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A-81-87
Joseph John Kindler (requérant - appelant)
c.
M. John Crosbie, ministre de la Justice, procureur général du Canada (intimé - intimé)
RÉPERTORIÉ: KINDLER c. CANADA (MINISTRE DE L4 JUSTICE) (C.A.)
Cour d'appel, juges Pratte, Marceau et Huges- sen—Montréal, 10 novembre; Ottawa, 20 décem- bre 1988.
Droit constitutionnel Charte des droits Procédures criminelles et pénales Décision du ministre de livrer aux autorités américaines un individu déclaré coupable de meurtre
Probabilité que la peine de mort soit prononcée et appliquée
Défaut d'obtenir des garanties en conformité avec l'art. 6 du Traité d'extradition que la peine de mort ne sera pas appliquée L'art. 12 de la Charte qui prévoit que chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités s'applique-t-il si la violation qui serait portée à la Charte était commise à l'extérieur du Canada? La peine de mort est-elle une peine cruelle et inusité?
Droit constitutionnel Charte des droits Vie, liberté et sécurité Décision du ministre de livrer aux autorités améri- caines un individu déclaré coupable de meurtre Probabilité que la peine de mort soit prononcée La décision du ministre ne porte pas atteinte à l'art. 7 de la Charte qui prévoit que chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne et qu'il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale La décision n'est pas fondamentalement injuste puisque l'art. 7 prévoit expressément qu'on peut porter atteinte au droit à la vie pourvu que les principes de justice fondamentale soient respectés.
Extradition Décision du ministre de livrer aux autorités américaines un individu déclaré coupable de meurtre Pro- babilité que la peine de mort soit prononcée et appliquée Le ministre devait-il obtenir la garantie, prévue à l'art. 6 du Traité d'extradition, que la peine de mort ne serait pas appli- quée compte tenu de l'art. 12 de la Charte? L'art. 12 s'applique-t-il si la violation qui serait portée à la Charte était commise à l'extérieur du Canada? La peine de mort constitue-t-elle une peine cruelle et inusité?
Il s'agit d'un appel d'une décision de la Division de première instance qui a refusé d'accorder un bref de certiorari contre la décision du ministre de livrer Kindler aux autorités américaines sans tenter d'obtenir les garanties que la peine de mort ne serait pas prononcée ni appliquée. Kindler a été déclaré coupable de meurtre en Pennsylvanie. Le jury a prononcé la sentence de mort mais Kindler s'est échappé avant que la sentence soit imposée et a été arrêté au Canada. Le ministre a ordonné son extradition aux États-Unis après qu'une demande en ce sens eut été présentée et que les étapes «judiciaires» de la procédure prévue dans la Loi sur l'extradition eurent été complétées. S'il est extradé, Kindler risque d'être condamné à la peine de mort et la sentence risque d'être exécutée. Le ministre a-t-il le pouvoir discrétionnaire de ne pas tenter d'obtenir les garanties
prévues à l'article 6 du Traité compte tenu de la garantie prévue à l'article 12 de la Charte selon laquelle chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusi- tés? Cette question se divise en deux: (I) l'article 12 s'applique- t-il lorsque la violation qui serait portée à la Charte serait commise à l'extérieur du Canada? (2) la peine de mort consti- tue-t-elle en soi une peine cruelle et inusitée?
Arrêt (le juge Hugessen dissident): l'appel devrait être rejeté.
Le juge Pratte: La décision du ministre a porté atteinte au droit de l'appelant à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne. Selon l'article 7 de la Charte, la décision devrait être prise en conformité avec les principes de justice fondamentale qui ne sont pas restreints à des règles de procédure. Une décision fondamentalement injuste peut également violer l'arti- cle 7. La décision du ministre n'était pas fondamentalement injuste parce que même si l'appelant pouvait être privé du droit à la vie, l'article 7 reconnaît expressément qu'il peut être porté atteinte au droit à la vie d'une personne en conformité avec les principes de justice fondamentale.
La décision ne portait pas atteinte à l'article 12 qui reconnaît à chacun le droit à la protection contre les peines cruelles et inusitées. La peine de mort n'est pas cruelle et inusitée parce que l'article 7 de la Charte reconnaît expressément qu'une personne peut être privée du droit à la vie en conformité avec les principes de justice fondamentale. Enfin, l'article 12 régit les actes des autorités canadiennes mais non ceux des pays étrangers.
Le juge Marceau: La peine capitale n'est pas forcément cruelle et inusité au sens de l'article 12 de la Charte. Bien que les termes «cruel et inusité» aient été interprétés d'une manière souple pour répondre aux normes changeantes de la décence, la notion de base à laquelle ils se rapportent est demeurée stable. Une peine peut être cruelle et inusité (I) soit parce qu'elle inflige une douleur inutile (2) soit parce qu'elle est dispropor- tionnée en regard de la gravité du crime commis. La peine capitale ne comporte pas une douleur inévitable plus impor- tante aujourd'hui qu'il y a douze ans lorsqu'elle a été abolie au Canada. Le fait qu'il y ait eu un vote au Parlement en 1987 sur le rétablissement de la peine de mort indique que les normes de la société n'ont pas changé au point la peine capitale pourrait maintenant sembler disproportionnée à la gravité du
crime. -
Le pouvoir discrétionnaire que l'article 6 du Traité confère au ministre pourrait être transformé en un devoir obligatoire seulement si la peine de mort était per se une peine cruelle et inusitée. Compte tenu des trois arrêts récents de la Cour suprême du Canada sur l'application de la Charte en matière d'extradition, les autorités canadiennes devraient se préoccuper de la façon dont le fugitif sera traité dans son pays une fois extradé. La façon dont un fugitif risque d'être traité s'il est extradé ne peut obliger le ministre à refuser de l'extrader que si la peine est en soi contraire à l'article 12 de la Charte. Les tribunaux ont le droit de réviser la décision de l'exécutif d'extrader mais ils doivent exercer ce droit «avec prudence». Pour qu'un tribunal intervienne, il ne suffit pas que la situation qui attend le fugitif dans son pays ne soit pas entièrement conforme aux prescriptions de la Charte. Il est nécessaire que la
situation »choque suffisamment la conscience» et soit «simple- ment inacceptable» sans égard au contexte canadien.
Le juge Hugessen (dissident): L'article 12 de la Charte peut soulever une question qui peut être soumise à l'attention des tribunaux lorsque la violation qui serait portée à la Charte serait commise par un gouvernement étranger. L'extradition est le point de rencontre traditionnel entre les droits privés de l'individu et les droits publics d'un état étranger. Elle comporte l'application du droit canadien par les tribunaux et gouverne- ments canadiens qui ne peuvent fermer les yeux sur les consé- quences de l'extradition d'un fugitif. Un traitement ou une peine infligés par un État étranger et qui porteraient atteinte à l'article 12 parce que cruels et inusités créeraient une situation qui serait «simplement inacceptable» aux yeux des Canadiens.
L'application du critère formulé dans l'arrêt R. c. Smith pour déterminer s'il y a violation de l'article 12 de la Charte donne le résultat suivant: (1) le seul but pénal valide que la peine capitale peut prétendre servir est de rendre le contreve- nant exécuté incapable de répéter son crime; (2) la peine capitale ne relève d'aucun principe reconnu dans la détermina- tion de la sentence; et (3) puisqu'il existe une autre mesure valide, réalisable et acceptable elle est exagérément dispropor- tionnée. La peine capitale est donc cruelle et inusitée au sens de l'article 12 de la Charte. Permettre au ministre d'extrader l'appelant pour qu'il soit condamné à la peine capitale serait inacceptable en vertu de notre constitution. Le ministre n'avait pas d'autre choix que celui de tenter d'obtenir les garanties prévues à l'article 6 du Traité.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Bill of Rights, 1688 (R.-U.), Will & Mary, chap. < 2. Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. I1 (R.-U.), art. 7, 12, 32.
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34.
Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appen- dice III, art. 2b).
Loi de 1972 modifiant le Code criminel, S.C. 1972, chap. 13.
Loi sur l'extradition, S.R.C. 1970, chap. E-21.
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52. Traité d'extradition entre le Canada et les États-Unis
d'Amérique, 3 déc. 1971, [1976] R.T. Can. 3,
art. 6.
U.S. Constitution, Amend. VIII.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Canada c. Schmidt, [1987] I R.C.S. 500; Argentine c. Mellino, [1987] I R.C,S. 536; États-Unis c. Allard, [1987] 1 R.C.S. 564.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Miller et autre c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 680 confir- mant (sub nom. R. v. Miller and Cockriell) (1975), 63 D.L.R. (3d) 193 (C.A.C.-B.); Gregg v. Georgia, 428 U.S.
153 (1976); R. c. Smith, [1987] 1 R.C.S. 1045; Kindler c. MacDonald, [1987] 3 C.F. 34.
DÉCISIONS CITÉES:
Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486; Vézeau c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 277; Altun v. Germany (1983), 5 E.H.R.R. 611.
AVOCATS:
Julius H. Grey et Stella Bush pour le requérant-appelant.
Douglas Rutherford, c.r. et Suzanne Mar- coux-Paquette, c.r. pour l'intimé-intimé.
PROCUREURS:
Grey, Casgrain, Biron, Montréal, pour le requérant-appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé-intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: J'ai eu l'avantage de lire les motifs rédigés par mon collègue le juge Hugessen. Avec égards quant à son opinion, je suis incapable de partager sa conclusion.
Il est reconnu que la décision du ministre de la Justice d'extrader un fugitif en application de la
Loi sur l'extradition [S.R.C. 1970, chap. E-21] doit être conforme aux exigences de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)]. La Cour suprême du Canada a dis- sipé tout doute qui pouvait exister à cet égard dans trois arrêts rendus récemment, Canada c.
Schmidt', Argentine c. Mellino 2 et États-Unis c. Allard'. Il pourrait être utile d'avoir à l'esprit certains passages de l'opinion du juge La Forest dans ces arrêts.
Voici ce qu'il a dit à ce sujet dans l'arrêt Schmidt (aux pages 520 et suivantes):
Il ressort nettement de ce que j'ai déjà dit que je suis loin de croire à l'inapplicabilité de la Charte en matière d'extradition. La livraison d'une personne à un pays étranger peut évidera-
' [ 1987] 1 R.C.S. 500.
2 [ 1987] I R.C.S. 536.
3 [ 1987] 1 R.C.S. 564.
ment mettre en jeu plusieurs droits garantis par la Charte. Dans l'arrêt Rauca, précité, par exemple, la Cour d'appel de l'Ontario a reconnu que l'extradition empiète sur le droit de demeurer au Canada reconnu à chaque citoyen par l'art. 6, quoiqu'elle ait également conclu que les avantages de la procé- dure qui empêche les malfaiteurs de se soustraire à la justice et qui est d'ailleurs largement adoptée dans le monde, suffisent pour justifier l'extradition en tant que limite raisonnable au sens de l'article premier de la Charte. Bien que Schmidt soit citoyenne canadienne, l'art. 6 n'a pas été invoqué en l'espèce, sans doute parce que son avocat a cru, comme moi, que ce point a été tranché à bon droit dans l'affaire Rauca. Il ne résulte cependant pas du fait que l'extradition est généralement justi fiable que la manière dont les procédures se déroulent au Canada et les conditions dans lesquelles s'effectue la livraison d'un fugitif ne peuvent jamais faire l'objet d'un examen en vertu de la Charte. On doit reconnaître la prééminence de la Constitution; le traité, l'audience d'extradition au Canada et l'exercice par l'exécutif de son pouvoir discrétionnaire d'extra- der un fugitif doivent tous se conformer aux exigences de la Charte, y compris aux principes de justice fondamentale.
Je souligne dès le départ que la livraison d'un fugitif à un pays étranger peut faire l'objet d'un examen en vertu de la Charte, bien que cette livraison relève principalement de l'exer- cice du pouvoir discrétionnaire de l'exécutif. Dans l'arrêt Ope ration Dismantle Inc. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441, le juge Dickson (maintenant Juge en chef) a affirmé catégoriquement que «l'exécutif du gouvernement canadien [a] l'obligation d'agir conformément aux préceptes de la Charte» (p. 455) et que «les tribunaux [sont] fondés à connaître de différends [même] d'une nature politique ou mettant en cause la politique étrangère» (p. 459); voir aussi les propos du juge Wilson, à la p. 464.
Je ne doute pas non plus que dans certaines situations le traitement que l'État étranger réservera au fugitif extradé, que ce traitement soit ou non justifiable en vertu des lois de ce pays-là, peut être de telle nature que ce serait une violation des principes de justice fondamentale que de livrer un accusé dans ces circonstances. À ce propos, il suffit de se référer à une affaire portée devant la Commission européenne des droits de l'homme, Altun v. Germany (1983), 5 E.H.R.R. 611, dans laquelle il a été établi que des poursuites dans le pays requérant pourraient comprendre le recours à la torture. Il est fort possible que se présentent des cas bien moins graves la nature des procédures criminelles dans un pays étranger ou des peines prévues choque suffisamment la conscience pour qu'une décision de livrer un fugitif afin qu'il y subisse son procès constitue une atteinte aux principes de justice fondamentale consacrés dans l'article 7 ...
Je m'empresse cependant d'ajouter que, selon moi, il n'est pas injuste de livrer à un pays étranger une personne accusée d'y avoir commis un crime pour qu'elle y soit jugée en confor- mité de son système judiciaire simplement parce que ce dernier diffère sensiblement du nôtre et comporte des mécanismes différents. Le processus judiciaire d'un pays étranger ne doit pas être soumis à des évaluations minutieuses en fonction des règles applicables aux voies judiciaires canadiennes. Un sys- tème judiciaire n'est pas, par exemple, foncièrement injuste, en fait, sur le plan pratique, il peut être aussi juste que le nôtre, parce qu'il repose sur un mode d'enquête auquel la présomption d'innocence est étrangère ou, d'une manière générale, parce que
ses mesures protectrices en matière de procédure ou de preuve n'ont pas la même rigueur que celles de notre système.
La question à trancher est de savoir si, dans les circonstances particulières de l'espèce, l'extradition d'un fugitif en vue de son procès va à l'encontre des exigences fondamentales de la justice.
Le juge La Forest s'est exprimé de la façon sui- vante dans l'arrêt Mellino (aux pages 557 et 558):
Ce ne sont pas seulement les actes des fonctionnaires cana- diens relativement aux procédures d'extradition qui font l'objet d'un contrôle en vertu de la Charte car, comme je l'ai fait remarquer dans l'arrêt Schmidt, précité, l'exercice par l'exécu- tif du pouvoir discrétionnaire d'extrader un fugitif en fait également l'objet. J'ai toutefois souligné dans le même arrêt que cette compétence doit s'exercer avec la plus grande circons- pection de manière à respecter la position prééminente de l'exécutif en matière de relations extérieures. Les tribunaux peuvent intervenir si la décision d'extrader un fugitif en vue de son procès dans un pays étranger allait, dans les circonstances particulières, à l'encontre des principes de justice fondamentale. Mais, comme je l'ai déjà dit, ce n'est nullement une entorse à ces principes que de livrer une personne afin qu'elle soit jugée pour un crime qu'on lui reproche d'avoir commis dans un pays étranger en l'absence de circonstances exceptionnelles.
Enfin, dans l'arrêt Allard, le juge La Forest a écrit la page 572):
Comme je l'ai expliqué dans les arrêts Schmidt et Me/lino, précités, le seul fait d'extrader, en vertu d'un traité, une personne accusée d'avoir commis un crime dans un autre pays pour qu'elle y soit jugée selon la procédure ordinaire applicable dans ce pays n'est pas, en soi, une atteinte à la justice fonda- mentale, en particulier quand on a établi devant un tribunal canadien que les faits en cause constitueraient un crime au Canada s'ils avaient eu lieu ici. Pour en arriver à la conclusion que l'extradition des intimés porterait atteinte aux principes de justice fondamentale, il faudrait démontrer que les intimés feraient face à une situation qui est simplement inacceptable.
La décision prise par le ministre intimé d'extra- der l'appelant a certainement porté atteinte au droit de l'appelant à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne. Il s'ensuit qu'en applica tion de l'article 7 de la Charte cette décision ne devait être prise «qu'en conformité avec les princi- pes de justice fondamentale».
Selon le premier argument de l'avocat de l'appe- lant, le juge de première instance [[1987] 2 C.F. 145 (ire inst.)] a commis une erreur en rejetant sa prétention que le ministre intimé, en décidant d'ex- trader l'appelant, a suivi une procédure qui n'était pas conforme aux exigences de l'équité et de la justice fondamentale. Comme l'indique le juge Hugessen, l'avocat s'est fait dire à l'audience que la Cour trouvait son argument mal fondé.
Toutefois, comme tout le monde le sait depuis l'arrêt de la Cour suprême dans le Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B. 4 , les principes de justice fondamentale auxquels l'article 7 de la Charte renvoie ne sont pas restreints à des règles de procédure. Une décision conforme aux règles de procédure peut donc violer l'article 7 si elle est par ailleurs fondamentalement injuste. C'est en ce sens, comme le juge La Forest l'a affirmé dans les extraits que j'ai reproduits, que la décision d'un ministre d'extrader un fugitif dans un pays il serait torturé pourrait être perçue comme fonda- mentalement injuste et violant l'article 7.
Dans ce contexte, il est clair qu'on ne peut qualifier de fondamentalement injuste la décision rendue par le ministre en l'espèce. Le seul fait qui pourrait être invoqué à l'appui du contraire est que par suite de la décision de l'intimé l'appelant pour- rait être exécuté en application de la sentence de mort qui sera vraisemblablement prononcée contre lui. En d'autres termes, l'appelant pourra être privé du «droit à la vie» par suite de la décision de l'intimé. Cependant, ce résultat n'est pas contraire aux principes de justice fondamentale au sens de l'article 7 puisque cet article reconnaît expressé- ment qu'on peut porter atteinte au droit à la vie d'une personne en conformité avec les principes de justice fondamentale. Par conséquent, le fait d'être privé du droit à la vie n'est pas en soi contraire aux principes de justice fondamentale.
L'avocat de l'appelant a cependant soutenu que la décision de l'intimé portait atteinte à l'article 12 de la Charte qui reconnaît à chacun le droit «à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités». Selon l'avocat, la peine de mort est une peine cruelle et inusitée et, selon lui, il s'ensuit que la décision de l'intimé d'extrader l'appelant viole le droit que l'article 12 reconnaît à celui-ci.
Je ne partage pas cette prétention.
Premièrement, il m'est impossible d'affirmer que la peine capitale est en soi une peine cruelle et inusitée que l'article 12 de la Charte interdit alors que l'article 7 de cette même Charte reconnaît expressément qu'une personne peut être privée du droit à la vie en conformité avec les principes de justice fondamentale.
4 [ 1985] 2 R.C.S. 486.
Deuxièmement, l'article 12, comme d'autres articles de la Charte, restreint la marge de manoeuvre des autorités canadiennes mais ne régit pas les actes des pays étrangers. En décidant d'ex- trader un fugitif dans un pays étranger pour qu'il y subisse son procès et y reçoive une peine en confor- mité avec les lois de ce pays à l'égard d'une infraction commise là-bas, on ne peut, à mon avis, affirmer que le ministre canadien de la Justice le soumet à un traitement ou à une peine cruelle et inusitée. Et ce, même dans les cas le fugitif pourrait, en application des lois du pays étranger, subir une peine cruelle et inusitée au sujet d'un crime commis là-bas dont on le soupçonne être l'auteur. En effet, dans ces cas, la peine contestée serait imposée par un pays étranger plutôt que par les autorités canadiennes.
Je rejetterais l'appel avec dépens.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU: J'ai eu l'avantage de lire les motifs de mon collègue le juge Hugessen qui arrive à la conclusion que cet appel devrait être accueilli. À son avis, le juge de première instance a commis une erreur en refusant d'accorder un redressement, sous forme d'un bref de certiorari ou autre, contre la décision du ministre de la Justice de livrer l'appelant Kindler aux autorités américaines sans tenter d'obtenir ou sans obtenir la garantie «que la peine de mort ne sera pas infligée ou, si elle l'est, ne sera pas appliquée» comme le prévoit l'article 6 du Traité d'extradi- tion entre le Canada et les Etats-Unis d'Amérique [3 déc. 1971, [1976] R.T. Can. 3]. 5 À son avis, le ministre n'avait d'autre pouvoir discrétionnaire ni d'autre choix que celui de tenter d'obtenir et d'obtenir ces garanties, parce que extrader l'appe-
5 Que je reproduis encore pour plus de commodité:
ARTICLE 6
Lorsque l'infraction motivant la demande d'extradition est punissable de la peine de mort en vertu des lois de l'État requérant et que les lois de l'État requis n'autorisent pas cette peine pour une telle infraction, l'extradition peut être refusée à moins que l'État requérant ne garantisse à l'État requis, d'une manière jugée suffisante par ce dernier, que la peine de mort ne sera pas infligée ou, si elle l'est, ne sera pas appliquée.
Tant en l'absence de celles-ci serait simplement inacceptable en vertu de notre Constitution, la peine capitale étant cruelle et inusitée au sens de l'article 12 de la Charte. J'arrive à une conclusion différente et je dois, avec égards, exprimer mon désaccord quant à l'opinion de mon collègue. Le sujet dont il est question ici est tellement difficile et controversé et a suscité tellement de discussions qu'il serait possible d'écrire plusieurs pages à l'ap- pui de la position que l'on voudrait soutenir à cet égard. Je pense toutefois que, pour expliquer mon opinion aujourd'hui, il me suffira de me référer brièvement aux principaux éléments du débat en énonçant deux propositions sur lesquelles je m'ap- puie entièrement.
1. La première proposition est qu'on ne peut affirmer que la peine capitale, peu importe la façon dont elle est imposée et pour quel crime, est forcément cruelle et inusitée au sens de l'article 12 de la Charte.
En 1976, en confirmant une décision rendue à la majorité par la Cour d'appel de la Colombie-Bri- tannique, la Cour suprême dans l'arrêt Miller et autre c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 680, a conclu que les dispositions sur la peine de mort qui se trouvaient encore dans le Code criminel [S.R.C. 1970, chap. C-34] peu de temps auparavant ne constituaient pas une peine cruelle et inusitée qui allait à l'encontre de l'alinéa 2b) de la Déclaration canadienne des droits [S.R.C. 1970, Appendice III]. La même année, la Cour suprême des Etats- Unis dans l'arrêt Gregg v. Georgia, 428 U.S. 153 (1976), a réitéré sa position antérieure que la peine de mort n'était pas en soi une peine cruelle et inusitée qui allait à l'encontre du Huitième amen- dement de la Constitution américaine. Quelques années se sont écoulées depuis et, au Canada, la Charte avec son article 12 est devenue une partie de la constitution du pays, mais je ne peux voir pour quelle raison on pourrait arriver à une con clusion différente dans l'un ou l'autre des pays.
Je n'oublie évidemment pas que dans les deux pays les termes «cruel et inusité» n'ont pas reçu un sens littéral et figé. Ils ont été interprétés d'une manière souple et active pour répondre aux normes changeantes de la décence. Mais en aucun temps a-t-on laissé entendre que la notion de base à laquelle se rapporte l'expression n'était pas stable: une peine peut être cruelle et inusité soit parce que
la douleur inutile ou la dégradation qu'elle com- porte la rend ainsi de façon inhérente et absolue soit parce que son caractère disproportionné en regard de la gravité du crime commis la rend ainsi. La peine capitale n'est pas en soi plus cruelle et inusitée aujourd'hui qu'elle ne l'était il y a douze ans: il n'y a pas plus imposition d'une douleur inévitable. Et je ne crois pas que les normes de la société quant à la décence aient changé dans l'in- tervalle au point la peine capitale semblerait maintenant disproportionnée en regard de la gra- vité de n'importe quel crime, aussi révoltant et scandaleux soit-il.
Je n'oublie pas non plus que le 29 juin 1987, à la suite d'un long débat controversé, le Parlement, à la majorité de ses membres (148 à 127), a refusé de donner suite aux pressions en faveur du réta- blissement de la peine de mort abolie depuis 1976. Je n'ai cependant pas interprété le vote de cette majorité comme une indication que la peine capi- tale était maintenant perçue comme un outrage à la conscience publique ou une dégradation à la dignité humaine. Le simple fait qu'il y ait eu vote prouve le contraire (personne n'oserait imaginer la tenue d'un vote sur une requête présentée en vue de rétablir la torture). J'ai interprété la réaction de la majorité comme provenant d'une conviction pro- fonde que la peine de mort allait au-delà de ce qui était nécessaire pour parvenir aux objectifs aux- quels la sanction qui est imposée en cas de compor- tement criminel était censée parvenir au Canada, surtout si l'on considère les autres moyens appro- priés qui existent; je l'ai interprétée comme prove- nant aussi d'un sentiment profond que les croyan- ces et valeurs que la majorité d'entre nous partageons exigent que nous contrôlions notre ins tinct naturel en faveur du châtiment et cherchions des moyens moins irréversibles pour protéger la société de criminels dangereux. Il y a tout un fossé, il me semble, entre cette rationalisation, fondée sur des croyances et des valeurs morales ainsi que sur une évaluation très poussée des besoins et des moyens de notre collectivité, et une reconnaissance que l'on doit enchâsser dans la Constitution que tout criminel, sans égard à son crime, a un droit fondamental de ne pas subir la peine de mort.
N'oublions pas que, en l'espèce, je m'intéresse strictement à la peine de mort per se. De toute évidence, la manière dont elle est imposée, les
moyens de son application ou son caractère dispro- portionné en regard de la gravité du crime commis peuvent faire en sorte qu'une sentence de mort, dans des circonstances particulières, soit contraire à notre notion de la décence et donc en conflit direct avec les prescriptions de la Charte. Mais cette remarque ne fait que servir d'introduction à ma seconde proposition.
2. Selon cette seconde proposition, le pouvoir discrétionnaire que l'article 6 du Traité confère au ministre pourrait être transformé en un devoir obligatoire de façon à faire de la recherche et de l'obtention des garanties dont il est question une condition de l'extradition seulement si la peine de mort était per se une peine cruelle et inusitée au sens de la Charte.
J'invoque à l'appui de cette proposition les ensei- gnements de la Cour suprême dans trois arrêts récents relatifs à l'application de la Charte en matière d'extradition: Canada c. Schmidt, [1987] 1 R.C.S. 500; Argentine c. Mellino, [1987] 1 R.S.C. 536; et États-Unis c. Allard, [1987] 1 R.C.S. 564. Évidemment, le problème provient du fait que l'extradition concerne le droit internatio nal et la Charte n'est pas censée avoir de portée extraterritoriale directe: la Charte ne dicte pas les actions d'un pays étranger et ses principes ne sont pas censés régir un gouvernement autre que le gouvernement canadien.
La principale décision rendue par la Cour dans ces arrêts est que la Charte, à titre de loi fonda- mentale du pays, régit les procédures en extradi tion de la même façon que toute procédure se déroulant au Canada. Toutes les protections qu'of- fre la Charte doivent s'étendre à toute personne visée par ces procédures, que le fugitif arrêté béné- ficie ou non de ces mêmes protections lorsque ces procédures se déroulent dans son pays.
Cette principale décision ne répond cependant pas à la question de savoir si la façon dont l'étran- ger, une fois extradé, risque d'être traité dans son pays doit préoccuper les autorités canadiennes. C'est là, évidemment, la question difficile et essen- tielle et la seule qui nous préoccupe aujourd'hui. Voici ce que je dégage des motifs du juge La Forest qui s'exprimait au nom de la majorité. Oui, la situation à laquelle le fugitif peut faire face dans
son pays doit préoccuper le Canada en matière d'extradition. En effet, en certaines circonstances, cela peut faire de l'extradition elle-même une vio lation de justice fondamentale. Mais à cet égard, nous sommes à l'extérieur de la procédure judi- ciaire de l'extradition per se. C'est l'acte de l'exé- cutif qui est visé, c'est-à-dire la décision du gouver- nement, en l'espèce le ministre, d'extrader en conformité avec la conclusion du juge d'extradi- tion. Le juge La Forest écrit dans l'arrêt États- Unis c. Allard (précité) aux pages 572-573 que «Les tribunaux ont sûrement un rôle de révision en vertu de leur responsabilité de sauvegarder la Constitution, mais c'est un rôle qu'ils doivent exer- cer avec prudence. Nos obligations internationales sont en jeu et l'exécutif a évidemment la responsa- bilité première dans ce domaine.»
Les tribunaux ont donc le droit de réviser la décision de l'exécutif d'extrader mais ils doivent exercer ce droit «avec prudence». Dans l'arrêt Argentine c. Mellino, (précité, page 558), le savant juge a écrit «avec la plus grande circonspection de manière à respecter la position prééminente de l'exécutif en matière de relations extérieures.» Que signifient ces expressions? Après avoir lu attentive- ment les motifs des trois arrêts, je pense qu'elles signifient que pour qu'un tribunal intervienne, il ne suffit pas que la situation qui attend le fugitif dans son pays ne soit pas entièrement conforme aux prescriptions de la Charte comme nous les enten- dons dans ce pays. Il serait nécessaire que la situation «choque suffisamment la conscience» (dans l'arrêt Schmidt, précité, à la page 522) et soit «simplement inacceptable» (dans l'arrêt Allard, précité, à la page 572) sans égard au contexte canadien.
Le juge La Forest traitait de cas les fugitifs étaient demandés pour subir leur procès, il était donc préoccupé par l'article 7 de la Charte et les principes de justice fondamentale. Toutefois, son interprétation visait certainement à réconcilier les valeurs enchâssées dans la Charte avec le principe que les États souverains ont le droit de gérer leurs affaires en fonction de leurs propres besoins et valeurs.
On aura constaté que ma seconde proposition est pleinement conforme à cette interprétation. La peine ou le traitement auquel un fugitif peut être soumis s'il retourne dans son pays peut forcer le
ministre à refuser de l'extrader seulement si cette peine ou ce traitement est en soi ou de façon absolue contraire à l'article 12 de la Charte, l'exemple le plus facile étant la torture. Autre- ment, puisque l'influence du contexte canadien est mise en cause directement ou qu'un examen de la situation du pays étranger est nécessaire, la ques tion devrait relever du pouvoir discrétionnaire de l'exécutif dans lequel les tribunaux ne devraient pas s'immiscer.
C'est en m'appuyant sur ces deux propositions que je crois que cette Cour ne peut intervenir dans la décision du ministre d'extrader l'appelant.
Je rejetterais l'appel avec dépens.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HUGESSEN (dissident): Joseph John Kindler a été déclaré coupable de meurtre. Un tribunal de juridiction compétente de l'État de la Pennsylvanie l'a trouvé coupable d'un crime parti- culièrement révoltant au cours duquel il a battu, enlevé et finalement noyé une personne qui devait sous peu témoigner contre lui dans une poursuite criminelle. On peut évaluer la nature du crime à partir du fait qu'au cours d'une audition sur sen tence tenue en conformité avec les lois de la Penn- sylvanie le jury a conclu que les circonstances aggravantes supplantaient les circonstances atté- nuantes et a unanimement prononcé une sentence de mort. Kindler, qui était détenu, s'est cependant évadé avant que le tribunal de la Pennsylvanie n'impose la sentence. Il a maintenant refait sur face au Canada. Les États-Unis ont demandé son extradition et les étapes dites «judiciaires» de la procédure établie dans la Loi sur l'extradition 6 ont été accomplies. Le ministre a ordonné son extradi tion aux États-Unis.
Cette affaire porte sur les restrictions que la Charte apporte au pouvoir discrétionnaire du ministre d'extrader un fugitif.
Plus particulièrement, il s'agit d'un appel d'une décision de la Division de première instance qui a refusé d'accorder un redressement, sous forme d'un bref de certiorari ou autre, contre la décision
6 S.R.C. 1970, chap. E-21.
du ministre de livrer Kindler aux autorités améri- caines sans tenter d'obtenir les garanties prévues à l'article 6 du Traité d'extradition entre le Canada et les États-Unis d'Amérique:
ARTICLE 6
Lorsque l'infraction motivant la demande d'extradition est punissable de la peine de mort en vertu des lois de l'État requérant et que les lois de l'État requis n'autorisent pas cette peine pour une telle infraction, l'extradition peut être refusée à moins que l'État requérant ne garantisse à l'État requis, d'une manière jugée suffisante par ce dernier, que la peine de mort ne sera pas infligée ou, si elle l'est, ne sera pas appliquée.
Même si l'avocat de l'appelant a soulevé plu- sieurs moyens d'ordre procédural pour contester la décision du ministre, ces moyens ont tous été jugés futiles'. Le juge de première instance en a traité de façon appropriée et complète et nous n'avons pas demandé d'entendre l'intimé à cet égard.
Une question importante surgit cependant. La preuve révèle que si Kindler est extradé, il sera condamné à la peine de mort et que cette sentence sera exécutée à moins que le verdict ne soit ren- versé ou la sentence modifiée par des procédures d'appel ou autrement, ou que la sentence soit commuée par une prérogative de l'exécutif d'exer- cer sa clémence. La question est de savoir si le ministre a le pouvoir discrétionnaire de ne pas tenter d'obtenir les garanties prévues à l'article 6 du Traité compte tenu de la garantie prévue à l'article 12 de la Charte selon laquelle chacun a droit «à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités».
À son tour, cette question se divise en deux:
1. L'article 12 de la Charte a-t-il pour effet de soulever une question qui peut être soumise à
' L'avocat de l'appelant n'a été d'aucune assistance et certai- nes de ses façons de faire exigent certaines remarques de notre part. Décrire, comme il l'a fait, la décision du ministre comme ayant été rendue [TRADUCTION] «après avoir entendu une seule version de l'histoire» est plus qu'une exagération sans consé- quence: l'avocat avait non seulement déposé de longs arguments mais il avait personnellement participé à une audience tenue devant le ministre avant que la décision soit rendue. De même, bien qu'il ait été loisible à l'avocat de prétendre, comme il l'a fait, que le ministre avait commis une erreur de droit parce qu'il avait tenu compte du fait que l'appelant n'a pas témoigné à son procès, il ne s'est pas conformé à son devoir d'aviser la Cour que cette prétention allait à l'encontre de nombreuses sources reconnues (par. ex. Vézeau c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 277).
l'attention des tribunaux lorsque la violation qui serait portée à la Charte ne serait pas commise par l'un des gouvernements mentionnés à l'article 32 mais par un gouvernement étranger? (la question de la portée extraterritoriale);
2. La peine de mort constitue-t-elle en soi et sans tenir compte du processus par lequel elle est imposée un traitement ou une peine cruels et inusi- tés (la question de la peine cruelle et inusitée)?
1. La question de la portée extraterritoriale
Il est reconnu que la Charte n'a pas de portée extraterritoriale. L'article 32 qui la rend applica ble aux législatures et aux gouvernements du Canada, des provinces et des territoires est restric- tif à cet égard. L'extradition est le point de rencon- tre traditionnel entre les droits privés de l'individu et les droits publics d'un état étranger. Dans l'arrêt Canada c. Schmidt 8 , le juge La Forest, s'expri- mant au nom de la majorité a établi la règle générale quant à la ligne de démarcation entre les deux de la façon suivante la page 5181:
Il ne fait pas de doute que les actes entrepris par le gouverne- ment du Canada en matière d'extradition, comme dans d'autres domaines, sont assujettis au contrôle prévu par la Charte (art. 32). Il est cependant tout aussi certain que la Charte ne s'applique pas aux actes d'un pays étranger: voir, par exemple, l'arrêt Spencer c. La Reine, [ 1985] 2 R.C.S. 278. En particu- lier, on ne saurait donner à la Charte un effet qui la rendrait applicable à la conduite de procédures criminelles dans un pays étranger.
Cela ne met cependant pas fin à l'affaire. De par sa nature même, l'extradition exige qu'on livre à une autorité étrangère une personne qui est au Canada et comporte l'application du droit cana- dien (dont les traités sur l'extradition font partie intégrante) par les tribunaux et gouvernements canadiens. Ces derniers ne peuvent fermer les yeux sur les conséquences de l'extradition d'un fugitif. Le juge La Forest s'exprime ainsi la page 522]:
Je ne doute pas non plus que dans certaines situations le traitement que l'État étranger réservera au fugitif extradé, que ce traitement soit ou non justifiable en vertu des lois de ce pays-là, peut être de telle nature que ce serait une violation des principes de justice fondamentale que de livrer un accusé dans ces circonstances. À ce propos, il suffit de se référer à une affaire portée devant la Commission européenne des droits de l'homme, Altun v. Germany (1983), 5 E.H.R.R. 611, dans laquelle il a été établi que des poursuites dans le pays requérant pourraient comprendre le recours à la torture. Il est fort possible que se présentent des cas bien moins graves la
s [1987] 1 R.C.S. 500.
nature des procédures criminelles dans un pays étranger ou des peines prévues choque suffisamment la conscience pour qu'une décision de livrer un fugitif afin qu'il y subisse son procès constitue une atteinte aux principes de justice fondamentale consacrés dans l'art. 7. Je dois dire toutefois que, dans la plupart des cas du moins, les tribunaux ne doivent intervenir qu'après l'exercice par l'exécutif de son pouvoir discrétionnaire, car il appartient au pouvoir exécutif et non pas aux tribunaux de décider de l'extradition et ceux-ci ne doivent pas supposer à la légère que l'exécutif manquera à son obligation de se confor- mer aux normes constitutionnelles en livrant un individu à un pays étranger dans des circonstances il serait fondamentale- ment injuste de le faire.
Le juge La Forest reprend le même thème dans deux arrêts de même nature rendus en même temps que l'arrêt Schmidt: Argentine c. Mellino la page 556] 9
Certes, on peut concevoir des situations il serait injuste d'extrader un fugitif, soit en raison de l'état général de l'appa- reil gouvernemental et judiciaire soit, ce qui est plus probable, parce qu'un individu donné pourra être soumis à un traitement oppressif. Il s'agit toutefois de jugements qui relèvent au premier chef du pouvoir et de la compétence de l'exécutif. Les tribunaux, en tant que gardiens de la Constitution, peuvent à l'occasion jouer un rôle utile en contrôlant de telles décisions, mais ils doivent évidemment faire preuve de la plus grande circonspection dans ce domaine.
et États-Unis c. Allard [aux pages 572 et 5731 1 °
La seule qMestion qui se pose vraiment en l'espèce est celle de savoir si les intimés se trouveront aux États-Unis dans une situation telle que le seul fait que le gouvernement canadien livre les intimés aux autorités américaines pour qu'ils y subis- sent leur procès constitue en soi une atteinte à la justice fondamentale. Comme je l'ai expliqué dans les arrêts Schmidt et Mellino, précités, le seul fait d'extrader, en vertu d'un traité, une personne accusée d'avoir commis un crime dans un autre pays pour qu'elle y soit jugée selon la procédure ordinaire applicable dans ce pays n'est pas, en soi, une atteinte à la justice fondamentale, en particulier quand on a établi devant un tribunal canadien que les faits en cause constitueraient un crime au Canada s'ils avaient eu lieu ici. Pour en arriver à la conclusion que l'extradition des intimés porterait atteinte aux principes de justice fondamentale, il faudrait démontrer que les intimés feraient face à une situation qui est simplement inac- ceptable. Il faut alors se souvenir qu'une telle décision discré- tionnaire appartient d'abord à l'exécutif. Les tribunaux ont sûrement un rôle de révision en vertu de leur responsabilité de sauvegarder la Constitution, mais c'est un rôle qu'ils doivent exercer avec prudence. Nos obligations internationales sont en jeu et l'exécutif a évidemment la responsabilité première dans ce domaine.
Il convient de signaler que dans les extraits reproduits, le juge La Forest se penchait surtout sur les dispositions de l'article 7 de la Charte qui
9 [1987] I R.C.S. 536. 10 [ 1987] 1 R.C.S. 564.
exigent le respect des principes de justice fonda- mentale. À mon sens, il ne fait cependant aucun doute que ses remarques s'appliquent a fortiori lorsqu'il s'agit de traitements ou de peines cruels et inusités, contraires à l'article 12. Sa mention de l'affaire Altun [Altun v. Germany (1983), 5 E.H.R.R. 611] le confirme plus que clairement: il est tout simplement inconcevable qu'un tribunal ou un gouvernement canadien approuve l'extradition d'un criminel, aussi atroce soit son crime, qui sera torturé par un État étranger.
Tout traitement ou toute peine infligés par un État étranger, qui porteraient atteinte à l'article 12 parce que cruels et inusités créeraient une situation qui serait selon les termes de l'extrait de l'arrêt Allard «simplement inacceptable» aux yeux des Canadiens.
Je n'ai aucune difficulté à résoudre ce litige en faveur de l'appelant.
2. La question de la peine cruelle et inusitée
En 1976, la peine capitale a légalement été abolie au Canada ". Ce n'est que récemment que le Parlement a encore eu l'occasion de se prononcer sur le sujet et une majorité importante s'est appo- sée au rétablissement de la peine de mort. Dans les faits, elle n'existe plus au Canada depuis 1962. Plus d'un quart de siècle s'est écoulé depuis la dernière pendaison.
Bien que ces faits ne nous révèlent pas en eux- mêmes que la peine de mort est cruelle et inusitée, ils indiquent largement que la communauté cana- dienne d'aujourd'hui la juge inacceptable.
Les normes fixées par l'article 12, comme celles qui se trouvent ailleurs dans la Charte, ne sont pas coulées dans le béton. La proscription remonte au Bill of Rights de 1688 [(R.-U.), Will & Mary, chap. 2] 12 en Angleterre mais on ne pourrait pré- tendre sérieusement que les spectacles qui se déroulaient sur la place Tyburn au XVIII' siècle pourraient aujourd'hui être jugées valides en appli cation de la Charte.
l' S.C. 1974-75-76, chap. 105, art. 5.
12 En réalité, 1689, selon le calendrier actuel.
Et le rythme du changement quant à ce que nous jugeons acceptable est rapide. Au cours du même quart de siècle depuis la dernière pendaison, nous avons assisté à la naissance d'un programme public d'aide juridique accessible universellement en matière criminelle. Je n'ai aucun doute que nous trouverions aujourd'hui contraire aux princi- pes de justice fondamentale de condamner un accusé qui n'était pas représenté par avocat pour la seule raison qu'il n'en avait pas les moyens.
Dans l'arrêt R. c. Smith 13 , la Cour suprême a annulé le paragraphe 5(2) de la Loi sur les stupéfiants 14 qui imposait une peine minimale de sept ans dans le cas d'importation de stupéfiants parce que contraire à l'article 12. Même si cet arrêt portait sur un type de peine (l'incarcération) qui sur le plan qualitatif était acceptable mais qui sur le plan quantitatif était exagérément dispro- portionnée, le juge Lamer, avec qui la majorité des juges siégeant dans cette affaire s'est dite d'accord sur ce point, a clairement affirmé qu'il existait certains types de peines qui ne seraient acceptables en aucune circonstance la page 1074]:
... certaines peines ou certains traitements seront toujours exagérément disproportionnés et incompatibles avec la dignité humaine: par exemple, l'imposition d'un châtiment corporel
comme la peine du fouet, sans égard au nombre de coups de
fouet imposé ou, à titre d'exemple de traitement, la lobotomie
de certains criminels dangereux, ou la castration d'auteurs de
crimes sexuels.
Les exemples choisis par le juge Lamer sont intéressants et instructifs. Le châtiment corporel a fait partie de nos recueils de lois presque aussi longtemps que la peine capitale et n'a été aboli que par la Loi de 1972 modifiant le Code criminel 15 . Comme dans le cas de la peine de mort, le châti- ment corporel n'avait pas été appliqué depuis plu- sieurs années avant qu'il soit formellement aboli.
L'exemple de la castration est également très révélateur. C'est un traitement médical utilisé cou- ramment par nos hôpitaux dans les cas de cancer des testicules. C'est une procédure qui sauve la vie et que les patients choisissent volontairement dans l'espoir, souvent concrétisé, de contrecarrer une mort prématurée. Cependant, à titre de traitement ou de peine que l'État imposerait obligatoirement,
13 [1987] 1 R.C.S. 1045.
14 S.R.C. 1970, chap. N-l.
15 S.C. 1972, chap. 13.
elle est rejetée sans vraiment susciter de débat. À mon sens, cela est très révélateur de l'opinion que nous avons et que nous devrions avoir de la peine de mort.
Le juge Lamer a poursuivi dans l'arrêt Smith en formulant certains critères pour déterminer s'il y avait violation de l'article 12 la page 1074]:
Les nombreux critères proposés conformément à l'al. 2b) de la Déclaration canadienne des droits et au Huitième amende- ment de la Constitution américaine sont, à mon avis, utiles comme facteurs permettant de déterminer s'il y a eu violation de l'art. 12. Ainsi, pour mentionner les critères énoncés par le professeur Tarnopolsky, les questions de savoir si la peine est nécessaire pour atteindre un objectif pénal régulier, si elle est fondée sur des principes reconnus en matière de détermination de la sentence et s'il existe des solutions de rechange valables à la peine imposée, constituent des lignes directrices qui, sans être décisives en elles-mêmes, aident à vérifier si la peine est exagé- rément disproportionnée.
Ces critères ressemblent étrangement à ceux que le juge McIntyre, avant d'être nommé à la Cour suprême, avait proposés dans son opinion dissi- dente en Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans l'arrêt R. v. Miller and Cockriell 16 . Avec égards, je ne peux rien ajouter à son examen de l'affaire sinon que l'écoulement de treize ans et demi n'a pas affaibli le poids de ses remarques et je suis heureux de les faire miennes [aux pages 260 à 272]:
[TRADUCTION] Il ne serait pas acceptable d'imposer une peine qui n'a aucune valeur en ce sens qu'elle ne protège pas la société en réprimant certains comportements criminels ou qu'elle répond à quelque autre objectif social. Une peine qui n'aurait pas ces attributs serait certainement cruelle et inusitée. La peine capitale ne vise évidemment pas la réinsertion sociale ou la réhabilitation et les seuls objectifs qu'elle vise ne peuvent donc être que la dissuasion et la rétribution. Bien qu'il ne puisse y avoir de doute quant à l'effet qu'elle a sur la personne qui la subit, cette peine devrait, pour répondre à un objectif social au sens large, avoir un effet dissuasif sur la population en général et tendre ainsi à réduire le nombre des crimes violents.
Je suis donc d'avis que la peine capitale ne peut se justifier par sa valeur dissuasive. La mort est un châtiment extrême. Elle a toujours été considérée comme le châtiment ultime. Cette considération a eu pour effet au cours des ans de restrein- dre progressivement l'imposition de la peine aux seules infrac tions les plus graves et d'entraîner son abolition dans les faits ou en droit dans plusieurs États des États-Unis d'Amérique et dans la plupart des pays d'Europe occidentale et d'entraîner pratiquement sa disparition au Canada au cours des 12 derniè- res années. Il appartient à ceux qui souhaitent appliquer ce châtiment extrême d'en démontrer l'effet dissuasif. Si ce far
16 (1975) , 63 D.L.R. (3d) 193.
deau n'est pas acquitté, et à mon avis il ne l'est pas, alors sans égard au fait que l'inverse n'est pas établi, la peine de mort n'a pas résisté à ce test de base. Il serait cruel et inusité d'imposer le châtiment ultime en invoquant la simple possibilité qu'il puisse avoir un effet dissuasif.
La peine capitale est-elle acceptable selon les normes de la décence et de la bienséance? Nul doute que ces normes sont difficiles à définir mais elles existent vraiment malgré tout. La société a le droit de se protéger et de protéger ses membres en imposant des sanctions pénales à ceux qui contreviennent à ses lois. Certaines sanctions appliquées depuis longtemps sont géné- ralement acceptables aux yeux du public canadien, d'autres sont horribles et ont été rejetées. Au XVIII' siècle et au début du XIX' siècle, les lois des pays les plus civilisés du monde occidental comportaient des sanctions qui prévoyaient la torture qui, bien qu'acceptées à l'époque, sont tout à fait rejetées aujourd'hui. Au cours des siècles, la conscience sociale a rejeté les pires formes de peines et le nombre d'infractions pour lesquelles un châtiment corporel draconien pouvait être imposé a considérablement diminué. En déterminant alors ce qui est cruel et inusité, il ne faut pas nous restreindre aux normes de 1688 lorsque le Bill of Rights a été adopté en Angleterre ou à celles du siècle suivant lors de l'adoption de la constitution américaine. Nous devons considérer toutes les formes légales d'imposition de peines en regard des conditions et attitudes qui prévalent aujourd'hui et, pour reprendre les paroles du juge en chef Warren de la Cour suprême américaine dans l'arrêt Trop v. Dulles, l'expression «peine cruelle et inusitée» doit »tirer son sens des normes changeantes de la décence qui marquent le progrès d'une société en évolution».
Peut-on affirmer qu'il est possible de justifier la peine de mort pour des raisons de nécessité? L'objet de la peine doit viser finalement la conduite normale des affaires de la collecti- vité et la protection de la société contre le préjudice que lui causent ceux qui contreviennent à ses lois de nature criminelle. La société a le droit de prendre les mesures qui s'imposent sous forme de peines pour atteindre à cet objectif. Il ne serait pas acceptable qu'une société civilisée fasse appel à plus de sévérité et inflige plus de souffrance dans l'imposition de la peine que ce qui est raisonnablement nécessaire pour parvenir à son but. Il s'ensuit donc que si nous voulons appliquer la peine capitale, sanction extrême, nous devons démontrer que son application est nécessaire en ce sens que l'objet que constitue la protection sociale ne peut être atteint autrement. Blackstone partageait cet avis. Il a dit dans Commentaries, 21st ed., Welsby, aux pp. 9 et 10:
Mais en effet, si la peine capitale s'avérait par expérience un recours sûr et efficace, cela n'établirait pas la nécessité (dont la justice et la bienséance dépendent) de l'imposer chaque fois quand d'autres moyens échouent. Je crains que ce raison- nement n'aille beaucoup trop loin. Par exemple, les domma- ges causés aux voies publiques par des camions chargés sont reconnus universellement et plusieurs lois ont été adoptées pour prévenir ces dommages; mais aucune ne s'est avérée efficace jusqu'ici. Mais il ne s'ensuit cependant pas que la législature serait justifiée d'infliger la mort à chaque trans- porteur obstiné qui viole les dispositions de ces lois ou s'y soustrait.
Nous devons maintenant déterminer si la peine capitale est un châtiment excessif. On a reconnu depuis des siècles que la peine imposée pour un crime devait être proportionnelle à l'infraction. Le droit non contesté de l'État de punir ceux qui contreviennent à la loi doit être restreint à ce qui est raisonna- blement nécessaire pour prévenir la répétition de l'infraction et punir son auteur. La peine excessive ne reçoit plus l'approba- tion éthique de la société en droit et en morale. Je renvoie encore aux mots de Blackstone, précité, et je fais miens ceux de Goldberg, p. 1796:
Même lorsque la peine de mort est imposée parce qu'il y a eu perte de vie ou parce que celle-ci a été mise en danger, la constitutionnalité de cette peine dépend de la capacité de l'État d'établir un motif l'obligeant à l'utiliser plutôt qu'une peine moins sévère.
En examinant la question, il faut avoir présent à l'esprit les normes actuelles de la collectivité et l'efficacité d'autres mesu- res moins sévères.
J'ai déjà tenté de traiter des normes de la collectivité et j'ai exprimé l'avis qu'il n'existe aucun cas établissant que la peine capitale est plus efficace que d'autres mesures pour réprimer les crimes et protéger la société. À mon avis, la peine de mort est, dans tous les cas, un châtiment excessif. Elle excède de loin le besoin qui peut la justifier et, dans son application, elle rend l'erreur qui peut se produire et se produira impossible à corriger.
À la lumière de ces remarques, on obtient le résultat suivant avec le critère proposé par le juge Lamer: le seul but pénal valide que la peine capi- tale peut prétendre servir est de rendre le contreve- nant exécuté incapable de répéter son crime. A cet égard, on peut comparer ce but à la pratique de certains pays de l'Est de couper la main du voleur. Pour les mêmes raisons, cette pratique est inaccep- table. La peine capitale ne relève d'aucun principe reconnu dans la détermination de la sentence et puisqu'il existe une autre mesure valide, réalisable et acceptable elle est exagérément disproportion- née.
L'opinion dissidente du juge McIntyre dans l'ar- rêt Miller en Cour d'appel n'a pas été retenue en Cour suprême du Canada. Au contraire, la Cour a rejeté unanimement le pourvoi contre la décision majoritaire de la Cour d'appel de la Colombie- Britannique ". Le juge Ritchie, s'exprimant au nom de la majorité des juges de la Cour suprême, n'a cependant pas traité de la question de fond qui consistait à savoir si la peine capitale était cruelle et inusitée. Les juges, à la majorité, étaient plutôt d'avis que la Déclaration des droits n'avait pas
17 [ 1977] 2 R.C.S. 680.
créé de nouveaux droits et puisque le Parlement avait reconnu l'existence de la peine de mort avant et après son adoption, la Déclaration ne pouvait avoir pour effet d'abolir la peine capitale [aux pages 704 706]:
Si l'on admet comme je le fais, que l'art. 2 n'a pas créé de nouveaux droits, il faut conclure que le Parlement n'avait pas l'intention de créer le droit absolu de ne pas être privé de la vie, quelles que soient les circonstances, lorsqu'il a édicté que nulle loi du Canada ne devait s'appliquer comme «infligeant des peines ou traitements cruels ou inusités, ou comme en autori- sant l'imposition». Interprété de la sorte, l'article empêcherait la transgression d'un droit qui n'a jamais existé et aurait ainsi un effet contraire à son but. Comme je l'ai déjà dit, il revient au Parlement de décider l'abolition de la peine de mort et on ne peut y parvenir par une voie indirecte comme celle suggérée par les appelants.
Pour tous ces motifs, je conclus que les «peines ou traitements cruels et inusités» mentionnés au par. 2b) de la Déclaration canadienne des droits n'incluent pas la peine de mort, que ce paragraphe ne vise pas à rendre inopérantes les dispositions du Code criminel prévoyant la peine de mort et qu'il n'a pas cet effet.
Compte tenu de cette conclusion, j'estime que, pour analyser l'expression «peines ou traitements cruels et inusités» employée au par. 2b) de la Déclaration canadienne des droits, il n'est pas nécessaire d'examiner les normes morales actuelles de la collec- tivité ni l'effet dissuasif de la peine de mort. À mon avis, ces points soulèvent essentiellement des questions de principe qui, nécessairement, entrent en ligne de compte dans la décision du Parlement de maintenir ou non la peine de mort; cependant, compte tenu de ma conclusion, j'estime que ces considérations ne sont pas pertinentes à l'égard du point de droit qui nous occupe, c.-à-d. la question de savoir si les dispositions du par. 2b) de la Déclaration canadienne des droits interdisent l'impo- sition de la peine de mort pour le meurtre d'un policier, comme le prévoyaient les art. 214 et 218 du Code criminel, en vigueur au moment de la perpétration du meurtre en question.
Le juge en chef Laskin, s'exprimant au nom de la minorité, a, lui, examiné la question de fond et a conclu que la peine de mort n'était pas cruelle et inusitée au sens de l'alinéa 2b) de la Déclaration des droits. Bien qu'elle mérite notre plus grand respect, cette opinion ne nous lie évidemment pas, non seulement parce qu'il s'agit d'une opinion minoritaire, mais pour la raison plus importante que les décisions rendues en vertu de la Charte, un document constitutionnel, ne peuvent jamais être régies par la jurisprudence provenant de disposi tions non constitutionnelles comme celles de la Déclaration des droits. J'estime, toujours avec res pect, que le raisonnement du juge McIntyre dissi dent alors qu'il était en Cour d'appel, confirmé et
renforcé comme il l'a été avec le passage du temps, est plus conforme à nos opinions actuelles quant aux droits protégés par la Charte.
Il est nécessaire de dire quelques mots au sujet de la décision de notre Cour dans l'affaire Kindler c. MacDonald 18 à laquelle j'ai participé. Dans cette affaire, on contestait la décision du ministre de tenir des enquêtes au sujet de l'appelant en application de la Loi sur l'immigration de 1976 19 . Le juge MacGuigan a, au nom de la Cour, formulé la question de la façon suivante la page 38]:
La seule question soulevée dans le cadre du présent appel est donc celle de la légalité et de la constitutionnalité des décisions fondées respectivement sur les articles 27 et 28 de la Loi de tenir des enquêtes en matière d'immigration concernant l'intimé.
Le juge MacGuigan a, dans sa conclusion, exprimé certaines remarques au sujet de la situation de l'appelant dans l'éventualité il serait extradé aux Etats-Unis. Ces remarques découlaient à juste titre du dossier de l'affaire qui avait alors été produit et de la prétention de l'appelant que ses droits, reconnus à l'article 7 de la Charte, puissent être compromis. Le dossier qui nous est soumis ici est tout à fait différent. Il s'agit de procédures en extradition et non de décisions administratives qui pourraient éventuellement mener à l'expulsion. L'ordonnance qui est contestée en l'espèce porte sur l'extradition de l'appelant entre les mains des autorités américaines où, comme je l'ai indiqué, il sera sujet à la peine de mort à moins qu'un autre événement ne se produise. Les droits invoqués relèvent de l'article 12 et non de l'article 7. La décision rendue auparavant n'a pas d'incidence sur le résultat en l'espèce.
En effet, il ne m'est pas apparu nécessaire de traiter de l'article 7 en l'espèce. C'est une tâche particulièrement difficile que celle de définir dans quelle mesure les exigences de la justice fondamen- tale peuvent freiner l'action de l'État en plus de ce qui est expressément prévu aux articles 8 à 14 et j'estime que cette tâche ne devrait pas être entre- prise lorsque l'un de ces articles porte sans équivo- que sur le sujet. Il en est particulièrement ainsi en l'espèce: conclure que les droits de l'appelant en vertu de l'article 7 ont été violés nécessiterait un examen de la justification possible en vertu de
" [1987] 3 C.F. 34 (C.A.). 19 S.C. 1976-77, chap. 52.
l'article premier, une tâche des plus difficiles et délicates la loi fondamentale concernée est finalement celle d'un État étranger. Toutefois, dans le cas de l'article 12, je partage l'opinion exprimée par le juge Le Dain dans l'arrêt Smith, précité la page 1111]:
... qu'une peine jugée cruelle et inusitée ne saurait être justi- fiée en vertu de l'article premier de la Charte.
Par conséquent, conclure que la peine capitale est interdite par l'article 12 ne soulève aucune question en vertu de l'article premier et dispose de façon absolue du litige qui nous est soumis.
Enfin, en ce qui concerne l'article 7, je n'accor- derais aucun effet à l'argument a contrario soulevé par le procureur général. Le texte enchâsse le droit à la vie; l'interdiction de priver quelqu'un de ce droit sauf en conformité avec les principes de justice fondamentale ne peut être inversée de façon à accorder implicitement à l'État le droit de mettre des gens à mort. Contrôler l'action de l'État qui met en jeu la vie ne revient pas à approuver la mise à mort par l'État.
Pour tous les motifs qui précèdent, je répondrais également à la seconde question que j'ai formulée en faveur de l'appelant.
Conclusion
Je conclus que la peine capitale est cruelle et inusitée au sens de l'article 12 de la Charte. Per- mettre au ministre d'extrader l'appelant pour qu'il soit condamné à la peine capitale par les autorités américaines serait tout simplement inacceptable en vertu de notre Constitution. Cela étant dit, le ministre n'a pas d'autre pouvoir discrétionnaire ni d'autre choix que ceux de tenter d'obtenir et d'ob- tenir les garanties prévues à l'article 6 du Traité à titre de condition à l'extradition de l'appelant.
J'accueillerais l'appel et substituerais à la déci- sion qui a été portée en appel une ordonnance annulant la décision du ministre et lui renvoyant l'affaire pour qu'il rende une décision en tenant compte du fait que l'appelant ne peut être extradé avant que le ministre tente d'obtenir et obtienne les garanties prévues à l'article 6 du Traité d'ex- tradition entre le Canada et les États-Unis d'Amérique. Je n'accorderais aucun dépens en cette Cour et en première instance pour les motifs indiqués à la note 7.
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