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T-2093-88
L'Agence libérale fédérale du Canada et Red Leaf Communications Limited (demanderesses)
c.
CTV Television Network Ltd., Société Radio- Canada, Global Communications Limited (défen- deresses)
RÉPERTORIÉ: AGENCE LIBÉRALE FÉDÉRALE DU CANADA c. CTV TELEVISION NETWORK LTD.
Division de première instance, juge Martin— Ottawa, 7, 8 et 10 novembre 1988.
Injonctions Les réseaux ont refusé de diffuser des messa ges politiques consistant en extraits tirés d'un débat des chefs qui avait été diffusé à la télévision Les demanderesses ont établi que, selon les art. 99.13 et 99.21 de la Loi électorale du Canada, les défenderesses avaient une obligation légale prima facie de diffuser les messages Les défenderesses ont pré- senté une défense valable selon laquelle il y avait eu violation de leur droit d'auteur La balance des inconvénients penche en faveur des demanderesses car le rejet de la demande d'injonction interlocutoire priverait lesdites demanderesses du droit dont elles sont apparemment titulaires L'octroi de l'injonction interlocutoire n'occasionnerait pas aux défende- resses un préjudice équivalent Le fait que CTV considère les messages publicitaires comme contraires à l'intérêt public n'est pas pertinent en ce qui concerne la balance des inconvé- nients Le fait qu'une pénalité ou des mesures disciplinaires soient prévues en cas de refus de diffuser des messages n'em- pêche pas l'exécution d'une obligation légale au moyen d'une 'ordonnance de la Cour.
Élections Les art. 99.13 et 99.21 imposent à première vue aux réseaux l'obligation de diffuser des messages politiques Les messages politiques consistant en extraits des bandes magnétoscopiques du débat des chefs entrent dans la catégorie des messages «produits par ou pour» un parti.
Radiodiffusion Messages politiques Les art. 99.13 et 99.21 de la Loi électorale du Canada imposent aux réseaux une obligation légale prima facie de diffuser les messages politiques Malgré le mérite de la défense de violation du droit d'auteur par utilisation d'extraits tirés des bandes magnétoscopiques du débat des chefs, la balance des inconvé- nients penche en faveur des demanderesses.
Droit constitutionnel Charte des droits Libertés fon- damentales A été rejetée la prétention selon laquelle les réseaux ont le droit de refuser de diffuser les messages politi- ques en vertu de la liberté de la presse garantie par la Constitution.
Il s'agissait d'une demande d'injonction interlocutoire inter- disant aux réseaux de refuser de diffuser des messages politi- ques, consistant en extraits tirés d'un débat enregistré sur bande magnétoscopique, dont les participants étaient les chefs des trois grands partis politiques. Les articles 99.13 et 99.21 de la Loi électorale du Canada obligent les défenderesses à libérer des périodes pour la diffusion des messages politiques gratuits
et des messages politiques payés immédiatement avant la tenue d'une élection générale. Les réseaux ont prétendu avoir un droit d'auteur sur les bandes magnétoscopiques et que les messages politiques ont violés ce droit. La Société Radio-Canada (SRC) a soutenu également qu'en raison de la liberté de la presse garantie par la Constitution, il était loisible aux réseaux de refuser de diffuser de la publicité politique si, pour quelque raison que ce soit, ils ne désirent pas le faire. La Société a en outre allégué que, vu que les messages publicitaires étaient des extraits tirés des bandes magnétoscopiques des débats, ils n'avaient pas été «produits par les demanderesses ou en leur nom» au sens des articles 99.13 et 99.21. De plus, il a été soutenu que le fait que la Loi prévoie d'autres pénalités en cas de violation d'une obligation interdit le recours à une injonction interlocutoire pour l'exécution de cette obligation. Enfin, on a fait allusion à une entente intervenue entre les parties et aux termes de laquelle les demanderesses convenaient de ne pas utiliser d'extraits des débats dans leurs messages politiques.
Jugement: la demande doit être accueillie.
Les demanderesses ont établi une cause défendable, et les défenderesses ont présenté une cause valable. Les demanderes- ses ont montré que les défenderesses avaient une obligation légale prima facie de diffuser leurs messages politiques, tandis que les défenderesses ont prouvé que, en présumant que ces messages publicitaires constituaient une violation de leur droit d'auteur, elles avaient agi correctement en refusant de les diffuser. Comme les plateaux de la balance étaient plus ou moins en équilibre à cet égard, il fallait se pencher sur la balance des inconvénients. Si l'injonction interlocutoire était refusée, les demanderesses subiraient un préjudice plus grand que celui que subiraient les défenderesses si elle était accordée. Un refus priverait absolument les demanderesses du droit dont elles sont apparemment titulaires. Les objections des défende- resses à la diffusion des messages publicitaires des demanderes- ses étaient davantage des questions de principe qui continueront d'exister après les élections. Si la présente décision est infirmée, le précédent selon lequel il est permis à quiconque d'utiliser ses documents d'informations n'existerait plus. La présente ordon- nance ne devrait pas porter atteinte à la crédibilité de CTV en tant qu'exploitant d'un réseau d'informations, vu qu'elle a agi rapidement en s'y opposant et qu'elle agirait probablement tout aussi rapidement pour la faire infirmer au procès. Les objec tions des défenderesses fondées sur l'intérêt public ne sont pas pertinentes à la question de la balance des inconvénients.
Quant aux objections secondaires: 1) il n'est pas question de liberté de la presse; 2) bien que les messages publicitaires aient été copiés à partir des bandes magnétoscopiques originales, ils ont été produits par les demanderesses ou en leur nom; 3) le fait qu'une pénalité soit prévue en cas de refus de diffuser les messages ou le fait que des mesures disciplinaires puissent être prises contre les réseaux n'empêchaient pas les demanderesses de solliciter une ordonnance de la Cour en vue de contraindre les défenderesses à exécuter une obligation que leur imposait la loi; 4) il n'y avait aucun élément de preuve tendant à établir qu'on avait convenu de ne pas utiliser d'extraits des débats pour préparer des messages publicitaires.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi électorale du Canada, S.R.C. 1970 (1" Supp.), chap. 14, art. 99.13 (édicté par S.C. 1980-81-82-83, chap. 164, art. 17), 99.21 (édicté, idem).
Loi sur la radiodiffusion, S.R.C. 1970, chap. B-1 1.
Loi sur le droit d'auteur, S.R.C. 1970, chap. C-30, art. 4(3) (mod. par S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 4, art. 1), (4) (mod., idem).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
American Cyanamid Co y Ethicon Ltd, [1975] 1 All ER 504 (H.L.); NWL Ltd y Woods, [1979] 3 All E.R. 614 (H.L.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Can. Admiral Corporation, Ltd. v. Rediffusion, Inc. (1954), 20 C.P.R. 75 (C. de l'É.).
AVOCATS:
William T. Green, c.r. et Claude Brunet pour les demanderesses.
Edward A. Ayers, c.r. et Gary A. Maavara pour la défenderesse CTV Television Network Ltd.
Gordon Henderson, c.r. et Rose-Marie Perry, c.r. pour la défenderesse Société Radio- Canada.
William T. Houston pour la défenderesse Global Communications Limited.
PROCUREURS:
Beament, Green, York, Manton, Ottawa, pour les demanderesses.
Borden & Elliot, Toronto, pour la défende- resse CTV Television Network Ltd.
Gowling & Henderson, Ottawa, pour la défenderesse Société Radio-Canada.
Fraser & Beatty, Ottawa, pour la défende- resse Global Communications Limited.
Ce qui suit est la version française dès motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MARTIN: Les demanderesses sollicitent une injonction interlocutoire interdisant aux défen- deresses de refuser de diffuser deux messages poli- tiques et leur ordonnant de les diffuser.
Les messages consistent en deux extraits, l'un de 120 secondes et l'autre de 30 secondes, de la bande
magnétoscopique du débat des chefs politiques qui a eu lieu le 25 octobre 1988. Les demanderesses ont sollicité mais les défenderesses ont refusé la diffusion du premier message en tant que message politique gratuit prévu à l'article 99.21 de la Loi électorale du Canada [S.R.C. 1970 (1°' Supp.), chap. 14 (édicté par S.C. 1980-81-82-83, chap. 164, art. 17)]. Elles ont également refusé de diffu- ser le deuxième message en tant que message politique payé prévu à l'article 99.13 [édicté, idem] de la Loi.
On ne conteste pas que les défenderesses ont libéré à l'intention des demanderesses diverses périodes pour la diffusion des messages politiques gratuits et des messages politiques payés et que, si elles ne diffusent pas les messages publicitaires qui font l'objet de la présente requête, elles libéreront des périodes et diffuseront d'autres messages poli- tiques payés et gratuits produits par les demande- resses ou pour leur compte.
Les défenderesses ont refusé de diffuser les mes sages publicitaires qui font l'objet de la présente requête principalement parce qu'elles prétendent avoir un droit d'auteur sur les bandes magnétosco- piques des débats des chefs et qu'en prenant des extraits non autorisés des débats pour leurs messa ges politiques, les demanderesses violent leur droit d'auteur. J'estime que la «raison principale» pour laquelle les défenderesses refusent de diffuser les messages publicitaires des demanderesses est la présumée violation du droit d'auteur des défende- resses car celles-ci ont avancé d'autres raisons pour refuser de diffuser ces messages.
L'avocat de la Société Radio-Canada soutient qu'en raison de la liberté de la presse garantie par la constitution, il est loisible aux réseaux de refuser de diffuser de la publicité politique, si pour quel- que raison que ce soit, ils ne désirent pas le faire. Il prétend que les réseaux ont un contrôle absolu sur le contenu de tout ce qui leur est présenté pour fins de diffusion.
Il ajoute que parce que les messages publicitai- res sont des extraits tirés des bandes magnétosco- piques des débats, ils n'ont pas été produits par les demanderesses ou en leur nom au sens des articles 99.13 ou 99.21 de la Loi électorale du Canada et
qu'il n'y a par conséquent aucune obligation de la part des défenderesses de diffuser ces messages.
Qui plus est, soutient l'avocat de Radio-Canada, même s'il y a obligation de la part des réseaux de diffuser les messages publicitaires des demanderes- ses, celles-ci ne peuvent pas demander l'exécution de cette obligation par voie d'injonction parce que la Loi prévoit déjà des pénalités en cas de violation de cette obligation, si obligation il y a, et les défenderesses sont également susceptibles de voir leurs licences révoquées ou autrement limitées par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommuni- cations canadiennes (CRTC) dans un tel cas.
Il affirme enfin qu'il faut une preuve plus étof- fée pour déterminer la portée d'une présumée entente entre les demanderesses et les défenderes- ses afin d'établir s'il existe un engagement quel- conque de la part des demanderesses à ne pas utiliser les extraits des débats des chefs en vue de leurs messages politiques.
En réponse à ces objections, je ferai les observa tions suivantes :
1. Je ne vois aucune question de liberté de la presse dans la présente requête sauf que les demanderesses pourraient avancer un argument selon lequel elles sont en principe autorisées à utiliser la presse pour faire connaître leur pro gramme politique de la façon prévue dans la Loi électorale du Canada.
2. À mon avis, l'avocat a interprété d'une façon trop restreinte l'expression «produits par ou en leur nom» figurant à l'article 99 de la Loi élec- torale du Canada. Les débats et les bandes magnétoscopiques des débats peuvent bien avoir été produits par les réseaux mais à mon avis, les messages publicitaires de 2 minutes et de 30 secondes enregistrés sur bande magnétoscopique et présentés aux réseaux pour fins de radiodiffu- sion ont été préparés ou produits par les deman- deresses. Il est entendu que ces messages publi-
citaires ont été tirés des bandes magnétoscopiques originales des débats mais ils ont été néanmoins produits par les demanderes- ses ou en leur nom.
3. Les articles 99.13 et 99.21 de la Loi électo- rale du Canada obligent les défenderesses à libérer un temps d'émission gratuit et payé pour
la diffusion des émissions politiques. Je ne vois aucune raison pour laquelle cette obligation ne peut être exécutée par voie d'ordonnance judi- ciaire si les défenderesses refusent à tort de diffuser les documents qui leur sont présentés par les demanderesses. Présumant qu'une telle obligation existe, je ne vois pas comment on peut imposer une pénalité en cas de refus de diffuser des documents ni comment les réseaux pour- raient faire l'objet de mesures disciplinaires prises par le CRTC de telle façon que cela empêcherait les demanderesses d'obliger les défenderesses à exécuter une obligation légale en demandant un redressement comme en l'espèce.
4. Même si on a laissé entendre qu'il pourrait y avoir d'autres éléments de preuve qui tendraient à établir que les demanderesses ont convenu de ne pas utiliser les extraits des débats pour prépa- rer leurs messages publicitaires, ce ne sont que de vagues prétentions quant à ce qui pour- rait ou non exister et il n'est même pas probable que la preuve elle-même pourrait exister. La délivrance d'une injonction interlocutoire, si elle est justifiée à d'autres égards, ne devrait pas être refusée sur la base de prétentions aussi vagues.
En plus d'invoquer au nom de sa cliente les prétentions de l'avocat de la défenderesse Radio- Canada et l'objection fondée sur le droit d'auteur, l'avocat de CTV Television Network Ltd. (CTV) a prétendu que sa cliente n'était pas liée par les dispositions des articles 99.13 et 99.21 parce qu'elle est un exploitant de réseau et non un radiodiffuseur.
Selon moi, l'avocat entendait n'appliquer cette prétention qu'à l'article 99.13 qui vise les radiodif- fuseurs et non à l'article 99.21 qui s'applique spécifiquement aux exploitants de réseau. Il semble également ne pas avoir tenu compte du paragraphe 99.13(2) qui oblige les exploitants d'un réseau à libérer du temps de diffusion durant les périodes prévues au paragraphe 99.13(1) lorsqu'il y a une affiliation entre les radiodiffuseurs et un exploitant de réseau comme cela est le cas de la défenderesse CTV.
J'estime également que l'avocat de CTV ne peut pas prétendre, comme il l'a fait, que sa cliente n'est pas un «radiodiffuseur» au sens de la Loi électorale du Canada ou de la Loi sur la radiodif-
fusion [S.R.C. 1970, chap. B-11] car dans l'affida- vit de M. Tim Kotcheff, un des vice-présidents de CTV, déposé en preuve, cette défenderesse est désignée sous le nom de [TRADUCTION] «radiodif- fuseur licencié».
Ayant examiné ce que je considère être les objections secondaires à la requête des demande- resses, j'en arrive maintenant à l'objection princi- pale fondée sur un présumé droit d'auteur. Les règles régissant la délivrance d'injonctions interlo- cutoires sont bien connues et on les trouve généra- lement dans le jugement de lord Diplock dans l'affaire American Cyanamid Co y Ethicon Ltd, [1975] 1 All ER 504 (H.L.). Tous les avocats se sont fondés sur cet arrêt pour appuyer ou contester la requête.
Les articles 99.13 et 99.21 de la Loi électorale du Canada prévoient que les défenderesses doivent libérer un temps d'émission pour diffuser des émis- sions politiques au cours d'une période déterminée précédant une élection générale. Conformément à ces articles, les défenderesses ont libéré un temps d'émission gratuit et payé au cours duquel elles doivent diffuser des émissions politiques qui leurs sont présentées par les différents partis politiques à qui des périodes ont été allouées. Les demanderes- ses ont préparé ces émissions sous forme de deux messages publicitaires politiques qu'elles ont demandé aux défenderesses de diffuser. Celles-ci ont refusé pour les motifs qu'elles ont un droit d'auteur sur les bandes magnétoscopiques des débats des chefs et qu'en copiant ces bandes pour transmettre leurs messages publicitaires, les demanderesses ont violé leur droit d'auteur.
Celles-ci nient que les défenderesses ont un quel- conque droit d'auteur sur les débats car ceux-ci ne peuvent être qualifiés d'oeuvre littéraire, dramati- que, musicale ou artistique. Se fondant sur l'af- faire Can. Admiral Corporation, Ltd. v. Rediffu- sion, Inc. (1954), 20 C.P.R. 75 (C. de l'E.), l'avocat des demanderesses prétend qu'il ne peut y avoir de droit d'auteur sur la télédiffusion du débat parce qu'il n'y a pas eu de fixation d'images comme l'exige la cinématographie ou tout proces- sus analogue à la cinématographie.
Il ajoute que même si les défenderesses ont un droit d'auteur sur les bandes magnétoscopiques des débats, les demanderesses ne violent pas ce droit parce qu'elles n'en ont pas copié une partie impor- tante. Il soutient que le fait d'utiliser une minute et demie d'un débat de trois heures ne peut pas être considéré comme une reproduction d'une partie importante du débat.
Les défenderesses répondent que, contrairement à l'affaire Admiral dans laquelle la Cour avait conclu qu'une station de câblodistribution pouvait enregistrer et retransmettre à ses abonnés la télé- diffusion en direct d'une partie de football, la télédiffusion du débat n'était pas en direct. Dans son affidavit, Kotcheff décrit le processus par lequel ce qui apparaît sur le réseau est une bande magnétoscopique du débat qui a été sous-titrée pour les malentendants. L'avocat de CTV a établi, ce qui n'a pas été contesté par les demanderesses, que la bande magnétoscopique qui fait partie de leurs messages publicitaires est une copie de la bande magnétoscopique sous-titrée en différé du débat et non une bande de la télédiffusion en direct du débat. Le sous-titrage n'est pas la trans position de chaque mot prononcé au cours du débat mais le sens de ce qui est dit. Cela, prétend l'avocat des défenderesses, constitue une œuvre littéraire originale sur laquelle lesdites défenderes- ses ont un droit d'auteur.
L'avocat des défenderesses ajoute que conformé- ment aux dispositions des paragraphes (3) et (4) de l'article 4 de la Loi sur le droit d'auteur [S.R.C. 1970, chap. C-30 (mod. par S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 4, art. 1)], elles ont un droit d'auteur sur l'organe, c'est-à-dire la bande magné- toscopique du débat, car le son de la télédiffusion peut être reproduit mécaniquement à l'aide de cet organe.
Quant à la prétention des demanderesses selon laquelle l'extrait d'une minute et demie des bandes magnétoscopiques du débat ne constitue pas une partie importante dudit débat, l'avocat fait valoir que c'est une question de fait qui doit être tranchée à la lumière de toutes les circonstances de l'affaire et non simplement une analyse quantita tive de ce qui a été extrait en comparaison du tout.
Je suis convaincu, à la lumière de ces faits, que les demanderesses ont établi une cause défendable
ou qu'il existe une question sérieuse à trancher. Je suis également convaincu que les défenderesses ont présenté une défense valable. Les demanderesses ont montré que les défenderesses ont une obliga tion légale prima facie de diffuser leurs messages politiques mais d'autre part, les défenderesses ont prouvé que, en présumant que les messages publi- citaires constituent une violation de leur droit d'auteur présumé, elles ont agi correctement en refusant de diffuser le matériel contrefait.
Il n'appartient pas au juge des requêtes à ce stade des procédures de décider du bien-fondé de ces prétentions. Cela relève plutôt du juge de première instance. Dans les circonstances, lorsque les plateaux de la balance sont plus ou moins en équilibre, comme cela semble être le cas en l'es- pèce, je dois me pencher sur ce qu'on appelle la balance des inconvénients ou, en d'autres termes, sur l'ampleur respective du préjudice ou des dom- mages irréparables qui seraient causés aux parties par l'octroi ou le refus de l'ordonnance sollicitée.
À cet égard, la présente affaire semble faire appel à des considérations quelque peu différentes du cas il s'agit d'une requête normale ou plus habituelle en injonction interlocutoire. Les incon- vénients qui peuvent souvent être établis comme un manque à gagner ne peuvent être mesurés de cette façon par ni l'une ni l'autre partie en l'espèce. Les demanderesses prétendent subir [TRADUC- TION] «un préjudice sérieux et irréparable» en raison du refus des défenderesses de diffuser leurs messages publicitaires. Pour sa part, la défende- resse CTV soutient que les annonces publicitaires sont des parties du débat prises hors contexte et qu'elles diminueraient ainsi sa crédibilité en tant qu'exploitant de réseau d'informations, qu'elles créeraient un précédent qui permettrait à quicon- que d'utiliser ses documents d'information et qu'elles mettraient en danger la tenue éventuelle de débats.
Lorsque j'examine la balance des inconvénients, j'ai le droit de tenir compte de la réalité, le cas échéant, selon laquelle l'octroi ou le refus d'une injonction interlocutoire équivaudrait à un juge- ment final rendu contre l'une des parties. Comme lord Diplock l'a déclaré dans l'arrêt NWL Ltd v Woods, [1979] 3 All E.R. 614 (H.L.) aux pages 625 et 626:
[TRADUCTION] La nature et le degré de préjudice et d'inconvé- nients que dans les deux éventualités le défendeur et le deman- deur risquent respectivement de subir en raison de l'octroi ou du refus d'accorder l'injonction sont généralement suffisam- ment disproportionnés pour faire en eux-mêmes pencher la balance d'un côté ou de l'autre. Voilà ce que j'estime être l'essence de l'arrêt rendu par cette Chambre dans l'affaire American Cyanamid Co y Ethicon Ltd ([1975] 1 All ER 504, [1975] AC 396).
Après avoir examiné la position des deux par ties, je conclus que le degré de préjudice et l'incon- vénient que les demanderesses pourraient subir si je refusais d'accorder le redressement sollicité dépassent de beaucoup les mêmes conséquences que subiraient les défenderesses si j'accordais le redressement et je décide par conséquent que la balance des inconvénients penche en faveur des demanderesses.
Si je refuse d'accorder le redressement demandé, les défenderesses auront gain de cause dans la présente action parce qu'il n'y a pas suffi- samment de temps entre mon ordonnance et l'élec- tion pour que mon refus soit annulé à la suite d'un procès ou, je soupçonne, à toutes fins utiles, en appel. Mon refus priverait les demanderesses du droit dont elles ont, de prime abord, prouvé l'exis- tence. L'incapacité de diffuser ce qu'elles considè- rent être des messages politiques essentiels, s'il devait être subséquemment décidé qu'elles ont le droit de le faire, ne pourrait pas être compensée par des dommages-intérêts, ni être corrigée par un jugement favorable faisant suite au procès.
D'autre part, accorder l'ordonnance sollicitée, bien que ce soit contraire aux vues des défenderes- ses, ne cause pas un préjudice équivalent. Si je comprends bien, les objections des défenderesses à la diffusion des messages publicitaires des deman- deresses sont davantage des questions de principe qui continueront d'exister après l'élection. Le pré- cédent dont elles craignent les conséquences si l'ordonnance sollicitée était accordée, durera aussi longtemps que cette décision n'aura pas été infir- mée à la suite d'un procès ou en appel.
Je ne vois pas pourquoi mon ordonnance porte- rait atteinte à la crédibilité de CTV en tant qu'ex- ploitant d'un réseau d'informations. Dès le début, elle a agi rapidement et vigoureusement en s'y opposant et il n'y a pas de doute que si elle continue de voir les choses sous cet angle, elle fera preuve de la même assiduité pour que mon ordon-
nance soit infirmée au procès ou en appel. Si elle y réussit, toute crédibilité qu'elle a perdue serait, à mon avis, entièrement rétablie.
L'objection des défenderesses à la diffusion des messages publicitaires des demanderesses pour les motifs que ceux-ci reproduisent des déclarations de M. Turner hors contexte et confèrent ainsi au débat un caractère partisan ou qu'il ne serait pas dans l'intérêt public de diffuser ces messages est un jugement exprimé par CTV pour censurer les- dits messages. Quel que soit le bien-fondé de ces jugements portés par la défenderesse CTV, je ne crois pas qu'ils aient un lien avec la balance des inconvénients entre les parties en l'espèce.
J'ordonne par conséquent aux défenderesses Radio-Canada et CTV de commencer immédiate- ment à diffuser les messages publicitaires des demanderesses qui font l'objet de la présente demande en conformité avec le calendrier convenu entre les parties. À cet égard, je réalise que même avec la meilleure volonté de la part des défenderes- ses pour se conformer aux termes de mon ordon- nance, cela peut prendre deux ou trois jours avant que le premier message publicitaire puisse être diffusé. J'utilise le terme «immédiatement» dans l'ordonnance qui accompagne les présents motifs en tenant compte de cette limitation.
À la demande de l'avocat de la défenderesse Global Communications Limited et avec l'accord de l'avocat des demanderesses, ladite défenderesse est exclue des termes de la présente ordonnance.
Les dépens suivront l'issue de la cause.
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