A-889-88
Chef avocat-conseil du Bureau (requérant)
c.
Ministre des Affaires des anciens combattants
(intimé)
RÉPERTORIÉ: CANADA (CHEF AVOCAT-CONSEIL DU BUREAU) c.
CANADA (MINISTRE DES AFFAIRES DES ANCIENS COMBAT-
TANTS) (C.A.)
Cour d'appel, juges Heald, Marceau et MacGui-
gan, J.C.A.—Halifax, 13 mars; Ottawa, 23 mars
1989.
Anciens combattants — Interprétation de la Loi sur les
allocations aux anciens combattants, art. 2(3) — Le Tribunal
d'appel des anciens combattants a conclu à bon droit qu'une
seule veuve à la fois peut toucher l'allocation de veuve d'ancien
combattant — L'emploi de l'article défini singulier dans la
définition du mot «veuve» de la version française est significa-
tif particulièrement si l'on considère qu'il a remplacé l'article
indéfini de la version originale — Analyse sémantique des
dispositions pertinentes — Application des art. 4(1)b) et 10 —
Importance du critère de résidence.
Interprétation des lois — Loi sur les allocations aux anciens
combattants — Deux veuves peuvent-elles recevoir concur-
remment une allocation à l'égard du même ancien
combattant? — La Loi confère la qualité de veuve à la
conjointe de fait d'un ancien combattant que celui-ci n'a pu
épouser en raison d'un mariage antérieur — La Loi n'exclut
pas expressément le droit du conjoint initial à l'allocation —
La veuve légitime est-elle implicitement exclue? — La Loi doit
recevoir une interprétation large — L'emploi de l'article «le»
dans l'expression «le conjoint survivant» de la version fran-
çaise exclut la pluralité — Il est significatif qu'un article
défini remplace l'article indéfini «un» adopté à l'origine par
les traducteurs.
Il s'agit d'une demande d'annulation visant la décision du
Tribunal d'appel des anciens combattants selon laquelle, au
décès d'un ancien combattant, une seule pension de veuve est
payable à la fois. Selon le paragraphe 2(3) de la Loi sur les
allocations aux anciens combattants, est réputée veuf ou veuve,
la personne de sexe opposé qui a résidé avec un ancien combat-
tant et que ce dernier a présentée publiquement comme son
conjoint, mais qu'il n'a pu épouser en raison d'un mariage
préexistant. Par ailleurs, la Loi ne prévoit pas expressément que
le conjoint initial perd son droit à l'allocation, de telle sorte
qu'au décès de cet ancien combattant, tant la veuve légitime
que la personne réputée être la conjointe survivante semblent
avoir droit à l'allocation.
Arrêt: la demande devrait être rejetée.
La définition française des mots «veuve», «veuf» et «conjoint
survivant» énonce que ces personnes sont «le conjoint survivant,
(surviving spouse). L'article défini, employé au singulier avec
un substantif qui ne désigne pas une catégorie, exclut normale-
ment l'expression d'une pluralité. Cet emploi est significatif
parce que cet article a remplacé l'article indéfini qui figurait
dans la version originale. Le Parlement, en déclarant que, pour
l'application de la Loi, l'ancien combattant est réputé être
marié à sa conjointe de fait et que cette dernière est réputée
être son conjoint survivant lorsque celui-ci décède, a clairement
indiqué son intention de rendre applicable à la conjointe de fait
exclusivement, dans les circonstances prévues au paragraphe
2(3), la définition de «veuve» ou de «conjoint survivant». Le
Parlement aurait facilement pu édicter que, dans certaines
circonstances, la conjointe de fait ainsi que l'épouse légitime
peuvent avoir droit à l'allocation. Jamais, quelle que soit la
situation, deux personnes ne peuvent satisfaire ensemble à la
définition de «veuve» prévue à la Loi.
Le fait que l'alinéa 4(1)b) énonce que l'allocation est payable
à «toute personne de sexe féminin qui est ... une veuve» ne
signifie pas que plus d'une veuve peut y avoir droit en même
temps. Lorsqu'il y a une conjointe de fait et que les conditions
énoncées au paragraphe 2(3) sont satisfaites, celle-ci est répu-
tée être la veuve. L'article 10, qui établit qu'aucune allocation
ne peut être versée au conjoint survivant s'il ne résidait pas avec
l'ancien combattant, ne s'applique pas en l'instance. Il ne vise
pas la situation où nous serions en présence d'une conjointe de
fait et d'une épouse légitime, car alors il ne s'agirait certaine-
ment pas d'une question de résidence. Il ne s'applique qu'à une
épouse légitime qui satisfait à la définition de «veuve» énoncée
au paragraphe 2(1). Le Parlement a considéré comme prépon-
dérant le critère de résidence, parce que c'est la condition
fondamentale qui fait que la conjointe de fait est réputée être la
«veuve» au sens de la Loi et qu'elle peut recevoir l'allocation, et
parce que c'est une exigence importante, quoique non exclusive,
imposée à l'égard du droit d'une épouse légitime à qui s'appli-
que encore la définition de veuve, de toucher l'allocation.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art.
28.
Loi sur le Tribunal d'appel des anciens combattants,
S.C. 1987, chap. 25, art. 11.
Loi sur les allocations aux anciens combattants, L.R.C.
(1985), chap. W-3, art. 2(1),(3), 4(I)b), 10.
Loi sur les allocations aux anciens combattants, S.R.C.
1970, chap. W-5, art. 2 (mod. par S.C. 1974-75-76,
chap. 8, art. 3).
Loi sur les Lois révisées du Canada (1985), S.C. 1987,
chap. 48, art. 4.
Loi sur les pensions, L.R.C. (1985), chap. P-6, art. 46,
55.
Loi sur les pensions, S.R.C. 1970, chap. P-7, art. 39.
JURISPRUDENCE
DÉCISION CITÉE:
L'Association canadienne des amputés de guerre c. Le
Conseil de révision des pensions, [1975] C.F. 447 (C.A.).
AVOCATS:
Evan Robert Elkin et Aidan J. Sheridan pour
le requérant.
Martin C. Ward pour l'intimé.
PROCUREURS:
Bureau de services juridiques des pensions,
Charlottetown, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU, J.C.A.: La Cour est saisie
d'une demande fondée sur l'article 28 [Loi sur la
Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7] par
laquelle le chef avocat-conseil conteste une déci-
sion rendue par le Tribunal d'appel des anciens
combattants (le Tribunal) sur une question d'inter-
prétation qu'il lui a soumise en application de
l'article 11 de la Loi sur le Tribunal d'appel des
anciens combattants, S.C. 1987, chap. 25'.
La question soumise au Tribunal était la
suivante:
[TRADUCTION] La Loi sur les allocations aux anciens combat-
tants permet-elle à deux veuves différentes de recevoir en même
temps l'allocation de veuve d'ancien combattant à l'égard du
même ancien combattant?
Le problème d'interprétation provient d'une dis
position déterminative de la Loi en vertu de
laquelle est réputée être le conjoint survivant d'un
ancien combattant la personne de sexe opposé qui
a résidé avec cet ancien combattant pendant la
période prescrite (trois ans) précédant son décès,
' Cet article prévoit, entre autres, ce qui suit:
11. (1) Le ministre, la Commission, le chef avocat-conseil
du Bureau, tout organisme d'anciens combattants doté de la
personnalité morale en vertu d'une loi fédérale, ainsi que tout
particulier, peuvent, conformément aux modalités réglemen-
taires, saisir le Tribunal de toute question d'interprétation de
la présente loi ou de toute autre loi fédérale accordant le
droit d'appel auprès du Tribunal, ainsi que de leurs
règlements.
(4) Avant de trancher toute question qui lui est déférée en
application du présent article, le Tribunal informe de la
saisine, selon les modalités réglementaires, les personnes ou
les organismes visés par les règlements et leur donne la
possibilité de présenter leurs arguments à ce sujet.
Dans L'Association canadienne des amputés de guerre c.
Le Conseil de révision des pensions, [1975] C.F. 447 (C.A.),
la Cour a déjà décidé que l'interprétation qu'avait donnée un
office d'une disposition similaire à celle de l'article 11 était
une décision visée à l'article 28 de la Loi sur la Cour
fédérale, et était donc susceptible de révision en application
de cet article.
et que ce dernier a présentée publiquement comme
son conjoint mais qu'il n'a pu épouser par suite de
l'existence d'un mariage antérieur. La Loi n'établit
nulle part de façon expresse que le conjoint initial
perd son droit à l'allocation. Il semble donc qu'au
décès de l'ancien combattant, deux candidats puis-
sent prétendre à l'allocation : la «veuve légitime»
tirant sa qualité du mariage et la «personne répu-
tée être le conjoint survivant».
Maintenant l'interprétation de la Loi qu'il a
établie depuis longtemps, le Tribunal a jugé qu'il
n'existait qu'une seule allocation et que la disposi
tion déterminative conférant, lors du décès, la
qualité de conjoint à la conjointe de fait avait
nécessairement pour effet d'exclure la veuve
«légitime».
Cette interprétation s'accorde bien sûr avec
l'opinion voulant que si un homme ne peut avoir
qu'une épouse à la fois, il ne peut laisser qu'une
veuve à la fois. On ne peut non plus manquer de se
demander pourquoi l'allocation unique touchée par
un ancien combattant de son vivant se dédouble-
rait à sa mort. Cependant, au soutien de sa contes-
tation de la décision, le chef avocat-conseil insiste
sur l'interprétation libérale que doit recevoir la Loi
et invoque l'existence dans d'autres lois—spéciale-
ment la Loi sur les pensions, L.R.C. (1985), chap.
P-6—de règles conférant aux organismes chargés
d'administrer des prestations le pouvoir discrétion-
naire de les partager, lequel pouvoir aurait, sem-
ble-t-il, été exercé pour répartir une pension entre
une épouse légitime et une conjointe de fait 2 .
Certaines affirmations contenues dans les motifs
énoncés par le Tribunal sont pour le moins ambi-
guës, et j'aurai l'occasion d'en examiner quelques-
unes. Toutefois, pour l'essentiel, je partage le rai-
sonnement suivi par les membres du Tribunal;
comme eux, je crois qu'une lecture attentive de la
Loi, et plus particulièrement de la disposition
déterminative, confirme que le Parlement n'a
2 Ce dernier argument n'a pas effectivement été présenté
devant la Cour, et je n'ai pu trouver, ni dans la Loi sur les
pensions ni dans une autre loi, une disposition attribuant à un
organisme administratif le pouvoir indiscutable de répartir une
pension entre une épouse légitime et une conjointe de fait.
L'article 55 de la Loi sur les pensions (auparavant l'article 39)
a bien été mentionné, mais il ne prévoit rien de tel. Quoi qu'il
en soit, ce qui est prévu ailleurs ne saurait avoir d'effet sur
l'interprétation de la Loi qui nous concerne, et je n'entends pas
m'attarder davantage sur cet argument.
jamais eu l'intention de donner en même temps à
deux femmes le droit à l'allocation prévue par la
Loi au profit de la veuve d'un ancien combattant
décédé. C'est ce que je vais tenter de démontrer en
insistant, au cours de l'examen des dispositions
pertinentes de la Loi, sur les mots qui me parais-
sent particulièrement significatifs à cet égard, et
en ajoutant quelques brefs commentaire à leur
sujet. On peut procéder à cet examen en analysant
la version de la Loi antérieure à l'entrée en vigueur
des Lois révisées du Canada (S.R.C. 1970, chap.
W-5)-ou la version actuelle (L.R.C. (1985), chap.
W-3). Naturellement, il ne saurait y avoir de
différence importante entre les deux versions',
mais le fait est que certains mots ont été changés.
Bien que l'analyse du Tribunal ait porté sur l'an-
cienne version, la nature de sa décision, soit l'inter-
prétation de la Loi en vue de guider le règlement
des réclamations à venir, fait que, selon moi, il est
plus approprié que la Cour exerce son pouvoir de
révision en se fondant sur la nouvelle version. C'est
pourquoi les extraits de la Loi que je citerai pro-
viendront de sa version actuelle. Je signalerai tou-
tefois au passage, dans mes remarques, les quel-
ques mots qui ont changé.
Les rubriques «INTERPRÉTATION» de l'ancienne
version et «DÉFINITIONS ET INTERPRÉTATION» de
la nouvelle ne comprennent toutes deux qu'un seul
article, l'article 2. Il est formé de trois paragra-
phes, dont le premier, comme on pouvait s'y atten-
dre, énumère une série de définitions. Parmi ces
définitions, on trouve celle de «veuve, veuf ou
conjoint survivant» dont voici le texte, dans les
deux langues:
2. (1) ...
«veuve», «veuf» ou «conjoint «widow», «widower» or «sur-
survivant» viving spouse» means
(a) Le conjoint survi- (a) a surviving spouse of
vant d'un ancien combat- a deceased veteran who
tant, lorsque ce conjoint is not a veteran and who
n'est pas un ancien com- has not remarried, and
battant et ne s'est pas
remarié;
(b) Le conjoint survi- (b) a surviving spouse of
vant d'un ancien combat- a deceased veteran who
tant décédé, lorsque ce is not a veteran, who has
conjoint n'est pas un remarried and whose
3 Voir la Loi sur les Lois révisées du Canada (/985), S.C.
1987, chap. 48, article 4.
ancien combattant, dans spouse of that marriage
les cas où le conjoint sur- dies or whose marriage
vivant se remarie et soit ends in dissolution or
que son nouveau conjoint legal separation,
décédé, soit encore que
son remariage prenne fin
par une dissolution ou
une séparation légale,
pour l'application de l'alinéa and, for the purposes of para-
7(g) et de l'annexe, s'entend graph 7(g) and the schedule,
en outre d'un ancien combat- includes a veteran who is
tant dont le conjoint est bereft by death of his spouse.
décédé. [C'est moi qui sou-
ligne.]
Ma première remarque ne concerne qu'une
question de forme qui ne porte pas à conséquence.
Dans l'ancienne version, les mots «conjoint survi-
vant» n'étaient pas joints aux mots «veuve» et
«veuf» dans les définitions. C'est le seul change-
ment apporté par la refonte.
La deuxième remarque porte, elle, sur un point
fondamental: l'emploi, en français, du mot «le»
dans l'expression «le conjoint survivant». Cet «arti-
cle défini», employé au singulier avec un substantif
qui ne désigne pas une catégorie, exclut normale-
ment l'expression d'une pluralité. Ceci ne peut
manquer d'avoir une importance considérable
puisque cet article n'a remplacé qu'après coupa
l'article indéfini «un» qui avait été adopté à l'ori-
gine par les traducteurs (voir S.R.C. 1970, chap.
W-5).
Le deuxième paragraphe de l'article 2, l'article
des définitions, n'est pas pertinent en l'instance,
mais le troisième énonce la disposition détermina-
tive qui constitue le noeud de notre problème. Voici
ce paragraphe:
2....
(3) Pour l'application de la présente loi:
a) l'ancien combattant qui établit, à la satisfaction du minis-
tre, avoir publiquement présenté la personne de sexe opposé
avec laquelle il a résidé comme son conjoint pendant au
moins:
(i) trois ans, en cas d'impossibilité pour eux de se marier
par suite de l'existence d'un mariage antérieur de l'un ou
de l'autre,
(ii) un an, en cas de possibilité pour eux de se marier,
4 Voir S.C. 1974-75-76, chap. 8, par. 3(6).
est réputé être son conjoint;
b) lorsque décède un ancien combattant visé à l'alinéa a) qui
est réputé être marié aux termes de cet alinéa, la personne à
laquelle il est réputé être marié est réputée être son conjoint
survivant;
c) la personne qui établit, à la satisfaction du ministre, avoir
été publiquement présentée par l'ancien combattant avec qui
elle résidait comme son conjoint pendant une période précé-
dant le décès de ce dernier d'au moins:
(i) trois ans, en cas d'impossibilité pour eux de se marier
par suite de l'existence d'un mariage antérieur de l'un ou
de l'autre,
(ii) un an, en cas de possibilité pour eux de se marier,
est réputée être le conjoint survivant de cet ancien combat-
tant. [C'est moi qui souligne.]
Je commencerai encore par formuler une remar-
que relative à la forme. Dans la version de la Loi
antérieure à la refonte de 1985, on pouvait lire les
mots «considérée ... comme la veuve» au lieu de
«est réputée être son conjoint survivant». Le reste
est identique.
Venons en maintenant au point qui nous occupe.
Si l'on examine la façon dont le Parlement a jugé
bon d'énoncer sa disposition déterminative et si
nous prêtons une attention spéciale aux mots qu'il
a employés, force nous est de conclure qu'il n'avait
certainement pas comme seule intention d'ajouter
un nouveau bénéficiaire à l'égard de l'allocation
prévue par la Loi. S'il n'avait visé que cet ajout, il
aurait facilement pu édicter que, dans certaines
circonstances, la conjointe de fait ainsi que
l'épouse légitime peuvent avoir droit à l'allocation.
Au contraire, le Parlement a eu recours à une
disposition déclarant que, pour l'application de la
Loi, l'ancien combattant est réputé être marié à sa
conjointe de fait et que cette dernière est réputée
être son conjoint survivant lorsque celui-ci décède.
À notre avis, le Parlement a ainsi clairement indi-
qué son intention de rendre applicable à la con-
jointe de fait exclusivement, dans les circonstances
prévues au paragraphe 2(3), la définition de
«veuve» ou de «conjoint survivant» 5 .
Incidemment, j'ai écrit plus haut que le Tribunal
avait fait preuve d'une certaine ambiguïté dans ses
motifs. Nous avons ici l'occasion d'en relever un
exemple. Le Tribunal affirme, entre autres, que «
... en vertu de la Loi, deux personnes peuvent
correspondre à la définition de "veuve" à un
moment donné» . Cela me paraît inexact. Si l'on
interrompt la lecture de la Loi après avoir consulté
la définition de «veuve» ou de «conjoint survivant»
contenue au paragraphe 2(1), il est impossible
d'appliquer cette définition à une autre personne
que le conjoint légalement marié à l'ancien com-
battant décédé. Cependant, si l'on poursuit la lec
ture jusqu'au paragraphe (3), l'on se rend compte
que, dans la situation qui y est prévue, la définition
de «veuve» ne peut s'appliquer qu'à la conjointe de
fait. Quelle que soit la situation, deux personnes ne
peuvent jamais, ensemble, satisfaire à la définition
de «veuve» prévue à la Loi.
Ceci devrait, en l'instance, clore la question.
Toutefois, il faut encore citer deux dispositions qui
portent sur les droits du conjoint survivant et dont
s'est particulièrement prévalu le chef avocat-con-
seil. Il s'agit de l'article 4 (anciennement l'article
3), lequel confère le droit à une allocation, et de la
disposition limitative prévue à l'article 10. Je
reproduis ici les extraits pertinents de l'article 4 et
tout l'article 10.
5 La Loi sur les pensions, que j'ai déjà mentionnée, fournit
précisément un excellent exemple de mesure législative pré-
voyant le versement d'une allocation à un conjoint de fait
autrement que par la formulation d'une disposition détermina-
tive semblable à celle que nous examinons en l'instance. C'est
une disposition qui est en vigueur depuis longtemps et qui a été
retranscrite au paragraphe 46(1) de la Loi révisée de 1985. Elle
est ainsi conçue:
46. (I) Une personne du sexe opposé qui, bien que non
mariée à un membre des forces, vivait avec lui au Canada,
lors de son enrôlement et durant une période raisonnable
avant cet enrôlement et était alors publiquement reconnue
par lui comme son conjoint, peut, en cas de décès de ce
membre et à la discrétion de la Commission, obtenir une
pension à un taux n'excédant pas celui que prévoit l'annexe
11 pour un conjoint survivant ou déterminé conformément au
paragraphe 45(3), selon celui qui est applicable.
(2) La Commission peut aussi accorder une pension à un
taux n'excédant pas celui qui est décrit au paragraphe (I ), si
elle est d'avis qu'une injustice serait commise en ne recon-
naissant pas une personne comme étant le conjoint d'un
membre des forces, bien qu'il n'existe pas de preuve que cette
personne ait été publiquement reconnue par lui comme son
conjoint.
4. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi,
une allocation est payable aux personnes suivantes qui résident
au Canada:
b) toute personne de sexe féminin qui est un ancien combat-
tant ou une veuve et qui a atteint l'âge de cinquante-cinq ans;
10. (1) Sous réserve du paragraphe (2), aucune allocation
ne peut être versée au conjoint survivant d'un ancien combat-
tant, sauf si, lors du décès, il résidait avec ce dernier, celui-ci
subvenait à ses besoins ou le conjoint survivant subvenait aux
besoins de ce dernier.
(2) Le ministre peut exempter un conjoint survivant de
l'application du paragraphe (1) dans tout cas où il estime juste
et raisonnable de le faire.
Le requérant veut voir dans l'emploi du mot «any»
à l'alinéa 4(l)b) («toute» dans la version française)
l'indication du fait que plus d'une veuve peut avoir
droit en même temps à l'allocation. Ce n'est tout
simplement pas ainsi qu'il faut interpréter le texte.
La phrase ne dit pas «toute veuve», mais plutôt
«toute personne de sexe féminin qui est ... une
veuve»; et nous savons déjà que s'il y a une con-
jointe de fait et que les conditions énoncées au
paragraphe 2(3) sont satisfaites, celle-ci est répu-
tée être la veuve. Pour ce qui est de l'article 10, je
me contenterai de dire, en toute déférence, que je
ne vois pas quel rapport il a avec l'affaire en
l'instance. Il est assez évident que cet article ne
s'applique pas à une personne «réputée conjointe»
par application du paragraphe 2(3), pas plus qu'il
ne vise la situation où nous serions en présence
d'une conjointe de fait et d'une épouse légitime,
car alors il ne s'agirait certainement pas d'une
question de «résidence». À mon avis, cet article est
clairement une disposition limitative qui vise une
épouse légitime à laquelle la définition de «veuve»
énoncée au paragraphe 2(1) est applicable parce
qu'il n'y a pas de conjointe de fait qui satisfasse
aux conditions prévues au paragraphe 2(3).
Nous en venons maintenant à une autre affirma
tion ambiguë qu'il faut relever. Le Tribunal
affirme : «La résidence avec l'ancien combattant
immédiatement avant son décès est la condition la
plus importante pour qu'une veuve reçoive une
allocation.» Le Tribunal n'avait certainement pas
l'intention de contredire l'article qu'il examinait,
c'est-à-dire l'article 10. Sûrement, ce qu'a voulu
dire le Tribunal, c'est que le Parlement a considéré
comme prépondérant le critère de résidence parce
que c'est la condition fondamentale qui fait que la
conjointe de fait est réputée être la «veuve» au sens
de la Loi et qu'elle peut recevoir l'allocation, et
parce que c'est une exigence importante, quoique
non exclusive, imposée à l'égard du droit d'une
épouse légitime à qui s'applique encore la défini-
tion de veuve, de toucher l'allocation.
C'est ainsi que j'interprète la Loi. Il appert, à la
fin de cette fastidieuse mais inévitable analyse
sémantique des dispositions pertinentes de cette
Loi, que cette interprétation n'est pas substantiel-
lement différente de celle du Tribunal, comme
d'ailleurs je l'avais affirmé en commençant. D'au-
cuns pourront trouver malheureux qu'une simple
conjointe de fait puisse être préférée à une candi
date aussi méritante que l'épouse légitime et puisse
même déposséder celle-ci. Cette réaction n'est cer-
tainement pas toujours justifiée, mais, quoi qu'il en
soit, il n'appartient ni à la Cour ni au Tribunal de
remettre en question la sagesse du Parlement.
Nous confirmons donc l'interprétation retenue
par le Tribunal et rejetons la requête.
LE JUGE HEALD, J.C.A.: Je souscris à ces
motifs.
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A.: Je souscris à ces
motifs.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.