A-277-87
Ministre du Revenu national (requérant)
c.
William Van Rooy (intimé)
RÉPERTORIÉ: VAN ROOY C. M.R.N. (CA.)
Cour d'appel, juges Heald, Urie et Stone—
Toronto, 2 mai; Ottawa, 20 juin 1988.
Fin de non-recevoir — Une fin de non-recevoir (issue estop-
pel) fondée sur une condamnation pour évasion fiscale (infrac-
tion criminelle) peut s'appliquer dans un appel interjeté d'une
nouvelle cotisation d'impôt sur le revenu (instance civile) —
Comme le fardeau de preuve applicable aux affaires criminel-
les est plus élevé, la condamnation prononcée au criminel
devrait normalement comprendre les questions en litige dans
l'instance civile — L'acquittement prononcé à l'égard d'une
infraction criminelle ne tranche pas nécessairement le litige
débattu dans une instance civile puisque les niveaux de preuve
ainsi que les différents éléments à établir sont différents, par
exemple, le caractère intentionnel dans l'accusation criminelle
— Lorsque le montant du revenu omis est mis en doute dans
une instance criminelle, la fin de non-recevoir ne s'applique
pas dans l'appel interjeté d'une nouvelle cotisation puisque
l'exigence de l'identité des questions en litige n'est pas satis-
faite — Le montant est une question fondamentale à la fois
dans l'instance criminelle et dans l'instance civile.
Justice criminelle et pénale — Preuve — La production d'un
certificat de condamnation pour évasion fiscale est régulière
dans le cadre de l'appel interjeté d'une nouvelle cotisation
d'impôt sur le revenu — Le certificat de condamnation consti-
tue une preuve prima facie, réfutable, du défaut de déclarer un
revenu — La Cour de l'impôt a agi régulièrement en allant
au-delà du certificat pour considérer les motifs du jugement
afin de déterminer s'il y avait identité des questions en litige
et, en conséquence, application de la fin de non-recevoir (issue
estoppel) — Cet examen est justifié soit à titre de réfutation
de cette preuve prima facie soit comme exercice d'un pouvoir
judiciaire discrétionnaire.
Impôt sur le revenu — Nouvelle cotisation — La fin de
non-recevoir (issue estoppel) fondée sur une condamnation
pour évasion fiscale peut s'appliquer dans le cadre d'un appel
interjeté d'une nouvelle cotisation — L'acquittement prononcé
à l'égard d'une accusation criminelle n'est pas nécessairement
décisif puisque les éléments à établir peuvent être différents,
par exemple le caractère intentionnel dans l'accusation d'éva-
sion fiscale — L'identité des questions en litige est exigée —
Lorsque le montant du revenu omis est mis en doute, la fin de
non-recevoir ne s'applique pas.
Le ministre a fixé une nouvelle cotisation à l'intimé en
incluant la somme de 60 000 $ dans son revenu imposable de
l'année 1973. L'intimé a ensuite été déclaré coupable d'évasion
fiscale pour avoir omis de déclarer un revenu au montant de
60 000 $. Dans l'appel interjeté à cet égard devant la Cour de
l'impôt, le ministre a allégué que l'intimé avait été impliqué
dans une curieuse transaction mettant en jeu un plan de vente
de diamants qui lui avait permis de réaliser un profit de
60 000 $. La Cour de l'impôt a conclu que la fin de non-rece-
voir (issue estoppel) ne pouvait être invoquée dans une instance
civile fondée sur une condamnation criminelle parce qu'il n'y
avait pas de mutualité. L'exigence qu'il y ait identité des
questions en litige n'était pas satisfaite, puisque la question
tranchée par la condamnation de l'intimé et la question soule-
vée dans l'appel formé à l'encontre de la nouvelle cotisation
étaient différentes. La Cour de l'impôt est allée au-delà du
certificat de condamnation pour examiner les motifs du juge de
la Cour provinciale, dans lesquels un doute était soulevé à
l'égard du montant du revenu omis. Le requérant a soutenu que
l'instance criminelle et l'instance civile étaient fondées sur les
mêmes faits. Les questions soulevées dans le cadre de l'appel
sont les suivantes: (1) la Cour de l'impôt a-t-elle commis une
erreur en concluant que la chose jugée ne pouvait être invoquée
dans une instance civile sur le fondement d'une décision judi-
ciaire prise dans le cadre d'une instance criminelle antérieure?
(2) la Cour de l'impôt s'est-elle trompée en concluant qu'il n'y
avait pas identité des questions en litige de sorte que les faits de
l'espèce empêchaient l'application de la fin de non-recevoir?
(3) le fait d'aller au-delà du certificat de condamnation consti-
tuait-il une irrégularité?
Arrêt: la demande devrait être rejetée.
(1) Le juge de première instance a commis une erreur en
concluant que la fin de non-recevoir fondée sur une condamna-
tion prononcée dans une affaire criminelle ne pouvait s'appli-
quer dans une instance civile. Cette conclusion était apparem-
ment fondée sur les différences entre la qualité de la preuve
exigée en matière criminelle d'une part, et en matière civile
d'autre part. Toutefois, l'absence d'identité des questions en
litige ne peut être fondée sur de telles différences. En fait, le
contraire est probablement vrai puisque le fardeau de la preuve
est considérablement plus élevé en matière criminelle que dans
les affaires civiles. La première preuve comprendrait la seconde
si les faits étaient substantiellement identiques. Toutefois, les
différences entre les fardeaux de preuve peuvent être pertinen-
tes lorsqu'un contribuable qui a été acquitté d'une accusation
d'évasion fiscale se voit imposer une nouvelle cotisation.
Comme le caractère intentionnel est un élément qui doit être
établi pour qu'il y ait condamnation au criminel mais qui n'a
pas à l'être dans le cadre d'une nouvelle cotisation, un acquitte-
ment prononcé à l'égard d'une accusation d'évasion fiscale ne
serait pas nécessairement décisif à l'égard d'un appel interjeté
d'une nouvelle cotisation.
(2) La Cour de l'impôt a conclu avec raison, en ce qui a trait
à la question du montant du revenu, que l'absence d'identité des
questions jugées empêchait l'applicabilité de la fin de non-rece-
voir. L'omission de déclarer certains revenus était fondamentale
à la fois dans l'instance relative à l'évasion fiscale et dans
l'appel interjeté de la nouvelle cotisation. Toutefois, la question
plus restreinte du montant du revenu omis était tout aussi
fondamentale pour les deux instances, et ce montant a été mis
en doute par le juge de la Cour provinciale dans ses motifs de
jugement.
(3) La Cour de l'impôt a agi régulièrement en examinant les
motifs de jugement de la Cour criminelle pour trancher la
question de l'applicabilité de la fin de non-recevoir. L'examen
des motifs peut être justifié en étant considéré soit comme une
question de réfutation de la preuve prima facie résultant du
dépôt du certificat de condamnation, soit comme l'exercice d'un
pouvoir judiciaire discrétionnaire dépendant des faits particu-
liers à chaque espèce. L'objet d'un tel examen est l'appréciation
de l'identité des questions en cause, un élément jouant un rôle
crucial relativement à l'applicabilité de la fin de non-recevoir;
aussi les faits qui ont amené la déclaration de culpabilité
devraient-ils être pris en considération. Le certificat de con-
damnation ne devrait pas être modifié pour indiquer un mon-
tant omis inférieur au montant indiqué puisque le juge de la
Cour provinciale a clairement été incapable de déterminer avec
quelque précision le montant omis.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63,
art. 239(1)d).
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap.
10, art. 28.
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
Carl Zeiss Stiftung v. Rayner & Keeler Ltd. (No. 2),
[1967] I A.C. 853 (H.L.); Angle c. M.R.N., [1975] 2
R.C.S. 248; Spens v. Inland Revenue Comrs, [1970] 3
All ER 295 (Ch. D.); Sheridon Warehousing Limited v.
The Queen (1983), 83 DTC 5095 (C.F. lfe inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Morin c. Comité national chargé de l'examen des cas
d'USD, [1985] 1 C.F. 3 (C.A.); Jorgensen v. News Media
(Auckland) Ltd., [1969] N.Z.L.R. 961 (C.A.); Holling-
ton v. Hewthorn (F.) & Co., [1943] K.B. 587 (C.A.);
Mcllkenny v. Chief Constable of the West Midlands,
[1980] Q.B. 283 (C.A.); confirmée (sub nom Hunter v.
Chief Constable of the West Midlands Police), [1982]
A.C. 529 (H.L.); Gushue c. La Reine, [1980] 1 R.C.S.
798; Demeter v. British Pacific Life Insurance Co. and
two other actions (1984), 48 O.R. (2d) 266 (C.A.); Re
Del Core and Ontario College of Pharmacists (1985), 51
O.R. (2d) 1 (C.A.); R. c. Aimonetti, [1985] 2 C.F. 370
(C.A.); Parklane Hosiery Co., Inc. v. Shore, 99 S.Ct. 645
(1979); Blonder-Tongue Laboratories Inc. v. University
of Illinois Foundation, 91 S.Ct. 1434 (1971); Grdic c. La
Reine, [1985] I R.C.S. 810; 19 C.C.C. (3d) 289.
DOCTR I N E
Bower, George Spencer and Turner, Sir Alexander King -
come The Doctrine of Res Judicata, London: Butter-
worths, 1969.
AVOCATS:
Roger E. Taylor et Alexandra K. Brown pour
le requérant.
Harold Stafford, c.r. pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour le
requérant.
Stafford & Associates, St. Thomas (Ontario)
pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE URIE: La présente demande fondée sur
l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C.
1970 (2 e Supp.), c. 10] sollicite l'annulation d'un
jugement prononcé par le juge en chef adjoint de
la Cour canadienne de l'impôt [(1987), 87 DTC
299; [1987] 1 C.T.C. 2437] qui a conclu que
l'issue estoppel (fin de non-recevoir) fondée sur la
condamnation de l'intimé pour évasion fiscale par
un juge de la Cour provinciale de l'Ontario qui
était invoquée dans le cadre d'un appel interjeté
auprès de la Cour de l'impôt n'avait pas pour effet
d'écarter l'appel formé par l'intimé à l'encontre
d'une cotisation d'impôt. Les faits pertinents peu-
vent s'énoncer brièvement de la manière suivante.
LES FAITS
Le 25 juillet 1975, le ministre requérant a fixé
une nouvelle cotisation d'impôt à l'intimé pour
l'année d'imposition 1973 en incluant dans son
revenu imposable la somme de 60 000 $ que l'in-
timé aurait omis de déclarer dans le calcul de son
revenu de ladite année d'imposition. L'intimé a
signifié un avis d'opposition au requérant le 16
octobre 1975. Le ministre requérant n'a confirmé
la nouvelle cotisation en question que le 6 octobre
1978.
Avant le dépôt de son avis d'opposition, l'intimé
avait été accusé dans le district judiciaire de Nor-
folk, en Ontario, d'avoir commis l'infraction d'éva-
sion fiscale prévue à l'alinéa 239(1)d) de la Loi de
l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, chap. 63]
(«la Loi»), pour être déclaré coupable de cette
infraction le 7 mars 1978. Le certificat de condam-
nation est daté du jour de la déclaration de culpa-
bilité. La partie pertinente de ce certificat déclare
que l'intimé:
[TRADUCTION] ... a illégalement et volontairement éludé le
paiement d'un impôt établi en vertu de la Loi de l'impôt sur le
revenu, à savoir que par l'omission de la somme de 60 000 $
dans son revenu de l'année d'imposition 1973, il a éludé le
paiement d'une somme de 19 165,82 $ contrairement à l'alinéa
239(1)d) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Aucun appel n'a été formé à l'encontre de cette
déclaration de culpabilité.
Le 19 décembre 1978, l'intimé a déposé un avis
d'appel auprès de la Commission de révision de
l'impôt à l'égard de la nouvelle cotisation en ques
tion. Dans sa réponse à cet avis, le ministre a, au
paragraphe 3(a), tenu pour acquis que:
[TRADUCTION] (a) l'appelant a été impliqué dans une
curieuse transaction mettant en jeu un plan de vente de dia-
mants dont le détail demeure incertain en raison des contradic
tions contenues dans les déclarations de l'appelant [en l'espèce,
l'intimé] mais qui a permis à l'appelant [en l'espèce, l'intimé]
de réaliser un profit de 60 000 $.
LES QUESTIONS EN LITIGE
Le requérant prétend que la somme de 60 000 $
qu'un juge de la Cour provinciale a considérée
comme ayant été omise par l'intimé dans le calcul
de son revenu pour l'année d'imposition 1973 était
précisément la somme de 60 000 $ que le ministre
avait incluse dans le revenu de l'intimé dans la
nouvelle cotisation d'impôt dont il est question plus
haut, datée du 25 juillet 1975. En d'autres termes,
la déclaration de culpabilité prononcée dans une
instance criminelle contre l'intimé pour avoir omis
de déclarer un revenu de 60 000 $ était fondée sur
les mêmes faits que ceux sur lesquels s'était
appuyé le ministre dans la nouvelle cotisation. Ceci
étant, le requérant est d'avis que l'espèce présente
les conditions voulues pour l'application de l'issue
estoppel; selon son avocat, le juge en chef adjoint
de la Cour de l'impôt s'est trompé en concluant
que cette forme de chose jugée ne peut être invo-
quée dans une instance civile sur le fondement de
la décision judiciaire prise dans le cadre d'une
instance criminelle antérieure. Telle est la pre-
mière question qui se pose dans la présente ins
tance en révision judiciaire.
La seconde question découle de l'erreur qu'au-
rait commise le juge en chef adjoint en concluant
que la déclaration de culpabilité de l'intimé pour
évasion fiscale n'était pas la même question que
l'intimé cherchait à soulever comme appelant
devant la Cour canadienne de l'impôt dans son
appel formé à l'encontre de la nouvelle cotisation
établie par le ministre requérant relativement au
revenu imposable de l'intimé pour l'année 1973.
LE JUGEMENT DE LA COUR DE L'IMPÔT
Après avoir examiné attentivement la jurispru
dence clé sur l'issue estoppel ainsi que les condi
tions d'application qui s'en dégagent, le juge de
première instance a fait siennes les conditions
exposées par lord Guest dans l'arrêt Carl Zeiss
Stiftung v. Rayner & Keeler Ltd. (No. 2), [1967] 1
A.C. 853 (H.L.), à la page 935, qui avaient elles-
mêmes été citées avec approbation par le juge
Dickson (c'était alors son titre) dans l'arrêt Angle
c. M.R.N., [1975] 2 R.C.S. 248, la page 254:
[TRADUCTION] (1) que la même question ait été décidée; (2)
que la décision judiciaire invoquée comme créant la fin de
non-recevoir soit finale; et, (3) que les parties dans la décision
judiciaire invoquée, ou leurs ayants droit, soient les mêmes que
les parties engagées dans l'affaire où la fin de non-recevoir est
soulevée, ou leurs ayants droit.
Le juge Dickson, dans l'arrêt Angle, a égale-
ment fait siennes les paroles prononcées par le juge
Megarry dans l'arrêt Spens v. Inland Revenue
Comrs, [ 1970] 3 All ER 295 (Ch. D.), à la page
301, pour conclure que la nature de l'examen
auquel il doit être procédé est la suivante:
[TRADUCTION] ... Si la décision sur laquelle on cherche à
fonder la fin de non-recevoir a été «si fondamentale» à la
décision rendue sur le fond même du litige que celle-ci ne peut
valoir sans celle-là. Rien de moins ne suffira.
Le juge en chef adjoint, dans le passage suivant
de ses motifs', a alors tiré sa conclusion concer-
nant la première question posée en l'espèce:
Il ressort clairement des autorités citées et de certaines
autres, dont l'arrêt Gushue c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 798,
aux pages 802-803, que la doctrine de la fin de non-recevoir
s'applique lorsque la décision judiciaire invoquée pour l'applica-
tion de cette doctrine et les procédures dans lesquelles on
cherche à l'appliquer sont de nature criminelle. On peut en dire
autant des procédures en matière civile. Peu de décisions
publiées sur la doctrine de la fin de non-recevoir concernent une
situation mixte où, tout comme dans le présent appel, la
décision judiciaire invoquée découle de poursuites intentées
relativement à une infraction et où la procédure dans laquelle la
fin de non-recevoir est opposée est de nature civile. Cette
situation existait dans la cause de Sheridon [Sheridon Ware
housing Limited v. Q. (1983), 83 DTC 5095 (C.F. lre inst.)],
mais il n'a pas été décidé dans cette cause-là si la doctrine de la
fin de non-recevoir s'appliquait dans les circonstances. Cette
doctrine ayant été étudiée en profondeur dans cette cause-là,
l'arrêt McllKenny v. Chief Constable of West Midlands Police
Force and another and related appeals [1980] 2 All E.R. 227
(C.A.) a été cité. Comme Lord Diplock l'a souligné, l'audience
qui s'est déroulée devant la Cour d'appel anglaise a duré 12
jours et 77 autorités ont été citées.
' Aux p. 304 DTC; 2443 et 2444 C.T.C.
À mon avis, la doctrine de la fin de non-recevoir ne peut
s'appliquer à la combinaison de litiges que je viens de décrire.
Bien entendu, un appel découlant d'une cotisation est de nature
civile. Pour que la doctrine de la fin de non-recevoir s'applique
en matière civile, il faut qu'il y ait réciprocité ou mutualité: voir
par exemple les commentaires que Lord Edmund-Davies a
formulés dans l'arrêt Humphrys, à la page 51. La troisième
condition de l'application de la doctrine de la fin de non-rece-
voir, qui porte sur l'identité des parties ou de leurs ayants droit,
est fondée sur cette règle. La mutualité ne peut exister dans des
causes comme celle qui nous occupe. Supposons, par exemple,
que le contribuable soit acquitté relativement à une accusation
d'avoir, selon l'alinéa 239(1)d), volontairement omis d'inclure
un montant de 10 000 $ dans le calcul de son revenu pour une
année d'imposition. En plus d'être poursuivi, il fait l'objet d'une
nouvelle cotisation, le ministre du Revenu national ayant ajouté
le montant de 10 000 $ dans le calcul de son revenu pour la
même année. Le contribuable porte la nouvelle cotisation en
appel et celui-ci est entendu après l'acquittement. Le contribua-
ble peut-il invoquer avec succès la doctrine de la fin de non-
recevoir et ainsi gagner en appel? Je ne crois pas. Dans des
poursuites concernant des infractions reprochées, la question
fondamentale est de savoir si la Couronne a prouvé au-delà de
tout doute raisonnable que le prévenu a commis l'acte en
question. La question de savoir si le prévenu est passible d'une
peine au pénal dépend de cette première réponse. En général, la
question fondamentale qu'il faut trancher lors d'un appel
découlant d'une cotisation d'impôt est de savoir si l'appelant a
prouvé selon la prépondérance des probabilités que la cotisation
du Ministre est erronée. La question de savoir si le contribuable
est redevable de l'impôt dépendra de cette réponse. La question
à débattre lors des poursuites peut difficilement être comparée
à la question fondamentale à trancher lors d'un appel découlant
d'une cotisation.
Je crois qu'on peut en dire autant lorsqu'il s'agit de savoir si
le contribuable est passible d'une pénalité en vertu du paragra-
phe 163(2) de la Loi. Si le contribuable était acquitté de
l'accusation, en vertu de l'alinéa 239(1)d), d'avoir volontaire-
ment omis d'inclure un montant de 10 000 $ dans le calcul de
son revenu, je ne crois pas que cet acquittement empêcherait le
Ministre, lors d'un appel devant cette Cour, de démontrer selon
la prépondérance des probabilités, conformément aux exigences
du paragraphe 163(3) de la Loi, que le contribuable est passible
d'une pénalité relativement au montant de 10 000 $.
Un appel interjeté devant cette Cour à l'égard d'une nouvelle
cotisation d'impôt n'équivaut pas au réexamen de la même
question qui se posait entre les mêmes parties lors des poursui-
tes intentées relativement à la violation de l'alinéa 239(1)d),
même si les deux procédures sont peut-être fondées essentielle-
ment sur les mêmes faits.
En ce qui a trait à la seconde question, le juge
de première instance, après avoir tenu pour acquis
pour les fins du débat que la doctrine de l'issue
estoppel pouvait s'appliquer dans les circonstances
comme celles de l'espèce, s'est dit convaincu que la
seconde et la troisième conditions d'application de
l'issue estoppel avaient été respectées en l'espèce.
Il a toutefois été incapable de conclure qu'il y avait
identité des questions jugées conformément à la
première exigence, et il a décidé que ce défaut
était fatal à la prétention du requérant selon
laquelle l'issue estoppel empêchait l'intimé de
poursuivre son appel interjeté contre la nouvelle
cotisation établie par le ministre requérant relati-
vement au revenu imposable de l'intimé pour l'an-
née 1973.
CONCLUSION
1. La première question:
Bien que l'on soit tenté, pour les fins de la
présente demande, de tenir l'applicabilité de la
doctrine de l'issue estoppel pour acquise et de
procéder immédiatement à l'examen de la seconde
question, je crois qu'il est important que cette
Cour exprime son point de vue sur l'application de
cette doctrine dans des circonstances comme celles
qui se présentent en l'espèce.
Je dois dire premièrement que je suis incapable
de souscrire à la proposition générale du juge en
chef adjoint selon laquelle «[l]a question à débattre
lors des poursuites peut difficilement être compa
rée à la question fondamentale à trancher lors d'un
appel découlant d'une cotisation». Dans son con-
texte, cette déclaration semble avoir été fondée sur
les différences entre la qualité de la preuve exigée
en matière criminelle d'une part, et en matière
civile d'autre part. J'ai été incapable de trouver
dans la jurisprudence à laquelle on nous a renvoyés
à ce sujet que l'absence d'identité des questions en
litige puisse se fonder sur de telles différences. En
fait, j'aurais plutôt cru le contraire puisque le
fardeau d'une preuve au-delà de tout doute raison-
nable applicable aux affaires criminelles est consi-
dérablement plus élevé que le fardeau applicable
dans les instances civiles, où la preuve exigée est
régie par la prépondérance des probabilités. La
première preuve comprend certainement la der-
nière si tous les faits présentés en preuve sont
identiques ou substantiellement identiques, à tout
le moins lorsqu'une déclaration de culpabilité a été
prononcée contre l'accusé. Si tel est le cas, je ne
puis comprendre comment les différents niveaux
de preuve peuvent fonder l'assertion susmention-
née du juge de première instance.
Ce point de vue, évidemment, n'est pas nécessai-
rement applicable dans la situation envisagée par
le juge de première instance où un contribuable
qui a été acquitté d'une accusation d'évasion fis-
cale portée en vertu de la Loi de l'impôt sur le
revenu se fait fixer en vertu de cette Loi une
nouvelle cotisation qui ajoute un revenu préalable-
ment non déclaré à son revenu imposable. Les
différents niveaux de preuve applicables peuvent
effectivement être pertinents dans de telles circons-
tances. Le raisonnement suivi par le juge Lamer
(auquel ont souscrit les juges McIntyre et Estey)
dans l'affaire Grdic c. La Reine, [1985] 1 R.C.S.
810, aux pages 825 et 826; 19 C.C.C. (3d) 289,
aux pages 293 et 294, illustre cette distinction:
Il n'existe pas différentes sortes d'acquittements et, à cet
égard, je souscris au point de vue selon lequel [TRADUCTION]
«le ministère public doit accepter en tant que principe fonda-
mental de l'administration du droit criminel que, dans une
poursuite criminelle subséquente, un acquittement équivaut à
une déclaration d'innocence» (voir Friedland, Double Jeopardy
(1969), à la p. 129; voir aussi Chitty i, 648; et R. v. Plummer,
[1902] 2 K.B. 339, la p. 349). Aller au-delà de l'acquittement
pour le qualifier revient en fait à introduire le verdict de «non
prouvé» qui ne fait pas partie de notre droit, n'en a jamais fait
partie et ne devrait pas en faire partie.
Toutefois, cela ne signifie pas qu'aux fins de l'application de
la doctrine de la res judicata, la poursuite ne peut rouvrir
certaines ou toutes les questions soulevées au premier procès.
Mais cela signifie effectivement que toute question qui a néces-
sairement dû être résolue en faveur de l'accusé pour qu'il y ait
acquittement est réputée de façon irrévocable avoir été tran-
chée définitivement en faveur de l'accusé (voir R. v. Carlson,
[1970] 3 O.R. 213; l'effet contraire Villemaire v. The Queen
(1962), 39 C.R. 297, à la p. 300). Il en est ainsi quoique le
jugement ait fort bien pu résulter d'un doute raisonnable sur
cette question et même lorsque le juge dit que tel est le cas ou
qu'il exprime des opinions qui révèlent clairement que ce n'est
qu'avec réticence qu'il est arrivé à sa conclusion en faveur de
l'accusé et qu'il laisse entendre que la décision n'est pas rendue
de façon concluante en faveur de l'accusé.
Un acquittement relatif à une accusation d'éva-
sion fiscale dans la présente espèce aurait témoi-
gné de l'incapacité de la Couronne de prouver
au-delà de tout doute raisonnable que l'accusé
[TRADUCTION] «a volontairement éludé le paie-
ment d'un impôt établi en vertu de la Loi de
l'impôt sur le revenu ...»z L'élément du [TRADUC-
TION] «caractère intentionnel» de l'évasion fiscale
alléguée, par exemple, devait, comme chacun des
autres éléments de cette infraction, être établi
au-delà de tout doute raisonnable. D'autre part, en
ce qui a trait à la nouvelle cotisation, aucune
preuve du [TRADUCTION] «caractère intentionnel»
2 Dossier d'appel, à la p. 72.
de l'infraction n'est requise. Il s'agit plutôt d'éta-
blir selon la prépondérance des probabilités que
l'intimé a omis de déclarer certains revenus dans
sa déclaration d'impôt. La preuve du caractère
intentionnel de l'infraction aurait-elle été néces-
saire que cette question, à mon avis, serait «réputée
de façon irrévocable avoir été tranchée définitive-
ment en faveur de l'accusé»—la situation envisagée
par le juge Lamer dans l'extrait de l'arrêt Grdic
cité plus haut 3 .
Mis à part le fondement apparent de la conclu
sion du juge que la doctrine de l'issue estoppel, qui
s'appuie sur les conclusions de faits tirées dans le
cadre d'une poursuite criminelle, ne peut s'appli-
quer dans les appels interjetés contre de nouvelles
cotisations, il me semble qu'une telle conclusion est
contraire à de nombreux arrêts dont l'autorité est
convaincante.
L'existence de cette doctrine, ses liens avec
l'abus de procédures ainsi que l'admissibilité des
certificats de condamnation dans les instances civi-
les ont fait l'objet de nombreux arrêts au
Royaume-Uni, aux Etats-Unis et en Nouvelle-
Zélande ainsi que dans notre pays, où notre Cour
suprême et nos cours supérieures se sont pronon-
cées à ce sujet. Il suffit de mentionner quelques-
uns de ces arrêts pour les fins du présent appel.
Il ne fait aucun doute que l'analyse la plus
exhaustive de la jurisprudence sur la question a été
faite par le président North dans la décision pro-
noncée par la Cour d'appel de la Nouvelle-Zélande
dans l'affaire Jorgensen v. News Media (Auck-
land) Ltd., [1969] N.Z.L.R. 961. La Cour y a
finalement refusé de suivre la décision rendue par
la Cour d'appel d'Angleterre dans l'affaire Hol-
lington v. Hewthorn (F.) & Co., [1943] K.B. 587,
à la page 601, et elle a décidé que, dans le contexte
de l'abus de procédures, non seulement un certifi-
cat de condamnation était-il admissible en preuve
dans une instance civile instruite dans ce pays,
mais encore il fournissait [TRADUCTION] «certains
éléments de preuve» appuyant la culpabilité relati-
vement à l'infraction criminelle visée au moment
3 Dans l'arrêt Morin c. Comité national chargé de l'examen
des cas d'USD, [1985] 1 C.F. 3 (C.A.), le juge MacGuigan a
dit à la p. 29: «Il serait difficile de ne pas être d'accord avec la
proposition selon laquelle l'acquittement prononcé dans une
procédure criminelle ne peut constituer un empêchement à une
action civile ultérieure fondée sur les mêmes faits.,,
et au lieu de la mise en accusation. La décision
prise dans l'affaire Hollington avait conclu qu'un
certificat de condamnation n'était pas admissible
dans une instance civile subséquente. Cette déci-
sion a souvent été critiquée par des auteurs de
doctrine ainsi que par d'autres tribunaux. Finale-
ment, à la fois la Cour d'appel d'Angleterre, dans
l'arrêt McIlkenny v. Chief Constable of the West
Midlands, [1980] Q.B. 283 (C.A.), et la Chambre
des lords, dans l'arrêt sub nom Hunter v. Chief
Constable of the West Midlands Police, [1982]
A.C. 529 (H.L.), ont désavoué les propos tenus
dans l'arrêt Hollington. Lord Diplock, qui a pro-
noncé le jugement principal, a dit aux pages 542 et
543 du recueil:
[TRADUCTION] Le passage en question du discours de lord
Halsbury [prononcé dans l'affaire Reichel v. Magrath, (1889)
14 App.Cas. 665 à la page 668] vaut d'être cité intégralement:
... Je crois qu'il serait scandaleux pour l'administration de
la justice qu'une partie à une affaire soit autorisée à faire
instruire un litige déjà tranché en modifiant la forme des
procédures intentées.»
Vos Seigneuries, la présente espèce est la première à être
rapportée dans laquelle la décision définitive contre laquelle on
cherche à entamer une attaque incidente au moyen d'une action
civile s'est trouvée être une décision définitive prise par une
cour de compétence criminelle. Cette situation risque d'entraî-
ner des complications puisque le fardeau de la preuve des faits
incombant à la poursuite dans une instance criminelle est plus
lourd que celui qui est imposé aux parties à une instance civile
cherchant à y établir les faits sur lesquels elles s'appuient. Ainsi
une décision statuant dans une affaire criminelle en faveur d'un
défendeur sur une question particulière, qu'il s'agisse d'un
jugement d'acquittement ou d'une ordonnance sur un voir-dire,
n'est pas incompatible avec un jugement prononcé contre ce
même défendeur dans un cadre où le critère applicable serait
seulement le critère civil de la preuve suivant la prépondérance
des probabilités. Voilà pourquoi les acquittements n'ont pas été
rendus admissibles en preuve dans les actions civiles par la Civil
Evidence Act 1968. Par contraste, une décision relative à une
question particulière statuant à l'encontre des prétentions de la
partie défenderesse dans une affaire criminelle, comme l'ordon-
nance prononcée par le juge Bridge sur le voir-dire dans le
procès criminel, est prise suivant le critère plus élevé de la
preuve au-delà de tout doute raisonnable qui est appliqué en
matière criminelle et ne laisse place à aucune possibilité qu'une
décision n'eût pas été rendue à l'encontre des prétentions de ce
défendeur dans l'hypothèse où la question jugée aurait dû être
tranchée dans une instance civile plutôt que dans une instance
criminelle.
Il devrait être noté que l'affaire est née du refus
d'un juge de première instance de radier une décla-
ration et qu'un seul des trois juges de la Cour
d'appel, lord Denning, s'est fondé uniquement sur
le certificat de condamnation dans le contexte de
l'issue estoppel. Les deux autres membres de la
formation, considérant les faits de cette espèce
particulière, ont préféré appuyer leurs conclusions
sur l'abus de procédures, bien qu'un de ceux-ci, Sir
George Baker, n'ait pas écarté l'applicabilité de
l'issue estoppel et aurait radié la déclaration pour
les deux motifs.
Lord Diplock a dit au sujet des jugements pro-
noncés par la Cour d'appel [aux pages 540 et 541]:
[TRADUCTION] Lord Denning, maître des rôles, et Sir
George Baker étaient également favorables à une extension de
la définition de l'«issue estoppel qui la rendrait applicable au
cas particulier d'abus des procédures de la Cour présenté par la
présente espèce—une question dont traite une bonne partie du
jugement de lord Denning. Le lord juge Goff, d'autre part,
énonçant sa propre opinion, qu'avait partagée le juge Cantley, a
dit qu'une telle extension constituerait un usage impropre de
cette expression. Mais si Hunter cherche par l'introduction de
la présente action civile à abuser des procédures de la Cour,
ainsi que Vos Seigneuries m'apparaissaient avoir conclu, la
question de savoir si l'étiquette «issue estoppel «est également
applicable à cette action n'est pas une question de fond mais
une question de sémantique.
•
Je suis néanmoins d'avis, comme chacune de Vos Seigneuries
il me semble, qu'il serait préférable, afin d'éviter qu'il n'y ait
confusion, que l'usage de l'expression «issue estoppel, en droit
anglais à tout le moins (elle ne semble pas avoir été adoptée
aux États-Unis), soit limité à cette catégorie de l'estoppel per
rem judicatam (fin de non-recevoir pour cause de chose jugée)
pouvant être soulevée dans des actions civiles entre les mêmes
parties ou leurs ayants droit et dont les caractéristiques sont
illustrées dans le jugement que j'ai rendu dans l'affaire Mills v.
Cooper [1967] 2 Q.B. 459, aux pages 468 et 469, qui a été
adoptée et approuvée par cette Chambre dans l'arrêt Reg. v.
Humphrys [1977] A.C. 1, où il a également été conclu que
l'«issue estoppel» n'avait pas sa place dans le droit criminel
anglais.
Cette dernière déclaration est inapplicable au
Canada parce que la Cour suprême, dans l'arrêt
Gushue c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 798, a conclu
que l'issue estoppel fait partie du droit criminel du
Canada.
Les tribunaux canadiens ont également traité du
problème de savoir quand l'issue estoppel peut être
invoquée. Dans l'affaire Demeter v. British Pacific
Life Insurance Co. and two other actions (1984),
48 O.R. (2d) 266 (C.A.), l'appelant avait été
déclaré coupable du meurtre de sa femme. Subsé-
quemment, il a intenté trois actions séparées
contre les compagnies d'assurance intimées en
invoquant des polices d'assurance dans lesquelles
ces dernières s'étaient engagées à payer, pour
cause de décès, certaines sommes au conjoint sur-
vivant. Dans sa décision de rejeter l'appel, la Cour
d'appel de l'Ontario a conclu que l'appelant cher-
chait à rouvrir la question même qui avait été
jugée à l'encontre de ses prétentions lors de son
procès criminel. Elle a conclu que l'arrêt Holling-
ton susmentionné n'avait pas force de loi en Onta-
rio et que la tentative de rouvrir la question jugée
constituait un abus des procédures de la Cour.
L'arrêt Re Del Core and Ontario College of
Pharmacists (1985), 51 O.R. (2d) 1, est une autre
décision de la Cour d'appel de l'Ontario qui a
ultimement été prise sur le fondement du principe
de l'abus de procédures. Dans ses motifs de juge-
ment concourants prononcés pour la majorité de la
Cour, le juge d'appel Blair a dit aux pages 21 et 22
du recueil:
[TRADUCTION] Je suis d'accord avec mon collègue Houlden
pour dire qu'une telle preuve établit prima facie et de façon non
concluante la culpabilité dans le cadre de l'instance civile. La
déclaration de culpabilité antérieure doit évidemment être per-
tinente aux procédures en cause. Son poids et son importance
dépendront des circonstances de chaque espèce. La justification
de cette règle de preuve est exposée par la Cour d'appel de la
Nouvelle-Zélande dans l'arrêt Jorgensen v. News Media
(Auckland) Ltd., [1969] N.Z.L.R. 961, où, après un examen
minutieux de la jurisprudence, cette Cour a conclu que l'appli-
cation de la règle énoncée dans l'arrêt Hollington v. Hewthorn
ne s'étendait pas à la Nouvelle-Zélande. Après avoir conclu
qu'un certificat de condamnation constituait une preuve con-
cluante de la condamnation, le président North a déclaré à la
page 980:
[L]a preuve de ... la condamnation ... , bien que non con-
cluante à l'égard de ... la culpabilité, est un élément de
preuve admissible à l'établissement du fait de la culpabilité.
C'est à la Cour qu'il appartiendra de décider, sur le fonde-
ment des éléments de preuve présentés, si celui qui présente
cette preuve s'acquitte ainsi du fardeau de la preuve qui lui
incombe à un stade ou à un autre du procès.
Je souscris également à ce qu'il dit à la page 980 au sujet de
l'appréciation d'un tel élément de preuve:
... Je n'ignore pas les difficultés pratiques qui seront parfois
soulevées lors de la détermination du poids à accorder à la
preuve d'une condamnation pour un crime lorsque celle-ci se
trouve remise en question dans une instance civile; je crois
cependant que ces difficultés sont plus apparentes que réelles
en ce que le poids devant être accordé à la déclaration de
culpabilité variera considérablement suivant la nature de
l'action civile intentée devant la Cour et suivant les circons-
tances entourant la condamnation. Si l'affaire concernée est
de celles qui doivent être entendues par un juge seul, celui-ci
ne devrait pas avoir de difficulté à déterminer quel poids
devrait être accordé à la déclaration de culpabilité. S'il s'agit
d'une affaire soumise à un jury, il ne fait aucun doute que
des directives prudentes du juge seront nécessaires.
Comme la preuve des condamnations antérieures ne constitue
qu'une preuve prima facie de la culpabilité, l'effet d'une telle
preuve peut être contré de différentes manières. Par exemple, la
condamnation peut être contestée ou son effet peut être mitigé
par une explication des circonstances entourant la déclaration
de culpabilité. Il n'est pas nécessaire, et il serait imprudent, que
nous tentions une énumération exhaustive des moyens disponi-
bles à cet égard. La loi de l'Ontario commence seulement
maintenant à se libérer des entraves que lui imposait de longue
date l'arrêt Hollington v. Hewthorn, prémentionné. Il ne serait
pas du tout souhaitable que nous substituions à cette règle
arbitraire des règles tout aussi rigides qu'elle. Les règles de
droit devraient conserver une certaine souplesse pour pouvoir
s'adapter aux circonstances variables des affaires particulières.
Les propos qui précèdent démontrent que la
Cour d'appel de l'Ontario n'a pas eu de difficulté à
conclure que la preuve de la culpabilité d'une
partie, dans des circonstances données, fournirait
dans le cadre d'une instance civile une certaine
preuve ou une preuve prima facie de la culpabilité,
dont le tribunal siégeant en matière civile pourrait
d'une manière ou d'une autre examiner l'effet. Les
tribunaux statuant dans les arrêts Demeter et Del
Core ont tous deux conclu que l'autorisation d'ins-
truire les actions concernées aurait constitué un
abus de procédures. Toutefois, je ne vois aucun
motif empêchant que ces mêmes considérations ne
s'appliquent aux affaires dans lesquelles est pré-
senté un plaidoyer d'issue estoppel ainsi que l'ont
conclu lord Denning et Sir George Baker dans
l'arrêt Mcllkenny, prémentionné.
Bien que ne concernant pas précisément le point
en litige, le jugement rendu par notre Cour dans
l'affaire R. c. Aimonetti, [1985] 2 C.F. 370 est
d'un certain intérêt car le principe de l'issue estop-
pel y a été appliqué dans une situation au sujet de
laquelle avait statué un juge de la Cour provinciale
dans le cadre d'un litige relatif à une enquête
criminelle. L'intimé dans cet appel avait été arrêté
et, au même moment, s'était fait saisir une somme
d'argent sous le régime de la Loi sur les stupé-
fiants [S.R.C. 1970, chap. N-1]. Le refus de la
Cour du Banc de la Reine du Manitoba de délivrer
un bref de certiorari à l'encontre d'une ordonnance
de la Cour provinciale a été maintenu par la Cour
d'appel [(1981), 8 Man. R. (2d) 271] et l'autorisa-
tion de pourvoi devant la Cour suprême du Canada
a été refusée [[1981] 1 S.C.R. v] .
L'intimé a alors intenté des procédures devant
cette Cour pour obtenir la restitution de l'argent
saisi de même que des intérêts. En Division de
première instance [[1983] 2 C.F. 282], dans une
décision préliminaire prononcée conformément aux
Règles [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap.
663], il a été statué, notamment, que l'issue estop-
pel n'était pas applicable. La question sur laquelle
avait à statuer la Cour d'appel était celle de savoir
si le droit de l'intimé à la possession de l'argent
saisi avait été déterminé de façon concluante dans
le cadre des procédures en restitution, de manière
à empêcher l'intimé de demander à cette Cour d'en
arriver à une conclusion différente. Prononçant les
motifs de la Cour, le juge Mahoney a dit aux
pages 376 et 377:
L'avocat de l'appelante n'a pas, comme il aurait pu le faire
selon moi, prétendu que la fin de non-recevoir soulevée en
l'espèce était une cause of action estoppel. Je ne vois aucune
différence entre le droit revendiqué dans la demande d'ordon-
nance de restitution présentée en vertu du paragraphe 10(5) et
celui revendiqué dans la déclaration en l'espèce. Ce que recher-
che l'intimé dans les deux procédures, c'est d'être mis en
possession de la même chose. Je ne vois aucune distinction
valable dans le fait que la chose effectivement saisie, c'est-à-
dire les mêmes billets et pièces de monnaie, aurait pu lui être
remise si une ordonnance de restitution avait été accordée, alors
que ce que l'on demande dans la présente procédure est une
somme d'argent équivalente plus les intérêts.
Quoi qu'il en soit, nous sommes manifestement en présence
d'un cas d'issue estoppel. À mon avis, le refus d'accorder une
ordonnance de restitution ainsi que les conséquences découlant
de ce refus aux termes du paragraphe 10(7) et suivant lesquels
«la chose ainsi saisie doit être livrée au Ministre qui peut en
disposer de la façon qu'il juge opportune') semble trancher de
façon concluante la question du droit de possession d'une chose
saisie légalement en vertu de l'alinéa 10(1)c). La décision
relative au droit de possession de la chose n'est ni accessoire ni
incidente à la décision accordant ou refusant une ordonnance
de restitution mais bien plutôt la conséquence juridique directe
de cette décision. Le refus était une décision judiciaire finale,
rendue par une personne compétente et les parties à cette
procédure étaient les mêmes qu'en l'espèce.
L'affaire dans laquelle cette Cour s'est pronon-
cée qui touche le plus près à la question litigieuse
en l'espèce est peut-être l'affaire Morin c. Comité
national chargé de l'examen des cas d'USD,
[1985] 1 C.F. 3 (C.A.). Un prisonnier acquitté par
un jury du meurtre d'un autre détenu avait été
isolé dans une unité spéciale de détention nonob-
stant son acquittement; la Cour a conclu que les
procédures- carcérales ultérieures, qu'elles fussent
de nature disciplinaire ou administrative ou aient
revêtu un caractère autre, étaient non seulement
identiques en substance au procès criminel mais
encore conduisaient comme ce dernier à des sanc
tions pénales par leur nature, leur but et leur effet.
En conséquence, les intimés s'étaient manifeste-
ment formulés les mauvaises directives en droit
lorsqu'ils avaient refusé de donner son effet à
l'acquittement prononcé au terme de la procédure
criminelle. La collateral estoppel (fin de non-rece-
voir indirecte) ou issue estoppel a été discutée par
la majorité de la Cour, mais le jugement a réelle-
ment porté sur la nature de l'organisme discipli-
naire de la prison, dont la procédure a été jugée
analogue à une procédure criminelle plutôt que de
nature civile. La question précise posée dans le
cadre de la présente demande est donc différente
de celle posée dans cette affaire.
Je déduis de tous les propos qui précèdent qu'il
ne fait aucun doute que l'issue estoppel peut être
soulevée devant cette Cour dans les circonstances
appropriées. Le caractère de la preuve exigée pour
réfuter la preuve prima facie des questions à être
tranchées dans une instance civile constituée par le
dépôt d'un certificat de condamnation n'a jamais,
à ma connaissance, encore été examiné par cette
Cour.
Je conclus ce bref survol de la jurisprudence
relative à l'issue estoppel en faisant référence à
une décision de la Cour suprême des États-Unis,
l'arrêt Parklane Hosiery Co., Inc. v. Shore, 99
S.Ct. 645 (1979), la page 649. Le juge Stewart a
eu ceci à dire au sujet de la collateral estoppel,
nom sous lequel l'issue estoppel est connue aux
États-Unis:
[TRADUCTION] La collateral estoppel, comme la doctrine de
la chose jugée qui y est reliée, a pour objet d'une part de
préserver les parties à un litige du fardeau de débattre une
question identique à une question déjà tranchée avec la même
partie ou son ayant droit, et d'autre part de promouvoir l'écono-
mie judiciaire en prévenant les litiges inutiles.
Confirmant une décision antérieure prononcée
par la Cour dans l'affaire Blonder-Tongue Labo
ratories, Inc. v. University of Illinois Foundation,
91 S.Ct. 1434 (1971), la Cour a décidé que la
collateral estoppel pouvait être invoquée avec
succès contre une partie ou son ayant droit qui a
été partie à un litige antérieur, que la partie
invoquant l'estoppel ait ou non été une partie ou
l'ayant droit d'une partie dans ce litige antérieur.
En d'autres termes, il a été décidé que la mutualité
des parties n'était pas une condition préalable en
ce qui concernait l'issue estoppel. Je crois juste de
dire qu'aucune cour canadienne n'est allée aussi
loin dans les affaires mettant en jeu l'issue estop-
pel, et il n'est pas nécessaire de discuter de ce
problème dans la présente affaire puisque les par-
ties aux deux instances étaient les mêmes. Cette
mise au point étant faite, je dois dire que je
souscris très volontiers au raisonnement tenu par
la Cour suprême dans l'affaire Blonder- Tongue.
Lorsque le problème de la mutualité a été soulevé
devant d'autres cours canadiennes, c'est en raison
de leur compétence inhérente pour prévenir les
abus de procédure qu'elles ont tranché les litiges
concernés, comme ce fut le cas dans les affaires
Demeter et Del Core, de sorte que la question de la
nécessité de la mutualité dans les affaires mettant
en jeu l'issue estoppel n'a pas encore, à ma con-
naissance, été tranchée au Canada.
Pour toutes les considérations qui précèdent, je
suis d'avis que le juge en chef adjoint a commis
une erreur en concluant que l'issue estoppel fondée
sur une déclaration de culpabilité dans une affaire
criminelle ne pouvait s'appliquer dans une instance
civile. Il devient donc nécessaire de déterminer si,
dans les circonstances de la présente espèce, l'issue
estoppel est effectivement applicable.
LA SECONDE QUESTION
Le juge de première instance s'est-il trompé en
concluant que la question tranchée par la Cour
provinciale lorsque l'intimé a été déclaré coupable
d'évasion fiscale n'était pas celle que l'appelant
avait cherché à soulever devant la Cour cana-
dienne de l'impôt dans le cadre de l'appel interjeté
par l'intimé contre la nouvelle cotisation qui lui
avait été imposée conformément à la Loi de l'im-
pôt sur le revenu.
Pour juger le point soulevé par cette question, il
est nécessaire d'avoir recours aux critères formulés
par lord Guest dans l'arrêt Carl Zeiss Stiftung v.
Rayner & Keeler Ltd. (No. 2), [1967] 1 A.C. 853
(H.L.), à la page 935, qui ont été approuvés par la
Cour suprême du Canada dans l'arrêt Angle c.
M.R.N., [1975] 2 R.C.S. 248, susmentionné; pour
des raisons de commodité, je cite à nouveau le
passage énonçant ces critères:
[TRADUCTION] (1) que la même question ait été décidée; (2)
que la décision judiciaire invoquée comme créant la fin de
non-recevoir soit finale; et, (3) que les parties dans la décision
judiciaire invoquée, ou leurs ayants droit, soient les mêmes que
les parties engagées dans l'affaire où la fin de non-recevoir est
soulevée, ou leurs ayants droit.
Le juge Dickson (c'était alors son titre) a ajouté
une quatrième exigence précisant le premier cri-
tère, selon laquelle la question visée par l'alléga-
tion d'estoppel doit avoir été fondamentale dans la
décision prise dans le cadre des procédures anté-
rieures. En d'autres termes, la question est celle de
savoir si la décision antérieure était [TRADUC-
TION] «si fondamentale» à la décision rendue sur le
fond même du litige que celle-ci ne peut valoir sans
celle-là. Rien de moins ne sera suffisant. Le juge
Dickson a indiqué que tel était le critère énoncé
par les auteurs de l'ouvrage de George Spencer
Bower et Sir Alexander Kingcome Turner, The
Doctrine of Res Judicata, London: Butterworths,
1969.
Le juge en chef adjoint n'a eu aucune difficulté
à conclure que les exigences des critères deux et
trois avaient été respectées. Pour les motifs qu'il a
donnés, je suis entièrement d'accord avec lui.
En ce qui a trait au premier critère, toutefois, il
a été incapable de décider que les questions tran-
chées dans les deux instances concernées étaient
suffisamment identiques pour lui permettre de
conclure que la question jugée serait la même que
celle qui avait été réglée dans l'instance antérieure.
Il a pris cette conclusion en faisant référence aux
motifs de jugement prononcés par le juge de la
Cour provinciale lors du procès relatif à l'évasion
fiscale de l'accusé, motifs qui ont déclaré, entre
autres:
[TRADUCTION] J'en viens donc à la conclusion que, même si
le revenu n'a pas été déclaré et que le paiement d'impôt a été
éludé, selon le chef d'accusation numéro 2 sur lequel la Cour
doit se prononcer, la Couronne n'a pas prouvé avec exactitude
les montants en question. La preuve permet d'établir hors de
tout doute raisonnable l'omission par le prévenu de déclarer un
revenu important pour l'année d'imposition 1973 et, par consé-
quent, l'évasion fiscale volontaire. En conséquence, le prévenu
est reconnu coupable du chef d'accusation numéro 2. [Je
souligne.]
Le juge de première instance n'a pas considéré
cette conclusion conforme au premier critère appli
cable à l'issue estoppel, de sorte que la prétention
du requérant que la doctrine de l'issue estoppel
s'appliquait à l'égard de l'appel formé par l'intimé
à l'encontre de nouvelles cotisations d'impôt a
échoué.
L'avocat du requérant a à opposé cette conclu
sion trois arguments:
(1) Lorsque l'issue estoppel est invoquée, seul
peut être examiné le jugement ou l'ordonnance
formelle antérieure, c'est-à-dire que le juge en chef
adjoint n'a pas agi régulièrement en l'espèce en
allant au-delà du certificat de condamnation pour
prendre en considération les motifs de jugement du
juge de la Cour provinciale lorsqu'il a décidé que
l'identité des questions en jeu n'était pas suffisante
pour permettre l'application de l'issue estoppel;
(2) Subsidiairement, a dit l'avocat du requérant,
si les motifs de jugement modifient le certificat de
condamnation pour indiquer un revenu omis autre
que celui porté au certificat, l'issue estoppel s'ap-
plique pour empêcher l'intimé de soulever la ques
tion de savoir s'il a délibérément omis le montant
ainsi modifié; et
(3) Subsidiairement à l'argument qui précède, si
le certificat de condamnation ne constitue qu'une
preuve prima facie de la véracité des faits qu'il
énonce, ce certificat peut être réfuté seulement en
établissant l'existence de nouveaux éléments de
preuve de nature très pertinente auxquels l'intimé
n'aurait pas pu avoir accès lors du procès criminel
et qui écarteraient la présomption de véracité des
allégations du certificat, ou en établissant que sa
condamnation a été obtenue par fraude ou par
collusion.
Je traiterai de ces motifs de contestation à la
suite.
•
(1) Il devrait encore être noté que le certificat de
condamnation déclare que l'intimé « ... a illégale-
ment et volontairement éludé le paiement d'un
impôt ... par l'omission de la somme de 60 000 $
dans son revenu de l'année d'imposition 1973».
Ainsi qu'il a également été noté, le juge de la Cour
provinciale, dans ses motifs, a dit que le montant
du revenu omis n'avait pas été établi [TRADUC-
TION] «avec exactitude par la Couronne» mais que
cette omission était celle d'un [TRADUCTION]
«revenu important». Comme, ainsi que je l'ai dit
plus tôt, la valeur probante d'un certificat de con-
damnation dans une situation mettant en jeu l'is-
sue estoppel est au moins semblable, sinon identi-
que, à sa valeur probante dans les affaires mettant
en jeu l'abus de procédures, les faits qui s'y trou-
vent énoncés constituent à tout le moins une
preuve prima facie, ou une certaine preuve, réfuta-
ble, des faits qui s'y trouvent déclarés'. Bien que je
° Re Del Core and Ontario College of Pharmacists, susmen-
tionnée, à la p. 501.
connaisse parfaitement les difficultés conceptuelles
inhérentes à la détermination des limites de la
contre-preuve pouvant être présentée et le risque
qu'elle représente d'exposer à un nouveau débat les
questions mêmes qui ont conduit à la condamna-
tion, vu les faits de la présente espèce tels qu'ils se
trouvent exposés dans les motifs de jugement du
juge de la Cour provinciale, je n'ai aucune diffi
culté à conclure que, dans un sens large, la déci-
sion fondamentale sur l'évasion fiscale rendue dans
l'instance criminelle est également fondamentale
dans l'établissement d'une nouvelle cotisation
d'impôt consécutive à l'omission de déclarer cer-
tains revenus. Toutefois, la question plus restreinte
qui, s'inscrivant dans cette large décision fonda-
mentale, est tout aussi fondamentale que cette
dernière pour les fins d'un appel en matière d'im-
pôt, à savoir le montant du revenu omis, a été mise
en doute. En conséquence, considérant qu'une cour
a le droit de tenir compte des motifs de jugement
et n'est pas obligée de se limiter au certificat de
condamnation, je suis d'accord avec le juge en chef
adjoint, à tout le moins en ce qui a trait à la
question du montant, pour dire que l'absence
d'identité des questions jugées empêche que l'issue
estoppel soit applicable à la présente espèce.
Je traiterai à présent de l'opportunité d'un
examen qui va au-delà du certificat pour considé-
rer les motifs du juge. Dans une affaire instruite
par la Division de première instance qui mettait en
jeu des faits tout à fait différents de ceux de
l'espèce, l'affaire Sheridon Warehousing Limited
c. La Reine (1983), 83 DTC 5095 (C.F. ire inst.),
mon collègue le juge Mahoney a examiné les
motifs du juge de la Cour provinciale qui avait
prononcé la culpabilité de l'accusé pour déterminer
si ce juge, en déclarant le demandeur coupable
d'évasion fiscale, avait fait une évaluation de la
juste valeur marchande de certains biens immobi-
liers au jour de l'évaluation. Le juge Mahoney a
conclu qu'il ne l'avait pas fait et qu'en consé-
quence, il n'était pas appelé à statuer sur la ques
tion de savoir si l'issue estoppel était applicable
dans cette espèce. L'importance de cette décision
pour les fins de la présente espèce tient au fait qu'il
a effectivement examiné les motifs de jugement de
la Cour de juridiction criminelle pour trancher une
question soulevée dans le cadre d'un appel interjeté
en matière d'impôt.
Je n'ai pas non plus de difficulté à conclure qu'il
n'est pas irrégulier d'examiner les motifs de juge-
ment pour vérifier si l'issue estoppel est effective-
ment plaidée à bon droit. Il n'importe pas, dans les
circonstances telles qu'elles m'apparaissent en l'es-
pèce, de savoir si l'examen des motifs est considéré
comme une question de réfutation de la preuve
prima facie résultant du dépôt du certificat de
condamnation, ou s'il constitue l'exercice d'un
pouvoir judiciaire discrétionnaire dépendant des
faits particuliers à chaque espèce, une manière
d'aborder la question adoptée dans certains arrêts
américains. L'objet d'un tel examen est l'apprécia-
tion de l'identité des questions en cause, un élé-
ment jouant un rôle crucial relativement à l'appli-
cabilité de l'issue estoppel; les faits qui ont amené
le juge du procès à conclure à la culpabilité de la
personne accusée devraient donc être pris en
considération.
(2) L'argument subsidiaire de l'avocat du requé-
rant veut qu'au minimum l'omission de 40 000 $
ait été établie, à tout le moins de façon jugée
satisfaisante par le juge du procès. Si je reconnais
avoir eu certaines difficultés à suivre la preuve
complexe afférente aux aspects financiers de l'éva-
sion fiscale, il me semble ressortir clairement de
l'ensemble de la preuve que le juge a été incapable
de déterminer avec quelque précision le montant
exact qui a été omis'. En fait, il a dit: [TRADUC-
TION] «Je crois qu'un montant important a été
omis, mais je ne sais pas combien.» Il n'a pas non
plus semblé accepter la prétention de l'avocat du
ministre qu'en plus des gains en capital, une
somme de 40 000 $ paraissait avoir été omise. Ceci
étant, à mon avis, il est impossible de conclure
effectivement que le certificat de condamnation
peut être modifié sur le fondement de la preuve
présentée pour indiquer un montant omis inférieur
à 60 000 $. Il est donc pour le moins douteux que
l'existence de la condamnation puisse ou doive
empêcher par estoppel le déroulement des procé-
dures civiles.
(3) En ce qui a trait au second motif de contesta-
tion subsidiaire, disons simplement que s'il était
établi qu'une condamnation a été obtenue par
fraude ou par collusion, il est évident que non
seulement cette condamnation ne devrait pas être
maintenue mais encore qu'aucune procédure tribu-
s Voir Dossier d'appel, à la p. 95.
taire de celle-ci ne devrait être autorisée. En ce qui
a trait à la nécessité de présenter de nouveaux
éléments de preuve pour appuyer la contestation
d'un certificat de condamnation, je ne vois pas
pourquoi une telle limitation devrait être imposée,
que ce soit en principe ou en vertu de la jurispru
dence. Je conclus donc que ce motif particulier de
contestation du requérant n'est pas fondé.
En conséquence, pour tous les motifs qui précè-
dent, je rejetterais la demande fondée sur
l'article 28.
LE JUGE HEALD: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE STONE: Je souscris à ces motifs.
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