A-238-86
Arnold Rosevelt Hurd (appelant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
RÉPERTORIÉ: HURD C. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET
DE L'IMMIGRATION)
Cour d'appel, juges Urie, Stone et MacGuigan—
Toronto, 7 octobre; Ottawa, 28 octobre 1988.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Processus
pénal — Double incrimination — L'appelant a été reconnu
coupable de crimes pour lesquels des peines de plus de six
mois ont été imposées — L'ordonnance d'expulsion a été
rendue en vertu de la Loi sur l'immigration de 1976, art. 27(1)
et 32(2) — Ces dispositions ne sont pas contraires à la Charte
puisque l'art. 11h) garantit le droit de ne pas être puni une
deuxième fois pour la même infraction — L'art. 11 s'applique
aux procédures criminelles et quasi criminelles ainsi qu'aux
procédures entraînant des conséquences pénales — Il ressort
de la jurisprudence et de l'objet visé par l'expulsion que cette
dernière ne constitue pas une véritable conséquence pénale
L'art. 11h) vise un inconvénient plus que purement personnel
— L'expulsion est un moyen pour dissuader une personne et
non pas une société.
Immigration — Expulsion — Appelant condamné à deux
reprises pour des crimes comportant des peines de plus de six
mois de prison — Délivrance d'une ordonnance d'expulsion —
La procédure d'expulsion ne relève pas de la Charte puisque
l'art. 11h) interdit de punir deux fois pour une même infrac
tion et en outre, ladite procédure ne constitue pas (1) une
affaire criminelle ou quasi criminelle ou (2) une procédure
entraînant une véritable conséquence pénale — L'expulsion
vise à faire partir du Canada un indésirable — Une distinction
est faite entre l'expulsion vers le pays d'origine et le transfère-
ment dans une colonie pénitentiaire.
Justice pénale — Il s'agit de savoir si les procédures d'ex-
pulsion sont de nature criminelle ou quasi criminelle — Il
s'agit également de savoir si l'expulsion est une »véritable
conséquence pénale» — L'expression qui comprend une
amende suffit à réparer - le tort causé à la société — La
déclaration de culpabilité au criminel a pour objet de redresser
le tort fait à la société et de dissuader les autres individus —
Les sanctions pénales comme l'expulsion ou le transfèrement
dans une colonie pénitentiaire se distinguent de l'expulsion
dans le pays d'origine — La Loi définit l'expulsion comme une
punition à certaines fins seulement.
Il s'agit en l'espèce d'un appel interjeté à l'encontre d'une
décision de la Commission d'appel de l'immigration qui avait
refusé d'exercer ses pouvoirs en vertu du paragraphe 72(I) de
la Loi. L'appelant, qui est un résident permanent du Canada, a
été reconnu coupable, à deux reprises, d'infractions liées aux
drogues et condamné à des peines d'emprisonnement de plus de
six mois. Les paragraphes 27(1) et 32(2) de la Loi sur l'immi-
gration de 1976 prévoient que dans des circonstances sembla-
bles, il y a lieu de procéder à l'expulsion. Pendant l'enquête de
l'immigration, l'appelant a été détenu durant deux jours, mais il
a été relâché lorsque l'enquête a été suspendue. Il s'agit de
savoir si l'expulsion de l'appelant contrevenait à l'alinéa 11h)
de la Charte qui interdit de punir deux fois pour la même
infraction.
Arrêt: l'appel doit être rejeté.
L'article 11 de la Charte s'applique aux «procédures crimi-
nelles ou quasi-criminelles qui entraînent des conséquences
pénales»: R. c. Wigglesworth. La procédure d'expulsion ne
constituait pas de par sa nature même une affaire criminelle ou
quasi criminelle. Il ressort de la jurisprudence que l'expulsion
ne constituait pas une véritable conséquence pénale. «Une
véritable conséquence pénale» est plus qu'une simple peine
d'emprisonnement, par exemple, une amende qui par son
importance semblerait imposée dans le but de réparer le tort
causé à la société: Wigglesworth. Par contre, l'emprisonnement
d'une durée de deux jours subi par l'appelant constituerait
difficilement une véritable conséquence pénale. Elle n'était
qu'un moyen d'assurer sa présence à l'enquête.
Une déclaration de culpabilité au criminel atteint les fins que
recherche la société, c'est-à-dire le redressement du tort fait à
la société ainsi que l'effet de dissuasion. L'expulsion vise seule-
ment à faire partir du Canada un indésirable. Il s'agit d'un
moyen de dissuader une personne et non la société. Il faut
établir une distinction entre les sanctions plus anciennes comme
l'exil ou le transfèrement dans une colonie pénitentiaire et
l'expulsion d'une personne vers son pays d'origine. Bien que
l'expulsion puisse entraîner un inconvénient personnel, l'alinéa
11h) de la Charte vise un inconvénient plus que purement
personnel. L'expulsion ressemble à la perte d'un permis ou au
renvoi d'un corps policier ou au retrait du droit d'exercer une
profession.
Même si l'alinéa I 26a) de la Loi présume que l'expulsion
constitue une «peine, confiscation ou punition», cela est vrai
dans la mesure où l'on tient compte de l'alinéa 36e) de la Loi
d'interprétation qui est une disposition transitoire qui s'applique
lorsqu'une peine est imposée en vertu de l'ancienne Loi et que
la nouvelle Loi réduit la peine.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de /982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 1 1 h).
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34.
Code of Offences, R.R.O. 1980, Reg. 791 (Schedule).
Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appen-
dice III, art. 2b).
Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. I-23, art. 36.
Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, S.R.C. 1970,
chap. R-9.
Police Act, R.S.O. 1980, chap. 381.
Loi sur l'immigration, S.R.C. 1927, chap. 93, art. 40, 42,
43.
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52,
art. 27(1)d)(i), 32(2), 72(1) (mod. par S.C. 1984,
chap. 21, art. 81), 84, 126a).
Ministry of Correctional Services Act, R.S.O. 1980, c.
275.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
R. c. Wigglesworth, [1987] 2 R.C.S. 541; 45 D.L.R.
(4th) 235; Reference as to the effect of the Exercise by
His Excellency, the Governor General of the Royal Pre
rogative of Mercy upon Deportation Proceedings, [1933]
R.C.S. 269.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Knockaert c. Canada (Commissionnaire aux Services
correctionnels), [1987] 2 C.F. 202; (1986), 72 N.R. 161
(autorisation d'appeler refusée [1987] 1 R.C.S. ix;
(1987), 22 Admin.L.R. xxviii); R. v. Shubley (1988), 63
O.R. (2d) 161 (C.A.); Gittens (In re), [1983] I C.F. 152;
(1982), 137 D.L.R. (3d) 687; 68 C.C.C. (2d) 438 (1"
inst.); Trimm c. Police régionale de Durham, [1987] 2
R.C.S. 582; 45 D.L.R. (4th) 276; Bowen c. Ministre de
l'Emploi et de l'Immigration, [ 1984] 2 C.F. 507; (1984),
58 N.R. 223 (C.A.); Frangipane c. Ministre de l'Emploi
et de l'Immigration et autres.. T-1553-85, juge en chef
adjoint Jerome, jugement en date du 27-3-86, non publié;
Secrétaire d'État c. Delezos, [1989] 1 C.F. 297 (1" inst.).
DÉCISIONS CITÉES:
Fong Yue Ting v. United States, 149 U.S. 698; 37 L. Ed.
905 (1893); Burnham c. Police de la communauté
urbaine de Toronto, [1987] 2 R.C.S. 572; 45 D.L.R.
(4th) 309; Trumbley et Pugh c. Police de la communauté
urbaine de Toronto, [1987] 2 R.C.S. 577; 45 D.L.R.
(4th) 318.
DOCTRINE
Gordon, Charles and Harry Nathan Rosenfield Immi
gration Law and Procedure, vol. 1A, New York: Mat-
thew Bender, 1973.
AVOCATS:
Brent Knazan pour l'appelant.
Roslyn Levine pour l'intimé.
PROCUREURS:
Sack, Charney, Goldblatt & Mitchell,
Toronto, pour l'appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN: La présente affaire sou-
lève une seule question: celle de savoir si l'expul-
lion de l'appelant en vertu des dispositions de la
Loi sur l'immigration de 1976 [S.C. 1976-77,
chap. 52] («la Loi») contrevient à l'alinéa 11h) de
la Charte canadienne des droits et libertés [qui
constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.)], qui interdit de punir deux fois
pour une même infraction.
L'article 11 de la Charte est libellé ainsi:
I 1. Tout inculpé a le droit:
a) d'être informé sans délai anormal de l'infraction précise
qu'on lui reproche;
b) d'être jugé dans un délai raisonnable;
c) de ne pas être contraint de témoigner contre lui-même
dans toute poursuite intentée contre lui pour l'infraction
qu'on lui reproche;
d) d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré cou-
pable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et
impartial à l'issue d'un procès public et équitable;
e) de ne pas être privé sans juste cause d'une mise en liberté
assortie d'un cautionnement raisonnable;
J) sauf s'il s'agit d'une infraction relevant de la justice
militaire, de bénéficier d'un procès avec jury lorsque la peine
maximale prévue pour l'infraction dont il est accusé est un
emprisonnement de cinq ans ou une peine plus grave;
g) de ne pas être déclaré coupable en raison d'une action ou
d'une omission qui, au moment où elle est survenue, ne
constituait pas une infraction d'après le droit interne du
Canada ou le droit international et n'avait pas de caractère
criminel d'après les principes généraux de droit reconnus par
l'ensemble des nations;
h) d'une part de ne pas être jugé de nouveau pour une
infraction dont il a été définitivement acquitté, d'autre part
de ne pas être jugé ni puni de nouveau pour une infraction
dont il a été définitivement déclaré coupable et puni;
i) de bénéficier de la peine la moins sévère, lorsque la peine
qui sanctionne l'infraction dont il est déclaré coupable est
modifiée entre le moment de la perpétration de l'infraction et
celui de la sentence.
L'appelant est un résident permanent du
Canada, qui a obtenu le droit d'établissement le 10
novembre 1968, à l'âge de dix-neuf ans. Son casier
judiciaire officiel au Canada contient les mentions
suivantes (pages 195 et 196 du dossier d'appel):
15 novembre 1971 attentant à la pudeur sentence suspendue,
probation d'un an
Janvier 1979 voies de fait sur un 30 jours de prison
agent de police
Décembre 1979 avoir troublé la paix 15 jours de prison et
en criant 2 ans de probation
Février 1982 avoir conduit un amende
véhicule pendant que
permis était suspendu
4 novembre 1981 possession dans le 7 mois de prison
but d'en faire le
trafic (marihuana)
10 mars 1983 possession dans le 8 mois de prison
but d'en faire le
trafic (marihuana)
Voici les dispositions pertinentes de la Loi:
27. (1) Tout agent d'immigration ou agent de la paix, en
possession de renseignements indiquant qu'un résident perma
nent
d) déclaré coupable d'une infraction prévue par une loi du
Parlement
(i) a été condamné à plus de six mois de prison, ...
doit adresser un rapport écrit et circonstancié au sous-ministre
à ce sujet.
32....
(2) L'arbitre, après avoir conclu que la personne faisant
l'objet d'une enquête est un résident permanent visé au para-
graphe 27(1), doit, sous réserve des paragraphes 45(l) et 47(3),
en prononcer l'expulsion.
Le 24 octobre 1984, une enquête de l'immigra-
tion a eu lieu conformément à un rapport présenté
en vertu du sous-alinéa 27(1)d)(i) de la Loi et
dans lequel il était mentionné que l'appelant avait
été condamné à plus de six mois de prison pour
avoir été reconnu coupable d'infractions prévues
par une loi du Parlement. Il a été en détention
durant deux jours pendant l'enquête, mais il a été
relâché lorsque l'enquête a été suspendue. Lorsque
l'audience a repris le 21 décembre 1984, son expul
sion a été ordonnée pour les motifs exposés au
sous-alinéa 27(1)d)(i).
L'appelant a interjeté appel à la Commission
d'appel de l'immigration; il reconnaissait que l'or-
donnance d'expulsion était valide en droit mais
demandait à la Commission d'exercer les pouvoirs
spéciaux que lui confère le paragraphe 72(1)
[mod. par S.C. 1984, chap. 21, art. 81] de la Loi.
La Commission a refusé de le faire et a rejeté son
appel le 17 décembre 1985. L'appelant a interjeté
appel à notre Cour en vertu de l'article 84 de la
Loi, après en avoir reçu l'autorisation.
L'allégation fondée sur la Charte et présentée
maintenant a été soulevée la première fois devant
notre Cour.
L'appelant a prétendu que [TRADUCTION] «la
punition désigne un acte public par lequel un
individu subit une perte, une incapacité ou un
inconvénient à la suite de son inconduite» (para-
graphe 14 de l'exposé des faits et du droit). Il a
invoqué à l'appui de son allégation l'opinion dissi-
dente exprimée par le juge Brewer de la Cour
suprême des États-Unis dans l'arrêt Fong Yue
Ting v. United States, 149 U.S. 698, la page 740;
37 L. Ed. 905 (1893), la page 922, selon laquelle
[TRADUCTION] «l'expulsion constitue une puni-
tion». Il a cité également l'opinion concourante
exprimée par le juge Marceau dans l'arrêt Knoc-
kaert c. Canada (Commissaire aux services cor-
rectionnels), [1987] 2 C.F. 202, aux pages 205 et
206; (1986), 72 N.R. 161, la page 165; autorisa-
tion de pourvoi refusée, [1987] 1 S.C.R. ix; 22
Admin.L.R. xxviii:
Le terme anglais «punishment» (punition) signifie «the imposi
tion of a penalty» (l'imposition d'une peine); le terme anglais
«penalty» [La définition donnée à ce terme par The Shorter
Oxford English Dictionary (1973) est ainsi libellé: «Penalty
[TRADUCTION] (peine, pénalité) 1. Douleur, souffrance (rare).
2. Punition sanctionnant la violation d'une loi, d'une règle ou
d'un contrat; perte, incapacité ou inconvénient quelconques par
lesquels la loi ou les parties contractantes, selon le cas, sanc-
tionnent respectivement une infraction ou la rupture d'un con-
trat;]» (peine) désigne, dans un sens large, un [TRADUCTION]
«désavantage quelconque» sanctionnant un écart de conduite et
peut, selon moi, comprendre la perte d'une récompense. De
plus, même si les jours de réduction de la peine prononcée
contre le détenu, étant accordés en fonction de sa bonne
conduite, ne s'accumulent pas de façon automatique, la réduc-
tion de peine méritée n'est pas une récompense attribuée de
façon discrétionnaire mais elle est à ce point partie intégrante
du système de détermination de la peine qu'un prisonnier est en
droit de s'attendre à ce que sa peine soit réduite grâce à des
réductions méritées régulièrement, et que la perte d'une aug
mentation périodique des jours accumulés en vertu de ce droit
doit, objectivement, être considérée comme une sanction tenant
de la punition. Je ne serais pas prêt à infirmer la conclusion que
me semble tirer implicitement le juge de première instance
selon laquelle la décision du Comité des réductions méritées de
peines équivalait à une punition, une conclusion qui l'a obligée
à traiter de l'argument relatif à la double incrimination en
faisant appel à d'autres principes.
L'appelant a invoqué également la disposition de
la Loi même selon laquelle l'expulsion peut correc-
tement être reconnue comme étant «une peine,
confiscation ou punition». Cette allégation peut
être rejetée immédiatement, car, dans l'alinéa per
tinent de la Loi, à savoir l'alinéa 126a), on trouve
un contexte restreint qui n'est d'aucune utilité en
ce qui concerne la classification de l'expulsion aux
fins de la Charte:
126. Pour plus de certitude, il est précisé que
a) toute ordonnance d'expulsion rendue en vertu de la Loi
sur l'immigration, abrogée par le paragraphe 128(1) de la
présente loi, est réputée constituer une peine, confiscation ou
punition au sens de l'alinéa 36e) de la Loi d'interprétation;
L'alinéa 36e) de la Loi d'interprétation [ S.R.C.
1970, chap. I-23] ne constitue toutefois qu'une
disposition transitoire:
36. Lorsqu'un texte législatif (au présent article appelé
«texte antérieur») est abrogé et qu'un autre texte législatif (au
présent article appelé «nouveau texte») y est substitué,
e) lorsqu'une peine, une confiscation ou une punition est
réduite ou mitigée par le nouveau texte, la peine, confiscation
ou punition, si elle est infligée ou prononcée après l'abroga-
tion, doit être réduite ou mitigée en conséquence;
L'appelant a également soutenu que le pouvoir
du ministre de recourir à la fois à l'arrestation et à
la détention, et le recours effectivement à ce pou-
voir en l'espèce lorsque l'appelant a été détenu
pour son enquête, démontrent que l'expulsion est
un inconvénient et une sanction.
La Cour suprême du Canada a défini récem-
ment les paramètres de l'article 11 de la Charte
dans l'arrêt R. c. Wigglesworth, [ 1987] 2 R.C.S.
541; 45 D.L.R. (4th) 235. Dans cette affaire-là, un
membre de la GRC était censé s'être livré à des
voies de fait sur un prisonnier qui était sous sa
garde, à la suite de quoi il avait été accusé à la fois
de voies de fait simples en vertu du Code criminel
[S.R.C. 1970, chap. C-34] et d'une infraction
majeure ressortissant au service en vertu de la Loi
sur la Gendarmerie royale du Canada [S.R.C.
1970, chap. R-9] pour laquelle la peine maximale
est un emprisonnement d'un an. À sa comparution
devant un tribunal du service de la GRC, il a été
reconnu coupable et condamné à 300 $ d'amende.
L'accusé dans cette affaire-là a soutenu que le fait
de le poursuivre en vertu du Code criminel consti-
tuerait, en raison de sa condamnation pour une
infraction ressortissant au service, une violation
des droits qui lui sont reconnus par l'alinéa 11h) de
la Charte.
Le jugement rendu à la majorité par le juge
Wilson (six des sept juges) a favorisé l'interpréta-
tion plus stricte de l'article 11 en l'appliquant «aux
procédures criminelles ou quasi criminelles et aux
procédures qui entraînent des conséquences péna-
les» (à la page 558 R.C.S.; 250 D.L.R.).
L'appelant en l'espèce a essayé de soutenir que
l'arrêt Wigglesworth n'est pas à propos, car, dans
cette affaire-là, la première déclaration de culpabi-
lité a été prononcée par le tribunal du service,
tandis qu'ici la première déclaration de culpabilité
l'a été par une cour criminelle. Mais aucune dis
tinction de ce genre quant à l'ordre des déclara-
tions de culpabilité ne peut se fonder sur le raison-
nement suivi dans l'arrêt Wigglesworth. De fait,
dans son analyse des principes directeurs, madame
le juge Wilson a traité de l'article 11 dans son
ensemble et non pas seulement de l'alinéa h).
Voici son analyse de la portée de l'article 11
(aux pages 559 561 R.C.S.; 251 et 252 D.L.R.):
Bien qu'il soit facile de dire que ceux qui sont impliqués dans
une affaire criminelle ou pénale doivent jouir des droits que
garantit l'art. 11, il est difficile de formuler un critère précis qui
doit être appliqué pour déterminer si des procédures précises
ont trait à une affaire criminelle ou pénale de manière à relever
de l'article. La note marginale «affaires criminelles et pénales»
semblerait laisser entendre qu'une affaire pourrait relever de
l'art. 11 soit parce que, de par sa nature même, il s'agit d'une
procédure criminelle, soit parce qu'une déclaration de culpabi-
lité relativement à l'infraction est susceptible d'entraîner une
véritable conséquence pénale. Je crois qu'une affaire pourrait
relever de l'art. 11 dans les deux cas.
Il y a de nombreux exemples d'infractions qui sont de nature
criminelle mais qui entraînent des conséquences relativement
mineures par suite d'une déclaration de culpabilité. Les procé-
dures relatives à ces infractions seraient néanmoins assujetties à
la protection de l'art. 11 de la Charte. On ne peut sérieusement
soutenir que du seul fait qu'une infraction mineure en matière
de circulation entraîne une conséquence très négligeable, voire
une légère amende seulement, cette infraction ne relève pas de
l'art. 11. Il s'agit d'une procédure criminelle ou quasi crimi-
nelle. C'est le genre d'infraction qui, de par sa nature même,
doit relever de l'art. 11.
À mon avis, si une affaire en particulier est de nature
publique et vise à promouvoir l'ordre et le bien-être publics
dans une sphère d'activité publique, alors cette affaire est du
genre de celles qui relèvent de l'art. 11. Elle relève de cet article
de par sa nature même. Il faut distinguer cela d'avec les
affaires privées, internes ou disciplinaires qui sont de nature
réglementaire, protectrice ou corrective et qui sont principale-
ment destinées à maintenir la discipline, l'intégrité profession-
nelle ainsi que certaines normes professionnelles, ou à régle-
menter la conduite dans une sphère d'activité privée et limitée
... Il existe également une distinction fondamentale entre les
procédures engagées pour promouvoir l'ordre et le bien-être
public dans une sphère d'activité publique et les procédures
engagées pour déterminer l'aptitude à obtenir ou à conserver un
permis. Lorsque les disqualifications sont imposées dans le
cadre d'un régime de réglementation d'une activité visant à
protéger le public, les procédures de disqualification né sont pas
le genre de procédures relative à une «infraction» auxquelles
s'applique l'art. 1I. Les procédures de nature administrative
engagées pour protéger le public conformément à la politique
générale d'une loi ne sont pas non plus le genre de procédures
relatives à une «infraction», auxquelles s'applique l'art. Il.
Toutefois, toutes les poursuites relatives à des infractions crimi-
nelles aux termes du Code criminel et à des infractions quasi
criminelles que prévoient les lois provinciales sont automatique-
ment assujetties à l'art. Il. C'est le genre même d'infractions
auxquelles l'art. I l était destiné à s'appliquer.
Cela ne veut pas dire que la personne accusée d'une affaire
privée, domestique ou disciplinaire qui est principalement desti
née à maintenir la discipline, l'intégrité ou à réglementer une
conduite dans une sphère d'activité privée et limitée, ne peut
jamais posséder les droits que garantit l'art. I 1. Certaines de
ces affaires peuvent très bien relever de l'art. I1, non pas parce
qu'il s'agit du genre d'affaires classiques destinées à relever de
l'article, mais parce qu'elles comportent l'imposition de vérita-
bles conséquences pénales. A mon avis, une véritable consé-
quence pénale qui entraînerait l'application de l'art. Il est
l'emprisonnement ou une amendé qui par son importance sem-
blerait imposée dans le but de réparer le tort causé à la société
en général plutôt que pour maintenir la discipline à l'intérieur
d'une sphère d'activité limitée. [C'est moi qui souligne.]
Le juge Wilson a conclu qu'une infraction majeure
ressortissant au service en vertu du code de disci
pline de la GRC relève effectivement de l'article
11, car la possibilité d'être condamné à une peine
d'emprisonnement d'un an est une véritable consé-
quence pénale. Dans ses motifs dissidents, le juge
Estey a accepté l'analyse générale sur ce point-là
et a marqué son désaccord uniquement avec la
conclusion finale de la majorité des juges, c'est-à-
dire qu'il s'agit de deux infractions qui sont néan-
moins différentes de sorte que l'accusé n'a pas été
jugé et puni une deuxième fois pour la même
infraction.
Vu qu'en l'espèce la procédure d'expulsion ne
constituait manifestement pas de par sa nature
même une affaire criminelle ou quasi criminelle, la
question telle qu'elle est définie par le juge Wilson
est de savoir si l'expulsion peut à juste titre être
considérée comme une véritable conséquence
pénale.
L'intimé a soutenu que seul l'emprisonnement
est une véritable conséquence pénale, mais cela ne
cadre pas avec les termes du juge Wilson selon
lesquels «une véritable conséquence pénale qui
entraînerait l'application de l'art. 11 est l'empri-
sonnement ou une amende qui par son importance
semblerait imposée dans le but de réparer le tort
causé à la société en général plutôt que pour
maintenir la discipline à l'intérieur d'une sphère
d'activité limitée.» [C'est moi qui souligne.]
Par contre, il n'est pas possible de donner son
appui à l'argument de l'appelant selon lequel l'ar-
restation et l'emprisonnement d'une durée de deux
jours qui ont été subis par l'appelant constituaient
une véritable conséquence pénale. Ce n'était pas
une conséquence au sens véritable du mot, mais
plutôt un moyen de s'assurer que l'appelant serait
présent à l'enquête préliminaire de l'immigration.
L'analyse de madame le juge Wilson ne répond
pas, à mon avis, à la question de savoir si l'expul-
sion est une véritable conséquence pénale. Il
faudra donc examiner attentivement toutes les
autres décisions pertinentes.
Les premiers arrêts à prendre en considération
sont ceux qui ont été rendus le même jour que
l'arrêt Wigglesworth: Burnham c. Police de la
communauté urbaine de Toronto, [1987] 2 R.C.S.
572; 45 D.L.R. (4th) 309; Trimm c. Police régio-
nale de Durham, [1987] 2 R.C.S. 582; 45 D.L.R.
(4th) 276; et Trumbley et Pugh c. Police de la
communauté urbaine de Toronto, [ 1987] 2 R.C.S.
577; 45 D.L.R. (4th) 318. Dans l'affaire Trimm,
l'agent de police appelant a été accusé en vertu du
Code of Offences [R.R.O. 1980, Reg. 791] de la
Police Act [R.S.O. 1980, chap. 381] de l'Ontario
de manquement à son devoir et aussi d'insubordi-
nation pour avoir désobéi à un ordre légitime. La
peine maximale en vertu de la procédure discipli-
naire était le renvoi ou la démission forcée, et le
juge Wilson a conclu, au nom de tous les juges qui
siégeaient (aux pages 589 R.C.S.; 282 D.L.R.):
Contrairement à la situation dans l'arrêt Wigglesworth, l'appe-
lant n'est pas susceptible d'être emprisonné aux termes de la
Police Act. En l'espèce, il n'y a pas de «véritables conséquences
pénales».
La cour s'est prononcée dans le même sens dans les
affaires Burnham et Trumbley.
Dans l'affaire R. v. Shubley (1988), 63 O.R.
(2d) 161 (C.A.), un détenu d'un établissement
correctionnel provincial fut, à la suite de voies de
fait contre un autre détenu, reconnu coupable
d'inconduite en vertu d'un règlement adopté en
conformité avec la Ministry of Correctional Servi
ces Act [R.S.O. 1980, chap. 275] de l'Ontario. Par
la suite, la victime des voies de fait a déposé en
vertu du Code criminel une plainte de voies de fait
ayant causé des lésions corporelles. Après avoir
exposé la gamme des peines que peut infliger le
surintendant d'un établissement en vertu du règle-
ment pertinent, le juge d'appel Robins a mentionné
au nom de la Cour (aux pages 169 et 170):
[TRADUCTION] Les peines que le surintendant peut infliger
en vertu du paragraphe 31(1) entraînent principalement la
perte ou le retrait de privilèges ou avantages dont peut norma-
lement profiter le détenu qui se conforme aux règles. Les peines
prévues au paragraphe 31(2) pour les écarts de comportement
plus graves entraînent une modification dans la nature de
l'incarcération du détenu ou (sous réserve de l'approbation du
ministre) la confiscation d'une partie ou de la totalité des jours
de réduction de peine accumulés par le détenu ou la suspension
de son admissibilité à une réduction de peine. Aucune de ces
peines ne peut être considérée comme constituant une véritable
conséquence pénale de façon à faire de l'infraction disciplinaire
une infraction criminelle ou pénale et à faire ainsi jouer l'article
11 de la Charte.
Un individu devient un détenu à cause des procédures crimi-
nelles ou quasi criminelles qui ont mené à son emprisonnement.
Ces procédures sont manifestement de nature criminelle ou
quasi criminelle, et leurs conséquences sont pénales. Mais une
fois qu'il est dans l'établissement, les modifications apportées à
l'aménagement de sa cellule ou au contenu de son régime
alimentaire, ou la perte, la confiscation ou la suspension de
privilèges ou avantages dont autrement il pourrait jouir ne
correspondent pas à de véritables conséquences pénales qui
satisfassent au deuxième critère de l'arrêt Wigglesworth. La
durée de l'emprisonnement reste la même, seule la manière
selon laquelle ou seuls les arrangements selon lesquels la peine
doit être purgée ont été modifiés, et ce, en raison de l'inconduite
même du détenu à l'intérieur de l'établissement. L'importance
de la punition concernée reflète uniquement l'intérêt de la
discipline interne et non pas l'intérêt du public en général.
Quelques années avant l'arrêt Wigglesworth, le
juge Mahoney, qui siégeait encore à la Division de
première instance, a conclu dans Gittens (In Re),
[1983] 1 C.F. 152, la page 158; (1982), 137
D.L.R. (3d) 687, la page 692; 68 C.C.C. (2d)
438, à la page 443:
Les passages pertinents de l'alinéa 11h) garantissent le droit
du requérant de ne pas être puni de nouveau pour les infrac
tions qu'il a commises. La déportation n'est pas une peine dont
les infractions qu'il a commises sont punissables, mais sa décla-
ration de culpabilité l'expose à l'expulsion: Reference re the
effect of the exercise of the Royal Prerogative of Mercy on
Deportation Proceedings, [1933] R.C.S. 269, la P. 278.
De plus, notre Cour a jugé, dans Bowen c. Minis-
tre de l'Emploi et de l'Immigration, [1984] 2 C.F.
507, la page 509; (1984), 58 N.R. 223 (C.A.), à
la page 225, que 11c) de la Charte ne
s'applique pas au témoignage que doit donner une
personne qui fait l'objet d'une enquête sous le
régime de la Loi sur l'immigration de 1976 ...,
laquelle vise à déterminer le statut de cette per-
sonne en vertu de cette Loi, puisqu'on ne peut pas
dire de cette personne qu'elle est un «inculpé» (le
juge Heald). De même, dans une affaire dans
laquelle un immigrant était expulsé pour activités
criminelles, le juge en chef adjoint a conclu que
l'expulsion «serait difficilement considérée comme
une peine ou un traitement, et encore moins d'un
genre cruel et inusité», ce qui était contraire à
l'alinéa 2b) de la Déclaration canadienne des
droits [S.R.C. 1970, Appendice III]: Frangipane
c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, juge-
ment rendu le 27 mars 1986, sous le n° T-1553-85,
à la page 4.
La position adoptée par les tribunaux améri-
cains dans ce domaine se trouve bien résumée dans
le volume 1A de l'ouvrage de Gordon et Rosenfield
intitulé Immigration Law and Procedure:
[TRADUCTION] Les tribunaux ont dit à maintes reprises
qu'une ordonnance d'expulsion n'est pas une peine criminelle.
[1, au paragraphe 4.1c] ...
Étant donné que l'expulsion n'est pas considérée comme une
peine criminelle, l'interdiction relative à la double incrimination
n'empêcherait pas de poursuivre au criminel une personne qui
fait l'objet d'une procédure d'expulsion pour le même motif.
Inversement, naturellement, rien n'empêcherait d'engager des
procédures d'expulsion contre une personne qui ferait l'objet de
poursuites criminelles pour la même infraction. [2, alinéa
4.3(i)].
Enfin, dans l'affaire Secrétaire d'État c. Dele-
zos, [ 1989] 1 C.F. 297 (1 re inst.) dans laquelle
l'intimé avait été reconnu coupable en vertu du
Code criminel, à la suite d'un plaidoyer de culpa-
bilité, d'avoir employé un document contrefait
dans sa demande de citoyenneté, dans une pour-
suite ultérieure en annulation de citoyenneté, le
juge Muldoon a déclaré (à la page 303):
En l'espèce, il est certain que l'intimé était «inculpé» au sens de
l'article 11 de la Charte lorsqu'il a été déclaré coupable d'avoir
employé un document contrefait par un juge de la Cour de
district de l'Ontario, le 20 mars 1984. Il est tout aussi certain
que l'intimé n'est pas inculpé de cette infraction ni d'aucune
infraction dans la présente poursuite.
Il ressort de cette jurisprudence qu'une procé-
dure d'expulsion ne devrait pas être considérée
comme relevant de l'alinéa 11h) de la Charte. Il
existe en outre une bonne raison pour aboutir à la
même conclusion. Le redressement nécessaire du
tort fait à la société et l'effet de dissuasion sur les
autres ont déjà été atteints au moyen de la déclara-
tion de culpabilité au criminel. La procédure d'ex-
pulsion ne vise pas une fin sociale, mais elle vise
seulement à faire partir du Canada un indésirable.
Il s'agit d'un moyen afin de dissuader une per-
sonne, et non pas la société. Il faut ainsi établir
une distinction entre l'expulsion en vertu de la Loi
sur l'immigration de 1976 et les sanctions pénales
plus anciennes comme l'exil ou le transfèrement
dans une colonie pénitentiaire, dans lesquelles un
citoyen était expulsé de son pays d'origine dans le
cadre de sa punition, et cela constituait seulement
une autre conséquence pénale. On ne peut pas
supposer que l'expulsion d'une personne vers son
pays d'origine constitue une véritable conséquence
pénale. Cela peut, dans certaines circonstances,
équivaloir à un grave inconvénient personnel mais
non pas au genre d'inconvénients plus que pure-
ment personnels que vise l'alinéa 11h) de la
Charte. L'expulsion ressemble plutôt à la perte
d'un permis ou au renvoi d'un corps policier ou au
retrait du droit d'exercer une profession.
Le caractère non criminel de l'expulsion repré-
sentait en fait la question même qu'a tranchée la
Cour suprême dans le renvoi Reference as to the
effect of the Exercise by His Excellency, the
Governor General of the Royal Prerogative of
Mercy upon Deportation Proceedings, [ 1933]
R.C.S. 269, à la page 278, lorsque l'article 40 de la
Loi sur l'immigration (S.R.C. 1927, chap. 93)
était en vigueur avant l'adoption du paragraphe
27(1) de la Loi actuelle et les articles 42 et 43
avant celle du paragraphe 32(2). Le juge en chef
Duff a statué au nom de la Cour:
[TRADUCTION] Peut-être n'est-il presque pas nécessaire de
faire remarquer que les articles en cause n'ont rien à voir avec
les conséquences pénales des actes des particuliers. Ils visent à
fournir à notre pays une certaine protection contre la présence
de catégories d'étrangers qui sont désignés dans la loi comme
des «indésirables». La vaste notion sur laquelle ils se fondent est
indiquée dans le résumé qui a déjà été donné des dispositions de
l'article 40. Les personnes reconnues coupables d'actes crimi-
nels dans notre pays, les personnes qui sont détenues dans les
prisons de notre pays sont assimilées aux personnes qui sont
détenues dans des asiles d'aliénés, aux personnes impliquées
dans la prostitution, aux personnes qu'on sait avoir été décla-
rées coupables ailleurs d'infractions où la bassesse morale est en
cause, aux personnes qui restent dans notre pays en dépit des
interdictions de la Loi sur l'immigration.
De plus, les conséquences qui découlent des procédures fon-
dées sur l'article 42 ne sont pas reliées à l'infraction criminelle
en tant que conséquence juridique qui résulte de jure de la
déclaration de culpabilité pour l'infraction ou qui peut donc
être infligée à la discrétion d'un tribunal judiciaire. Elles
résultent, si tel est vraiment le cas, d'une procédure administra
tive engagée à la discrétion du ministre responsable de
l'immigration.
Selon la Cour suprême à cette époque-là, l'ex-
pulsion [TRADUCTION] «n'a rien à voir avec les
conséquences pénales des actes des particuliers»,
mais elle vise plutôt à protéger le pays des person-
nes indésirables.
Je trouve que la conclusion est claire tant en ce
qui concerne la jurisprudence que les principes. Je
rejetterais donc l'appel
LE JUGE URIE: Je souscris aux présents motifs.
LE JUGE STONE: Je souscris aux présents
motifs.
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