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T-842-87 T-1106-87
David Vienneau (requérant)
c.
Solliciteur général du Canada (intimé)
Gregory S. Kealey (requérant)
c.
Solliciteur général du Canada (intimé)
RÉPERTORIÉ: VIENNEAU C. CANADA (SOLLICITEUR GÉNÉRAL)
Division de première instance, juge en chef adjoint Jerome—Ottawa, 16 décembre 1987; 3 mars 1988.
Accès à l'information Les documents communiqués con- tiennent de nombreuses suppressions La lettre d'accompa- gnement énumérait les articles invoqués pour justifier ces suppressions, mais ces articles ne figuraient pas en regard des parties supprimées L'art. 10 de la Loi sur l'accès à l'infor- mation n'exige pas d'indiquer la disposition précise invoquée pour chaque partie d'un document soustraite à la communica tion.
Il s'agit de demandes d'examen de la prétendue dérogation de l'intimé aux prescriptions du législateur lors d'un refus de communiquer certains documents demandés conformément à la Loi sur l'accès à l'information. De nombreux extraits avaient été supprimés des copies de documents que les requérants ont reçues. Une lettre d'accompagnement énumérait les articles pertinents invoqués pour justifier ces suppressions, mais ces articles ne figuraient pas en regard des parties supprimées (pratique suivie par certains ministères fédéraux).
La question de droit à trancher était de savoir si l'article 10 de la Loi obligeait le responsable d'une institution fédérale à préciser les dispositions invoquées pour chaque partie du docu ment soustraite à la communication. Les requérants ont cité l'alinéa 10(1)b) qui exige que l'avis mentionne la disposition précise de la Loi sur laquelle se fonde le refus. Les requérants ont fait valoir que ale refus» visait chaque suppression effectuée sur un document, et que les motifs de chaque refus devaient être énoncés. Toujours selon les requérants, le demandeur a besoin de ces renseignements pour décider s'il déposera une plainte et pour connaître le motif précis du refus de l'institution fédérale. L'intimé a soutenu que puisqu'aucune précision de ce genre n'était requise lorsque le document était retenu dans sa totalité, les requérants ne pouvaient exiger, dans le cas d'un document communiqué partiellement, plus de précision.
Jugement: Il y a lieu de répondre par la négative à la question et de rejeter les demandes.
La question soulevée en l'espèce se présente uniquement lorsque le responsable de l'institution concernée a opposé un premier refus, et qu'il est tenu par la suite de décider s'il y a lieu de communiquer les parties qui peuvent raisonnablement être prélevées. Lorsque le document est jugé renfermer des renseignements incommunicables, il n'y a qu'un seul refus. La communication subséquente de n'importe quelle partie n'est
qu'une application de la Loi et non un nouveau refus. Par conséquent, un seul avis indiquant les dispositions d'exception doit suffire. Un avis écrit est suffisant aux fins des articles 7 et 10. Tout refus entraîne d'office le droit de porter plainte et, en définitive, celui de recourir au contrôle judiciaire de chaque élément du refus. Ces droits ne dépendent pas de l'indication des dispositions précises invoquées pour chaque suppression effectuée dans un document. La pratique qui consiste à fournir les numéros des articles applicables en regard des suppressions est toutefois recommandable et conforme au but visé par la Loi, celui de fournir aux citoyens le plus de renseignements possible.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur l'accès à l'information, S.C. 1980-81-82-83, chap. 111 (annexe I), art. 2, 3, 4, 7, 10, 25, 41, 42(1)b).
AVOCATS:
Michael L. Phelan, Pat J. Wilson et Paul B.
Tetro pour les requérants.
Barbara Mclsaac pour les intimés.
PROCUREURS:
Osler, Hoskin & Harcourt, Ottawa, pour les requérants.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE EN CHEF ADJOINT JEROME: Les pré- sentes requêtes sont présentées en vertu de l'article 41 de la Loi sur l'accès à l'information [S.C. 1980-81-82-83, chap. 111 (annexe I)] par le Com- missaire à l'information, au nom des demandeurs- requérants, conformément à l'alinéa 42(1)b) de la Loi. Les requêtes portent sur la révision de la prétendue dérogation de l'intimé aux prescriptions du législateur, savoir son refus de communiquer certains documents demandés conformément à la Loi. Par des ordonnances rendues en date du 20 octobre 1987, j'ai décidé que ces requêtes devaient être entendues simultanément, et que la question préliminaire de droit sur laquelle il fallait statuer était la suivante :
L'article 10 de la Loi sur l'accès à l'information (la «Loi») oblige-t-il le responsable d'une institution fédérale à indiquer, pour chaque partie d'un document soustraite à la communica tion en application de l'article 25 de la Loi, les dispositions précises de la Loi sur lesquelles sont fondées les exceptions à la communication?
La question préliminaire a été débattue à Ottawa, le 16 décembre 1987.
Les requérants ont demandé l'accès à certains documents qui relevaient du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) en 1985 et 1986. Certains documents requis leur ont été fina- lement communiqués. De nombreux extraits étaient supprimés des copies de documents qu'ils ont reçues, du fait qu'ils étaient considérés comme incommunicables en vertu de la Loi. Dans chaque cas, une lettre d'accompagnement indiquait les articles pertinents sur lesquels l'intimé s'était fondé pour justifier son refus de communiquer les parties supprimées. Les articles étaient simplement énumérés dans la lettre d'accompagnement, mais ne figuraient pas en regard des parties supprimées, pratique suivie par certains ministères fédéraux.
Les requérants ont déposé une plainte devant le Commissaire à l'information relativement au sort réservé à leurs demandes. Ils se sont plaints notam- ment du fait que les exceptions pertinentes n'étaient pas précisées à l'égard de chaque partie supprimée. Le personnel du Commissaire a institué une enquête, à l'issue de laquelle le Commissaire adjoint a écrit au Solliciteur général le 26 novem- bre 1986. Cette lettre se lit, en partie, comme suit :
[TRADUCTION] Pour chacun des quatre incidents faisant l'objet des plaintes, le requérant a simplement reçu du SCRS une note d'accompagnement, dans laquelle il est mentionné, entre autres, que «certains documents qui vous ont été fournis ont fait l'objet d'une exception, en tout ou en partie, en vertu de ....; cette mention était suivie généralement des articles pertinents. Les parties supprimées (faisant l'objet de l'exception) dans les documents communiqués ne contenaient aucune indication quant à la disposition sur laquelle était fondée cette exception en particulier et, de ce fait, le requérant ne disposait d'aucune explication quant aux motifs pour lesquels telle ou telle partie du document n'avait pas été fournie, pas plus qu'il n'était éclairé sur quelque fondement lui permettant de formuler une plainte quelconque.
En me basant sur l'alinéa 10(1)b), je suis d'avis que les dispositions précises justifiant les exceptions doivent être indi- quées au requérant, et ce, sur la partie pertinente du document. Le SCRS ne s'est pas conformé à cet alinéa de la Loi et, par conséquent, je conclus que ces quatre plaintes sont «bien fondées».
En m'appuyant sur le paragraphe 37(1) de la Loi sur l'accès à l'information, je recommande donc que le SCRS informe le professeur Kealey et M. Vienneau des dispositions précises aux termes desquelles les exceptions ont été appliquées aux docu ments qui leur ont été communiqués en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, le ou avant le 19 décembre 1986, à moins que, dans ce même délai, vous ne m'avisiez qu'une
mesure a été prise ou qu'elle est envisagée pour l'application de la présente recommandation, ou que vous ne fournissiez les motifs pour lesquels cette mesure ne l'a pas été.
Le solliciteur général a répondu comme suit :
[TRADUCTION] L'alinéa 10(1)b) de la Loi prescrit, entre autres, que si la communication est refusée, la lettre écrite au demandeur doit indiquer la disposition précise de la Loi sur laquelle le refus est fondé. Je crois comprendre que, non seulement le SCRS fournit cette information dans sa réponse écrite, mais il indique clairement, sur le document, les passages qui ne peuvent être communiqués. Il ne regroupe pas toutefois les deux types d'information mais d'après l'avis de nos conseil- lers juridiques, la Loi ne semble pas l'obliger à le faire.
Je sais que l'interprétation que vous suggérez à l'égard de l'alinéa 10(1)b) est reconnue par certaines institutions. Néan- moins, dans le traitement des documents du SCRS, l'applica- tion de votre interprétation nuirait au but visé par les excep tions, puisqu'elle risquerait de fournir des indices sur le type de renseignements incommunicables. Dans certains cas, la préci- sion des exceptions appliquées ne doit pas donner d'indices sur la nature possible des renseignements incommunicables. Si le SCRS se pliait à votre façon de voir, un tel résultat serait à craindre.
Compte tenu de cette interprétation de la Loi, je ne propose aucune autre mesure à cet égard. J'estime qu'en l'espèce l'atti- tude du SCRS est conforme aux exigences du législateur.
Le Commissaire adjoint à l'information a trans- mis cette correspondance aux requérants, en même temps que sa décision par laquelle il reconnaît le bien-fondé de leurs plaintes. C'est alors que les requêtes ont été présentées.
Les dispositions pertinentes de la Loi sont les articles 7, 10 et 25 :
7. Le responsable de l'institution fédérale à qui est faite une demande de communication de document est tenu, dans les trente jours suivant sa réception, sous réserve des articles 8, 9 et 11 :
a) d'aviser par écrit la personne qui a fait la demande de ce qu'il sera donné ou non communication totale ou partielle du document;
b) le cas échéant, de donner communication totale ou par- tielle du document.
10. (1) En cas de refus de communication totale ou partielle d'un document demandé en vertu de la présente loi, l'avis prévu à l'alinéa 7a) doit mentionner, d'une part, le droit de la personne qui a fait la demande de déposer une plainte auprès du Commissaire à l'information et, d'autre part :
a) soit le fait que le document n'existe pas;
b) soit la disposition précise de la présente loi sur laquelle se fonde le refus ou, s'il n'est pas fait état de l'existence du
document, la disposition sur laquelle il pourrait vraisembla- blement se fonder si le document existait.
(2) Le paragraphe (1) n'oblige pas le responsable de l'institu- tion fédérale à faire état de l'existence du document demandé.
(3) Le défaut de communication totale ou partielle d'un document dans les délais prévus par la présente loi vaut déci- sion de refus de communication.
25. Le responsable d'une institution fédérale, dans les cas il pourrait, vu la nature des renseignements contenus dans le document demandé, s'autoriser de la présente loi pour refuser la communication du document, est cependant tenu, nonobstant les autres dispositions de la présente loi, d'en communiquer les parties dépourvues des renseignements en cause, à condition que le prélèvement de ces parties ne pose pas de problèmes sérieux.
Les arguments sont fondés, en l'espèce, sur deux différentes interprétations du mode de refus prévu par ces articles. Les requérants soutiennent que l'article 7 donne à un demandeur le droit à la communication totale ou partielle d'un document, et le droit d'être avisé si la communication sera accordée. Le but de la notification prévue aux articles 7 et 10 est d'aviser le demandeur si ce droit lui est reconnu ou non, et le motif du refus, le cas échéant. L'alinéa 10(1)b) exige que l'avis men- tionne la disposition précise de la Loi sur laquelle se fonde le refus. Les demandeurs soutiennent que les mots «le refus» visent chaque suppression effec- tuée sur un document, en vertu d'une disposition prévoyant une exception, étant donné que chaque suppression constitue un refus de fournir «une partie» d'un certain document. Ils en concluent que les motifs d'un tel «refus» doivent être énoncés, et qu'ils doivent être aussi détaillés et précis pour le refus touchant la communication partielle d'un document que pour le refus visant un document complet.
Les requérants soutiennent aussi que le droit de déposer une plainte et de demander la révision judiciaire de la décision qui refuse la communica tion dépend de l'avis qui indique le fondement précis de chaque exception. Le demandeur qui s'est vu refuser ce droit a besoin de ces renseigne- ments pour décider s'il déposera une plainte, et pour connaître le motif précis du refus de l'institu- tion fédérale.
Les requérants reconnaissent, en fait, une cer- taine justification à la thèse du solliciteur général et admettent que, dans certains cas, une telle précision risque d'aller à l'encontre du but visé par les exceptions, en permettant au demandeur de connaître ou de deviner le contenu de la partie prélevée. Les requérants suggèrent que, dans de tels cas, l'institution intimée soit autorisée à prou- ver la vraisemblance de cette conséquence et, le cas échéant, dispensée de l'obligation d'indiquer les exceptions pertinentes pour chaque suppression.
En revanche, l'intimé soutient que le droit d'ac- cès reconnu aux articles 2, 3 et 4 de la Loi s'applique aux «documents» relevant d'une institu tion fédérale, et non aux renseignements contenus dans ces documents. Il ressort des premiers mots de chacun des articles portant sur les exceptions (articles 13 à 24) que, chaque fois qu'un document renferme des renseignements incommunicables, le responsable de l'institution fédérale en cause est autorisé à refuser la communication du document dans sa totalité. Si l'accès doit être refusé, l'alinéa 10(1)b) exige que des motifs précis soient donnés dans l'avis écrit envoyé conformément à l'article 7. Ces motifs consisteront en une liste des disposi tions régissant les exceptions qui ont été appli- quées.
L'intimé soutient que rien ne permet de conclure que l'article 10 exige de relier les exceptions perti- nentes aux parties précises du document du simple fait qu'il a été communiqué partiellement en vertu de l'article 25. Si le prélèvement était impossible et le document retenu dans sa totalité, aucune préci- sion ne serait requise. Les requérants ne peuvent exiger, dans le cas d'un document communiqué partiellement, plus de précision dans les motifs que s'il s'agissait d'un document retenu entièrement.
L'intimé soutient également que, dans les cas la mention d'exceptions précises en regard des suppressions effectuées peut fournir «des indices» sur leur contenu, la solution proposée par les requérants est inacceptable. Il s'agit d'une inter- prétation déraisonnable de l'alinéa 10(1)b). Cette solution (selon laquelle l'institution fédérale en cause est tenue de faire la preuve d'un préjudice raisonnablement plausible) impose à l'institution fédérale un fardeau supplémentaire et astreignant, que la Loi ne prévoit pas de façon explicite.
Il me semble que la question soulevée en l'espèce se présente uniquement lorsque le responsable de l'institution a émis un premier refus et qu'il est tenu par la suite d'interpréter l'obligation, pres- crite par l'article 25 de la Loi, de communiquer les parties qui peuvent raisonnablement être prélevées. Un tel prélèvement ne change rien cependant au fait que, lorsque le document est jugé renfermer des renseignements incommunicables, il n'y a qu'un seul refus. La communication subséquente de n'importe quelle partie, conformément à l'arti- cle 25, ne peut être interprétée que comme une application de la Loi, et non comme un nouveau refus. S'il n'y a qu'un seul refus, un seul avis indiquant les dispositions sur les exceptions doit suffire.
Je ne trouve aucun fondement dans la Loi à la thèse du requérant. Le libellé des articles 7 et 10 indique de façon non équivoque que l'obligation d'une institution qui refuse l'accès consiste dans l'envoi d'un avis écrit au demandeur, précisant toutes les dispositions de la Loi sur lesquelles le refus est fondé. Les numéros des articles pertinents doivent être fournis dans cet avis. Rien ne permet de conclure qu'ils doivent être reliés aux passages supprimés, et encore moins qu'ils doivent être écrits directement sur le document communiqué.
Je ne comprends pas davantage qu'un avis pré- senté sous cette forme puisse porter atteinte aux droits des requérants reconnus dans la Loi. Tout refus entraîne d'office le droit de porter plainte et, en définitive, celui de recourir à la révision judi- ciaire de chaque élément du refus. Ces droits ne dépendent pas de l'indication des dispositions trai- tant des exceptions précises qui se rapportent à chaque suppression effectuée dans un document. Pour se conformer à l'obligation qui lui est faite de justifier son refus, il suffit que l'institution fédérale fournisse la liste des articles dans l'avis prévu à l'article 7.
Cela dit, je m'empresse d'ajouter cependant que je considère comme fortement recommandable la pratique qui consiste à fournir les numéros des articles applicables en regard des suppressions, et qui a été adoptée par de nombreux ministères. Bien qu'elle ne soit pas expressément prévue par la loi, elle me semble parfaitement conforme au but visé par la Loi sur l'accès à l'information, qui consiste à fournir aux citoyens le plus de rensei-
gnements possibles sur leur gouvernement. Je recommanderais donc, pour les cas la divulga- tion de renseignements protégés ne présente pas de danger quant à leur origine ou à leur contenu, que les institutions fédérales continuent à indiquer le numéro de l'article pertinent pour chaque suppres sion.
Il reste que, sur le plan du droit substantif, la question préliminaire posée en l'espèce doit rece- voir une réponse négative. Les parties ont convenu que, dans le cas d'une réponse négative, les présen- tes requêtes pouvaient être rejetées. Les requêtes présentées en vertu de l'article 41 de la Loi sont donc rejetées avec dépens.
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