A-81-87
Joseph John Kindler (requérant - appelant)
c.
M. John Crosbie, ministre de la Justice, procureur
général du Canada (intimé - intimé)
RÉPERTORIÉ: KINDLER c. CANADA (MINISTRE DE L4 JUSTICE)
(C.A.)
Cour d'appel, juges Pratte, Marceau et Huges-
sen—Montréal, 10 novembre; Ottawa, 20 décem-
bre 1988.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Procédures
criminelles et pénales — Décision du ministre de livrer aux
autorités américaines un individu déclaré coupable de meurtre
— Probabilité que la peine de mort soit prononcée et appliquée
— Défaut d'obtenir des garanties en conformité avec l'art. 6 du
Traité d'extradition que la peine de mort ne sera pas appliquée
— L'art. 12 de la Charte qui prévoit que chacun a droit à la
protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités
s'applique-t-il si la violation qui serait portée à la Charte
était commise à l'extérieur du Canada? — La peine de mort
est-elle une peine cruelle et inusité?
Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et
sécurité — Décision du ministre de livrer aux autorités améri-
caines un individu déclaré coupable de meurtre — Probabilité
que la peine de mort soit prononcée — La décision du ministre
ne porte pas atteinte à l'art. 7 de la Charte qui prévoit que
chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa
personne et qu'il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en
conformité avec les principes de justice fondamentale — La
décision n'est pas fondamentalement injuste puisque l'art. 7
prévoit expressément qu'on peut porter atteinte au droit à la
vie pourvu que les principes de justice fondamentale soient
respectés.
Extradition — Décision du ministre de livrer aux autorités
américaines un individu déclaré coupable de meurtre — Pro-
babilité que la peine de mort soit prononcée et appliquée — Le
ministre devait-il obtenir la garantie, prévue à l'art. 6 du
Traité d'extradition, que la peine de mort ne serait pas appli-
quée compte tenu de l'art. 12 de la Charte? — L'art. 12
s'applique-t-il si la violation qui serait portée à la Charte
était commise à l'extérieur du Canada? — La peine de mort
constitue-t-elle une peine cruelle et inusité?
Il s'agit d'un appel d'une décision de la Division de première
instance qui a refusé d'accorder un bref de certiorari contre la
décision du ministre de livrer Kindler aux autorités américaines
sans tenter d'obtenir les garanties que la peine de mort ne serait
pas prononcée ni appliquée. Kindler a été déclaré coupable de
meurtre en Pennsylvanie. Le jury a prononcé la sentence de
mort mais Kindler s'est échappé avant que la sentence soit
imposée et a été arrêté au Canada. Le ministre a ordonné son
extradition aux États-Unis après qu'une demande en ce sens eut
été présentée et que les étapes «judiciaires» de la procédure
prévue dans la Loi sur l'extradition eurent été complétées. S'il
est extradé, Kindler risque d'être condamné à la peine de mort
et la sentence risque d'être exécutée. Le ministre a-t-il le
pouvoir discrétionnaire de ne pas tenter d'obtenir les garanties
prévues à l'article 6 du Traité compte tenu de la garantie
prévue à l'article 12 de la Charte selon laquelle chacun a droit à
la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusi-
tés? Cette question se divise en deux: (I) l'article 12 s'applique-
t-il lorsque la violation qui serait portée à la Charte serait
commise à l'extérieur du Canada? (2) la peine de mort consti-
tue-t-elle en soi une peine cruelle et inusitée?
Arrêt (le juge Hugessen dissident): l'appel devrait être rejeté.
Le juge Pratte: La décision du ministre a porté atteinte au
droit de l'appelant à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa
personne. Selon l'article 7 de la Charte, la décision devrait être
prise en conformité avec les principes de justice fondamentale
qui ne sont pas restreints à des règles de procédure. Une
décision fondamentalement injuste peut également violer l'arti-
cle 7. La décision du ministre n'était pas fondamentalement
injuste parce que même si l'appelant pouvait être privé du droit
à la vie, l'article 7 reconnaît expressément qu'il peut être porté
atteinte au droit à la vie d'une personne en conformité avec les
principes de justice fondamentale.
La décision ne portait pas atteinte à l'article 12 qui reconnaît
à chacun le droit à la protection contre les peines cruelles et
inusitées. La peine de mort n'est pas cruelle et inusitée parce
que l'article 7 de la Charte reconnaît expressément qu'une
personne peut être privée du droit à la vie en conformité avec
les principes de justice fondamentale. Enfin, l'article 12 régit
les actes des autorités canadiennes mais non ceux des pays
étrangers.
Le juge Marceau: La peine capitale n'est pas forcément
cruelle et inusité au sens de l'article 12 de la Charte. Bien que
les termes «cruel et inusité» aient été interprétés d'une manière
souple pour répondre aux normes changeantes de la décence, la
notion de base à laquelle ils se rapportent est demeurée stable.
Une peine peut être cruelle et inusité (I) soit parce qu'elle
inflige une douleur inutile (2) soit parce qu'elle est dispropor-
tionnée en regard de la gravité du crime commis. La peine
capitale ne comporte pas une douleur inévitable plus impor-
tante aujourd'hui qu'il y a douze ans lorsqu'elle a été abolie au
Canada. Le fait qu'il y ait eu un vote au Parlement en 1987 sur
le rétablissement de la peine de mort indique que les normes de
la société n'ont pas changé au point où la peine capitale
pourrait maintenant sembler disproportionnée à la gravité du
crime. -
Le pouvoir discrétionnaire que l'article 6 du Traité confère
au ministre pourrait être transformé en un devoir obligatoire
seulement si la peine de mort était per se une peine cruelle et
inusitée. Compte tenu des trois arrêts récents de la Cour
suprême du Canada sur l'application de la Charte en matière
d'extradition, les autorités canadiennes devraient se préoccuper
de la façon dont le fugitif sera traité dans son pays une fois
extradé. La façon dont un fugitif risque d'être traité s'il est
extradé ne peut obliger le ministre à refuser de l'extrader que si
la peine est en soi contraire à l'article 12 de la Charte. Les
tribunaux ont le droit de réviser la décision de l'exécutif
d'extrader mais ils doivent exercer ce droit «avec prudence».
Pour qu'un tribunal intervienne, il ne suffit pas que la situation
qui attend le fugitif dans son pays ne soit pas entièrement
conforme aux prescriptions de la Charte. Il est nécessaire que la
situation »choque suffisamment la conscience» et soit «simple-
ment inacceptable» sans égard au contexte canadien.
Le juge Hugessen (dissident): L'article 12 de la Charte peut
soulever une question qui peut être soumise à l'attention des
tribunaux lorsque la violation qui serait portée à la Charte
serait commise par un gouvernement étranger. L'extradition est
le point de rencontre traditionnel entre les droits privés de
l'individu et les droits publics d'un état étranger. Elle comporte
l'application du droit canadien par les tribunaux et gouverne-
ments canadiens qui ne peuvent fermer les yeux sur les consé-
quences de l'extradition d'un fugitif. Un traitement ou une
peine infligés par un État étranger et qui porteraient atteinte à
l'article 12 parce que cruels et inusités créeraient une situation
qui serait «simplement inacceptable» aux yeux des Canadiens.
L'application du critère formulé dans l'arrêt R. c. Smith
pour déterminer s'il y a violation de l'article 12 de la Charte
donne le résultat suivant: (1) le seul but pénal valide que la
peine capitale peut prétendre servir est de rendre le contreve-
nant exécuté incapable de répéter son crime; (2) la peine
capitale ne relève d'aucun principe reconnu dans la détermina-
tion de la sentence; et (3) puisqu'il existe une autre mesure
valide, réalisable et acceptable elle est exagérément dispropor-
tionnée. La peine capitale est donc cruelle et inusitée au sens de
l'article 12 de la Charte. Permettre au ministre d'extrader
l'appelant pour qu'il soit condamné à la peine capitale serait
inacceptable en vertu de notre constitution. Le ministre n'avait
pas d'autre choix que celui de tenter d'obtenir les garanties
prévues à l'article 6 du Traité.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Bill of Rights, 1688 (R.-U.), Will & Mary, chap. < 2.
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. I1 (R.-U.),
art. 7, 12, 32.
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34.
Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appen-
dice III, art. 2b).
Loi de 1972 modifiant le Code criminel, S.C. 1972, chap.
13.
Loi sur l'extradition, S.R.C. 1970, chap. E-21.
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52.
Traité d'extradition entre le Canada et les États-Unis
d'Amérique, 3 déc. 1971, [1976] R.T. Can. N° 3,
art. 6.
U.S. Constitution, Amend. VIII.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Canada c. Schmidt, [1987] I R.C.S. 500; Argentine c.
Mellino, [1987] I R.C,S. 536; États-Unis c. Allard,
[1987] 1 R.C.S. 564.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Miller et autre c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 680 confir-
mant (sub nom. R. v. Miller and Cockriell) (1975), 63
D.L.R. (3d) 193 (C.A.C.-B.); Gregg v. Georgia, 428 U.S.
153 (1976); R. c. Smith, [1987] 1 R.C.S. 1045; Kindler
c. MacDonald, [1987] 3 C.F. 34.
DÉCISIONS CITÉES:
Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S.
486; Vézeau c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 277; Altun v.
Germany (1983), 5 E.H.R.R. 611.
AVOCATS:
Julius H. Grey et Stella Bush pour le
requérant-appelant.
Douglas Rutherford, c.r. et Suzanne Mar-
coux-Paquette, c.r. pour l'intimé-intimé.
PROCUREURS:
Grey, Casgrain, Biron, Montréal, pour le
requérant-appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé-intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: J'ai eu l'avantage de lire les
motifs rédigés par mon collègue le juge Hugessen.
Avec égards quant à son opinion, je suis incapable
de partager sa conclusion.
Il est reconnu que la décision du ministre de la
Justice d'extrader un fugitif en application de la
Loi sur l'extradition [S.R.C. 1970, chap. E-21]
doit être conforme aux exigences de la Charte
canadienne des droits et libertés [qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap.
11 (R.-U.)]. La Cour suprême du Canada a dis-
sipé tout doute qui pouvait exister à cet égard dans
trois arrêts rendus récemment, Canada c.
Schmidt', Argentine c. Mellino 2 et États-Unis c.
Allard'. Il pourrait être utile d'avoir à l'esprit
certains passages de l'opinion du juge La Forest
dans ces arrêts.
Voici ce qu'il a dit à ce sujet dans l'arrêt
Schmidt (aux pages 520 et suivantes):
Il ressort nettement de ce que j'ai déjà dit que je suis loin de
croire à l'inapplicabilité de la Charte en matière d'extradition.
La livraison d'une personne à un pays étranger peut évidera-
' [ 1987] 1 R.C.S. 500.
2 [ 1987] I R.C.S. 536.
3 [ 1987] 1 R.C.S. 564.
ment mettre en jeu plusieurs droits garantis par la Charte.
Dans l'arrêt Rauca, précité, par exemple, la Cour d'appel de
l'Ontario a reconnu que l'extradition empiète sur le droit de
demeurer au Canada reconnu à chaque citoyen par l'art. 6,
quoiqu'elle ait également conclu que les avantages de la procé-
dure qui empêche les malfaiteurs de se soustraire à la justice et
qui est d'ailleurs largement adoptée dans le monde, suffisent
pour justifier l'extradition en tant que limite raisonnable au
sens de l'article premier de la Charte. Bien que Schmidt soit
citoyenne canadienne, l'art. 6 n'a pas été invoqué en l'espèce,
sans doute parce que son avocat a cru, comme moi, que ce point
a été tranché à bon droit dans l'affaire Rauca. Il ne résulte
cependant pas du fait que l'extradition est généralement justi
fiable que la manière dont les procédures se déroulent au
Canada et les conditions dans lesquelles s'effectue la livraison
d'un fugitif ne peuvent jamais faire l'objet d'un examen en
vertu de la Charte. On doit reconnaître la prééminence de la
Constitution; le traité, l'audience d'extradition au Canada et
l'exercice par l'exécutif de son pouvoir discrétionnaire d'extra-
der un fugitif doivent tous se conformer aux exigences de la
Charte, y compris aux principes de justice fondamentale.
Je souligne dès le départ que la livraison d'un fugitif à un
pays étranger peut faire l'objet d'un examen en vertu de la
Charte, bien que cette livraison relève principalement de l'exer-
cice du pouvoir discrétionnaire de l'exécutif. Dans l'arrêt Ope
ration Dismantle Inc. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441, le juge
Dickson (maintenant Juge en chef) a affirmé catégoriquement
que «l'exécutif du gouvernement canadien [a] l'obligation d'agir
conformément aux préceptes de la Charte» (p. 455) et que «les
tribunaux [sont] fondés à connaître de différends [même] d'une
nature politique ou mettant en cause la politique étrangère» (p.
459); voir aussi les propos du juge Wilson, à la p. 464.
Je ne doute pas non plus que dans certaines situations le
traitement que l'État étranger réservera au fugitif extradé, que
ce traitement soit ou non justifiable en vertu des lois de ce
pays-là, peut être de telle nature que ce serait une violation des
principes de justice fondamentale que de livrer un accusé dans
ces circonstances. À ce propos, il suffit de se référer à une
affaire portée devant la Commission européenne des droits de
l'homme, Altun v. Germany (1983), 5 E.H.R.R. 611, dans
laquelle il a été établi que des poursuites dans le pays requérant
pourraient comprendre le recours à la torture. Il est fort
possible que se présentent des cas bien moins graves où la
nature des procédures criminelles dans un pays étranger ou des
peines prévues choque suffisamment la conscience pour qu'une
décision de livrer un fugitif afin qu'il y subisse son procès
constitue une atteinte aux principes de justice fondamentale
consacrés dans l'article 7 ...
Je m'empresse cependant d'ajouter que, selon moi, il n'est
pas injuste de livrer à un pays étranger une personne accusée
d'y avoir commis un crime pour qu'elle y soit jugée en confor-
mité de son système judiciaire simplement parce que ce dernier
diffère sensiblement du nôtre et comporte des mécanismes
différents. Le processus judiciaire d'un pays étranger ne doit
pas être soumis à des évaluations minutieuses en fonction des
règles applicables aux voies judiciaires canadiennes. Un sys-
tème judiciaire n'est pas, par exemple, foncièrement injuste, en
fait, sur le plan pratique, il peut être aussi juste que le nôtre,
parce qu'il repose sur un mode d'enquête auquel la présomption
d'innocence est étrangère ou, d'une manière générale, parce que
ses mesures protectrices en matière de procédure ou de preuve
n'ont pas la même rigueur que celles de notre système.
La question à trancher est de savoir si, dans les circonstances
particulières de l'espèce, l'extradition d'un fugitif en vue de son
procès va à l'encontre des exigences fondamentales de la
justice.
Le juge La Forest s'est exprimé de la façon sui-
vante dans l'arrêt Mellino (aux pages 557 et 558):
Ce ne sont pas seulement les actes des fonctionnaires cana-
diens relativement aux procédures d'extradition qui font l'objet
d'un contrôle en vertu de la Charte car, comme je l'ai fait
remarquer dans l'arrêt Schmidt, précité, l'exercice par l'exécu-
tif du pouvoir discrétionnaire d'extrader un fugitif en fait
également l'objet. J'ai toutefois souligné dans le même arrêt
que cette compétence doit s'exercer avec la plus grande circons-
pection de manière à respecter la position prééminente de
l'exécutif en matière de relations extérieures. Les tribunaux
peuvent intervenir si la décision d'extrader un fugitif en vue de
son procès dans un pays étranger allait, dans les circonstances
particulières, à l'encontre des principes de justice fondamentale.
Mais, comme je l'ai déjà dit, ce n'est nullement une entorse à
ces principes que de livrer une personne afin qu'elle soit jugée
pour un crime qu'on lui reproche d'avoir commis dans un pays
étranger en l'absence de circonstances exceptionnelles.
Enfin, dans l'arrêt Allard, le juge La Forest a écrit
(à la page 572):
Comme je l'ai expliqué dans les arrêts Schmidt et Me/lino,
précités, le seul fait d'extrader, en vertu d'un traité, une
personne accusée d'avoir commis un crime dans un autre pays
pour qu'elle y soit jugée selon la procédure ordinaire applicable
dans ce pays n'est pas, en soi, une atteinte à la justice fonda-
mentale, en particulier quand on a établi devant un tribunal
canadien que les faits en cause constitueraient un crime au
Canada s'ils avaient eu lieu ici. Pour en arriver à la conclusion
que l'extradition des intimés porterait atteinte aux principes de
justice fondamentale, il faudrait démontrer que les intimés
feraient face à une situation qui est simplement inacceptable.
La décision prise par le ministre intimé d'extra-
der l'appelant a certainement porté atteinte au
droit de l'appelant à la vie, à la liberté et à la
sécurité de sa personne. Il s'ensuit qu'en applica
tion de l'article 7 de la Charte cette décision ne
devait être prise «qu'en conformité avec les princi-
pes de justice fondamentale».
Selon le premier argument de l'avocat de l'appe-
lant, le juge de première instance [[1987] 2 C.F.
145 (ire inst.)] a commis une erreur en rejetant sa
prétention que le ministre intimé, en décidant d'ex-
trader l'appelant, a suivi une procédure qui n'était
pas conforme aux exigences de l'équité et de la
justice fondamentale. Comme l'indique le juge
Hugessen, l'avocat s'est fait dire à l'audience que
la Cour trouvait son argument mal fondé.
Toutefois, comme tout le monde le sait depuis
l'arrêt de la Cour suprême dans le Renvoi: Motor
Vehicle Act de la C.-B. 4 , les principes de justice
fondamentale auxquels l'article 7 de la Charte
renvoie ne sont pas restreints à des règles de
procédure. Une décision conforme aux règles de
procédure peut donc violer l'article 7 si elle est par
ailleurs fondamentalement injuste. C'est en ce
sens, comme le juge La Forest l'a affirmé dans les
extraits que j'ai reproduits, que la décision d'un
ministre d'extrader un fugitif dans un pays où il
serait torturé pourrait être perçue comme fonda-
mentalement injuste et violant l'article 7.
Dans ce contexte, il est clair qu'on ne peut
qualifier de fondamentalement injuste la décision
rendue par le ministre en l'espèce. Le seul fait qui
pourrait être invoqué à l'appui du contraire est que
par suite de la décision de l'intimé l'appelant pour-
rait être exécuté en application de la sentence de
mort qui sera vraisemblablement prononcée contre
lui. En d'autres termes, l'appelant pourra être
privé du «droit à la vie» par suite de la décision de
l'intimé. Cependant, ce résultat n'est pas contraire
aux principes de justice fondamentale au sens de
l'article 7 puisque cet article reconnaît expressé-
ment qu'on peut porter atteinte au droit à la vie
d'une personne en conformité avec les principes de
justice fondamentale. Par conséquent, le fait d'être
privé du droit à la vie n'est pas en soi contraire aux
principes de justice fondamentale.
L'avocat de l'appelant a cependant soutenu que
la décision de l'intimé portait atteinte à l'article 12
de la Charte qui reconnaît à chacun le droit «à la
protection contre tous traitements ou peines cruels
et inusités». Selon l'avocat, la peine de mort est
une peine cruelle et inusitée et, selon lui, il s'ensuit
que la décision de l'intimé d'extrader l'appelant
viole le droit que l'article 12 reconnaît à celui-ci.
Je ne partage pas cette prétention.
Premièrement, il m'est impossible d'affirmer
que la peine capitale est en soi une peine cruelle et
inusitée que l'article 12 de la Charte interdit alors
que l'article 7 de cette même Charte reconnaît
expressément qu'une personne peut être privée du
droit à la vie en conformité avec les principes de
justice fondamentale.
4 [ 1985] 2 R.C.S. 486.
Deuxièmement, l'article 12, comme d'autres
articles de la Charte, restreint la marge de
manoeuvre des autorités canadiennes mais ne régit
pas les actes des pays étrangers. En décidant d'ex-
trader un fugitif dans un pays étranger pour qu'il y
subisse son procès et y reçoive une peine en confor-
mité avec les lois de ce pays à l'égard d'une
infraction commise là-bas, on ne peut, à mon avis,
affirmer que le ministre canadien de la Justice le
soumet à un traitement ou à une peine cruelle et
inusitée. Et ce, même dans les cas où le fugitif
pourrait, en application des lois du pays étranger,
subir une peine cruelle et inusitée au sujet d'un
crime commis là-bas dont on le soupçonne être
l'auteur. En effet, dans ces cas, la peine contestée
serait imposée par un pays étranger plutôt que par
les autorités canadiennes.
Je rejetterais l'appel avec dépens.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU: J'ai eu l'avantage de lire
les motifs de mon collègue le juge Hugessen qui
arrive à la conclusion que cet appel devrait être
accueilli. À son avis, le juge de première instance a
commis une erreur en refusant d'accorder un
redressement, sous forme d'un bref de certiorari
ou autre, contre la décision du ministre de la
Justice de livrer l'appelant Kindler aux autorités
américaines sans tenter d'obtenir ou sans obtenir
la garantie «que la peine de mort ne sera pas
infligée ou, si elle l'est, ne sera pas appliquée»
comme le prévoit l'article 6 du Traité d'extradi-
tion entre le Canada et les Etats-Unis d'Amérique
[3 déc. 1971, [1976] R.T. Can. N° 3]. 5 À son avis,
le ministre n'avait d'autre pouvoir discrétionnaire
ni d'autre choix que celui de tenter d'obtenir et
d'obtenir ces garanties, parce que extrader l'appe-
5 Que je reproduis encore pour plus de commodité:
ARTICLE 6
Lorsque l'infraction motivant la demande d'extradition est
punissable de la peine de mort en vertu des lois de l'État
requérant et que les lois de l'État requis n'autorisent pas
cette peine pour une telle infraction, l'extradition peut être
refusée à moins que l'État requérant ne garantisse à l'État
requis, d'une manière jugée suffisante par ce dernier, que la
peine de mort ne sera pas infligée ou, si elle l'est, ne sera pas
appliquée.
Tant en l'absence de celles-ci serait simplement
inacceptable en vertu de notre Constitution, la
peine capitale étant cruelle et inusitée au sens de
l'article 12 de la Charte. J'arrive à une conclusion
différente et je dois, avec égards, exprimer mon
désaccord quant à l'opinion de mon collègue. Le
sujet dont il est question ici est tellement difficile
et controversé et a suscité tellement de discussions
qu'il serait possible d'écrire plusieurs pages à l'ap-
pui de la position que l'on voudrait soutenir à cet
égard. Je pense toutefois que, pour expliquer mon
opinion aujourd'hui, il me suffira de me référer
brièvement aux principaux éléments du débat en
énonçant deux propositions sur lesquelles je m'ap-
puie entièrement.
1. La première proposition est qu'on ne peut
affirmer que la peine capitale, peu importe la
façon dont elle est imposée et pour quel crime, est
forcément cruelle et inusitée au sens de l'article 12
de la Charte.
En 1976, en confirmant une décision rendue à la
majorité par la Cour d'appel de la Colombie-Bri-
tannique, la Cour suprême dans l'arrêt Miller et
autre c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 680, a conclu
que les dispositions sur la peine de mort qui se
trouvaient encore dans le Code criminel [S.R.C.
1970, chap. C-34] peu de temps auparavant ne
constituaient pas une peine cruelle et inusitée qui
allait à l'encontre de l'alinéa 2b) de la Déclaration
canadienne des droits [S.R.C. 1970, Appendice
III]. La même année, la Cour suprême des Etats-
Unis dans l'arrêt Gregg v. Georgia, 428 U.S. 153
(1976), a réitéré sa position antérieure que la peine
de mort n'était pas en soi une peine cruelle et
inusitée qui allait à l'encontre du Huitième amen-
dement de la Constitution américaine. Quelques
années se sont écoulées depuis et, au Canada, la
Charte avec son article 12 est devenue une partie
de la constitution du pays, mais je ne peux voir
pour quelle raison on pourrait arriver à une con
clusion différente dans l'un ou l'autre des pays.
Je n'oublie évidemment pas que dans les deux
pays les termes «cruel et inusité» n'ont pas reçu un
sens littéral et figé. Ils ont été interprétés d'une
manière souple et active pour répondre aux normes
changeantes de la décence. Mais en aucun temps
a-t-on laissé entendre que la notion de base à
laquelle se rapporte l'expression n'était pas stable:
une peine peut être cruelle et inusité soit parce que
la douleur inutile ou la dégradation qu'elle com-
porte la rend ainsi de façon inhérente et absolue
soit parce que son caractère disproportionné en
regard de la gravité du crime commis la rend ainsi.
La peine capitale n'est pas en soi plus cruelle et
inusitée aujourd'hui qu'elle ne l'était il y a douze
ans: il n'y a pas plus imposition d'une douleur
inévitable. Et je ne crois pas que les normes de la
société quant à la décence aient changé dans l'in-
tervalle au point où la peine capitale semblerait
maintenant disproportionnée en regard de la gra-
vité de n'importe quel crime, aussi révoltant et
scandaleux soit-il.
Je n'oublie pas non plus que le 29 juin 1987, à la
suite d'un long débat controversé, le Parlement, à
la majorité de ses membres (148 à 127), a refusé
de donner suite aux pressions en faveur du réta-
blissement de la peine de mort abolie depuis 1976.
Je n'ai cependant pas interprété le vote de cette
majorité comme une indication que la peine capi-
tale était maintenant perçue comme un outrage à
la conscience publique ou une dégradation à la
dignité humaine. Le simple fait qu'il y ait eu vote
prouve le contraire (personne n'oserait imaginer la
tenue d'un vote sur une requête présentée en vue
de rétablir la torture). J'ai interprété la réaction de
la majorité comme provenant d'une conviction pro-
fonde que la peine de mort allait au-delà de ce qui
était nécessaire pour parvenir aux objectifs aux-
quels la sanction qui est imposée en cas de compor-
tement criminel était censée parvenir au Canada,
surtout si l'on considère les autres moyens appro-
priés qui existent; je l'ai interprétée comme prove-
nant aussi d'un sentiment profond que les croyan-
ces et valeurs que la majorité d'entre nous
partageons exigent que nous contrôlions notre ins
tinct naturel en faveur du châtiment et cherchions
des moyens moins irréversibles pour protéger la
société de criminels dangereux. Il y a tout un fossé,
il me semble, entre cette rationalisation, fondée sur
des croyances et des valeurs morales ainsi que sur
une évaluation très poussée des besoins et des
moyens de notre collectivité, et une reconnaissance
que l'on doit enchâsser dans la Constitution que
tout criminel, sans égard à son crime, a un droit
fondamental de ne pas subir la peine de mort.
N'oublions pas que, en l'espèce, je m'intéresse
strictement à la peine de mort per se. De toute
évidence, la manière dont elle est imposée, les
moyens de son application ou son caractère dispro-
portionné en regard de la gravité du crime commis
peuvent faire en sorte qu'une sentence de mort,
dans des circonstances particulières, soit contraire
à notre notion de la décence et donc en conflit
direct avec les prescriptions de la Charte. Mais
cette remarque ne fait que servir d'introduction à
ma seconde proposition.
2. Selon cette seconde proposition, le pouvoir
discrétionnaire que l'article 6 du Traité confère au
ministre pourrait être transformé en un devoir
obligatoire de façon à faire de la recherche et de
l'obtention des garanties dont il est question une
condition de l'extradition seulement si la peine de
mort était per se une peine cruelle et inusitée au
sens de la Charte.
J'invoque à l'appui de cette proposition les ensei-
gnements de la Cour suprême dans trois arrêts
récents relatifs à l'application de la Charte en
matière d'extradition: Canada c. Schmidt, [1987]
1 R.C.S. 500; Argentine c. Mellino, [1987] 1
R.S.C. 536; et États-Unis c. Allard, [1987] 1
R.C.S. 564. Évidemment, le problème provient du
fait que l'extradition concerne le droit internatio
nal et la Charte n'est pas censée avoir de portée
extraterritoriale directe: la Charte ne dicte pas les
actions d'un pays étranger et ses principes ne sont
pas censés régir un gouvernement autre que le
gouvernement canadien.
La principale décision rendue par la Cour dans
ces arrêts est que la Charte, à titre de loi fonda-
mentale du pays, régit les procédures en extradi
tion de la même façon que toute procédure se
déroulant au Canada. Toutes les protections qu'of-
fre la Charte doivent s'étendre à toute personne
visée par ces procédures, que le fugitif arrêté béné-
ficie ou non de ces mêmes protections lorsque ces
procédures se déroulent dans son pays.
Cette principale décision ne répond cependant
pas à la question de savoir si la façon dont l'étran-
ger, une fois extradé, risque d'être traité dans son
pays doit préoccuper les autorités canadiennes.
C'est là, évidemment, la question difficile et essen-
tielle et la seule qui nous préoccupe aujourd'hui.
Voici ce que je dégage des motifs du juge La
Forest qui s'exprimait au nom de la majorité. Oui,
la situation à laquelle le fugitif peut faire face dans
son pays doit préoccuper le Canada en matière
d'extradition. En effet, en certaines circonstances,
cela peut faire de l'extradition elle-même une vio
lation de justice fondamentale. Mais à cet égard,
nous sommes à l'extérieur de la procédure judi-
ciaire de l'extradition per se. C'est l'acte de l'exé-
cutif qui est visé, c'est-à-dire la décision du gouver-
nement, en l'espèce le ministre, d'extrader en
conformité avec la conclusion du juge d'extradi-
tion. Le juge La Forest écrit dans l'arrêt États-
Unis c. Allard (précité) aux pages 572-573 que
«Les tribunaux ont sûrement un rôle de révision en
vertu de leur responsabilité de sauvegarder la
Constitution, mais c'est un rôle qu'ils doivent exer-
cer avec prudence. Nos obligations internationales
sont en jeu et l'exécutif a évidemment la responsa-
bilité première dans ce domaine.»
Les tribunaux ont donc le droit de réviser la
décision de l'exécutif d'extrader mais ils doivent
exercer ce droit «avec prudence». Dans l'arrêt
Argentine c. Mellino, (précité, page 558), le savant
juge a écrit «avec la plus grande circonspection de
manière à respecter la position prééminente de
l'exécutif en matière de relations extérieures.» Que
signifient ces expressions? Après avoir lu attentive-
ment les motifs des trois arrêts, je pense qu'elles
signifient que pour qu'un tribunal intervienne, il ne
suffit pas que la situation qui attend le fugitif dans
son pays ne soit pas entièrement conforme aux
prescriptions de la Charte comme nous les enten-
dons dans ce pays. Il serait nécessaire que la
situation «choque suffisamment la conscience»
(dans l'arrêt Schmidt, précité, à la page 522) et
soit «simplement inacceptable» (dans l'arrêt
Allard, précité, à la page 572) sans égard au
contexte canadien.
Le juge La Forest traitait de cas où les fugitifs
étaient demandés pour subir leur procès, il était
donc préoccupé par l'article 7 de la Charte et les
principes de justice fondamentale. Toutefois, son
interprétation visait certainement à réconcilier les
valeurs enchâssées dans la Charte avec le principe
que les États souverains ont le droit de gérer leurs
affaires en fonction de leurs propres besoins et
valeurs.
On aura constaté que ma seconde proposition est
pleinement conforme à cette interprétation. La
peine ou le traitement auquel un fugitif peut être
soumis s'il retourne dans son pays peut forcer le
ministre à refuser de l'extrader seulement si cette
peine ou ce traitement est en soi ou de façon
absolue contraire à l'article 12 de la Charte,
l'exemple le plus facile étant la torture. Autre-
ment, puisque l'influence du contexte canadien est
mise en cause directement ou qu'un examen de la
situation du pays étranger est nécessaire, la ques
tion devrait relever du pouvoir discrétionnaire de
l'exécutif dans lequel les tribunaux ne devraient
pas s'immiscer.
C'est en m'appuyant sur ces deux propositions
que je crois que cette Cour ne peut intervenir dans
la décision du ministre d'extrader l'appelant.
Je rejetterais l'appel avec dépens.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HUGESSEN (dissident): Joseph John
Kindler a été déclaré coupable de meurtre. Un
tribunal de juridiction compétente de l'État de la
Pennsylvanie l'a trouvé coupable d'un crime parti-
culièrement révoltant au cours duquel il a battu,
enlevé et finalement noyé une personne qui devait
sous peu témoigner contre lui dans une poursuite
criminelle. On peut évaluer la nature du crime à
partir du fait qu'au cours d'une audition sur sen
tence tenue en conformité avec les lois de la Penn-
sylvanie le jury a conclu que les circonstances
aggravantes supplantaient les circonstances atté-
nuantes et a unanimement prononcé une sentence
de mort. Kindler, qui était détenu, s'est cependant
évadé avant que le tribunal de la Pennsylvanie
n'impose la sentence. Il a maintenant refait sur
face au Canada. Les États-Unis ont demandé son
extradition et les étapes dites «judiciaires» de la
procédure établie dans la Loi sur l'extradition 6 ont
été accomplies. Le ministre a ordonné son extradi
tion aux États-Unis.
Cette affaire porte sur les restrictions que la
Charte apporte au pouvoir discrétionnaire du
ministre d'extrader un fugitif.
Plus particulièrement, il s'agit d'un appel d'une
décision de la Division de première instance qui a
refusé d'accorder un redressement, sous forme
d'un bref de certiorari ou autre, contre la décision
6 S.R.C. 1970, chap. E-21.
du ministre de livrer Kindler aux autorités améri-
caines sans tenter d'obtenir les garanties prévues à
l'article 6 du Traité d'extradition entre le Canada
et les États-Unis d'Amérique:
ARTICLE 6
Lorsque l'infraction motivant la demande d'extradition est
punissable de la peine de mort en vertu des lois de l'État
requérant et que les lois de l'État requis n'autorisent pas cette
peine pour une telle infraction, l'extradition peut être refusée à
moins que l'État requérant ne garantisse à l'État requis, d'une
manière jugée suffisante par ce dernier, que la peine de mort ne
sera pas infligée ou, si elle l'est, ne sera pas appliquée.
Même si l'avocat de l'appelant a soulevé plu-
sieurs moyens d'ordre procédural pour contester la
décision du ministre, ces moyens ont tous été jugés
futiles'. Le juge de première instance en a traité de
façon appropriée et complète et nous n'avons pas
demandé d'entendre l'intimé à cet égard.
Une question importante surgit cependant. La
preuve révèle que si Kindler est extradé, il sera
condamné à la peine de mort et que cette sentence
sera exécutée à moins que le verdict ne soit ren-
versé ou la sentence modifiée par des procédures
d'appel ou autrement, ou que la sentence soit
commuée par une prérogative de l'exécutif d'exer-
cer sa clémence. La question est de savoir si le
ministre a le pouvoir discrétionnaire de ne pas
tenter d'obtenir les garanties prévues à l'article 6
du Traité compte tenu de la garantie prévue à
l'article 12 de la Charte selon laquelle chacun a
droit «à la protection contre tous traitements ou
peines cruels et inusités».
À son tour, cette question se divise en deux:
1. L'article 12 de la Charte a-t-il pour effet de
soulever une question qui peut être soumise à
' L'avocat de l'appelant n'a été d'aucune assistance et certai-
nes de ses façons de faire exigent certaines remarques de notre
part. Décrire, comme il l'a fait, la décision du ministre comme
ayant été rendue [TRADUCTION] «après avoir entendu une seule
version de l'histoire» est plus qu'une exagération sans consé-
quence: l'avocat avait non seulement déposé de longs arguments
mais il avait personnellement participé à une audience tenue
devant le ministre avant que la décision soit rendue. De même,
bien qu'il ait été loisible à l'avocat de prétendre, comme il l'a
fait, que le ministre avait commis une erreur de droit parce
qu'il avait tenu compte du fait que l'appelant n'a pas témoigné
à son procès, il ne s'est pas conformé à son devoir d'aviser la
Cour que cette prétention allait à l'encontre de nombreuses
sources reconnues (par. ex. Vézeau c. La Reine, [1977] 2
R.C.S. 277).
l'attention des tribunaux lorsque la violation qui
serait portée à la Charte ne serait pas commise par
l'un des gouvernements mentionnés à l'article 32
mais par un gouvernement étranger? (la question
de la portée extraterritoriale);
2. La peine de mort constitue-t-elle en soi et
sans tenir compte du processus par lequel elle est
imposée un traitement ou une peine cruels et inusi-
tés (la question de la peine cruelle et inusitée)?
1. La question de la portée extraterritoriale
Il est reconnu que la Charte n'a pas de portée
extraterritoriale. L'article 32 qui la rend applica
ble aux législatures et aux gouvernements du
Canada, des provinces et des territoires est restric-
tif à cet égard. L'extradition est le point de rencon-
tre traditionnel entre les droits privés de l'individu
et les droits publics d'un état étranger. Dans l'arrêt
Canada c. Schmidt 8 , le juge La Forest, s'expri-
mant au nom de la majorité a établi la règle
générale quant à la ligne de démarcation entre les
deux de la façon suivante [à la page 5181:
Il ne fait pas de doute que les actes entrepris par le gouverne-
ment du Canada en matière d'extradition, comme dans d'autres
domaines, sont assujettis au contrôle prévu par la Charte (art.
32). Il est cependant tout aussi certain que la Charte ne
s'applique pas aux actes d'un pays étranger: voir, par exemple,
l'arrêt Spencer c. La Reine, [ 1985] 2 R.C.S. 278. En particu-
lier, on ne saurait donner à la Charte un effet qui la rendrait
applicable à la conduite de procédures criminelles dans un pays
étranger.
Cela ne met cependant pas fin à l'affaire. De par
sa nature même, l'extradition exige qu'on livre à
une autorité étrangère une personne qui est au
Canada et comporte l'application du droit cana-
dien (dont les traités sur l'extradition font partie
intégrante) par les tribunaux et gouvernements
canadiens. Ces derniers ne peuvent fermer les yeux
sur les conséquences de l'extradition d'un fugitif.
Le juge La Forest s'exprime ainsi [à la page 522]:
Je ne doute pas non plus que dans certaines situations le
traitement que l'État étranger réservera au fugitif extradé, que
ce traitement soit ou non justifiable en vertu des lois de ce
pays-là, peut être de telle nature que ce serait une violation des
principes de justice fondamentale que de livrer un accusé dans
ces circonstances. À ce propos, il suffit de se référer à une
affaire portée devant la Commission européenne des droits de
l'homme, Altun v. Germany (1983), 5 E.H.R.R. 611, dans
laquelle il a été établi que des poursuites dans le pays requérant
pourraient comprendre le recours à la torture. Il est fort
possible que se présentent des cas bien moins graves où la
s [1987] 1 R.C.S. 500.
nature des procédures criminelles dans un pays étranger ou des
peines prévues choque suffisamment la conscience pour qu'une
décision de livrer un fugitif afin qu'il y subisse son procès
constitue une atteinte aux principes de justice fondamentale
consacrés dans l'art. 7. Je dois dire toutefois que, dans la
plupart des cas du moins, les tribunaux ne doivent intervenir
qu'après l'exercice par l'exécutif de son pouvoir discrétionnaire,
car il appartient au pouvoir exécutif et non pas aux tribunaux
de décider de l'extradition et ceux-ci ne doivent pas supposer à
la légère que l'exécutif manquera à son obligation de se confor-
mer aux normes constitutionnelles en livrant un individu à un
pays étranger dans des circonstances où il serait fondamentale-
ment injuste de le faire.
Le juge La Forest reprend le même thème dans
deux arrêts de même nature rendus en même
temps que l'arrêt Schmidt: Argentine c. Mellino [à
la page 556] 9
Certes, on peut concevoir des situations où il serait injuste
d'extrader un fugitif, soit en raison de l'état général de l'appa-
reil gouvernemental et judiciaire soit, ce qui est plus probable,
parce qu'un individu donné pourra être soumis à un traitement
oppressif. Il s'agit toutefois là de jugements qui relèvent au
premier chef du pouvoir et de la compétence de l'exécutif. Les
tribunaux, en tant que gardiens de la Constitution, peuvent à
l'occasion jouer un rôle utile en contrôlant de telles décisions,
mais ils doivent évidemment faire preuve de la plus grande
circonspection dans ce domaine.
et États-Unis c. Allard [aux pages 572 et 5731 1 °
La seule qMestion qui se pose vraiment en l'espèce est celle de
savoir si les intimés se trouveront aux États-Unis dans une
situation telle que le seul fait que le gouvernement canadien
livre les intimés aux autorités américaines pour qu'ils y subis-
sent leur procès constitue en soi une atteinte à la justice
fondamentale. Comme je l'ai expliqué dans les arrêts Schmidt
et Mellino, précités, le seul fait d'extrader, en vertu d'un traité,
une personne accusée d'avoir commis un crime dans un autre
pays pour qu'elle y soit jugée selon la procédure ordinaire
applicable dans ce pays n'est pas, en soi, une atteinte à la
justice fondamentale, en particulier quand on a établi devant un
tribunal canadien que les faits en cause constitueraient un
crime au Canada s'ils avaient eu lieu ici. Pour en arriver à la
conclusion que l'extradition des intimés porterait atteinte aux
principes de justice fondamentale, il faudrait démontrer que les
intimés feraient face à une situation qui est simplement inac-
ceptable. Il faut alors se souvenir qu'une telle décision discré-
tionnaire appartient d'abord à l'exécutif. Les tribunaux ont
sûrement un rôle de révision en vertu de leur responsabilité de
sauvegarder la Constitution, mais c'est un rôle qu'ils doivent
exercer avec prudence. Nos obligations internationales sont en
jeu et l'exécutif a évidemment la responsabilité première dans
ce domaine.
Il convient de signaler que dans les extraits
reproduits, le juge La Forest se penchait surtout
sur les dispositions de l'article 7 de la Charte qui
9 [1987] I R.C.S. 536.
10 [ 1987] 1 R.C.S. 564.
exigent le respect des principes de justice fonda-
mentale. À mon sens, il ne fait cependant aucun
doute que ses remarques s'appliquent a fortiori
lorsqu'il s'agit de traitements ou de peines cruels et
inusités, contraires à l'article 12. Sa mention de
l'affaire Altun [Altun v. Germany (1983), 5
E.H.R.R. 611] le confirme plus que clairement: il
est tout simplement inconcevable qu'un tribunal ou
un gouvernement canadien approuve l'extradition
d'un criminel, aussi atroce soit son crime, qui sera
torturé par un État étranger.
Tout traitement ou toute peine infligés par un
État étranger, qui porteraient atteinte à l'article 12
parce que cruels et inusités créeraient une situation
qui serait selon les termes de l'extrait de l'arrêt
Allard «simplement inacceptable» aux yeux des
Canadiens.
Je n'ai aucune difficulté à résoudre ce litige en
faveur de l'appelant.
2. La question de la peine cruelle et inusitée
En 1976, la peine capitale a légalement été
abolie au Canada ". Ce n'est que récemment que le
Parlement a encore eu l'occasion de se prononcer
sur le sujet et une majorité importante s'est appo-
sée au rétablissement de la peine de mort. Dans les
faits, elle n'existe plus au Canada depuis 1962.
Plus d'un quart de siècle s'est écoulé depuis la
dernière pendaison.
Bien que ces faits ne nous révèlent pas en eux-
mêmes que la peine de mort est cruelle et inusitée,
ils indiquent largement que la communauté cana-
dienne d'aujourd'hui la juge inacceptable.
Les normes fixées par l'article 12, comme celles
qui se trouvent ailleurs dans la Charte, ne sont pas
coulées dans le béton. La proscription remonte au
Bill of Rights de 1688 [(R.-U.), Will & Mary,
chap. 2] 12 en Angleterre mais on ne pourrait pré-
tendre sérieusement que les spectacles qui se
déroulaient sur la place Tyburn au XVIII' siècle
pourraient aujourd'hui être jugées valides en appli
cation de la Charte.
l' S.C. 1974-75-76, chap. 105, art. 5.
12 En réalité, 1689, selon le calendrier actuel.
Et le rythme du changement quant à ce que
nous jugeons acceptable est rapide. Au cours du
même quart de siècle depuis la dernière pendaison,
nous avons assisté à la naissance d'un programme
public d'aide juridique accessible universellement
en matière criminelle. Je n'ai aucun doute que
nous trouverions aujourd'hui contraire aux princi-
pes de justice fondamentale de condamner un
accusé qui n'était pas représenté par avocat pour la
seule raison qu'il n'en avait pas les moyens.
Dans l'arrêt R. c. Smith 13 , la Cour suprême a
annulé le paragraphe 5(2) de la Loi sur les
stupéfiants 14 qui imposait une peine minimale de
sept ans dans le cas d'importation de stupéfiants
parce que contraire à l'article 12. Même si cet
arrêt portait sur un type de peine (l'incarcération)
qui sur le plan qualitatif était acceptable mais qui
sur le plan quantitatif était exagérément dispro-
portionnée, le juge Lamer, avec qui la majorité des
juges siégeant dans cette affaire s'est dite d'accord
sur ce point, a clairement affirmé qu'il existait
certains types de peines qui ne seraient acceptables
en aucune circonstance [à la page 1074]:
... certaines peines ou certains traitements seront toujours
exagérément disproportionnés et incompatibles avec la dignité
humaine: par exemple, l'imposition d'un châtiment corporel
comme la peine du fouet, sans égard au nombre de coups de
fouet imposé ou, à titre d'exemple de traitement, la lobotomie
de certains criminels dangereux, ou la castration d'auteurs de
crimes sexuels.
Les exemples choisis par le juge Lamer sont
intéressants et instructifs. Le châtiment corporel a
fait partie de nos recueils de lois presque aussi
longtemps que la peine capitale et n'a été aboli que
par la Loi de 1972 modifiant le Code criminel 15 .
Comme dans le cas de la peine de mort, le châti-
ment corporel n'avait pas été appliqué depuis plu-
sieurs années avant qu'il soit formellement aboli.
L'exemple de la castration est également très
révélateur. C'est un traitement médical utilisé cou-
ramment par nos hôpitaux dans les cas de cancer
des testicules. C'est une procédure qui sauve la vie
et que les patients choisissent volontairement dans
l'espoir, souvent concrétisé, de contrecarrer une
mort prématurée. Cependant, à titre de traitement
ou de peine que l'État imposerait obligatoirement,
13 [1987] 1 R.C.S. 1045.
14 S.R.C. 1970, chap. N-l.
15 S.C. 1972, chap. 13.
elle est rejetée sans vraiment susciter de débat. À
mon sens, cela est très révélateur de l'opinion que
nous avons et que nous devrions avoir de la peine
de mort.
Le juge Lamer a poursuivi dans l'arrêt Smith en
formulant certains critères pour déterminer s'il y
avait violation de l'article 12 [à la page 1074]:
Les nombreux critères proposés conformément à l'al. 2b) de
la Déclaration canadienne des droits et au Huitième amende-
ment de la Constitution américaine sont, à mon avis, utiles
comme facteurs permettant de déterminer s'il y a eu violation
de l'art. 12. Ainsi, pour mentionner les critères énoncés par le
professeur Tarnopolsky, les questions de savoir si la peine est
nécessaire pour atteindre un objectif pénal régulier, si elle est
fondée sur des principes reconnus en matière de détermination
de la sentence et s'il existe des solutions de rechange valables à
la peine imposée, constituent des lignes directrices qui, sans être
décisives en elles-mêmes, aident à vérifier si la peine est exagé-
rément disproportionnée.
Ces critères ressemblent étrangement à ceux que
le juge McIntyre, avant d'être nommé à la Cour
suprême, avait proposés dans son opinion dissi-
dente en Cour d'appel de la Colombie-Britannique
dans l'arrêt R. v. Miller and Cockriell 16 . Avec
égards, je ne peux rien ajouter à son examen de
l'affaire sinon que l'écoulement de treize ans et
demi n'a pas affaibli le poids de ses remarques et
je suis heureux de les faire miennes [aux pages 260
à 272]:
[TRADUCTION] Il ne serait pas acceptable d'imposer une peine
qui n'a aucune valeur en ce sens qu'elle ne protège pas la
société en réprimant certains comportements criminels ou
qu'elle répond à quelque autre objectif social. Une peine qui
n'aurait pas ces attributs serait certainement cruelle et inusitée.
La peine capitale ne vise évidemment pas la réinsertion sociale
ou la réhabilitation et les seuls objectifs qu'elle vise ne peuvent
donc être que la dissuasion et la rétribution. Bien qu'il ne puisse
y avoir de doute quant à l'effet qu'elle a sur la personne qui la
subit, cette peine devrait, pour répondre à un objectif social au
sens large, avoir un effet dissuasif sur la population en général
et tendre ainsi à réduire le nombre des crimes violents.
Je suis donc d'avis que la peine capitale ne peut se justifier
par sa valeur dissuasive. La mort est un châtiment extrême.
Elle a toujours été considérée comme le châtiment ultime.
Cette considération a eu pour effet au cours des ans de restrein-
dre progressivement l'imposition de la peine aux seules infrac
tions les plus graves et d'entraîner son abolition dans les faits ou
en droit dans plusieurs États des États-Unis d'Amérique et
dans la plupart des pays d'Europe occidentale et d'entraîner
pratiquement sa disparition au Canada au cours des 12 derniè-
res années. Il appartient à ceux qui souhaitent appliquer ce
châtiment extrême d'en démontrer l'effet dissuasif. Si ce far
16 (1975) , 63 D.L.R. (3d) 193.
deau n'est pas acquitté, et à mon avis il ne l'est pas, alors sans
égard au fait que l'inverse n'est pas établi, la peine de mort n'a
pas résisté à ce test de base. Il serait cruel et inusité d'imposer
le châtiment ultime en invoquant la simple possibilité qu'il
puisse avoir un effet dissuasif.
La peine capitale est-elle acceptable selon les normes de la
décence et de la bienséance? Nul doute que ces normes sont
difficiles à définir mais elles existent vraiment malgré tout. La
société a le droit de se protéger et de protéger ses membres en
imposant des sanctions pénales à ceux qui contreviennent à ses
lois. Certaines sanctions appliquées depuis longtemps sont géné-
ralement acceptables aux yeux du public canadien, d'autres
sont horribles et ont été rejetées. Au XVIII' siècle et au début
du XIX' siècle, les lois des pays les plus civilisés du monde
occidental comportaient des sanctions qui prévoyaient la torture
qui, bien qu'acceptées à l'époque, sont tout à fait rejetées
aujourd'hui. Au cours des siècles, la conscience sociale a rejeté
les pires formes de peines et le nombre d'infractions pour
lesquelles un châtiment corporel draconien pouvait être imposé
a considérablement diminué. En déterminant alors ce qui est
cruel et inusité, il ne faut pas nous restreindre aux normes de
1688 lorsque le Bill of Rights a été adopté en Angleterre ou à
celles du siècle suivant lors de l'adoption de la constitution
américaine. Nous devons considérer toutes les formes légales
d'imposition de peines en regard des conditions et attitudes qui
prévalent aujourd'hui et, pour reprendre les paroles du juge en
chef Warren de la Cour suprême américaine dans l'arrêt Trop
v. Dulles, l'expression «peine cruelle et inusitée» doit »tirer son
sens des normes changeantes de la décence qui marquent le
progrès d'une société en évolution».
Peut-on affirmer qu'il est possible de justifier la peine de
mort pour des raisons de nécessité? L'objet de la peine doit
viser finalement la conduite normale des affaires de la collecti-
vité et la protection de la société contre le préjudice que lui
causent ceux qui contreviennent à ses lois de nature criminelle.
La société a le droit de prendre les mesures qui s'imposent sous
forme de peines pour atteindre à cet objectif. Il ne serait pas
acceptable qu'une société civilisée fasse appel à plus de sévérité
et inflige plus de souffrance dans l'imposition de la peine que ce
qui est raisonnablement nécessaire pour parvenir à son but. Il
s'ensuit donc que si nous voulons appliquer la peine capitale,
sanction extrême, nous devons démontrer que son application
est nécessaire en ce sens que l'objet que constitue la protection
sociale ne peut être atteint autrement. Blackstone partageait
cet avis. Il a dit dans Commentaries, 21st ed., Welsby, aux
pp. 9 et 10:
Mais en effet, si la peine capitale s'avérait par expérience un
recours sûr et efficace, cela n'établirait pas la nécessité (dont
la justice et la bienséance dépendent) de l'imposer chaque
fois quand d'autres moyens échouent. Je crains que ce raison-
nement n'aille beaucoup trop loin. Par exemple, les domma-
ges causés aux voies publiques par des camions chargés sont
reconnus universellement et plusieurs lois ont été adoptées
pour prévenir ces dommages; mais aucune ne s'est avérée
efficace jusqu'ici. Mais il ne s'ensuit cependant pas que la
législature serait justifiée d'infliger la mort à chaque trans-
porteur obstiné qui viole les dispositions de ces lois ou s'y
soustrait.
Nous devons maintenant déterminer si la peine capitale est
un châtiment excessif. On a reconnu depuis des siècles que la
peine imposée pour un crime devait être proportionnelle à
l'infraction. Le droit non contesté de l'État de punir ceux qui
contreviennent à la loi doit être restreint à ce qui est raisonna-
blement nécessaire pour prévenir la répétition de l'infraction et
punir son auteur. La peine excessive ne reçoit plus l'approba-
tion éthique de la société en droit et en morale. Je renvoie
encore aux mots de Blackstone, précité, et je fais miens ceux de
Goldberg, p. 1796:
Même lorsque la peine de mort est imposée parce qu'il y a
eu perte de vie ou parce que celle-ci a été mise en danger, la
constitutionnalité de cette peine dépend de la capacité de
l'État d'établir un motif l'obligeant à l'utiliser plutôt qu'une
peine moins sévère.
En examinant la question, il faut avoir présent à l'esprit les
normes actuelles de la collectivité et l'efficacité d'autres mesu-
res moins sévères.
J'ai déjà tenté de traiter des normes de la collectivité et j'ai
exprimé l'avis qu'il n'existe aucun cas établissant que la peine
capitale est plus efficace que d'autres mesures pour réprimer les
crimes et protéger la société. À mon avis, la peine de mort est,
dans tous les cas, un châtiment excessif. Elle excède de loin le
besoin qui peut la justifier et, dans son application, elle rend
l'erreur qui peut se produire et se produira impossible à
corriger.
À la lumière de ces remarques, on obtient le
résultat suivant avec le critère proposé par le juge
Lamer: le seul but pénal valide que la peine capi-
tale peut prétendre servir est de rendre le contreve-
nant exécuté incapable de répéter son crime. A cet
égard, on peut comparer ce but à la pratique de
certains pays de l'Est de couper la main du voleur.
Pour les mêmes raisons, cette pratique est inaccep-
table. La peine capitale ne relève d'aucun principe
reconnu dans la détermination de la sentence et
puisqu'il existe une autre mesure valide, réalisable
et acceptable elle est exagérément disproportion-
née.
L'opinion dissidente du juge McIntyre dans l'ar-
rêt Miller en Cour d'appel n'a pas été retenue en
Cour suprême du Canada. Au contraire, la Cour a
rejeté unanimement le pourvoi contre la décision
majoritaire de la Cour d'appel de la Colombie-
Britannique ". Le juge Ritchie, s'exprimant au
nom de la majorité des juges de la Cour suprême,
n'a cependant pas traité de la question de fond qui
consistait à savoir si la peine capitale était cruelle
et inusitée. Les juges, à la majorité, étaient plutôt
d'avis que la Déclaration des droits n'avait pas
17 [ 1977] 2 R.C.S. 680.
créé de nouveaux droits et puisque le Parlement
avait reconnu l'existence de la peine de mort avant
et après son adoption, la Déclaration ne pouvait
avoir pour effet d'abolir la peine capitale [aux
pages 704 706]:
Si l'on admet comme je le fais, que l'art. 2 n'a pas créé de
nouveaux droits, il faut conclure que le Parlement n'avait pas
l'intention de créer le droit absolu de ne pas être privé de la vie,
quelles que soient les circonstances, lorsqu'il a édicté que nulle
loi du Canada ne devait s'appliquer comme «infligeant des
peines ou traitements cruels ou inusités, ou comme en autori-
sant l'imposition». Interprété de la sorte, l'article empêcherait
la transgression d'un droit qui n'a jamais existé et aurait ainsi
un effet contraire à son but. Comme je l'ai déjà dit, il revient au
Parlement de décider l'abolition de la peine de mort et on ne
peut y parvenir par une voie indirecte comme celle suggérée par
les appelants.
Pour tous ces motifs, je conclus que les «peines ou traitements
cruels et inusités» mentionnés au par. 2b) de la Déclaration
canadienne des droits n'incluent pas la peine de mort, que ce
paragraphe ne vise pas à rendre inopérantes les dispositions du
Code criminel prévoyant la peine de mort et qu'il n'a pas cet
effet.
Compte tenu de cette conclusion, j'estime que, pour analyser
l'expression «peines ou traitements cruels et inusités» employée
au par. 2b) de la Déclaration canadienne des droits, il n'est pas
nécessaire d'examiner les normes morales actuelles de la collec-
tivité ni l'effet dissuasif de la peine de mort. À mon avis, ces
points soulèvent essentiellement des questions de principe qui,
nécessairement, entrent en ligne de compte dans la décision du
Parlement de maintenir ou non la peine de mort; cependant,
compte tenu de ma conclusion, j'estime que ces considérations
ne sont pas pertinentes à l'égard du point de droit qui nous
occupe, c.-à-d. la question de savoir si les dispositions du par.
2b) de la Déclaration canadienne des droits interdisent l'impo-
sition de la peine de mort pour le meurtre d'un policier, comme
le prévoyaient les art. 214 et 218 du Code criminel, en vigueur
au moment de la perpétration du meurtre en question.
Le juge en chef Laskin, s'exprimant au nom de
la minorité, a, lui, examiné la question de fond et a
conclu que la peine de mort n'était pas cruelle et
inusitée au sens de l'alinéa 2b) de la Déclaration
des droits. Bien qu'elle mérite notre plus grand
respect, cette opinion ne nous lie évidemment pas,
non seulement parce qu'il s'agit d'une opinion
minoritaire, mais pour la raison plus importante
que les décisions rendues en vertu de la Charte, un
document constitutionnel, ne peuvent jamais être
régies par la jurisprudence provenant de disposi
tions non constitutionnelles comme celles de la
Déclaration des droits. J'estime, toujours avec res
pect, que le raisonnement du juge McIntyre dissi
dent alors qu'il était en Cour d'appel, confirmé et
renforcé comme il l'a été avec le passage du temps,
est plus conforme à nos opinions actuelles quant
aux droits protégés par la Charte.
Il est nécessaire de dire quelques mots au sujet
de la décision de notre Cour dans l'affaire Kindler
c. MacDonald 18 à laquelle j'ai participé. Dans
cette affaire, on contestait la décision du ministre
de tenir des enquêtes au sujet de l'appelant en
application de la Loi sur l'immigration de 1976 19 .
Le juge MacGuigan a, au nom de la Cour, formulé
la question de la façon suivante [à la page 38]:
La seule question soulevée dans le cadre du présent appel est
donc celle de la légalité et de la constitutionnalité des décisions
fondées respectivement sur les articles 27 et 28 de la Loi de
tenir des enquêtes en matière d'immigration concernant
l'intimé.
Le juge MacGuigan a, dans sa conclusion, exprimé
certaines remarques au sujet de la situation de
l'appelant dans l'éventualité où il serait extradé
aux Etats-Unis. Ces remarques découlaient à juste
titre du dossier de l'affaire qui avait alors été
produit et de la prétention de l'appelant que ses
droits, reconnus à l'article 7 de la Charte, puissent
être compromis. Le dossier qui nous est soumis ici
est tout à fait différent. Il s'agit de procédures en
extradition et non de décisions administratives qui
pourraient éventuellement mener à l'expulsion.
L'ordonnance qui est contestée en l'espèce porte
sur l'extradition de l'appelant entre les mains des
autorités américaines où, comme je l'ai indiqué, il
sera sujet à la peine de mort à moins qu'un autre
événement ne se produise. Les droits invoqués
relèvent de l'article 12 et non de l'article 7. La
décision rendue auparavant n'a pas d'incidence sur
le résultat en l'espèce.
En effet, il ne m'est pas apparu nécessaire de
traiter de l'article 7 en l'espèce. C'est une tâche
particulièrement difficile que celle de définir dans
quelle mesure les exigences de la justice fondamen-
tale peuvent freiner l'action de l'État en plus de ce
qui est expressément prévu aux articles 8 à 14 et
j'estime que cette tâche ne devrait pas être entre-
prise lorsque l'un de ces articles porte sans équivo-
que sur le sujet. Il en est particulièrement ainsi en
l'espèce: conclure que les droits de l'appelant en
vertu de l'article 7 ont été violés nécessiterait un
examen de la justification possible en vertu de
" [1987] 3 C.F. 34 (C.A.).
19 S.C. 1976-77, chap. 52.
l'article premier, une tâche des plus difficiles et
délicates où la loi fondamentale concernée est
finalement celle d'un État étranger. Toutefois,
dans le cas de l'article 12, je partage l'opinion
exprimée par le juge Le Dain dans l'arrêt Smith,
précité [à la page 1111]:
... qu'une peine jugée cruelle et inusitée ne saurait être justi-
fiée en vertu de l'article premier de la Charte.
Par conséquent, conclure que la peine capitale
est interdite par l'article 12 ne soulève aucune
question en vertu de l'article premier et dispose de
façon absolue du litige qui nous est soumis.
Enfin, en ce qui concerne l'article 7, je n'accor-
derais aucun effet à l'argument a contrario soulevé
par le procureur général. Le texte enchâsse le droit
à la vie; l'interdiction de priver quelqu'un de ce
droit sauf en conformité avec les principes de
justice fondamentale ne peut être inversée de façon
à accorder implicitement à l'État le droit de mettre
des gens à mort. Contrôler l'action de l'État qui
met en jeu la vie ne revient pas à approuver la mise
à mort par l'État.
Pour tous les motifs qui précèdent, je répondrais
également à la seconde question que j'ai formulée
en faveur de l'appelant.
Conclusion
Je conclus que la peine capitale est cruelle et
inusitée au sens de l'article 12 de la Charte. Per-
mettre au ministre d'extrader l'appelant pour qu'il
soit condamné à la peine capitale par les autorités
américaines serait tout simplement inacceptable en
vertu de notre Constitution. Cela étant dit, le
ministre n'a pas d'autre pouvoir discrétionnaire ni
d'autre choix que ceux de tenter d'obtenir et d'ob-
tenir les garanties prévues à l'article 6 du Traité à
titre de condition à l'extradition de l'appelant.
J'accueillerais l'appel et substituerais à la déci-
sion qui a été portée en appel une ordonnance
annulant la décision du ministre et lui renvoyant
l'affaire pour qu'il rende une décision en tenant
compte du fait que l'appelant ne peut être extradé
avant que le ministre tente d'obtenir et obtienne
les garanties prévues à l'article 6 du Traité d'ex-
tradition entre le Canada et les États-Unis
d'Amérique. Je n'accorderais aucun dépens en
cette Cour et en première instance pour les motifs
indiqués à la note 7.
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