A-53-87
Rosann Cashin (requérante)
c.
Société Radio-Canada (première intimée)
et
Sidney N. Lederman, J. Gordon Petrie et Muriel
K. Roy, siégeant comme Tribunal d'appel confor-
mément à l'article 42.1(2) de la Loi canadienne
sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, chap.
33 et ses modifications (seconds intimés)
RÉPERToReÉ: CASHeN c. SOCIÉTÉ RADIO-CANADA
Cour d'appel, juges Heald, Mahoney et MacGui-
gan—Halifax, 27 avril; Ottawa, 13 mai 1988.
Droits de la personne — Motif de distinction fondé sur l'état
matrimonial — La SRC a refusé le maintien de l'emploi d'une
journaliste au motif que son mariage à un homme public en
vue lui ferait une réputation de manque d'objectivité — La Loi
permet une distinction fondée sur des exigences professionnel-
les normales — L'identité d'un conjoint particulier n'est pas
comprise dans la notion d'état matrimonial — Toutefois,
l'établissement d'une distinction fondée sur l'adoption du nom
de famille du conjoint constitue un acte discriminatoire — La
présomption voulant que le public ait un préjugé constituait un
critère subjectif — Les éléments de preuve «impressionnistes»
ne suffisent pas à cet égard.
Il s'agit d'une demande sollicitant l'annulation d'une décision
rendue par un tribunal d'appel sous le régime de la Loi
canadienne sur les droits de la personne et recherchant le
rétablissement de la décision de l'arbitre qui avait conclu que la
requérante avait été victime d'un acte discriminatoire de la
SRC fondé sur son état matrimonial. La SRC a refusé de
renouveler le contrat de la requérante après la nomination de
son mari au Conseil d'administration de Petro -Canada, au
motif que l'objectivité de ses reportages pourrait être mise en
doute. La décision de la Commission canadienne des droits de
la personne acceptant la prétention suivant laquelle la nécessité
que le public soit persuadé de l'impartialité de la requérante
constituait une exigence professionnelle normale a été infirmée
au motif que les principes de la justice naturelle n'avaient pas
été observés (Cashin c. Société Radio-Canada, [1984] 2 C.F.
209 (C.A.)). La SRC a soutenu que le tribunal d'appel était
habilité à entendre l'affaire de novo et à infirmer les conclu
sions de l'arbitre puisque l'alinéa 42.1 (6)b) de la Loi cana-
dienne sur les droits de la personne lui conférait le pouvoir de
substituer «ses décisions à celles du tribunal dont la décision fait
l'objet de l'appel». Elle a également soutenu que la requérante
n'avait fait l'objet d'aucun acte discriminatoire puisque la
notion d'état matrimonial vise uniquement les grandes catégo-
ries «marié(e)», «célibataire», «veuf (veuve)» ou «divorcé(e)», et
ne comprend pas l'identité d'un époux. Finalement, elle a
prétendu que l'apparence d'objectivité constitue une exigence
professionnelle normale pour les journalistes et que le public de
Terre-Neuve pourrait considérer que la requérante manque
d'objectivité parce qu'elle est mariée à une personne occupant
un poste public en vue, bien que les éléments de preuve
présentés devant l'arbitre aient établi que la requérante était,
en fait, un reporter objectif.
Arrêt: la demande devrait être accueillie.
La Loi canadienne sur les droits de la personne vise à
décourager la distinction dirigée contre une personne indivi-
duelle non pas en raison de son individualité, mais parce qu'elle
constitue un spécimen d'un groupe identifié par une caractéris-
tique donnée. En conséquence, l'identité d'un conjoint particu-
lier ne peut être comprise dans la notion d'état matrimonial
parce que cette identité est purement individuelle et n'a pas
trait à un aspect de la vie partagé par un groupe. Toutefois,
comme le choix d'un nom de mariage par une femme au
moment de son mariage devient un accessoire indissociable de
l'état matrimonial lorsqu'autorisé par la législation provinciale,
la politique apparente de la SRC de traiter différemment les
femmes qui adoptent le nom de leur mari constitue une discri
mination fondée sur une caractéristique de groupe plutôt que
sur une caractéristique individuelle. La responsabilité d'un
employeur est engagée à moins qu'il n'établisse que l'acte posé
ressortit à l'exception des exigences professionnelles normales
prévue à l'alinéa 14a). Pour déterminer si la réputation d'objec-
tivité devait constituer une exigence professionnelle justifiée,
l'arbitre a appliqué le critère énoncé par la Cour suprême du
Canada dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la
personne et autres c. Municipalité d'Etobicoke, [1982] 1
R.C.S. 202, selon lequel les éléments de preuve simplement
«impressionnistes» n'étaient pas suffisants. Une présomption de
préjugé du public fondée sur ce que ce dernier était présumé
savoir du reporter constitue un critère entièrement subjectif.
L'arbitre a conclu que la requérante s'était conformée à la
politique journalistique de la SRC visant l'objectivité en
matière de reportage, et que l'existence d'une exigence profes-
sionnelle justifiée n'avait pas été établie. L'appréciation d'une
preuve d'expert faite par le juge des faits ne doit être infirmée
qu'en conformité avec le principe énoncé dans l'arrêt Stein et
autres c. Le navire «Kathy K», [1976] 2 R.C.S. 802, selon
lequel il doit exister une erreur manifeste et dominante.
Le juge Mahoney: La preuve a révélé l'existence de nom-
breux cas dans lesquels la SRC a employé à des postes en vue
de la radio ou de la télévision des personnes qu'elle savait soit
être mariées à des politiciens soit entretenir des rapports inti-
mes avec des politiciens. Il en ressort que l'exigence de l'appa-
rence d'objectivité a été appliquée à la requérante de manière
entièrement subjective.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C.
1976-77, chap. 33, art. 2a), 7, 10, 14, 42.1(1),(6)b).
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap.
10, art. 28.
JURISPRUDENCE
DECISION APPLIQUÉE:
Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2
R.C.S. 84; 40 D.L.R. (4th) 577, qui a infirmé l'arrêt
Brennan c. La Reine, [1984] 2 C.F. 799 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Fraser c. Commission des relations de travail dans la
Fonction publique, [1985] 2 R.C.S. 455; (1985), 63 N.R.
161; 23 D.L.R. (4th) 122; Derreck v. Strathroy (1985), 8
O.A.C. 206.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Cindy Bossi v. Township of Michipicoten and K.P. Zurby
(1983), 4 C.H.R.R. D/1252; Rosemary Mark v. Porcu
pine General Hospital and Arthur Moyle (1985), 6
C.H.R.R. D/2538; Re Caldwell and Stuart et al. (1982),
132 D.L.R. (3d) 79 (C.A.C.-B.), confirmé dans Caldwell
et autre c. Stuart et autres, [1984] 2 R.C.S. 603; [1985]
1 W.W.R. 620; Air Canada c. Bain, [1982] 2 C.F. 341
(1982), 40 N.R. 481 (C.A.); Air Canada c. Carson,
[1985] 1 C.F. 209 (C.A.); Commission ontarienne des
droits de la personne et autres c. Municipalité d'Etobi-
coke, [1982] 1 R.C.S. 202; N.V. Bocimar S.A. v. Century
Insurance Co. of Canada, [1987] 1 R.C.S. 1247; (1987),
76 N.R. 212; Commission ontarienne des droits de la
personne et O'Malley c. Simpsons Sears Ltd. et autres.,
[1985] 2 R.C.S. 536; 64 N.R. 161; 23 D.L.R. (4th) 321.
DÉCISIONS CITÉES:
Lor- Wes Contracting Ltd. c. La Reine, [1986] 1 C.F.
346; (1985), 60 N.R. 321 (C.A.); Crupi c. Commission
de l'Emploi et de l'Immigration du Canada, [1986] 3
C.F. 3; (1986), 66 N.R. 93 (C.A.).
AVOCATS:
Ronald A. Pink et Kimberley H. W. Turner
pour la requérante. -
Ian F. Kelly pour la SRC intimée.
James M. Hendry pour la Commission cana-
dienne des droits de la personne.
PROCUREURS:
Patterson, Kitz, Halifax, pour la requérante.
Curtis, Dawe, St. John's (Terre-Neuve), pour
la SRC intimée.
Commission canadienne des droits de la per-
sonne, Ottawa, pour la Commission cana-
dienne des droits de la personne.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: Je souscris entièrement
aux motifs du jugement rédigés en l'espèce par
mon collègue le juge MacGuigan, que j'ai eu
l'avantage de lire, ainsi qu'au dispositif qu'il pro
pose relativement à la présente demande. Qu'il me
soit seulement permis de faire état de certains
autres cas mentionnés dans la preuve, dont il est
permis de penser qu'ils auraient pu soulever une
question relative à l'objectivité apparente si cette
qualité avait réellement été une exigence profes-
sionnelle légalement justifiée.
Peut-être par réticence à consigner dans un
document public les relations personnelles d'autres
personnalités des médias pouvant éventuellement
constituer des sujets ou des sources de nouvelles, ni
le tribunal ni le tribunal d'appel n'ont mentionné
certains éléments de preuve non contestés qui, à
mon avis, appuient d'une part la conclusion que la
discrimination en l'espèce était fondée sur l'état
matrimonial de la requérante, et non simplement
sur le fait que Rosann Cashin était mariée à une
personne en particulier, et d'autre part la conclu
sion du tribunal, infirmée par le tribunal d'appel,
que la version de l'objectivité apparente de RC ne
satisfaisait pas au critère établi par la Cour
suprême du Canada dans l'affaire Commission
ontarienne des droits de la personne et autres c.
Municipalité d'Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202, à
l'égard de l'exigence professionnelle réelle. Je me
propose de le faire en décrivant simplement des
situations que RC a tolérées, sans nommer les
personnes concernées mais en faisant référence au
dossier en l'espèce pour le cas où un autre tribunal
aurait à examiner le présent jugement. De plus, je
mentionnerai uniquement les rapports personnels
de personnes employées par RC dans la diffusion
de l'information, sans parler des personnes
employées pour exprimer des opinions ou des per-
sonnes employées par d'autres diffuseurs d'infor-
mation. Tous les renvois ont trait au dossier du
tribunal, l'appendice I du dossier d'appel en
l'espèce.
Une co-animatrice d'une émission nationale
d'information télévisée est décrite comme la [TRA-
DUCTION] «personne accompagnant régulière-
ment» un [TRADUCTION] «stratège conservateur
clé oeuvrant à l'arrière-plan> qui, en fait, a récem-
ment été directeur national de ce parti (volume 7,
à la page 1157). Une reporter affectée aux ques
tions nationales est l'épouse d'un [TRADUCTION]
«activiste politique bien connu> et dirigeant d'un
élément radical du Nouveau Parti Démocratique
(volume 3, à la page 457). L'épouse d'un corres-
pondant national et chef du bureau parlementaire
pour la radio est directrice des communications
pour le chef de l'opposition (volume 3, aux pages
458 et 497; volume 8, à la page 1323). Un repor-
ter/réalisateur d'une émission télévisée d'informa-
tion diffusée nationalement est marié à la secré-
taire de presse d'un premier ministre (volume 3, à
la page 501; volume 8, à la page 1329). Avant ce
mariage, la secrétaire de presse en question avait
été liée à un autre reporter de nouvelles travaillant
pour la télévision (volume 8, à la page 1334). Un
premier correspondant du service d'informations
télévisées a une relation avec l'adjointe à la législa-
tion d'un premier ministre (volume 3, à la page
502, volume 8, à la page 1329).
Toutes ces relations sont bien connues de la
direction de RC. Il en ressort que l'exigence de
l'apparence d'objectivité a effectivement été invo-
quée de la manière entièrement subjective décrite
par Donna Logan, le cadre de RC qui a témoigné
pour la direction de cet organisme. M. le juge
MacGuigan a cité un passage exprimant l'essentiel
de sa déposition sur ce point.
Dans tous les rapports entre personnes mariées
ou non qui viennent d'être décrits, les personnes
concernées ne partageaient pas le même nom de
famille. La plus grande partie des auditeurs ou
téléspectateurs n'étaient probablement pas au cou-
rant des relations entretenues, et en conséquence,
suivant les normes de RC, il n'a jamais été mis en
doute que ses employés communiquant des infor-
mations sur les ondes donnent l'apparence de l'ob-
jectivité même si les titres des postes d'au moins
certains des partenaires de ces communicateurs
suggèrent que ces derniers étaient activement inté-
ressés à influencer le contenu et la présentation de
l'information et qu'il entrait peut-être même dans
leurs attributions de le faire.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN: La requérante, une
rédactrice/communicatrice de radio travaillant
pour la première intimée à Terre-Neuve, s'est vu
refuser le maintien de son emploi par cette
employeuse en septembre 1981 au motif que son
mari Richard Cashin, un homme public en vue de
Terre-Neuve, avait été nommé au conseil d'admi-
nistration de Petro -Canada.
Initialement, la Commission canadienne des
droits de la personne («la Commission») a rejeté sa
plainte alléguant discrimination sous le régime de
la Loi canadienne sur les droits de la personne
[S.C. 1976-77, chap. 33] («la Loi»), mais, suite à
la décision rendue par cette Cour dans l'affaire
Cashin c. Société Radio-Canada, [1984] 2 C.F.
209, sa plainte a été renvoyée devant un arbitre
unique (Susan Ashley) siégeant en qualité de tri
bunal des droits de la personne, qui a conclu, dans
une décision en date du 25 novembre 1985, que
l'acte posé par la première intimée appliquait un
motif de distinction fondé sur l'état matrimonial
contrairement aux articles 7 et 10 de la Loi, sans
être légitimé par des exigences professionnelles
justifiées * conformément à l'article 14.
Ces articles de la Loi étaient libellés de la
manière suivante:
7. Constitue un acte discriminatoire le fait
a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un
individu, ou
b) de défavoriser un employé,
directement ou indirectement, pour un motif de distinction
illicite.
10. Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'em-
ployeur ou l'association d'employés
a) de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite, ou
b) de conclure des ententes, touchant le recrutement, les
mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation,
l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un
emploi présent ou éventuel
pour un motif de distinction illicite, d'une manière susceptible
d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu
ou d'une catégorie d'individus.
14. Ne constituent pas des actes discriminatoires
a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions,
conditions ou préférences de l'employeur qui démontre qu'ils
sont fondés sur des exigences professionnelles normales;
* Note du traducteur: La version française de l'article 14
utilisée dans cette décision est celle qui figure à S.C. 1980-81-
82-83, chap. 143, art. 7.
L'arbitre a donc ordonné à la première intimée
d'offrir à la requérante de la réintégrer dans son
poste antérieur ou dans un poste semblable aussi-
tôt que possible, de payer à la requérante une
indemnité pour perte de salaire dont le montant
serait déterminé par les parties (ou, à défaut par
celles-ci d'en arriver à une entente, le montant que
fixerait à cet égard le tribunal) et de payer à la
requérante la somme de 2 500 $ pour l'indemniser
du préjudice moral découlant de l'acte discrimina-
toire dont elle avait été victime.
La première intimée a interjeté appel de cette
décision et un tribunal d'appel (les seconds inti-
més), dans une décision en date du 23 janvier
1987, a accueilli son appel. La requérante attaque
présentement la décision de ce tribunal d'appel sur
le fondement de l'article 28 de la Loi sur la Cour
fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10].
I
La première question soulevée est celle des pou-
voirs que détient le tribunal d'appel relativement
au tribunal initial. L'article 42.1 de la Loi est ainsi
libellé:
42.1 (1) La Commission ou les parties peuvent interjeter
appel de la décision ou de l'ordonnance rendue par un tribunal
de moins de trois membres en signifiant l'avis prescrit par
décret du gouverneur en conseil aux personnes qui ont reçu
l'avis prévu au paragraphe 40(1), dans les trente jours du
prononcé de la décision ou de l'ordonnance.
Dans l'arrêt Brennan c. La Reine, [1984] 2 C.F.
799 (C.A.), à la page 819, une décision qui a été
infirmée par l'arrêt Robichaud c. Canada (Conseil
du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84; 40 D.L.R. (4th)
577, pour des motifs étrangers aux premiers, le
juge en chef Thurlow a écrit au nom de la majorité
de cette Cour:
Il ne fait aucun doute que, dans une situation de ce genre où la
preuve portée à la connaissance du tribunal d'appel est exacte-
ment la même que celle dont disposait le tribunal des droits de
la personne, le premier doit, conformément aux principes bien
connus, adoptés et appliqués dans Stein et al. c. Le navire
.Kathy K», ([1976] 2 R.C.S. 802; 62 D.L.R. (3d) 1), accorder
tout le respect qui convient à l'opinion du tribunal des droits de
la personne quant aux faits, en raison particulièrement de
l'avantage qu'a eu ce dernier de pouvoir évaluer la crédibilité
des témoins puisqu'il les a vus et entendus. Toutefois, cela dit,
le tribunal d'appel avait néanmoins le devoir d'examiner la
preuve et de substituer sa propre conclusion sur les faits s'il
était convaincu que la conclusion du tribunal des droits de la
personne était entachée d'une erreur évidente ou manifeste.
Les motifs dissidents (à la page 841) ont présumé
que ce même critère était applicable sans trancher
cette question.
La première intimée a soutenu que, indépen-
damment de la question de savoir si le tribunal
d'appel avait entendu une preuve supplémentaire,
le pouvoir de ce tribunal de substituer «ses déci-
sions . à celles du tribunal dont la décision fait
l'objet de l'appel» [paragraphe 42.1(6)] lui permet-
tait effectivement de procéder à une audition de
novo. Toutefois, mise à part l'autorité de l'arrêt
Robichaud, il me semble qu'une telle interpréta-
tion ne devrait être donnée à l'article 42.1 que si
elle exprime l'intention claire du Parlement, puis-
que le droit applicable tient fortement à ce que les
conclusions de fait ressortissent au tribunal qui a
entendu les témoins. L'intention du Parlement,
selon mon interprétation, semble en fait être que
l'audition ne soit menée comme une audition de
novo que dans le cas où le tribunal d'appel reçoit
des éléments de preuve ou des témoignages addi-
tionnels. Dans les autres cas, il devrait être lié par
les conclusions du tribunal antérieur en vertu du
principe énoncé dans l'arrêt Kathy K.
Les conclusions de l'arbitre doivent donc être
maintenues à moins qu'elle n'ait commis une
erreur manifeste et dominante.
II
La présente affaire a été débattue en tenant pour
acquis que la requérante avait fait l'objet d'un acte
discriminatoire, le cas échéant, non pas en raison
de son mariage comme tel mais parce qu'elle était
mariée à un homme public en particulier. La
seconde question qui se pose est donc, celle de
savoir si l'identité d'un époux est comprise dans le
concept d'état matrimonial, le fondement du motif
de distinction illicite allégué en l'espèce. Les deux
tribunaux ont été d'accord pour dire que cette
identité est comprise dans ce concept, mais leurs
conclusions sur ce point ont été contestées devant
cette Cour par la première intimée.
L'argument invoqué par la première intimée
veut que l'on doive d'abord examiner le sens évi-
dent, ordinaire et naturel des termes utilisés; en
l'espèce, ceux-ci exprimeraient l'état [TRADUC-
TION] «marié ou non marié» ou un état relatif au
mariage tel ceux désignés par les catégories [TRA-
DUCTION] «célibataire», «marié(e)», «veuf(veuve)»
ou «divorcé(e)».
Un bon nombre de décisions ont été citées à
l'appui de cette prétention, en particulier la déci-
sion rendue 'dans l'affaire Cindy Bossi v. Township
of Michipicoten and K.P. Zurby (1983), 4
C.H.R.R. D/1252, aux pages D/1253 et D/1254
(le professeur Martin L. Friedland, parlant au
nom d'une commission d'enquête de l'Ontario),
dans laquelle la commission saisie de l'affaire a
conclu:
[TRADUCTION] La question clé de la présente instance vise
l'étendue des termes «état matrimonial». Cette expression n'est
pas définie dans l'ancienne Loi. Devrait-elle être confinée à
l'état matrimonial du conjoint à qui un poste est refusé, ou son
application devrait-elle être étendue aux espèces comme la
présente affaire, dans laquelle on a refusé d'engager une per-
sonne parce qu'elle était mariée à une personne en particulier?
Le premier sens est plus naturel à l'expression «état matrimo
nial» et la Loi de 1981 donne une telle définition à ces termes,
stipulant que cette expression désigne le «fait d'être marié,
célibataire, veuf, divorcé ou séparé. La présente définition
inclut le fait de vivre avec une personne du sexe opposé dans
une union conjugale hors des liens du mariage.» (Les souligne-
ments sont ajoutés.)
À l'appui de son refus d'adopter une telle inter-
prétation, la Commission intervenante a également
cité plusieurs décisions, y compris une décision
subséquente d'une commission ontarienne refusant
de suivre le point de vue adopté dans l'affaire
Bossi, la décision Rosemary Mark v. Porcupine
General Hospital and Arthur Moyle (1985), 6
C.H.R.R. D/2538, à la page D/2541 (le professeur
Peter A. Cumming, parlant au nom d'une commis
sion d'enquête de l'Ontario), dans laquelle la com
mission concernée a déclaré:
[TRADUCTION] 21038 Dans l'affaire Cindy Bossi v. Township
of Michipicoten and K.P. Zurby ... la plaignante s'est vu
refuser un emploi de commis dans un bureau de ce canton
parce que son mari était alors employé par la police du canton.
21039 Le président Friedland a semblé considérer que l'inter-
diction de la discrimination fondée sur l'«état matrimonial» qui
est stipulée à l'article 4 du Ontario Human Rights Code,
R.S.O. 1980 vise uniquement le refus d'employer la plaignante
fondé sur le seul fait que celle-ci est mariée, mais ne vise pas la
discrimination fondée sur son mariage à une personne détermi-
née (dans cette espèce, un agent de police). Il était également
d'avis, dans une remarque incidente, que la définition d'«état
matrimonial» donnée à l'alinéa 9g) du nouveau Code limite
expressément le sens de ce motif à celui que lui attribue la
première interprétation, qui est plus étroite (la décision Bossi,
précitée, à la page D/I254, par. 10914). Avec déférence, je ne
puis souscrire à un tel point de vue.
21040 II me semble que le fait que la discrimination envisagée
soit fondée sur l'«état matrimonial» d'un plaignant en considé-
ration de son mariage avec une personne particulière plutôt que
sur le seul état matrimonial de ce plaignant ne devrait pas
entrer en ligne de compte. L'employeur qui refuserait d'em-
ployer une personne de race noire à cause de ses vues racistes à
l'égard de cette personne particulière, tout en permettant à
d'autres personnes de race noire de travailler pour lui, enfrein-
drait à la fois l'ancien et le nouveau Code. De la même
manière, si un employeur pratique la discrimination à l'égard
d'une personne parce que celle-ci est mariée à une personne
particulière, la personne particulière qu'il a lésée est, à mon
avis, victime d'une discrimination illégale même s'il ne se rend
pas coupable de discrimination contre les personnes mariées en
général. L'«état matrimonial» (c'est-à-dire le fait «d'être
marié») de la personne qui porte plainte est un élément essen-
tiel, ou une cause efficiente immédiate, du refus de l'engager.
Si la plaignante dans l'affaire Bossi n'avait pas été mariée au
policier en question mais l'avait simplement compté parmi ses
connaissances, elle n'aurait pas été rejetée en raison de son «état
matrimonial. Si le raisonnement tenu par la commission dans
l'affaire Bossi était que, essentiellement, la plaignante avait été
rejetée en raison de ce que l'on avait jugé être un conflit
d'intérêts, il demeure que la question de ce conflit d'intérêts n'a
été soulevée qu'en raison de son «état matrimonial,. A mon
avis, la décision rendue dans l'affaire Bossi sur ce point est
entachée d'erreur. (Toutefois, la Commission a également jugé
à partir des faits de cette affaire que l'on pouvait opposer une
défense fondée sur des qualifications professionnelles justifiées
conformément au paragraphe 4(6) de l'ancien Code, et elle a
débouté la plaignante sur tous les points sur le fondement de
cette seule conclusion.)
21041 Mon interprétation trouve un appui dans une autre
décision récente. Dans l'affaire Mabel Monk y. C.D.E. Hol
dings Ltd., Dakota I.G.A. and Dennis Hi/iman, (1983) 4
C.H.R.R. D/1381 (Manitoba, le président Paul S. Teskey), il
avait été mis fin à l'emploi de la plaignante parce qu'elle était
mariée à une personne déterminée, un actionnaire de la société
employeuse s'opposant à cette société dans un différend d'ordre
juridique. Après un examen minutieux de la jurisprudence, la
commission a conclu que la définition de l'expression «family
status» (état familial) du paragraphe 1(1) de la Human Rights
Act du Manitoba, C.C.S.M. chap. H 175, comprend la discrimi
nation fondée sur le fait qu'une personne déterminée est le
conjoint ou l'enfant de l'individu concerné (à la page D/1384,
aux par. 11900, 11904). Certaines décisions américaines ont
également adopté l'interprétation plus large de l'expression
«marital status» («état matrimonial»). Voir Kraft, /nc. v. State
of Minnesota (1979) 284 N.W. 2d 386 (S.C. Minn.); Thomp-
son y. Board of Trustees School Dist. (1981) 627 P. 2d 1229
(Sup. Ct. Montana); comparer à Yuhas y. Libby-Owens-Ford
Co. (1977) 562 Fed. Rep. 2d 496 (U.S.C.A.; 7th Cir.) (ces
décisions sont toutes citées dans l'arrêt Bossi, à la page D/1254,
par. 10915).
21042 J'appuierais l'interprétation que je viens de donner à
l'expression «état matrimonial» comme motif de distinction
illicte sur les règles ordinaires de l'interprétation générale des
lois. Toutefois, je pourrais ajouter qu'une règle générale d'inter-
prétation des dispositions législatives concernant les droits de la
personne veut que celles-ci, étant correctives, soient interprétées
d'une façon libérale qui permette la réalisation d'un tel objet.
Ces décisions mises à part, les arguments pré-
sentés de part et d'autre sont analogiques, et cette
Cour reste libre de se prononcer sur la question
puisqu'elle n'a pas été tranchée par la Cour
suprême dans l'arrêt Caldwell et autre c. Stuart et
autres, [1984] 2 R.C.S. 603; [1985] 1 W.W.R.
620.
À mon avis, une interprétation littérale favorise-
rait la première intimée. Normalement, l'expres-
sion état matrimonial ne désigne rien d'autre que
le fait d'être [TRADUCTION] «marié ou non marié»,
elle n'est pas considérée comme englobant l'iden-
tité et les caractéristiques du conjoint. Telle est
l'opinion exprimée par le juge d'appel Seaton au
nom de la Cour d'appel de la Colombie-Britanni-
que dans l'affaire Re Caldwell and Stuart et al.
(1982), 132 D.L.R. (3d) 79, à la page 88, une
décision qui a été confirmée par la C.S.C. sur le
fondement de motifs différents, dans le jugement
prémentionné, où une enseignante catholique avait
épousé un divorcé dans une cérémonie civile con-
trairement aux règles de l'Église:
[TRADUCTION] À mon sens, la religion dont parle l'art. 8(2)
signifie la religion en soi et ne s'étend pas à une cause fondée
sur la religion. Donc la question qui se posait à la commission
d'enquête au sujet de l'art. 8(2)a) était de savoir si Mme
Caldwell n'a pas été rembauchée uniquement parce qu'elle était
catholique. De même, l'état matrimonial signifie l'état matri
monial en soi et la question à laquelle la commission d'enquête
devait répondre était de savoir si Mme Caldwell n'a pas été
rembauchée uniquement parce qu'elle s'était mariée.
Cette Cour, dans l'arrêt Air Canada c. Bain,
[1982] 2 C.F. 341; (1982), 40 N.R. 481, a égale-
ment donné une interprétation étroite à l'expres-
sion état matrimonial.
Naturellement, un tribunal doit toujours abor-
der une telle question en procédant à une étude
que j'ai qualifiée d'examen des termes dans leur
contexte global (Lor-Wes Contracting Ltd. c. La
Reine, [1986] 1 C.F. 346, à la page 352; (1985),
60 N.R. 321 (C.A.), à la page 325; Crupi c.
Commission de l'Emploi et de l'Immigration du
Canada, [1986] 3 C.F. 3, à la page 31; (1986), 66
N.R. 93 (C.A.), à la page 109). Lorsque la ques
tion est abordée d'une telle manière, la requérante
se trouve avantagée par le statut «quasi constitu-
tionnel» des dispositions législatives relatives aux
droits de la personne, qui a récemment encore été
réitéré par la Cour suprême du Canada dans l'ar-
rêt R. c. Mercure, [ 1988] 1 R.C.S. 234, aux pages
267 et 268. Ce statut presque constitutionnel
appelle certainement une interprétation large des
dispositions législatives relatives aux droits de la
personne. Comme la Cour l'a dit dans l'affaire
Commission ontarienne des droits de la personne
et O'Malley c. Simpsons Sears Ltd. et autres,
[1985] 2 R.C.S. 536, la page 547; (1986), 64
N.R. 161, à la page 173; 23 D.L.R. (4th) 321, la
page 329, en discutant de l'interprétation à donner
à un code des droits de la personne: «Il appartient
aux tribunaux d'en rechercher l'objet et de le
mettre en application.»
L'objet de la Loi est énoncé à l'alinéa 2a) alors
en vigueur, dont voici le libellé:
2....
a) tous ont droit, dans la mesure compatible avec leurs
devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des
chances d'épanouissement, indépendamment des considéra-
tions fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la
couleur, la religion, l'âge, le sexe, la situation de famille ou
l'état de personne graciée ou, en matière d'emploi, de leurs
handicaps physiques;
Il est important de noter que le principe énoncé
dans cet alinéa selon lequel l'égalité des chances ne
doit pas être entravée n'offre pas de garantie abso-
lue contre la discrimination dans la vie, mais offre
une protection contre certaines formes particuliè-
res de discrimination qui ont en commun d'être
fondées sur une appartenance à un groupe quel-
conque, que ce soit un groupe naturel tels ceux qui
sont fondés sur la race et la couleur, ou encore une
association choisie librement telles celles dont
découle l'état matrimonial. Ainsi ai-je interprété
cette disposition législative de la manière suivante
dans l'arrêt Air Canada c. Carson, [ 1985] 1 C.F.
209 (C.A.), à la page 239:
Comme le prouve l'article 2 de la Loi canadienne sur les
droits de la personne, le Parlement a pris une décision fonda-
mentale en donnant préférence aux droits des individus sur les
valeurs sociales concurrentes. Cette préférence n'est pas abso-
lue ... Cependant, les tribunaux doivent absolument faire en
sorte que l'existence d'exceptions beaucoup trop larges ne
vienne porter atteinte à l'intention première du Parlement de
permettre que les personnes soient jugées principalement au
mérite plutôt qu'en tant que membres d'un groupe. [Les souli-
gnements sont ajoutés.]
Afin de permettre aux individus d'être traités
comme tels plutôt qu'en tant que membres des
groupes auxquels ils appartiennent, le Parlement a
[TRADUCTION] «pénalisé» certaines catégories
d'étiquetage fondées sur l'appartenance à certains
groupes fondamentaux. La politique s'opposant à
l'établissement de catégories fondées sur les carac-
téristiques reconnues à divers groupe permettra,
selon le Parlement, aux personnes individuelles
d'être considérées individuellement plutôt que
comme de simples échantillons des groupes fonda-
mentaux auxquels elles peuvent appartenir.
À mon avis, cette façon de voir ressort égale-
ment de la décision rendue par cette Cour dans
l'affaire Robichaud, susmentionnée, sur la ques
tion de savoir si le harcèlement sexuel constituait
de la discrimination sexuelle. Le litige à trancher
dans cette affaire s'y trouve décrit de la manière
suivante: lorsque l'auteur d'un acte discriminatoire
n'agit que contre une seule femme au lieu d'agir
contre plusieurs d'entre elles au hasard, peut-on
dire qu'il y a eu pratique discriminatoire fondée
sur la catégorie générale que constitue le sexe? La
Cour a conclu que tel était le cas, puisque la
victime faisait l'objet d'attentions malvenues préci-
sément en raison de ses caractéristiques sexuelles
personnelles (à la page 840):
Il ne s'agissait pas d'une distinction illicite posée au hasard et
ne visant personne en particulier. C'est plutôt en raison des
aspects distinctifs de sa sexualité que M'e Robichaud en fut la
victime.
En fin de compte, ce que la Loi vise à découra-
ger, c'est la distinction dirigée contre une personne
individuelle non pas en raison de son individualité,
mais parce qu'elle constitue un spécimen d'un
groupe identifié par une caractéristique donnée.
En conséquence, l'identité d'un conjoint particulier
ne peut être comprise dans la notion d'état matri
monial parce que cette identité est purement indi-
viduelle et n'a pas trait à un aspect de la vie
partagé par un groupe. Il me semble toutefois
qu'une règle générale proscrivant l'embauchage
des conjoints des employés peut très bien relever
de l'état matrimonial précisément parce qu'étant
donné son caractère général, elle peut imposer une
catégorie générale ou une catégorie relative à un
groupe. Comme dans l'affaire Mark ou dans les
décisions américaines qui s'y trouvent suivies, ce
n'est pas un conjoint particulier qui est visé mais
tout conjoint de toute personne alors employée. Le
point de vue que j'adopte se situerait peut-être
entre l'interprétation large et l'interprétation
étroite susmentionnées.
III
En l'espèce, une discrimination a-t-elle été prati-
quée sur le fondement de l'état matrimonial au
sens qui vient d'être donné à cette expression? Tel
n'était pas le fondement sur lequel l'un ou l'autre
tribunal ont tranché la présente affaire, et pas
davantage celui sur lequel celle-ci a été initiale-
ment débattue devant cette Cour par les parties.
Néanmoins, si l'arbitre a adopté l'interprétation la
plus large du concept de l'état matrimonial, elle a
également conclu qu'une discrimination avait été
pratiquée en se fondant sur des considérations plus
particulières (Dossier d'appel, appendice I, volume
15, la page 2541):
[I]I semble que, d'après la preuve, celle-ci n'a pas été traitée de
la même façon qu'une célibataire se trouvant dans la même
situation. D'après la preuve, le noeud du problème était le fait
que Rosann Cashin était mariée avec Richard Cashin. Si elle
avait été liée à lui dans le cadre d'une autre relation que le
mariage ou s'ils avaient été divorcés, il n'y aurait probablement
pas eu de problèmes. Les propos suivants ont été échangés
(page 874):
[TRADUCTION]
(W Pink) Q. Disons qu'elle change de nom et que l'in-
tonation de sa voix ne soit plus la même,
avez-vous toujours un problème?
(M. Reynolds) R. Si elle est toujours mariée avec Richard
Cashin, j'ai un problème..
D'après le critère énoncé dans Bain, c'est exactement dans un
tel cas que l'on peut dire qu'il y a discrimination fondée sur
l'état matrimonial. Une personne mariée est traitée de façon
différente d'un célibataire, dans des circonstances identiques.
Bien que, ainsi que l'a soutenu la première
intimée, l'extrait des notes sténographiques choisi
par l'arbitre puisse s'interpréter différemment une
fois replacé dans son contexte, il existe également
d'autres éléments de preuve appuyant sa conclu
sion, en particulier certains passages du témoi-
gnage de Donna Logan, la directrice des program
mes d'information au réseau radio de
Radio-Canada (A.M. et stéréo) (Dossier d'appel,
appendice I, volume 8, à la page 1333):
[TRADUCTION] II est nécessaire qu'une forme de contrôle soit
exercée, et je crois que le facteur qui détermine la nature d'un
tel contrôle est tout d'abord la question de savoir si la personne
visée est bien connue, si son mariage à l'autre personne concer-
née est notoire; entre alors en jeu la question de savoir si la
femme utilise le nom de son mari ...
Et encore (ibid., volume 9, à la page 1372):
[TRADUCTION] Je constate maintenant que l'autre personne
concernée n'a pas le même nom de famille. À votre avis,
s'agit-il là d'un facteur devant être pris en considération dans
l'examen de tels rapports?
R. Oui, naturellement c'est un facteur. C'est une façon pour
une femme d'avoir une image distincte de celle de son mari. La
raison pour laquelle on agit ainsi est bien connue dans cette
industrie.
Dans l'arrêt Four B Manufacturing Ltd. c. Tra-
vailleurs unis du vêtement d'Amérique et autre,
[1980] 1 R.C.S. 1031, aux pages 1047 et 1048, le
juge Beetz a relié au statut d'Indien «des droits si
intimement liés au statut d'Indien qu'ils devraient
en être considérés comme des accessoires indisso-
ciables comme, par exemple, la possibilité d'être
enregistré, la qualité de membre d'une bande, le
droit de participer à l'élection des chefs et des
conseils de bande, les privilèges relatifs à la
réserve, etc.» De même manière, les accessoires
indissociables de l'état matrimonial doivent être
reliés à celui-ci d'une façon qui justifie l'octroi de
la même protection que la Loi accorde à l'état
matrimonial lui-même.
À mon avis, cette Cour peut prendre connais-
sance d'office du fait que la plupart des provinces,
sinon toutes les provinces, ont au cours des derniè-
res années légitimé pour les femmes mariées la
possibilité d'utiliser soit leur nom de jeune fille soit
le nom de famille de leur mari (bien qu'au moins
une province exige le maintien du nom de famille
original). Le choix d'un nom de mariage par une
femme au moment de son mariage devient, lors-
qu'autorisé par la loi, un accessoire indissociable
de l'état matrimonial.
S'il est devenu évident lors de l'audition tenue
devant l'arbitre qu'aucune ligne de conduite écrite
n'a été établie par la première intimée au sujet des
conjoints des employés, il ne ressort pas moins
clairement du témoignage de Donna Logan que la
ligne de conduite que l'on considérait être en
vigueur établissait une distinction défavorable à
l'égard des femmes mariées qui adoptaient le nom
de famille de leur mari. A mon avis, il s'agit là
d'un acte discriminatoire fondé sur un accessoire
primordial de l'état matrimonial. La discrimina
tion ainsi exercée a trait à un groupe plutôt qu'à
un individu. Ainsi, prima facie, une telle'distinc-
tion défavorable tendant à nuire aux chances
d'emploi constitue précisément un acte discrimina-
toire au sens à la fois de l'article 7 et de l'article 10
de la Loi, de sorte que la responsabilité de l'em-
ployeur est engagée à moins qu'il n'établisse que
l'acte posé ressortit à l'exception des exigences
professionnelles normales prévue à l'alinéa 14a) de
la Loi.
IV
Les arrêts de principe concernant l'alinéa 14a) de
la Loi sont la décision rendue dans l'affaire Com
mission ontarienne des droits de la personne et
autres c. Municipalité d'Etobicoke, [1982] 1
R.C.S. 202; 132 D.L.R. (3d) 14, par la Cour
suprême du Canada et l'arrêt Air Canada c.
Carson, susmentionné, qui a été prononcé par
notre Cour.
La prétention de la première intimée est qu'elle
est justifiée de craindre que les auditeurs de Terre-
Neuve puissent considérer que la requérante
manque d'objectivité dans ses reportages sur les
questions relatives aux ressources en raison du
poste important occupé par son mari dans cette
industrie. Il est donc soutenu que l'objectivité
apparente est une exigence professionnelle normale
pour le personnel œuvrant dans le journalisme.
L'arbitre a accepté le point de vue soutenu par
la première intimée relativement au critère de la
bonne foi (Dossier d'appel, appendice I, volume
15, la page 2548):
Si j'applique les critères Etobicoke et Carson au cas de
Rosann Cashin, je n'ai aucune difficulté à conclure qu'au sens
subjectif, l'exigence de la mise en cause concernant la réputa-
tion d'objectivité a été établie, selon les mots employés dans
l'arrêt Etobicoke, «honnêtement, de bonne foi et avec la convic
tion sincère que cette restriction est imposée en vue d'assurer la
bonne exécution du travail». Les employés d'État que la mise en
cause a fait comparaître étaient crédibles et sincères et, selon
toute apparence, ils étaient animés par le désir de réaliser des
émissions d'actualité de la meilleure qualité possible.
Cette conclusion a été acceptée par le tribunal
d'appel et n'a pas été contestée devant cette Cour.
En ce qui regarde l'élément objectif du critère
énoncé dans l'arrêt Etobicoke, l'arbitre, qui a suivi
l'arrêt Carson, a examiné dans les termes suivants
le caractère nécessaire et le caractère raisonnable
de l'exigence professionnelle alléguée comme justi-
fiée (ibid., à la page 2549 et s.):
Pour tenter de déterminer si la réputation d'objectivité est
une exigence professionnelle valable, nous devons d'abord étu-
dier les conditions et responsabilités du poste de communica-
teur à Radio-Canada. Une exigence professionnelle justifiée
doit être non seulement raisonnable, mais nécessaire en toute
raison à l'exercice du poste.
La mise en cause a cité plusieurs témoins qui ont déposé à
propos des normes que doivent respecter les communicateurs de
Radio-Canada. La plaignante et la mise en cause ne s'enten-
dent pas relativement au critère à appliquer: la première pré-
tend qu'il faut suivre un critère «équitable et pondéré» tandis
que la seconde considère que la «réputation d'objectivité» est le
critère approprié ...
Un énoncé de politique de Radio-Canada intitulé «Politique
journalistique» (pièce R-5) établit les normes et politiques qui
doivent être suivies dans toute une série de situations. Plusieurs
parties du manuel traitent des responsabilités des journalistes,
notamment à l'égard des conflits d'intérêt et des qualités
d'équité ...
Tous les témoins de la mise en cause au service de Radio-
Canada à St. John's admettent que les reportages de Rosann
Cashin à la Section info-ressources satisfaisaient à tous les
critères, que ceux-ci soient décrits par les mots «équitable et
pondéré» ou «équitable et rigoureux» ou toute autre expression
employée dans le manuel de politique. Jusqu'au moment où
Rosann Cashin a effectivement cessé de travailler à Radio-
Canada lors de la grève de mai 1981, la Société n'avait reçu
aucun commentaire négatif relativement à ses reportages. Au
contraire, la plaignante a reçu deux prix pour son travail de
reporter .... [T]ous s'entendent pour dire que l'objectivité ou
l'impartialité réelles de la plaignante ne sont pas le noeud du
litige.
La mise en cause a soulevé d'autres points. Même si Rosann
Cashin avait une réputation de journaliste responsable et équi-
table, de sorte qu'elle remplissait apparemment les conditions
établies dans la «Politique journalistique», la Société allègue
qu'elle devait remplir une exigence supplémentaire, celle d'être
tenue pour objective par le public ...
L'acceptation de la «réputation d'objectivité» comme exi-
gence professionnelle justifiée soulève certains problèmes.
Ainsi, cette réputation est presque impossible à mesurer. Si un
employeur n'a aucun moyen objectif de connaître l'opinion de
l'auditoire, il lui est impossible de juger si cette opinion est
positive ou négative. Il semble qu'aucun des moyens usuels
servant à évaluer la réaction de l'auditoire ne permet de
mesurer avec succès ou précision l'idée que le public se fait de
l'objectivité d'un reporter ...
Dans son manuel, la Société décrit souvent des situations que
les communicateurs doivent éviter pour ne pas entacher leur
crédibilité ou objectivité, et elle reconnaît à l'évidence que
l'objectivité est un facteur d'une importance particulière pour la
réputation tant du reporter que de Radio-Canada. (Dans sa
politique, la Société a prévu un chapitre précis concernant
l'«équilibre des opinions».) Mais l'énoncé de politique officiel de
Radio-Canada ne contient aucune règle sur la réputation d'ob-
jectivité. Malgré tout, il impose «de rigoureux critères d'exacti-
tude, d'équité, d'équilibre et d'impartialité».
Il importe de signaler combien il est difficile de mesurer la
réputation d'objectivité. Si les relevés d'appels, les réactions des
personnes interviewées ou les cotes d'écoute n'indiquent pas
qu'un communicateur manque réellement ou apparemment
d'objectivité, comment l'employeur jugera-t-il que l'objectivité
de son employé peut être mise en doute? En l'espèce, l'em-
ployeur a jugé, en se fondant non pas sur des preuves, mais sur
une réaction instinctive, que l'auditoire pourrait conclure au
manque d'objectivité de Rosann Cashin. Dans l'arrêt Etobi-
coke, la Cour suprême du Canada a affirmé que des éléments
de preuve «impressionnistes» ne suffisaient pas pour étayer une
exigence professionnelle justifiée. En l'occurrence, j'estime que
les seules preuves de la Société étaient des preuves impression-
nistes. Les réalisateurs ont appris que Richard Cashin avait été
nommé au conseil d'administration de Petro -Canada et, sans
s'informer de la nature, de la durée ou des modalités de la
nomination, sans avoir parlé à l'intéressé, sans avoir demandé à
Rosann Cashin si son rôle serait modifié du fait de la nomina
tion ou sans avoir demandé de directives à la direction de la
Société concernant la politique à suivre dans un tel cas, ils ont
présumé, en raison du lien matrimonial unissant Richard et
Rosann Cashin, non pas que l'objectivité de la plaignante serait
contestée, mais que le public pourrait tenir celle-ci en discrédit.
Je ne suis pas persuadée qu'une «réputation d'objectivité» est,
en soi, une exigence raisonnablement nécessaire du poste de
communicateur. Si un reporter a la réputation de manquer
d'objectivité, cette réputation peut être fondée sur des facteurs
qui ne concernent aucunement son objectivité réelle. Par exem-
ple, nous avons appris au cours des témoignages que, selon les
facteurs de réalisation utilisés, une personne peut sembler
malhonnête ou sournoise ... L'auditoire peut conclure au
manque d'objectivité d'un reporter en s'appuyant sur des préju-
gés ou des stéréotypes concernant certaines catégories de gens.
Par exemple, s'il était prouvé que l'auditoire de Terre-Neuve
estime que les reporters de sexe féminin sont malhonnêtes ou
manquent d'objectivité, je ne suis pas convaincue qu'un
employeur pourrait, pour cette seule raison, refuser d'en enga-
ger si rien ne prouve qu'ils sont vraiment malhonnêtes ou
subjectifs.
S'il est possible de dire qu'une réputation de subjectivité peut
n'avoir aucun fondement et que le reporter en cause effectue
son travail avec la même excellence, comment pourrions-nous
dire qu'une réputation d'objectivité est raisonnablement néces-
saire à l'exécution du travail si la qualité de celui-ci est
constante? Manifestement, une telle exigence ne s'applique pas
au travail si celui-ci est objectif, équitable, exact et équilibré.
J'en conclus que l'exigence d'une réputation d'objectivité ne
satisfait pas aux normes objectives qui caractérisent le critère
des exigences professionnelles justifiées.
D'autres facteurs pourraient être considérés comme des exi-
gences professionnelles justifiées applicables aux communica-
teurs et, à mon avis, l'objectivité ou l'équité et l'équilibre des
reportages en sont des exemples. Dans diverses parties de la
politique journalistique, il est question d'information «impar-
tiale, exacte, complète et équilibrée» (page 1), des règles jour-
nalistiques à suivre, qui sont l'exactitude, l'intégrité, l'équité et
l'intégralité (pages 7 et 8), de reportages réalisés avec discerne-
ment et équité (page 8) et de la communication des nouvelles
«dans le respect des normes d'équité, d'exactitude et d'intégrité»
(page 17). Je n'ai entendu aucun élément de preuve démontrant
que Rosann Cashin n'avait pas suivi les politiques que la
Société avait elle-même établies dans son énoncé officiel de
politique sur les règles journalistiques.
Je conclus que la mise en cause n'a pas prouvé l'existence
d'une exigence professionnelle justifiée au sens de l'article 14.
En choisissant la conclusion opposée à celle qui
précède, c'est-à-dire en concluant que l'apparence
d'objectivité est une exigence professionnelle justi-
fiée dans le domaine de la radiodiffusion, le tribu
nal d'appel s'est appuyé fortement sur l'arrêt
Fraser c. Commission des relations de travail
dans la Fonction publique, [1985] 2 R.C.S. 455, à
la page 470; (1985), 63 N.R. 161, à la page 178;
23 D.L.R. (4th) 122, à la page 133, où la Cour
suprême a conclu qu'«un fonctionnaire ne doit pas,
comme l'a fait l'appelant en l'espèce, attaquer de
manière soutenue et très visible des politiques
importantes du gouvernement». Ce tribunal s'est
également appuyé sur la décision rendue dans
l'affaire Derreck v. Strathroy (1985), 8 O.A.C.
206, à la page 211, dans laquelle une cour division-
naire de l'Ontario a décidé, dans le contexte d'une
relation entre un père et sa fille, que [TRADUC-
TION] «une relation aussi étroite donne lieu à une
appréhension raisonnable de préjugé». Après avoir
examiné la preuve présentée, le tribunal d'appel a
conclu (Dossier d'appel, volume 1, à la page 33):
Nous fondant sur ces témoignages, nous ne pouvons pas
souscrire à l'opinion de la présidente Ashley voulant que l'appa-
rence d'objectivité est subordonnée, chez un commentateur, à
l'objectivité qu'il démontre dans les faits. L'association n'est
pas nécessairement automatique. Qu'il s'agisse de fonctionnai-
res, comme dans l'affaire Fraser, ou de conseillers municipaux,
comme dans le cas Derreck, ou encore de présentateurs à
Radio-Canada, les exigences quant à leur intégrité à l'égard du
public veulent non seulement qu'ils soient objectifs, mais qu'ils
le paraissent. Nous devons donc conclure que l'apparence d'ob-
jectivité est une qualité liée à l'emploi et que son imposition par
la SRC est raisonnable.
Comme je l'ai déjà indiqué, le tribunal d'appel
ne serait justifié d'infirmer les conclusions de l'ar-
bitre que si cette dernière avait commis une erreur
manifeste et dominante ayant faussé son apprécia-
tion des faits. À mon avis, c'est plutôt le tribunal
d'appel qui a commis de telles erreurs.
L'affaire Fraser doit, à mon avis, être distinguée
de l'espèce non seulement pour le motif que le
tribunal d'appel a lui-même reconnu (à la page 28)
que «M. Fraser, à la différence de Mmc Cashin,
s'est trouvé dans une situation compromettante par
suite de sa propre conduite» mais, de façon plus
importante, parce que la conduite visée dans l'af-
faire Fraser était la critique du gouvernement du
Canada comme employeur, et que la Cour a consi-
déré que la tradition particulière de la Fonction
publique voulait qu'il existe un «intérêt du public
vis-à-vis de l'impartialité réelle et apparente de la
Fonction publique» (aux pages 470 R.C.S.; 178
N.R.; 134 D.L.R.). Je crois qu'il est impossible
d'extrapoler et d'appliquer une règle fondée sur de
tels faits à la situation très différente présentée en
l'espèce.
Le tribunal d'appel peut avoir eu raison de tirer
l'analogie qu'il a tirée avec l'affaire Derreck, mais
la règle énoncée dans cet arrêt a trait à une
appréhension raisonnable de préjugé plutôt qu'à
une présomption de préjugé de la part du public.
Le premier critère est à mon point de vue un
critère objectif fondé sur le caractère raisonnable
de l'appréhension envisagée. Le second est un cri-
tère subjectif fondé sur une simple supposition
faite par l'employeur au sujet de la manière dont le
public réagit ou réagira vraisemblablement.
Il ressort clairement de la déposition de Donna
Logan que ce qui inquiétait la première intimée, ce
n'était pas une appréhension raisonnable de pré-
jugé appréciée selon le point de vue qui lui était
propre, mais la réaction subjective du public
fondée sur ce que ce dernier était présumé savoir
du reporter (document précité, à la page 1328):
[TRADUCTION] R. Eh bien, cela dépend du degré de célé-
brité de la personne visée, puisque le problème se pose lorsqu'il
surgit dans l'esprit du spectateur ou de l'auditeur; et si la
personne envisagée n'est pas très connue, si elle n'a pas un rôle
de premier plan, si elle ne participe pas véritablement aux
événements en cours, alors la question de l'apparence d'objecti-
vité ne nous pose pas de problème, puisque nous tenons pour
acquis que Mary Lou est une professionnelle et peut faire son
ouvrage.
Q. La question qui se pose est donc celle de savoir à quel
point la situation est visible et connue?
R. C'est exact.
Un tel critère me semble être un critère entière-
ment subjectif que ne valide aucun élément objec-
tif. Selon l'expression populaire, ce n'est pas
comme çà que les choses doivent marcher.
Une certaine confusion a pu être engendrée par
l'argument de l'avocat de la requérante selon
lequel l'objectivité en journalisme ne peut être
mesurée qu'une fois la diffusion terminée ou, à
tout le moins, qu'une fois l'enregistrement du
reportage complété pourla diffusion. À mon avis,
une telle interprétation est beaucoup trop littérale.
Selon moi, un employeur doit avoir le droit de
poser certains jugements préalables en se fondant
sur des appréciations objectives. La preuve ne
révèle aucune telle appréciation en l'espèce.
Si nous ajoutons à cela le récent avertissement
lancé par la Cour suprême aux organismes d'appel
dans l'arrêt N.V. Bocimar S.A. c. Century Insu
rance Co. of Canada, [1987] 1 R.C.S. 1247;
(1987), 76 N.R. 212, où il est dit que ces derniers
ne doivent rejeter l'appréciation d'une preuve d'ex-
pert faite par le juge des faits qu'en conformité
avec le principe énoncé dans l'arrêt Kathy K, nous
sommes, selon moi, liés par l'opinion de l'arbitre
sur les faits selon laquelle la première intimée «n'a
pas prouvé l'existence d'une exigence profession-
nelle justifiée au sens de l'article 14».
Pour avoir gain de cause dans un tel cas, le
diffuseur doit soit présenter une meilleure preuve
que celle en l'espèce, soit, plus vraisemblablement,
se fonder sur des normes plus adéquates que celles
dont il a été fait état.
V
En conséquence, j'accueillerais la demande fondée
sur l'article 28, j'annulerais la décision du tribunal
d'appel et je rétablirais la décision de l'arbitre en
date du 4 décembre 1985 en accordant les redres-
sements qui s'y trouvent prescrits.
LE JUGE HEALD: Je souscris à ces motifs.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.