T-2406-86
Elias Metaxas et autres (demandeurs)
c.
Le navire Galaxias et toutes les autres personnes
ayant un droit sur le navire Galaxias (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: METAXAS c. GALAXIAS (LE)
Division de première instance, juge Rouleau—
Vancouver, 4, 5, 6, 7 et 8 janvier; Ottawa, 11 avril
1988.
Conflit de lois — Partage du produit de la vente judiciaire
d'un navire immatriculé en Grèce — Le droit grec crée un
privilège maritime en faveur du syndicat des marins grecs
(NAT) pour l'argent dû pour les retenues de salaire, les
cotisations des propriétaires, les avances de salaire et les frais
de rapatriement — Le droit grec s'applique à la réclamation
puisque la Grèce est la lex loci des obligations — Le privilège
maritime grève la chose au moment où l'obligation dont il
garantit l'exécution est contractée — Les droits positifs doi-
vent être déterminés d'après la lex loci — Désapprobation de
la décision rendue par le Conseil privé dans l'arrêt The Hal
cyon Isle selon laquelle la création et l'ordre de priorité des
créances devaient être déterminés d'après la lex fori — La
reconnaissance du droit de NAT de participer au produit est
conforme à l'ordre public canadien — NAT est un organisme
public dûment constitué qu'un demandeur important, le créan-
cier hypothécaire grec, connaissait bien — Le droit maritime
canadien existe en partie pour reconnaître les réclamations in
rem faites par une partie qui fournit des services à un navire
qui profitent à tous.
Droit maritime — Privilèges et hypothèques — Partage du
produit de la vente judiciaire d'un navire grec — Le droit grec
crée un privilège maritime en faveur du syndicat des marins
grecs — Statut des réclamations sous le régime du droit grec
— Traitement réservé aux privilèges maritimes étrangers au
Canada: 1) les droits de NAT en vertu du droit grec équiva-
lent-ils à un privilège maritime sous le régime du droit
canadien? 2) L'arrêt The Ioannis Daskalelis est-il susceptible
de distinction? 3) La Cour fédérale a-t-elle compétence pour
connaître de l'action? 4) Le privilège des membres de l'équi-
page à l'égard des salaires et des frais de rapatriement est-il
transmissible? — La mise à quai du navire et de l'exploitation
de ce dernier comme hôtel flottant a-t-elle changé la nature de
l'emploi? — Droit régissant les réclamations faites par des
pourvoyeurs d'approvisionnements nécessaires américains.
Droit maritime — Créanciers et débiteurs — Rang des
réclamations selon les ordres de priorité établis et l'equity —
Étant donné l'inexistence d'une injustice évidente, la Cour
n'exerce pas son pouvoir discrétionnaire pour modifier les
ordres de priorité — Il faut retenir sur le salaire brut réclamé
par les marins le montant de leur cotisation au syndicat, les
frais de rapatriement ou les avances de salaire versées par le
syndicat des marins.
Compétence de la Cour fédérale — Division de première
instance — Affaires maritimes — Le droit grec crée un
privilège maritime en faveur du syndicat des marins grecs
(NAT) à l'égard des retenues de salaire et des cotisations des
propriétaires — La Cour fédérale a compétence pour connaître
de la réclamation de NAT — Trois conditions préalables à
compétence de la Cour fédérale ont été posées dans ITO—In-
ternational Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc.
et autres L'art. 22 de la Loi sur la Cour fédérale satisfait
aux exigences législatives — La deuxième exigence, savoir
l'existence d'un ensemble de règles de droit fédérales, a été
remplie puisque la Cour fédérale aurait compétence à l'égard
d'une législation canadienne comparable — Puisque la Cour a
reconnu que le montant réclamé par NAT constituait un
privilège maritime, la troisième condition a été remplie.
Pratique Frais et dépens — La partie ayant gain de cause
n'est pas coupable d'outrage au tribunal mais de comporte-
ment équivalant à un chantage — Il lui est ordonné de payer
les frais d'une partie dans une action connexe découlant de son
inconduite.
Pratique — Jugements et ordonnances — Exécution — La
partie ayant gain de cause est coupable de comportement
équivalant à un chantage, mais elle n'est pas coupable d'ou-
trage au tribunal Les sommes qui lui sont adjugées sont
conservées jusqu'à ce que certaines exigences aient été
remplies.
Il s'agit d'une action en partage du produit de la vente d'un
navire immatriculé en Grèce, le Galaxias. Le navire a quitté la
Grèce, a fait escale à Acapulco pour engager un orchestre de
musiciens et est entré au port de Vancouver avec un équipage
complet à bord. Il a mouillé à cet endroit et est devenu un hôtel
flottant pour l'agrément des visiteurs de l'exposition mondiale
«Expo 86.. Des problèmes financiers ont surgi, et le navire a été
saisi en vertu d'un mandat de la Cour. De nombreuses réclama-
tions ont été déposées. La plus importante réclamation portait
sur un privilège maritime que le gouvernement grec confère par
voie législative au syndicat des marins grecs NAT. NAT est
chargé de la perception et de l'administration des sommes
d'argent que versent les propriétaires des navires immatriculés
en Grèce et qui sont affectées à des programmes conçus à
l'avantage des marins grecs. NAT réclame la remise de ces
sommes d'argent en souffrance, qui comprenaient le montant
des retenues opérées sur le salaire de l'équipage et celui des
cotisations proportionnelles des propriétaires, les intérêts sur
ces sommes selon le droit grec, les avances de salaire et les
dépenses reliées au rapatriement. La présente réclamation sou-
lève des questions concernant le statut du privilège de NAT
sous le régime du droit grec et le traitement que les tribunaux
canadiens réservent aux privilèges maritimes étrangers. Le
droit de NAT à des redressements est contesté sur les points
suivants: 1) les droits accordés à NAT en droit grec n'équiva-
lent pas à un privilège maritime tel qu'il existe en droit
canadien; 2) la jurisprudence canadienne permet de s'écarter
du principe dégagé dans l'arrêt Le loannis Daskalelis, où il a
été statué que les tribunaux canadiens reconnaîtraient les privi-
lèges maritimes valablement créés dans un territoire étranger.
Il est allégué que les trois arrêts de principe canadiens portant
sur la reconnaissance des privilèges maritimes étrangers pour-
raient faire l'objet d'une distinction, puisqu'ils découlaient tous
des réclamations de pourvoyeurs d'approvisionnements néces-
saires; 3) la Cour fédérale n'a pas compétence pour connaître
de la demande de NAT puisqu'il ne s'agissait essentiellement
pas d'une demande maritime; 4) le privilège des membres de
l'équipage à l'égard des salaires et des dépenses de rapatrie-
ment n'est pas transmissible à NAT.
L'équipage grec, capitaines et marins, et les musiciens reven-
diquent également des privilèges maritimes pour les salaires
impayés. La question se pose de savoir si le fait que le Galaxias
a mouillé à Vancouver a changé la nature de l'engagement des
musiciens. Des pourvoyeurs d'approvisionnements nécessaires
américains revendiquent un privilège maritime parce qu'ils ont
fourni le nécessaire pour le voyage de la Grèce au Canada. Ils
prétendent que leur créance se voit reconnaître le statut de
privilège maritime par le droit américain, et que les tribunaux
canadiens ont reconnu ce statut. Il y a à déterminer si le droit
américain, canadien ou grec s'applique à la présente réclama-
tion. Il y a également le privilège possessoire revendiqué par le
gardien de quai pour des services rendus au navire dont le
mouillage et les réparations. Des pourvoyeurs d'approvisionne-
ments nécessaires canadiens ont déposé des réclamations in rem
pour la fourniture d'approvisionnements, des réparations, des
services médicaux et des services de promotion. La Banque
nationale de Grèce S.A. prétend qu'elle détenait cinq créances
hypothécaires privilégiées. En dernier lieu, le prévôt adjoint
réclame les coûts de la vente. Les réclamations dépassant le
produit de la vente, un ordre de priorité des réclamations
s'impose. Il y a lieu d'examiner si les ordres de priorité établis
devraient être modifiés pour empêcher une injustice.
Jugement: l'ordre de priorité des créances devrait être le
suivant:
I) Les frais du prévôt
2) Le privilège maritime des marins
3) Le privilège maritime revendiqué par NAT à l'égard du
solde des cotisations accumulées avant l'arrivée au
Canada
4) Le privilège possessoire revendiqué par le gardien de quai
à l'égard seulement des réparations
5) La créance hypothécaire
6) Les créances in rem des pourvoyeurs d'approvisionne-
ments nécessaires.
Le droit grec s'applique à la réclamation de NAT, même en
ce qui concerne les éléments de cette réclamation qui sont nés
dans le port de Vancouver. Le privilège maritime grève la chose
au moment où l'obligation dont il garantit l'exécution est
contractée. Pour ce qui est du Galaxias, de l'équipage et des
propriétaires grecs, la lex loci des obligations est la Grèce. Il
ressort du témoignage d'un avocat grec et du Code de droit
maritime grec que les retenues salariales et les cotisations des
propriétaires dues à NAT se voient accorder le même «privi-
lège» que celui dont jouit le salaire des marins. Ce privilège
correspond aux droits dont jouit le titulaire de privilège mari
time canadien. Dans les arrêts Le Ioannis Daskalelis et The
Strandhill de la Cour suprême du Canada et dans l'arrêt Har
Rai de la Cour d'appel fédérale, il a été statué que les privilèges
maritimes des pourvoyeurs d'approvisionnements nécessaires
américains, prévus par la loi américaine, étaient reconnus et
prenaient rang en tant que tels au Canada, bien que les
pourvoyeurs d'approvisionnements nécessaires canadiens
n'aient qu'un droit in rem. Ce sont ensuite les règles de droit de
la lex fori qui établissent l'ordre de priorité de ces créances. Il
est allégué que ces affaires étaient susceptibles de distinction
parce que la loi américaine n'a fait qu'élever le statut des
créances des pourvoyeurs d'approvisionnements nécessaires
américains alors que la loi grecque en question a donné à NAT
une créance complètement différente, ce qui donne au principe
une extension qui dépasse toute logique. Il est bien établi que
les droits positifs des parties doivent être déterminés d'après la
lex loci. Le traitement que le droit interne canadien accorderait
à cette créance n'entre pas en ligne de compte.
Le Conseil privé britannique a statué dans l'arrêt The Hal
cyon Isle que la création et l'ordre de priorité des créances
contre la chose étaient déterminés d'après la lex fori. La
décision The Halcyon Isle s'écartait manifestement d'une déci-
sion britannique antérieure, The Colorado, et était fondée sur
une conception erronée de la portée de cette affaire. La décision
du Conseil privé ne reflète pas l'état du droit maritime cana-
dien actuel. Qui plus est, la décision rendue dans l'affaire The
Halcyon Isle n'était pas unanime, deux des cinq membres
étaient dissidents.
Un des principes fondamentaux du droit international privé
veut que lorsqu'on prouve qu'il va à l'encontre du droit positif
d'un pays, le droit étranger ne sera pas appliqué par les
tribunaux de ce pays. Mais NAT est un organisme public
dûment constitué qui est chargé d'administrer certains fonds à
l'avantage des marins grecs. Le demandeur le plus important
est un créancier hypothécaire grec (Banque nationale de Grèce)
qui connaît bien NAT. La reconnaissance de NAT et de son
droit de participer au produit de la vente n'irait pas à l'encontre
de l'ordre public canadien. Le droit maritime canadien existe
en partie pour reconnaître les réclamations in rem faites par
une partie qui fournit des services à un navire. Ceux qui
s'occupent de l'entretien d'un navire et qui le gardent productif
créent un avantage qui profite à tous. D'autres créances sont
donc subordonnées à celles des marins et des personnes qui
effectuent des réparations sur le navire et qui en ont la posses
sion. Le fait que les réclamations de salaire soient reconnues
comme donnant lieu à un privilège, comme le gouvernement est
censé l'avoir fait, s'accorde parfaitement avec l'ordre public
canadien. Le fait que le gouvernement canadien n'ait pas créé
un privilège analogue n'a aucune incidence sur la validité de la
créance de NAT.
La Cour fédérale a compétence en matière maritime si les
trois conditions énoncées par la Cour suprême du Canada dans
l'arrêt ITO sont remplies. L'article 22 de la Loi sur la Cour
fédérale satisfait aux exigences purement législatives du critère
à trois volets. Pour ce qui est de l'exigence selon laquelle il doit
exister un «ensemble de règles de droit fédérales» qui est
essentiel à la solution du litige et qui constitue le fondement de
l'attribution légale de compétence, il y a lieu d'examiner si la
Cour fédérale aurait eu compétence si un texte législatif cana-
dien comparable avait existé. Cette Cour aurait sûrement com-
pétence à l'égard d'un organisme canadien créé par une loi
fédérale analogue à NAT. Il existe une façon plus simple
d'envisager la question de la compétence: si le droit canadien
exige une décision sur la question de savoir si une créance
équivaut à un privilège maritime d'après la lex loci de la
créance, la Cour fédérale doit avoir compétence sur ce que le
droit international privé canadien considère comme un privilège
maritime. En tout état de cause, la réclamation de NAT est
quelque peu analogue aux paragraphes 284(1) et (2) de la Loi
sur la marine marchande du Canada, qui créent des privilèges
maritimes en faveur d'une autorité qui paye les dépenses affé-
rentes aux besoins médicaux des marins. L'affaire The Acrux,
sur laquelle la contestation de la compétence de la Cour repose,
portait sur une situation de fait similaire, mais les règles de
droit sous-jacentes étaient totalement différentes. Quant à la
troisième question pour l'établissement de la compétence (la loi
en question doit être une loi du Canada), la créance de NAT
est un privilège maritime qui est reconnu par cette Cour et qui
prendra rang en conséquence. Est dénué de fondement l'argu-
ment selon lequel les privilèges des marins à l'égard des salaires
payés après la saisie et des frais de rapatriement se sont éteints
lorsque NAT les a versés parce que le droit grec exigeait une
telle mesure. Le montant de la créance de NAT est entièrement
protégé par un privilège maritime.
Les termes «marin» et «membre de l'équipage» qu'on trouve
dans la Loi sur la marine marchande du Canada et la Loi sur
la Cour fédérale devraient recevoir uné interprétation large. Un
orchestre de musiciens engagés pour divertir en mer les passa-
gers fait partie intégrante de l'équipage. Les conditions de
l'engagement ne faisaient pas la distinction entre la période en
mer et la période de mise à quai. Les noms de membres de
l'orchestre figuraient également sur le rôle d'équipage. Puisque
la mise à quai n'a pas affecté d'autres membres de l'équipage,
les musiciens avaient droit à un privilège maritime à l'égard du
salaire qu'ils ont gagné pendant toute la durée de l'emploi, y
compris les frais de rapatriement et les intérêts. Le reste de
l'équipage avait également droit à un privilège maritime.
Les pourvoyeurs d'approvisionnements nécessaires améri-
cains ne se sont pas acquittés de leur obligation d'établir que
leur créance constituait un privilège maritime en vertu des
règles de droit américaines applicables. En conséquence, le
choix de la loi du contrat devrait être déterminé selon les règles
de droit du Canada. En l'absence d'une disposition expresse ou
tacite sur le choix des règles de droit applicables, celui-ci doit
être déterminé d'après le droit avec lequel l'opération entretient
les rapports les plus étroits et les plus réels. En l'absence de
toute preuve contraire convaincante, il s'agissait du droit du
pavillon du Galaxias, en l'occurrence, le droit grec. Rien
n'indique qu'en droit grec le pourvoyeur d'approvisionnements
nécessaires se voit conférer un privilège maritime. Les créances
des pourvoyeurs d'approvisionnements nécessaires américains et
canadiens sont des créances in rem. Le privilège possessoire du
gardien de quai ne vaut que jusqu'à la concurrence de la somme
dépensée pour réparer et entretenir le navire. Le reste de la
créance concerne les approvisionnements nécessaires et fait
l'objet d'une créance in rem.
Les règles relatives à l'ordre de priorité des privilèges déga-
gées dans le jugement Comeau's Sea Foods Ltd. c. Le «Frank
and Troy+ souffre plusieurs exceptions. Certes, les considéra-
tions d'équité sont importantes dans l'établissement de l'ordre
de priorité des créances; mais le pouvoir discrétionnaire de la
Cour de modifier l'ordre de priorité ne devrait être exercé que
lorsque cela est nécessaire pour empêcher une injustice fla-
grante. Puisqu'une telle conséquence ne s'est pas produite, la
Cour ne modifie pas l'ordre de priorité des créances. Il a été
souligné que si les pourvoyeurs d'approvisionnements nécessai-
res américains avaient prouvé leurs privilèges, orne devrait pas
colloquer ceux-ci pari passu avec le salaire des marins. Il y a
lieu de retenir sur le salaire brut réclamé par les marins le
montant de leur cotisation au NAT, car ces sommes font partie
des privilèges maritimes réclamés par NAT. Pour la même
raison, les frais de rapatriement ou les salaires supplémentaires
déjà payés par NAT ou pour leur profit doivent être retranchés
des créances réclamées par les marins.
Le comportement qu'a adopté NAT comme partie empêche
la Cour de tenir compte de l'équité dans l'adjudication des
dépens ou dans le versement d'intérêts. 11 a différé à faire savoir
que la délivrance d'un certificat de radiation (permettant à
l'acquéreur d'immatriculer le navire en Grèce) ne relevait pas
de son pouvoir, et que le ministre de la Marine marchande
refuserait probablement d'accéder à sa demande. Ce comporte-
ment a causé des dépenses additionnelles à plusieurs parties.
Bien que le comportement de NAT ne constitue pas un outrage
au tribunal, il équivaut à un chantage. Dans une action con-
nexe, il a été ordonné à NAT de payer, pour la même raison, les
frais du prévôt adjoint et de l'acquéreur. NAT n'a pas droit à
un intérêt sur les cotisations des propriétaires impayées après la
saisie, parce que c'est la lex fori qui s'applique. Toutefois, la
totalité de la demande d'intérêt, intérêt prévu par le droit grec,
doit être accueillie jusqu'à la date de la saisie même si les
dispositions donnent lieu à un taux presque usuraire, cette
partie de la réclamation étant régie par la lex loci. Cette
restriction ne s'applique pas aux dépenses de rapatriement, aux
avances de salaire ni aux sommes dues à NAT par l'équipage.
Toutes les sommes dues à NAT devraient être consignées à la
Cour en attendant la délivrance d'un certificat de radiation qui
suffirait à libérer le navire de toutes les créances impayées
inscrites contre lui au Bureau d'immatriculation grec. De plus,
si l'acquéreur le désire, l'immatriculation du Galaxias aura lieu
en Grèce aux frais de NAT.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Administration of Justice Act, /956 (R.-U.), 4 & 5 Eliz.
2, chap. 46, art. 1(1)(o).
Code de droit maritime, Loi n° 38161 1958, art. 205.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970, (2' Supp.), chap.
10, art. 22, 43.
Loi sur la marine marchande du Canada, S.R.C. 1952,
chap. 29.
Loi sur la marine marchande du Canada, S.R.C. 1970,
chap. S-9, art. 284(1),(2).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle
1008.
JURISPRUDENCE
DECISION NON SUIVIE:
Bankers Trust International Ltd. v. Todd Shipyards
Corpn. (The Halcyon Isle), [1981] A.C. 221 (P.C.).
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Todd Shipyards Corp. c. Alterna Compania Maritima
S.A., [1974] R.C.S. 1248; Strandhill, The v. Walter W.
Hodder Co., [1926] R.C.S. 680; Marlex Petroleum, Inc.
c. Le navire »Har Rai», [1984] 2 C.F. 345 (C.A.); The
Colorado, [1923] P. 102 (C.A.); ITO—International
Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et
autre, [1986] I R.C.S. 752; Montreal Dry Docks Co. v.
Halifax Shipyards (1920), 69 R.C.S. 359; Comeau's Sea
Foods Ltd. c. Le «Frank and Troy», [1971] C.F. 556 (l'°
inst.); Osborn Refrigeration Sales and Services Inc. c. Le
Atlantean I, [1979] 2 C.F. 661 (l" inst.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Laane & Baltser v. Estonian S.S. Line, [ 1949] R.C.S.
530; [1949] 2 D.L.R. 641; The Acrux, [1965] 2 All E.R.
323 (H.C. Adm. Div.); The Tolten. United Africa Co.,
Ltd. v. Owners of M.V. Tolten, [1946] 2 All E.R. 372
(C.A.); Macbeth & Co. v. Chislett, [ 1910] A.C. 220
(H.L.); Llido c. Le Lowell Thomas Explorer, [1980] 1
C.F. 339 (1" inst.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Household Finance Corp. of Canada v. Hill; C.N.R. Co.,
Garnishee (1970), 13 D.L.R. (3d) 737 (C.S. l.P.-E.).
DÉCISIONS CITÉES:
Balodi,s et al. v. The Ship "Prince George", [1985] 1
F.C. 890 (T.D.); Connor v. The "Flora" (1898), 6
Ex.C.R. 131; Can. Steamship Lines v. The "Rival",
[1937] 3 D.L.R. 148 (Ex.Ct.); Fernandez v. "Mercury
Bell" (The), [ 1986] 3 F.C. 454, (sub nom. "Mercury
Bell" (The Ship) v. Amosin et al.) 27 D.L.R. (4th) 641
(C.A.).
DOCTRINE
Castel, J.-G. Conflict of Laws: cases, notes and ma
terials, 2nd ed. Toronto: Butterworths, 1968.
Morris, J.H.C. & Others, Dicey's Conflict of Laws, 7th
ed., London: Stevens & Sons Ltd. (1958).
Thomas, D.R. British Shipping Laws, vol. 14, London:
Stevens & Sons, 1980.
AVOCATS:
M. Bray pour les demandeurs.
Bradley M. Caldwell pour Aqua-Clean Ships
Ltd. et A & A Anderson Tank Service Ltd.
A. Barry Oland pour la Banque nationale de
Grèce S.A.
A. S. Marinakis pour NAT (Naftikon Apo-
machikon Tameion).
David F. McEwen pour Baseline Industries
Ltd.
J. B. Ramsay pour le ministre du Travail et
de la Consommation de la Colombie-Britanni-
que.
C. J. O'Connor pour Global Cruises.
J. E. Gouge et K. A. G. Bridge pour le shérif
et le procureur général de la Colombie-Bri-
tannique.
PROCUREURS:
McMaster, Bray, Cameron & Jasich, Van-
couver, pour les demandeurs.
Bradley M. Caldwell, Vancouver, pour Aqua-
Clean Ships Ltd. et A & A Anderson Tank
Service Ltd.
A. Barry Oland, Vancouver, pour la Banque
nationale de Grèce S.A.
Marinakis and Company, Vancouver, pour
NAT (Naftikon Apomachikon Tameion).
McEwen & Co., Vancouver, pour Baseline
Industries Ltd.
Ministère du Procureur général pour le minis-
tère du Travail et de la Consommation de la
Colombie-Britannique.
Ladner Downs, Vancouver, pour Global
Cruises.
Lawson, Lundell, Lawson & McIntosh, Van-
couver, pour le shérif et le procureur général
de la Colombie-Britannique.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE ROULEAU: La présente action con-
cerne le partage du produit de la vente judiciaire
effectuée à la suite de la saisie d'un navire imma-
triculé en Grèce, le Galaxias, dans le port de
Vancouver. Comme il arrive souvent, les réclama-
tions produites contre le Galaxias dépassent de
beaucoup le produit de la vente, de telle sorte que
la satisfaction de certaines d'entre elles dépendra
de leur ordre de priorité respectif'. L'une des
réclamations les plus difficiles et les plus récentes
que la Cour doit analyser et dont elle doit détermi-
ner l'ordre de priorité est celle que fait valoir
Naftikon Apomachicon Tameion («NAT»), un
organisme public doté de la personnalité morale
qui est créé par le droit grec et qui ressemble
quelque peu à une société d'État canadienne. Cet
organisme administre des pensions et d'autres
avantages sociaux pour le compte des marins
grecs.
Le navire de croisière Galaxias a quitté Le
Pirée, en Grèce, au printemps de 1986. Il a tra-
versé le canal de Panama et a remonté le littoral
ouest de l'Amérique du Nord, après avoir fait
escale à Acapulco pour engager un orchestre de
musiciens. En juin 1986, le Galaxias est entré au
port de Vancouver avec un équipage complet à
bord. Il a mouillé à cet endroit pendant l'été de
1986 et, au moyen de certains raccordements à la
' Par ordonnance en date du 2 février 1987, l'intitulé de
cause de la présente action a été abrégé par souci de commo-
dité. Plusieurs parties seront donc mentionnées sans que leur
nom figure dans l'intitulé de cause.
rive, est devenu un «hôtel flottant» pour l'agrément
des visiteurs de l'exposition mondiale de Vancou-
ver, connue sous le nom d'«Expo 86», dont cette
ville était l'hôte.
À la fin de l'été de 1986, des problèmes finan
ciers ont surgi relativement à l'exploitation du
Galaxias. Le navire a été saisi le 1" septembre
1986 en vertu d'un mandat délivré par notre Cour
à la demande de la gardienne de quai Baseline
Industries Ltd. (»Baseline»), le lei septembre 1986.
Depuis cette date, de nombreuses réclamations
sont apparues, y compris plusieurs réclamations de
salaire (Elias Mataxas et autres, T-2406-86, Villa-
nueva-Velasquez et autres, T-2325-86 et Katerelos
et autres, T-318-87), une revendication de privi-
lège possessoire (Baseline, une gardienne de quai),
une créance hypothécaire (Banque nationale de
Grèce S.A.) et surtout l'important privilège mari
time que le gouvernement grec confère par voie
législative au syndicat des marins grecs NAT.
Par ailleurs, de nombreuses réclamations ont été
produites tant par des pourvoyeurs d'approvision-
nements nécessaires canadiens qu'américains. Les
pourvoyeurs d'approvisionnements nécessaires
américains allèguent qu'aux États-Unis, leur
créance se voit reconnaître le statut de privilège
maritime par l'effet de la loi et que ce statut a été
reconnu par les tribunaux canadiens en matière de
partage du produit d'une vente judiciaire. Les
pourvoyeurs d'approvisionnements nécessaires
canadiens présentent une réclamation in rem à
l'égard des biens et services fournis au Galaxias à
Vancouver.
Après un faux départ, (le Galaxias a été offert
en vente et aucune soumission appropriée n'a été
reçue), le prévôt adjoint de la Cour fédérale, S. R.
Krochenski, a fait le nécessaire pour annoncer à
nouveau la vente du Galaxias dans plusieurs jour-
naux internationaux, conformément à l'ordon-
nance prononcée le 27 avril 1987 par Madame le
juge Reed (cette ordonnance, qui a été par la suite
modifiée, est désignée sous le nom d'ordonnance de
vente). À la suite de l'annonce, une offre de 1,1
million de dollars a été faite par Global Cruises
S.A. («Global>), et cette offre, qui constituait la
soumission la plus élevée, a été acceptée. Un acte
de vente a été rédigé en conformité de l'ordon-
nance de vente, laquelle comprenait les modalités
suivantes:
[TRADUCTION] 5. Le M.V. Galaxias sera vendu en l'état et à
l'endroit où il mouille avec tous les défauts qu'il comporte
actuellement, sans qu'il soit tenu compte de quelque insuffi-
sance que ce soit en ce qui concerne la longueur, le poids, la
quantité, la qualité ou de quelque vice ou erreur que ce soit,
l'exactitude des détails n'étant pas garantie, libre de toute
charge.
6. Le prévôt adjoint de la Cour fédérale du Canada est habilité
à signer un acte de vente et à transférer le navire à l'acheteur,
libre de toute charge.
7. Le produit de la vente du navire sera consigné à la Cour au
crédit de toutes les actions in rem intentées contre le navire par
les créanciers qui auront déposé des affidavits de réclamation
au greffe de la Cour au plus tard le 23 avril 1987. [C'est moi
qui souligne.]
Des problèmes ont surgi peu de temps après. La
conclusion de la vente a été repoussée à plusieurs
reprises, car l'acquéreur avait de la difficulté à
arranger le financement du solde du prix d'achat.
L'acquéreur a commencé à s'inquiéter de l'attitude
adoptée par le ministre de la Marine marchande
de Grèce au sujet de la réinscription du Galaxias
au Bureau grec d'immatriculation des navires du
Pirée. Suivant la preuve, à la suite de la signature
de l'acte de vente, le ministre s'est opposé à la
délivrance du certificat de radiation exigé et en a
subordonné la délivrance au succès qu'obtiendrait
NAT devant notre Cour relativement au paiement
de ses créances. En raison de cette situation, la
Cour a tenu une audience de justification au sujet
de la possibilité que NAT se soit rendu coupable
d'outrage au tribunal pour ne pas avoir respecté
l'ordonnance par laquelle la Cour lui avait prescrit
d'enregistrer un certificat de radiation et de trans-
férer le titre du navire libre de toute charge.
L'audience de justification a eu lieu le 4 janvier
1988, ainsi que les débats concernant les autres
réclamations. L'audience de justification a été trai-
tée séparément.
Par ailleurs, le prévôt adjoint a introduit l'action
n° T-2297-87 contre l'acquéreur Global et contre
tous ceux qui ont des prétentions sur le produit de
la vente. Le prévôt adjoint a demandé à la Cour de
prononcer un jugement déclaratoire portant qu'il
avait rempli les obligations que l'ordonnance de
vente lui imposait et a demandé à la Cour des
directives au sujet du partage du produit de la
vente. Le prévôt adjoint réclame évidemment une
partie de la masse disponible relativement au coût
de la vente et aux autres frais occasionnés par
l'exécution de l'ordonnance de vente. Global a
produit une défense dans l'action n° T-2297-87 et a
également présenté une demande reconvention-
nelle à l'égard de tous les frais et dommages
qu'elle prétend avoir subis en raison du défaut du
prévôt adjoint de lui transmettre le navire «libre de
toute charge», afin de permettre au navire d'être
inscrit au Bureau d'immatriculation de Grèce.
NAT a été mise en cause dans cette action.
Dans son rapport du 31 décembre 1987, l'arbitre
Charles E. Stinson a statué sur bon nombre des
dépenses afférentes à la vente qui ont été engagées
par le prévôt adjoint. L'arbitre a recommandé que
les frais relatifs au mouillage, à la garde et au
mazout soient acquittés. Une ordonnance ratifiant
ce rapport a été prononcée.
Les parties conviennent que mes conclusions sur
la classification et, partant, sur l'ordre de priorité
de leur créance respective pourraient fort bien les
dispenser de la nécessité de prouver le montant de
leur créance. Par conséquent, dans les présents
motifs, je ne mentionnerai les montants que pour
examiner une créance qui ne constitue pas une
masse indivisible. Tout montant mentionné devra
être établi en bonne et due forme en temps utile.
Je passe donc à l'examen des questions
suivantes:
(i) le privilège maritime revendiqué par NAT;
(ii) le salaire réclamé par les membres d'équipage,
le capitaine et les marins grecs;
(iii) le salaire réclamé par l'orchestre de musiciens
engagé à Acapulco;
(iv) le privilège maritime reconnu en droit améri-
cain que revendiquent les pourvoyeurs américains
d'approvisionnements nécessaires;
(v) le privilège possessoire revendiqué par Base
line;
(vi) la réclamation présentée par les pourvoyeurs
canadiens d'approvisionnements nécessaires;
(vii) la réclamation présentée par la Banque natio-
nale de Grèce S.A. à titre de créancière
hypothécaire;
(viii) le droit de toutes les personnes précitées de
réclamer une partie de la somme à distribuer et
l'ordre de priorité de leur créance.
(1) LA RÉCLAMATION DE NAT
Naftikon Apomachicon Tameion est un orga-
nisme public créé par une loi de la République de
Grèce. Bien qu'il agisse avec un certain degré
d'autonomie, il est en fin de compte assujetti à la
surveillance et au contrôle du ministre grec de la
Marine marchande. NAT est chargé de la percep
tion et de l'administration des sommes d'argent
que versent les propriétaires des navires immatri-
culés en Grèce. Ces sommes correspondent à un
pourcentage que les propriétaires retiennent sur le
salaire des membres de l'équipage des navires,
ainsi qu'à la cotisation proportionnelle que versent
les propriétaires.
Les sommes dues à NAT tant par les marins que
par les propriétaires de navires sont calculées en
fonction d'un pourcentage du salaire des marins,
lequel pourcentage est fixé à l'occasion par la loi.
Tout propriétaire de navire qui manque à ses
obligations envers NAT doit également payer tous
les six mois des frais supplémentaires d'intérêts qui
sont également fixés par la loi. Chaque année où le
propriétaire en défaut donne lieu à un accroisse-
ment des intérêts sur le montant en souffrance,
jusqu'à concurrence de 75 % du montant initial dû.
Les sommes perçues sont affectées directement
par NAT ou par plusieurs organismes affiliés à
une vaste gamme d'activités conçues à l'avantage
des marins grecs, et notamment à des pensions, à
des frais de rapatriement et à des programmes de
formation.
NAT affirme devant notre Cour qu'elle possède
quatre créances distinctes:
le montant impayé des retenues opérées par les
propriétaires sur le salaire des marins, ainsi que
leurs cotisations proportionnelles (dont certaines
sont en souffrance depuis plus de cinq ans);
les intérêts sur les sommes calculées conformément
à la formule ci-dessus mentionnée;
plus d'un mois en avances de salaire consenties aux
membres de l'équipage du Galaxias après la saisie
du navire;
les sommes d'argent dépensées par NAT pour
procéder au rapatriement des membres de l'équi-
page qui avaient été laissés à Vancouver.
Suivant les documents préliminaires produits
pour le compte de NAT, la réclamation semble
dépasser 500 000 $.
Si l'on tient compte du fait qu'après juin 1986,
le Galaxias ne se trouvait plus dans les eaux
territoriales grecques, il devient nécessaire d'éta-
blir si la validité du privilège de NAT continuait à
être assujettie aux lois de la Grèce, même en ce qui
concerne les cotisations dont le paiement est
réclamé et qui sont nées longtemps après que le
Galaxias eut pris la mer. Le privilège maritime
grève la chose au moment où l'obligation dont il
garantit l'exécution est contractée. En ce qui con-
cerne le Galaxias, l'équipage et les propriétaires
grecs du navire, la lex loci des obligations est
indubitablement la Grèce. Je suis donc d'avis que
le droit grec s'applique à la réclamation de NAT,
même en ce qui concerne les éléments de cette
réclamation qui sont nés dans le port de
Vancouver.
Me George Bournis, du Barreau du Pirée, a
témoigné devant la Cour au sujet des règles de
droit grec relatives à la façon dont les créances de
NAT sont traitées dans ce pays. En dépit des
quelques difficultés que j'ai éprouvées à cause de
la barrière linguistique, on m'a de façon générale
convaincu qu'on m'a fourni suffisamment de ren-
seignements au sujet des règles de droit grec appli-
cables à NAT et à ses créances.
Selon Me Bournis, les sommes dues à NAT, les
retenues salariales et les cotisations des propriétai-
res se voient accorder le même «privilège» en droit
maritime grec que celui dont jouit le salaire des
marins. Cela est confirmé par la traduction fournie
à la Cour de l'article 205 du Code de droit mari
time, Loi n° 381611958 de la République de
Grèce:
[TRADUCTION] Article 205—Les créances privilégiées suivan-
tes ont priorité sur le navire et la cargaison dans l'ordre suivant:
a) Les frais de justice engagés dans l'intérêt commun de tous
les créanciers, les droits et les frais afférents au navire, les
taxes afférentes à la navigation, les frais de gardien et
d'entretien engagés depuis l'arrivée du navire au dernier port.
b) Les créances du capitaine et des membres de l'équipage
découlant d'un contrat de travail, ainsi que les créances
relatives à la caisse de retraite des marins (Naftikon Apoma-
chicon Tameion).
c) Les dépenses découlant du sauvetage.
d) Les sommes dues au navire, aux passagers ou aux cargai-
sons en raison d'une collision.
Les privilèges ci-dessus mentionnés priment l'hypothèque.
[C'est moi qui souligne.]
Après avoir écouté le témoignage de Me Bour-
nis, je suis persuadé que les mots «créances privilé-
giées» qu'on trouve à l'article 205 se traduisent en
anglais par le mot «liens». Le mot «lien» correspond
au concept de «privilège» du droit civil et la Grèce
est un pays de droit civil.
Les droits conférés au titulaire de ces «créances
privilégiées» ou de ce que j'appellerai «privilèges»
correspondent aux droits dont jouit le titulaire de
privilège en droit maritime canadien—le droit de
suivre la chose entre les mains de l'acheteur de
bonne foi qui l'acquiert aux enchères publiques et
le droit d'être préféré au titulaire d'une hypothè-
que. J'en viens donc à la conclusion que le législa-
teur grec a créé par l'effet de la loi un privilège
maritime qui est essentiellement analogue au privi-
lège maritime du droit canadien.
Ayant défini pour les besoins de la présente
action le statut de la réclamation que fait valoir
NAT en droit grec, j'en viens maintenant à la
question de savoir comment un tribunal canadien
se prononcera sur un privilège maritime qui a été
valablement créé par le texte législatif d'un autre
pays.
Ce domaine du droit a été examiné à deux
reprises par la Cour suprême du Canada, ainsi que
par la Cour d'appel fédérale, dont l'arrêt a été
confirmé sans motifs par la Cour suprême. Ces
trois affaires concernaient toutes des réclamations
formulées par des pourvoyeurs d'approvisionne-
ments nécessaires américains. Aux Etats-Unis, la
réclamation du pourvoyeur d'approvisionnements
nécessaires se voit accorder la protection d'un pri-
vilège maritime par l'effet de la loi. En droit
maritime canadien, la réclamation du pourvoyeur
d'approvisionnements nécessaires ne se voit accor-
der qu'un droit in rem.
Dans ces trois décisions, la Cour suprême du
Canada et la Cour d'appel fédérale ont respective-
ment statué que le privilège maritime du créancier
américain était reconnu et qu'il prenait rang en
tant que tel au Canada, avec tous les avantages et
le droit de préférence conférés aux privilèges mari-
times dans ce pays.
Il semblerait donc que ces trois arrêts ont établi
le principe qu'au Canada, lorsque la lex loci du
navire (soit le pays d'immatriculation ou le droit
régissant le contrat en question) crée un privilège
maritime en faveur d'une personne, celle-ci a le
droit de réclamer les avantages d'un privilège
maritime en vertu de la lex fori. Ce sont ensuite
les règles de droit de la lex fori qui établissent
l'ordre de priorité de ces créances ou privilèges.
Les décisions qui appuient cette proposition sont:
Todd Shipyards Corp. c. Alterna Compania
Maritima S.A., [1974] R.C.S. 1248 (Le boannis
Daskalelis); Strandhill, The v. Walter W. Hodder
Co., [1926] R.C.S. 680 (The Strandhill); Marlex
Petroleum, Inc. c. Le navire «Har Rai», [1984] 2
C.F. 345 (C.A.); confirmé à [1987] 1 R.C.S. 57
(Le Har Rai).
Bien que ces trois affaires semblent avoir tran-
ché de façon définitive la question du traitement
des privilèges maritimes étrangers devant les tribu-
naux canadiens, l'avocat de Baseline Industries
Ltd. conteste le droit de NAT aux mesures de
redressement qu'il réclame. Pour ce faire, il invo-
que trois moyens:
I. Les droits accordés à NAT en droit grec n'équi-
valent pas à un privilège maritime;
II. La jurisprudence canadienne permet soit de
faire une distinction avec le principe énoncé dans
l'arrêt Le Ioannis Daskalelis, soit de s'en écarter;
III. La Cour fédérale n'a pas compétence pour
connaître d'une demande inter partes qui n'est pas
essentiellement une demande maritime.
I
Suivant le premier motif de contestation, les
droits accordés à NAT en droit grec n'équivalent
pas au privilège maritime qui existe en droit mari
time canadien, ou à quelque droit qui y serait
analogue. Par conséquent, NAT ne peut faire
valoir un droit in rem à. l'égard de la réclamation
dont il a saisi la Cour. Pour les motifs exposés
ci-dessus, cet argument ne peut réussir. À mon
avis, en droit grec, la réclamation de NAT équi-
vaut à un privilège maritime canadien, et l'avocat
n'a soumis aucune preuve ou aucun précédent qui
me permettrait de conclure autrement, eu égard
aux affirmations non contredites faites par Me
Bournis à ce sujet.
Je m'empresse d'ajouter que l'avocat avait tout
à fait raison dans son exposé du droit, car s'il avait
réussi à prouver que la demande formulée par
NAT n'était rien de moins qu'un privilège mari
time suivant le droit grec, je crois que NAT n'au-
rait même pas été admis à participer au présent
partage.
II
Dans son deuxième motif de contestation, l'avo-
cat de Baseline affirme que, selon la jurisprudence
canadienne, je dois faire d'autres subtilités et d'au-
tres distinctions en ce qui a trait au principe
voulant que les «tribunaux canadiens reconnaissent
les privilèges maritimes valablement créés dans un
territoire étranger>. Son argument peut se résumer
comme suit:
Un privilège maritime valablement créé dans la
lex loci sera reconnu comme tel dans la lex fori,
pourvu qu'il ait régulièrement fait l'objet d'un
privilège ou d'une créance maritime in rem dans
la lex fori. Ce n'est qu'alors qu'il prendra rang
conformément aux dispositions pertinentes de la
lex fori.
L'avocat de Baseline fait valoir qu'étant donné
que les arrêts de principe canadiens qui portent sur
la reconnaissance des privilèges maritimes étran-
gers découlaient tous les trois de la même situation
de fait étroite (les pourvoyeurs d'approvisionne-
ments nécessaires), il y a lieu pour moi de faire
une distinction entre ces affaires et, par consé-
quent, d'apporter une restriction au principe
énoncé par la Cour suprême.
Pour bien saisir les répercussions de l'argument
de l'avocat et ses ramifications possibles, il est
nécessaire d'examiner de façon assez détaillée non
seulement les arrêts de la Cour suprême, mais
également un arrêt antérieur rendu au Royaume-
Uni, l'arrêt The Colorado, lequel a été suivi dans
l'arrêt The Strandhill, ainsi qu'une décision
récente du Conseil privé (Bankers Trust Interna
tional Ltd. v. Todd Shipyards Corpn. (The Hal
cyon Isle), [1981] A.C. 221 (P.C.)), dans laquelle
le tribunal semble avoir suivi une approche com-
plètement différente de celle qu'ont adoptée nos
tribunaux.
Un des premiers arrêts les plus importants sur la
question de la reconnaissance des droits maritimes
créés dans un territoire étranger est l'arrêt The
Colorado, [1923] P. 102 (C.A.). Cette affaire
portait sur un navire qui battait pavillon français
et qui était grevé d'une hypothèque valablement
constituée en droit civil français. Le navire avait
été saisi et vendu au Royaume-Uni sur l'ordre de
certains pourvoyeurs d'approvisionnements néces-
saires gallois qui avaient effectué des réparations
sur le Colorado alors qu'il mouillait à Cardiff. Le
titulaire de l'hypothèque a comparu devant la
Cour une année complète après la vente du navire
et a réclamé une partie du produit de la vente.
La Cour d'appel d'Angleterre, qui a confirmé la
décision du juge de première instance, a statué
qu'en matière maritime, la nature du droit reven-
diqué doit être analysée d'après le droit régissant
le contrat dans le territoire où ce dernier a été
conclu, tandis que le recours que ce droit confère
est établi d'après le droit du lieu où siège le
tribunal devant lequel le créancier sollicite un
redressement. Le lord juge Atkin a déclaré, à la
page 110 de cet arrêt:
[TRADUCTION] Lorsque des parties sont en procès dans notre
pays au sujet de droits créés ailleurs, nous pouvons, le cas
échéant, pour déterminer leurs droits, nous tourner vers les
règles de droit du pays dans lequel le contrat a été conclu ou
dans lequel la chose sur laquelle on réclame des droits était
située, ou dans lequel la personne qui revendique le droit était
domiciliée. Mais pour déterminer les recours que le tribunal
accordera pour faire valoir les droits, nous devons nous tourner
vers les règles de droit de notre pays, la lex fori.
La Cour d'appel a donc procédé à une analyse
de la nature de l'hypothèque en droit français. Un
expert a témoigné qu'en droit français, l'hypothè-
que crée un droit in rem qui confère au titulaire de
l'hypothèque le droit de suivre le navire entre les
mains de tout acquéreur de bonne foi de la chose.
Leurs Seigneuries se sont donc dites d'avis que le
titulaire de l'hypothèque jouissait de droits analo
gues à ceux du titulaire d'un privilège maritime et
que le créancier devait être traité comme un titu-
laire de privilège (lienholder) par les tribunaux
anglais.
La Cour d'appel a ensuite appliqué les règles de
droit anglaises régissant l'ordre de priorité des
différentes créances. Tout comme le titulaire de
privilège maritime ou son équivalent, le titulaire de
l'hypothèque prend rang devant les pourvoyeurs
d'approvisionnements nécessaires, lesquels ne peu-
vent se prévaloir des avantages d'un privilège pos-
sessoire. Il est extrêmement important de remar-
quer qu'en France, la créance du titulaire d'une
hypothèque serait subordonnée à la créance du
pourvoyeur d'approvisionnements nécessaires dans
l'établissement de l'ordre de priorité, mais que cela
n'a eu aucune incidence sur l'issue de l'affaire dont
le tribunal anglais était saisi, étant donné que le
droit conféré au créancier est distinct du redresse-
ment sollicité.
L'arrêt The Colorado a jeté les bases du raison-
nement qui a été suivi dans l'arrêt The Strandhill
et, par la suite, dans les arrêts Le Har Rai et Le
bannis Daskalelis. Dans chacun de ces arrêts, il a
été statué que les contrats de fourniture d'approvi-
sionnements nécessaires conclus aux États-Unis
seraient traités par lés tribunaux canadiens selon le
droit des États-Unis pour ce qui est du fondement
des réclamations présentées, mais que ces contrats
prendraient rang conformément aux règles de droit
canadiennes pour ce qui est de l'ordre de priorité
de ce genre de réclamation dans un partage.
C'est ici que l'avocat de Baseline essaie d'appor-
ter une restriction à ce qui semblerait être une
règle générale en matière de reconnaissance de
privilèges maritimes étrangers au Canada. L'avo-
cat fait valoir qu'étant donné que les créances des
pourvoyeurs d'approvisionnements nécessaires au
Canada sont reconnues comme des créances in
rem, le fait qu'une loi américaine élève le statut de
ces créances pour en faire de véritables privilèges
maritimes revient simplement à polir une pomme
pour la rendre plus grosse et plus brillante. Il étend
son analogie à l'affaire dont je suis saisi et affirme
que la législation grecque qui crée un privilège
maritime en faveur de NAT constitue une tenta
tive de transformer une orange en une pomme et
qu'il est impossible que la Cour suprême ait envi-
sagé cette situation. Selon lui, on donne ainsi au
principe une extension qui dépasse toute limite
logique.
Malgré son attrait premier, je ne peux souscrire
à l'argument voulant que cette restriction puisse
être introduite dans le droit canadien. La Cour
suprême a clairement affirmé à plusieurs reprises
que les droits positifs des parties doivent ' être
déterminés d'après la lex loci. Le traitement que le
Canada, la lex fori, accorderait à cette créance en
droit interne n'entre pas en ligne de compte. Ainsi
que le juge Ritchie l'a déclaré à la page 1252 de
l'arrêt Le loannis Daskalelis, en citant la décision
rendue en première instance dans l'affaire The
Strandhill:
Lorsqu'il a rendu le jugement de première instance dans le
district d'amirauté de la Nouvelle-Ecosse, le juge Mellish,
J.L.A., a dit:
[TRADUCTION] Lorsqu'un privilège maritime existe, on ne
peut s'en débarrasser en changeant la chose de place. Un
jugement in rem rendu à l'étranger crée un privilège mari
time et même si les cours de notre pays n'eussent pas rendu
un tel jugement, on peut l'exercer ici par voie d'action in
rem. Mais un privilège maritime peut être créé par le droit
étranger autrement que par un jugement in rem; et s'il est
ainsi créé, je crois qu'on peut également l'exercer ici de la
même manière. Si les demandeurs ont juridiquement acquis
le droit à la chose elle-même en vertu du droit étranger, il
serait étrange qu'ils ne soient pas libres d'exercer ici leur
droit en la seule cour qui accorde un redressement in rem.
Il est important à ce moment-ci d'examiner la
façon dont, saisi d'une situation de fait pratique-
ment identique, un tribunal anglais en est venu à
une conclusion radicalement différente de celle de
la Cour suprême du Canada. Dans l'arrêt The
Halcyon Isle (précité), le Conseil privé s'est
penché sur la question de savoir si un pourvoyeur
d'approvisionnements nécessaires américain avait
le droit de réclamer les avantages d'un privilège
maritime lors du partage de la masse constituée à
la suite de la saisie et de la vente d'un navire à
Singapour. Le Conseil privé a expressément rejeté
le raisonnement formulé par la Cour suprême du
Canada dans l'arrêt Le bannis Daskalelis et a
statué que la création et l'ordre de priorité des
créances présentées contre la chose devaient être
déterminés d'après la lex fori, tout comme si les
événements à l'origine du droit s'étaient produits
au Royaume-Uni plutôt que dans le territoire où
ils s'étaient effectivement produits.
Pour en arriver à cette conclusion, le Conseil
privé a affirmé que la décision du juge Ritchie
dans l'arrêt Le bannis Daskalelis reposait sur une
analyse erronée de l'arrêt The Colorado (précité).
Leurs Seigneuries ont déclaré que l'arrêt The
Colorado ne portait d'aucune façon sur les privilè-
ges maritimes. À leur avis, l'allusion au droit
français n'avait pour but que de déterminer si
l'hypothèque en question pouvait ou non être con-
sidérée comme occupant le même rang qu'un
mortgage anglais et non d'établir si elle avait droit
au même traitement qu'un privilège maritime.
Cette affirmation est faite malgré le fait que le
lord juge Scrutton analyse manifestement l'hypo-
thèque en fonction de la terminologie des privilèges
maritimes et non comme s'il s'agissait de vérifier si
l'hypothèque est ou non analogue au mortgage
anglais.
En toute déférence pour leurs Seigneuries, je me
rallie à l'opinion du juge Ritchie, car j'estime que
la décision rendue dans l'affaire The Halcyon Isle
s'écarte manifestement de celle prononcée dans
l'affaire The Colorado et qu'elle est fondée sur une
conception erronée de la portée de cette affaire. En
tentant d'examiner la réclamation de NAT selon le
droit canadien, on s'écarterait manifestement du
raisonnement de la Cour suprême, et en se ran-
geant à l'opinion du Conseil privé, on ne refléterait
pas l'état du droit maritime canadien actuel.
Par ailleurs, précisons que la décision du Conseil
privé dans l'affaire The Halcyon Isle était loin
d'être unanime. Deux des cinq membres étaient
dissidents. Dans leur analyse des deux théories
opposées qui existent en matière de reconnaissance
des privilèges maritimes étrangers, les lords dissi
dents, lord Salmon et lord Scarman ont, tout en
approuvant finalement l'approche canadienne,
reconnu que la voie suivie par le Canada pouvait
être perçue comme un encouragement àla présen-
tation de réclamations fallacieuses par l'entremise
du processus législatif d'autres nations., Ainsi que
leurs Seigneuries l'ont déclaré dans leur jugement
dissident conjoint, à la page 244:
[TRADUCTION] Qu'on l'envisage sous l'angle du droit maritime
ou sous celui des règles du droit international privé, la question
qu'il faut se poser et à laquelle il faut répondre dans le présent
appel est la suivante: le droit anglais et le droit de Singapour
reconnaissent-ils un privilège maritime étranger alors qu'aucun
n'existerait si la créance était née en Angleterre ou à Singa-
pour? Quelle que soit la réponse, le résultat est insatisfaisant.
Si l'on répond par l'affirmative, les nations maritimes pourront
être tentées d'édicter des lois «chauvines,, qui confèrent des
privilèges sur un grand nombre de créances, de façon à permet-
tre aux créanciers d'obtenir à l'étranger une préférence qui est
refusée aux créanciers nationaux; si l'on y répond par la
négative, les créanciers qui ont fait crédit au navire sur la foi de
leur privilège risquent de se retrouver amèrement déçus. Si le
droit maritime était un véritable code universel, ces dangers
disparaîtraient. Malheureusement, les nations maritimes,
malgré tous leurs efforts, n'ont pas réussi à uniformiser leurs
règles en matière de privilèges maritimes: voir le sort qu'ont
connu les deux conventions de 1926 et de 1967 (British Ship
ping Laws, 2e éd., vol. 8 (1973), aux pages 1392 et 1397) dont
chacune porte (avec optimisme) le titre de Convention interna-
tionale pour l'unification de certaines règles relatives aux privi-
lèges et hypothèques maritimes. Bien qu'il ait signé les deux, le
Royaume-Uni n'a ratifié ni l'une ni l'autre... Devant une
pareille confusion, la politique est un guide incertain quant aux
règles de droit. Les principes offrent de meilleures perspectives
d'avenir.
Les réserves de leurs Seigneuries sont louables,
vu les avantages que comporte une approche uni-
forme du droit maritime international. La mobilité
des navires est telle que ceux que se livrent au
commerce maritime devraient pouvoir le faire en
sachant qu'ils jouiront de droits et d'obligations
uniformes quel que soit le lieu où leurs déplace-
ments les conduiront. Toutefois, en attendant que
cette situation idéale soit atteinte, j'aurais préféré
un résultat plus «chauvin» ou du moins le senti
ment que les tribunaux canadiens sont capables de
sauvegarder les intérêts des Canadiens qui fournis-
sent des services à des navires étrangers et qui
n'ont aucune façon de vérifier si les navires sont ou
non grevés à leur insu d'une foule de charges.
En examinant les trois arrêts canadiens précités,
j'ai le sentiment que, dans chacun d'entre eux, le
résultat était dicté dans une certaine mesure par le
fait que les créanciers étaient américains, qu'ils
étaient citoyens d'un partenaire commercial
majeur de notre pays. Je peux comprendre que nos
tribunaux répugneraient à prêter leur concours à
une personne qui n'a qu'à traverser un cours d'eau
ou un lac et à gagner les eaux canadiennes pour se
soustraire à ses obligations contractuelles. Je suis
prêt à supposer que le résultat obtenu pourrait être
fort différent dans le cas où la masse disponible
serait limitée et où les droits d'un créancier cana-
dien seraient subordonnés à ceux d'un titulaire de
privilège étranger dont il serait impossible de pré-
voir l'existence. Voilà, il me semble, le principe
directeur à l'origine de la décision de la majorité
dans l'affaire The Halcyon Isle (précitée).
Dans l'affaire qui m'a été soumise, il s'avère que
la partie qui risque de perdre le plus est un créan-
cier hypothécaire grec qui connaissait bien NAT et
qui ne peut plaider la surprise à la découverte
d'une charge secrète.
Malgré l'analyse utilisée par la Cour suprême
du Canada, je ne crois pas que nos tribunaux
seront inévitablement amenés à reconnaître les
réclamations fallacieuses faites à l'égard de privilè-
ges maritimes censés avoir été créés par voie légis-
lative dans un territoire étranger. Dans l'arrêt The
Strandhill (précité), on a discuté des limites à
apporter à l'application du principe général. Le
juge Newcombe a statué qu'un privilège étranger
ne pouvait être exercé au Canada lorsque la recon
naissance de ce privilège irait à l'encontre de l'or-
dre public canadien ou lorsque le contrat en ques
tion est nul pour cause d'immoralité. Le juge
Newcombe a écrit ce qui suit, aux pages 686 et
687 de l'arrêt Strandhill:
[TRADUCTION] Bien sûr, on ne peut pas dire que le contrat
est nul pour cause d'immoralité ni qu'il va à l'encontre du droit
positif qui l'interdit et j'estime par conséquent que le droit
découlant de ce contrat ou créé à titre accessoire peut être
reconnu et exercé, si le tribunal auquel le demandeur s'est
adressé a la compétence requise.
Un des principes fondamentaux du droit inter
national privé veut que lorsqu'on prouve qu'il va à
l'encontre du droit positif d'un pays, le droit étran-
ger ne sera pas appliqué par les tribunaux de ce
pays. L'application de ce principe est illustrée par
l'arrêt Laane & Baltser v. Estonian S.S. Line,
[1949] R.C.S. 530; [1949] 2 D.L.R. 641 dans
lequel la Cour suprême a refusé de reconnaître
l'expropriation d'un navire qui avait été ordonnée
aux termes d'un jugement émanant d'un État
étranger, en raison de la nature pénale du
jugement.
À la différence de la situation en cause dans
l'arrêt Laane (précité), NAT est un organisme
public dûment constitué qui est chargé d'adminis-
trer certains fonds à l'avantage des marins grecs
qui ont travaillé à bord du Galaxias et je ne crois
pas que la reconnaissance de cet organisme et de
son droit de participer au produit de la vente irait
de quelque façon que ce soit à l'encontre de l'ordre
public canadien.
Si, toutefois, un autre territoire prétendait créer
des privilèges maritimes à l'égard des obligations
fiscales personnelles impayées du propriétaire du
navire ou de ses obligations impayées en matière
d'impôt sur le revenu des sociétés, je crois qu'un
tribunal canadien refuserait de faire droit à l'exer-
cice d'un tel privilège et qu'il motiverait son refus
par le fait que reconnaître ce privilège irait à
l'encontre de l'ordre public canadien.
Le droit maritime canadien existe en partie pour
reconnaître les réclamations in rem faites par toute
personne qui fournit des services à un navire.
L'objet de cette règle est évidemment de reconnaî-
tre que ceux qui s'occupent de l'entretien d'un
navire et qui le garde productif créent un avantage
qui profite à tous ceux qui ont des droits sur le
navire. Le droit maritime a établi que les autres
créanciers du navire doivent reconnaître l'impor-
tance des services rendus à celui-ci et que la
plupart des autres créances sont subordonnées à
celles des marins et des personnes qui effectuent
des réparations sur le navire et qui en ont la
possession.
Dans l'arrêt The Strandhill (précité), le juge
Newcombe a déclaré, aux pages 684 et 685 de son
jugement:
[TRADUCTION] Dans l'arrêt The Ripon City ([1897] P.D.
226, aux p. 241, 242, 243, 246), le juge Gorrell Barnes a dans
son jugement instructif adopté la définition de lord Tenterden
et a dit:
La définition du privilège maritime reconnue en droit
maritime qu'a donnée lord Tenterden a donc été retenue.
C'est une créance privilégiée sur une chose en raison d'un
service qui lui a été rendu ou d'un dommage qu'elle a pu
causer. On lui donne effet par voie judiciaire.
Une des créances les plus importantes qui, selon
ce que l'on reconnaît depuis longtemps, donne lieu
à un privilège maritime est la créance relative au
salaire des marins, lequel comprend leurs émolu-
ments. Le fait que l'on reconnaisse que tous les
attributs du droit des marins à leurs salaires et
avantages donnent lieu à un privilège, comme le
gouvernement grec est censé l'avoir fait, s'accorde
parfaitement avec l'ordre public canadien. Le fait
que le gouvernement canadien n'ait pas créé un
privilège analogue au profit des marins canadiens
n'a aucune incidence sur la validité de la créance
de NAT. Depuis plus de soixante ans, les pour-
voyeurs d'approvisionnements nécessaires améri-
cains jouissent de droits supérieurs à ceux des
pourvoyeurs d'approvisionnements nécessaires
canadiens devant les tribunaux canadiens par
application du même principe de droit. À mon
avis, il ne s'agit pas d'un cas où la politique devrait
l'emporter sur le principe.
III
Le troisième argument qui a été formulé devant
moi veut que je n'aie pas compétence pour connaî-
tre de la réclamation que fait valoir NAT, car il ne
s'agirait pas fondamentalement d'une réclamation
maritime. Pour traiter de cette question, je ferai
quelques commentaires d'ordre général sur la
question de la compétence et je les appliquerai
ensuite précisément à la réclamation de NAT.
La compétence de la Cour fédérale en matière
de droit maritime a été analysée de façon exhaus
tive par la Cour suprême du Canada à plusieurs
occasions au cours de la dernière décennie. J'ai
examiné cette jurisprudence et je crois comprendre
que la Cour fédérale a compétence en matière
maritime si les trois conditions suivantes sont
respectées:
I . Il doit y avoir attribution de compétence par une loi du
Parlement fédéral.
2. Il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui
soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de
l'attribution légale de compétence.
3. La loi invoquée dans l'affaire doit être »une loi du Canada»
au sens où cette expression est employée à l'art. 101 de la Loi
constitutionnelle de 1867.
(Le juge McIntyre dans l'arrêt ITO—Interna-
tional Terminal Operators Ltd. c. Miida Electro
nics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752, à la page
766.)
Il est évident, à la lecture de ce même jugement,
que l'article 22 de la Loi sur la Cour fédérale
[S.R.C. 1970 (2° Supp.) chap. 10] suffit à satis-
faire aux exigences purement législatives du critère
à trois volets. En ce qui a trait à la deuxième
condition, le juge McIntyre poursuit en écrivant, à
la page 769 de l'arrêt ITO:
Pour décider si la deuxième condition est remplie, il faut
déterminer si le droit maritime canadien ou une autre loi du
Canada se rapportant à une matière quelconque relevant de la
catégorie ou du sujet que constituent la navigation et les
expéditions par eau sont essentiels à la solution du litige et
constituent le fondement de l'attribution légale de compétence.
Sur ce point, aucune »autre loi du Canada» n'a été mentionnée
comme étant essentielle à la solution du litige ou comme
constituant le fondement de la prétention qu'il y a attribution
légale de compétence à la Cour fédérale.
Le droit maritime canadien, tel qu'il est défini à l'art. 2 de la
Loi sur la Cour fédérale, peut être divisé en deux catégories. Il
s'agit du droit:
(1) dont l'application relevait de la Cour de l'Échiquier du
Canada, en sa juridiction d'amirauté, en vertu de la Loi
sur l'Amirauté ou de quelque autre loi; ou
(2) qui en aurait relevé si cette cour avait eu, en sa juridiction
d'amirauté, compétence illimitée en matière maritime et
d'amirauté.
À la page 774 du même jugement, le juge
McIntyre conclut que bien que dans certains cas la
compétence se fonde sur un précédent historique,
dans d'autres, une approche plus large doit être
adoptée. Il déclare:
Une méthode historique peut servir à éclairer, mais ne saurait
autoriser à limiter. A mon avis, la seconde partie de la défini-
tion que donne l'art. 2 du droit maritime canadien a été adoptée
afin d'assurer que le droit maritime canadien comprenne une
compétence illimitée en matière maritime et d'amirauté. A ce
titre, elle constitue une reconnaissance légale du droit maritime
canadien comme ensemble de règles de droit fédérales portant
sur toute demande en matière maritime et d'amirauté. On ne
saurait considérer ces matières comme ayant été figées par la
Loi d'amirauté, 1934. Au contraire, les termes «maritime» et
«amirauté» doivent être interprétés dans le contexte moderne du
commerce et des expéditions par eau ...
Pour résoudre la question de la compétence, il
n'est donc plus nécessaire de procéder à une ana
lyse historique minutieuse pour déterminer si la
réclamation présentée par une caisse de retraite de
marins aurait pu être considérée comme une
créance ou un privilège maritime en droit maritime
anglais, tel qu'il pouvait exister en 1891 ou en
1934.
Déjà dans l'arrêt The Strandhill, précité, la
Cour suprême reconnaissait que le pouvoir de
donner effet aux privilèges légaux américains ne
reposait pas sur l'existence d'une disposition com
parable dans la législation canadienne. La question
à examiner était de savoir si la Cour fédérale (qui
s'appelait alors la Cour de l'Échiquier) aurait eu
compétence si une disposition législative compara
ble avait été adoptée par voie législative au
Canada. Dans l'arrêt The Strandhill, la Cour n'a
pas hésité à répondre, suivant les faits qui lui
étaient soumis, que c'était le cas. J'estime égale-
ment que si le gouvernement fédéral devait créer
un organisme semblable à NAT et garantir le
remboursement des sommes d'argent dues à
celui-ci au moyen de privilèges maritimes, notre
Cour aurait indubitablement compétence pour
connaître des réclamations relatives aux privilèges
créés de cette façon.
Il existe toutefois une façon beaucoup plus
simple d'envisager toute la question de la compé-
tence. Si le droit canadien exige que nous déci-
dions si une créance équivaut à un privilège mari
time d'après la lex loci de la créance, je ne vois pas
comment la Cour fédérale serait incompétente sur
ce que le droit international privé canadien consi-
dère comme un privilège maritime dans notre
pays. J'estime que c'est l'approche qui a été adop-
tée dans l'arrêt Le Har Rai. L'alinéa 22(2)m) et le
paragraphe 43(3) de la Loi sur la Cour fédérale
sembleraient limiter le droit in rem des pour-
voyeurs d'approvisionnements nécessaires au cas
où celui qui était propriétaire en equity du navire
au moment de l'introduction de l'action est le
même que celui qui en était propriétaire en equity
au moment où l'obligation a été contractée. Toute-
fois, dans une affaire dans laquelle un pourvoyeur
d'approvisionnements nécessaires américain reven-
diquait un privilège maritime à l'égard d'une obli
gation qui était née alors que l'identité de proprié-
taires en equity exigée par le paragraphe 43(3)
n'existait pas, la Cour a statué qu'elle avait compé-
tence pour recevoir et donner effet à la réclama-
tion. Ainsi que le juge Le Dain l'a déclaré à la
page 355 de l'arrêt Le Har Rai:
À mon avis, la compétence pour donner effet à un privilège
maritime concernant des approvisionnements nécessaires doit
être considérée comme un domaine de compétence qui s'ajoute
à celui que confère l'alinéa 22(2)m) de la Loi relativement à
une demande relative à des approvisionnements nécessaires qui
n'est pas garantie par un privilège maritime. S'il en était
autrement, la restriction imposée par le paragraphe 43(3) de la
Loi à la compétence en matière réelle de la Cour concernant
une demande mentionnée à l'alinéa 22(2)m)—cette compétence
ne pouvant être exercée à moins que, au moment où l'action est
intentée, le navire n'ait-pour propriétaire en equity celui qui en
était le propriétaire en equity au moment où la cause d'action a
pris naissance—enlèverait au privilège l'un de ses principaux
effets.
Essentiellement, la Cour tirait sa compétence du
fait que le créancier jouissait d'un privilège mari
time en droit américain et que ce privilège pouvait
être reconnu en vertu de la compétence générale
conférée par le paragraphe 22(1) et non en raison
de l'énumération des demandes in rem au paragra-
phe 22(2).
Même si cette analyse est trop simpliste, je note
que la réclamation de NAT n'est pas entièrement
sans analogie dans la législation canadienne.
À titre d'exemple, les paragraphes 284(1) et
284(2) de la Loi sur la marine marchande du
Canada, S.R.C. 1970, chap. S-9, prévoient u-n
mécanisme par lequel une autorité peut se faire
rembourser des dépenses afférentes aux besoins
médicaux des marins «devant la cour où les marins
peuvent recouvrer des gages et de la manière
prévue en l'espèce». Cela crée à mon sens un
privilège maritime en faveur de l'autorité publique
appropriée. Je remarque que la Cour suprême de
l'Ile-du-Prince-Edouard a statué (Household
Finance Çorp. of Canada v. Hill; C.N.R. Co.,
Garnishee (1970), 13 D.L.R. (3d) 737), que les
sommes retenues sur le salaire des marins à titre
de prestations de retraite constituaient des «émolu-
ments» aux termes d'une version antérieure de la
Loi sur la marine marchande du Canada, en
l'occurrence, S.R.C. 1952, chap. 29, et qu'elles ne
peuvent donc faire l'objet de procédures de saisie-
arrêt sous le régime d'une loi provinciale.
La contestation de l'avocat de Baseline selon
laquelle notre Cour n'a pas compétence pour con-
naître de la réclamation de NAT se fonde princi-
palement sur l'arrêt The Acrux, [1965] 2 All E.R.
323 (H.C. Adm. Div.). Les faits de cette affaire
étaient remarquablement similaires à ceux de l'af-
faire dont je suis saisi. Dans l'affaire The Acrux,
une personne morale constituée sous le régime des
lois de l'Italie en vue d'accorder des avantages
sociaux aux marins italiens revendiquait un privi-
lège maritime à l'égard d'un montant important de
cotisations dues par des marins et des propriétai-
res. Le juge Hewson de la Division d'amirauté de
la Haute Cour d'Angleterre s'est dit d'avis que le
créancier devait avoir le droit de revendiquer un
privilège maritime (à la page 331). Toutefois, il
estimait qu'il n'avait pas compétence pour considé-
rer la réclamation. Il a soutenu que la réclamation
ne pouvait prendre rang en vertu de l'alinéa 1(1)o)
de l'Administration of Justice Act, 1956 [(R.-U.),
4 & 5 Eliz. 2, chap. 46], lequel ressemble à l'alinéa
22(2)o) de la Loi sur la Cour fédérale («toute
revendication de salaires, d'argent, de biens ou
d'une autre forme de rémunération ou de presta-
tions découlant de son engagement faite par un
capitaine, un officier ou un autre membre de
l'équipage d'un navire»). La réclamation faite par
NAT ne tombe pas sous le coup de l'alinéa
22(2)o), pour les motifs exposés par le juge
Hewson. Ce n'est pas une revendication faite «par
un capitaine, un officier ou un autre membre de
l'équipage d'un navire».
Le juge Hewson a poursuivi en examinant un
extrait de l'ouvrage Dicey's Conflict of Laws (7e
édition), dans lequel l'auteur affirme que toute
action in rem intentée devant un tribunal anglais
doit se rapporter à une question ou à une demande
qui relève expressément de la compétence en ami-
rauté, telle qu'elle est définie par le droit interne.
Il a déclaré à la page 331, au sujet de la décision
du lord juge Scott dans l'affaire The Tolten.
United Africa Co., Ltd. v. Owners of M.V. Tolten,
[1946] 2 All E.R. 372 (C.A.):
[TRADUCTION] À mon avis, ce privilège maritime particulier,
qui concerne des prestations d'assurance impayées, n'est pas
reconnu par notre Cour. Compte tenu de l'approbation que le
lord juge SCOTT a fait de l'énoncé de DICEY, je ne peux étendre
la compétence en equity de notre Cour de façon à l'inclure:
c'est au législateur ou peut-être à un tribunal supérieur qu'il
appartient de le faire. On ne m'a cité aucune jurisprudence
pour démontrer, comme j'aimerais pouvoir le faire, qu'il m'est
loisible d'étendre la compétence à l'avantage des créanciers
étrangers lorsque les créanciers anglais ne se voient pas confé-
rer des avantages similaires. [C'est moi qui souligne.]
À mon avis, cet extrait fait ressortir la diffé-
rence qui existe entre les règles de droit du
Royaume-Uni et celles du Canada.
En premier lieu, il existe de nombreux précé-
dents dans notre pays qui donnent à notre Cour
compétence pour reconnaître un privilège mari
time dans le cas où un commerçant national n'au-
rait pas droit d'en bénéficier. Au surplus, étant
donné que le tribunal canadien détermine la nature
de la réclamation d'après la lex loci, même si la
réclamation n'est pas énumérée à l'un ou l'autre
des alinéas du paragraphe 22(2) (comme dans
l'arrêt Le Har Rai), le fait même qu'elle est
valablement constituée en tant que privilège mari
time dans la lex loci suffit à la faire relever de la
compétence de la Cour fédérale.
L'affaire The Acrux repose peut-être sur une
situation de fait similaire, mais les règles de droit
sous-jacentes sont totalement différentes. Je n'ai
pas l'intention de suivre cet arrêt.
La condition finale du critère à trois volets pour
l'établissement de la compétence est exposée en
termes simples par le juge McIntyre à la page 777
de l'arrêt ITO (précité):
La troisième condition, savoir que la loi en question soit une loi
du Canada au sens où cette expression est employée à l'art. 101
de la Loi constitutionnelle de 1867, est aussi remplie du fait
que le droit maritime canadien et les autres lois qui portent sur
la navigation et les expéditions par eau relèvent du par. 91(10)
de la Loi constitutionnelle de 1867, confirmant ainsi la compé-
tence législative fédérale.
J'en viens donc à la conclusion que dans la
mesure où il peut être prouvé, le montant réclamé
par NAT constitue un privilège maritime qui est
reconnu par notre Cour et qui prendra rang en
conséquence.
Finalement, on a prétendu devant moi que les
sommes dépensées par NAT pour payer le salaire
des membres de l'équipage après la saisie et pour
rapatrier les marins avaient été versées de plein
gré. Bien que ces créances eussent fait l'objet d'un
privilège maritime entre les mains des hommes
d'équipage en cause, l'avocat fait valoir qu'un
privilège ne peut être transféré et qu'il s'est donc
éteint au moment où NAT s'est porté volontaire et
a fourni lui-même l'argent. Cet argument est
dénué de tout fondement. On a soumis des élé-
ments de preuve pour démontrer que suivant le
droit grec les frais de rapatriement et les salaires
doivent être payés dans la situation extraordinaire
dans laquelle l'équipage du Galaxias se trouvait.
Le libellé de l'article 205b) du Code de droit
maritime (précité) «les créances relatives à la
caisse de retraite des marins» n'exclut pas les
sommes d'argent versées aux marins immobilisés.
Le montant de la créance de NAT est entièrement
protégé par un privilège maritime et sera traité en
conséquence.
L'avocat de Baseline Industries Ltd. et de la
Banque nationale de Grèce S.A. fait valoir un
autre argument auquel j'accorde une attention très
spéciale: il prétend que le privilège maritime n'est
pas un droit indélébile, que c'est un droit qui peut
être éteint par un comportement qui, de la part du
titulaire du privilège, équivaudrait à une inertie ou
à un acquiescement. Étant donné qu'il s'agit d'une
question qui concerne à juste titre l'ordre de prio-
rité, j'y reviendrai sous cette rubrique plus loin.
(ii) et (iii) SALAIRES DES MARINS, Y COMPRIS
LE PRIVILÈGE MARITIME REVENDI-
QUÉ PAR LES MEMBRES DE L'ÉQUI-
PAGE ET PAR LES MUSICIENS
En plus des membres de l'équipage du Galaxias
qui se trouvaient à bord du navire à partir du Pirée
(leur droit à un privilège maritime pour ce qui
concerne leur salaire est incontestable), les musi-
ciens de l'orchestre «Passport of Acapulco» reven-
diquent également un privilège maritime. Les
membres de l'orchestre ont été engagés au Mexi-
que pour jouer à bord du Galaxias tant en route
pour Vancouver qu'une fois que le navire mouille-
rait à cet endroit. Ils réclament 23 427,20 $ à titre
de salaires impayés.
Je suis persuadé que les termes «marin» et
«membre de l'équipage» qu'on trouve respective-
ment dans la Loi sur la marine marchande du
Canada (précitée) et dans la Loi sur la Cour
fédérale (précitée) doivent recevoir une interpréta-
tion très large (Balodis et autres c. Navire «Prince
George», [1985] 1 C.F. 890 (lie inst.)). Il est
également depuis longtemps reconnu qu'un navire
de croisière a des besoins particuliers en matière
d'équipage et que ces besoins dépendent de la
nature de l'entreprise (par ex., Connor v. The
«Flora» (1898), 6 R.C.E. 131).
À mon avis, un orchestre de musiciens engagé à
contrat pour divertir en mer les passagers à bord
d'un navire de croisière fait partie intégrante de
l'équipage, au même titre que le personnel de
cuisine, les garçons de bord et les mousses. Il reste
donc à décider si le fait que le Galaxias a par la
suite mouillé à Vancouver et a été raccordé à la
rive pour devenir un «hôtel flottant» a eu pour effet
de changer la nature de l'engagement des musi-
ciens, de telle sorte que le salaire imputable à la
dernière partie de leurs services ne se verrait pas
accorder la protection d'un privilège maritime.
Dans son affidavit du 13 avril 1987 déposé à
l'appui de la réclamation de tous les membres de
l'orchestre «Passport of Acapulco», Eric Coche-
grus-Montes affirme que les membres de l'orches-
tre sont montés à bord du navire de croisière
Galaxy (sic) le 17 juin 1986 et qu'ils ont joué
jusqu'au 28 septembre 1986, date à laquelle leur
emploi a pris fin. Il a déposé comme annexe à son
affidavit le contrat conclu entre les agents des
propriétaires et l'orchestre et il semble évident que
l'orchestre a été engagé pour vivre et jouer à bord
du navire pour la période stipulée, sans qu'aucune
distinction soit faite entre la période en mer et la
période durant laquelle le Galaxias devait mouiller
dans le port de Vancouver. Je remarque également
que le commissaire du Galaxias, Elias Metaxas, a
inscrit chacun des membres de l'orchestre au rôle
d'équipage sous la rubrique [TRADUCTION] Liste
du personnel additionnel, et qu'il en a tenu compte
dans son calcul du [TRADUCTION] «total général
des membres d'équipage» sur cette liste (annexe C
de l'affidavit de Eric Cochegrus-Montes).
Je suis d'avis que la définition du terme «marin»
n'est plus limitée par des termes comme [TRADUC-
TION] «par vocation un homme de mer» et par les
tâches qui s'y rapportent (Macbeth & Co. v. Chis-
lett, [1910] A.C. 220 (H.L.), à la page 223). J'ai
également examiné la jurisprudence relative aux
services fournis par les ingénieurs et les gardiens
de nuit (par ex., Llido c. Le Lowell Thomas
Explorer, [1980] 1 C.F. 339 (1« inst.)) et je ne
crois pas que cette jurisprudence soit utile en ce
qui concerne ce point de droit. Il est facile d'établir
une distinction avec ces affaires, car dans les deux
cas, le tribunal a jugé que le créancier n'était pas à
bord du navire et qu'il ne faisait pas partie de
l'équipage, dans des situations très différentes de
celle qui m'est soumise.
Il est également intéressant de noter que si
l'avocat prétend que la mise à quai du navire
comme «hôtel flottant» et son raccordement au
quai suffisaient à modifier la nature de l'emploi
des membres de l'orchestre, cela pourrait aussi
vraisemblablement s'appliquer non seulement au
reste de l'équipage, mais également à tout autre
revendicateur de privilège subséquent, y compris le
gardien de quai, Baseline Industries Ltd. Cela
n'est manifestement pas le cas, et j'en viens donc à
la conclusion que les musiciens ont droit à un
privilège maritime à l'égard du salaire qu'ils ont
gagné pendant toute la durée de leur emploi, y
compris les frais de rapatriement et les intérêts.
À cet égard, ils sont dans la même situation
qu'Elias Metaxas et autres et le reste de l'équi-
page, lesquels ont indubitablement droit à un privi-
lège maritime à l'égard du montant prouvable de
leur réclamation, avec intérêts.
(iv) LA CRÉANCE DES POURVOYEURS D'APPROVI-
SIONNEMENTS NÉCESSAIRES AMÉRICAINS
Deux particuliers, un certain M. Czech et un
certain M. Legge, ont dûment produit une déclara-
tion et des affidavits à l'appui dans lesquels ils
réclament les avantages d'un privilège maritime en
tant que pourvoyeurs d'approvisionnements néces-
saires au Galaxias lors de sa traversée entre Le
Pirée, en Grèce, et Vancouver, en Colombie-Bri-
tannique. Ces personnes n'ont pas comparu et
n'étaient pas représentées à l'audience du 4 janvier
1988, même s'il semblerait que M. Czech ait de
toute façon été informé de la date de l'audience
bien à l'avance, qu'il ait en fait soumis une lettre
au greffe et qu'il ait demandé qu'elle soit soumise
à la Cour conformément à la Règle 324 [Règles de
la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663].
L'affirmation que ces créances constituent des
privilèges maritimes m'a causé bien du souci, en
raison de l'existence des décisions susmentionnées,
à savoir, les arrêts The Strandhill et Le bannis
Daskalelis (précités), qui sembleraient établir hors
de tout doute que les tribunaux canadiens recon-
naissent le privilège maritime valablement créé
que détient un pourvoyeur américain d'approvi-
sionnements nécessaires. Inutile de dire que ces
créanciers auraient droit à un ordre de priorité
élevé dans le partage du produit de la vente, si les
documents qu'ils produisent établissent qu'ils ont
droit à un privilège maritime.
Malgré la directive formulée dans l'arrêt Le
bannis Daskalelis et autre au sujet du traitement
accordé au privilège maritime légal américain une
fois qu'il est établi, il incombe naturellement aux
créanciers d'établir que leur créance constituerait
un privilège maritime valide en vertu des règles de
droit américaines applicables. Je tiens également
compte du fait qu'en l'absence de preuve adéquate
contraire, il m'est permis de présumer que les
règles de droit relatives à la question dont je suis
saisi sont les mêmes que celles du Canada sur la
question (Fernandez c. «Mercury Bell» (Le),
[1986] 3 C.F. 454, (sub nom. «Mercury Bell» (Le
navire) c. Amosin et autres) 27 D.L.R. (4th) 641
(C.A.)).
Un examen des documents produits par les
créanciers américains révèle l'existence des docu
ments suivants:
(i) un affidavit d'un procureur canadien (qui n'a
pas reçu d'autres directives et qui n'agit plus
comme procureur commis au dossier) qui présente
sans explication une foule de documents photoco-
piés (l'affidavit de Sachs);
(ii) deux affidavits produits par un autre procu-
reur (du même cabinet) qui y affirme que les
créanciers Czech et Legge ont chacun droit à un
privilège maritime grevant le navire Galaxias pour
des montants de 58 000 $ et de 290 432 $ (U.S.)
respectivement, pour avoir fourni l'argent qui a
servi à payer le salaire des membres de l'équipage
et à acheter du mazout et des provisions (les
affidavits de Cunningham);
(iii) un affidavit signé par le créancier Czech per-
sonnellement, dans lequel celui-ci réitère les allé-
gations faites par Cunningham dans son affidavit
au sujet de sa créance;
(iv) l'affidavit d'un autre procureur du cabinet
précité contenant certaines observations au sujet
des privilèges maritimes américains et, en annexe,
un document intitulé [TRADUCTION] «Contrat de
mandat et de garantie» vraisemblablement conclu
entre les créanciers et un certain M. Brian L.
Burry, agent de l'affréteur du navire (l'affidavit de
Perrett);
(y) l'affidavit de Brian Burry dans lequel ce der-
nier précise qu'il a reçu de l'argent des créanciers
et qu'il a soit lui-même acheté les approvisionne-
ments nécessaires pour le navire ou qu'il a remis
l'argent à M. Berry Jones, qui l'a utilisé pour
acheter les approvisionnements nécessaires;
(vi) la lettre écrite par M. Czech à la Cour dans
laquelle il précise qu'il revendique un privilège
maritime à l'égard des sommes payées et que M.
Czech est disposé à fournir tout autre document
dont la Cour pourrait avoir besoin.
La Règle 1008 des Règles de la Cour fédérale
dispose que la Cour jouit d'un pouvoir discrétion-
naire étendu pour régler la procédure concernant
le partage du produit de la vente de biens saisis en
vertu d'un mandat. Le paragraphe 1008(2) est
ainsi libellé:
Règle 1008... .
(2) Aux fins d'une demande faite en vertu de l'alinéa (1), la
Cour pourra, au moment où elle rend l'ordonnance de vente des
biens à tout moment par la suite, donner des instructions au
sujet des avis à donner aux autres réclamants éventuels et de
cet argent, et au sujet de la publicité à faire à leur intention, au
sujet du délai dans lequel les réclamants sont tenus de déposer
leurs demandes et, d'une façon générale, au sujet de la procé-
dure à suivre pour permettre à la Cour de statuer équitable-
ment sur les droits des parties, et de rendre jugement sur une ou
plusieurs demandes réclamant de l'argent consigné à la Cour;
une fin de non-recevoir doit être opposée à toute demande qui
n'est pas faite dans le délai fixé et de la manière prescrite par
une telle ordonnance de la Cour, et la Cour pourra procéder au
jugement des autres demandes et répartir l'argent entre les
parties qui y ont droit sans tenir compte des demandes auxquel-
les une fin de non-recevoir a été ainsi opposée. [C'est moi qui
souligne.]
Aux termes d'une ordonnance prononcée le 10
novembre 1987, notre Cour a prescrit que toute
personne qui désirait présenter un témoignage
d'opinion au sujet du droit étranger devait le faire
au plus tard le 9 décembre 1987 et que le détail
des réclamations devait être soumis au plus tard
le 23 novembre 1987. J'ai donc l'intention de
statuer sur les droits des réclamants Legge et
Czech d'après les documents qu'ils ont produits ou
qui ont été présentés pour leur compte jusqu'à
maintenant.
Exception faite des réclamations elles-mêmes, la
seule preuve produite au sujet du droit américain
se trouve au paragraphe 4 de l'affidavit de Perrett,
dont je reproduis le texte en entier:
[TRADUCTION] 4. Me David T. McCune, un avocat expéri-
menté en droit maritime qui exerce comme associé dans le
cabinet de Lillick, McHose et Charles à San Francisco, m'in-
forme des faits suivants que je crois sincèrement:
«À prime abord, je suis d'avis, après avoir examiné le contrat
de mandat en date du 20 mai 1986 (signé par Brian L.
Burry), la liste des versements effectués sur les sommes
avancées par les demandeurs William S. Czech et John
Legge pour permettre au «Galaxias» de se rendre de la Grèce
à Vancouver (Colombie-Britannique) et les factures à l'appui
et les autres documents où sont exposés les détails des
versements en question, en supposant que le droit des États-
Unis s'applique au contrat, que les demandeurs ont acquis
des privilèges maritimes contre le Galaxias dans la mesure où
les sommes qu'ils ont avancées aux termes du contrat ont été
utilisées pour exécuter les obligations donnant lieu aux privi-
lèges maritimes, ce qui inclut expressément les avances ver
sées pour payer le salaire de l'équipage, le mazout, les
provisions et les frais de port.» [C'est moi qui souligne.]
Même si j'étais disposé à accepter l'affirmation
de M. Perrett suivant laquelle il croit sincèrement
l'évaluation que M» McCune fait de la position des
réclamants, l'opinion d'un expert n'est pas receva-
ble devant notre Cour lorsque l'expert n'est pas
disponible pour être contre-interrogé (article 482
des Règles de la Cour fédérale (précitées)). En
tout état de cause, un examen attentif de la cita
tion fait ressortir un problème qui est fatal à
l'allégation des réclamants. M» McCune déclare
que les versements effectués par Czech et Legge
feraient l'objet d'un privilège maritime en «suppo-
sant que le droit des États-Unis s'applique au
contrat>. M» McCune ne précise pas si c'est le cas
ou non. A mon avis, ce n'est manifestement pas le
cas.
Le contrat de mandat et de garantie n'a pas été
signé par les créanciers, seulement par Brian L.
Burry. Son objet est de pourvoir au transfert de
fonds entre les créanciers et le propriétaire du
Galaxias de l'époque, Hellenic Cruise Lines. Cette
compagnie est grecque. Le Galaxias était un
navire battant pavillon grec et les sommes transmi-
ses au cours de la traversée ont été déboursées en
Grèce, aux îles Canaries, à Aruba, à Panama, aux
États-Unis, au Mexique et au Canada. Les créan-
ciers étaient américains et les versements ont été
faits en dollars américains. La preuve ne donne
aucun indice sur le lieu où le contrat a été signé.
La mise de fonds des réclamants est garantie par
une compagnie canadienne, qui était alors un des
acheteurs éventuels du Galaxias.
Le choix de la loi du contrat doit être déterminé
selon les règles de droit du Canada, la lex fori. En
l'absence de disposition expresse ou tacite sur le
choix des règles de droit applicables, celui-ci doit
être déterminé d'après le droit avec lequel l'opéra-
tion entretient les rapports les plus étroits et les
plus réels (Castel, J.-G. Conflict of Laws.• cases,
notes and materials, (2 e éd.) page 530). En l'ab-
sence de toute preuve contraire convaincante, je
statue qu'il s'agit du droit du pavillon du Galaxias,
en l'occurrence, le droit grec.
Il n'est plus nécessaire d'examiner la question du
privilège des créanciers en droit américain. Rien
n'indique qu'en droit grec le pourvoyeur d'approvi-
sionnements nécessaires se voit conférer un privi-
lège maritime. Je mettrais donc les réclamants
Czech et Legge sur le même pied que les pour-
voyeurs d'approvisionnements nécessaires cana-
diens, lesquels sont des créanciers in rem.
J'aimerais également faire remarquer que l'en-
semble de la preuve administrée par les créanciers
est très loin d'établir la validité de l'une ou l'autre
de ces créances. Bien qu'il ait été produit de toute
évidence pour appuyer la requête en modification
de la déclaration, l'affidavit de Perrett n'aurait pas
été suffisant pour établir que l'arrangement conclu
entre les créanciers et M. Burry pour Hellenic
Cruises donnerait droit aux avantages d'un privi-
lège maritime en droit américain.
(V) LE PRIVILÈGE POSSESSOIRE REVENDIQUÉ PAR
BASELINE
Baseline Industries Ltd. (Baseline), un gardien
de quai de Vancouver, réclame plus de 450 000 $
pour des services rendus au navire avant le 24
mars 1987, lesquels services comprennent le mouil-
lage et les réparations, ainsi qu'il est précisé dans
l'affidavit de Birmingham en date du 23 novembre
1987. Baseline allègue également qu'elle était en
possession du navire au moment où le prévôt de la
Cour fédérale en a pris le contrôle et que seuls les
titulaires de privilèges maritimes ont le droit d'être
colloqués avant elle, car elle détenait un privilège
possessoire sur le Galaxias. L'avocat de Baseline a
reconnu que le privilège possessoire ne vaut que
jusqu'à concurrence de 5 652,67 $, c'est-à-dire du
montant dépensé pour réparer et améliorer le
Galaxias. Le reste de la créance concerne les
approvisionnements nécessaires fournis au navire
et fait l'objet d'une créance in rem. L'arrêt de
principe cité par Baseline au sujet du privilège
maritime des réparateurs est l'arrêt Montreal Dry
Docks Co. v. Halifax Shipyards (1920), 69 R.C.S.
359. Conformément à cet arrêt, je suis persuadé
que la réclamation que fait valoir Baseline au sujet
des réparations possède les attributs d'un privilège
possessoire et elle sera traitée comme tel. Le reste
de la réclamation de son client prendra rang
comme créance légale in rem.
(vi) LES RÉCLAMATIONS DES POURVOYEURS
CANADIENS D'APPROVISIONNEMENTS NÉ-
CESSAIRES
Les nombreuses réclamations faites par les pour-
voyeurs canadiens d'approvisionnements nécessai-
res sont des réclamations in rem. Elles visaient des
services de blanchissage, la fourniture d'approvi-
sionnements, des réparations, des services médi-
caux et des services de promotion. Ces réclama-
tions sont à juste titre recevables contre le produit
de la vente du Galaxias, en vertu des alinéas
22(1)m) et 22(1)n) de la Loi sur la Cour fédérale.
(vii) CRÉANCES DE LA CRÉANCIÈRE HYPOTHÉ-
CAIRE BANQUE NATIONALE DE GRÈCE S.A.
La créancière hypothécaire détient vraisembla-
blement cinq créances hypothécaires privilégiées
dont le remboursement accuse un retard considéra-
ble. Le montant de ces créances équivaut à environ
trois fois la valeur du produit de la vente. Les
documents produits pour le compte de la créan-
cière hypothécaire, à savoir, l'affidavit de Steve E.
Yannakeas (souscrit le 22 avril 1987) et l'avis
demandant l'admission présentent et exposent
amplement la documentation invoquée par la
créancière hypothécaire. L'authenticité et l'effet
des créances hypothécaires n'ont pas été contestés.
(viii) ORDRE DE PRIORITÉ DES CRÉANCES
Les règles de droit relatives à l'ordre de priorité
des privilèges ont été clairement analysées par le
juge suppléant Keirstead dans le jugement
Comeau's Sea Foods Ltd. c. Le «Frank and
Troy», [1971] C.F. 556 (1fe inst.), à la page 560:
Rang des privilèges: Le rang des privilèges devient important
lorsque la valeur de la chose est insuffisante pour satisfaire
toutes les revendications portées sur elle. Certaines règles géné-
raies ont été énoncées dans le but de déterminer un ordre de
préférence, mais ces règles souffrent de nombreuses exceptions.
L'ordre de préférence des privilèges peut généralement être
établi de la façon suivante:
(i) les frais de mobilisation du capital consécutifs à la vente
de la chose: The Immacolata Concezione (1873) 9 P.D. 37;
(ii) les privilèges maritimes;
(iii) les privilèges possessoires;
(iv) les hypothèques;
(v) les privilèges légaux.
La date à laquelle un bien est grevé d'un privilège est
essentielle pour déterminer cet ordre. Un privilège maritime
grève un bien à la survenance de l'événement qui lui a donné
naissance. Un privilège possessoire existe lorsque le réclamant
obtient la possession du bien. Le privilège légal existe lors-
qu'une poursuite est intentée pour le faire valoir.
Ainsi que le juge de district Keirstead l'a déclaré
ci-dessus, ces règles souffrent cependant de nom-
breuses exceptions. J'ai déjà évoqué la question des
considérations d'équité dont il faut tenir compte
dans l'établissement de l'ordre de priorité des pri-
vilèges maritimes. J'étudierai maintenant à fond
cette question.
Je suis persuadé que les considérations d'équité
peuvent jouer un rôle important dans l'établisse-
ment de l'ordre de priorité des créances, ainsi qu'il
ressort à l'évidence de l'arrêt Montreal Dry Docks
(précité). Cette jurisprudence semble reposer sur
la théorie de l'enrichissement sans cause (Mont-
real Dry Docks) ou sur celle de l'inertie et de
l'acquiescement (Can. Steamship Lines v. The
«Rival», [1937] 3 D.L.R. 148 (C. de. l'É.)).
Comme le juge Walsh l'a déclaré dans le juge-
ment Osborn Refrigeration Sales and Services Inc.
c. Le Atlantean I, [1979] 2 C.F. 661 (1« inst.), à la
page 686:
On ne peut certes pas écarter les règles fondamentales relati
ves à l'ordre de préférence, mais il existe des précédents où,
dans des cas d'espèce, il a fallu tenir compte des considérations
d'équité.
Sur le même sujet, l'avocat des membres de
l'équipage a également cité un ouvrage de doctrine
britannique, à savoir, British Shipping Laws,
(1980), D. R. Thomas, vol. 14, la page 281:
[TRADUCTION] La Cour d'amirauté, en accord avec les
tribunaux de common law et d'equity, reconnaît depuis long-
temps les risques que comportent les «réclamations périmées» et
insiste donc pour que ces réclamations soient présentées avec
une célérité raisonnable. Le titulaire de privilège qui ne s'oc-
cupe pas de sa créance risque fort de se retrouver devant un
tribunal peu sympathique à sa cause et peu disposé à lui offrir
un recours, surtout si le retard s'accompagne d'un manque de
diligence ou s'il est établi qu'il a causé un préjudice à des tiers.
Compte tenu de la nature du privilège maritime, il est évident
que l'inactivité dont fait preuve un titulaire de privilège est
susceptible de causer un préjudice important à l'innocent et à
l'imprévoyant. Ce risque était déjà reconnu dans l'arrêt The
Bold Buccleugh, dans lequel le Conseil privé a allié les pruden-
tes restrictions de la théorie de l'inertie à son énoncé du
privilège maritime nouvellement inventé. Sir John Jervis a fait
observer:
»Il n'est pas nécessaire de dire que le privilège est indélébile
et qu'il ne peut pas se perdre par négligence ou par retard,
lorsque le droit des tiers risque d'être compromis; mais
lorsqu'on fait preuve d'une diligence raisonnable et que la
poursuite est intentée de bonne foi, le privilège peut être
exercé à l'encontre de toute personne qui se trouve en
possession de la chose».
Avant mai 1986, le Galaxias se trouvait dans les
eaux territoriales grecques. À ce moment-là, les
cotisations étaient en souffrance depuis trois ans,
et peut-être même depuis plus longtemps. Malgré
cela, NAT a permis au navire de quitter les eaux
grecques et d'appareiller pour le Canada pour
contracter d'autres obligations envers des fournis-
seurs de bonne foi au Canada et, vraisemblable-
ment, aux États-Unis.
Sauf erreur, les pouvoirs dont je dispose en
equity pour modifier l'ordre de priorité établi
depuis longtemps en droit maritime canadien ne
devraient être excercés que lorsque cela est néces-
saire pour empêcher une injustice flagrante. Il ne
m'apparaît pas immédiatement évident qu'il est
probable que cela se produise si je n'interviens pas.
En ce qui concerne les réclamations de NAT qui
ont une incidence sur les créances de la Banque
nationale de Grèce S.A., la Banque de Grèce doit,
comme je l'ai déjà affirmé, être bien au courant
des pouvoirs que la loi confère à NAT et elle ne
peut invoquer la surprise en ce qui concerne la
réclamation de NAT. En outre, il sied mal à la
Banque de soulever la question de l'inertie pour le
compte de NAT, car elle a, elle aussi, permis au
Galaxias de quitter les eaux grecques alors qu'il
était grevé d'une hypothèque qui, pour autant que
je sache, correspondait à une somme dépassant de
plusieurs fois la valeur évaluée du navire.
Les créances des pourvoyeurs d'approvisionne-
ments nécessaires canadiens prennent indiscutable-
ment rang après celles de la créancière hypothé-
caire et, vu le montant considérable dû au titre de
la créance hypothécaire, le rang qu'occupe la
créance de NAT n'a aucune incidence sur elles.
Le titulaire de privilège possessoire Baseline
recevra probablement le montant peu élevé de sa
créance privilégiée, peu importe que NAT
obtienne ou non gain de cause. Je remarque égale-
ment, après étude du renvoi soumis à M. Charles
Stinson au sujet du paiement des frais de plus de
150 000 $ du prévôt relatifs à l'entretien et à la
vente du Galaxias, que Baseline ne s'en tire pas les
mains vides et j'estime qu'il n'existe aucune raison
de faire appel pour cette raison à des principes
d'équité pour modifier les règles régissant l'ordre
de priorité.
J'estime toutefois qu'il ne convient pas de collo-
quer le salaire des marins pari passu avec les
créances de NAT et avec les privilèges des pour-
voyeurs d'approvisionnements nécessaires améri-
cains, si ceux-ci avaient été établis. Même si la
Cour reconnaît que l'adoption d'une loi étrangère
peut créer un privilège maritime, je ne crois pas
que l'établissement de l'ordre de priorité de ce
genre de créance ait déjà été expressément exa-
miné en jurisprudence canadienne, surtout en
matière de salaire de marins. Historiquement, ces
privilèges maritimes se sont vu accorder une préfé-
rence incontestée et j'ai l'intention de faire de
même.
J'aimerais également bien préciser qu'il y a lieu
de retenir sur le salaire brut réclamé par les
marins le montant de leurs cotisations, car ces
sommes font partie des privilèges maritimes récla-
més par NAT. En outre, les frais de rapatriement
et les salaires supplémentaires déjà payés par
NAT pour les marins ou pour leur profit doivent
être retranchés des créances des marins et être
ajoutés à la réclamation de NAT.
Bien que je ne sois pas disposé à exercer ma
compétence en equity en faveur de l'une ou l'autre
partie à l'instance en modifiant l'ordre de priorité
de leurs créances respectives, j'ai, pour les motifs
exposés, l'intention de rendre, en ce qui concerne
les frais et les intérêts, certaines ordonnances qui
refléteront le déplaisir que j'éprouve au sujet de
l'attitude dont NAT a fait preuve dans la présente
action et dans les actions connexes.
NAT s'est manifestement soumis à la compé-
tence de notre Cour et a eu amplement l'occasion
de faire valoir ses réclamations devant moi. Il y a
réussi dans une très large mesure et recevra la
presque totalité du montant considérable de sa
créance. Bien que sa position juridique soit en fin
de compte fondée, je ne suis pas persuadé que le
comportement qu'a adopté NAT comme partie
permette à la Cour de tenir compte de l'équité
dans l'adjudication des dépens ou dans le verse-
ment d'intérêts sur sa créance.
Au cours de cette action, plusieurs créanciers
ont présenté une requête en vue de la tenue d'une
audience de justification au sujet d'un possible
outrage au tribunal de la part de NAT. Devant
l'ordonnance par laquelle la Cour a prescrit sans
équivoque que soit produit le certificat de radia
tion qui permettrait à l'acquéreur du Galaxias
d'immatriculer le navire en Grèce à son nom,
NAT a plaidé, après un retard important, qu'il
était incapable de produire un tel certificat. Il a
fait valoir que la délivrance d'un tel certificat
relevait du pouvoir discrétionnaire du ministre de
la Marine marchande, que ce dernier avait refusé
d'accéder à sa demande, qu'il avait les mains liées
et qu'il n'avait pas l'intention de commettre un
outrage.
J'ai accepté cet argument, parce que le ministre
de la Marine marchande n'était pas partie à l'ins-
tance et que j'estimais qu'il n'y avait pas lieu dans
les circonstances de prononcer une ordonnance
pour outrage au tribunal. J'estimais cependant que
les frais et les débours devaient être accordés à la
partie qui avait intenté la poursuite pour outrage
et j'en ai tenu compte dans mon ordonnance.
Cependant, à part la question de l'outrage, je
n'oublie pas que pratiquement tous les frais de
l'action connexe T-2297-87 intentée par le prévôt
adjoint contre l'acquéreur Global Cruises S.A. ont
été occasionnés par le défaut de l'organe approprié
du gouvernement grec de produire le certificat en
question. Tous les frais qu'a engagés Global pour
formuler la demande reconventionnelle et pour
contester l'action était également à mon avis rai-
sonnables et compréhensibles et découlaient direc-
tement du défaut de NAT de préciser aussitôt que
possible que la délivrance du certificat échappait à
son pouvoir et qu'il était même probable que le
Ministre la refuse.
En outre, Global a éprouvé d'énormes difficultés
à prendre des arrangements au sujet du paiement
du solde du prix d'achat, à cause des préoccupa-
tions formulées par les investisseurs au sujet de
l'attitude du ministre de la Marine marchande.
Global a également été forcée de faire des frais
pour s'occuper du changement de pavillon du
Galaxias à Antigua et il lui est en réalité à toutes
fins utiles interdit de piloter le Galaxias dans les
eaux grecques, ce qui, selon l'acquéreur, est une
des raisons pour laquelle Global était intéressée à
acquérir le navire.
Certaines des parties à l'instance ont été forcées
de participer à plusieurs requêtes supplémentaires
en raison de la conduite de NAT et toutes les
parties ont souffert des longs retards apportés à
distribuer le produit de la vente. Au même
moment, NAT faisait elle-même valoir activement
devant moi une réclamation, en sachant très bien
que les règles de droit et d'equity l'emporteraient,
peu importe ses activités.
Par ailleurs, tant les préposés à l'administration
de la masse que ceux du greffe de la Cour fédérale
ont dû faire des dépenses considérables pour res-
pecter les exigences procédurales de la significa
tion des documents pertinents en Grèce et pour
fournir une traduction en grec des ordonnances de
la Cour.
Quoique je pense toujours que NAT ne s'est pas
rendu coupable d'outrage au tribunal, j'estime très
profondément que la Cour ne demeurera pas
impassible devant ce qui équivaut à un chantage
de sa part. NAT a demandé à la Cour de statuer
au fond sur sa réclamation, mais garde pourtant en
réserve un outil puissant contre l'acquéreur du
Galaxias, vraisemblablement pour parer à l'éven-
tualité d'un refus de la Cour de reconnaître les
réclamations qu'il fait valoir. Même si ce compor-
tement n'équivaut pas techniquement à un outrage
au tribunal, il m'incite à prononcer les ordonnan-
ces suivantes au sujet des frais et des intérêts.
Le 6 janvier 1988, j'ai prononcé dans l'action
T-2297-87 un jugement oral qui a été suivi par un
jugement écrit le 10 février 1988. Les dépens ont
alors été adjugés à la demanderesse Krochenski à
l'égard de l'action principale et de la demande
reconventionnelle introduite contre la défenderesse
Global Cruises S.A. Après avoir sérieusement
étudié l'affaire et après mûre réflexion, je suis
persuadé que les frais qui devaient être payés par
Global Cruises S.A. résultaient directement du
défaut de NAT de faire le nécessaire pour obtenir
la délivrance du certificat exigé par l'entremise du
ministre de la Marine marchande, ou du moins de
son omission d'informer la Cour avec franchise et
en temps opportun des problèmes qu'il éprouvait.
Si ces frais ont déjà été taxés et payés, j'ordonne
qu'ils soient remboursés à Global par NAT; s'ils
n'ont pas déjà été payés, ils seront versés au
demandeur Krochenski par NAT directement,
après taxation. Les frais engagés par Global l'ont
été également comme conséquence directe des
agissements et de l'attitude de NAT par le biais de
son ministre et j'ai l'intention d'ordonner que les
frais de Global dans l'action T-2297-87 soient
taxés et payés par NAT.
En ce qui concerne les intérêts réclamés par
NAT sur les sommes qui lui sont dues dans l'ac-
tion T-2406-86, je suis persuadé que les disposi
tions de la loi grecque applicable en matière d'inté-
rêts sont plus que généreuses et que, suivant une
interprétation, elles pourraient donner lieu à un
taux presque usuraire. J'ai donc sérieusement envi-
sagé la possibilité de ne pas accorder les intérêts
réclamés pour la période pendant laquelle le
Galaxias se trouvait à l'extérieur des eaux territo-
riales grecques.
Finalement, et avec un certain regret, j'estime
que le montant d'intérêt réclamé doit être accordé
en entier, ainsi que le prévoit le droit grec, jusqu'à
la date de la saisie du navire. Jusqu'à cette date, la
prétention de NAT à un privilège maritime est
déterminée d'après la lex loci de la réclamation, en
l'occurrence, le droit grec. Des privilèges mariti-
mes pouvaient valablement grever le navire jusqu'à
ce que ce droit soit suspendu ou remplacé. La loi
grecque applicable garantit au moyen d'un privi-
lège maritime le paiement de l'intérêt réclamé sur
les cotisations impayées et cette créance devrait
être reconnue.
Cependant, après la saisie, le droit à des intérêts
est un redressement qui est déterminé d'après la
lex fort et, pour les motifs exposés ci-dessus, j'es-
time que NAT a perdu son droit de demander à la
Cour d'examiner la possibilité de lui accorder ce
montant. Cette restriction ne s'applique pas aux
sommes dépensées par NAT pour rapatrier les
membres de l'équipage et pour leur payer des
avances de salaire, ni aux sommes dues à NAT par
les membres de l'équipage. Ces montants seront
assujettis à un taux d'intérêt de 6 % par année.
Finalement, j'estime également qu'il convient
que j'ordonne que toutes les sommes dues à NAT
soient conservées par la Cour en attendant la
délivrance d'un certificat valide de radiation qui
suffirait à libérer le navire Galaxias de toutes les
créances impayées inscrites contre lui au Bureau
d'immatriculation grec. En outre, si l'acquéreur
Global le désire, l'immatriculation du Galaxias
aura lieu en Grèce au frais de NAT après que
toutes les formalités auront été dûment respectées.
La Cour reconnaît l'aide précieuse que lui a
fourni le procureur des marins, qui a obtenu entiè-
rement gain de cause dans la défense des créances
de ses clients devant notre Cour. Ses clients ont
bénéficié pendant toute la durée du procès d'une
position très privilégiée, mais le paiement a été
inutilement retardé pendant des mois en raison des
agissements de NAT ou de ceux du ministre de la
Marine marchande de Grèce. Je suis par consé-
quent disposé à faire droit à une requête pour
dépens pour un montant dépassant le tarif habituel
et à fixer un montant adéquat à cet égard et à
condamner NAT à payer les frais supplémentaires
que je pourrai accorder en plus de ceux prévus au
tarif.
Les autres parties ont droit à leur frais.
J'établis donc l'ordre de priorité des diverses
créances des parties de la façon suivante (j'ai déjà
statué sur la première créance):
1) Les frais du prévôt;
2) Le privilège maritime des marins (tous les
créanciers), y compris tous les salaires et frais de
rapatriement qui n'ont pas déjà été acquittés par
NAT, à l'exclusion des cotisations dues à NAT en
vertu de la loi; le privilège maritime revendiqué
par NAT à l'égard des frais de rapatriement, le
salaire versé aux membres de l'équipage et toutes
les retenues et cotisations impayées depuis l'arrivée
du navire au Canada; les intérêts, au taux de 6 %
par année; les honoraires du procureur de toutes
les personnes qui réclament du salaire et les frais
engagés pour faire venir à Vancouver un représen-
tant des marins lesquels frais sont fixés à 5 500 $,
ainsi que les frais de Global dans l'action
T-2297-87;
3) Le privilège maritime revendiqué par NAT à
l'égard du solde des cotisations et retenues
impayées accumulées avant l'arrivée au Canada et
les intérêts légaux accumulés sur cette somme
jusqu'à la date de la saisie;
4) Le privilège possessoire revendiqué par Base
line Industries Ltd. à l'égard seulement des
réparations;
5) La créance de la créancière hypothécaire
Banque nationale de Grèce S.A.;
6) Toutes les créances des pourvoyeurs canadiens
et américains d'approvisionnements nécessaires
présentées par des pourvoyeurs canadiens et celles
de tous les autres créanciers in rem visés par la loi,
pari passu.
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