A-49-81
La Reine (appelante) (défenderesse)
c.
Antoine Guertin Ltée (intimée) (demanderesse)
RÉPERTORIE: ANTOINE GUERTIN LIÉE c. CANADA
Cour d'appel, juges Pratte, Marceau et Lacom-
be—Montréal, 14 septembre; Ottawa, 5 novembre
1987.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Déductions —
Dépenses engagées à l'occasion d'un emprunt utilisé en vue de
tirer un revenu d'une entreprise — Police d'assurance vie-
entière donnée en garantie de l'emprunt — La partie des
primes de police d'assurance vie-entière équivalant aux primes
d'une police d'assurance-vie temporaire ne constitue pas une
déduction permise.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Déductions —
Les bonis payés par une société à ses employés et immédiate-
ment transférés à une fondation constituent-ils une donation
de la part des employés ou une donation déguisée faite par la
société à la fondation?
En 1969, l'intimée était tenue de contracter des polices
d'assurance sur la vie de deux de ses administrateurs en garan-
tie d'un emprunt de 300 000 $ consenti par la Banque d'Expan-
sion Industrielle. Deux des polices étaient des polices vie-entière
avec valeur de rachat et option de dividende, et une d'entre elles
était une police temporaire. Le juge de première instance a
statué que, pour les années 1970, 1971 et 1972, l'intimée était
en droit de déduire, à titre de dépenses relatives aux polices
vie-entière, une somme équivalant aux primes annuelles d'une
assurance-vie temporaire.
En 1972, la société a également déduit la somme de 39 155 $
qu'elle aurait payée à ses employés à titre de bonis annuels mais
qui a immédiatement été transférée, au moyen de l'endosse-
ment par les employés de leurs chèques de bonis, à une fonda-
tion de charité créée par le président de l'intimée. Le juge de
première instance a conclu qu'il n'y avait aucune simulation, et
que cette déduction ne réduirait pas indûment ou de façon
factice le revenu de la société contrairement au paragraphe
245(1) de la Loi.
Arrêt: L'appel devrait être accueilli en ce qui concerne la
déduction d'une partie des primes d'assurance, mais il devrait
être rejeté pour ce qui est du paiement de bonis aux employés.
Le juge Marceau: La décision rendue par la Cour de l'Échi-
quier en 1964 dans l'affaire Equitable Acceptance Corp.
devrait être appliquée. Dans celle-ci, la déduction des primes de
polices d'assurance vie-entière avec valeur de rachat contrac-
tées sur la vie du président d'une société n'a pas été autorisée. Il
semblerait que le raisonnement adopté dans cette décision,
selon lequel il y avait eu acquisition d'un actif immobilisé, et
qu'il ne s'agissait pas d'une dépense engagée à l'occasion d'un
emprunt au sens de la Loi, devrait s'appliquer tant à une
assurance temporaire qu'à une assurance vie-entière. Cette
décision devrait être entendue dans le sens que pour pouvoir
parler d'une dépense faite à l'occasion de l'emprunt, il faut qu'il
s'agisse d'un déboursé qui n'a pas de contre-partie autre que
l'emprunt; il doit s'agir d'un déboursé d'où résulte un appau-
vrissement dans le patrimoine de l'emprunteur. Il n'y a pas
appauvrissement dans le patrimoine lorsqu'on obtient une
valeur équivalente, sous forme d'assurance, par le paiement
d'une prime. Toutefois, même si le raisonnement adopté dans
l'affaire Equitable Acceptance Corp. ne s'applique pas à l'assu-
rance temporaire, la déduction en l'espèce ne devrait pas être
accordée puisque la société a contracté non pas une assurance
temporaire mais une assurance permanente. Il est de règle bien
établie que, en matière fiscale, ce qui doit être considéré c'est ce
qui a été fait et non ce qui aurait pu être fait.
C'est en se fondant sur le témoignage rendu par le président
de l'intimée que le juge de première instance a conclu que la
somme de 39 155 $ avait été bel et bien payée aux employés
sous forme de bonis, bien qu'ils eussent convenu avec le prési-
dent de l'époque que l'argent serait versé à sa fondation. Selon
le juge, il n'y avait aucune simulation. Certes, on aurait pu
apprécier ce témoignage de façon plus critique, mais on ne
saurait dire que le juge a commis une erreur manifeste en y
ajoutant foi. On ne peut dire non plus qu'il s'est trompé en
décidant comme il l'a fait. Dès lors que l'on admet que le
montant des bonis était fixé de la façon décrite par le président
de l'intimée, on ne peut conclure qu'une partie de ces bonis
représentait une donation déguisée faite par l'intimée à la
fondation.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63,
art. 18(1)b), 20(1)e)(ii), 110(1)a), 245(1).
Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, chap. 148, art.
11(1)cb)(ii) (ajouté par S.C. 1955, chap. 54, art. 1(1)),
12(1)b).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Equitable Acceptance Corp. Ltd. v. Minister of National
Revenue, [1964] R.C.É. 859; 64 DTC 5045; Bronfman
Trust c. La Reine, [1987] 1 R.C.S. 32.
DECISION CITÉE:
Côté-Reco Inc. v. Minister of National Revenue (1979),
80 DTC 1012 (C.R.I.).
AVOCATS:
Roger Roy pour l'appelante (défenderesse).
Claude Desaulniers pour l'intimée (demande-
resse).
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelante (défenderesse).
Stikeman, Elliott, Tamaki, Mercier & Robb,
Montréal, pour l'intimée (demanderesse).
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE MARCEAU: Cet appel, porté au nom de
Sa Majesté, s'en prend à un jugement de première
instance [[1981] 2 C.F. 532] qui a annulé les
cotisations émises par le ministre du Revenu natio
nal à l'endroit de la compagnie-intimée pour les
années d'imposition 1970, 1971 et 1972. Il soulève
deux questions qui sont toutes deux de même
nature, car il s'agit de savoir, dans chaque cas, si
une certaine dépense inscrite au bilan de la compa-
gnie était déductible pour le calcul de son revenu
imposable, mais qui n'ont autrement rien de
commun et ne couvrent d'ailleurs pas les mêmes
années. L'appel a ainsi deux volets qu'on ne peut
traiter qu'indépendamment l'un de l'autre.
I
Dans son premier volet, l'appel porte sur les
trois années et la dépense dont la déductibilité est
en cause avait pour objet le paiement de primes
d'assurance-vie. Les faits sont simples. En 1969, la
compagnie-intimée—une compagnie familiale qué-
bécoise qui s'occupe de fabrication de moulées et
d'élevage de dindons, à St-Pie, un village près de
Montréal—emprunta une somme de 300 000 $ de
la Banque d'Expansion Industrielle pour l'acquisi-
tion d'un terrain et l'érection de bâtiments devant
servir à étendre ses opérations. Parmi les multiples
garanties exigées par la Banque, se trouvait la
suivante:
Le transport d'un montant d'assurances sur la vie de Messieurs
Jacques Guertin ($200,000.00) et Emile Cordeau
($100,000.00); ces assurances étant soit détenues par la compa-
gnie et payables à cette dernière ou détenues par Messieurs
Guertin et Cordeau et payables à leur succession ou à la
compagnie.
Pour satisfaire à l'exigence, la compagnie se pro-
cura deux polices d'assurance de 100 000 $ sur la
vie de Jacques Guertin, qui était son président, et
elle les transporta à la Banque. Il s'agissait de
polices vie-entière avec valeur de rachat et option
de dividende et les primes annuelles s'élevaient à la
somme totale de 4 022 $, soit 2 011 $ pour cha-
cune. Se prévalant de cette opération, la compa-
gnie, dans le calcul de son revenu imposable pour
chacune des trois années suivantes, inscrivit parmi
ses dépenses un montant de 1 090 $ représentant
ce qu'elle estimait être les primes annuelles qu'elle
aurait payées si au lieu de polices vie-entière, elle
n'avait obtenu que des polices temporaires, comme
elle l'avait d'ailleurs fait pour satisfaire à la
demande de la Banque relativement au dénommé
Cordeau. Le ministre contesta cette façon de pro-
céder mais le juge de première instance lui donna
tort, et le sous-procureur général, au nom de Sa
Majesté, soutient que le savant juge s'est trompé.
L'ancienne Loi de l'Impôt sur le revenu et la
nouvelle qui l'a remplacée en 1972 sont toutes
deux mises en cause étant données les années
impliquées, mais les dispositions directement appli-
cables sont au même effet dans l'une comme dans
l'autre. Pour ce qui est de l'ancienne Loi, S.R.C.
1952, chap. 148, il s'agit du sous-alinéa
11(1)cb)(ii) (ajouté par S.C. 1955, chap. 54, art.
1(1)) et de l'alinéa 12(1)b):
11. (1) Par dérogation aux alinéas a), b) et h) du paragra-
phe (1) de l'article 12, les montants suivants peuvent être
déduits dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une
année d'imposition:
cb) une dépense engagée dans l'année
(ii) à l'occasion d'emprunt d'argent utilisé par le contribua-
ble pour gagner un revenu provenant d'une entreprise ou
de biens (autre que de l'argent employé par le contribua-
ble en vue d'acquérir des biens dont le revenu serait
exempté),
12. (1) Dans le calcul du revenu, il n'est opéré aucune
déduction à l'égard
b) d'une somme déboursée, d'une perte ou d'un remplace-
ment de capital, d'un paiement à compte de capital ou d'une
allocation à l'égard de dépréciation, désuétude ou d'épuise-
ment, sauf ce qui est expressément permis par la présente
Partie,
Dans la Loi actuelle, S.C. 1970-71-72, chap. 63, ce
sont l'alinéa 18(1)b) et le sous-alinéa 20(1)e) (ii):
18. (1) Dans le calcul du revenu du contribuable, tiré d'une
entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas
déductibles:
b) une somme déboursée, une perte ou un remplacement de
capital, un paiement à titre de capital ou une provision pour
amortissement, désuétude ou épuisement, sauf ce qui est
expressément permis par la présente Partie;
20. (1) Nonobstant les dispositions des alinéas 18(1)a), b) et
h), lors du calcul du revenu tiré par un contribuable d'une
entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition, peuvent
être déduites celles des sommes suivantes qui se rapportent
entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes
suivantes qui peut raisonnablement être considérée comme s'y
rapportant:
e) une dépense engagée dans l'année,
(ii) à l'occasion d'un emprunt contracté par le contribua-
ble et utilisé en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou
d'un bien (autre que l'argent utilisé par le contribuable
pour acquérir un bien dont le revenu serait exonéré
d'impôt),
Le sous-procureur général soutient évidemment
que la déduction spéciale et dérogatoire permise
par les sous-alinéas 11(1)cb)(ii) de l'ancienne Loi
et 20(1)e)(ii) de la nouvelle n'était pas applicable
parce que le coût d'acquisition des deux polices
d'assurance-vie avec valeur de rachat ne consti-
tuait pas «une dépense engagée à l'occasion d'un
emprunt» (an expense incurred in the course of
borrowing money), et il s'appuie, à cet égard, sur
l'autorité de la décision rendue par la Cour de
l'Échiquier dans Equitable Acceptance Corp. Ltd.
v. Minister of National Revenue, [1964] R.C.É.
859; 64 DTC 5045. L'intimée conteste que la
décision du juge Cattanach dans cette affaire
appuie la prétention du sous-procureur général. Le
juge de première instance, d'après elle, a très bien
explicité la portée de ce jugement lorsqu'il a écrit
[à la page 534 C.F.]: «le juge Cattanach a décidé
que des primes de police d'assurance sur la vie du
président de la demanderesse n'étaient pas déduc-
tibles précisément parce qu'il s'agissait d'assuran-
ces vie-entière ne se limitant pas à la durée de
l'emprunt mais à toute la vie de l'assuré, avec
valeur de rachat». C'est d'ailleurs précisément
pour tenir compte de la décision Equitable Accep
tance Corp., explique l'intimée, qu'elle s'est bien
gardée de réclamer la prime totale qu'elle avait
payée; mais il n'était que normal qu'elle déduise ce
qu'elle aurait déboursé si elle n'avait obtenu
qu'une police temporaire pour la durée de l'em-
prunt. Ce à quoi le sous-procureur général réplique
que s'il est vrai que dans l'hypothèse où l'assurance
contractée n'aurait été que temporaire la déduc-
tion de la prime aurait pu être approuvée (comme
elle l'avait été dans le cas de la police obtenue sur
la vie du dénommé Cordeau), il reste que ce n'est
pas ce qui a été fait.
Je dois dire d'abord que j'ai peine à comprendre
qu'on puisse limiter la portée de la décision rendue
dans Equitable Acceptance Corp. au cas où l'assu-
rance-vie contractée et transportée serait une assu
rance vie-entière. Le raisonnement du juge Catta-
nach se trouve à mon avis entièrement contenu
dans ce paragraphe de ses motifs [aux pages 865
R.C.É.; 5048 DTC]:
[TRADUCTION] J'estime que le coût de souscription à deux
polices d'assurance-vie et du maintien en vigueur de celles-ci
par le versement de primes n'est pas une dépense engagée dans
l'année à l'occasion d'un emprunt contracté par le contribuable
et utilisé en vue de tirer un revenu d'une entreprise. Certes, il
est vrai que la souscription à ces deux polices d'assurance-vie et
leur transport à Triarch constituaient une condition imposée
par celle-ci avant de consentir le prêt à l'appelant; mais, dans
les faits, l'appelante a acquis un actif qui pouvait être utilisé et
qui a effectivement été utilisé comme un bien donné en garantie
nécessaire pour emprunter de l'argent aux fins de son entre-
prise. En bref, en souscrivant à ces deux polices d'assurance,
l'appelante n'a fait que renforcer sa qualité d'emprunteur digne
de confiance au regard du risque qu'il représente.
Ce raisonnement, il me semble, s'applique tout
autant au cas d'une assurance temporaire qu'à
celui d'une assurance vie-entière. Le droit de l'as-
suré en vertu d'un contrat d'assurance-vie tempo-
raire constitue un «asset» (actif), au sens où le mot
est utilisé par le juge Cattanach, soit une valeur
utilisable et pouvant procurer un avantage, ou
encore un élément d'actif, au même titre que le
droit conféré à un assuré par un contrat d'assu-
rance-vie «permanente», même si cet asset (actif)
est de valeur moindre et que sa transformation en
argent ne soit, bien sûr, qu'aléatoire. On a souvent
présenté la décision du juge Cattanach comme
fondée sur une simple interprétation de l'expres-
sion «à l'occasion de» (in the course of) telle qu'elle
apparaît dans le texte de la disposition applicable,
le juge ayant pensé que la dépense était antérieure
à l'emprunt et non «in the course of borrowing» (à
l'occasion d'un emprunt) (Cf. Côté-Reco Inc. v.
Minister of National Revenue (1979), 80 DTC
1012 (C.R.I.)). Le raisonnement me semble au
contraire impliquer beaucoup plus que cela. Ce
que je comprends du raisonnement c'est que pour
pouvoir parler strictement et réellement d'une
dépense faite à l'occasion de l'emprunt il faut qu'il
s'agisse d'un déboursé qui n'a pas de contre-partie
en lui-même autre que l'emprunt, ou, dit autre-
ment, d'un déboursé d'où résulte un appauvrisse-
ment dans le patrimoine de l'emprunteur. Le droit
patrimonial que représente une assurance tempo-
raire est la transformation à valeur équivalente de
la prime déboursée et aucun appauvrissement ne
saurait en résulter dans le patrimoine de l'assuré.
Il est vrai que le juge Cattanach, dans ses
motifs, poursuit ses remarques en écrivant, dans un
paragraphe subséquent à celui que je viens de
citer, ce qui suit:
[TRADUCTION] Si l'assuré Emil E. Schlesinger était décédé
alors que les polices étaient encore en vigueur et avant que le
remboursement de l'emprunt ne soit effectué, l'appelante serait
alors en mesure de payer intégralement l'emprunt avec le
produit des polices d'assurance, et le montant de l'emprunt reçu
par l'appelante formerait une partie de son actif sans aucune
inscription comptable correspondante au débit. Encore une fois,
si le produit excédait le montant requis pour rembourser l'em-
prunt, alors tout excédent serait revenu à l'actif de l'appelante.
De plus, lorsque l'emprunt a été remboursé, ainsi qu'il l'a été,
rien n'empêchait l'appelante d'en obtenir un autre de la même
source ou d'une source différente en vertu des deux polices
d'assurance-vie, le cas échéant.
Mais, à mon sens, le juge là n'ajoutait rien de plus
au raisonnement et ne faisait que mettre en
lumière les différents éléments de l'«asset» (actif)
que constituaient les polices dont il s'agissait dans
le cas qui était devant lui. Je sais que ce paragra-
phe (surtout, je suppose, à cause de ce qu'il
exprime dans la dernière phrase) semble avoir
conduit à une interprétation restrictive de sa déci-
sion, interprétation que le ministère a même fait
sienne dans son bulletin d'interprétation IT-309R.
du 10 janvier 1979. Je me permets néanmoins,
avec respect, de contester la légitimité de cette
réaction. À mon sens le raisonnement à la base de
la décision Equitable Acceptance Corp. s'applique
autant à l'assurance temporaire pour la durée de
l'emprunt qu'à une assurance devant se maintenir
au delà et c'est un raisonnement que je ne saurais
réfuter.
Je me suis attardé sur cette question de savoir si
une assurance temporaire pourrait mieux rencon-
trer qu'une assurance permanente les conditions
d'application des sous-alinéas 11(1)cb)(ii) et
20(1)e)(ii) de la Loi parce qu'elle était au centre
des préoccupations des parties et à la base de leurs
prétentions. Je pense néanmoins que, strictement
parlant, dans les circonstances de l'espèce, il ne
serait pas nécessaire pour la Cour de prendre parti
de façon définitive à son sujet. Car même en
supposant qu'une différence de traitement entre
assurance permanente et temporaire se justifie, il
resterait la réplique du sous-procureur général à
l'effet que, de toute façon, ici ce n'est pas une
assurance temporaire mais permanente que la
compagnie a contractée, et cette réplique me
paraît décisive. Encore une fois tout récemment, la
Cour suprême, dans l'arrêt Bronfman Trust c. La
Reine, [1987] 1 R.C.S. 32, rappelait le principe
selon lequel, en matière fiscale, ce qui doit être
considéré c'est ce qui a été fait et non ce qui aurait
pu être fait. Voici à ce sujet un passage des notes
du juge en chef écrites au nom de la Cour, aux
pages 54 et 55:
Avant de terminer, je veux aborder un dernier argument
invoqué par l'avocat de la fiducie. On a soutenu — et Sa
Majesté en a généreusement convenu — que la fiducie aurait
obtenu une déduction au titre d'intérêts si elle avait vendu des
biens en vue de payer les prélèvements sur le capital et avait
ensuite emprunté pour remplacer ces biens. Par conséquent,
selon ce point de vue, on ne devrait pas refuser à la fiducie une
déduction au titre d'intérêts simplement parce qu'elle a obtenu
le même résultat sans les formalités d'une vente et d'un rachat
de biens. Il suffit pour répondre à cet argument d'invoquer le
principe selon lequel les tribunaux doivent tenir compte de ce
que le contribuable a réellement fait et non pas de ce qu'il
aurait pu faire: Matheson c. La Reine, 74 D.T.C. 6176
(C.F.D.P.I.), le juge Mahoney, à la p. 6179.
L'appel, quant à son premier volet, me semble
définitivement bien fondé.
II
Dans son deuxième volet, l'appel ne porte que
sur une année d'imposition, l'année 1972. Bien
qu'il s'agisse encore là, comme dit ci-haut, d'un cas
de dépense refusée, la question soulevée est cette
fois beaucoup plus difficile à définir, imbriquée
qu'elle est dans une série de faits quelque peu
complexes. Vu la conclusion que j'entends retenir
cependant, il ne me sera pas nécessaire d'entrer
dans les détails. Voici en gros ce dont il s'agit.
La compagnie-intimée fut mise sur pied par
Antoine Guertin, le père de Jacques qui en était le
président en 1972. Antoine Guertin avait aussi
créé une fondation dont les fonds devaient servir à
des fins religieuses. Cette fondation recevait des
dons principalement de la compagnie-intimée et de
ses employés; elle prêtait les sommes reçues à la
compagnie-intimée moyennant paiement d'intérêts
et ces intérêts elle les distribuait aux oeuvres
missionnaires.
Dans ses déclarations pour fins de calcul de son
impôt sur le revenu pour l'année 1972, la compa-
gnie fit état d'abord d'un don de 12 400 $ à la
fondation, et ensuite du paiement à tous ses
employés, sans exception, de bonis annuels impor-
tants dont le tiers, soit 39 155 $ sur 111 600 $,
n'avait jamais été touché par les employés, ayant
été uniquement attesté par chèques endossés en
faveur de la fondation. Le ministre refusa d'ad-
mettre aussi bien la déduction du don de 12 400 $
que celle de la partie des bonis acheminée vers la
fondation, au motif qu'il s'agissait là de déductions
qui, si elles étaient permises, réduiraient indûment
ou de façon factice le revenu de la compagnie, ce
que prohibait le paragraphe 245 (1) de la Loi.
Le premier juge rejeta les prétentions du minis-
tre. Son appréciation de la preuve l'avait conduit à
la conclusion que la somme de 12 400 $ versée par
l'intimée à la fondation représentait un don vérita-
ble et que celle de 39 155 $ avait bel et bien été
payée aux employés à titre de bonis même si
ceux-ci avaient convenu avec Antoine Guertin de
la verser à sa fondation. Il n'y avait là, suivant le
juge, aucune simulation.
Le procureur de l'appelante ne conteste plus
maintenant la réalité du don de 12 400 $. Il pré-
tend, cependant, que le juge a eu tort d'admettre la
déduction de la somme de 39 155 $. Cette somme,
soutient-il n'a pas vraiment été attribuée aux
employés à titre de bonis, elle leur a été payée dans
le but et à la condition qu'ils la versent à la
fondation de sorte qu'il s'agit là, en fait, d'une
donation que l'intimée a faite à la fondation par
personnes interposées et cette donation ne peut
être déduite en sus de celle de 12 400 $ puisque
cette dernière somme représente le montant maxi
mum déductible aux termes de l'alinéa 110(1)(a)
de la Loi.
Cette thèse du procureur de l'appelante repose
évidemment sur une supposition de base, celle
voulant que cette somme de 39 155 $ n'aurait pas
été distribuée aux employés si ceux-ci n'avaient
pas préalablement convenu de la verser à la fonda-
tion comme Antoine Guertin leur demandait de le
faire. Le président de l'intimée, Jacques Guertin, a
cependant témoigné en sens contraire et affirmé
que le montant du boni de chaque employé était
fixé par le bureau de direction sans qu'Antoine
Guertin n'intervienne et sans égard au fait que
l'employé concerné ait ou non convenu d'un don à
la fondation. Il est évident que le premier juge
n'aurait pu décider comme il l'a fait s'il n'avait cru
cette partie du témoignage de Jacques Guertin. Il
me semble après avoir lu et relu la preuve que
j'aurais été enclin à apprécier ce témoignage de
façon plus critique, mais je ne peux dire que le
juge a commis une erreur manifeste en y ajoutant
foi. Cela étant, je ne peux dire, non plus, qu'il s'est
trompé en décidant comme il l'a fait. Dès lors, en
effet, que l'on admet que le montant des bonis
était fixé de la façon décrite par Jacques Guertin,
on ne peut conclure qu'une partie de ces bonis
représentait une donation déguisée faite par l'inti-
mée à la fondation. L'appelante, quant au
deuxième volet de la cause, ne saurait ainsi réussir.
Ma conclusion est donc que l'appel devrait être
accueilli et les cotisations rétablies en ce qui con-
cerne le refus des déductions des montants de
1 090 $ relatifs aux primes d'assurance pour cha-
cune des années 1970, 1971 et 1972, mais que
quant au paiement des bonis aux employés il
devrait être rejeté. Étant donné le succès partagé,
je laisserais chaque partie payer ses frais.
LE JUGE PRATTE: Je suis d'accord.
LE JUGE LACOMBE: Je suis d'accord.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.