T-831-86
Blanche L. Stuart (demanderesse)
c.
La Reine du chef du Canada (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: STUART C. CANADA
Division de première instance, juge Reed —Cal-
gary, 9, 10, 11, 12 et 13 mai; Ottawa, 28 juillet
1988.
Couronne — Responsabilité délictuelle — Dispositions
législatives provinciales, abolissant le critère du «danger inha-
bituel» de la common law, applicables à la Couronne fédérale
— L'art. 3 de la Loi sur la responsabilité de la Couronne
assujettit la Couronne fédérale au même droit des délits que
s'il s'agissait d'un particulier, comprenant la common law en
matière de délits telle qu'elle est modifiée par toute loi provin-
ciale en vigueur au moment du délit — La loi fédérale impose
à la Couronne fédérale l'obligation de diligence raisonnable.
Responsabilité délictuelle — Responsabilité des occupants
— Demanderesse blessée en trébuchant contre une borne dans
le parc de stationnement peu éclairé de l'aéroport de Calgary
— Application du critère établi dans l'affaire Indermaur v.
Dames — La défenderesse a-t-elle exercé une diligence rai-
sonnable pour empêcher que la demanderesse ne se blesse par
suite d'un danger inhabituel? — Facteurs dont il faut tenir
compte pour déterminer s'il s'agit d'un danger inhabituel —
La présence habituelle du danger dans la poursuite des activi-
tés pour lesquelles l'invité est entré dans les lieux dépend d'une
combinaison d'éléments propres à chaque espèce — La défen-
deresse connaissait ou aurait dû connaître l'existence du
danger.
La demanderesse s'est blessée en trébuchant contre une
borne médiane en ciment placée de façon à séparer des rangées
d'automobiles dans le parc de stationnement de l'aéroport de
Calgary. L'endroit était peu éclairé et il n'y avait aucun
passage désigné pour piétons. Il a été reconnu qu'il s'agissait
d'une affaire de responsabilité des occupants et que la deman-
deresse était une invitée. On a prétendu que le critère énoncé
dans l'affaire Indermaur v. Dames devait s'appliquer. Il s'agis-
sait de déterminer si la défenderesse avait exercé une diligence
raisonnable pour protéger la demanderesse d'un danger inhabi-
tuel. On a prétendu subsidiairement que la Occupiers' Liability
Act de l'Alberta, qui a abrogé le critère de common law du
«danger inhabituel», devait s'appliquer à la Couronne fédérale
par l'effet de l'article 3 de la Loi sur la responsabilité de la
Couronne, qui assujettit la Couronne fédérale au même droit
des délits que s'il s'agissait d'un particulier.
Jugement: l'action devrait être accueillie, mais la demande-
resse est responsable à 80 % de l'accident.
Afin de déterminer s'il existe un danger inhabituel, il faut
tenir compte des facteurs suivants: (I) le danger était-il caché
(il n'est toutefois pas nécessaire que le danger soit caché pour
qu'il soit considéré inhabituel)'?; (2) l'absence d'autres acci
dents rapportés (même si le fait que les lieux ont été utilisés
quotidiennement par un grand nombre de personnes au cours
de longues années sans aucun accident grave ne prouve pas
l'inexistence d'un danger inhabituel, surtout lorsqu'il s'agit d'un
accident de trébuchement qui ne devrait habituellement pas
donner lieu à des blessures graves); (3) la facilité avec laquelle
on peut éliminer le danger (un danger que l'on peut facilement
éliminer est inhabituel puisque des gens raisonnables supprime-
raient ce danger). En appliquant le critère qui consiste à
demander s'il s'agit d'un danger habituellement présent dans la
poursuite des activités pour lesquelles l'invité est entré dans les
lieux, il faut porter attention à la combinaison particulière des
facteurs de chaque espèce. Même si certains éléments en soi,
tels que les bornes en ciment et les faibles lumières, sont
habituels dans les parcs de stationnement, la combinaison
particulière des éléments existants en l'espèce a créé un danger
inhabituel. La défenderesse connaissait ou aurait dû connaître
le danger car celui-ci était évident pour toute personne appelée
à marcher dans le parc de stationnement. La défenderesse ne
peut se dégager de sa responsabilité en invoquant qu'elle s'était
fiée aux architectes puisqu'elle avait déjà corrigé un autre
danger pour lequel les mêmes architectes étaient responsables.
Les avertissements placés à l'entrée indiquent que la défende-
resse connaissait l'existence du danger.
De toute façon, la loi provinciale devrait s'appliquer à la
Couronne fédérale. Le sens clair de l'article 3 de la Loi sur la
responsabilité de la Couronne porte que la Couronne fédérale
est assujettie au même droit des délits que s'il s'agissait d'un
particulier. Cela comprend la common law en matière de délits
telle qu'elle est modifiée par toute loi provinciale en vigueur au
moment du délit. La proposition selon laquelle la Couronne
fédérale n'est pas liée par les modifications législatives appor-
tées au droit en matière de délits après le mois de mai 1953
provient de décisions rendues avant 1952, époque à laquelle les
dispositions législatives pertinentes étaient très différentes de
l'article 3 de la Loi sur la responsabilité de la Couronne. En
l'absence d'un énoncé contraire exprès, les lois doivent être
interprétées comme parlant toujours au présent. Il n'existe dans
l'article 3 de la Loi sur la responsabilité de la Couronne
aucune disposition limitant expressément la responsabilité de la
Couronne à celle à laquelle était assujetti un particulier «en
date du mois de mai 1953». La tendance récente de la jurispru
dence est de traiter la Couronne fédérale comme un particulier.
La défenderesse a manqué à l'obligation de diligence raisonna-
ble à laquelle la loi de l'Alberta assujettit les particuliers.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi de la cour de l'Échiquier, S.R.C. 1906, chap. 140,
art. 19, 20.
Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. 1-23, art. 10.
Loi sur la Cour de l'Échiquier, S.R.C. 1952, chap. 98,
art. 50.
Loi sur la responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970,
chap. C-38, art. 3.
Negligence Act, R.S.O. 1950, chap. 252, art. 2, 6.
Occupiers' Liability Act, R.S.A. 1980, chap. O-3, art. 5.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Indermaur v. Dames (1867), L.R. 2 C.P. 311 (C. de l'É.);
Austin v. Gendis Inc. and Greenberg Store (1985), 68
N.B.R. (2d) 57 (B.R.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Green v. Fibreglass Ltd., [1958] 2 Q.B. 245; La Reine v.
Breton, [1967] R.C.S. 503.
DECISIONS EXAMINEES:
Young v. Dari Shoppes Ltd. (1971), 4 N.B.R. (2d) 145
(C.A.); Campbell v. Royal Bank of Canada, [1964]
R.C.S. 85; Snitzer v. Becker Milk Co. Ltd. et al. (1976),
15 O.R. (2d) 345 (H.C.); Suche c. Canada (ministère des
Transports) (1987), 10 F.T.R. 95 (1'° inst.); London
Graving Dock Co. Ld. v. Horton, [19511 A.C. 737
(H.L.); Maimy et al. v. Can. Safeway Ld., [1975] 6
W.W.R. 612 (B.R. Sask.); Preston v. Canadian Legion,
Kingsway Branch No. 175 et al. (198l), 123 D.L.R. (3d)
645 (C.A. Alb.); Schwella, John F. v. The Queen and
Hydro-Electric Power Commission of Ontario et al.,
[1957] R.C.E. 226; The Queen v. Murray et al., [1967]
R.C.S. 262; Lamoureux, Luc c. Le Procureur Général du
Canada, [1964] R.C.E. 641; The King v. Armstrong
(1908), 40 R.C.S. 229; Gauthier v. The King (1918), 56
R.C.S. 176; Baird c. La Reine du chef du Canada,
[1984] 2 C.F. 160 (C.A.); R. v. Nord-Deutsche Versi-
cherungs-Gesellschaft et al., [1971] R.C.S. 849.
DECISIONS CITÉES:
Bay-Front Garage Ltd. v. Evers, [1944] R.C.S. 20;
Porter v. Sinbad's Limited (1985), 156 A.P.R. 327
(C.S.T.-N.); Houle v. S.S. Kresge Co. Ltd. (1974), 55
D.L.R. (3d) 52 (C. dist.); Sanfacon v. Dartmouth School
Board (1977), 25 N.S.R. (2d) 451 (C.S.); Pfister v.
T.T.C., [1946] 3 D.L.R. 71 (C.A. Ont.); Burke v. The
Field and Stream Inc., Braemar Inc., Broderick and
Cooke (1979), 61 A.P.R. 132 (C.S.I.-P.-E.); Smith v.
Provincial Motors Ltd. (1962), 32 D.L.R. (2d) 405
(C.S.N.-E.); Stuckless c. La Reine (1975), 63 D.L.R.
(3d) 345 (C.F. l inst.); Kennedy c. La Reine du chef du
Canada (1980), 116 D.L.R. (3d) 206 (C.F. l" inst.);
Kwasnie v. Penthouse Towers Ltd. and Cal- Mor Indus
tries Ltd., [1972] 3 W.W.R. 266 (C.S. Alb.); Dale Estate
and Dale v. Whelan and Loveys (1986), 62 Nfld. &
P.E.I.R. 38 (C.S.T.-N.).
DOCTRINE
Linden, Allen M. Canadian Tort Law, 4th ed. Toronto:
Butterworths, 1988.
Linden, Allen M. La responsabilité civile délictuelle, 3'
éd., Toronto: Butterworths, 1985.
Fleming, John G. The Law of Torts, 6th ed. Sydney: Law
Book Co., 1983.
AVOCATS:
Shelley N. Phillips pour la demanderesse.
John E. Davison et William E. McNally pour
la défenderesse.
PROCUREURS:
Howard, Mackie, Calgary, pour la demande-
resse.
MacLeod Lyle Smith McManus, Calgary,
pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE REED:
NOTE DE L'ARRÊTISTE
Le directeur général a décidé de publier la
présente décision parce qu'elle passe en revue la
responsabilité des occupants en common law et
qu'elle aborde la question de l'assujettissement
de la Couronne fédérale aux lois provinciales
régissant la responsabilité délictuelle. Sont
omises et remplacées par un résumé (1) les
treize premières pages des motifs du jugement
portant sur l'examen de la preuve et (2) les six
dernières pages portant sur l'évaluation des
dommages-intérêts.
La demanderesse réclame des dommages-
intérêts dans une affaire de responsabilité des
occupants. La demanderesse a subi des blessu-
res importantes lorsqu'elle a trébuché contre une
borne médiane en ciment placée de façon à
séparer des rangées d'automobiles dans le parc
de stationnement de l'aéroport de Calgary. Les
blessures comprenaient des fractures du poignet
et de la main, des égratignures et des meurtrissu-
res au visage accompagnées du bris de prothè-
ses dentaires.
Même s'il existait dans la rampe d'accès un
avertissement invitant les utilisateurs du parc de
stationnement à «prendre garde de tomber», son
énoncé était trop long pour être lu rapidement et
son emplacement mal choisi. La demanderesse a
toutefois prétendu que les niveaux d'éclairement
étaient trop faibles, ce qui constituait un risque
pour la sécurité. Elle a prétendu que la moitié des
lampes étaient éteintes pour des raisons d'éco-
nomie d'énergie et que les pratiques d'entretien
étaient inadéquates. Il s'agissait de déterminer si
le concepteur avait choisi un niveau d'éclairement
suffisamment élevé, lorsque maintenu en service,
et s'il y avait d'autres facteurs qui indiquaient que
des mesures de sécurité supplémentaires ou un
meilleur éclairage auraient dû être apportés sur
les lieux de l'accident. La Cour a conclu que la
pratique d'économie d'énergie (consistant à
éteindre une rangée de lumières sur deux) n'avait
pas entraîné la chute de la demanderesse. La
Cour n'a pu conclure que le système d'éclairage
avait été conçu autrement qu'en conformité avec
les normes généralement acceptées à l'époque.
Elle a toutefois conclu que la conception du parc
de stationnement (absence de voies piétonnières
obligeant les utilisateurs à se déplacer entre les
automobiles et à enjamber les bornes en ciment)
de même que le bas niveau d'éclairement à l'en-
droit de la chute ont créé un danger inhabituel.
Quant à la question de la connaissance du danger
par la demanderesse, le juge Reed n'a éprouvé
aucune difficulté à conclure que la demanderesse
connaissait ou aurait dû connaître l'existence des
bornes et qu'elle était consciente du faible éclai-
rage. D'autre part, elle ne connaissait pas le parc
de stationnement et suivait des parents qui
avaient une meilleure connaissance des lieux.
Critère juridique applicable—Danger inhabituel
Les deux avocats fondent leurs arguments sur la
même prémisse, soit qu'il s'agit d'un cas de respon-
sabilité de l'occupant et que la demanderesse est
une invitée. Cet aspect de l'espèce n'est pas en
litige. Par conséquent, il est affirmé que le critère
établi dans l'affaire Indermaur v. Dames (1867),
L.R. 2 C.P. 311 (C. de l'É.), à la page 313, est
applicable:
[TRADUCTION] Quelle est donc l'obligation imposée par la loi
aux propriétaires de ces lieux? Ils étaient utilisés pour les fins
d'une raffinerie de sucre, et il se peut fort bien que ces lieux
aient habituellement des trous dans les planchers des différents
étages et que ceux-ci soient laissés sans aucune clôture ou
barrière de sécurité durant le jour lorsque les travailleurs, qui
doivent être au courant du caractère dangereux des lieux, sont à
l'oeuvre; mais si quelqu'un occupant ces lieux conclut un con-
trat en vertu duquel des travailleurs qui ne connaissent proba-
blement pas ce qui est habituel en pareils lieux ou qui ne sont
pas au courant du danger auquel ils sont soumis doivent s'y
rendre, n'est-il pas tenu soit d'élever une clôture ou une barrière
de sécurité autour du trou ou, s'il ne le fait pas, de donner à ces
travailleurs un avis raisonnable de faire attention et d'éviter le
danger? Je pense que la loi lui impose effectivement une telle
obligation. C'est la conclusion adoptée dans le jugement de la
cour de première instance, portant que: «Relativement à ce
genre de visiteur du moins, nous considérons comme établi en
droit que ce dernier, en exerçant une diligence raisonnable pour
assurer sa propre sécurité, a le droit de s'attendre à ce que
l'occupant exerce également une diligence raisonnable pour
prévenir un préjudice occasionné par un danger exceptionnel
qu'il connaît ou devrait connaître; et, lorsqu'il y a preuve de
négligence, la question de savoir si pareille diligence raisonna-
ble a été exercée au moyen d'un avis, d'un éclairage, d'une
surveillance suffisante, ou autrement, et s'il y a eu négligence
contributive de la part de la personne lésée, doit être détermi-
née par un jury comme une question de fait.» [Non souligné
dans le texte original.]
À l'examen de la jurisprudence, on constate une
surabondance de raisonnements sur les règles
applicables aux affaires de responsabilité des occu
pants, et en particulier une grande confusion à
l'égard du sens exact du critère établi dans l'af-
faire Indermaur v. Dames. Dans l'ouvrage de
Linden intitulé Canadian Tort Law (4e éd., 1988)
à la page 599, se trouve la déclaration suivante:
La common law canadienne sur la responsabilité des occupants,
qui traite de la responsabilité délictuelle des personnes qui
contrôlent les biens-fonds envers celles qui y pénètrent, consti-
tue un véritable fouillis. Les règles rigides et les catégories
formelles établies dans ce domaine ont, peut-être plus que dans
tout autre, engendré la confusion et multiplié les injustices.
Cela se comprend en partie, puisque «d'historique de ce sujet est
celui du conflit entre les principes généraux du droit de la
négligence et l'immunité traditionnellement accordée aux pro-
priétaires fonciers». *
Dans l'ouvrage de Fleming, The Law of Torts (6e
éd., 1983), voici ce qui est affirmé à la page 416:
[TRADUCTION] Cet accent mis sur les catégories et les
étiquettes découle d'un haut degré de formalisme qui, d'après
notre expérience, s'est révélé une source fertile de distinctions
irréalistes, de résultats capricieux, de même que d'un nombre
trop grand d'appels qui auraient dît être des questions de fait
mais qui ont été déformés en questions de droit. En réponse à
une insatisfaction croissante, une réforme draconienne en
Angleterre a finalement introduit la notion d'«obligation com
mune» de diligence raisonnable envers tous les visiteurs autori-
sés, sans distinction.
En ce qui a trait expressément aux invités, Linden
écrit ce qui suit, à la page 607:
Le juge Willes a expliqué en ces termes l'obligation d'un
occupant envers un invitee, dans l'affaire Indermaur v. Dames:
u... nous considérons comme établi que l'invitee qui fait
preuve d'une prudence raisonnable pour assurer sa propre
sécurité est en droit d'exiger que l'occupant exerce une
prudence raisonnable pour prévenir les dommages pouvant
résulter d'un danger inhabituel, qu'il connaît ou devrait
connaître; ...»
Dans l'affaire Smith v. Provincial Motors Ltd., il a été avancé
qu'on devrait se poser quatre autres questions, après avoir
déterminé que la personne est un invitee. Premièrement, existe-
t-il un danger inhabituel? Deuxièmement, le défendeur le con
* N.D.T. Version française de la troisième édition (1985)
portant le titre: La responsabilité civile délictuelle, par Allen
M. Linden. Toronto: Butterworths, vol. 2, p. 772.
naissait-il ou avait-il des raisons de le connaître? Troisième-
ment, le défendeur s'est-il comporté raisonnablement? Quatriè-
mement, le demandeur a-t-il exercé une prudence raisonnable
pour assurer sa propre sécurité, ou a-t-il pris le risque
volontairement?
Le concept de danger inhabituel a fait l'objet de controverses.
Il a d'ailleurs été démontré qu'il a été intégré à notre droit par
erreur, à la suite d'une mauvaise interprétation de la jurispru
dence par le juge Willes. Néanmoins, les tribunaux persistent à
utiliser cette notion.
Il a été décidé que l'expression «danger inhabituel» a un
caractère «relatif», qui dépend des lieux où l'incident s'est
produit et de la catégorie de personnes à laquelle l'invitee
appartient. Un danger est inhabituel si «on ne le rencontre pas
généralement en exécutant la tâche ou en remplissant les
fonctions dont l'invitee s'occupait». Il s'agit d'une notion plus
objective que subjective, de telle sorte que le facteur détermi-
nant sera beaucoup plus la catégorie de personnes à laquelle
l'invitee en question appartient que ses connaissances et son
expérience réelles. La connaissance du demandeur n'a aucune
incidence sur le caractère inhabituel du danger; elle en a
seulement sur les questions de négligence de la victime et
d'acceptation volontaire du risque. **
Et dans Fleming, aux pages 429 et 430:
[TRADUCTION] Le critère de la diligence raisonnable envers
les invités a été formulé avec vigueur par le juge Willes dans
l'affaire faisant jurisprudence Indermaur v. Dames: [TRADUC-
TION] «Nous considérons comme établi en droit que [l'invité],
en exerçant une diligence raisonnable pour assurer sa propre
sécurité, a le droit de s'attendre à ce que l'occupant exerce
également une diligence raisonnable pour prévenir un préjudice
occasionné par un danger exceptionnel qu'il connaît ou devrait
connaître; et, lorsqu'il y a preuve de négligence, la question de
savoir si pareille diligence raisonnable a été exercée au moyen
d'un avis, d'un éclairage, d'une surveillance suffisante, ou
autrement, et s'il y a eu négligence contributive de la part de la
personne lésée, doit être déterminée par un jury comme une
question de fait.»
La teneur de cette déclaration est que l'obligation de l'hôte à
l'égard des dangers que peuvent présenter les lieux qu'il occupe
devrait être mesurée par la norme flexible de la diligence
raisonnable, dans le cadre du droit général en matière de
négligence. Malheureusement, elle a été victime d'une ten-
dance, encouragée par les auteurs dans le passé et soutenue
depuis longtemps par les cours, à la rehausser en quelque sorte
au rang des définitions légales et à en déformer la signification,
habituellement au détriment des demandeurs, en transformant
ce qui devrait normalement constituer des questions de fait en
des propositions dogmatiques de droit. Dernièrement toutefois,
cette tendance a été renversée, soit par des lois modificatives,
comme c'est le cas en Angleterre, soit par des jugements qui
ont contourné le précédent gênant d'une ère antérieure.
La marque propre de l'obligation de l'hôte, par comparaison
à celle du concédant d'une licence, est qu'elle s'étend non
seulement aux dangers qu'il connaît, mais également à ceux
qu'il devrait connaître. En bref, il doit prendre des mesures
positives pour vérifier l'existence de dangers qu'une inspection
raisonnable pourrait révéler, et de les éliminer.
** N.D.T. Ibid., p. 781 et 782.
Dans l'affaire Austin v. Gendis Inc. and Green-
berg Store (1985), 68 N.B.R. (2d) 57 (B.R.), à la
page 59, le juge Creaghan a exprimé l'avis que
dans des cas comme celui qui nous occupe, il serait
plus indiqué d'appliquer un critère fondé sur «la
diligence raisonnable» que de tenter de déterminer
l'existence d'un danger inhabituel. Je dois admet-
tre que je partage l'avis exprimé par le juge Creag-
han. En fait, l'interprétation que je donne à l'af-
faire Indermaur v. Dames me porterait à conclure
que dans cette cause la Cour ne faisait qu'appli-
quer le critère de la diligence raisonnable. Toute-
fois, la situation factuelle particulière à l'espèce
comprenait l'existence d'un danger inhabituel
(c.-à-d. des trous dans le plancher, sans aucune
clôture). J'aurais pensé que le critère établi dans
l'affaire Indermaur v. Dames ne constituait qu'une
application particulière du principe plus large qui
oblige à faire preuve de diligence raisonnable pour
éviter des blessures aux personnes bénéficiaires de
cette obligation. Je ne puis m'empêcher de citer les
commentaires précis du juge Creaghan, (aux pages
59 et 60):
Une étude de la jurisprudence et des ouvrages de doctrine
portant sur «la responsabilité de l'occupant» m'amène à con-
clure que la question «d'exercer une diligence raisonnable» est
peut-être plus pertinente que celle d'établir une quelconque
définition relative «d'un danger inhabituel». En effet, pour
déterminer quelle est l'obligation de l'occupant envers l'invité, il
semblerait approprié de se servir du critère de la norme de
prudence qui doit raisonnablement s'appliquer, dans les circons-
tances, pour s'assurer que les personnes qui pénètrent dans les
lieux sont raisonnablement en sécurité lorsqu'elles s'y trouvent.
Je pense qu'il est utile de se rapporter à ce que le professeur
A. Linden a dit à propos du principe juridique établi dans
l'arrêt Indermaur v. Dames, à la page 838 de son ouvrage
intitulé A Century of Tort Law in Canada: Whither Unusual
Dangers, Products Liability and Automobile Accident Com
pensation? (1967), 45 R. du B. Can. 831:
«A première vue, cette simple affirmation semble exprimer
une obligation de n'exercer qu'une diligence raisonnable,
c'est-à-dire la norme de prudence ordinaire. Le doyen Prosser
a abondé dans ce sens. Certains juges ont, eux aussi, con-
fondu ce principe avec la norme habituelle de diligence
raisonnable. Cependant, la plupart des juges anglais et cana-
diens n'ont pas été satisfaits de cette interprétation facile. Au
lieu de cela, ils se sont accrochés à l'expression «danger
inhabituel» et comme ci cette expression était d'origine légis-
lative, ils ont bâti autour d'elle un corpus juridique qui est
toujours déroutant, souvent dénué de sens et parfois injuste et
tout à fait inutile. Hypnotisés par la prose du juge Willes,
l'architecte du droit du milieu de l'époque victorienne, que
«la Muse a inspiré», ils ont adhéré au concept de danger
inhabituel pendant plus d'un siècle sans vérifier sa généalo-
gie. S'ils l'avaient fait, ils auraient découvert que le juge
Willes avait mal interprété le droit.»
Voir aussi ce que le juge MacDonald, de la Cour suprême de
la Nouvelle-Écosse, a affirmé aux pages 269 et 270 de l'arrêt
Benneth'v. Dominion Stores (1962), 30 D.L.R. (2d) 266, et ce
qu'a dit E. Harris aux pages 428 et suivantes, dans son article
Some Trends in the Law of Occupier's Liability (1963), 41 R.
du B. Can. 401.
Toutefois, à l'instar du juge Creaghan, je suis
tenue en vertu de la jurisprudence de procéder à
une analyse pour déterminer si la défenderesse a
fait preuve de diligence raisonnable pour empêcher
que la demanderesse ne soit exposée à un danger
inhabituel. J'estime en premier lieu qu'il n'est pas
nécessaire que le danger soit caché pour qu'on
puisse conclure qu'il est inhabituel: il semble que
certaines décisions ont adopté un tel critère. Dans
l'affaire Young v. Dari Shoppes Ltd. (1971), 4
N.B.R. (2d) 145 (C.A.), à la page 149, figure un
extrait de Halsbury's Laws of England, 2e éd., vol.
23, par. 853, aux pages 604 et 605:
[TRADUCTION] L'obligation envers son invité de celui qui
occupe les lieux consiste à prendre un soin raisonnable pour
s'assurer que ces derniers sont exempts de danger et à éviter
que son invité soit victime d'une blessure imputable à un
danger extraordinaire plus ou moins apparent, dont l'occupant
connaît ou devrait connaître l'existence, ou, en d'autres termes,
à garder les lieux dans un état tel qu'ils puissent raisonnable-
ment être considérés comme exempts de danger pour l'usage
auquel on les destine.
Il est également fait référence à Bay-Front
Garage Ltd. v. Evers, [ 1944] R.C.S. 20 et à Porter
v. Sinbad's Limited (1985), 156 A.P.R. 327
(C.S.T.-N.) aux pages 331 et 332.
Même s'il est possible que des dangers cachés ou
dissimulés soient toujours inhabituels, je ne puis
conclure, après un examen de la jurisprudence,
qu'il s'agit d'un facteur nécessaire pour qualifier
une situation de danger inhabituel. Je note que
dans l'arrêt Campbell v. Royal Bank of Canada,
[ 1964] R.C.S. 85, la page 95, la preuve présentée
devant le juge de première instance, telle qu'elle
est résumée par la Cour d'appel du Manitoba, est
ainsi décrite:
[TRADUCTION] La demanderesse a apparemment vécu dans
l'Ouest canadien toute sa vie et passé les dix années antérieures
à l'accident dans la ville de Brandon. Elle connaissait les
inconvénients de la neige, et je pense que nous pouvons admet-
tre d'office qu'elle a dû connaître la même situation dans tous
les immeubles, qu'il s'agisse d'un bureau en milieu urbain ou
rural, d'un grand magasin, d'une école ou d'un immeuble
public, qu'elle a pu visiter au cours de sa vie. À neuf occasions
au moins au cours de son témoignage devant la Cour, lors du
procès, elle a déclaré avoir remarqué que le plancher était
mouillé; avoir vu des flaques d'eau et avoir pensé que c'était
mouillé («pas partout, mais en certains endroits»). De plus, bien
sûr, au moins deux témoins ont affirmé que le plancher de la
banque était mouillé par endroits.
Il ne fait aucun doute que le danger inhabituel en
l'espèce n'était pas caché. De même dans Snitzer
v. Becker Milk Co. Ltd. et al. (1976), 15 O.R.
(2d) 345 (H.C.) et dans Houle v. S.S. Kresge Co.
Ltd. (1974), 55 D.L.R. (3d) 52 (C. dist.), le
trottoir inégal et les nids de poule dans le station-
nement en cause ne pouvaient pas être considérés
comme des dangers cachés.
Deuxièmement, les cours ont conclu dans certai-
nes décisions que, comme les lieux avaient été
utilisés de jour par bon nombre de personnes pen
dant plusieurs années sans qu'aucun accident ne se
produise, cela prouvait qu'il n'existait pas de
danger inhabituel. Voir: Porter v. Sinbad's Limi
ted (précitée) aux pages 332 et 333, qui fait
référence à Sanfacon v. Dartmouth School Board
(1977), 25 N.S.R. (2d) 451, (C.S.) aux pages 460
et 461; Pfister v. T.T.C., [1946] 3 D.L.R. 71,
(C.A. Ont.) à la page 80; Burke v. The Field and
Stream Inc., Braemar Inc., Broderick and Cooke
(1979), 61 A.P.R. 132 (C.S.Î.P-E.), à la page 142.
En l'espèce, la défenderesse a établi en preuve que
le parc de stationnement avait été utilisé pendant
de longues années par un grand nombre de person-
nes. M. Mazurek, surintendant de la sécurité pour
l'aéroport, a déclaré qu'il n'avait connaissance que
de trois autres accidents à l'aéroport (dont aucun
ne portait sur le parc de stationnement). Tous les
accidents auxquels il a fait référence étaient de
nature plutôt sérieuse. Il se peut que bon nombre
d'accidents de trébuchement dans le parc de sta-
tionnement se soient produits sans que M. Mazu-
rek en ait eu connaissance, puisque ceux-ci peuvent
ne jamais avoir été rapportés lorsque les consé-
quences ne sont pas graves. Je n'accepte pas le fait
que, le parc de stationnement ayant été utilisé par
un grand nombre de personnes au cours de longues
années sans aucun accident sérieux, on puisse con-
clure qu'aucun danger inhabituel n'existait sur les
lieux. L'interprétation que je donne à la jurispru
dence me porte à penser que cette preuve n'est
qu'un facteur dont il faut tenir compte pour éva-
luer la nature du danger, mais que ce n'est pas un
facteur concluant. En l'espèce, j'estime que la
preuve de l'usage fréquent du parc de stationne-
ment par bon nombre d'autres personnes ne pèse
pas très lourd. Comme je l'ai mentionné plus tôt,
les accidents de trébuchement ne sont habituelle-
ment pas sérieux; ils sont par conséquent suscepti-
bles de ne pas faire l'objet de rapports.
Le troisième aspect de la jurisprudence qu'il
faut étudier porte sur la facilité avec laquelle une
situation de danger inhabituel peut être corrigée.
Dans Smith v. Provincial Motors Ltd. (1962), 32
D.L.R. (2d) 405 (C.S.N.-E.), à la page 412, figure
une citation de la décision London Graving Dock
Co. Ld. v. Horton, [1951] A.C. 737 (H.L.), à la
page 774:
[TRADUCTION] S'il est facile d'éliminer un danger, il peut
difficilement s'agir d'un danger ordinaire, car des gens raison-
nables, soucieux de la sécurité des autres, supprimeraient ces
dangers chez eux ...
Le juge McNair a fait référence à ce principe dans
Suche c. Canada (ministère des Transports)
(1987), 10 F.T.R. 95 (1Ce inst.) aux pages 104 à
107, comme l'a fait le juge Dubé dans l'affaire
Stuckless c. La Reine (1975), 63 D.L.R. (3d) 345
(C.F. l.e inst.), aux pages 350 et 351. Et le juge en
chef adjoint, dans l'affaire Kennedy c. La Reine du
chef du Canada (1980), 116 D.L.R. (3d) 206
(C.F. lie inst.), à la page 218, a fait référence à la
décision Maimy et al. v. Can. Safeway Ld., [1975]
6 W.W.R. 612 (B.R. Sask.):
[TRADUCTION] «Pour déterminer si une situation présente un
danger inhabituel, il est peut-être bon de se demander avec
quelle facilité l'occupant pourrait y remédiera
Voir également la décision du juge Spence dans
l'affaire Campbell v. Royal Bank (précitée), aux
pages 96 et 97.
Je ne suis pas complètement certaine d'apprécier
l'étendue de ce principe en ce qui a trait aux
«dangers inhabituels». A la lumière de la jurispru
dence qui m'a été citée, il semble que les dangers
inhabituels peuvent être classés en deux grandes
catégories: ceux que j'appellerai structurels (nids
de poule, trottoirs inégaux, fils défectueux) et ceux
qui peuvent être appelés passagers (de l'eau sur les
planchers d'une banque, des plaques de glace dans
les entrées, des élastiques ou des ficelles sur les
planchers). En ce qui a trait à la deuxième catégo-
rie, il sera presque toujours raisonnablement facile
de remédier à la situation «inhabituelle». Quant à
la première catégorie, celle des dangers structurels,
cela ne sera habituellement jamais possible. L'em-
ploi du critère de la «facilité d'éliminer le danger»
à l'égard de la première catégorie devrait vraisem-
blablement toujours entraîner une conclusion
négative quant au danger inhabituel. Je doute que
ce critère s'applique à la première catégorie. De
toute façon, l'avocat de la demanderesse a pré-
tendu en preuve que la visibilité des bornes aurait
pu être améliorée de façon importante si celles-ci
avaient été peintes d'une couleur contrastante
(jaune ou blanc). Elle prétend que cela aurait été
une manière facile de remédier, sensiblement, à la
situation de danger inhabituel qui existait. J'ac-
cepte cet argument.
Selon moi, le critère qui doit être appliqué est le
suivant: le danger est-il habituellement présent
dans la poursuite des activités pour lesquelles l'in-
vité est entré dans les lieux? Il s'agit d'un critère
objectif qui doit être appliqué sans égard à la
connaissance du demandeur. Le juge McNair,
dans l'affaire Suche, précitée, à la page 20, a
énoncé le critère de la façon suivante:
La règle établie dans l'arrêt Indermaur v. Dames est parfois
énoncée plus simplement comme imposant à la personne qui
invite l'obligation de garder sa propriété raisonnablement sûre
pour l'usage qui doit en être fait. Le danger est inhabituel s'il
[TRADUCTION] «ne se présente habituellement pas dans l'ac-
complissement de la tâche ou l'exercice de la fonction dont est
chargé l'invité».
Comme l'a noté la Chambre des lords dans l'af-
faire London Graving Dock Co. Ld. v. Horton,
[1951] A.C. 737, la page 745, les personnes qui
sont des débardeurs ou des marins habitués à
travailler dans des lieux difficiles n'auraient pas le
droit de plaider que certaines situations constituent
des dangers inhabituels, tandis que des membres
du public qui se trouvent dans les mêmes lieux
auraient ce droit. Dans cette décision, il est notam-
ment déclaré qu'[TRADUCTION] «une haute chemi-
née ne représente pas une difficulté inhabituelle
pour un réparateur de cheminée, ce qui serait
toutefois le cas pour un mécanicien» (à la page
745). Dans Campbell v. Royal Bank (précitée), à
la page 93, le juge Spence, qui exprime le juge-
ment majoritaire de la Cour suprême, souligne que
[TRADUCTION] «l'invité était un client ordinaire de
la banque mais n'appartenait à aucune classe par-
ticulière». De même, en l'espèce, la demanderesse
est un client ordinaire du parc de stationnement et
n'appartient à aucune classe particulière.
L'avocat de la défenderesse fait valoir ce qui
suit: les bornes en ciment situées dans le parc de
stationnement sont habituelles; les faibles lumières
dans les parcs de stationnement sont habituelles;
les personnes qui utilisent les parcs de stationne-
ment pour garer leur automobile devraient s'atten-
dre à ces conditions et se comporter en consé-
quence. A mon avis, il ne s'agit pas de savoir si les
bornes en ciment et les faibles lumières sont, de
façon générale, habituelles dans les parcs de sta-
tionnement. Il s'agit plutôt de savoir si la combi-
naison particulière des facteurs qui existaient en
l'espèce (bornes, stationnement en angle, faibles
lumières, absence de passage naturel pour piétons)
est habituelle dans les parcs de stationnement. Je
n'accepte pas, à la lumière de la preuve, qu'il est
habituel de concevoir des parcs de stationnement
de telle façon qu'il n'existe aucun passage naturel
pour les piétons (peu importe qu'une telle sortie
soit également une chaussée). Je conclus que,
même si certains éléments en soi, tels que les
bornes en ciment et les faibles lumières, est habi-
tuelle dans les parcs de stationnement, on n'a pas
établi que la combinaison particulière des éléments
existants en l'espèce est habituelle. Je conclus que
la combinaison des divers éléments susmentionnés,
en l'espèce, a entraîné l'existence de ce qui, en
droit, est qualifié comme un danger inhabituel.
Les décisions rendues dans des affaires sembla-
bles qui ont été citées ne me paraissent pas utiles:
un trottoir inégal est un danger inhabituel (Snitzer
v. Becker Milk Co. Ltd., précitée); des marches
inégales ne sont pas un danger inhabituel (Young
v. Dari Shoppes, précitée); des bornes dans un
parc de stationnement qui séparent les zones de
stationnement d'un trottoir ne constituent pas un
danger inhabituel (Sanfacon v. Dartmouth School
Board, précitée) tandis qu'une borne non éclairée
dans un parc de stationnement (dans un passage
naturel pour piétons vers la sortie) est un danger
inhabituel (Kwasnie v. Penthouse Towers Ltd. and
Cal-Mor Industries Ltd., [1972] 3 W.W.R. 266
(C.S. Alb.)); des nids de poule dans un parc de
stationnement, où l'on sait qu'il s'en forme, consti
tuent un danger inhabituel (Houle v. S.S. Kresge
Co. Ltd., précitée) mais une différence de 4,5
pouces entre le niveau d'une salle et celui d'un
escalier n'est pas un danger inhabituel (Porter v.
Sinbad's Limited, précitée); des plaques de glace
en hiver sont des dangers inhabituels (Suche c.
Canada (ministère des Transports), précitée);
Stuckless c. La Reine; Smith v. Provincial
Motors, précitées) mais une marche bien éclairée
et de couleur différente entre deux niveaux dans
un magasin n'est pas un danger inhabituel (Dale
Estate and Dale v. Whelan and Loveys (1986), 62
Nfld. & P.E.I.R. 38 (C.S.T.-N.)).
Il faut maintenant déterminer s'il s'agit d'un
danger que la défenderesse connaissait ou aurait
dû connaître. Son avocat fait valoir qu'elle ne
connaissait pas le danger et ne pouvait raisonna-
blement être présumée le connaître puisque: (1)
aucun accident antérieur ne s'était produit et
aucune plainte n'avait été rapportée; (2) la défen-
deresse s'était attendue à ce que les personnes
ayant conçu et construit l'immeuble aient respecté
les normes appropriées. La décision Green v.
Fibreglass Ltd., [1958] 2 Q.B. 245 est citée à
l'appui de cette dernière prétention. J'estime que
ces arguments ne sont pas concluants. La décision
Green v. Fibreglass portait sur une situation où le
danger était vraiment caché pour l'occupant ou le
propriétaire de l'immeuble (il s'agissait de fils
défectueux). On ne pouvait s'attendre à ce que
l'occupant connaisse le danger. En l'espèce toute-
fois, le danger était évident pour toute personne
appelée à marcher dans le parc de stationnement.
En de telles circonstances, je ne pense pas que la
défenderesse puisse invoquer le fait que les services
d'architectes, de concepteurs et d'entrepreneurs
ont été retenus pour construire l'immeuble. Je note
que la preuve révèle que la défenderesse n'a pas
hésité à corriger une autre situation qui menaçait
la sécurité et qui existait dès l'origine (des inci
sions longitudinales de drainage dans les bornes en
ciment), elle aussi conçue et créée par les mêmes
concepteurs, architectes et entrepreneurs. Comme
je l'ai mentionné plus haut, je ne crois pas que
l'absence de plainte ou de rapport à l'égard d'acci-
dents de trébuchement dans le parc de stationne-
ment constitue une preuve concluante en l'espèce.
La situation dangereuse aurait dû être évidente
pour les employés de la défenderesse qui étaient
régulièrement sur les lieux. Les avertissements
placés à l'entrée (sur la rampe d'accès et dans les
escaliers) me semblent effectivement indiquer de
façon claire que la défenderesse connaissait le
danger.
Critère légal applicable—Diligence raisonnable
Si ma conclusion, portant que la combinaison
des facteurs en l'espèce constitue un danger inha-
bituel pour les fins de la responsabilité de l'occu-
pant, devait s'avérer erronée, la demanderesse
devrait quand même, selon moi, obtenir gain de
cause à l'égard de cet aspect de l'affaire. L'acci-
dent est survenu en Alberta. L'article 5 de la
Occupiers' Liability Act de l'Alberta, R.S.A. 1980,
chap. O-3, a abrogé le critère de common law du
«danger inhabituel». Dans cette province, les occu
pants doivent satisfaire au critère de la diligence
raisonnable'. Voir: Preston v. Canadian Legion,
Kingsway Branch No. 175 et al. (1981), 123
D.L.R. (3d) 645 (C.A. Alb.), à la page 648:
[TRADUCTION] ... la loi a un double effet. En premier lieu, elle
met fin à la différence entre les invités et les titulaires de
licences et met à la fois les invités et les titulaires de licences
dans la catégorie commune ainsi définie des visiteurs. Cela
représente une amélioration de la loi. En deuxième lieu, et cela
est plus important, la loi impose maintenant aux occupants
l'obligation positive de faire preuve de diligence raisonnable
pour assurer la sécurité des personnes qui sont admises dans les
lieux.
Même si la question de l'application de la loi
provinciale à la Couronne fédérale n'est pas entiè-
rement tranchée, je conclus, après examen de la
jurisprudence, que la loi s'applique. Le point de
départ est l'article 3 de la Loi sur la responsabilité
de la Couronne, S.R.C. 1970, chap. C-38:
3. La Couronne est responsable des dommages dont elle
serait responsable, si elle était un particulier majeur et capable,
a) à l'égard d'un délit civil commis par un préposé de la
Couronne,
ou
b) à l'égard d'un manquement au devoir afférent à la pro-
priété, l'occupation, la possession ou la garde d'un bien.
Le sens normal du libellé de la loi porterait le
lecteur à conclure que le Parlement avait, en adop-
tant cet article, l'intention d'assujettir la Couronne
fédérale au même droit des délits que s'il s'agissait
d'un particulier. Cela semblerait comprendre
(dans toutes les provinces, à l'exception du
Québec) la common law en matière de délits telle
qu'elle est modifiée par toute loi provinciale en
vigueur au moment du délit. Il s'agit du droit qui
régit les personnes physiques adultes et capables. Il
n'existe aucune réserve expresse dans la loi qui
' L'occupant des lieux a, envers chaque visiteur dans ces
lieux, une obligation de faire preuve de diligence, dans la
mesure où cela est possible dans les circonstances, afin d'assu-
rer la sécurité raisonnable du visiteur qui utilise les lieux aux
fins pour lesquelles il a été invité ou admis par l'occupant ou en
vertu de la loi.
énonce que la Couronne n'accepte la responsabilité
à laquelle est assujetti un particulier majeur et
capable qu'«en date du mois de mai 1953»; la règle
générale est qu'en l'absence d'un énoncé contraire
exprès, les lois doivent être interprétées comme
parlant toujours au présent: voir la Loi d'interpré-
tation, S.R.C. 1970, chap. I-23, article 10.
La jurisprudence dans ce domaine n'est toutefois
pas entièrement claire. Il existe bon nombre de
décisions qui semblent indiquer que la Couronne
fédérale n'est pas liée par les lois provinciales qui
établissent des règles en matière de responsabilité
délictuelle générale: Schwella, John F. v. The
Queen and Hydro-Electric Power Commission of
Ontario et al., [1957] R.C.É. 226, la page 230;
The Queen v. Murray et al., [1967] R.C.S. 262, à
la page 266; de même que la décision récente du
juge McNair dans l'affaire Suche (précitée). Il
existe en outre deux décisions où l'on aurait appli-
qué le principe selon lequel la Couronne fédérale
n'est pas liée: Lamoureux, Luc c. Le Procureur
Général du Canada, [1964] R.C.É. 641 et La
Reine v. Breton, [ 1967] R.C.S. 503.
Il est utile de procéder à un examen des origines
historiques du principe selon lequel la Couronne
fédérale n'est pas liée par les modifications législa-
tives apportées au droit en matière de délits après
le mois de mai 1953. L'examen démontre que le
principe provient de décisions rendues avant 1952.
A cette époque, les dispositions législatives perti-
nentes étaient très différentes de celles qui sont
maintenant en vigueur. Dans l'arrêt The King v.
Armstrong (1908), 40 R.C.S. 229, les dispositions
législatives antérieures ont été ainsi interprétées
par le juge Davies, à la page 248:
[TRADUCTION] l'interprétation de l'alinéa c) du 16' article de
la «Loi de la cour de l'Échiquier» a imposé à la Couronne une
responsabilité qui n'existait pas auparavant, de même que le
principe que cette responsabilité doit être déterminée par les
règles fondamentales des dispositions générales en vigueur au
moment où cette responsabilité a été
Dans l'arrêt Gauthier v. The King (1918), 56
R.C.S. 176, la page 179, la Cour a conclu, en se
fondant sur l'arrêt Armstrong, que la responsabi-
lité de la Couronne devrait être déterminée par les
lois générales de chaque province en vigueur au
moment où cette responsabilité a été imposée; à la
page 182:
[TRADUCTION] ... l'article 19 de la «Loi de la cour de l'Échi-
quier» ne fait que reconnaître les responsabilités préexistantes,
et les affaires qu'il embrasse doivent être décidées non selon le
droit applicable au point en litige entre deux particuliers, mais
selon le droit général de la province dans laquelle la cause
d'action prend naissance et qui s'applique à la Couronne du
chef du Dominion
Les articles 19 et 20 de la Loi de la cour de
l'Echiquier, S.R.C. 1906, chap. 140 prévoyaient ce
qui suit:
19. La cour de l'Echiquier a juridiction exclusive, en pre-
mière instance, dans tous les cas où une demande est faite ou
un recours est recherché au sujet de toute matière qui pourrait,
en Angleterre, faire le sujet d'une poursuite ou action contre la
Couronne; et pour plus de certitude, mais non pas de manière à
restreindre la généralité des termes ci-dessus, elle a juridiction
exclusive, en première instance, dans tous les cas où des ter
rains, effets ou deniers du sujet sont en la possession de la
Couronne, ou dans lesquels la réclamation provient d'un contrat
passé par la Couronne ou en son nom.
20. La cour de l'Echiquier a aussi juridiction exclusive, en
première instance, pour entendre et juger les matières
suivantes:
(a) Toute réclamation contre la Couronne pour propriétés
prises par voie d'expropriation pour des fins publiques;
(b) Toute réclamation contre la Couronne pour dommages à
des propriétés causés par l'exécution de travaux publics;
(c) Toute réclamation contre la Couronne provenant de la
mort de quelqu'un ou de blessures à la personne, ou de
dommages à la propriété, sur un ouvrage public, résultant
de la négligence de quelque employé ou serviteur de la
Couronne, pendant qu'il agissait dans l'exercice de ses
fonctions ou de son emploi;
(d) Toute réclamation contre la Couronne fondée sur quel-
que loi du Canada ou sur quelque règlement fait par le
gouverneur en conseil;
(e) Toute compensation, contre-réclamation, demande de
dommages-intérêts, liquides ou non liquides, ou autre
demande quelconque, de la part de la Couronne contre
toute personne qui porte une réclamation contre la
Couronne.
Dans l'affaire Gauthier, le juge Anglin a noté que
l'article 19 n'impose pas de nouvelles responsabili-
tés à la Couronne mais se limite à reconnaître des
responsabilités qui existent déjà et à conférer à la
Cour de l'Échiquier la juridiction exclusive à leur
égard; voici sa déclaration aux pages 190 et 191:
[TRADUCTION] En ce qui a trait aux questions visées par cet
article, il n'y a aucune raison de penser que la Couronne a ainsi
renoncé à tous les privilèges de prérogative qu'elle avait aupara-
vant et soumis ses droits et obligations à la détermination et à
l'adjudication des cours en vertu du droit applicable en pareil
cas entre des personnes physiques.
Il est clair que les dispositions législatives de l'arti-
cle 3 de l'actuelle Loi sur la responsabilité de la
Couronne sont très différentes de celles qui figu-
raient dans la Loi de la cour de l'Échiquier à
laquelle se rapportaient les arrêts Armstrong et
Gauthier.
Quant aux deux décisions où l'on aurait appli-
qué le principe selon lequel la Couronne fédérale
n'est pas liée par les règles législatives encadrant le
droit général en matière de délits applicables dans
une province, l'une ne traite pas du tout du droit
délictuel général tandis que le bien-fondé de l'au-
tre semble avoir été contesté dans des décisions
plus récentes. Dans l'arrêt La Reine v. Breton,
précité, la cour a jugé que la Couronne n'était pas
responsable en vertu d'une loi provinciale qui exi-
geait des propriétaires qu'ils maintiennent en bon
ordre les trottoirs adjacents à leur propriété, ou
qu'ils paient la municipalité pour le faire. Il ne
s'agissait pas d'une disposition de responsabilité
civile générale, et l'arrêt de la Cour suprême est
fondé sur ce fait, de même que sur le motif selon
lequel la loi provinciale en cause participait d'une
taxe. Dans l'arrêt Lamoureux, Luc c. Le Procu-
reur Général du Canada, (précité), la Cour a jugé
qu'une loi provinciale imposant des responsabilités
aux propriétaires de véhicules automobiles, même
si ceux-ci sont conduits par des employés agissant
hors du cadre de leur emploi (pourvu que le véhi-
cule n'ait pas été volé), ne liait pas la Couronne
fédérale. Cette décision doit toutefois être appré-
ciée à la lumière de la jurisprudence antérieure et
subséquente. Cette jurisprudence indique qu'il
existe une tendance générale à conclure que la
Couronne fédérale est liée par des modifications
apportées au droit délictuel après 1953. Qui plus
est, il existe une déclaration d'un membre de la
Cour suprême (même s'il s'agit d'un commentaire
incident) indiquant que cela est vrai même si la
modification est apportée par voie législative et
qu'elle impose un «fardeau» à la Couronne.
La tendance à considérer que la Couronne fédé-
rale est dans la même position qu'une personne
physique est exprimée dans les décisions suivantes.
Dans l'affaire Schwella v. The Queen et al. (préci-
tée), la cour a conclu que les articles 2 et 6 de la
Negligence Act de l'Ontario, R.S.O. 1950, chap.
252 s'appliquaient à la Couronne fédérale de sorte
que celle-ci était habilitée à réclamer des contribu
tions et des indemnisations de tiers dans des cas de
négligence partagée (il s'agissait d'un avantage et
non d'un fardeau pour la Couronne). Dans l'arrêt
The Queen v. Murray et al., [1967] R.C.S. 262, la
Cour a conclu que le droit de la Couronne fédérale
d'obtenir des dommages-intérêts pour perte des
services d'un membre des Forces armées était res-
treint par la loi provinciale limitant la responsabi-
lité des propriétaires de véhicules automobiles
envers les passagers transportés à titre gratuit. La
Cour a conclu que la loi provinciale en cause
portait sur la responsabilité de la personne et non
sur la responsabilité de la Couronne. De plus,
l'affaire mettait en jeu l'article 50 de la Loi sur la
Cour de l'Échiquier [S.R.C. 1952, chap. 98] en
vertu duquel les membres des Forces armées sont
censés être des préposés de la Couronne. Dans
l'affaire Baird c. La Reine du chef du Canada,
[1984] 2 C.F. 160 (C.A.), la Cour a conclu que
même si la responsabilité née après 1953, par suite
d'une modification de la législation provinciale,
pouvait ne pas s'appliquer à la Couronne fédérale,
la responsabilité née par suite d'un changement de
la common law pourrait s'appliquer à la Couronne
fédérale (voir les motifs du juge Le Dain, aux
pages 185 et 186). Les motifs d'un des membres de
la Cour suprême dans l'affaire R. v. Nord-
Deutsche Versicherungs-Gesellschaft et al.,
[1971] R.C.S. 849 portent sur cette question. Le
juge Pigeon (dont la dissidence en partie ne portait
pas sur le point en litige dans la présente espèce) a
écrit ce qui suit [aux pages 885 et 886]:
Quant à la prétention qu'une loi provinciale accroissant la
responsabilité pour dommages et adoptée après la date de la
Loi sur la responsabilité de la Couronne ne s'applique pas à
une réclamation en vertu de cette dernière Loi, l'avocat de
l'appelante s'appuie surtout sur l'arrêt Gauthier c. Le Roi.
Dans cette cause-là, la décision portait sur l'interprétation des
dispositions de la Loi sur la Cour de l'Échiquier alors en
vigueur relatives à l'étendue de la compétence de la Cour en
matière de responsabilité de la Couronne. Cet arrêt a été étudié
dans un récent pourvoi: La Reine c. Murray. Cette Cour ne l'a
pas considéré applicable à un cas mettant en jeu l'art. 50 de la
Loi sur ta Cour de l'Échiquier, qui se lit ainsi:
50. Aux fins de déterminer la responsabilité dans toute
action ou autre procédure intentée par ou contre Sa Majesté,
une personne qui, à tout moment, depuis le 24 juin 1938,
était membre des forces navales, des forces de l'armée ou des
forces aériennes de Sa Majesté du chef du Canada, est
censée avoir été à cette époque un serviteur de la Couronne.
Parlant au nom de la Cour, le juge Martland a déclaré (p. 268):
[TRADUCTION] En définitive, par l'art. 50 de la Loi sur la
Cour de l'Échiquier, le Parlement a permis à l'administra-
tion fédérale, lorsqu'un membre des forces armées est blessé,
d'exercer les mêmes droits qu'un maître réclamant une
indemnité pour la perte des services de son serviteur blessé.
Ce n'est qu'en se reportant à la loi en vigueur à la date et au
lieu où le serviteur a été blessé qu'on peut déterminer quels
sont ces droits.
Je ne puis voir pourquoi l'art. 3 de la Loi sur la responsabi-
lité de la Couronne ne devrait pas s'interpréter de la même
manière que l'art. 50 de la loi sur la Cour de l'Échiquier,
c'est-à-dire comme renvoyant au droit en vigueur à la date et
au lieu où le délit ou le quasi-délit est commis.
Je passe finalement à la décision du juge
McNair dans l'affaire Suche (précitée). Il a indi-
qué, à la page 97 de sa décision, que c'est la Loi
sur la responsabilité de la Couronne fédérale et
non la Occupiers' Liability Act de l'Alberta qui
s'appliquait en l'espèce. Il faut toutefois noter qu'il
a fait cette déclaration en tranchant la question de
savoir si les exigences en matière d'avis prévues à
l'article 4 de la Loi sur la responsabilité de la
Couronne s'appliquaient. Rien n'indique dans la
décision du juge McNair qu'on lui ait cité des
décisions jurisprudentielles en ce qui a trait aux
règles juridiques appropriées en matière de respon-
sabilité délictuelle au fond, par opposition aux
questions procédurales. En fait, il n'existe aucune
raison de croire que le juge McNair a estimé
nécessaire de procéder à l'examen des diverses
sources jurisprudentielles portant sur ces ques
tions, ou encore qu'on l'ait invité à le faire.
Même si la jurisprudence est encore quelque peu
incertaine en cette matière, j'en conclus que l'arti-
cle 3 de la Loi sur la responsabilité de la Cou-
ronne a pour effet de rendre l'article 5 de la
Occupiers' Liability Act de l'Alberta applicable à
la Couronne fédérale en l'espèce. Le libellé de
l'article 3 prévoit que la Couronne est responsable
des dommages dont elle serait responsable, à
l'égard d'un manquement au devoir afférent à
l'occupation ou à la garde d'un bien, si elle était
«un particulier majeur et capable». En Alberta, un
particulier majeur et capable a l'obligation d'exer-
cer une diligence raisonnable à l'égard des biens
dont il a la garde. Ce n'est pas le législateur
provincial qui a imposé à la Couronne fédérale un
fardeau ou une obligation de diligence raisonnable
(ou qui a réduit ses prérogatives en lui imposant ce
fardeau). La loi fédérale, la Loi sur la responsabi-
lité de la Couronne, est l'instrument qui a entraîné
cet effet. Selon moi, même s'il arrivait que ma
conclusion portant que la situation de la demande-
resse dans le parc de stationnement constituait un
danger inhabituel soit erronée, la défenderesse
demeurerait néanmoins responsable du dommage
subi par la demanderesse (sous réserve de toute
conclusion quant à la faute de la victime). La
défenderesse a manqué à son obligation de prendre
les mesures raisonnables afin d'assurer la sécurité
des lieux pour les personnes qui se trouvaient dans
la position de la demanderesse.
NOTE DE L'ARRÊTISTE
Les dommages spéciaux subis jusqu'à la date
du procès ont fait l'objet d'une entente. L'avocat
a toutefois contesté les sommes réclamées pour
les dépenses permanentes, en particulier les
dépenses d'entretien du jardin. Il a aussi contesté
la réclamation pour perte de revenu. La Cour ne
pouvait conclure qu'il y avait eu perte de revenu
(exception faite d'une somme de 180 $ réclamée
à titre de dommages spéciaux découlant de
l'accident).
La Cour n'a pas cru le témoignage de la
demanderesse portant que sa vitesse de dactylo-
graphie avait été réduite en raison de sa blessure
au poignet, et que sa capacité de s'occuper de
son jardin et d'autres tâches domestiques avait
été diminuée. En fait, elle avait été promue au
poste de directrice de bureau, de sorte que la
dactylographie ne constituait plus une tâche
importante de son emploi. La demanderesse avait
lu un trop grand nombre de livres d'un célèbre
avocat américain, ou avait été conseillée par un
lecteur assidu de cet auteur. Même, si la Cour ne
croyait pas que la demanderesse continuait de
souffrir, elle reconnaissait que celle-ci avait
enduré de la douleur. Les dommages-intérêts
généraux ont été évalués à 20 000 $. Puisque la
demanderesse est tombée surtout parce qu'elle
n'a pas porté suffisamment attention à l'endroit
où elle posait le pied, elle a été tenu responsable
à 80 % de l'accident. En l'absence de renseigne-
ments sur l'existence d'offres de règlement, les
dépenses taxables ont été adjugés à la demande-
resse.
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