A-613-88
La Reine, le Procureur général du Canada, le
secrétaire d'État aux Affaires extérieures, le
ministre du Commerce extérieur, le ministre du
Revenu national (appelants) (défendeurs)
c.
Teal Cedar Products (1977) Ltd. (intimée)
(demanderesse)
RÉPERTORIÉ: TEAL CEDAR PRODUCTS (1977) LTD. c. CANADA
(CA.)
Cour d'appel, juges Pratte, Heald et Mahoney—
Vancouver, 7 septembre; Ottawa, 6 décembre
1988.
Contrôle judiciaire — Recours en equity — Injonctions —
Des modifications apportées à la Liste de marchandises d'ex-
portation contrôlée ont pour conséquence d'obliger un fabri-
cant de produits forestiers à fermer ses portes — La délivrance
d'une injonction interlocutoire est demandée — L'allégation
que le gouverneur général en conseil a agi en se fondant sur des
informations trompeuses soulève-t-elle une question sérieuse
en ce qui concerne la validité de la modification? — Dans le
cas où une disposition habilitante autorise le gouverneur en
conseil à prendre certaines mesures lorsque, nà son avis, il est
nécessaire» de les prendre pour certaines fins, il n'importe pas
que son opinion soit fondée ou non — Les éléments de preuve
présentés ne suffisent pas à contredire la déclaration expresse
du décret en conseil visant les fins pour lesquelles il est édicté.
Commerce extérieur — Planchettes de cèdre rouge — Ce
matériau a été ajouté à la Liste de marchandises d'exportation
contrôlée par le gouverneur en conseil conformément à la Loi
sur les licences d'exportation et d'importation — Cette mesure
cause des pertes d'emploi et la fermeture de l'entreprise — La
délivrance d'une injonction interlocutoire a été accordée —
Cette décision est infirmée en appel puisqu'il n'importe pas de
savoir si le gouverneur en conseil a été induit en erreur par le
Résumé de l'étude d'impact de la réglementation.
L'intimée, un fabricant de produits forestiers de la Colombie-
Britannique, exportait de façon régulière des planchettes de
cèdre rouge vers les États-Unis; en février 1988, le gouverneur
en conseil, agissant en vertu de la Loi sur les licences d'expor-
tation et d'importation, a modifié la Liste de marchandises
d'exportation contrôlée pour y ajouter les planches de cèdre
rouge aux blocs et billons constitués de ce même bois, de sorte
que l'intimée s'est trouvée obligée de se procurer une licence
d'exportation pour ses produits. Ce décret en conseil a pour
conséquence la fermeture de l'entreprise de l'intimée et la perte
des emplois qui s'y trouvent attachés.
L'intimée a contesté la modification en question et sollicité la
délivrance d'une injonction interlocutoire interdisant aux appe-
lants de faire obstacle à l'exportation de courtes planchettes de
cèdre jusqu'à l'instruction d'une action dans laquelle un juge-
ment déclaratoire, la délivrance d'une injonction et des domma-
ges-intérêts étaient demandés. La Division de première instance
a accordé la délivrance de l'injonction interlocutoire après avoir
conclu qu'il existait une question sérieuse à trancher et que les
critères du préjudice irréparable et de la prépondérance des
inconvénients favorisaient tous deux l'intimée. Appel est inter-
jeté de cette décision.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli.
L'action de l'intimée a soulevé la question de la validité du
décret en conseil modifiant la Liste. Le décret en conseil a été
adopté sur le fondement des articles 3 et 6 de la Loi, qui
autorisent le gouverneur en conseil à établir et à modifier une
liste de marchandises dont, à son avis, il est nécessaire de
contrôler l'exportation pour certaines fins. En l'espèce, deux
objets ont été invoqués, dont celui qui est prévu à l'alinéa 3c):
«s'assurer d'un approvisionnement et d'une distribution de cet
article au Canada suffisant aux besoins de la défense ou
autres». Le juge de première instance a interprété le mot
«autres» en lui appliquant la règle ejusdem generis et, étant
d'avis qu'il n'y avait pas d'urgence reliée à la défense nationale,
il semble avoir conclu que le gouverneur en conseil avait agi en
se fondant sur une interprétation erronée de la Loi. L'interpré-
tation choisie par le juge est manifestement erronée. Les termes
«other needs» de la version anglaise [«autres» ou «notamment»
dans la version française] désignent des besoins autres que ceux
qui concernent la défense.
Le juge de première instance a fondé sa conclusion qu'il
existait une question sérieuse à trancher sur les appréciations
selon lesquelles le gouverneur en conseil avait édicté son décret
en se fondant sur des informations trompeuses. 11 est toutefois
clair que, lorsqu'il s'agit de statuer sur la validité de ce décret
en conseil, la question de savoir si le gouverneur en conseil a
fondé son opinion que le décret en conseil était nécessaire à la
réalisation des objets mentionnés à l'article 3 sur des éléments
d'information exacts ou trompeurs n'est pas pertinente. Si le
gouverneur en conseil a jugé le décret en conseil nécessaire à
ces fins, il n'importe pas que son opinion soit juste ou erronée.
Comme le décret en conseil fait état des fins pour lesquelles il
a été édicté, l'on ne pourrait véritablement établir sur le
fondement de la preuve soumise à ce point qu'il a été pris de
mauvaise foi parce qu'adopté pour des fins autres que celles
précisées à l'article 3.
N'est pas valide la proposition que les opinions et les objectifs
de certains ministres ou leur personnel, qui, d'après l'intimée,
ne seraient pas de ceux qui sont autorisés, devraient ou pour-
raient être attribués au gouverneur en conseil.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Liste de marchandises d'exportation contrôlée, C.R.C.,
chap. 601, art. 2003 (ajouté par DORS/86-710;
DORS/88-140).
Loi sur les licences d'exportation et d'importation,
S.R.C. 1970, chap. E-17, art. 3 (mod. par S.C. 1974,
chap. 9, art. 1; 1987, chap. 15, art. 26), a.1),c), 6, 7,
13.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores
Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110; American Cyanamid Co. v.
Ethicon Ltd., [1975] A.C. 396 (H.L.); McEldowney v.
Forde, [1971] A.C. 632 (H.L.); Reference as to the
Validity of the Regulations in relation to Chemicals,
[ 1943] R.C.S. 1; Attorney -General for Canada v. Hallet
& Carey Ld., [1952] A.C. 427 (P.C.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of
Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735.
AVOCATS:
J. R. Haig, c.r. pour les appelants.
J. Gary Fitzpatrick pour l'intimée.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
les appelants.
Davis & Company, Vancouver, pour l'inti-
mée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: Il s'agit d'un appel interjeté
d'une ordonnance de la Division de première ins
tance [[1989] 1 C.F. 135] (le juge Muldoon) qui a
accordé une injonction interlocutoire interdisant
aux appelants de faire obstacle à l'exportation par
l'intimée de planchettes de cèdre rouge. Cette
ordonnance, en fait, enjoignait aux appelants de ne
pas appliquer un décret en conseil adopté sous le
régime de la Loi sur les licences d'exportation et
d'importation', une loi qui interdit l'exportation
sans licence ministérielle de marchandises insérées
par le gouverneur en conseil dans une liste appelée
Liste de marchandises d'exportation contrôlée 2 .
' S.R.C. 1970, chap. E-17.
2 Pour les fins de la présente espèce, il suffira que nous ayons
à l'esprit les dispositions suivantes de cette Loi [art. 3 (mod. par
S.C. 1974, chap. 9, art. 1; 1987, chap. 15, art. 26), a. I ), c), 6, 7,
13]:
3. Le gouverneur en conseil peut établir une liste de
marchandises, appelée «liste de marchandises d'exportation
contrôlée», comprenant tout article dont, à son avis, il est
nécessaire de contrôler l'exportation pour l'une quelconque
des fins suivantes, savoir:
a.1) s'assurer que toute mesure prise pour favoriser le
traitement supplémentaire au Canada d'une ressource
naturelle qui y est produite ne devienne pas inopérante du
fait de l'exportation sans restriction de cette ressource
naturelle;
(Suite à la page suivante)
Le 26 juin 1986, le gouverneur en conseil a
modifié la Liste de marchandises d'exportation
contrôlée [DORS/86-710] en y ajoutant l'article
suivant:
2003. Blocs et billons de cèdre rouge.
(Toutes destinations, y compris les États-Unis)
Cette modification visait apparemment à arrêter
l'exportation massive de cèdre rouge non trans
formé vers les États-Unis qui aurait autrement
résulté de l'imposition par le gouvernement de ce
pays d'un droit à l'importation de 35 % sur les
bardeaux ordinaires et les bardeaux de fente de
cèdre rouge canadien.
L'intimée est une société constituée en vertu des
lois de la Colombie-Britannique, où elle fabrique à
partir du cèdre rouge un produit appelé courtes
planchettes de cèdre rouge. Une courte planchette
de cèdre rouge est une planchette coupée à la
machine et séchée au four, dont l'épaisseur est
uniforme et dont la longueur et la largeur sont les
mêmes que celles d'un bardeau de fente de cèdre
rouge. Tous reconnaissent qu'une coupe diagonale
effectuée au moyen d'une scie sur l'épaisseur d'une
courte planchette de cèdre rouge peut facilement
transformer cette planchette en deux bardeaux de
fente en biseau.
En 1987, l'intimée a exporté ses courtes plan-
chettes de cèdre vers les États-Unis sans la moin-
dre difficulté. Au début de janvier 1988, toutefois,
elle a été avisée par des fonctionnaires de douane
du Canada appliquant des directives énoncées par
une autorité supérieure qu'une licence était requise
pour l'exportation de courtes planchettes de cèdre
(Suite de la page précédente)
c) s'assurer d'un approvisionnement et d'une distribution
de cet article au Canada suffisant aux besoins de la
défense ou autres.
6. Le gouverneur en conseil peut révoquer, modifier, chan-
ger ou rétablir toute ... liste de marchandises d'exportation
contrôlée ...
7. Le Ministre peut délivrer à tout résident du Canada qui
en fait la demande une licence d'exporter des marchandises
comprises dans une liste de marchandises d'exportation con-
trôlée ... en la quantité et de la qualité, par les personnes,
aux endroits ou personnes et sous réserve des autres stipula
tions et conditions que décrivent la licence ou les règlements.
13. Nul ne doit exporter ou tenter d'exporter des mar-
chandises comprises dans une liste de marchandises d'expor-
tation contrôlée ... si ce n'est sous l'autorité et en conformité
d'une licence d'exportation délivrée selon la présente loi.
rouge puisque ce produit était considéré comme
une marchandise visée par l'article 2003 de la
Liste de marchandises d'exportation contrôlée
(«Blocs et billons de cèdre rouge»). Étant en désac-
cord avec cette façon de voir, l'intimée a immédia-
tement intenté une action contre les appelants
devant la Division de première instance pour
demander un jugement déclaratoire portant que
les courtes planchettes de cèdre n'étaient pas com
prises dans la Liste de marchandises d'exportation
contrôlée et pouvaient, en conséquence, être expor-
tées sans licence 3 . L'intimée a également demandé
la délivrance d'une injonction interlocutoire inter-
disant aux appelants de faire obstacle à l'exporta-
tion des courtes planchettes de cèdre. Cette
demande d'injonction interlocutoire était sur le
point d'être entendue lorsque, le 12 février 1988,
l'intimée a appris l'annulation de la directive
donnée aux fonctionnaires de douane qui exigeait
une licence pour l'exportation de courtes planchet-
tes de cèdre. L'intimée pouvait donc reprendre ses
activités d'exportation vers les États-Unis. Cette
situation, toutefois, a été de courte durée.
3 Dans sa déclaration, l'intimée s'est contentée de faire les
allégations suivantes: elle fabriquait de courtes planchettes de
cèdre rouge, qu'elle exportait vers les États-Unis; le 4 janvier
1988, elle a été avisée par des fonctionnaires de douane du
Canada que les courtes planchettes de cèdre ne pouvaient plus
être exportées sans licence puisqu'il avait été conclu qu'elles
faisaient partie des marchandises visées par l'article 2003 de la
Liste de marchandises d'exportation contrôlée; les courtes
planchettes de cèdre ne faisaient pas véritablement partie des
marchandises visées par l'article 2003, en premier lieu parce
qu'elles n'étaient ni des «blocs» ni des «billons» de cèdre rouge
et, en second lieu, pour le motif énoncé au paragraphe 8 de la
déclaration:
[TRADUCTION] 8. De plus, les courtes planchettes de cèdre
rouge ne peuvent être considérées comme visées par la défini-
tion des «blocs et billons de cèdre rouge» qui ont été ajoutés à
la Liste de marchandises d'exportation contrôlée puisque leur
addition à cette énumération était expressément déclarée
avoir lieu sous le régime de l'alinéa 3(A.1) de la Loi sur les
licences d'exportation et d'importation. L'alinéa 3(A.1) vise
à empêcher que l'exportation de ressources naturelles sans
autre transformation au Canada n'entraîne la perte d'emplois
pour le Canada. Le processus de fabrication des courtes
planchettes de cèdre met en jeu la même quantité de travail,
sinon une quantité de travail plus grande, que ne le fait la
fabrication de bardeaux de fente au Canada. L'exportation
de courtes planchettes de cèdre ne ressortit pas à la catégorie
des activités que l'alinéa 3(A.I) a pour objet d'empêcher.
L'intimée a finalement allégué que, s'étant trouvée dans l'im-
possibilité d'exporter son produit aux États-Unis, elle avait dû
mettre fin aux activités de son entreprise.
Le 22 février 1988, le gouverneur en conseil a
modifié la Liste des marchandises d'exportation
contrôlée en adoptant le décret en conseil C.P.
1988-288 [DORS/88-140], qui est libellé de la
façon suivante:
Attendu que le gouverneur en conseil est d'avis qu'il est
nécessaire de contrôler l'exportation de blocs, billons, ébauches,
planches et tout autre matériau ou produit de cèdre rouge
propres à être utilisés pour la fabrication de bardeaux ordinai-
res ou de bardeaux de fente, afin de s'assurer:
a) que toute mesure prise pour favoriser le traitement sup-
plémentaire au Canada du cèdre rouge qui y est produit ne
devienne pas inopérante du fait de son exportation sans
restriction,
b) que l'approvisionnement et la distribution de ces maté-
riaux et produits de cèdre rouge soient suffisants pour la
fabrication de bardeaux ordinaires et de bardeaux de fente
au Canada,
À ces causes, sur avis conforme du secrétaire d'État aux
Affaires extérieures et en vertu des alinéas 3a.1) et c) et de
l'article 6 de la Loi sur les licences d'exportation et d'importa-
tion, il plaît à Son Excellence le Gouverneur général en conseil
de modifier, conformément à l'annexe ci-après, la Liste de
marchandises d'exportation contrôlée, C.R.C., ch. 601.
ANNEXE
1. L'article 2003 de la Liste de marchandises d'exportation
contrôlée est abrogé et remplacé par ce qui suit:
«2003. Blocs, billons, ébauches, planches et tout autre
matériau ou produit de cèdre rouge propres à être utilisés
pour la fabrication de bardeaux ordinaires ou de bardeaux de
fente.
(Toutes destinations, y compris les États-Unis)»
Ce décret en conseil a été publié dans la Gazette
du Canada [Partie II, volume 122, n° 5, aux pages
1251 1253] avec un document intitulé «Résumé
de l'étude d'impact de la réglementation» qui fai-
sait état du contexte et de l'effet prévisible de la
nouvelle disposition réglementaire. Les passages
pertinents de cette déclaration étaient ainsi
libellés:
Description
Les biens pour lesquels un permis d'exportation est requis,
pour des raisons de sécurité nationale ou de politique intérieure,
sont inscrits dans la Liste de marchandises d'exportation con-
trôlée (LMEC). En juin 1986, les États-Unis imposaient un
droit à l'importation de 35 % sur les bardeaux de fente et les
bardeaux. Le gouvernement du Canada a réagi en plaçant sur
la liste en question les blocs et billons de cèdre rouge qui
peuvent être transformés en bardeaux et bardeaux de fente,
afin d'en empêcher l'exportation aux États-Unis. Cette mesure
était destinée à empêcher la perte d'emplois au Canada dans
l'industrie de fabrication de bardeaux de fente et de bardeaux.
Certaines entreprises canadiennes usent d'une échappatoire
dans la LMEC pour exporter des ébauches de cèdre rouge. En
effet, ce produit qui sert à fabriquer des bardeaux ou des
bardeaux de fente ne figure pas dans la liste.
La mesure modifiera la LMEC en y ajoutant les ébauches,
planches et autres matériaux ou produits de cèdre rouge pou-
vant servir à fabriquer des bardeaux de fente et des bardeaux,
conformément à l'objet initial du règlement. Le fait de contrô-
ler l'exportation de ces produits depuis le Canada va dans le
même sens que les programmes des gouvernements du Canada
et de la Colombie-Britannique destinés à promouvoir la trans
formation des matériaux de cèdre rouge en bardeaux et bar-
deaux de fente au Canada même. Cette mesure est prise en
vertu de la Loi sur les licences d'exportation et d'importation.
Répercussions prévisibles
Selon le bureau du MEIR à Vancouver, les installations de
fabrication de bardeaux de fente et de bardeaux, à partir du
cèdre rouge canadien exporté, qui seraient établies aux États-
Unis en raison de l'échappatoire actuelle feraient perdre de 10
à 20 % des 12 000 emplois qui existent au Canada dans cette
industrie. Ces emplois et les installations américaines nouvelle-
ment établies pourraient être difficilement retransférables au
Canada lorsque le droit de 35 % sur les bardeaux de fente et
bardeaux sera finalement supprimé. Étant donné la modifica
tion à la Liste de marchandises d'exportation contrôlée, tous
les matériaux de cèdre rouge semi -transformés nécessiteront
une licence d'exportation, qui serait normalement refusée pour
les raisons susmentionnées.
Après l'adoption de cette modification à la Liste
de marchandises d'exportation contrôlée, les
représentants des appelants ont considéré que les
courtes planchettes de cèdre de l'intimée apparte-
naient à la catégorie de marchandises visées à
l'article 2003. Cette attitude a incité l'intimée à
modifier sa déclaration pour alléguer que l'article
2003 de la Liste de marchandises d'exportation
contrôlée avait été modifié et pour solliciter, dans
la demande de redressement, un jugement déclara-
toire portant que la modification en question était
ultra vires.
L'intimée a alors présenté sa requête demandant
la délivrance d'une injonction interlocutoire qui
interdirait aux appelantes de faire obstacle à l'ex-
portation des courtes planchettes de cèdre jusqu'à
l'instruction de l'action. À l'appui de cette requête,
l'intimée a déposé des affidavits attestant entre
autres que:
1. Les courtes planchettes de cèdre ne sont ni
des blocs ni des billons de cèdre rouge;
2. La production de courtes planchettes de
cèdre ne requiert pas moins de travail que celle
des bardeaux de fente;
3. L'exportation de courtes planchettes de
cèdre, selon le déposant, ne risquerait pas d'em-
pêcher que l'approvisionnement ou la distribu
tion du cèdre rouge réponde aux besoins cana-
diens, notamment en matière de défense;
4. En janvier 1988, avant la modification de
l'article 2003 de la Liste de marchandises d'ex-
portation contrôlée, un adjoint spécial du minis-
tre du Commerce extérieur a déclaré à un
avocat représentant l'intimée au cours d'une
rencontre tenue au sujet du présent litige que le
ministre [TRADUCTION] «tenait à ce que toutes
les scieries œuvrant dans l'industrie du bardeau
et du bardeau de fente exercent leurs activités
«avec des chances égales» et qu'aucune scierie ne
bénéficie d'un avantage indû sur les autres, de
sorte que des dispositions législatives devraient
être adoptées pour interdire l'exportation des
courtes planchettes de cèdre».
5. L'interdiction à l'intimée d'exporter des cour-
tes planchettes de cèdre l'a forcée à mettre à
pied ses 75 employés.
M. le juge Muldoon a entendu la demande et
accordé l'injonction interlocutoire demandée. Il a
tout d'abord déclaré avec raison que les diverses
questions devant être examinées par un tribunal
qui se trouve saisi d'une demande sollicitant la
suspension temporaire de l'application d'une dispo
sition législative ou réglementaire jusqu'à ce
qu'une cour ait statué sur la validité de cette
disposition sont celles mentionnées par M. le juge
Beetz dans l'arrêt Manitoba (Procureur général) c.
Metropolitan Stores Ltd. °, c'est-à-dire:
(a) Le sérieux de la demande de la partie demanderesse.
(b) La partie qui cherche à obtenir l'injonction subira-t-elle un
préjudice irréparable si ce redressement n'est pas accordé?
(c) La prépondérance des inconvénients.
M. le juge Muldoon a conclu que ces deux derniè-
res questions devaient recevoir une réponse favora
ble à la partie agissant comme intimée dans le
présent appel (et comme requérante dans la
demande d'injonction). L'avocat des appelants a
expressément déclaré qu'il ne contestait pas ces
conclusions. Le seul motif d'appel qu'il ait soulevé
veut que M. le juge Muldoon se soit trompé en
répondant à la première de ces trois questions que
l'action intentée par l'intimée soulevait une ques
tion sérieuse.
° [1987] 1 R.C.S. 110.
La question soulevée par l'action de l'intimée
était celle de la validité du décret en conseil modi-
fiant la Liste de marchandises d'exportation con-
trôlée. Ce décret en conseil a été adopté conformé-
ment aux articles 3 et 6 de la Loi sur les licences
d'exportation et d'importation autorisant le gou-
verneur en conseil à établir et à modifier «une liste
de marchandises ... dont, ... [de l']avis [du gou-
verneur en conseil], il est nécessaire de contrôler
l'exportation pour» les objets énumérés à l'article
3. Le décret en conseil dont il est question en
l'espèce précisait avoir été adopté parce que le
gouverneur en conseil était d'avis qu'il était néces-
saire de contrôler l'exportation des produits de
cèdre rouge propres à être utilisés pour la fabrica
tion de bardeaux ordinaires ou de bardeaux de
fente afin d'assurer la réalisation de deux des
objets mentionnés dans la Loi, à savoir:
3....
a.l) s'assurer que toute mesure prise pour favoriser le traite-
ment supplémentaire au Canada d'une ressource naturelle
qui y est produite ne devienne pas inopérante du fait de
l'exportation sans restriction de cette ressource naturelle;
c) s'assurer d'un approvisionnement et d'une distribution de
cet article au Canada suffisant aux besoins de la défense ou
autres.
Selon mon interprétation des motifs du juge
Muldoon, il a conclu que la question de la validité
du décret en conseil était une «question sérieuse»
parce que l'intimée avait présenté des éléments de
preuve établissant que le gouverneur en conseil,
lorsqu'il avait modifié l'article 2003 de la Liste de
marchandises d'exportation contrôlée, avait agi en
se fondant sur des «informations trompeuses» selon
lesquelles la modification de la liste sauvegarderait
des emplois canadiens et était nécessaire pour as-
surer que l'approvisionnement et la distribution du
matériau de cèdre rouge au Canada soient suffi-
sants. Le juge de première instance s'est exprimé
de la manière suivante à ce sujet [aux pages 148,
149, 151 et 152]:
En résumé, la demanderesse soutient que le gouverneur en
conseil a été induit en erreur au sujet des répercussions dévasta-
trices de la réglementation sur les emplois de son entreprise, et
comme l'alinéa 3a.1) de la Loi vise à préserver des emplois au
Canada, la prise du décret C.P. 1988-288 excédait les pouvoirs
du gouverneur en conseil. Elle revendique le droit de faire appel
à la Cour pour interdire au gouvernement de mettre en applica
tion l'article 2003 contesté de la Liste de marchandises d'ex-
portation contrôlée jusqu'à la résolution du présent litige.
À tout le moins depuis la décision de la Cour suprême dans
l'affaire Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of
Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735; (1980), 115 D.L.R. (3d)
1, si ce n'est bien avant, il n'est pas impensable qu'une décision
du gouverneur en conseil puisse être et soit soumise à un
contrôle judiciaire. Le juge Estey, qui a rendu le jugement de la
Cour suprême, déclare aux pages 748 R.C.S.; 11 D.L.R.:
Il faut dire tout de suite que la simple attribution par la loi
d'un pouvoir au gouverneur en conseil ne signifie pas que son
exercice échappe à toute révision. Si ce corps constitué n'a
pas respecté une condition préalable à l'exercice de ce pou-
voir, la cour peut déclarer ce prétendu exercice nul.
Le fait est qu'en l'espèce, les défendeurs, à l'exception de Sa
Majesté la Reine, peuvent faire l'objet d'une injonction interlo-
cutoire s'il semble que l'on n'ait pas respecté les dispositions de
l'alinéa 3a.1) de la Loi en tenant compte d'informations trom-
peuses. C'est une question sérieuse qui doit être résolue au
procès.
Dans la mesure où la Cour suprême du Canada dans l'affaire
Metropolitan Stores a approuvé le critère (à la page 128) de
l'existence «d'une question sérieuse à juger, par opposition à
une réclamation futile ou vexatoire» dans «une affaire constitu-
tionnelle où ... l'intérêt public est pris en considération dans la
détermination de la prépondérance des inconvénients», il est
évident, d'après les éléments examinés jusqu'ici, que la présente
affaire satisfait à ce critère.
Il faut reconnaître que le résultat serait différent si le critère
consistait à établir une apparence de droit suffisante. La
demanderesse ne conteste pas le pouvoir du Parlement d'adop-
ter l'article 3 de la Loi, mais il convient quand même de se
demander si l'inscription du nouvel article 2003 sur la Liste de
marchandises d'exportation contrôlée constitue un exercice
légal ou par ailleurs légitime des pouvoirs conférés au gouver-
neur en conseil ... En l'espèce, la demanderesse affirme possé-
der des éléments de preuve et des arguments de droit pour
établir que les renseignements erronés qui on apparemment
induit en erreur le gouverneur en conseil et dont on peut
démontrer qu'ils sont mal fondés constituent le seul fondement
législatif permettant l'inscription de l'article 2003 sur la liste,
avec les résultats dévastateurs que l'on sait sur l'entreprise de la
demanderesse. Les défendeurs ont produit des affidavits pour
réfuter cette thèse.
En ce qui a trait à la question de savoir si
l'adoption du décret en conseil était autorisée par
l'alinéa 3c) de la Loi, le juge de première instance,
en plus de conclure que le gouverneur en conseil
avait peut-être agi sur le fondement d'informations
trompeuses, a exprimé le point de vue que le
gouverneur en conseil avait pu interpréter erroné-
ment cet alinéa de la Loi et, en conséquence,
omettre de former l'opinion requise. Le juge a en
effet exprimé l'opinion que le mot «autres» de cet
alinéa devait s'interpréter selon la règle «ejusdem
generis» comme ne visant que les besoins relatifs à
la défense. Comme nous ne nous trouvons pas en
état de guerre, et comme le cèdre rouge n'est
clairement pas nécessaire à la défense de notre
pays, il s'ensuivrait, si je comprends bien les motifs
du juge de première instance, que le gouverneur en
conseil a agi en se fondant sur une interprétation
erronée de la Loi en plus d'agir sur le fondement
d'informations trompeuses.
Je puis dire immédiatement que cette interpréta-
tion de l'alinéa 3c) de la Loi me semble fautive.
Les termes «other needs» de la version anglaise de
cet alinéa [«autres» ou «notamment» dans la ver
sion française] signifient clairement ce qu'ils
disent, c'est-à-dire qu'ils désignent des besoins
autres que les besoins relatifs à la défense. Je ne
vois aucun motif de restreindre la signification
ordinaire de ces termes de la manière suggérée. Je
suis donc d'avis que l'on ne peut sérieusement
soutenir que le gouverneur en conseil, en prenant
le décret en conseil visé en l'espèce, a agi en se
fondant sur une interprétation erronée de la Loi.
Toutefois, la question se pose toujours de savoir
si, pour d'autres motifs, la demande de l'intimée
pourrait être considérée comme soulevant une
question sérieuse. Avant de répondre à cette ques
tion, il convient de faire certaines observations
d'ordre général:
1. Lorsque M. le juge Beetz a dit dans l'arrêt
Metropolitan Stores 5 que le critère devant être
appliqué dans une affaire comme celle-ci afin d'ap-
précier le bien-fondé de l'argumentation du
demandeur consiste à savoir s'il existe une question
sérieuse à juger, il entendait clairement adopter le
critère formulé par lord Diplock dans l'arrêt Ame-
rican Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd. 6 Il peut donc
nous être utile d'avoir à l'esprit les propos tenus
par lord Diplock dans cet arrêt 7 :
[TRADUCTION] L'octroi d'une injonction interlocutoire cons-
titue un redressement à la fois temporaire et discrétionnaire. 11
serait des plus exceptionnels que Vos Seigneuries accordent une
autorisation d'interjeter appel devant cette Chambre dans une
affaire où la question soulevée est celle de la prépondérance des
inconvénients. Dans le présent appel, toutefois, la Cour d'appel
n'a jamais abordé la question des incidences les plus favorables
bien que le juge Graham ait examiné cette question et, l'ait
tranchée en faveur de Cyanamid. La Cour a estimé qu'une
règle de pratique, si bien établie qu'elle constituait une règle de
5 [1987] 1 R.C.S. 110.
6 [1975] A.C. 396 (H.L.).
7 Aux p. 405, 407 et 408.
droit, l'empêchait d'accorder une injonction interlocutoire à
moins que, d'après la preuve produite par les deux parties à
l'audition de la requête, le demandeur ne l'ait convaincue, selon
une preuve prépondérante, que l'exécution par l'autre partie des
actes qu'on cherche à interdire violerait les droits du deman-
deur prévus par la loi. D'après la Cour d'appel, ce que le
demandeur doit prouver, avant même d'aborder la question des
incidences les plus favorables, est uniquement une «présomp-
tion» en ce sens que la conclusion à laquelle en vient la cour en
se fondant sur cette preuve risque d'être modifiée par la suite si
d'autres preuves en diminuent la valeur probante ou établissent
d'autres faits. C'est pour permettre à la Chambre des lords
d'examiner l'existence d'une telle règle de droit que l'autorisa-
tion d'appel a été accordée.
À mon avis, Vos Seigneuries devraient saisir l'occasion de
déclarer qu'une telle règle est inexistante. Des expressions
comme «une probabilité», «une présomption» ou «une forte
présomption», employées relativement à l'exercice du pouvoir
discrétionnaire d'accorder une injonction interlocutoire, créent
de la confusion quant à l'objet de ce recours temporaire. Sans
doute, le tribunal doit être convaincu que la demande n'est ni
futile ni vexatoire, ou, en d'autres termes, que la question à
trancher est sérieuse.
La cour n'a pas, en cet état de la cause, à essayer de résoudre
les contradictions de la preuve soumise par affidavit, quant aux
faits sur lesquels les réclamations de chaque partie peuvent
ultimement reposer, ni à trancher les épineuses questions de
droit qui nécessitent des plaidoiries plus poussées et un examen
plus approfondi. C'est au procès qu'il convient de statuer
là-dessus. La pratique voulant qu'on demande un engagement
relatif aux dommages-intérêts avant d'accorder une injonction
interlocutoire a été introduite en partie parce qu'«elle aide la
cour à atteindre son grand objectif, c'est-à-dire s'abstenir d'ex-
primer une opinion sur le bien-fondé de l'affaire avant l'audi-
tion»: Wakefield v. Duke of Buccleugh (1865) 12 L.T. 628,
629. Ainsi, à moins que la preuve soumise à la cour à l'audition
de la requête en injonction interlocutoire ne réussisse pas à
établir que le demandeur a véritablement• une chance d'avoir
gain de cause dans sa réclamation en vue d'obtenir une injonc-
tion permanente au cours du procès, la cour doit examiner la
question de savoir lequel de l'octroi ou du refus de l'injonction
interlocutoire recherchée aurait les incidences les plus
favorables.
La question devant être tranchée par le tribunal
de première instance dans l'appréciation du bien-
fondé de l'argumentation de l'intimée était donc
celle de savoir si la preuve soumise à la Cour à
l'audition de la requête en injonction interlocutoire
établissait que l'intimée avait véritablement une
chance de faire accepter sa prétention que le
décret en conseil était ultra vires.
2. Ma seconde observation est que, l'injonction
interlocutoire constituant un redressement à carac-
tère discrétionnaire, les cours d'appel seront habi-
tuellement réticentes à intervenir pour annuler les
décisions qui les accordent ou les refusent. Une
cour d'appel doit toutefois intervenir lorsqu'il res-
sort que le tribunal de première instance a fondé sa
décision sur une conception erronée du droit.
3. Ma dernière observation est que la contestation
par l'intimée de la validité du décret en conseil
modifiant la Liste de marchandises d'exportation
contrôlée se fonde sur un seul motif, suivant lequel
ce décret en conseil n'appartient pas à la catégorie
des décrets que le gouverneur en conseil était
habilité à prendre en vertu de l'article 3 de la Loi
sur les licences d'exportation et d'importation. En
appréciant la justesse de cette prétention, l'on
devrait avoir à l'esprit les termes mêmes de l'arti-
cle 3, qui exigent, pour que le décret en conseil soit
valide, non qu'il soit réellement nécessaire aux fins
énumérées dans cet article mais plutôt que le
gouverneur en conseil soit d'opinion que ce décret
est nécessaire pour de telles fins. Dans l'arrêt
McEldowney v. Forde 8 , lord Diplock a dit au sujet
de la validité des dispositions réglementaires adop-
tées en vertu d'une loi habilitante de ce type:
[TRADUCTION] La caractéristique pertinente de la législation
promulguée par pouvoir délégué qui est ainsi décrite dans les
dispositions habilitantes est que la personne à qui est conféré le
pouvoir de l'édicter doit être d'opinion que cette législation
réalisera l'objet décrit dans ces dispositions. Si cette personne
est d'un tel avis, la disposition adoptée est valide. Elle ne peut
être ultra vires et nulle que si cette personne n'est pas d'un tel
avis. L'examen que la cour doit effectuer lorsqu'une législation
promulguée par pouvoir délégué adoptée en vertu de disposi
tions délégatrices de ce type est contestée ne concerne pas la
question de savoir si l'opinion de la personne l'ayant édictée
était justifiée mais celle de savoir si une telle opinion existait.
L'absence d'une telle croyance peut indiquer de la mauvaise foi
de la part de la personne ayant adopté la législation déléguée—
elle a pu, par exemple, utiliser le pouvoir délégué avec l'inten-
tion arrêtée de réaliser une fin autre que celle décrite dans la
disposition délégatrice—mais elle ne le fait pas obligatoire-
ment. La personne concernée a pu commettre honnêtement une
erreur lorsqu'elle a interprété les termes de la loi décrivant
l'objet à réaliser et, pour ce motif, faire défaut de former
l'opinion pertinente. Ces deux motifs sont au nombre de ceux
dont le vicomte Radcliffe, dans l'arrêt Attorney -General for
Canada v. Hallett & Carey Ltd. [1952] A.C. 427, aux pages
444 et 445, a dit qu'ils invalidaient la législation adoptée sous le
régime de dispositions délégatrices portant expressément que la
législation à adopter doit être caractérisée par l'opinion de
l'autorité délégataire que la disposition législative promulguée
par pouvoir délégué réalisera un objet donné. En pratique,
cependant, il est rarement possible de distinguer ces deux
motifs. Le délégataire ne peut normalement être forcé de
dévoiler ses propres processus mentaux, et la cour est impuis-
sante à déclarer la législation promulguée par pouvoir délégué
invalide à moins que, selon les termes utilisés par le vicomte
8 [1971] A.C. 632 (H.L.), à la p. 660.
Radcliffe à la page 450, elle ne soit pas »capable d'être reliée à
une des fins prescrites», si bien que son libellé même donne à
inférer que le délégataire, soit délibérément, soit en interprétant
erronément la Loi, ne peut avoir formé l'opinion pertinente.
Dans l'arrêt Reference re Chemical Regula
tions', la Cour suprême du Canada était appelée à
examiner la validité d'un règlement adopté en
vertu d'une loi habilitante du même type que la loi
en l'espèce qui conférait au gouverneur en conseil
le pouvoir d'adopter les règlements «qu'il peut .. .
juger nécessaires» à la sécurité du pays. Le juge en
chef Duff a tenu les propos suivants 10 , qui ont
subséquemment été cités avec approbation par le
Conseil privé dans l'arrêt Attorney -General for
Canada v. Hallet & Carey Ld. ":
[TRADUCTION] ... lorsque le gouverneur en conseil décrète des
règlements dans l'accomplissement officiel de ses fonctions
légales, je ne puis être d'accord qu'une cour de justice soit
compétente à se pencher sur les considérations qui ont, ou qui
auraient pu le porter à juger que ces règlements étaient néces-
saires ou opportuns pour les fins transcendantes énoncées. Le
pouvoir et la responsabilité de se prononcer sur cette question
sont conférés à ceux qui sont responsables de la sécurité du
pays—c'est-à-dire l'exécutif du gouvernement lui-même—et ce
dernier est, je le répète, comptable devant le Parlement. Ces
termes sont trop explicites pour donner lieu à contestation; les
mesures autorisées sont celles que le gouverneur général en
conseil (et non les tribunaux) juge nécessaires ou opportunes.
À la lumière de cette dernière observation, il est
clair que la question , de savoir si le gouverneur en
conseil a fondé son opinion que le décret en conseil
était nécessaire à la réalisation des objets mention-
nés à l'article 3 sur des éléments d'information
exacts ou trompeurs n'est pas pertinent lorsqu'il
s'agit de statuer sur la validité de ce décret en
conseil. Si le gouverneur en conseil a jugé le décret
en conseil nécessaire à ces fins, il n'importe pas
que son opinion soit juste ou erronée. M. le juge
Muldoon a fondé sa conclusion qu'il existait une
question sérieuse à trancher sur les appréciations
selon lesquelles le gouverneur en conseil avait agi
en se fondant sur des informations trompeuses. Sa
conclusion est donc entachée d'une erreur de droit.
Pour ce motif, la Cour est justifiée en l'espèce
d'intervenir relativement à l'exercice de son pou-
voir discrétionnaire.
L'avocat de l'intimée a soutenu que, même en
admettant que M. le juge Muldoon ait pu faire
9 Reference as to the Validity of the Regulations in relation
to Chemicals, [ 1943] R.C.S. 1.
1 °A la p. 12.
11 [1952] A.C. 427, à la p. 445.
erreur sur le point qui vient d'être discuté, sa
conclusion pouvait être justifiée en vertu d'autres
motifs. Premièrement, a-t-il dit, la demande de
l'intimée a un caractère sérieux parce que celle-ci
pourrait être en mesure d'établir lors du procès
que le gouverneur en conseil a agi de mauvaise foi
en adoptant le décret en conseil pour des fins
autres que celles précisées à l'article 3. Cette pré-
tention, à mon avis, n'est pas fondée. Je ne vois pas
comment, dans une espèce comme celle-ci où le
décret en conseil fait expressément état des fins
pour lesquelles il a été édicté, l'on pourrait prouver
qu'il a été pris pour une fin autre que celle men-
tionnée. À mon avis, la preuve soumise [TRADUC-
TION] «ne réussit pas à établir que le demandeur a
véritablement une chance d'avoir gain de cause»
sur cette question.
Cet avocat a également soutenu que, en tenant
pour acquis que la mauvaise foi du gouverneur en
conseil lui-même ne pourrait être prouvée, il existe
néanmoins une possibilité réelle d'établir, lors du
procès, que le gouverneur en conseil a pris sa
décision en suivant les conseils de fonctionnaires
ou de responsables qui recherchaient des fins
autres que celles autorisées par l'article 3 de la
Loi. Les intentions de ces personnes, selon cet
avocat, doivent être attribuées au gouverneur en
conseil. À l'appui de cette dernière proposition, il a
cité le passage suivant des motifs de jugement
prononcés par le juge Estey dans l'arrêt Procureur
général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et
autre ' 2 :
Il faut, dans l'évaluation de la technique de révision adoptée
par le gouverneur en conseil, tenir compte de la nature même
de ce corps constitué. On ne peut priver l'Exécutif de son droit
d'avoir recours à son personnel, aux fonctionnaires du ministère
concerné, et surtout aux commentaires et aux avis des ministres
membres du conseil, responsables, à ce titre, des questions
d'intérêt public soulevées par la requête, que ces questions
soient de nature économique, politique, commerciale ou autre.
Je dois dire que rien dans ce passage ne me
semble étayer le point de vue de l'avocat de l'inti-
mée que les opinions entretenues et les objectifs
visés par certains ministres particuliers ou leur
personnel devraient ou pourraient être attribués au
gouverneur en conseil. Ce dernier argument de
l'avocat de l'intimée procède, à mon avis, d'une
proposition juridique insoutenable.
12 [1980] 2 R.C.S 735, à la p. 753.
En conséquence, j'accueillerais l'appel, j'annule-
rais l'ordonnance rendue par M. le juge Muldoon
et je rejetterais la requête en injonction interlocu-
toire de l'intimée, le tout avec dépens devant cette
Cour et devant la Division de première instance.
Avant d'en terminer avec la présente question, je
dois mentionner que l'intimée, au début de l'audi-
tion de cet appel, a demandé à la Cour de recevoir
de nouveaux éléments de preuve dans le cadre de
l'appel. La Cour a alors réservé sa décision sur
cette requête. Elle devrait être rejetée. Le nouvel
élément de preuve visé est une étude préparée par
la firme conseil Coopers and Lybrand à la
demande du gouvernement fédéral après le pro-
noncé de l'injonction par M. le juge Muldoon.
Cette étude ne fait que confirmer les éléments de
preuve déjà soumis par l'intimée à l'appui de la
requête en injonction pour établir que le gouver-
neur en conseil a agi en se fondant sur des infor-
mations trompeuses. L'admission de ce nouvel élé-
ment de preuve au dossier ne pourrait servir
aucune fin utile.
LE JUGE HEALD: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE MAHONEY: Je souscris à ces motifs.
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