, est double: (1) prouver les buts poursuivis
par le législateur en adoptant la Loi de 1986 sur
les opérations portuaires et contraindre à la divul-
gation de renseignements confidentiels du Cabinet
à cet égard, que ceux-ci aient été constatés verba-
lement ou consignés par écrit; et (2) réfuter et
démolir efficacement à l'avance la défense de la
défenderesse fondée sur des limites pouvant se
démontrer suivant l'article premier de la Charte et
soulevée au paragraphe 7 de la défense, tout en
reconnaissant que la preuve de l'existence d'une
telle limite en vertu de l'article premier incombe
uniquement à la défenderesse. Ledit paragraphe 7
est libellé ainsi:
[TRADUCTION] 7. À défaut, et en réponse également au para-
graphe 13 et à la déclaration dans son ensemble, il dit que, si la
Loi ou tout passage de celle-ci restreint, de quelque façon, l'un
des droits et libertés du demandeur, cette limite est ainsi
raisonnable, qu'elle est prévue par une règle de droit, que sa
justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre
et démocratique et qu'elle est donc permise selon les disposi
tions de la Charte canadienne des droits et libertés.
Toute la question de l'exemption de divulguer
des renseignements confidentiels du Conseil privé
de la Reine pour le Canada est régie par l'article
36.3 de la Loi sur la preuve au Canada, S.R.C.
1970, chap. E-10, modifié par S.C. 1980-81-82-83,
chap. 111, art. 4 (annexe III), lequel a été pro-
clamé le 23 novembre 1982 et est rédigé ainsi:
36.3 (I) Le tribunal, l'organisme ou la personne qui ont le
pouvoir de contraindre à la production de renseignements sont,
dans les cas où un ministre de la Couronne ou le greffier du
Conseil privé s'opposent à la divulgation d'un renseignement,
tenus d'en refuser la divulgation, sans l'examiner ni tenir
d'audition à son sujet, si le ministre ou le greffier attestent par
écrit que le renseignement constitue un renseignement confi-
dentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada.
(2) Pour l'application du paragraphe (1), «un renseignement
confidentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada«
s'entend notamment d'un renseignement contenu dans:
a) une note destinée à soumettre des propositions ou recom-
mandations au Conseil;
b) un document de travail destiné à présenter des problèmes,
des analyses ou des options politiques à l'examen du Conseil;
c) un ordre du jour du Conseil ou un procès-verbal de ses
délibérations ou décisions;
d) un document employé en vue ou faisant état de communi
cations ou de discussions entre ministres de la Couronne sur
des questions liées à la prise des décisions du gouvernement
ou à la formulation de sa politique;
e) un document d'information à l'usage des ministres de la
Couronne sur des questions portées ou qu'il est prévu de
porter devant le Conseil, ou sur des questions qui font l'objet
des communications ou discussions visées à l'alinéa d);
f) un avant-projet de loi.
(3) Pour l'application du paragraphe (2), «Conseil,' s'entend
du Conseil privé de la Reine pour le Canada, du Cabinet et de
leurs comités respectifs.
(4) Le paragraphe (I) ne s'applique pas:
a) à un renseignement confidentiel du Conseil privé de la
Reine pour le Canada dont l'existence remonte à plus de
vingt ans;
b) à un document de travail visé à l'alinéa (2)b), dans les cas
où les décisions auxquelles il se rapporte ont été rendues
publiques ou, à défaut de publicité, ont été rendues quatre
ans auparavant.
Un certificat écrit portant la signature du gref-
fier du Conseil privé, M. Paul M. Tellier, et en
date du 18 avril 1988 a été déposé en conformité
avec le paragraphe 36.3(1) de la Loi. Ledit certifi-
cat est libellé ainsi:
[TRADUCTION] CERTIFICAT
JE, PAUL M. TELLIER, fonctionnaire, résidant en la ville
d'Ottawa dans la municipalité régionale d'Ottawa-Carleton,
dans la province d'Ontario, déclare:
I. Je suis greffier du Conseil privé pour le Canada et secrétaire
du Cabinet.
2. J'ai examiné personnellement et soigneusement chacune des
questions posées à l'interrogatoire préalable de William P.
Kelly les 18 et 19 novembre 1987 et énumérées au paragraphe
5 de l'avis de requête en date du 5 avril 1988 qui a été présenté
par les demandeurs dans la présente action.
3. J'atteste conformément au paragraphe 36.3(1) de la Loi sur
la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10, modifié par
1980-8I-82 (Can.) chap. I I 1, que, pour les motifs exposés dans
l'annexe aux présentes, le fait de répondre complètement aux
questions mentionnées au paragraphe 2 ci-dessus, à l'exception
des questions 155, 156, 247 et 256, révélerait des renseigne-
ments constituant des renseignements confidentiels du Conseil
privé de la Reine pour le Canada, et je m'oppose à la divulga-
tion de ces renseignements.
4. J'atteste également que le procès-verbal d'une décision du
Cabinet du genre de celui qui est décrit dans la dernière
question de la page 105 de la transcription de l'interrogatoire
mentionné au paragraphe 2 ci-dessus constituerait un rensei-
gnement confidentiel du Conseil privé de la Reine pour le
Canada, qui est prévu à l'alinéa 36.3(2)c) de la Loi sur la
preuve au Canada.
5. J'atteste également que le paragraphe 36.3(4) de la Loi sur
la preuve au Canada ne s'applique à aucun des renseignements
qui seraient révélés en réponse aux questions mentionnées au
paragraphe 2 ci-dessus.
FAIT n OTTAWA, dans la province d'Ontario, le 18 avril 1988.
(Signature) Paul M. Tellier
Paul M. Tellier
Greffier du Conseil privé de
la Reine pour le Canada et
Secrétaire du Cabinet
ANNEXE
Le fait de répondre aux questions suivantes révélerait des
renseignements constituant des propositions, des recommanda-
tions ou des options politiques destinées au Conseil privé de la
Reine pour le Canada ou à l'examen de celui-ci et révélerait
donc des renseignements confidentiels du Conseil privé de la
Reine pour le Canada:
Q. 94, Q. 96, Q. 97, Q. 98, Q. 130,
Q. 133, Q. 135, Q. 138, Q. 170,
Q. 236, Q. 242, Q. 243.
Le fait de répondre complètement aux questions suivantes
révélerait des délibérations ou des décisions du Conseil privé de
la Reine pour le Canada ou des communications entre des
ministres de la Couronne ou des décisions de ces derniers sur
des questions liées à la- prise des décisions du gouvernement ou
à la formulation de sa politique et révélerait par conséquent des
renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour
le Canada:
Q. 139, Q. 158, Q. 242, Q. 258, Q. 260
ligne 11 de la p. 85 ligne 20 de la p. 86,
Q. 264, Q. 275, Q. 277, Q. 278, Q. 281,
Q. 282, Q. 283, Q. 284, dernière question
de la p. 103, dernière question de la p. 104.
La véritable question que l'on tente de faire
ressortir dans la requête, me semble-t-il, est de
savoir si l'article 36.3 de la Loi sur la preuve au
Canada est valide sur le plan constitutionnel.
Les dispositions de la Charte applicables à ce
point-là sont les articles 1 et 7, qui sont rédigés
ainsi:
1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les
droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être res-
treints que par une règle de droit, dans des limites qui soient
raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le
cadre d'une société libre et démocratique.
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa
personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor-
mité avec les principes de justice fondamentale.
Les demandeurs affirment que, selon les princi-
pes de justice fondamentale, tous les renseigne-
ments pertinents doivent être communiqués en ce
qui concerne le moyen de défense de la défende-
resse fondé sur l'article premier. L'avocat des
demandeurs soutient qu'une analyse en vertu de
l'article premier exige que la partie qui invoque cet
article prouve que les mesures adoptées en vertu de
la loi attaquée sont [TRADUCTION] «soigneuse-
ment conçues et ont un lien rationnel avec l'objec-
tif de la loi». Cela demande, à son tour, une
explication des raisons pour lesquelles la loi a été
adoptée ainsi que des circonstances selon lesquelles
elle l'a été. Il s'ensuit donc que toute analyse qui
porte sur les buts de la loi doit nécessairement
comprendre un examen judiciaire de tout le pro-
cessus de formulation de la loi. En bref, le [TRA-
DUCTION] «but visé» ne doit pas être découvert
seulement à partir de la loi elle-même.
L'avocat des demandeurs s'appuie grandement
sur l'arrêt La Reine c. Oakes, [1986] 1 R.C.S.
103, dans lequel la Cour suprême du Canada a
défini les critères sur lesquels il faut se baser pour
juger le moyen de défense fondé sur une limite
visée à l'article premier. Ce tribunal a ajouté que
la charge de prouver qu'une restriction à un droit
ou à une liberté garantis par la Charte était raison-
nable et que sa justification pouvait se démontrer
dans le cadre d'une société juste et démocratique,
incombait à la partie recherchant le maintien de la
restriction, qui était déterminable selon la norme
d'«une prépondérance des probabilités».
Le juge en chef Dickson a expliqué ces deux
critères fondamentaux dans l'arrêt Oakes, précité,
aux pages 138 et 139:
Pour établir qu'une restriction est raisonnable et que sa
justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre
et démocratique, il faut satisfaire à deux critères fondamen-
taux. En premier lieu, l'objectif que visent à servir les mesures
qui apportent une restriction à un droit ou à une liberté
garantis par la Charte, doit être «suffisamment important pour
justifier la suppression d'un droit ou d'une liberté garantis par
la Constitution»: R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, à la p.
352. La norme doit être sévère afin que les objectifs peu
importants ou contraires aux principes qui constituent l'essence
même d'une société libre et démocratique ne bénéficient pas de
la protection de l'article premier. Il faut à tout le moins qu'un
objectif se rapporte à des préoccupations urgentes et réelles
dans une société libre et démocratique, pour qu'on puisse le
qualifier de suffisamment important.
En deuxième lieu, dès qu'il est reconnu qu'un objectif est
suffisamment important, la partie qui invoque l'article premier
doit alors démontrer que les moyens choisis sont raisonnables et
que leur justification peut se démontrer. Cela nécessite l'appli-
cation d'«une sorte de critère de proportionnalité»: R. c. Big M
Drug Mart Ltd., précité, à la p. 352. Même si la nature du
critère de proportionnalité pourra varier selon les circonstances,
les tribunaux devront, dans chaque cas, soupeser les intérêts de
la société et ceux de particuliers et de groupes. À mon avis, un
critère de proportionnalité comporte trois éléments importants.
Premièrement, les mesures adoptées doivent être soigneusement
conçues pour atteindre l'objectif en question. Elles ne doivent
être ni arbitraires, ni inéquitables, ni fondées sur des considéra-
tions irrationnelles. Bref, elles doivent avoir un lien rationnel
avec l'objectif en question. Deuxièmement, même à supposer
qu'il y ait un tel lien rationnel, le moyen choisi doit être de
nature à porter «le moins possible» atteinte au droit ou à la
liberté en question: R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, à la p.
352. Troisièmement, il doit y avoir proportionnalité entre les
effets des mesures restreignant un droit ou une liberté garantis
par la Charte et l'objet reconnu comme «suffisamment
important>.
Par conséquent, on fait valoir que le choix de la
Couronne d'invoquer l'article 36.3 de la Loi sur la
preuve au Canada soulève un obstacle insurmonta-
ble qui empêche d'obtenir tout renseignement qui
pourrait servir à illustrer l'intention du législateur
sous-tendant l'adoption de la Loi de 1986 sur les
opérations portuaires, et contrecarre complète-
ment la preuve des demandeurs. En réalité, ce que
les demandeurs tentent vraiment d'obtenir du tri
bunal, c'est un jugement déclaratoire selon lequel
l'article 36.3 de la Loi sur la preuve au Canada est
inconstitutionnel et nul et non avenu, bien que la
constitutionnalité de l'article attaqué n'ait pas été
mise en question dans les plaidoiries des deman-
deurs.
Je n'arrive pas à comprendre comment les
demandeurs peuvent raisonnablement s'attendre à
ce qu'une question constitutionnelle de cette
importance puisse être tranchée au moyen d'un
jugement déclaratoire à la suite d'une requête
sommaire, alors qu'ils n'ont pas soulevé la question
de la constitutionnalité de l'article 36.3 de la Loi
sur la preuve au Canada dans leur plaidoirie.
D'après les Règles de la Cour fédérale, on ne peut
pas tenter d'obtenir un jugement déclaratoire au
moyen d'une requête introductive d'instance, mais
seulement au moyen d'une action: Wilson c.
Ministre de la Justice, [1985] 1 C.F. 586 (C.A.),
qui confirme Rothmans de Pall Mall Canada
Limitée c. Ministre du Revenu national (N° 2),
[1976] 2 C.F. 512 (C.A.). Toutefois, l'avocat des
demandeurs affirme catégoriquement qu'il doit y
avoir moyen d'obtenir la divulgation des renseigne-
ments concernant ce que visaient les ministres du
Cabinet qui ont parrainé la Loi de 1986 sur les
opérations portuaires et de retrouver les docu
ments divulguant ses véritables objectifs. Naturel-
lement, l'avocat de la défenderesse désapprouve
cela fortement.
L'avocat des demandeurs soutient de plus que la
défenderesse doit se conformer tout à fait à la
Règle 447 en ce qui concerne la communication et
l'examen des documents entre les parties. Il invo-
que le double effet des Règles 460(1) et 302b) à
l'appui de son allégation, en signalant que c'est la
Couronne qui a soulevé le moyen de défense fondé
sur une analyse en vertu de l'article premier. Ainsi
incombe-t-il à la Couronne d'établir l'existence des
critères énoncés dans l'arrêt Oakes de sorte que le
choix de la Couronne d'invoquer le privilège dont
jouit le pouvoir exécutif en vertu de l'article 36.3
de la Loi sur la preuve au Canada ne constitue pas
une «excuse raisonnable» pour refuser de fournir
des documents ainsi que l'exige la Règle 460. Il
invoque également la Règle 465(20) l'appui de
sa requête en vue de la radiation du paragraphe 7
de la défense pour le motif que la Couronne n'a
pas fourni une excuse raisonnable. La communica
tion de documents en vertu de la Règle 448 est
également demandée au paragraphe 3 de l'avis de
requête. En l'espèce, les demandeurs réclament la
production d'une liste, visée par la Règle 448 et
attestée par un affidavit, de documents des catégo-
ries mentionnées dans une lettre du 10 novembre
1987 adressée par l'avocat des demandeurs à celui
de la défenderesse. Il s'agit de nouveaux docu
ments qui s'ajoutent aux documents compris dans
la liste visée par la Règle 447 et fournie par la
défenderesse et qui consistent dans les principaux
mémoires au Cabinet, procès-verbaux, dossiers
d'instructions, avant-projets de loi et autres docu
ments similaires se rapportant au processus d'éla-
boration des politiques ou au processus législatif
concernant le projet de loi mettant en œuvre la Loi
de 1986 sur les opérations portuaires. Inutile de
dire qu'il s'agit de documents apparemment envi-
sagés par le paragraphe 36.3(2) de la Loi sur la
preuve au Canada.
L'avocat des demandeurs invoque également la
Règle 419(1)d) et 419(1)f) à l'appui de son alléga-
tion en vue de la radiation du moyen de défense
fondé sur l'article premier. Ce qui est allégué ici,
c'est que le refus de la Couronne de divulguer ou
communiquer les renseignements et documents
demandés pourrait empêcher que l'action soit
jugée de façon équitable ou constituerait autre-
ment un recours abusif au tribunal. Enfin, l'avocat
des demandeurs s'appuie sur le paragraphe 24(1)
de la Charte pour exhorter le tribunal à profiter de
l'occasion pour accorder un redressement juste et
approprié qui passe outre à la protection prévue
par l'article 36.3 de la Loi sur la preuve au
Canada et contraigne à la production des rensei-
gnements et documents demandés.
Il me semble que toutes ces demandes de redres-
sement interlocutoire sont inextricablement liées
au point principal des arguments des demandeurs,
c'est-à-dire que le fait de soulever un moyen de
défense fondé sur l'article premier ouvre tout
grand la porte à une vaste analyse des politiques
qui sous-tendent la loi attaquée.
L'avocat de la défenderesse soutient que la con
vention de common law relative au caractère con-
fidentiel des délibérations du Cabinet a été codi-
fiée à l'article 36.3 de la Loi sur la preuve au
Canada et déclare qu'il ne connaît aucun cas où un
tribunal s'est intéressé à ce qu'ont pu penser les
ministres du Cabinet au cours de l'examen de
projets de loi. Il ajoute que la véritable question en
l'espèce concerne l'intention collective du législa-
teur qui est exprimée dans la loi elle-même. L'avo-
cat de la défenderesse insiste fortement sur le point
suivant: le simple fait de plaider violation de la
Charte ne rend pas superflu qu'une telle violation
doive exister ou être prouvée ni qu'il faille statuer
sur le fond lors du procès. Enfin, il avance que les
demandeurs n'ont pas justifié la nécessité d'une
communication générale des documents en vertu
de la Règle 448.
Il me semble que, si je devais accorder le redres-
sement demandé par les demandeurs dans leur
requête, je devrais en fait supposer que les droits
des demandeurs qui leurs sont garantis par la
Charte ont été violés. Je ne suis pas disposé à faire
une telle supposition à partir d'une requête som-
maire ni non plus à me prononcer sur le bien-fondé
des allégations des demandeurs fondées sur la
Charte, ce qui devrait plutôt se faire au procès.
Bien que les cas où l'on invoque la violation des
droits garantis à une partie par la Charte soulèvent
indubitablement des questions constitutionnelles
de grande importance, il n'en demeure pas moins
que cette partie devra prouver la prétendue viola
tion de ces droits. Le simple fait de plaider la
violation de certains droits ne constitue pas auto-
matiquement une preuve de leur violation. Une
fois qu'un demandeur en a présenté une preuve
prima facie, c'est alors à son opposant, à mon avis,
de prouver que les droits qui, selon la Charte,
auraient été violés sont restreints «par une règle de
droit, dans des limites raisonnables et dont la
justification puisse se démontrer dans le cadre
d'une société libre et démocratique». En outre,
lorsqu'une partie intente une action contestant la
constitutionnalité d'une loi en raison de violation
de la Charte, cette partie doit alors envisager la
possibilité qu'une défense soit présentée par la
partie poursuivie, qui a le droit de recourir à toutes
les règles existantes de pratique et de procédure
pour mener sa défense. Il serait erroné, à mon avis,
de conclure que le simple fait pour un demandeur
de soulever, dans une action, des allégations de
violations de la Charte limite nécessairement en
soi la portée des procédures auxquelles l'autre
partie peut recourir dans sa défense à l'encontre de
la poursuite. Ce semble être le point même qui est
examiné dans la présente requête.
Selon moi, le recours à l'article 36.3 de la Loi
sur la preuve au Canada constitue l'un des moyens
de défense possibles pour la Couronne dans les
circonstances de l'espèce. Je suis d'avis que cet
article représente une codification récente, par le
législateur, de la convention constitutionnelle
admise en common law en ce qui concerne les
renseignements confidentiels du Cabinet contenus
dans des documents et des renseignements se rap-
portant au processus décisionnel collectif, qui
intervient dans toutes les délibérations du Cabinet.
À propos, le droit du Parlement de légiférer relati-
vement au privilège de la Couronne n'a pas été
contesté par les demandeurs ni la constitutionna-
lité de l'article 36.3 de la Loi sur la preuve au
Canada n'a été contestée en soi. Si je comprends
bien l'argument des demandeurs, il signifie simple-
ment que l'application de l'article en l'espèce
permet à la défenderesse d'invoquer l'article pre
mier de la Charte, privant ainsi les demandeurs de
la possibilité d'examiner la loi à la lumière de ses
objectifs véritables, qu'on prétend camouflés
actuellement derrière le certificat prévu à l'article
36.3. Cette non-divulgation de renseignements
équivaut pour les demandeurs à la perte de la
liberté que leur garantit la Charte, contrairement
aux principes de justice fondamentale. Je ne puis
admettre cette allégation. À mon avis, l'article
36.3 de la Loi sur la preuve au Canada est essen-
tiellement une règle de preuve qui crée un privilège
à l'égard de la divulgation de renseignements cons-
tituant des renseignements confidentiels du Con-
seil privé de la Reine pour le Canada, et ce privi-
lège est prévu par une loi particulière qui relève de
la compétence législative du Parlement canadien.
L'avocat des demandeurs s'est reporté fort lon-
guement à la complexité et à la diversité croissan-
tes des points de la preuve dont les tribunaux
doivent tenir compte dans les litiges relatifs à la
Charte. Aucune des décisions citées par l'avocat
des demandeurs ne préconise l'abandon total du
droit de la preuve et des règles de pratique. De
plus, je ne vois pas comment le recours à l'article
36.3 par la défenderesse porte atteinte au droit des
demandeurs d'obtenir un procès équitable. Selon
moi, l'obligation que les actions soient jugées en
conformité avec les règles prescrites de pratique et
de procédure et compte tenu des lois régulières de
la preuve fait partie des principes de justice fonda-
mentale et constitue une protection contre l'anar-
chie en matière judiciaire.
L'affaire Smith, Kline & French Laboratories
Limited c. Procureur général du Canada, [1983] 1
C.F. 917 (1« inst.) a établi qu'en présence d'un
certificat en bonne et due forme visé par le para-
graphe 36.3(1) de la Loi sur la preuve au Canada,
le tribunal ne peut pas aller au-delà du certificat et
examiner les documents. En d'autres mots, un
certificat rédigé dans les règles est concluant en ce
qui concerne le privilège qu'on fait valoir.
Le juge Strayer l'a expliqué ainsi, aux pages 929
et 930:
Il ressort du paragraphe 36.3(1) qu'en présence d'un certifi-
cat en bonne et due forme provenant du greffier du Conseil
privé et s'opposant à la divulgation de renseignements devant le
tribunal, ce dernier ne peut aller au-delà du certificat et
examiner les documents comme il peut le faire en vertu des
articles 36.1 et 36.2 de la Loi sur la preuve au Canada. Comme
je l'ai déjà fait remarquer, il existe des précédents à ce genre
d'exclusion des tribunaux en faveur du pouvoir exécutif dans la
décision concernant la divulgation de documents ou de rensei-
gnements. L'histoire du privilège de la Couronne indique aussi,
toutefois, que l'opinion la plus répandue maintenant en
common law est que les tribunaux devraient avoir un rôle à
jouer, dans les cas pertinents, lorsqu'il s'agit de mettre en
balance les intérêts publics respectifs. Bien que le Parlement du
Canada n'ait pas permis aux tribunaux canadiens de jouer un
rôle aussi important en ce qui concerne les documents et les
renseignements de l'administration fédérale, il faut présumer
qu'il était au courant de cette évolution de la common law
lorsqu'il a adopté ses lois les plus récentes. Cela laisse supposer
que lorsque le Parlement a modifié la Loi sur la preuve au
Canada, il avait l'intention de restreindre considérablement le
pouvoir discrétionnaire absolu de l'exécutif de refuser de révéler
des renseignements ou de produire des documents qui, dans
d'autres circonstances, seraient pertinents pour une question
soumise aux tribunaux.
Je suis d'accord avec l'avocat de la défenderesse
que l'affaire Carey c. Ontario, [1986] 2 R.C.S.
637, 72 N.R. 81, se distingue de l'espèce sur deux
points, à savoir: (1) le privilège a été revendiqué
relativement à des documents du Cabinet concer-
nant la politique du gouvernement en matière de
tourisme, qui est une question d'importance assez
modeste; et (2) les lois de l'Ontario ne contiennent
pas de disposition créant un privilège du genre de
celui prévu à l'article 36.3 de la Loi sur la preuve
au Canada. En outre, il me semble que la première
distinction est en harmonie avec le passage suivant
du jugement rendu par le juge La Forest dans
l'affaire Carey, précitée, aux pages 671 et 672:
Dans la présente affaire, cependant, nous sommes en pré-
sence d'une revendication ayant pour seul fondement le fait que
les documents en cause appartiennent à une catégorie de docu
ments dont la révélation risquerait d'entraver la bonne marche
de la fonction publique. En effet, je conçois mal comment on
pourrait fonder une revendication sur la politique énoncée dans
les documents ou sur leur contenu. Il s'agit simplement d'une
opération portant sur une hôtellerie dans le nord de l'Ontario.
L'élaboration d'une politique touristique est sans doute impor-
tante jusqu'à un certain point, mais son importance n'est
certainement pas capitale.
La grande importance de l'article 36.3 de la Loi
sur la preuve au Canada relativement au privilège
concernant les renseignements confidentiels du
Cabinet a été confirmée par la décision rendue par
une majorité de juges de la Cour d'appel fédérale
dans Canada (vérificateur général) c. Canada
(ministre de l'Energie, des Mines et des Ressour-
ces), [1987] 1 C.F. 406 (C.A.). De la même façon,
dans l'arrêt Ouvrage de raffinage de métaux
Dominion Ltée c. Energie atomique du Canada
Ltée, [1988] R.J.Q. 2232 (C.S.), le juge Marquis a
conclu à la validité de l'inviolabilité d'un certificat
en bonne et due forme fondé sur l'article 36.3. De
plus, il a rejeté la prétention du demandeur selon
laquelle le paragraphe 36.3(1) n'était pas compati
ble avec l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne
des droits [S.R.C. 1970, Appendice III] en ce que
la non-divulgation ne niait pas le droit du deman-
deur d'avoir un procès équitable.
Il semblerait donc que la seule chose que la
Cour puisse faire relativement au certificat délivré
en l'espèce est de déterminer si ledit certificat, à
première vue, est en bonne et due forme et fait
valoir un privilège entrant dans les catégories de
sujets qui sont visées au paragraphe 36.3(2) de la
Loi.
Je suis convaincu que le présent certificat est un
certificat en bonne et due forme dans le contexte
du principe énoncé dans l'arrêt Smith, Kline &
French c. Procureur général du Canada, précité. Il
indique les questions qui se trouvent dans le champ
d'application du paragraphe 36.3(2) et les catégo-
ries auxquelles elles se rapportent. Il respecte en
outre les exigences des paragraphes 36.3(1) et
36.3(4). Le certificat exempte les questions suivan-
tes de l'interrogatoire préalable, à savoir les ques
tions Q. 155, Q. 156, Q. 247 et Q. 256. L'avocat de
la défenderesse s'engage très équitablement à
répondre aux demandes de renseignements soule-
vées par ces questions, dans la mesure où elles
n'exigent pas la divulgation de renseignements
confidentiels du Cabinet. Par conséquent, je con-
clus que le certificat suffit à protéger les renseigne-
ments confidentiels du Cabinet mentionnés dans
les questions énumérées de l'interrogatoire préala-
ble. Je conclus également que, dans les circons-
tances, le certificat constitue une excuse raisonna-
ble pour ne pas radier la défense, ou du moins son
paragraphe 7, en vertu des Règles 460 et 465(20).
De même, le certificat constitue une fin de non-
recevoir pour la requête en radiation des deman-
deurs en vertu de la Règle 419(1)d) et 419(1)f).
En dernière analyse, je suis d'avis que l'erreur
fondamentale de la plaidoirie des demandeurs
repose sur l'allégation selon laquelle une analyse
en vertu de l'article premier de la Charte exige
nécessairement que la défenderesse fournisse des
renseignements confidentiels du Conseil privé de la
Reine pour le Canada en ce qui concerne tout le
processus suivant lequel un projet de loi présenté
au Parlement devient une loi du pays. En toute
déférence, je ne puis pas être d'accord. Ainsi que le
juge en chef Dickson l'a fait remarquer dans l'ar-
rêt Oakes, pour répondre à la question de savoir si
une restriction en vertu de l'article premier est
raisonnable et si sa justification peut se démontrer
dans le cadre d'une société libre et démocratique, il
faut commencer par préciser «la nature de l'intérêt
ou de l'objectif poursuivi par le législateur en
adoptant» la loi attaquée. À mon avis, l'analyse en
vertu de l'article premier nécessite une analyse de
l'objectif poursuivi par le législateur ainsi que des
moyens que celui-ci a choisis pour atteindre cet
objectif exprimé par la loi elle-même, plutôt qu'un
examen de toute la gamme des options politiques
sur lesquelles a délibéré le Cabinet au cours de la
présentation de cette loi.
La seule autre question à étudier est le redresse-
ment demandé au paragraphe 3 de l'avis de
requête des demandeurs, dans lequel ils cherchent
à obtenir l'entière communication des documents
en vertu de la Règle 448. L'avocat de la défende-
resse soutient que les demandeurs n'ont pas pré-
senté de preuves justifiant la communication de
documents en vertu de la Règle 448. Il est évident
qu'il se fonde sur l'article 36.3 de la Loi sur la
preuve au Canada pour justifier la revendication
d'un privilège en faveur de la Couronne en ce qui
concerne les documents du Cabinet qui constituent
des renseignements confidentiels du Conseil privé
de la Reine pour le Canada. La question en litige
ici, à ce qu'il me semble, est de savoir si l'article
36.3 de la Loi peut servir de fondement au privi-
lège à l'égard de la non-divulgation de renseigne-
ments contenus dans des documents du Cabinet si
aucun certificat émanant du greffier du Conseil
privé n'identifie ces documents ni ne mentionne les
motifs précis du privilège revendiqué à leur égard.
À l'autre extrémité du spectre des arguments,
l'avocat des demandeurs semble soutenir la propo
sition assez surprenante selon laquelle je devrais
non seulement ordonner la communication des
documents en vertu de la Règle 448 mais aller
jusqu'à empêcher la défenderesse de revendiquer
un quelconque privilège en vertu de l'article 36.3
en ce qui concerne toute communication de docu
ments de ce genre. Inutile de dire que je ne suis
pas disposé à accéder à cette demande inédite. Il
reste la question de savoir si je dois contraindre la
défenderesse à communiquer l'ensemble des docu
ments en vertu de la Règle 448 et à en attester
l'exactitude par affidavit, en conformité avec les
formules prescrites 20 et 21 des Règles de la Cour
fédérale.
Cette question a déjà été traitée en grande
partie, le tout ayant commencé avec une lettre en
date du 10 novembre 1987 envoyée par les procu-
reurs des demandeurs aux procureurs de la défen-
deresse. La lettre indiquait aux paragraphes 1 à 12
inclusivement les documents du Cabinet dont on
cherchait à obtenir la communication et le dépôt.
À première vue, la totalité ou la plupart de ces
documents semblent entrer dans la catégorie des
renseignements confidentiels du Conseil privé de la
Reine pour le Canada, qui est énumérée au para-
graphe 36.3(2) de la Loi sur la preuve au Canada.
D'autres recherches ont été entreprises à la suite
de cette demande, et on s'est fait des opinions
quant à la nature confidentielle des documents
mentionnés dans ladite lettre, ainsi qu'on le verra
davantage en se reportant aux affidavits d'Eliza-
beth MacPherson et de Ward Ellcock. Ces affida
vits ont été déposés le 14 avril et le 19 avril 1988
respectivement, avant l'audition de la requête.
L'avocat de la défenderesse a répondu à la
demande des procureurs des demandeurs par une
lettre en date du 8 janvier 1988, dont voici un
passage:
[TRADUCTION] Nous vous avons fourni notre liste de docu
ments, ainsi que des copies de ces documents, en conformité
avec la Règle 447 et l'ordonnance du juge Collier avant l'inter-
rogatoire préalable. De plus, après réception de votre lettre du
10 novembre, nous avons identifié et nous vous avons présenté
au moment de l'interrogatoire préalable certains autres docu
ments dont la plupart, sinon tous, étaient indiqués comme
pièces justificatives. Je ne connais pas d'autres documents qui
entreraient dans les catégories que vous avez demandées dans
votre lettre du 10 novembre, si ce n'est les documents dont la
production contreviendrait à l'article 36.3 de la Loi sur la
preuve au Canada.
Cette réponse suffit-elle, ou faudrait-il contrain-
dre la défenderesse à rédiger et à déposer une liste
de documents et à en attester l'exactitude au
moyen d'un affidavit en conformité avec les condi
tions requises par la Règle 448—à l'égard desquels
on revendique un privilège en vertu de l'article
36.3 de la Loi sur la preuve au Canada?
En général, la partie qui cherche à obtenir la
communication de documents en vertu,de la Règle
448 doit convaincre le tribunal qu'il y a quelque
chose dans les circonstances de l'affaire qui néces-
site ce genre vieillot et plus dispendieux de com
munication de documents. Pour de plus amples
renseignements sur la question de la communica
tion et de l'examen des documents, voir l'ouvrage
de W. R. Jackett, intitulé The Federal Court of
Canada.• A Manual of Practice, Ottawa: Informa
tion Canada, 1971, aux pages 68 et 69. Une
ordonnance prescrivant la communication de docu
ments en vertu de la Règle 448 est une mesure
purement discrétionnaire et, la plupart du temps,
elle sera refusée lorsque la partie a déjà produit un
grand nombre de documents en vertu de la Règle
447: McAlpine of Nfld. Ltd. c. La Reine (1985), 9
C.L.R. 276 (C.F. 1« inst.), et New West Construc
tion Co. Ltd. c. R., [1980] 2 C.F. 44 (1« inst.).
Je suis convaincu qu'il conviendrait dans les
circonstances de l'espèce d'accorder une ordon-
nance en vue de la communication de documents
en vertu de la Règle 448 mais limitée, quant à sa
portée, à la ou aux catégories de documents men-
tionnés aux paragraphes 1 à 10 inclusivement de la
lettre susmentionnée des procureurs des deman-
deurs en date du 10 novembre 1987. Une telle
ordonnance ne portera nullement préjudice au
droit de la défenderesse de s'opposer à la produc
tion de tout document de ce genre en raison du
privilège créé par l'article 36.3 de la Loi sur la
preuve au Canada et sur dépôt, conformément à
celle-ci, d'un certificat en bonne et due forme du
greffier du Conseil privé.
Pour les motifs ci-dessus mentionnés, la requête
des demandeurs est rejetée en ce qui concerne les
demandes de redressement figurant aux paragra-
phes 1, 2, 4, 5, 6, 7, 8 et 9 de l'avis de requête. La
demande de communication de documents en vertu
de la Règle 448, qui figure au paragraphe 3, est
accueillie, sous réserve des restrictions susmention-
nées. Les dépens seront intégrés à ceux de toute
l'affaire. Une ordonnance sera rendue en consé-
quence.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.