T-2093-88
L'Agence libérale fédérale du Canada et Red Leaf
Communications Limited (demanderesses)
c.
CTV Television Network Ltd., Société Radio-
Canada, Global Communications Limited (défen-
deresses)
RÉPERTORIÉ: AGENCE LIBÉRALE FÉDÉRALE DU CANADA c. CTV
TELEVISION NETWORK LTD.
Division de première instance, juge Martin—
Ottawa, 7, 8 et 10 novembre 1988.
Injonctions — Les réseaux ont refusé de diffuser des messa
ges politiques consistant en extraits tirés d'un débat des chefs
qui avait été diffusé à la télévision — Les demanderesses ont
établi que, selon les art. 99.13 et 99.21 de la Loi électorale du
Canada, les défenderesses avaient une obligation légale prima
facie de diffuser les messages — Les défenderesses ont pré-
senté une défense valable selon laquelle il y avait eu violation
de leur droit d'auteur — La balance des inconvénients penche
en faveur des demanderesses car le rejet de la demande
d'injonction interlocutoire priverait lesdites demanderesses du
droit dont elles sont apparemment titulaires — L'octroi de
l'injonction interlocutoire n'occasionnerait pas aux défende-
resses un préjudice équivalent — Le fait que CTV considère
les messages publicitaires comme contraires à l'intérêt public
n'est pas pertinent en ce qui concerne la balance des inconvé-
nients — Le fait qu'une pénalité ou des mesures disciplinaires
soient prévues en cas de refus de diffuser des messages n'em-
pêche pas l'exécution d'une obligation légale au moyen d'une
'ordonnance de la Cour.
Élections — Les art. 99.13 et 99.21 imposent à première vue
aux réseaux l'obligation de diffuser des messages politiques
— Les messages politiques consistant en extraits des bandes
magnétoscopiques du débat des chefs entrent dans la catégorie
des messages «produits par ou pour» un parti.
Radiodiffusion — Messages politiques — Les art. 99.13 et
99.21 de la Loi électorale du Canada imposent aux réseaux
une obligation légale prima facie de diffuser les messages
politiques — Malgré le mérite de la défense de violation du
droit d'auteur par utilisation d'extraits tirés des bandes
magnétoscopiques du débat des chefs, la balance des inconvé-
nients penche en faveur des demanderesses.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Libertés fon-
damentales — A été rejetée la prétention selon laquelle les
réseaux ont le droit de refuser de diffuser les messages politi-
ques en vertu de la liberté de la presse garantie par la
Constitution.
Il s'agissait d'une demande d'injonction interlocutoire inter-
disant aux réseaux de refuser de diffuser des messages politi-
ques, consistant en extraits tirés d'un débat enregistré sur
bande magnétoscopique, dont les participants étaient les chefs
des trois grands partis politiques. Les articles 99.13 et 99.21 de
la Loi électorale du Canada obligent les défenderesses à libérer
des périodes pour la diffusion des messages politiques gratuits
et des messages politiques payés immédiatement avant la tenue
d'une élection générale. Les réseaux ont prétendu avoir un droit
d'auteur sur les bandes magnétoscopiques et que les messages
politiques ont violés ce droit. La Société Radio-Canada (SRC)
a soutenu également qu'en raison de la liberté de la presse
garantie par la Constitution, il était loisible aux réseaux de
refuser de diffuser de la publicité politique si, pour quelque
raison que ce soit, ils ne désirent pas le faire. La Société a en
outre allégué que, vu que les messages publicitaires étaient des
extraits tirés des bandes magnétoscopiques des débats, ils
n'avaient pas été «produits par les demanderesses ou en leur
nom» au sens des articles 99.13 et 99.21. De plus, il a été
soutenu que le fait que la Loi prévoie d'autres pénalités en cas
de violation d'une obligation interdit le recours à une injonction
interlocutoire pour l'exécution de cette obligation. Enfin, on a
fait allusion à une entente intervenue entre les parties et aux
termes de laquelle les demanderesses convenaient de ne pas
utiliser d'extraits des débats dans leurs messages politiques.
Jugement: la demande doit être accueillie.
Les demanderesses ont établi une cause défendable, et les
défenderesses ont présenté une cause valable. Les demanderes-
ses ont montré que les défenderesses avaient une obligation
légale prima facie de diffuser leurs messages politiques, tandis
que les défenderesses ont prouvé que, en présumant que ces
messages publicitaires constituaient une violation de leur droit
d'auteur, elles avaient agi correctement en refusant de les
diffuser. Comme les plateaux de la balance étaient plus ou
moins en équilibre à cet égard, il fallait se pencher sur la
balance des inconvénients. Si l'injonction interlocutoire était
refusée, les demanderesses subiraient un préjudice plus grand
que celui que subiraient les défenderesses si elle était accordée.
Un refus priverait absolument les demanderesses du droit dont
elles sont apparemment titulaires. Les objections des défende-
resses à la diffusion des messages publicitaires des demanderes-
ses étaient davantage des questions de principe qui continueront
d'exister après les élections. Si la présente décision est infirmée,
le précédent selon lequel il est permis à quiconque d'utiliser ses
documents d'informations n'existerait plus. La présente ordon-
nance ne devrait pas porter atteinte à la crédibilité de CTV en
tant qu'exploitant d'un réseau d'informations, vu qu'elle a agi
rapidement en s'y opposant et qu'elle agirait probablement tout
aussi rapidement pour la faire infirmer au procès. Les objec
tions des défenderesses fondées sur l'intérêt public ne sont pas
pertinentes à la question de la balance des inconvénients.
Quant aux objections secondaires: 1) il n'est pas question de
liberté de la presse; 2) bien que les messages publicitaires aient
été copiés à partir des bandes magnétoscopiques originales, ils
ont été produits par les demanderesses ou en leur nom; 3) le fait
qu'une pénalité soit prévue en cas de refus de diffuser les
messages ou le fait que des mesures disciplinaires puissent être
prises contre les réseaux n'empêchaient pas les demanderesses
de solliciter une ordonnance de la Cour en vue de contraindre
les défenderesses à exécuter une obligation que leur imposait la
loi; 4) il n'y avait aucun élément de preuve tendant à établir
qu'on avait convenu de ne pas utiliser d'extraits des débats pour
préparer des messages publicitaires.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi électorale du Canada, S.R.C. 1970 (1" Supp.), chap.
14, art. 99.13 (édicté par S.C. 1980-81-82-83, chap.
164, art. 17), 99.21 (édicté, idem).
Loi sur la radiodiffusion, S.R.C. 1970, chap. B-1 1.
Loi sur le droit d'auteur, S.R.C. 1970, chap. C-30, art.
4(3) (mod. par S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 4, art. 1),
(4) (mod., idem).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
American Cyanamid Co y Ethicon Ltd, [1975] 1 All ER
504 (H.L.); NWL Ltd y Woods, [1979] 3 All E.R. 614
(H.L.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Can. Admiral Corporation, Ltd. v. Rediffusion, Inc.
(1954), 20 C.P.R. 75 (C. de l'É.).
AVOCATS:
William T. Green, c.r. et Claude Brunet pour
les demanderesses.
Edward A. Ayers, c.r. et Gary A. Maavara
pour la défenderesse CTV Television Network
Ltd.
Gordon Henderson, c.r. et Rose-Marie Perry,
c.r. pour la défenderesse Société Radio-
Canada.
William T. Houston pour la défenderesse
Global Communications Limited.
PROCUREURS:
Beament, Green, York, Manton, Ottawa, pour
les demanderesses.
Borden & Elliot, Toronto, pour la défende-
resse CTV Television Network Ltd.
Gowling & Henderson, Ottawa, pour la
défenderesse Société Radio-Canada.
Fraser & Beatty, Ottawa, pour la défende-
resse Global Communications Limited.
Ce qui suit est la version française dès motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MARTIN: Les demanderesses sollicitent
une injonction interlocutoire interdisant aux défen-
deresses de refuser de diffuser deux messages poli-
tiques et leur ordonnant de les diffuser.
Les messages consistent en deux extraits, l'un de
120 secondes et l'autre de 30 secondes, de la bande
magnétoscopique du débat des chefs politiques qui
a eu lieu le 25 octobre 1988. Les demanderesses
ont sollicité mais les défenderesses ont refusé la
diffusion du premier message en tant que message
politique gratuit prévu à l'article 99.21 de la Loi
électorale du Canada [S.R.C. 1970 (1°' Supp.),
chap. 14 (édicté par S.C. 1980-81-82-83, chap.
164, art. 17)]. Elles ont également refusé de diffu-
ser le deuxième message en tant que message
politique payé prévu à l'article 99.13 [édicté,
idem] de la Loi.
On ne conteste pas que les défenderesses ont
libéré à l'intention des demanderesses diverses
périodes pour la diffusion des messages politiques
gratuits et des messages politiques payés et que, si
elles ne diffusent pas les messages publicitaires qui
font l'objet de la présente requête, elles libéreront
des périodes et diffuseront d'autres messages poli-
tiques payés et gratuits produits par les demande-
resses ou pour leur compte.
Les défenderesses ont refusé de diffuser les mes
sages publicitaires qui font l'objet de la présente
requête principalement parce qu'elles prétendent
avoir un droit d'auteur sur les bandes magnétosco-
piques des débats des chefs et qu'en prenant des
extraits non autorisés des débats pour leurs messa
ges politiques, les demanderesses violent leur droit
d'auteur. J'estime que la «raison principale» pour
laquelle les défenderesses refusent de diffuser les
messages publicitaires des demanderesses est la
présumée violation du droit d'auteur des défende-
resses car celles-ci ont avancé d'autres raisons pour
refuser de diffuser ces messages.
L'avocat de la Société Radio-Canada soutient
qu'en raison de la liberté de la presse garantie par
la constitution, il est loisible aux réseaux de refuser
de diffuser de la publicité politique, si pour quel-
que raison que ce soit, ils ne désirent pas le faire. Il
prétend que les réseaux ont un contrôle absolu sur
le contenu de tout ce qui leur est présenté pour fins
de diffusion.
Il ajoute que parce que les messages publicitai-
res sont des extraits tirés des bandes magnétosco-
piques des débats, ils n'ont pas été produits par les
demanderesses ou en leur nom au sens des articles
99.13 ou 99.21 de la Loi électorale du Canada et
qu'il n'y a par conséquent aucune obligation de la
part des défenderesses de diffuser ces messages.
Qui plus est, soutient l'avocat de Radio-Canada,
même s'il y a obligation de la part des réseaux de
diffuser les messages publicitaires des demanderes-
ses, celles-ci ne peuvent pas demander l'exécution
de cette obligation par voie d'injonction parce que
la Loi prévoit déjà des pénalités en cas de violation
de cette obligation, si obligation il y a, et les
défenderesses sont également susceptibles de voir
leurs licences révoquées ou autrement limitées par
le Conseil de la radiodiffusion et des télécommuni-
cations canadiennes (CRTC) dans un tel cas.
Il affirme enfin qu'il faut une preuve plus étof-
fée pour déterminer la portée d'une présumée
entente entre les demanderesses et les défenderes-
ses afin d'établir s'il existe un engagement quel-
conque de la part des demanderesses à ne pas
utiliser les extraits des débats des chefs en vue de
leurs messages politiques.
En réponse à ces objections, je ferai les observa
tions suivantes :
1. Je ne vois aucune question de liberté de la
presse dans la présente requête sauf que les
demanderesses pourraient avancer un argument
selon lequel elles sont en principe autorisées à
utiliser la presse pour faire connaître leur pro
gramme politique de la façon prévue dans la Loi
électorale du Canada.
2. À mon avis, l'avocat a interprété d'une façon
trop restreinte l'expression «produits par ou en
leur nom» figurant à l'article 99 de la Loi élec-
torale du Canada. Les débats et les bandes
magnétoscopiques des débats peuvent bien avoir
été produits par les réseaux mais à mon avis, les
messages publicitaires de 2 minutes et de 30
secondes enregistrés sur bande magnétoscopique
et présentés aux réseaux pour fins de radiodiffu-
sion ont été préparés ou produits par les deman-
deresses. Il est entendu que ces messages publi-
citaires ont été tirés des bandes
magnétoscopiques originales des débats mais ils
ont été néanmoins produits par les demanderes-
ses ou en leur nom.
3. Les articles 99.13 et 99.21 de la Loi électo-
rale du Canada obligent les défenderesses à
libérer un temps d'émission gratuit et payé pour
la diffusion des émissions politiques. Je ne vois
aucune raison pour laquelle cette obligation ne
peut être exécutée par voie d'ordonnance judi-
ciaire si les défenderesses refusent à tort de
diffuser les documents qui leur sont présentés
par les demanderesses. Présumant qu'une telle
obligation existe, je ne vois pas comment on peut
imposer une pénalité en cas de refus de diffuser
des documents ni comment les réseaux pour-
raient faire l'objet de mesures disciplinaires
prises par le CRTC de telle façon que cela
empêcherait les demanderesses d'obliger les
défenderesses à exécuter une obligation légale
en demandant un redressement comme en
l'espèce.
4. Même si on a laissé entendre qu'il pourrait y
avoir d'autres éléments de preuve qui tendraient
à établir que les demanderesses ont convenu de
ne pas utiliser les extraits des débats pour prépa-
rer leurs messages publicitaires, ce ne sont là
que de vagues prétentions quant à ce qui pour-
rait ou non exister et il n'est même pas probable
que la preuve elle-même pourrait exister. La
délivrance d'une injonction interlocutoire, si elle
est justifiée à d'autres égards, ne devrait pas être
refusée sur la base de prétentions aussi vagues.
En plus d'invoquer au nom de sa cliente les
prétentions de l'avocat de la défenderesse Radio-
Canada et l'objection fondée sur le droit d'auteur,
l'avocat de CTV Television Network Ltd. (CTV) a
prétendu que sa cliente n'était pas liée par les
dispositions des articles 99.13 et 99.21 parce
qu'elle est un exploitant de réseau et non un
radiodiffuseur.
Selon moi, l'avocat entendait n'appliquer cette
prétention qu'à l'article 99.13 qui vise les radiodif-
fuseurs et non à l'article 99.21 qui s'applique
spécifiquement aux exploitants de réseau. Il
semble également ne pas avoir tenu compte du
paragraphe 99.13(2) qui oblige les exploitants d'un
réseau à libérer du temps de diffusion durant les
périodes prévues au paragraphe 99.13(1) lorsqu'il
y a une affiliation entre les radiodiffuseurs et un
exploitant de réseau comme cela est le cas de la
défenderesse CTV.
J'estime également que l'avocat de CTV ne peut
pas prétendre, comme il l'a fait, que sa cliente
n'est pas un «radiodiffuseur» au sens de la Loi
électorale du Canada ou de la Loi sur la radiodif-
fusion [S.R.C. 1970, chap. B-11] car dans l'affida-
vit de M. Tim Kotcheff, un des vice-présidents de
CTV, déposé en preuve, cette défenderesse est
désignée sous le nom de [TRADUCTION] «radiodif-
fuseur licencié».
Ayant examiné ce que je considère être les
objections secondaires à la requête des demande-
resses, j'en arrive maintenant à l'objection princi-
pale fondée sur un présumé droit d'auteur. Les
règles régissant la délivrance d'injonctions interlo-
cutoires sont bien connues et on les trouve généra-
lement dans le jugement de lord Diplock dans
l'affaire American Cyanamid Co y Ethicon Ltd,
[1975] 1 All ER 504 (H.L.). Tous les avocats se
sont fondés sur cet arrêt pour appuyer ou contester
la requête.
Les articles 99.13 et 99.21 de la Loi électorale
du Canada prévoient que les défenderesses doivent
libérer un temps d'émission pour diffuser des émis-
sions politiques au cours d'une période déterminée
précédant une élection générale. Conformément à
ces articles, les défenderesses ont libéré un temps
d'émission gratuit et payé au cours duquel elles
doivent diffuser des émissions politiques qui leurs
sont présentées par les différents partis politiques à
qui des périodes ont été allouées. Les demanderes-
ses ont préparé ces émissions sous forme de deux
messages publicitaires politiques qu'elles ont
demandé aux défenderesses de diffuser. Celles-ci
ont refusé pour les motifs qu'elles ont un droit
d'auteur sur les bandes magnétoscopiques des
débats des chefs et qu'en copiant ces bandes pour
transmettre leurs messages publicitaires, les
demanderesses ont violé leur droit d'auteur.
Celles-ci nient que les défenderesses ont un quel-
conque droit d'auteur sur les débats car ceux-ci ne
peuvent être qualifiés d'oeuvre littéraire, dramati-
que, musicale ou artistique. Se fondant sur l'af-
faire Can. Admiral Corporation, Ltd. v. Rediffu-
sion, Inc. (1954), 20 C.P.R. 75 (C. de l'E.),
l'avocat des demanderesses prétend qu'il ne peut y
avoir de droit d'auteur sur la télédiffusion du débat
parce qu'il n'y a pas eu de fixation d'images
comme l'exige la cinématographie ou tout proces-
sus analogue à la cinématographie.
Il ajoute que même si les défenderesses ont un
droit d'auteur sur les bandes magnétoscopiques des
débats, les demanderesses ne violent pas ce droit
parce qu'elles n'en ont pas copié une partie impor-
tante. Il soutient que le fait d'utiliser une minute et
demie d'un débat de trois heures ne peut pas être
considéré comme une reproduction d'une partie
importante du débat.
Les défenderesses répondent que, contrairement
à l'affaire Admiral dans laquelle la Cour avait
conclu qu'une station de câblodistribution pouvait
enregistrer et retransmettre à ses abonnés la télé-
diffusion en direct d'une partie de football, la
télédiffusion du débat n'était pas en direct. Dans
son affidavit, Kotcheff décrit le processus par
lequel ce qui apparaît sur le réseau est une bande
magnétoscopique du débat qui a été sous-titrée
pour les malentendants. L'avocat de CTV a établi,
ce qui n'a pas été contesté par les demanderesses,
que la bande magnétoscopique qui fait partie de
leurs messages publicitaires est une copie de la
bande magnétoscopique sous-titrée en différé du
débat et non une bande de la télédiffusion en
direct du débat. Le sous-titrage n'est pas la trans
position de chaque mot prononcé au cours du
débat mais le sens de ce qui est dit. Cela, prétend
l'avocat des défenderesses, constitue une œuvre
littéraire originale sur laquelle lesdites défenderes-
ses ont un droit d'auteur.
L'avocat des défenderesses ajoute que conformé-
ment aux dispositions des paragraphes (3) et (4)
de l'article 4 de la Loi sur le droit d'auteur
[S.R.C. 1970, chap. C-30 (mod. par S.R.C. 1970
(2e Supp.), chap. 4, art. 1)], elles ont un droit
d'auteur sur l'organe, c'est-à-dire la bande magné-
toscopique du débat, car le son de la télédiffusion
peut être reproduit mécaniquement à l'aide de cet
organe.
Quant à la prétention des demanderesses selon
laquelle l'extrait d'une minute et demie des bandes
magnétoscopiques du débat ne constitue pas une
partie importante dudit débat, l'avocat fait valoir
que c'est là une question de fait qui doit être
tranchée à la lumière de toutes les circonstances de
l'affaire et non simplement une analyse quantita
tive de ce qui a été extrait en comparaison du tout.
Je suis convaincu, à la lumière de ces faits, que
les demanderesses ont établi une cause défendable
ou qu'il existe une question sérieuse à trancher. Je
suis également convaincu que les défenderesses ont
présenté une défense valable. Les demanderesses
ont montré que les défenderesses ont une obliga
tion légale prima facie de diffuser leurs messages
politiques mais d'autre part, les défenderesses ont
prouvé que, en présumant que les messages publi-
citaires constituent une violation de leur droit
d'auteur présumé, elles ont agi correctement en
refusant de diffuser le matériel contrefait.
Il n'appartient pas au juge des requêtes à ce
stade des procédures de décider du bien-fondé de
ces prétentions. Cela relève plutôt du juge de
première instance. Dans les circonstances, lorsque
les plateaux de la balance sont plus ou moins en
équilibre, comme cela semble être le cas en l'es-
pèce, je dois me pencher sur ce qu'on appelle la
balance des inconvénients ou, en d'autres termes,
sur l'ampleur respective du préjudice ou des dom-
mages irréparables qui seraient causés aux parties
par l'octroi ou le refus de l'ordonnance sollicitée.
À cet égard, la présente affaire semble faire
appel à des considérations quelque peu différentes
du cas où il s'agit d'une requête normale ou plus
habituelle en injonction interlocutoire. Les incon-
vénients qui peuvent souvent être établis comme
un manque à gagner ne peuvent être mesurés de
cette façon par ni l'une ni l'autre partie en l'espèce.
Les demanderesses prétendent subir [TRADUC-
TION] «un préjudice sérieux et irréparable» en
raison du refus des défenderesses de diffuser leurs
messages publicitaires. Pour sa part, la défende-
resse CTV soutient que les annonces publicitaires
sont des parties du débat prises hors contexte et
qu'elles diminueraient ainsi sa crédibilité en tant
qu'exploitant de réseau d'informations, qu'elles
créeraient un précédent qui permettrait à quicon-
que d'utiliser ses documents d'information et
qu'elles mettraient en danger la tenue éventuelle
de débats.
Lorsque j'examine la balance des inconvénients,
j'ai le droit de tenir compte de la réalité, le cas
échéant, selon laquelle l'octroi ou le refus d'une
injonction interlocutoire équivaudrait à un juge-
ment final rendu contre l'une des parties. Comme
lord Diplock l'a déclaré dans l'arrêt NWL Ltd v
Woods, [1979] 3 All E.R. 614 (H.L.) aux pages
625 et 626:
[TRADUCTION] La nature et le degré de préjudice et d'inconvé-
nients que dans les deux éventualités le défendeur et le deman-
deur risquent respectivement de subir en raison de l'octroi ou
du refus d'accorder l'injonction sont généralement suffisam-
ment disproportionnés pour faire en eux-mêmes pencher la
balance d'un côté ou de l'autre. Voilà ce que j'estime être
l'essence de l'arrêt rendu par cette Chambre dans l'affaire
American Cyanamid Co y Ethicon Ltd ([1975] 1 All ER 504,
[1975] AC 396).
Après avoir examiné la position des deux par
ties, je conclus que le degré de préjudice et l'incon-
vénient que les demanderesses pourraient subir si
je refusais d'accorder le redressement sollicité
dépassent de beaucoup les mêmes conséquences
que subiraient les défenderesses si j'accordais le
redressement et je décide par conséquent que la
balance des inconvénients penche en faveur des
demanderesses.
Si je refuse d'accorder le redressement
demandé, les défenderesses auront gain de cause
dans la présente action parce qu'il n'y a pas suffi-
samment de temps entre mon ordonnance et l'élec-
tion pour que mon refus soit annulé à la suite d'un
procès ou, je soupçonne, à toutes fins utiles, en
appel. Mon refus priverait les demanderesses du
droit dont elles ont, de prime abord, prouvé l'exis-
tence. L'incapacité de diffuser ce qu'elles considè-
rent être des messages politiques essentiels, s'il
devait être subséquemment décidé qu'elles ont le
droit de le faire, ne pourrait pas être compensée
par des dommages-intérêts, ni être corrigée par un
jugement favorable faisant suite au procès.
D'autre part, accorder l'ordonnance sollicitée,
bien que ce soit contraire aux vues des défenderes-
ses, ne cause pas un préjudice équivalent. Si je
comprends bien, les objections des défenderesses à
la diffusion des messages publicitaires des deman-
deresses sont davantage des questions de principe
qui continueront d'exister après l'élection. Le pré-
cédent dont elles craignent les conséquences si
l'ordonnance sollicitée était accordée, durera aussi
longtemps que cette décision n'aura pas été infir-
mée à la suite d'un procès ou en appel.
Je ne vois pas pourquoi mon ordonnance porte-
rait atteinte à la crédibilité de CTV en tant qu'ex-
ploitant d'un réseau d'informations. Dès le début,
elle a agi rapidement et vigoureusement en s'y
opposant et il n'y a pas de doute que si elle
continue de voir les choses sous cet angle, elle fera
preuve de la même assiduité pour que mon ordon-
nance soit infirmée au procès ou en appel. Si elle y
réussit, toute crédibilité qu'elle a perdue serait, à
mon avis, entièrement rétablie.
L'objection des défenderesses à la diffusion des
messages publicitaires des demanderesses pour les
motifs que ceux-ci reproduisent des déclarations de
M. Turner hors contexte et confèrent ainsi au
débat un caractère partisan ou qu'il ne serait pas
dans l'intérêt public de diffuser ces messages est
un jugement exprimé par CTV pour censurer les-
dits messages. Quel que soit le bien-fondé de ces
jugements portés par la défenderesse CTV, je ne
crois pas qu'ils aient un lien avec la balance des
inconvénients entre les parties en l'espèce.
J'ordonne par conséquent aux défenderesses
Radio-Canada et CTV de commencer immédiate-
ment à diffuser les messages publicitaires des
demanderesses qui font l'objet de la présente
demande en conformité avec le calendrier convenu
entre les parties. À cet égard, je réalise que même
avec la meilleure volonté de la part des défenderes-
ses pour se conformer aux termes de mon ordon-
nance, cela peut prendre deux ou trois jours avant
que le premier message publicitaire puisse être
diffusé. J'utilise le terme «immédiatement» dans
l'ordonnance qui accompagne les présents motifs
en tenant compte de cette limitation.
À la demande de l'avocat de la défenderesse
Global Communications Limited et avec l'accord
de l'avocat des demanderesses, ladite défenderesse
est exclue des termes de la présente ordonnance.
Les dépens suivront l'issue de la cause.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.