T-1672-87
Ken Martin, Pacifie West Net Co. Ltd., Redden
Net Co. Ltd., Pacific Net & Twine Ltd., Pacific
Gilinetters Association (demandeurs)
c.
John Ball, le ministre des Pêches et Océans et la
Reine (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: MARTIN C. BALL
Division de première instance, juge Rouleau—
Vancouver, 14 septembre; Ottawa, 20 novembre
1987.
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Certiorari —
Un fonctionnaire des pêcheries a saisi un filet maillant qui,
dépassant 80 microns, enfreignait le Règlement — L'art. 58
de la Loi sur les pêcheries confère un pouvoir discrétionnaire
au fonctionnaire des pêcheries — Le ministère, adoptant une
politique plus rigoureuse, a donné aux fonctionnaires des
pêcheries la directive de saisir tous les filets qui enfreignaient
le Règlement — Le pouvoir discrétionnaire des fonctionnaires
des pêcheries n'a pas été entravé — Ce pouvoir discrétionnaire
doit s'exercer cas par cas — La saisie était légale — La Cour
ne devrait pas intervenir lorsque le pouvoir discrétionnaire a
été exercé de bonne foi.
Pêches — Un fonctionnaire des pêcheries a saisi un filet
maillant au motif que le diamètre de son filament excédait 80
microns contrairement à l'art. 26 du Règlement de pêche
commerciale du saumon dans le Pacifique — La nouvelle
politique rigoureuse du ministère concernant les saisies n'a pas
entravé le pouvoir discrétionnaire que le fonctionnaire des
pêcheries détient en vertu de l'art. 58 de la Loi sur les
pêcheries — Le micromètre offre à l'égard des saisies une
méthode de mesurage rapide et efficace.
Le requérant, Martin, a été accusé d'avoir pêché le saumon
en utilisant un filet maillant dont le réseau contenait des
filaments simples pesant plus de 50 grammes par 9 000 mètres
de filament (50 deniers) contrairement à l'article 26 du Règle-
ment de pêche commerciale du saumon dans le Pacifique. Un
fonctionnaire des pêcheries a saisi le filet ainsi que le matériel
qui l'accompagnait, de même qu'une certaine quantité de pois-
son. Le requérant sollicite la délivrance d'un bref de certiorari
qui annulerait la saisie au motif qu'elle était déraisonnable et
illégale. L'article 58 de la Loi sur les pêcheries confère au
fonctionnaire des pêcheries le pouvoir discrétionnaire de saisir
tout objet utilisé pour la pêche. Avant 1987, le ministre avait
considéré avec indulgence les irrégularités mineures que pour-
raient présenter les filets. Après avoir reçu de nombreuses
plaintes au sujet de l'utilisation des filets maillants illégaux, le
ministre a décidé d'appliquer le Règlement rigoureusement. Les
fonctionnaires des pêcheries ont reçu instruction de saisir tout
filet dont le filament aurait un diamètre de plus de 80 microns.
Le requérant soutient qu'en adoptant une telle politique le
ministre a entravé le pouvoir discrétionnaire conféré aux agents
d'application par l'article 58 de la Loi. Le requérant conteste
également que le mesurage par micromètre puisse être la seule
méthode utilisée pour déterminer si une saisie doit être
pratiquée.
Jugement: la demande devrait être rejetée.
L'adoption d'une politique plus rigoureuse d'application de la
Loi n'empiète pas sur le pouvoir discrétionnaire conféré aux
fonctionnaires des pêcheries par l'article 58 de la Loi. La
décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire
Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada appuie
la position selon laquelle un ministre peut indiquer certains
types de considérations devant guider l'exercice d'un pouvoir
discrétionnaire mais ne peut entraver ce pouvoir discrétionnaire
en tenant ces lignes directrices pour obligatoires et en excluant
les autres motifs valides pour lesquels ce pouvoir peut être
exercé. En l'espèce, la circulaire envoyée aux pêcheurs et
vendeurs de filets qui tracent les grandes lignes de la politique
ne posait pas une interdiction. Les fonctionnaires des pêcheries
pouvaient encore choisir de ne pas effectuer de saisie des filets
dont la mesure dépassait de peu 80 microns. Un tel pouvoir
discrétionnaire s'exerce en tenant compte des circonstances
particulières de chaque espèce. Une analogie a été dressée avec
le pouvoir discrétionnaire du procureur général d'intenter des
poursuites qui a été discuté dans l'arrêt R. v. Catagas, une
décision de la Cour d'appel du Manitoba.
Le fonctionnaire des pêcheries a agi conformément à l'article
58 de la Loi lorsqu'il a saisi le filet du requérant, le matériel qui
l'accompagnait et le poisson. Il l'a fait pour empêcher la
continuation de l'infraction. Lorsqu'un pouvoir discrétionnaire
a été exercé de bonne foi, la Cour ne peut intervenir relative-
ment au processus administratif établi par le ministre.
Il n'existait aucun motif de remettre en question l'usage du
micromètre pour le mesurage relatif à une saisie. Le micromè-
tre offre une méthode rapide et efficace de mesurage qui peut
être utilisée sur le terrain. Le ministre, s'il doit respecter les
normes établies en la matière, jouit d'une certaine latitude
lorsqu'il détermine la méthode de mesurage.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap.
10, art. 18, 44.
Loi sur les pêcheries, S.R.C. 1970, chap. F-14, art. 58,
60.
Règlement de pêche commerciale du saumon dans le
Pacifique, C.R.C., chap. 823, art. 26 (mod. par
DORS/86-641, art. 2).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
R. v. Catagas (1977), 81 D.L.R. (3d) 396 (C.A. Man.);
Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada,
[1982] 2 R.C.S. 2; 137 D.L.R. (3d) 558; (1982), 44 N.R.
354; confirmant [1981] 1 C.F. 500; 114 D.L.R. (3d) 634;
42 N.R. 312 (C.A.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Rex v. Port of London Authority. Ex parte Kynoch
Limited, [1919] 1 K.B. 176 (C.A.).
DÉCISION CITÉE:
Starlight Drive-In (1978) Ltd. v. Hewitt (1984), 57
B.C.L.R. 250 (C.S.).
AVOCATS:
S. Schwartz pour les demandeurs.
J. Bromley pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Watchorn & McLellan, Surrey (Colombie-
Britannique), pour les demandeurs.
Ray Connell, Vancouver, pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnace rendus par
LE JUGE ROULEAU: Le requérant [demandeur]
Ken Martin a été accusé d'avoir pêché le saumon
en utilisant un filet maillant dont le réseau conte-
nait des filaments simples pesant plus de 50 gram-
mes par 9 000 mètres de filament (50 deniers)
contrairement à l'article 26 du Règlement de
pêche commerciale du saumon dans le Pacifique
(Règlement P.C.S.P.) [C.R.C., chap. 823 (mod.
par DORS/86-641, art. 2)]. En conséquence, le 30
juin 1987, l'intimé [défendeur] John Ball, un agent
d'exécution de la Loi employé par le ministre des
Pêches et Océans intimé, a saisi le filet maillant
ainsi que les lignes, les flotteurs et les poids qui
l'accompagnaient, de même qu'une certaine quan-
tité de poisson se trouvant dans le filet et dans le
bateau du requérant. Toutes ces mesures, selon les
allégations du requérant, procèdent d'une modifi
cation de politique ordonnée par le ministre.
La présente requête des requérants, qui est pré-
sentée sur le fondement des articles 18 et 44 de la
Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.),
chap. 10], sollicite une ordonnance tenant de la
nature du bref de certiorari qui annulerait la saisie
effectuée par le fonctionnaire des pêcheries John
Ball et qui casserait la décision du ministre des
Pêches et Océans d'adopter une politique prescri-
vant que l'on s'appuie sur des mesures prises au
moyen d'un micromètre pour déterminer si un filet
maillant peut être saisi conformément à l'article 58
de la Loi sur les pêcheries [S.R.C. 1970, chap.
F-14]; cette requête recherche également une
ordonnance cassant la décision du ministre des
Pêches et Océans de poursuivre une politique selon
laquelle, lorsque des filets sont saisis, les lignes,
flotteurs et poids qui les accompagnent le sont
également, conformément à l'article 58 de la Loi
sur les pêcheries, un jugement déclaratoire portant
que la saisie du filet maillant appartenant au
requérant Ken Martin par le fonctionnaire des
pêcheries John Ball était déraisonnable et illégale,
une ordonnance portant que le ministre doit remet-
tre le filet saisi et, finalement, une ordonnance
interdisant aux intimés de s'appuyer uniquement
sur un mesurage du filet effectué au moyen d'un
micromètre pour déterminer si une saisie doit être
pratiquée conformément à l'article 58 de la Loi sur
les pêcheries.
Les parties reconnaissent que M. Ball a mesuré
le diamètre du filament du filet saisi en utilisant
un micromètre et a déterminé que ce filet enfrei-
gnait la Loi ainsi que le Règlement. M. Ball
déclare dans son affidavit en date du 12 septembre
1987, qu'il effectuait une vérification de la lon-
gueur, de la profondeur, du monofil ainsi que de la
correction du marquage des engins de pêche. Il a
effectué neuf mesurages distincts du filet en trois
endroits différents, pour obtenir des mesures se
situant entre 89 et 92 microns. Se fondant sur les
résultats des tests relatifs au filament, qui ont
indiqué que les limites prévues au Règlement se
trouvaient dépassées, M. Ball a prélevé deux
échantillons du filet pour effectuer des tests et a
saisi ce filet pour empêcher qu'il ne soit davantage
contrevenu au Règlement et fournir au ministre
des éléments de preuve pour sa poursuite.
Les requérantes qui se sont jointes au requérant
prémentionné pour les fins de la présente affaire
l'ont fait parce qu'elles sont mécontentes de la
politique adoptée par le ministre et parce qu'elles
sont généralement insatisfaites de l'utilisation de la
seule mesure prise au moyen du micromètre pour
déterminer si une saisie sera pratiquée. Cette poli-
tique a des répercussions relativement à la ques
tion de savoir quels types de filets peuvent être
vendus et, en conséquence, touche les intérêts des
pêcheurs au filet maillant dans leur ensemble.
Le paragraphe 58(1) de la Loi sur les pêcheries
porte:
58. (1) Un fonctionnaire des pêcheries peut saisir tout bateau
de pêche, véhicule, engin de pêche, outil, accessoire, objet,
contenant, effet, matériel ou poisson si, en se fondant sur des
motifs raisonnables, il croit
a) que le bateau de pêche, le véhicule, l'engin de pêche,
l'outil, l'accessoire, l'objet, le contenant, l'effet ou le matériel
a été utilisé relativement à la perpétration d'une infraction à
la présente loi ou aux règlements;
b) que le poisson ou toute partie de poisson ont été pris,
capturés, tués, transportés, achetés, vendus ou détenus en
possession contrairement à quelque disposition de la présente
loi ou des règlements; ou
c) que le poisson ou toute partie de poisson ont été mêlés à du
poisson mentionné à l'alinéa b). [C'est moi qui souligne.]
Les paragraphes 26(1) et (2) du Règlement de
pêche commerciale du saumon dans le Pacifique
portent:
26. (1) I1 est interdit de pêcher ou de capturer et de garder
du saumon au moyen d'un filet maillant dont le réseau contient
des filaments simples pesant plus de 50 g par 9 000 m de
filaments (50 deniers).
(2) Le poids mentionné au paragraphe (1) est déterminé
selon la norme CAN2-4.2-M77 de l'Office des normes généra-
les du Canada.
Le ministre a formulé une nouvelle politique
d'application du Règlement au cours du printemps
de l'année 1987. Le requérant soutient que l'intimé
Ball, qui a subséquemment exercé ses fonctions
conformément à cette politique du ministre intimé,
a agi illégalement et a excédé sa compétence. Il est
prétendu que le ministre, lorsqu'il a adopté une
politique prévoyant une saisie de tous les filets
contrevenant à la Loi et au Règlement, a agi de
façon illégale et a excédé sa compétence en entra-
vant le pouvoir discrétionnaire des agents d'exécu-
tion prévu à l'article 58 de la Loi sur les pêcheries.
De façon plus précise, le requérant, alléguant que
le législateur a choisi d'utiliser le terme «peut»
plutôt que le terme [TRADUCTION] «doit» relative-
ment à la saisie lorsqu'il a édicté le paragraphe
58(1), soutient que le ministre, en instaurant une
politique rigoureuse relativement aux saisies, a
retiré à l'agent d'exécution de la Loi le pouvoir
discrétionnaire qui lui était accordé, de sorte que
cet agent est à présent obligé de saisir les filets dès
qu'ils contreviennent à la Loi et au Règlement.
Le requérant est également mécontent de la
procédure de mesurage des filets suivie par l'in-
timé. M. Martin déclare dans son affidavit en date
du 17 juillet 1987 que le fonctionnaire en cause a
refusé de nettoyer le filet avant d'effectuer son
mesurage bien que ce filet fût recouvert d'une
croûte de dépôts océaniques.
Comme le requérant était insatisfait de la
méthode de mesurage utilisée, il a pris sur lui
d'obtenir un nouveau filet de type identique à celui
qui avait été saisi et a rencontré les fonctionnaires
des pêcheries pour assister à de nouveaux mesura-
ges; les résultats alors obtenus, bien que moindres
que ceux des mesurages sur le terrain, ont été
encore supérieurs aux dimensions permises en
vertu du Règlement. Lors de cette rencontre, le
requérant a exigé mais s'est vu refuser la remise de
son filet.
Le noeud de la question concerne la politique de
saisie prévue par la Loi et le Règlement. Il est
soutenu par le requérant que la politique d'applica-
tion antérieure tolérait les contraventions à la Loi
et accordait à l'agent sur le terrain un pouvoir
discrétionnaire très important, que lui a entière-
ment retiré la nouvelle politique communiquée aux
pêcheurs et détaillants de filets au cours du prin-
temps de l'année 1987.
Pour comprendre le changement intervenu dans
la politique, je dois examiner les affidavits en date
du 10 août et du 10 septembre 1987 d'Alan
Gibson, Chef, Conservation et Protection, région
du Pacifique, pour le ministère des Pêches et
Océans. Selon M. Gibson, les filets à monofil ont
été bannis de la pêche du saumon au filet maillant
sur la côte du Pacifique depuis 1956. Cette inter
diction a été prononcée parce que de tels filets
auraient été trop efficaces dans la prise du poisson.
Le ministre a banni ces filets en tentant de répartir
la pêche de façon plus égale parmi tous les
pêcheurs et d'assurer qu'aucun accroissement des
prises ne mette en péril les réserves de poisson.
Selon M. Gibson, en mars 1987, avant l'incident
particulier dont il est question en l'espèce, le Syn-
dicat des pêcheurs et travailleurs assimilés, qui
représente les pêcheurs au filet maillant, a tenu un
référendum pour déterminer si les pêcheurs étaient
en faveur du maintien de l'article 26 du Règlement
P.C.S.P. Une copie du résultat de ce référendum
se trouve attachée à la pièce «A» accompagnant
l'affidavit en date du 10 septembre 1987 et indique
que les pêcheurs ont voté à 63,3 % en faveur du
maintien de cette disposition du Règlement.
Le ministre, qui en était venu à considérer avec
indulgence les irrégularités mineures que pour-
raient présenter les filets, a maintenu cette attitude
jusqu'à 1987. Toutefois, après avoir reçu de nom-
breuses plaintes de pêcheurs au sujet de l'utilisa-
tion de filets maillants illégaux, le ministre a
décidé qu'à compter du printemps 1987 le Règle-
ment serait appliqué rigoureusement.
Un avis en règle de ce changement de politique
a été envoyé aux pêcheurs et aux vendeurs de filets
de l'industrie pour les notifier que l'application du
Règlement serait plus rigoureuse et que les filets
qui l'enfreignaient—c'est-à-dire les filets excédant
80 microns—seraient saisis. L'avis en question, en
date du 17 juin 1987, est ainsi libellé:
[TRADUCTION] Circulaire adressée à l'industrie de la pêche et
de la vente de filets
Le présent avis a pour objet de rappeler aux pêcheurs que
l'utilisation de filets maillants à monofil destinés au saumon est
interdite et d'aviser l'industrie de la vente de filets que l'exi-
gence d'un diamètre maximum de 80 microns pour les fila
ments est stricte et ne fera l'objet d'aucune tolérance.
Tous les pêcheurs qui ont acheté des filets maillants pour
saumons dont le réseau contient des filaments excédant 80
microns sont susceptibles de voir leurs filets maillants vérifiés
au cours de la saison de pêche du saumon. Tout filet à monofil
illégal sera saisi et utilisé en cour comme élément de preuve.
Les déclarations des vendeurs aux pêcheurs selon lesquelles une
tolérance aurait cours relativement à la dimension des filets ne
seront pas considérées comme excusant l'utilisation de filets qui
comportent des filaments supérieurs à la dimension maximum
permise. Il est recommandé à ces pêcheurs de retourner de tels
filets à leur fournisseur pour obtenir un échange ou un
remboursement.
Le ministère des Pêches et Océans est prêt à coopérer avec les
fournisseurs de filets pour vérifier la légalité de certaines
marques. Le filet «SUPERSTAR 19», par exemple, a fait
l'objet d'une vérification et n'est pas conforme au Règlement.
En conséquence, M. Gibson a donné instruction
à John Ball ainsi qu'aux autres fonctionnaires des
pêcheries travaillant sous ses ordres de saisir tout
filet utilisé pour la pêche qui serait trouvé excéder
la limite de 80 microns.
John Ball, dans l'application de cette politique, a
saisi le filet de M. Martin. M. Martin a alors fait
la déclaration prise par écrit qui est comprise dans
la pièce «B» attachée à l'affidavit de M. Gibson en
date du 10 septembre 1987. Il ressort clairement
de cette déclaration que M. Martin avait mesuré
son filet avant la saisie, pour obtenir des mesures
de 83, 84 et 85 microns. Le requérant, sachant que
la grandeur maximale permise était de 80 microns,
a choisi de continuer à utiliser le filet en question.
Le détaillant avec lequel M. Martin faisait affaire
lui aurait indiqué que le filet rétrécirait de 5
microns à l'usage.
M. Gibson a déclaré dans son affidavit en date
du 10 août 1987 que, lorsqu'un filet se trouve saisi
parce que contrevenant au paragraphe 26(1) du
Règlement P.C.S.P., un échantillon de ce filet est
envoyé à Toronto pour y subir des tests. Telle est
la pratique couramment suivie depuis août 1986;
auparavant, les tests étaient administrés par le
laboratoire criminel de Vancouver.
Un échantillon du filet de M. Martin a été
envoyé au Ontario Research Foundation Centre
for Textiles and Clothing pour être testé selon les
normes de l'Office des normes générales du
Canada conformément au Règlement P.C.S.P. Le
D' Peter Cashmore, un expert hautement qualifié
dans ce domaine, a employé un appareillage
sophistiqué pour mesurer le filet selon la norme
CAN2-4.2-M77.
Cet expert a présenté à de nombreuses occasions
des éléments de preuve ayant trait à la densité et à
la nature de tissus relativement à des saisies de
filets effectuées en vertu de la Loi sur les pêche-
ries. Une copie des résultats des tests constitue la
pièce «B» jointe à l'affidavit en date du 10 août
1987 de M. Gibson; il y est déclaré que la mesure
en deniers des filaments du filet du requérant était
de 73,5, ce qui équivaut à environ 94 microns. Les
deux parties ont fourni à cette Cour des copies des
transcriptions du témoignage fait par le D' Cash-
more dans l'affaire R. v. Forest (décision non
publiée de la Cour provinciale de la Colombie-Bri-
tannique rendue par le juge O'Donnell le 23 février
1987). Ces transcriptions font état de la méthode
utilisée par le D' Cashmore pour mesurer le filet
conformément aux normes de l'Office des normes
générales du Canada. Il déclare entre autres
qu'une gamme étendue de tests peuvent être utili-
sés pour déterminer si les normes ont été respec-
tées; en fait, 60 méthodes peuvent être employées
et celle qu'il a choisie est conforme à ces normes.
Qu'il me soit permis de souligner qu'aucun des
éléments de preuve présentés ne conteste les con
clusions ou l'exactitude du test du D' Cashmore.
Le Règlement prévoit précisément que le poids
d'un filament ne doit pas excéder 50 grammes par
9 000 mètres de filament ou 50 deniers. Le denier
est apparemment une mesure mettant en rapport
un poids et une unité de longueur, une mesure de
densité linéaire.
Le ministre intimé soutient qu'il n'a pas entravé
le pouvoir discrétionnaire conféré aux fonctionnai-
res des pêcheries en vertu de l'article 58 de la Loi
sur les pêcheries en adoptant une politique géné-
rale prépondérante et obligatoire. Il prétend qu'il a
simplement décidé d'attacher de façon stricte à
l'appréciation visée les conséquences qui doivent en
découler selon la Loi et le Règlement, et il soutient
qu'il est seul habilité à prendre une décision à un
tel égard.
Le requérant me renvoie à la décision rendue
par le juge Bouck dans l'affaire Starlight Drive-In
(1978) Ltd. v. Hewitt (1984), 57 B.C.L.R. 250
(C.S.), à la page 254, dans laquelle il est fait
référence à un extrait de l'arrêt Rex v. Port of
London Authority. Ex parte Kynoch Limited,
[1919] 1 K.B. 176 (C.A.), dans lequel le lord juge
Bankes a dit à la page 184:
[TRADUCTION] D'une part, il y a les affaires dans lesquelles un
tribunal exerçant sa discrétion de bonne foi a - adopté des
principes directeurs et où, sans refuser d'entendre le deman-
deur, il les porte à son attention et lui fait savoir qu'après
l'avoir entendu il rejettera sa demande, conformément à ces
principes directeurs, à moins qu'il n'y ait des facteurs excep-
tionnels applicables à son cas ... si ces principes directeurs ont
été adoptés pour des motifs que le tribunal peut légitimement
soutenir, on ne peut s'opposer à cette façon de procéder.
D'autre part, il arrive, dans certains cas, qu'un tribunal adopte
une règle, ou prenne la décision, qu'il n'entendra pas de
demande d'une certaine catégorie quel qu'en soit l'auteur. Il
faut nettement distinguer ces deux catégories. [Les italiques
sont du juge Bouck.]
Le requérant soutient que son cas est exception-
nel.
L'intimé me renvoie à l'arrêt R. v. Catagas
(1977), 81 D.L.R. (3d) 396 (C.A. Man.), dans
lequel le juge en chef du Manitoba Freedman, à la
page 401, a déclaré:
[TRADUCTION] L'autre point soulevé est que rien de ce qui a
été mentionné en l'espèce n'a pour objet de restreindre ou de
toucher au pouvoir discrétionnaire d'intenter des poursuites.
Comme chacun sait, les contraventions à la loi ne donnent pas
toutes lieu à l'institution de poursuites criminelles. L'exercice
judicieux d'un pouvoir discrétionnaire peut empêcher le déclen-
chement du processus prévu en matière criminelle. Un policier
se trouvant en face d'un automobiliste qui a excédé légèrement
la limite de vitesse permise peut choisir de lui donner un
avertissement plutôt qu'une contravention. Un procureur géné-
ral, lorsque les circonstances indiquent l'existence d'une culpa-
bilité purement technique à l'égard d'une infraction grave mais
d'une culpabilité effective à l'égard d'une infraction moindre,
peut décider d'intenter une poursuite relativement à cette der-
nière infraction plutôt qu'à l'égard de la première. Et un
procureur général est investi du pouvoir discrétionnaire d'arrê-
ter les procédures relatives à toute accusation en instance, un
droit consacré par la loi à l'art. 508 [mod. par 1972, chap. 13,
art. 43(1)] et à l'art. 732.1 [édicté, idem, art. 62] du Code
criminel. Cependant, dans chacun de ces cas, le pouvoir discré-
tionnaire de poursuivre est exercé relativement à une situation
particulière. Ce sont les faits propres à une situation précise qui
appellent l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire. Un tel régime
se distingue cependant très nettement de l'octroi d'une exemp
tion générale à un groupe particulier ou aux personnes apparte-
nant à une race donnée. Aujourd'hui ce pouvoir d'exemption
peut être exercé en faveur des Indiens, demain, il pourra être
exercé en faveur des protestants, et le jour suivant en faveur des
juifs: nos lois ne peuvent pas être appliquées de cette manière.
La Couronne ne peut, au moyen d'une mesure administrative,
passer outre à l'application de certaines lois. Le principe qui
règle cette question si simplement est fondé sur près de trois
siècles d'histoire juridique et constitutionnelle.
Après un examen approfondi des circonstances
de l'espèce et de la jurisprudence, je suis incapable
d'accepter les prétentions du requérant. Il ressort
clairement des faits que le filet visé excédait la
mesure permise par l'article 26 du Règlement
P.C.S.P. et que le requérant savait que son filet
dépassait cette limite.
Ce sont la Loi sur les pêcheries et le Règlement
P.C.S.P., non le ministre, qui déterminent ce qu'est
un filet illégal. Le ministre est responsable de
l'exécution de la Loi. Dans chaque cas, le filet est
soit conforme, soit non conforme au Règlement.
Le ministre, s'il doit respecter les normes établies
en la matière, jouit néanmoins d'une certaine lati
tude lorsqu'il détermine la méthode de mesurage à
être utilisée par ses fonctionnaires dans l'applica-
tion de la Loi. Je ne vois pas pourquoi le mesurage
relatif à une saisie ne pourrait pas être effectué au
moyen d'un micromètre. Il s'agit d'une méthode
rapide et efficace de mesurage qui peut être utili
sée par un fonctionnaire sur le terrain. L'on ne
peut exiger de celui-ci qu'il transporte un appareil-
lage lui permettant d'effectuer sur place des tests
plus sophistiqués. Le témoignage de M. Ball me
convainc de la grande efficacité de cette méthode
de mesurage. En fait, le requérant Ken Martin
était la première personne que M. Ball trouvait
être en contravention de la Loi depuis qu'il avait
commencé à effectuer des tests en juin 1986.
Les directives données à ce fonctionnaire de
saisir les filets mesurant plus de 80 microns n'im-
pliquaient pas le retrait de son pouvoir discrétion-
naire. La circulaire ne posait pas une interdiction.
L'inspecteur pouvait encore choisir de ne pas effec-
tuer de saisie si la mesure prise dépassait de peu 80
microns.
Je suis d'avis que le fonctionnaire en cause a agi
conformément à la loi lorsqu'il a saisi le filet, les
lignes, les poids et les flotteurs qui accompagnaient
ce filet ainsi que le poisson du requérant. L'alinéa
58(1)a) déclare qu'un fonctionnaire peut saisir
l'effet ou le matériel qui a été utilisé relativement à
la perpétration d'une infraction; cette saisie peut
notamment, aux termes de l'alinéa 58(1)b), viser
tout poisson pris contrairement au Règlement.
En l'espèce, le fonctionnaire a décidé qu'il devait
saisir le filet ainsi que le matériel qui l'accompa-
gnait afin d'empêcher la continuation de l'infrac-
tion. Il est important de prendre en considération
l'article 60 de la Loi, qui est ainsi libellé:
60. Lorsque des rets, seines ou autres engins de pêche sont
tendus ou utilisés pour plus d'un jour en contravention à la
présente loi, ou aux règlements, chaque jour pendant lequel ces
seines, rets ou autres engins de pêche restent ainsi tendus ou en
usage constitue une infraction distincte et le contrevenant peut
être puni en conséquence; et si quelque autre contravention à la
présente loi ou à tout règlement se continue pendant plus d'un
jour, chaque jour pendant lequel ladite contravention se conti
nue constitue une infraction distincte et le contrevenant peut
être puni en conséquence.
L'arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouverne-
ment du Canada, [ 1982] 2 R.C.S. 2; 137 D.L.R.
(3d) 558; (1982), 44 N.R. 354 (qui a approuvé les
motifs prononcés par le juge Le Dain pour la Cour
d'appel fédérale [1981] 1 C.F. 500; 114 D.L.R.
(3d) 634; 42 N.R. 312) appuie la proposition selon
laquelle un ministre peut indiquer certains types de
considérations devant guider de façon générale
l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire mais ne
peut entraver ce pouvoir discrétionnaire en tenant
ces lignes directrices pour obligatoires et en
excluant les autres motifs valides pour lesquels ce
pouvoir peut être exercé. Le juge Le Dain a dit
aux pages 513 et 514 C.F.; 645 D.L.R.; 325 N.R.:
Le Ministre est libre d'indiquer le type de considérations qui, de
façon générale, le guideront dans l'exercice de son pouvoir
discrétionnaire (voir British Oxygen Co. Ltd. c. Minister of
Technology [1971] A.C. (C.L.) 610; Capital Cities Communi
cations Inc. c. Le Conseil de la Radio-Télévision canadienne
[1978] 2 R.C.S. 141, aux pp. 169 à 171), mais il ne peut pas
entraver ce pouvoir discrétionnaire en tenant les lignes directri-
ces pour obligatoires et en excluant tous les autres motifs
valides ou pertinents pour lesquels il peut exercer son pouvoir
discrétionnaire (voir Re Hopedale Developments Ltd. and
Town of Oakville [1965] 1 O.R. 259).
Je suis convaincu que le ministre possède l'auto-
rité voulue pour modifier sa politique de temps à
autre, à plus forte raison lorsque les personnes
visées par ce changement ont été notifiées et ont
même voté sur la question en jeu. Les cours ne
doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un orga-
nisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discré-
tionnaire lorsque ce pouvoir a été exercé de bonne
foi et sans que l'on se fonde sur des considérations
inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi. La
Cour, à moins que le mauvais exercice d'un tel
pouvoir ne soit flagrant, ne devrait pas intervenir
relativement au processus administratif établi par
le ministre. Comme l'a dit le juge McIntyre dans
l'arrêt Maple Lodge (précité), [1982] 2 R.C.S. 2,
aux pages 7 et 8 R.C.S.; 562 D.L.R.; 359 N.R.:
En interprétant des lois semblables à celles qui sont visées en
l'espèce et qui mettent en place des arrangements administra-
tifs souvent compliqués et importants, les tribunaux devraient,
pour autant que les textes législatifs le permettent, donner effet
à ces dispositions de manière à permettre aux organismes
administratifs ainsi créés de fonctionner efficacement comme
les textes le veulent. A mon avis, lorsqu'elles examinent des
textes de ce genre, les cours devraient, si c'est possible, éviter
les interprétations strictes et formalistes et essayer de donner
effet à l'intention du législateur appliquée à l'arrangement
administratif en cause. C'est aussi une règle bien établie que les
cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme
désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement
parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la
responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discré-
tionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si
nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si
on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou
étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier
la décision.
Je suis d'avis que le pouvoir discrétionnaire visé
a été conféré aux fonctionnaires par la loi et que
l'adoption d'une politique ayant pour objet d'assu-
rer l'exécution de la loi ne restreint pas ce pouvoir
discrétionnaire. Pour les motifs qui précèdent, la
demande est rejetée.
Les dépens sont adjugés au ministre intimé.
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