T-2093-88
L'agence libérale fédérale du Canada et Red Leaf
Communications Limited (demanderesses)
c.
CTV Television Network Ltd., Société Radio-
Canada, Global Telecommunications Limited
(défenderesses)
RÉPERTORIÉ: AGENCE LIBÉRALE FÉDÉRALE DU CANADA C. CTV
TELEVISION NETWORK LTD.
Division de première instance, juge Martin—
Ottawa, 7 et 8 novembre 1988.
Compétence de la Cour fédérale — Section de première
instance — La loi électorale du Canada impose aux réseaux
défendeurs l'obligation légale d'allouer une période de radio-
diffusion aux partis politiques — La Cour a compétence pour
entendre la demande d'injonction interlocutoire sous le régime
de l'art. 23 de la Loi sur la Cour fédérale — Il ne s'agit pas
seulement d'une question de contrat conclu entre les parties —
La compétence n'a pas, par ailleurs, été expressément conférée
— La décision de l'arbitre en matière de radiodiffusion est
finale uniquement en ce qui concerne la répartition du temps et
non pour ce qui est du contenu de la publicité.
Radiodiffusion — Diffusion d'émissions d'un caractère
politique — La Loi électorale du Canada limite les pouvoirs
de l'arbitre en matière de radiodiffusion — Le CRTC n'a
aucun pouvoir de censurer la publicité de caractère politique
— Les réseaux ne doivent pas faire échec au droit légal des
parties de disposer d'une période de diffusion en refusant les
documents qui leur sont soumis.
Élections — Diffusion d'émissions à caractère politique —
Aux termes de la Loi électorale du Canada, la fonction de
l'arbitre en matière de radiodiffusion ne s'étend pas au contenu
de la publicité — Le CRTC n'a pas le pouvoir de censurer la
publicité — Les réseaux ont l'obligation de diffuser les messa
ges politiques qui leur sont soumis, à moins qu'ils puissent
montrer pourquoi ils devraient en être libérés.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi électorale du Canada, S.R.C. 1970 (1°" Supp.), chap.
14.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap.
10, art. 18, 23.
Loi sur la radiodiffusion, S.R.C. 1970, chap. B-11, art.
3, 15.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, règle 469.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Turmel c. Conseil de la radiodiffusion et des télécom-
munications canadiennes, T-2884-83, juge Walsh, juge-
ment en date du 16-12-83, C.F. 1" inst., non publié.
AVOCATS:
William T. Green, c.r. et Claude Brunet pour
les demanderesses.
Edward A. Ayers, c.r. et Gary A. Maavara
pour la défenderesse CTV Television Network
Ltd.
Gordon F. Henderson, c.r. et Rose-Marie
Perry, c.r. pour la défenderesse Société
Radio-Canada.
William T. Houston pour la défenderesse
Global Communications Limited.
PROCUREURS:
Beament, Green, York, Manton, Ottawa, pour
les demanderesses.
Borden & Elliot, Toronto, pour la défende-
resse CTV Television Network Ltd.
Gowling & Henderson, Ottawa, pour la
défenderesse Société Radio-Canada.
Fraser & Beatty, Ottawa, pour la défende-
resse Global Communications Limited.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MARTIN: Les défenderesses CTV Tele
vision Network Ltd. et la Société Radio-Canada
s'opposent à l'audition de la présente demande
pour le motif que cette Cour n'a pas compétence.
Je conviens avec Mc Green que la signification
de la déclaration n'est pas une condition préalable
pour pouvoir présenter une demande d'injonction
interlocutoire car cela peut être fait en tout temps
sous le régime de la règle 469 [Règles de la Cour
fédérale, C.R.C., chap. 663].
Je souscris également à son argument selon
lequel il n'a pas ajouté les autres réseaux ou
radiodiffuseurs à titre de défendeurs pour la simple
raison qu'ils n'ont pas refusé de diffuser la publi-
cité de ses clients.
J'accepte l'argument de Mc Henderson selon
lequel je n'ai pas compétence pour agir sous le
régime de l'article 18 de la Loi sur la Cour
fédérale [S.R.C. 1970 (2° Supp.), c. 10] parce que
les défendeurs ne sont pas des offices, des commis
sions ou des tribunaux fédéraux.
Je ne suis cependant pas d'accord avec son
argument selon lequel je n'ai pas compétence parce
qu'il s'agit d'un contrat entre les parties ni avec
son idée que la pièce G jointe à l'affidavit de M.
Lutfy constitue le fondement de cette entente. La
pièce G est simplement une liste de détails prati-
ques, tels que le maquillage, l'heure d'arrivée, les
prises de photo et la hauteur des lutrins des chefs
en vue du débat. Il s'agit davantage d'une série de
règles de base que l'on a convenu d'appliquer au
débat et non d'une entente régissant les droits de
propriété sur la radiodiffusion elle-même.
Je ne souscris pas non plus à son argument
portant que la lettre adressée par la Société Radio-
Canada au secrétaire général du Parti libéral du
Canada en date du 24 octobre 1988 constitue le
fondement d'une entente entre les réseaux défen-
deurs et les demanderesses. La question de savoir
si une déclaration unilatérale faite par une partie
peut constituer le fondement d'une entente entre
plusieurs parties et si oui, dans quelle mesure, est
discutable. La lettre me paraît être une simple
déclaration des réseaux disant que le droit d'auteur
sur le débat des chefs de parti leur appartient.
Cette question est également discutable et il en est
ainsi des conséquences découlant de cette pro-
priété, si elle peut être établie.
Me Ayers soutient que je n'ai pas compétence
sous le régime de l'article 23 de la Loi sur la Cour
fédérale car les articles 3 et 15 de la Loi sur la
radiodiffusion [S.R.C. 1970, chap. B-11] confè-
rent expressément le pouvoir de trancher la ques
tion soulevée par les demanderesses au Conseil de
la radiodiffusion et des télécommunications cana-
diennes (CRTC) ou, subsidiairement, à l'arbitre en
matière de radiodiffusion qui s'est déjà prononcé
sur l'affaire en transmettant des lignes directrices
finales et obligatoires qui constituent la pièce B
jointe à l'affidavit de M. Kotcheff.
Si je comprends bien la Loi électorale du
Canada [S.R.C. 1970 (1e" Supp.), chap. 14], l'ar-
bitre a pour fonction de répartir équitablement
entre les différents partis politiques le temps con-
sacré à la diffusion d'émissions d'un caractère
politique. Il est juste d'affirmer, comme l'a dit Me
Ayers, que sa décision est finale et exécutoire mais
uniquement en ce qui concerne la répartition du
temps. Il n'est pas autorisé à se prononcer sur le
contenu de la publicité que les partis politiques
présentent pour fins de diffusion durant les pério-
des qui leur sont allouées.
Le CRTC n'est pas non plus autorisé à censurer
cette publicité. Je vous cite la décision du juge
Walsh en date du 16 décembre 1983 dans l'affaire
John C. Turmel contre le CRTC [Turmel c. Con-
seil de la Radiodiffusion et des télécommunica-
tions canadiennes, T-2884-83, C.F. 1« inst., non
publiée] où, aux pages 8 et 9, il s'est fondé sur la
cause National Indian Brotherhood c. Juneau (No
3), [1971] C.F. 498, (1« inst.), à la page 513 pour
conclure qu'aucun pouvoir de la sorte n'a été con-
féré au CRTC:
Il a souligné à la page 513 que, à la lecture de la Loi dans son
ensemble, il est difficile de conclure que le Parlement a eu
l'intention de donner au Conseil le pouvoir d'agir en qualité de
censeur des émissions à radiodiffuser ou à téléviser. Le juge-
ment porte:
Si telle avait été son intention, il aurait certainement pris des
dispositions quelque part dans la Loi pour donner au Conseil
le pouvoir d'ordonner à une station privée ou à un réseau,
suivant le cas, de modifier une émission ou de ne pas la
diffuser lorsque le Conseil, après enquête, l'estimait outra-
geante. Au lieu de cela, il semble que le seul contrôle qu'il
peut exercer sur la nature des émissions consiste à utiliser ses
pouvoirs d'annulation, de suspension ou de refus de renouvel-
lement de la licence de la station fautive.
Sans décider ou plutôt préjuger des différentes
parties de la requête des demanderesses, sauf le
paragraphe (a) qui demande qu'une période spé-
ciale soit fixée pour l'audition de cette requête et je
fixe cette période à ce matin immédiatement après
mes commentaires, il me semble que le droit légal
des partis politiques de disposer d'une période de
diffusion serait annihilé si les réseaux ou les radio-
diffuseurs refusaient arbitrairement ou capricieu-
sement de diffuser la publicité que les partis politi-
ques leur présentent à cette fin.
Si les radiodiffuseurs ou les réseaux ont une
obligation légale d'allouer une période de radiodif-
fusion, il s'ensuit, à mon avis, qu'ils doivent tout
autant, à moins qu'ils ne puissent démontrer très
clairement qu'ils ne sont pas légalement tenus de le
faire, diffuser les documents qui leur sont présen-
tés par ces différentes parties.
Parce que à mon avis, l'obligation légale des
réseaux défendeurs prévue par la Loi électorale du
Canada d'allouer une période de radiodiffusion
pour des messages politiques implique l'obligation
de diffuser ces messages ou de montrer pourquoi
ils devraient être libérés de cette obligation, je
conclus que cette Cour a compétence pour enten-
dre la présente demande sous le régime de l'article
23 de la Loi sur la Cour fédérale.
Si les demanderesses peuvent me convaincre
d'accorder le redressement demandé aux termes
des paragraphes (b) et (c) de leur requête, j'exami-
nerai le bien-fondé de cette dernière aujourd'hui.
À cet égard, j'entendrai les arguments des avocats
portant sur ces paragraphes (je présume que la
demande d'ordonnance aux termes du paragraphe
(d) a été abandonnée puisque l'action a été inten-
tée) et j'examinerai le reste de la requête seule-
ment si les demanderesses ont gain de cause eu
égard aux paragraphes (b) et (c).
Entre-temps, les requêtes des défenderesses, la
Société Radio-Canada et CTV Television Network
Ltd., visant le rejet de la requête des demanderes-
ses pour le motif que la Cour n'a pas compétence
pour entendre ladite requête sont rejetées sans
dépens.
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