T-1513-88
Imperial Chemical Industries PLC et I.C.I.
Pharma, Division Atkemix Inc. (demanderesses)
c.
Apotex Inc. (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: IMPERIAL CHEMICAL INDUSTRIES PLC c.
APOTEX INC.
Section de première instance, juge Rouleau—
Ottawa, 14 décembre 1988; 12 janvier 1989.
Brevets — Contrefaçon — Produits pharmaceutiques —
Licences obligatoires — Des modifications récentes à la Loi
ont prolongé le monopole du titulaire de brevet en ce qui
concerne l'importation de médicaments et la vente de médica-
ments importés, et elles ont restreint les droits des détenteurs
de licences obligatoires — La Cour fédérale est compétente
pour entendre le litige puisque la question en jeu ne ressortit
pas à la propriété et aux droits civils mais à la contrefaçon de
brevet — L'art. 15 de la Charte n'est pas applicable aux
personnes morales — L'art. 7 de la Charte n'est pas applicable
aux sociétés ou aux intérêts purement économiques — Les
modifications visées n'ont pas aboli de droits acquis puisque la
licence obligatoire ne confere aucun droit de propriété — Les
modifications interdisent la vente de médicaments déjà impor
tés — Les demanderesses ont satisfait aux critères régissant
l'obtention d'une injonction interlocutoire.
Injonctions — Contrefaçon de brevet — Le critère de la
cause fondée à première vue est préféré à celui de la question
sérieuse à trancher — Une injonction sera délivrée puisque les
demanderesses ont établi qu'elles subiraient un préjudice irré-
parable en perdant leur position commerciale et qu'elles ont
fait valoir que la prépondérance des inconvénients joue en leur
faveur.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Injonction
interlocutoire pour empêcher la contrefaçon d'un brevet de
produit pharmaceutique — L'art. 7 de la Charte ne s'applique
ni aux personnes morales, ni à des intérêts purement économi-
ques — L'art. 15 ne s'applique pas aux personnes morales.
Droit constitutionnel — Partage des pouvoirs — L'art. 41 de
la Loi sur les brevets n'excède pas les pouvoirs du Parlement
puisqu'il ne traite de la propriété et des droits civils que de
façon incidente — La question visée ressortit à l'art. 91(22) de
la Constitution.
La défenderesse a obtenu une licence obligatoire en vue de
l'importation, de la préparation, de l'utilisation et de la vente
du médicament pour le cour Aténolol visé par le brevet des
demanderesses. Elle avait commencé à vendre ce médicament
en août 1988. En décembre 1987, la Loi sur les brevets a été
modifiée pour accorder au détenteur d'un brevet une période
plus longue de monopole en ce qui concerne l'importation d'un
médicament breveté pour la vente à la consommation au
Canada. Il résultait des modifications apportées qu'une licence
obligatoire ne permettait plus, pendant un certain temps, la
vente à la consommation au Canada de médicaments fabriqués
à partir de médicaments importés. En août 1988, les demande-
resses ont intenté leur action en contrefaçon de brevet contre la
défenderesse, et en septembre 1988, elles ont introduit la
présente requête en injonction interlocutoire afin qu'il soit
interdit à la défenderesse de continuer à contrefaire leur brevet
en important et en vendant l'Aténolol au Canada.
La défenderesse soutient que la Cour n'est pas compétente
pour entendre le litige puisque la question soulevée concerne les
obligations imposées aux parties en vertu d'un contrat et que les
modifications apportées à la Loi sur les brevets excèdent les
pouvoirs du Parlement parce que traitant de la propriété et des
droits civils. La défenderesse soutient également que ces modi
fications violent les articles 7 et 15 de la Charte ainsi que
l'alinéa I a) de la Déclaration des droits. Subsidiairement, elle
prétend que ces modifications ne devraient pas abolir rétroacti-
vement des droits acquis ou s'appliquer à des produits qui
avaient déjà été importés au moment où elles sont entrées en
vigueur. La défenderesse soutient finalement que les demande-
resses ne se sont pas acquittées du fardeau qui leur incombait
relativement à la délivrance d'une injonction.
Jugement: la requête devrait être accueillie.
La présente affaire ne concerne aucunement un contrat entre
les parties. Toute violation de l'article 41.11 de la Loi, la
question sur laquelle porte le litige en l'espèce, serait assimila-
ble à une contrefaçon de brevet et non à l'inexécution d'un
contrat. Par ailleurs, le Parlement possède la compétence en
matière de brevets en vertu du paragraphe 91(22) de la Loi
constitutionnelle de 1867. Et même si la propriété et les droits
civils ressortissent à la compétence provinciale, le Parlement est
en droit de créer ou de réglementer la propriété dans l'exercice
de ses pouvoirs énumérés.
Les sociétés ne peuvent s'appuyer sur les dispositions relati
ves à l'égalité de l'article 15 de la Charte et de l'alinéa l a) de la
Déclaration des droits, et l'article 7 de la Charte n'est pas
applicable à des intérêts purement économiques.
Une licence obligatoire ne confère pas un droit de propriété;
elle ne donne à son titulaire que la permission de se livrer à une
activité qui autrement eût été illégale. La défenderesse ne
détient donc aucuns droits acquis qu'auraient pu abolir les
modifications visées. Ces modifications interdisent clairement
l'importation de l'Aténolol pour les fins de la vente à la
consommation au Canada, quelle que soit la date de cette
importation.
La jurisprudence canadienne en matière de brevets penche
pour le critère de la «cause fondée à première vue» plutôt que
pour celui de la «question sérieuse à trancher», et elle ne permet
de passer outre à ce critère que lorsque la preuve du préjudice
irréparable est concluante ou que la balance des inconvénients
est nettement penchée d'un côté. Les demanderesses ont établi
que leur cause était fondée à première vue, qu'elles risquaient
fort de subir un préjudice irréparable en perdant leur position
commerciale et que la balance des inconvénients penchait en
leur faveur.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 7, 15.
Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appen-
dice III, art. la), 2c).
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3
(R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5] (mod. par la
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, n° 1), art.
91(22), 92(13).
Loi électorale du Canada, S.R.C. 1970 (1°' Supp.), chap.
14, art. 67.
Loi modifiant la Loi sur les brevets et prévoyant certaines
dispositions connexes, S.C. 1987, chap. 41, art. 28, 33.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap.
10, art. 20.
Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, chap. P-4, art. 41 (mod.
par S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10, art. 64; 1987,
chap. 41, art. 14), 41.11 (édicté, idem, art. I5), 41.12
(édicté, idem), 72.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle
469.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Smith, Kline & French Laboratories Limited c. Procu-
reur général du Canada, [1986] 1 C.F. 274; (1985), 24
D.L.R. (4th) 321 (I'° inst.), confirmé par [1987] 2 C.F.
359; (1986), 34 D.L.R. (4th) 584 (C.A.); Parkdale Hotel
Ltd. c. Canada (Procureur général), [1986] 2 C.F. 514;
27 D.L.R. (4th) 19 (1'° inst.); Re Aluminum Co. of
Canada, Ltd. and The Queen in right of Ontario;
Dofasco Inc., Intervenor (1986), 29 D.L.R. (4th) 583 (C.
div. Ont.); Institute of Edible Oil Foods v. Ontario
(1987), 63 O.R. (2d) 436 (H.C.); Cutter Ltd. c. Baxter
Travenol Laboratories of Canada, Ltd. et autres (1980),
47 C.P.R. (2d) 53 (C.A.F.); Samsonite Corp. c. Holiday
Luggage Inc. (1988), 20 C.P.R. (3d) 291 (C.F. l'° inst.);
American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd., [ 1975] A.C.
396 (H.L.); Syntex Inc. c. Apotex Inc., [1984] 2 C.F.
1012; I C.P.R. (3d) 145 (C.A.); Turbo Resources Ltd. c.
Petro Canada Inc., [1988] 3 C.F. 235; (1988), 17 F.T.R.
28 (l'° inst.); Turf Care Products Ltd. v. Crawford's
Mowers & Marine Ltd. et al. (1978), 95 D.L.R. (3d) 378
(H.C. Ont.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
McCraken et al. v. Watson, [1932] R.C.É. 83; Aktiebo-
laget Hassle c. Apotex Inc. (1987), 17 C.P.R. (3d) 349
(C.F. l'° inst.); Meyer v. State of Nebraska, 262 U.S.
390 (1923); Re Mia and Medical Services Commission
of British Columbia (1985), 17 D.L.R. (4th) 385
(C.S.C.-B.); Wilson v. British Columbia Medical Servi
ces Commission, B.C.J. N° 1566, 1988, non encore
publiée.
AVOCATS:
James D. Kokonis, c.r. et G. Gaikis pour les
demanderesses.
Malcolm S. Johnston, c.r., Patricia A. Rae,
Harry B. Radomski pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Smart & Biggar, Ottawa, pour les demande-
resses.
Malcolm Johnston & Associates, Toronto,
pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE ROULEAU: Par cette action intentée en
application de la Règle 469 des Règles de la Cour
fédérale [C.R.C., chap. 663], les demanderesses
concluent à une injonction interlocutoire interdi-
sant à la défenderesse de contrefaire certaines
revendications contenues dans leur brevet cana-
dien.
Le principal point litigieux découle de la récente
modification [S.C. 1984, chap. 41] de la Loi sur
les brevets [S.R.C. 1970, chap. P-4] qui a eu pour
effet de prolonger le monopole concernant les pro-
duits pharmaceutiques et de restreindre apparem-
ment les droits des producteurs qui ont obtenu des
licences obligatoires.
La demanderesse Imperial Chemical Industries
(ICI) est un fabricant et détaillant britannique de
produits pharmaceutiques ayant son siège social à
Londres, en Angleterre. La demanderesse ICI
Pharma est une filiale canadienne appartenant à
ICI en propriété exclusive. Le siège social d'ICI
Pharma se trouve à Mississauga, en Ontario. La
défenderesse est une société canadienne de fabrica
tion et de vente au détail de produits pharmaceuti-
ques, installée à Weston, en Ontario.
La demanderesse ICI est la détentrice du brevet
canadien n° 945,172 délivré en 1974 pour la pro
tection de son procédé de fabrication de dérivés
d'alkanolamine. Les lettres patentes contiennent
quelque 36 revendications relatives à cette inven
tion, dont le procédé de fabrication d'un médica-
ment très répandu pour les maladies cardiaques,
connu sous le nom générique d'Aténolol. Le brevet
doit expirer en 1991.
En 1975, c'est-à-dire l'année qui suivit celle de
la délivrance du brevet canadien, la demanderesse
a effectué des recherches et des essais extensifs sur
l'Aténolol, qu'elle a introduit par la suite sur le
marché britannique, en 1976. ICI Pharma a reçu
l'avis de conformité de Santé et Bien-être Canada
le 10 mars 1983 et depuis, elle a commercialisé
dans ce pays ce médicament sous le nom commer
cial de Tenormin. Pour favoriser l'écoulement du
produit, ICI Pharma a entrepris un programme de
publicité et de familiarisation qui a eu pour effet
de porter le chiffre d'affaires de 4 millions de
dollars en 1984 à un total projeté de 33 millions en
1988. Ce produit est maintenant l'un des médica-
ments les plus répandus pour les maladies cardia-
ques. À l'heure actuelle, les ventes d'Aténolol/
Tenormin représentent quelque 75 % du chiffre
d'affaires de la demanderesse ICI Pharma. On
prévoit qu'à l'expiration du brevet en 1991, la
moitié environ des ventes ira aux concurrents.
Le 3 mars 1986, la défenderesse s'est prévalue
de l'article 41 de la Loi sur les brevets (S.R.C.
1970, c. P-4, mod. [par S.R.C. 1970 (2e Supp.),
chap. 10, art. 64]) pour demander une licence
obligatoire en vue de l'importation, de la prépara-
tion, de l'utilisation et de la vente de l'Aténolol
couvert par le brevet des demanderesses. Le 15
juillet 1987, le commissaire aux brevets a accordé
à la défenderesse une licence provisoire en applica
tion des paragraphes 41(5) à 41(9) de la Loi,
laquelle licence fut remplacée le 15 février 1988
par une licence définitive conformément au para-
graphe 41(4) de la Loi. En vertu de cette licence,
la défenderesse a importé de l'Aténolol au Canada
et commencé à le vendre en petites quantités sur le
marché canadien en août 1988.
À compter du 7 décembre 1987, l'article 41
modifié [par S.C. 1987, chap. 41, art. 4] de la Loi
sur les brevets accorde au titulaire du brevet une
période plus longue de monopole pour ce qui est de
l'importation du médicament breveté pour la vente
à la consommation au Canada. La nouvelle loi
signifie qu'une licence accordée en application de
l'article 41 de la Loi ne permet plus, pendant un
certain temps, la vente à la consommation au
Canada de médicaments fabriqués à partir de
médicaments importés [c'est moi qui souligne].
C'est à la lumière de la nouvelle Loi que les
demanderesses, ayant appris le 2 août 1988, que la
défenderesse se proposait de commercialiser l'Até-
nolol au Canada, lui envoyaient une lettre pour la
sommer de ne pas le faire. Il n'y a pas eu de
réponse et par la suite, les demanderesses apprirent
que la défenderesse était en train de recevoir des
commandes d'Aténolol. En conséquence, elles ont
intenté le 5 août 1988 une action en contrefaçon de
brevet contre la défenderesse, et introduit, le 27
septembre 1988, la requête, que la Cour considère
en l'espèce, en injonction interlocutoire pour inter-
dire à la défenderesse de continuer à contrefaire
leur brevet en important et en vendant l'Aténolol
au Canada.
Les modifications apportées à la Loi sur les
brevets et qui nous intéressent en l'espèce sont les
articles 41.11 et 41.12, dont voici le texte:
41.11 (I) Sous réserve du présent article et par dérogation à
l'article 41 ou à toute licence délivrée sous son régime, il est
interdit de se prévaloir d'une licence, peu importe la date de
délivrance, accordée sous son régime relativement à un brevet
portant sur une invention liée à un médicament pour revendi-
quer ou exercer le droit, si l'invention est un procédé, d'impor-
ter pour vente au Canada le médicament dans la préparation ou
la production duquel l'invention a été utilisée, ou, si elle n'est
pas un procédé, d'importer l'invention pour des médicaments ou
pour la préparation ou la production de médicaments pour
vente au Canada.
(2) L'interdiction est levée à l'expiration des délais suivants:
a) sept ans après la délivrance du premier avis de conformité
à l'égard du médicament si, au 27 juin 1986, d'une part,
l'avis était délivré et, d'autre part, une licence a été accordée
sous le régime de l'article 41 pour le médicament, mais le
titulaire n'a pas obtenu d'avis ou l'avis a été délivré à une
personne autre que le breveté, laquelle ne s'est pas vu accor-
der une telle licence;
b) huit ans près la délivrance du premier avis de conformité
si, au 27 juin 1986, l'avis était délivré et si aucune licence n'a
été accordée pour le médicament et aucun avis de conformité
n'a été délivré à une personne autre que le breveté;
c) dix ans après la délivrance du premier avis de conformité,
si elle survient après le 27 juin 1986.
(3) Le paragraphe (1) ne s'applique pas à la licence liée à un
médicament après la date d'expiration du premier brevet
accordé au Canada pour celui-ci.
(4) Le paragraphe (1) ne s'applique pas à toute licence liée à
un médicament si, au 27 juin 1986, une licence a été accordée
pour ce médicament et un avis de conformité à son égard a été
délivré au titulaire de la licence.
41.12 Par dérogation à l'article 41 ainsi qu'aux demandes de
licence formulées et aux licences accordées à l'égard d'un
brevet portant sur une invention liée à un médicament sous son
régime avant l'entrée en vigueur du présent article, ces licences
sont réputées viser également l'utilisation de l'invention, si elle
n'est pas un procédé, pour la préparation ou la production de
médicaments, ou, si elles n'est pas un procédé, la réalisation ou
l'utilisation de celle-ci pour des médicaments ou pour la prépa-
ration ou la production de médicaments.
Les demanderesses soutiennent que l'article
41.11 de la Loi sur les brevets vise le cas où une
licence a été antérieurement accordée pour l'im-
portation et la vente de médicaments au Canada,
et que sous le régime de la Loi actuelle, cet article
crée en effet une licence assortie de restrictions. Il
rend illégale toute importation destinée à la vente
à la consommation. Autrement dit, il n'est plus
possible de se servir de la licence pour se défendre
contre une accusation de contrefaçon de brevet, ce
qui revient à dire que l'accomplissement de tout
acte réservé exclusivement à l'usage du breveté
constitue une contrefaçon. Les demanderesses en
concluent que la vente de médicaments illégale-
ment importés constitue une contrefaçon du brevet
et que toute importation future pour vente à la
consommation au Canada est interdite. Étant
donné que le premier avis de conformité a été
délivré aux demanderesses le 10 mars 1983 et que
personne d'autre n'a reçu un avis de conformité ou
une licence obligatoire au 27 juin 1986, la nouvelle
Loi fait que l'interdiction prévue au paragraphe
41.1 1(1) est portée à huit ans et expirera le 10
mars 1991.
Les demanderesses soutiennent qu'en important
et en vendant l'Aténolol au Canada, la défende-
resse se rend coupable de contrefaçon de leur
brevet. Elles concluent à une injonction interlocu-
toire en leur faveur par ce motif qu'à la lumière
des faits de la cause, elles satisfont au triple critère
établi par la jurisprudence et qui justifie pareil
remède extraordinaire et discrétionnaire, à savoir
qu'en premier lieu, elles sont à même de présenter
une cause non seulement défendable, mais qui
paraît de prime abord fondée et qui en toute
probabilité déterminerait le juge de première ins
tance à conclure, à la lumière des faits de la cause,
qu'il y a contrefaçon; en second lieu, qu'il y a
danger de préjudice irréparable pour les demande-
resses; et en troisième lieu, que la balance des
inconvénients est nettement en leur faveur.
De son côté, la défenderesse présente quatre
motifs principaux de défense:
I La Cour de céans n'a pas compétence puisque
les parties sont liées par une obligation con-
tractuelle, laquelle relève du domaine du droit
de propriété et des droits civils.
II Les modifications apportées à la Loi sur les
brevets vont à l'encontre de la Charte cana-
dienne des droits et libertés [qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.)].
III Les modifications apportées à la Loi sur les
brevets doivent être interprétées de façon à
autoriser la distribution de produits d'impor-
tation qui sont arrivés au Canada avant leur
adoption; il ne faut pas donner aux lois une
interprétation rétroactive.
IV Les demanderesses ne satisfont pas aux condi
tions d'octroi d'une injonction.
La défenderesse conteste à la fois la compétence
de la Cour de céans pour connaître des questions
en litige et la constitutionnalité des modifications
apportées à l'article 41 de la Loi sur les brevets.
En ce qui concerne la compétence de la Cour, la
défenderesse soutient que par application de l'arti-
cle 72 de la Loi sur les brevets, la licence obliga-
toire délivrée sous le régime de cette dernière
produit les mêmes effets que si elle est prévue dans
un acte passé entre le concédant et le concession-
naire. La défenderesse en conclut que le litige
l'opposant aux demanderesses est une action en
rupture de contrat, laquelle échappe à la compé-
tence de la Cour.
Pour ce qui est de la constitutionnalité de la
nouvelle Loi, la défenderesse avance de nombreux
arguments à cet égard. Elle soutient en premier
lieu que les rapports qui existent entre les parties
(c'est-à-dire entre concédant et concessionnaire)
étant de nature contractuelle, les modifications
apportées à l'article 41 sont anticonstitutionnelles
parce qu'elles portent sur le droit de propriété et
des droits civils, lesquels relèvent de la compétence
des provinces.
II
La défenderesse soutient que les modifications
législatives dont il s'agit vont à l'encontre des
alinéas la) et 2c) de la Déclaration canadienne des
droits, S.R.C. 1970, Appendice III, en ce que
l'article 41.11 de la Loi sur les brevets vise à
révoquer ou à suspendre son droit contractuel
d'utiliser le droit de propriété des demanderesses,
et qu'elle a été privée de ce droit sans qu'il y ait eu
application régulière de la loi.
Elle fait valoir en outre que les modifications
apportées à la Loi sur les brevets sont nulles et de
nul effet du fait qu'elles contreviennent aux arti
cles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et
libertés de 1982. L'article 15 garantit à chacun le
droit à la même protection et au même bénéfice de
la loi, indépendamment de toute discrimination.
Elle soutient que le principe qui sous-tend cette
disposition veut que ceux qui se trouvent dans la
même situation soient traités de la même façon, et
que toute discrimination sans justification ration-
nelle et raisonnable constitue une violation de ce
principe même. La défenderesse prétend que l'arti-
cle 41.11 de la Loi sur les brevets distingue entre
deux catégories de personnes, celles qui, au 27 juin
1986, sont titulaires de la licence prévue à l'article
41 ainsi que d'un avis de conformité, et celles qui
n'ont que la licence à la même date. Interdiction
est faite à ces dernières d'importer des médica-
ments pour la vente ou la consommation au
Canada, alors qu'il n'en est rien pour les premiè-
res. Cet article distingue encore entre un breveté
titulaire d'un avis de conformité délivré après le 27
juin 1986 et son concessionnaire qui obtient un
avis de conformité après cette date. Depuis l'entrée
en vigueur de l'article 41.11, ce dernier n'a plus le
droit d'importer des médicaments pour la vente à
la consommation au Canada.
L'article 7 de la Charte garantit à chacun le
«droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa
personne», dont il ne peut être privé qu'«en confor-
mité avec les principes de justice fondamentale».
La défenderesse soutient que cet article s'applique
à la délivrance des licences que requiert l'exploita-
tion légitime de certaines entreprises et que le
refus de délivrer une licence ne peut se justifier à
moins qu'il ne soit conforme aux principes de
justice fondamentale. Puisque l'article 41.11 fait
obstacle à la licence d'entreprise de la défende-
resse, il porte atteinte à son droit «à la vie, à la
liberté et à la sécurité de sa personne», en violation
des principes de justice fondamentale qui signifient
non seulement le droit à une audition équitable,
mais encore des éléments de justice de fond.
III
Outre les arguments portant sur la constitution-
nalité de l'article 41.11 de la Loi sur les brevets, la
défenderesse fait valoir certaines conclusions sur
l'interprétation qu'il y a lieu de donner à, la nou-
velle Loi au cas où la Cour jugerait cette dernière
valide.
Elle soutient en premier lieu qu'il ne faut pas
interpréter la Loi comme abolissant rétroactive-
ment des droits acquis et qu'une des règles d'inter-
prétation des lois consiste en la présomption qu'on
ne peut abolir des droits de propriété sans en
prévoir l'indemnisation. Elle conclut que selon la
règle établie, la Loi doit être interprétée, si possi
ble, de façon à respecter les droits acquis. S'il y a
quelque ambiguïté que ce soit dans l'interprétation
d'un texte de loi, il faut opter pour l'interprétation
qui profite au sujet.
La défenderesse fait valoir en second lieu que,
proprement interprété, l'article 41.11 interdit l'im-
portation de médicaments pour la vente à la con-
sommation au Canada à compter de la date d'en-
trée en vigueur du texte de loi, c'est-à-dire le 7
décembre 1987; il s'ensuit que cet article ne s'ap-
plique pas aux médicaments importés dans le pays
avant cette date. Le stock de plus de mille kilo-
grammes d'Alétonol de la défenderesse ayant été
importé au Canada entre le 15 juillet 1987 et le 19
novembre 1987, avant l'entrée en vigueur de l'arti-
cle 41.11, celui-ci ne saurait s'appliquer à l'Aténo-
lol que la défenderesse met maintenant en vente.
IV
La défenderesse soutient en outre qu'il n'y a pas
lieu à injonction interlocutoire puisque les deman-
deresses ne satisfont pas aux conditions prévues en
la matière. Elles n'y ont pas réussi. La défende-
resse conclut par ailleurs que les demanderesses
n'ont pas réussi à faire la preuve du préjudice
irréparable, puisque tout préjudice dont elles pour-
raient souffrir est facilement chiffrable. Elle sou-
tient par contre qu'en cas d'injonction interlocu-
toire, elle encourrait un préjudice irréparable
tenant à la perte de clientèle et de réputation
commerciale, impossible à chiffrer. Enfin, elle fait
valoir que les demanderesses n'ont pas réussi à
prouver que la balance des inconvénients plaide en
leur faveur.
Je me penche en premier lieu sur la question de
compétence soulevée par la défenderesse. À mon
avis, l'article 72 de la Loi sur les brevets ne
s'applique pas en l'espèce, où le litige porte unique-
ment sur la contrefaçon de brevet. Les jurispru-
dences citées par la défenderesse, savoir McCrac-
ken et al. v. Watson, [1932] R.C.E. 83, et
Aktiebolaget Hassle c. Apotex Inc. (1987), 17
C.P.R. (3d) 349 (C.F. 1« inst.) n'ont aucun rap
port avec les faits de la cause. Dans l'affaire
McCracken, le contrat en cause ne touchait qu'in-
cidemment à la concession de brevet et de ce fait,
l'adjudication du contrat échappait à la compé-
tence de la Cour de l'Échiquier. Dans l'affaire
Aktiebolaget, le juge Dubé conclut que la
demande faisait ressortir une cause d'action issue
d'un contrat de paiement de redevances découlant
d'une licence obligatoire délivrée en application du
paragraphe 41(4) de la Loi sur les brevets. Tout
comme dans l'affaire McCracken, le contrat ne
touchait qu'incidemment à une matière relevant de
la compétence de la Cour et de ce fait, ne suffisait
pas à la rendre compétente à connaître du recou-
vrement de redevances en souffrance, qui était au
premier chef une matière contractuelle.
En l'espèce, les faits de la cause n'ont rien à voir
avec un contrat entre les parties. L'article 41.11
assure aux demanderesses un monopole limité pour
importer l'Aténolol aux fins de vente à la consom-
mation au Canada. Toute contravention à cet arti
cle de la part d'un titulaire de licence obligatoire,
telle la défenderesse, est assimilable à une contre-
façon de brevet, et non à l'inexécution d'un contrat
qui pourrait lier les parties en application de l'arti-
cle 72 de la Loi. Les demanderesses ne poursuivent
pas la défenderesse au sujet de la licence ou pour
violation de licence.
Par ailleurs, le paragraphe 91(22) de la Loi
constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3
(R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5] (mod.
par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de
1982, n° 1)] donne expressément au Parlement
compétence en matière de brevets d'invention.
L'article 20 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C.
1970 (2 e Supp.), chap. 10] donne à cette Cour
compétence «dans tous les cas où l'on cherche à
obtenir une réparation en vertu d'une loi du Parle-
ment du Canada, ou de toute autre règle de droit
relativement à un brevet d'invention». Dans Smith,
Kline & French Laboratories Limited c. Procureur
général du Canada, [1986] 1 C.F. 274; (1985), 24
D.L.R. (4th) 321 (i re inst.), confirmé par la. Cour
d'appel [1987] 2 C.F. 359; (1986), 34 D.L.R.
(4th) 584, les demanderesses faisaient valoir que le
paragraphe 41(4) de la Loi sur les brevets visait à
régir le droit de propriété et les droits civils dans le
domaine provincial et était de ce fait anticonstitu-
tionnel, puisque la matière était réservée à la
compétence des provinces par le paragraphe
92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867.11 s'agit
là d'un argument semblable à celui que fait valoir
la défenderesse en l'espèce. Le juge Strayer, en
concluant que cet article de la Loi sur les brevets
était constitutionnel, s'est prononcé, aux pages 294
C.F.; 349 D.L.R. en ces termes, que je trouve
également applicables en l'espèce:
Il me semble que, en vertu de son pouvoir sur les brevets
d'invention et de découverte, le législateur fédéral est habilité à
réglementer les brevets de diverses manières. Essentiellement,
ce pouvoir l'habilite à créer un monopole en faveur d'une partie
et à interdire aux autres parties d'utiliser, de fabriquer, de
vendre ou d'importer des produits qui font l'objet d'un brevet.
Suivant la jurisprudence, l'attribution d'un tel brevet confère
un droit de propriété incorporel à son titulaire. Il est probable-
ment vrai que si cette compétence sur les «brevets» n'avait pas
été expressément conférée au législateur fédéral, ceux-ci
auraient relevé de la compétence des provinces en matière de
propriété et de droits civils. Mais rien n'empêche le législateur
fédéral de créer ou de réglementer la propriété dans l'exercice
de ses pouvoirs énumérés.
Il appert que cette Cour a compétence en
l'espèce.
I1
La deuxième question qui se pose porte sur la
constitutionnalité des modifications apportées à
l'article 41 de la Loi sur les brevets. L'article 15 de
la Charte canadienne des droits et libertés de 1982
et l'alinéa la) de la Déclaration canadienne des
droits prévoient ce qui suit:
15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique
également à tous, et tous ont droit à la même protection et au
même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimina
tion, notamment des discriminations fondées sur la race, l'ori-
gine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge
ou les déficiences mentales ou physiques.
1....
a) le droit ... à la vie, à la liberté, à la sécurité de la
personne ainsi qu'à la jouissance de ses biens, et le droit de ne
s'en voir privé que par l'application régulière de la loi.
La Cour de céans a, en diverses occasions, exa-
miné la question de savoir si les dispositions d'éga-
lité de l'article 15 de la Charte et de l'alinéa la) de
la Déclaration des droits s'appliquent aux person-
nes morales. Il a toujours été jugé que celles-ci ne
peuvent invoquer ces dispositions.
Dans Smith, Kline & French Laboratories
Limited c. Procureur général du Canada, la
demanderesse conclut, entre autres, à un jugement
déclarant que le paragraphe 41(4) de la Loi sur les
brevets, S.R.C. 1970, c. P-4, était nul et de nul
effet par ce motif qu'il allait à l'encontre de l'arti-
cle 15 de la Charte et de l'alinéa 1a) de la Décla-
ration des droits. Le juge Strayer a conclu que les
sociétés demanderesses ne jouissaient pas de la
protection prévue par ces dispositions qui visaient
«l'individu>, terme qui ne s'entend pas des person-
nes morales. Sa Seigneurie s'est prononcée en ces
termes, pages 298 et 299 C.F.; 352 D.L.R.:
Les demandeurs soutiennent que le paragraphe 41(4) de la
Loi sur les brevets est incompatible avec l'alinéa [1]a) [de la
Déclaration des droits] en ce qu'il a pour effet de refuser à des
individus la jouissance d'un bien autrement que par l'applica-
tion régulière de la loi.
Il est évident que le terme «individu» ne comprend pas les
personnes morales. Par conséquent, les sociétés demanderesses
n'ont aucun droit d'action en vertu de l'alinéa la) de la
Déclaration canadienne des droits.
Et plus loin, aux pages 315 et 316 C.F.; 365 et 366
D.L.R.:
Pour les mêmes motifs énoncés plus haut en rapport avec
l'alinéa la) de la Déclaration canadienne des droits, les sociétés
demanderesses ne sont pas susceptibles d'être visées par la
protection de l'article 15 puisque celle-ci ne s'applique qu'à
«every individual».
Dans Parkdale Hotel Ltd. c. Canada (Procureur
général), [1986] 2 C.F. 514; 27 D.L.R. (4th) 19
(ire inst.), la demanderesse conclut à un jugement
déclarant que l'article 67 de la Loi électorale du
Canada, S.R.C. 1970 (1er Supp.), chap. 14, était
nul et de nul effet. Dans son jugement, le juge
Joyal a analysé en ces termes, pages 538 et 539
C.F.; 36 et 37 D.L.R., le mot «individual» qui
figure à l'article 15 de la Charte:
Il ressort clairement du libellé de l'article 15 que seules les
personnes physiques sont sous son égide et que les corporations
et autres «personnes morales» sont, pour ainsi dire, laissées à
elles-mêmes. Le terme «individu» utilisé à l'article 1 de la
Déclaration canadienne des droits a fait l'objet d'une interpré-
tation judiciaire dans l'arrêt R. v. Colgate Palmolive dont j'ai
fait mention précédemment, et où le juge Doyle a statué que ce
terme ne visait pas les corporations. Le mot «individual» figu-
rant à l'article 15 de la Charte a été examiné dans une affaire
plus récente, Smith, Kline & French Laboratories Limited c.
Procureur général du Canada, [1986] 1 C.F. 274; (1985), [24
D.L.R. (4th) 321;] 7 C.P.R. (3d) 145 (1fe inst.). Il ne semble
pas que le juge Strayer, dans ses motifs de jugement soigneuse-
ment rédigés, ait eu à s'interroger longuement avant de con-
clure qu'une corporation ne pouvait revendiquer la protection
de l'article 15 de la Charte.
D'autres juridictions, ayant eu à se prononcer
sur l'interprétation correcte et le champ d'applica-
tion de l'article 15, sont parvenues à la même
conclusion. Peut-être l'exposé le plus succinct en la
matière se trouve-t-il dans Re Aluminium Co. of
Canada, Ltd. and The Queen in right of Ontario;
Dofasco Inc., Intervenor (1986), 29 D.L.R. (4th)
583 (C. div. Ont.), où le juge Montgomery a tiré la
conclusion suivante, à la page 593:
[TRADUCTION] À mon avis, l'art. 15 se limite à la protection
de l'individu et ne s'applique pas aux personnes morales. Il se
trouve dans cette partie de la Charte qui protège la dignité et la
valeur de l'individu contre toute intervention de l'État, qui
distingue entre individus sur la base des attributs ou caractéris-
tiques humaines.
À mon avis, le libellé de l'article 15 ne laisse
subsister aucune équivoque. L'égalité qu'il garantit
et la protection qu'il assure contre la discrimina
tion visent les personnes physiques et non les per-
sonnes morales.
J'examine maintenant la question de savoir si les
modifications apportées à l'article 44 de la Loi sur
les brevets sont nulles et de nul effet par ce motif
qu'elles vont à l'encontre de l'article 7 de la Charte
qui prévoit:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa
personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor-
mité avec les principes de justice fondamentale.
La société défenderesse tombe dans le champ de
protection de la disposition ci-dessus puisque
«chacun» s'entend également des personnes mora-
les. Il faut cependant que les droits en cause
intéressent la «liberté» ou la «sécurité» de la per-
sonne. Dans Smith, Kline & French Laboratories
Limited c. Procureur général du Canada, la Sec
tion de première instance puis la Cour d'appel
fédérale ont conclu que l'article 7 ne s'appliquait
pas aux «intérêts purement économiques» même
s'il s'agissait d'une personne physique.
La défenderesse a cité la décision Meyer v. State
of Nebraska, 262 U.S. 390 (1923), où la Cour
suprême du Nebraska a donné au concept de
«liberté» un sens libéral et étendu. Ce tribunal
concluait que ce terme signifiait non seulement
absence de contrainte physique, mais aussi [TRA-
DUCTION] «le droit de l'individu de contracter, de
vaquer aux occupations ordinaires de la vie» (page
399).
Il faut noter cependant que la décision Meyer a
été rendue sous le régime de la constitution des
États-Unis qui interdit de porter atteinte «à la vie,
à la liberté ou à la propriété». La notion de «pro-
priété» a été exclue de la protection prévue à
l'article 7 de la Charte.
Les autres jurisprudences invoquées par la
défenderesse sont deux décisions de la Cour
suprême de la Colombie-Britannique, Re Mia and
Medical Services Commission of British Colum-
bia (1985), 17 D.L.R. (4th) 385 et Wilson v.
British Columbia Medical Services Commission,
[1988] (non publiée), B.C.J. No. 1566. La décision
Mia était fondée sur la décision Meyer susmen-
tionnée, et Wilson fondée à son tour sur Mia. Dans
Wilson, la Cour a statué que l'article 7 de la
Charte embrassait la liberté de circulation, dont le
droit pour chacun de choisir son occupation et le
lieu où il entend l'exercer, sous réserve du pouvoir
de l'État d'imposer, conformément aux principes
de justice fondamentale, des restrictions légitimes
et raisonnables aux activités des individus. Je ne
trouve cependant pas que ces jursiprudences sou-
tiennent l'argument de la défenderesse selon lequel
cette juridiction a conclu que la protection prévue
par l'article 7 s'étendait au droit de propriété ou
aux droits purement économiques.
Dans une décision récente, Institute of Edible
Oil Foods v. Ontario (1987), 63 O.R. (2d) 436
(H.C.), la Haute Cour de l'Ontario conclut que
l'article 7 de la Charte ne prévoit pas la protection
des intérêts purement économiques et qu'on ne
saurait accepter que pareille interprétation puisse
être avancée de façon sérieuse.
Quoi qu'il en soit, la Cour de céans a soigneuse-
ment examiné la question de l'applicabilité de
l'article 7 aux intérêts purement économiques dans
Smith, Kline & French Laboratories Limited,
supra, où le juge Strayer s'est prononcé en ces
termes [aux page 313 C.F.; 363 D.L.R.]:
À mon avis, le fait d'associer les concepts de «vie, ... liberté et
... sécurité de sa personne» en colore le sens et ils se rapportent
au bien-être physique d'une personne physique. Comme tels ils
ne permettent pas de décrire les droits d'une société ni de
décrire les intérêts purement économiques d'une personne
physique.
L'avocat de la défenderesse ne m'a cité aucune
décision ou ouvrage de doctrine qui justifierait, à
mon avis, une dérogation à l'interprétation ci-des-
sus. Je ne conclus donc pas que les modifications
apportées à l'article 44 de la Loi sur les brevets
sont invalides pour violation des droits et libertés
garantis par l'article 7 de la Charte.
III
J'en viens maintenant à la question de l'interpré-
tation correcte de l'article 41.11 de la Loi sur les
brevets. L'avocat de la défenderesse a avancé deux
arguments à ce propos, à savoir, en premier lieu,
qu'il ne faut pas interpréter rétroactivement ce
texte de loi de façon à abolir des droits acquis et,
en second lieu, que cet article ne s'applique qu'à
l'Aténolol importé au Canada après le 7 décembre
1987, date d'entrée en vigueur de la disposition
dont s'agit, et non pas aux médicaments importés
avant cette date.
En ce qui concerne la rétroactivité, je conviens
parfaitement que selon les règles établies d'inter-
prétation des lois, celles-ci doivent être interprétées
de façon à respecter, dans la mesure du possible,
les droits acquis. Si un texte de loi présente quel-
que ambiguïté que ce soit, il doit être interprété de
manière à respecter ces droits. La présomption
générale est qu'une loi n'est pas censée abolir
rétroactivement des droits acquis.
Cet argument n'est cependant d'aucun secours
pour la défenderesse en l'espèce. En premier lieu,
elle n'a aucun «droit acquis» à l'égard du brevet,
puisque le breveté lui-même n'en a pas. Dans
Smith, Kline & French Laboratories Limited, le
juge Strayer a analysé les effets de l'article 41 de
la Loi sur les brevets en ces termes, aux pages 295
C.F.; 349 et 350 D.L.R.:
Il n'existe aucun droit à un brevet en vertu de la common
law: Commissioner of Patents v. Farbwerke Hoechst Aktien-
gesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruning [(l963), 41
C.P.R. 9 à la page 17] [1964] R.C.S. 49; (1963), 25 Fox Pat.
C. 99, la page 57 R.C.S.; 107 Fox Pat. C. Ce droit est créé
par le législateur fédéral. Ce qu'a fait le législateur en l'espèce,
c'est de restreindre l'étendue du monopole accordé aux titulai-
res de brevets couvrant des médicaments. Le juge Thurlow l'a
expliqué ainsi dans Hoffman -La Roche Ltd. v. Frank W.
Horner Ltd., Attorney -General of Canada, Intervenant (1970),
64 C.P.R. 93 (C. de l'É.), à la page 107:
[TRADUCTION] Donc, dès l'émission de son brevet, le
breveté ne dispose plus d'un monopole complet et inattaqua-
ble. Son brevet lui confère en fait un monopole sur son
invention, mais c'est un monopole qui, de par l'art. 41, est
soumis au droit de quiconque peut se conformer à l'article et
obtenir le droit d'utiliser l'invention, en dépit du brevet. Un
tel monopole ne peut donc permettre à une grande entreprise
commerciale, qui ne peut d'elle-même être monopolistique,
de s'édifier sous sa protection.
Le titulaire d'une licence obligatoire n'a pas,
comme le prétend la défenderesse, un droit de
propriété opposable au breveté. Au contraire, la
licence ne constitue, pour son titulaire, que la
permission de se livrer à une activité qui eût été
illégale. Dans Smith, Kline & French Laboratories
Limited, le droit du titulaire de la licence est défini
comme suit, aux pages 300 C.F.; 353 et 354
D.L.R.:
Le fait de délivrer une licence obligatoire n'équivaut pas à
briser un monopole car le monopole créé par le brevet a
toujours été limité, étant assujetti aux décisions des requérants
et du commissaire en ce qui a trait à l'obtention et à l'octroi
d'une licence obligatoire. A cet égard, les droits de propriété
accordés par un brevet visant des médicaments correspondent
plutôt à un titre sur un terrain détenu en propriété absolue qui
serait assujetti au droit de passage d'un voisin sur ce terrain. Si
le voisin n'utilise pas le droit de passage pendant cinq ans et
qu'à un certain moment il commence à le faire, cet usage
n'équivaut pas à s'emparer du bien de celui qui en a la propriété
absolue: le droit du propriétaire a toujours été exposé aux
inconvénients que pourrait causer l'utilisation du droit de pas
sage par suite d'une décision unilatérale du voisin.
Je rejette en conséquence l'argument de la
défenderesse, selon lequel l'article 41.11 abolit ses
droits acquis. La nouvelle disposition ne vise de
toute évidence qu'à modifier la Loi sur les brevets
de façon à assurer aux brevetés un monopole limité
en matière d'importation de médicaments aux fins
de vente à la consommation au Canada. Le libellé
de la modification est clair et ne souffre aucune
autre interprétation.
Le second argument avancé par la défenderesse,
savoir que les modifications législatives dont il
s'agit ne s'appliquent qu'à l'Aténolol importé dans
le pays après le 7 décembre 1987, est fort original
mais ne saurait, à mon avis, être accueilli. La
défenderesse soutient qu'elle a le droit de vendre
au Canada l'Aténolol dont elle a fait l'acquisition
avant l'entrée en vigueur de la nouvelle Loi. Les
alinéas 41.11(1)a) et b) interdisent clairement
l'importation de l'Aténolol aux fins de vente à la
consommation au Canada, quelle qu'en soit la
date. Vu la clarté de la lettre et de l'esprit du texte
de loi, il est impossible de séparer les deux mots
«importer» et «vente» comme le suggère la défende-
resse. On pourrait conclure de ce texte que la
défenderesse peut continuer à importer de l'Aténo-
lol et à accroître son stock de ce médicament si elle
le souhaite. Mais d'ici à 1991, elle ne peut pas
mettre ce médicament en vente à la consommation
au Canada, étant donné le monopole limité dont
jouissent les demanderesses en application des
modifications apportées à l'article 41.11 de la Loi.
IV
Ayant conclu que cette Cour a compétence en
l'espèce et que les modifications apportées à l'arti-
cle 41 de la Loi sont constitutionnellement valides,
je me penche maintenant sur la question très
importante de savoir s'il y a lieu de rendre une
injonction interlocutoire en faveur des demande-
resses.
L'injonction interlocutoire est un recours
extraordinaire relevant de la compétence en equity
de cette Cour. Ce recours extraordinaire et discré-
tionnaire n'est accordé que si la Cour est convain-
cue qu'elle est fondée à exercer ce pouvoir discré-
tionnaire. Un triple critère s'est dégagé de la
jurisprudence pour aider la Cour à rendre sa déci-
sion, savoir: (1) si le requérant justifie d'une cause
sérieuse ou fondée à première vue; (2) s'il encourt
un risque de préjudice irréparable; et (3) si la
balance des inconvénients est telle qu'elle plaide en
sa faveur.
Par dérogation aux règles générales en matière
d'injonctions interlocutoires, la Cour d'appel fédé-
rale a institué une sorte d'exception pour les bre-
vets. Dans l'arrêt Cutter Ltd. c. Baxter Travenol
Laboratories of Canada, Ltd. et autres (1980), 47
C.P.R. (2d) 53 (C.A.F.), rendu à l'unanimité des
juges, le juge en chef Thurlow a défini cette excep
tion en ces termes, aux pages 55 et 56:
Il est rare que dans une action en contrefaçon de brevet, la
Cour de céans décerne une injonction interlocutoire. Dans la
plupart des cas, une requête en injonction interlocutoire intro-
duite dans le cours d'une action en contrefaçon de brevet ou en
contestation de validité, a pour effet d'amener le défendeur à
s'engager à tenir une comptabilité à la satisfaction du deman-
deur, ce qui entraîne le rejet de la requête avec dépens réservés
... À mon avis, cet usage tient surtout à ce que dans la plupart
des cas, la nature de la propriété industrielle en cause est telle
que des dommages-intérêts (à condition que ceux-ci soient
évalués de façon raisonnablement exacte) constituent une répa-
ration adéquate de la violation de cette propriété, qui pourrait
se produire pendant le procès. Il s'explique par le fait que si l'on
considère la balance des inconvénients, et si le défendeur s'en-
gage à tenir une comptabilité et qu'il n'y ait aucune raison de
penser qu'il ne sera pas en mesure de payer les dommages-inté-
rêts alloués, l'on doit pencher pour le rejet de la requête en
injonction. Il ne faut jamais oublier que l'interdiction faite au
défendeur, durant une période susceptible de se prolonger
pendant des années, de faire ce que, n'eût été l'injonction, il
aurait le droit de faire s'il avait gain de cause, pourrait avoir
pour lui des effets tout aussi graves que le préjudice causé au
breveté par suite de la contrefaçon, si le défendeur devait
succomber.
Il est facile de voir que cette soi-disant exception
ne constitue pas une règle complètement diffé-
rente. Elle s'explique au contraire par le fait que le
paiement de dommages-intérêts suffisants est
moins aléatoire dans les affaires de brevet que
dans les autres. Ce raisonnement a été repris par
M^'° le juge Reed dans Samsonite Corp. c. Holi
day Luggage Inc. (1988), 20 C.P.R. (3d) 291
(C.F. 1" inst.), bien qu'elle fût moins encline à
traiter les affaires de brevet différemment des
autres. Voici la conclusion qu'elle a tirée, aux
pages 309 et 310:
Je n'accepte absolument pas l'argument selon lequel, en
matière de brevets, il y aurait une présomption à l'encontre de
la délivrance d'injonctions interlocutoires ... À mon sens, il
faut chercher ailleurs la réticence des tribunaux à accorder une
injonction interlocutoire en matière de brevets. Je crois que
cette réticence provient de leur hésitation à déterminer des
droits (même pour une période limitée) en l'absence d'une
preuve complète. De plus, la prépondérance des inconvénients
penche probablement souvent en faveur du défendeur, étant
donné qu'il peut sembler comparativement plus facile d'évaluer
les dommages que subirait le demandeur par suite du refus
d'accorder une injonction, que d'évaluer le préjudice résultant
d'une injonction interlocutoire injustement délivrée contre le
défendeur.
Ces conclusions tirées par les deux niveaux de la
Cour fédérale ne signifient pas tant qu'il faut
instruire les affaires de brevet de façon radicale-
ment différente, mais que l'importance respective-
ment accordée aux différents éléments du critère
peut changer lorsqu'il s'agit de brevets. Saisi d'une
requête en injonction interlocutoire dans une
action en contrefaçon de brevet, le tribunal doit
examiner soigneusement la question des domma-
ges-intérêts et la balance des inconvénients, quand
bien même le demandeur justifierait d'une cause
fondée à première vue.
La jurisprudence qui fait autorité en matière de
normes applicables à Ja question de savoir s'il y a
lieu à injonction interlocutoire est l'arrêt American
Cyanamid Co. c. Ethicon Ltd., [1975] A.C. 396
(H.L.), par lequel la Chambre des lords a défini la
norme à laquelle le requérant doit satisfaire avant
que l'injonction interlocutoire ne soit rendue. Lord
Diplock s'est prononcé en ces termes, à la page
407:
Des expressions comme «une probabilité», «une présomption» ou
«une forte présomption», employées relativement au pouvoir
discrétionnaire d'accorder une injonction interlocutoire, créent
de la confusion quant à l'objet de ce recours temporaire. Sans
doute, le tribunal doit être convaincu que la demande n'est ni
futile ni vexatoire ou, en d'autres termes, que la question à
trancher est sérieuse.
En dépit de cet énoncé relativement clair, une
certaine confusion subsiste quant à la question de
savoir si le requérant doit justifier d'une cause
fondée à première vue ou d'une question sérieuse à
trancher. Dans Syntex Inc. c. Apotex Inc., [ 1984]
2 C.F. 1012; 1 C.P.R. (3d) 145 (C.A.), le juge
Stone s'est penché sur cette question dans les
motifs de la décision majoritaire. Il note que la
jurisprudence canadienne a opté pour l'une et l'au-
tre formulations du critère au fil du temps et qu'il
n'y a au Canada aucun magistère imposant l'appli-
cation de l'un ou de l'autre critère. Sa Seigneurie
s'est prononcée en ces termes, aux pages 1022 et
1023 C.F.; 152 et 153 C.P.R.:
Passons maintenant au critère préliminaire qui doit être
appliqué dans une affaire de ce genre avant qu'une injonction
provisoire ne soit accordée. Le juge qui a entendu la requête a
conclu que l'existence d'une «question importante» était suffi-
sante. Ce critère a été élaboré en Angleterre et a été appliqué
par certains tribunaux canadiens. (Voir par exemple Yule Inc.
v. Atlantic Pizza Delight Franchise (1968) Ltd. et al (1977),
[35 C.P.R. (2d) 273; 80 D.L.R. (3d) 725] 17 O.R. (2d) 505
(H.C.); General Mills Canada Ltd. v. Maple Leaf Mills Ltd.
(1980), 52 C.P.R. (2d) 218 (H.C. Ont); Source Perrier
(Société Anonyme) c. Canada Dry Ltd. (1982), 64 C.P.R. (2d)
116 [36 O.R. (2d) 695]. L'appelante soutient que ce n'est pas le
critère approprié mais qu'il faudrait plutôt appliquer le critère
de l'«apparence de droit suffisante»: voir par exemple Tarra
Communications Ltd. et al v. Communicomp Data Ltd. et al.
(1973), I O.R. (2d) 682 [41 D.L.R. (3d) 350 (H.C.)]; Fellows
& Son v. Fisher, [1976] 1 Q B. 122 (C.A.); N.W.L. Ltd. v.
Woods, [1979] 1 W.L.R. 1294 (H.L.); Fruit of the Loom, Inc.
v. Chateau Lingerie Mfg. Co. Ltd. (1982), 63 C.P.R. (2d) 51
(C.F. I« inst.)). Évidemment, ce critère exige plus que le
critère de la «question importante». On ne nous a présenté
aucune jurisprudence dans laquelle il a été décidé de façon
formelle lequel de ces deux critères doit être appliqué au
Canada dans une affaire de ce genre. Néanmoins, mon examen
de cette jurisprudence m'amène à reconnaître l'exactitude de
l'interprétation suivante du droit, exprimée par le juge en chef
adjoint de l'Ontario MacKinnon dans l'arrêt Chitel et al. v.
Rothbart et al. ((1982), [69 C.P.R. (2d) à la page 72, 141
D.L.R. (3d) 268] 39 O.R. (2d) 513 (C.A.)), à la page 522):
[TRADUCTION] Bien que l'arrêt American Cyanamid ait été
suivi dans cette province, le juge Cory, rendant le jugement
de la Cour divisionnaire dans l'affaire Yule Inc. v. Atlantic
Pizza Delight Franchise (1968) Ltd. et al. (1977), 17 O.R.
(2d) 505, 80 D.L.R. (3d) 725, 35 C.P.R. (2d) 273 a, à juste
titre, souligné que le recours doit demeurer souple et qu'il est
possible que le critère élaboré dans l'arrêt American Cyana-
mid ne soit pas un critère approprié dans toutes les situa
tions. Lord Diplock a lui-même fait remarquer dans l'arrêt
N.W.L. Ltd. v. Woods, [1979] 3 All E.R. 614, à la page 625,
qu'il y a des exceptions ou des restrictions à l'égard du
critère:
Vos Seigneuries, rien à mon avis, dans l'arrêt American
Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd., lorsqu'il est correctement
interprété, n'indique que le juge qui se demande s'il doit
délivrer une injonction interlocutoire ne devrait pas accorder
toute l'importance qu'elles méritent aux réalités pratiques de
la situation à laquelle l'injonction doit s'appliquer. L'arrêt
American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd. qui enjoint au juge
qui entend une demande d'injonction interlocutoire de s'inté-
resser à la prépondérance des inconvénients dès qu'il est
convaincu de l'existence d'une question importante en litige,
ne traitait pas d'une affaire dans laquelle l'octroi ou le refus
d'une injonction à ce stade aurait effectivement réglé l'action
d'une manière définitive en faveur de la partie qui aurait eu
gain de cause dans la demande, parce que la partie perdante
n'aurait plus eu d'intérêt pour justifier une instruction.
Par une récente décision soigneusement motivée,
le juge Addy a expliqué pourquoi il faut préférer le
critère supérieur de la cause fondée à première
vue. Dans Turbo Resources Ltd. c. Petro Canada
Inc., [1988] 3 C.F. 235; (1988), 17 F.T.R. 28 (1«
inst.), il note lui aussi la confusion qui caractérise
la jurisprudence pour ce qui est de savoir laquelle
des deux formulations du critère est celle qui
convient. Tout en reconnaissant qu'il n'existerait
que très peu de cas où quelque chose de moins
qu'une cause fondée à première vue pourrait justi-
fier la délivrance d'une injonction, il fait cependant
observer, aux pages 242 C.F.; 32 F.T.R.:
... il m'est difficile de concevoir pourquoi, de façon générale, le
tribunal devrait, en common law ou selon les principes reconnus
en equity applicables aux injonctions, accorder une injonction
interlocutoire au demandeur si celui-ci n'a pas préalablement
établi l'existence d'une forte présomption ou, à tout le moins,
d'une présomption. En d'autres termes, s'il était établi que le
défendeur subirait un préjudice réel au cours de l'instance, la
demande devrait être rejetée à moins que la partie bénéficiant
du monopole d'exploitation ne réussisse à convaincre le juge à
l'audience de l'existence d'une probabilité de succès éventuel.
À la suite de la décision Samsonite Corp. c.
Holiday Luggage Inc. (1988), 20 C.P.R. (3d) 291
(C.F. 1« inst.) rendue par Mn . ' le juge Reed, il ne
reste plus guère de doute quant au critère qu'il
faut appliquer en cas de requête en injonction pour
contrefaçon de brevet. Tout en reconnaissant la
confusion qui existe au sujet des deux critères, elle
s'est prononcée en ces termes, à la page 294:
Malgré cette incertitude, les avocats des deux parties convien-
nent, je crois, que quelle que soit la formulation du critère
(apparence de droit ou question sérieuse à juger), l'attitude de
la Cour consiste en fait à mesurer l'exigence d'un droit clair en
regard du préjudice irréparable (prépondérance des inconvé-
nients) qui résulterait de la délivrance ou du refus d'une
injonction. Ainsi, dans le cas où le droit du demandeur apparaît
clair, celui-ci n'aura pas à présenter au niveau du préjudice
irréparable» (prépondérance des inconvénients) une preuve
aussi forte que si, au contraire, son droit apparaît douteux. Je
partage cette analyse.
Il appert donc que la jurisprudence canadienne
penche pour le critère de la «cause fondée à pre-
mière vue», critère auquel on ne peut passer outre
qu'en cas de preuve concluante de préjudice irré-
parable ou de balance des inconvénients nettement
penchée d'un côté.
De toute évidence, il ne saurait y avoir action
fondée à première vue en contrefaçon de brevet
sans qu'il y ait au préalable un brevet valide, et
l'article 47 de la Loi sur les brevets prévoit:
47. Tout brevet accordé conformément à la présente loi doit
être délivré sous la signature du commissaire et le sceau du
Bureau des brevets. Le brevet doit porter à sa face la date à
laquelle il a été accordé, et il est par la suite prima facie valide
et acquis au titulaire et à ses représentants légaux pour la
période y mentionnée, laquelle doit être déterminée suivant les
articles 48 et 49.
La demanderesse Imperia! Chemical Industries
(ICI) est la propriétaire inscrite d'un brevet de ce
genre pour le procédé de fabrication de substances
chimiques connues sous le nom de «dérivés d'alka-
nolamine». Selon les dépositions faites par voie
d'affidavit par la demanderesse, l'Aténolol est pro-
tégé par ce brevet. La demanderesse est donc le
titulaire d'un brevet pour le médicament Aténolol.
Pour ce qui est de savoir s'il y a contrefaçon de
ce brevet de la part des intimées, les preuves
déposées dans le cadre de la requête dont s'agit
comprennent la copie d'une demande, faite par la
défenderesse sous le régime du paragraphe 41(4)
de la Loi sur les brevets, en vue d'une licence
d'importation et de commercialisation du médica-
ment Aténolol. Cette licence a été accordée le 15
février 1988. La défenderesse aurait le droit d'im-
porter et de vendre l'Aténolol si l'article 41.11
n'était pas entrée en vigueur récemment pour
imposer des restrictions à certaines licences.
Cette modification législative était l'une des
nombreuses dispositions introduites par la Loi
modifiant la Loi sur les brevets et prévoyant cer-
taines dispositions connexes, S.C. 1987, chap. 41.
Selon l'article 33 de cette dernière, l'article 41.11
devait entrer en vigueur à une date à fixer par
proclamation. Par décret SI/88-1, 122 Gazette du
Canada II 335, 6 janvier 1988, il est entré en
vigueur le 7 décembre 1987. Il y a lieu de noter
également que l'article 28 de la Loi modificatrice
de 1987 prévoit ce qui suit:
28. Les affaires survenant, après l'entrée en vigueur des
dispositions de la présente loi visées au paragraphe 33(1),
relativement aux brevets délivrés avant celle-ci, à l'exception de
celles relatives aux articles 41.1 à 41.25 de la Loi sur les
brevets, édictés par l'article 15, sont régies par celle-ci, dans sa
version antérieure à leur entrée en vigueur.
Cet article vise manifestement à donner un effet
rétroactif aux articles 41.1 41.25, lesquels font
que certains droits et privilèges, telle l'importation
de l'Aténolol pour la vente à la consommation au
Canada, autorisée par licence délivrée à la défen-
deresse le 15 février 1988, sont rétroactivement
suspendus jusqu'à l'expiration de la période de huit
ans qui suit la délivrance de l'avis de conformité,
en l'espèce jusqu'au 10 mars 1991.
La tâche de la Cour est d'examiner les faits
ci-dessus et de se prononcer sur le mérite relatif
des conclusions des demanderesses. En d'autres
termes, à supposer que la Cour soit saisie de
l'affaire au fond, ferait-elle droit, sur la foi des
documents produits, aux prétentions des demande-
resses? Je pense qu'elle le ferait; les demanderesses
ont fait valoir une cause fondée à première vue.
Le deuxième facteur déterminant de l'opportu-
nité d'une injonction interlocutoire est le préjudice
irréparable. Dans ce contexte, cette notion se voit
attribuer un sens spécial, à savoir que le deman-
deur doit encourir, avant le procès, le risque d'un
préjudice qui ne peut être réparé sans le secours
d'une injonction interlocutoire. Si les dommages-
intérêts assurent une réparation suffisante et que le
défendeur soit en mesure de les payer, rien ne
justifie la délivrance d'une injonction interlocutoire
en attendant le procès.
Il est extrêmement difficile de définir avec pré-
cision ce qu'est le préjudice irréparable. Les tribu-
naux ont pour habitude d'accorder des dommages-
intérêts en cas de préjudice non pécuniaire, si cela
s'avère nécessaire. Par ailleurs, ils sont parfois
enclins à considérer un préjudice facilement calcu
lable comme «irréparable» aux fins d'injonction
interlocutoire. Voir à ce propos Turf Care Pro
ducts v. Crawford's Mowers & Marine Ltd. et al.
(1978), 95 D.L.R. (3d) 378 (H.C. Ont.), où le
juge Lerner a accordé une injonction interlocutoire
à la demanderesse sans l'obliger à prouver le
préjudice.
En l'espèce, les ventes d'Aténolol représentent
pour la demanderesse ICI Pharma une source de
revenu. Autoriser la défenderesse à exercer le droit
qu'elle tient de la licence obligatoire pourrait
réduire ces ventes de moitié. Bien que ce manque à
gagner puisse être chiffré et indemnisé au moyen
de dommages-intérêts, ce qui ne peut être indem-
nisé est la perte de la position commerciale des
demanderesses, laquelle position leur permettra
d'établir leur réputation et de s'assurer une clien-
tèle sur le marché. J'estime que les demanderesses
pourraient subir un préjudice irréparable si l'on
permettait à la défenderesse de commencer à
vendre l'Aténolol au Canada.
Le troisième critère, celui de la balance des
inconvénients, consiste dans l'évaluation du préju-
dice que pourrait subir l'une ou l'autre partie,
selon que la requête en injonction est accueillie ou
rejetée. L'injonction interlocutoire a pour fonction
de maintenir le statu quo. En l'occurrence, le statu
quo est la situation qui régnait avant que la défen-
deresse ne se livrât à l'entreprise en cause.
Pour les mêmes raisons que celles qui m'ont
conduit à conclure que les demanderesses encou-
rent un préjudice irréparable, je suis persuadé que
la balance des inconvénients penche en leur faveur.
Pour que la demanderesse ICI Pharma puisse réa-
liser des bénéfices suffisants lui permettant d'en-
treprendre des travaux de recherche et développe-
ment sur des nouveaux produits et de retenir sa
position commerciale et sa rentabilité, il faut
qu'elle continue à jouir pleinement de son mono-
pole limité pour la vente de l'Aténolol. Qui plus
est, la défenderesse n'a pu prouver qu'elle n'est pas
en mesure de garder en entrepôt son stock d'Até-
nolol et de le vendre pour la consommation au
Canada à l'expiration de la demanderesse en 1991;
il y a aussi le fait qu'à la date de cette requête, les
ventes de la défenderesse étaient en baisse du fait
qu'elle n'était pas inscrite sur les grands marchés
au Canada.
En conclusion, je suis persuadé que les deman-
deresses ont réussi à présenter une cause fondée à
première vue, à savoir qu'elles encourent un préju-
dice irréparable en l'absence d'une injonction
interlocutoire et que la balance des inconvénients
penche en leur faveur. Par ces motifs, j'accorde
aux demanderesses l'injonction interlocutoire visée
dans leur requête, pour interdire à la défenderesse
de continuer à vendre l'Aténolol au Canada.
L'injonction sera décernée; les demanderesses
produiront l'engagement habituel; les requérantes
auront droit aux dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.