A-491-88
Joan Mary Franklin (requérante)
c.
Ministre de la Santé nationale et du Bien-être
social et Douglas Benjamin Franklin (intimés)
RÉPERTORIÉ: FRANKLIN C. CANADA (MINISTRE DE LA SANTÉ
NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL)
Cour d'appel, juges Pratte, Marceau et Desjar-
dins—Vancouver, 27 octobre 1988.
Compétence de la Cour fédérale — Division d'appel —
Requête en annulation des procédures intentées en vertu de
l'art. 28 l'encontre d'une décision de la Commission d'appel
des pensions — L'art. 28(6) de la Loi sur la Cour fédérale
exclut expressément les décisions de la Commission des procé-
dures fondées sur l'art. 28(1) — L'art. 28(6) prive-t-il la Cour
du pouvoir d'examiner la décision de la Commission ou est-il
une clause privative destinée à restreindre le pouvoir d'examen
sous le régime de la common law et non pas à y faire échec?
Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits à
l'égalité — L'art. 28(6) de la Loi sur la Cour fédérale, qui
exclut les décisions de la Commission d'appel des pensions de
l'examen prévu à l'art. 28(1), ne va pas à l'encontre de l'art. 15
de la Charte — Il n'y a pas eu discrimination étant donné
l'existence d'autres façons possibles d'obtenir un examen
judiciaire.
Il s'agit d'une requête introduite par le procureur général en
vue de faire annuler les procédures intentées en vertu de
l'article 28 l'encontre d'une décision de la Commission d'ap-
pel des pensions.
Arrêt (le juge Desjardins étant dissidente): la demande
devrait être accueillie.
Le juge Marceau (avec l'appui du juge Pratte): La présente
requête est bien fondée. Le paragraphe 28(6) de la Loi sur la
Cour fédérale interdit l'institution de telles procédures. Il ne
s'agit pas d'une clause privative qui abroge le pouvoir prévu en
common law qu'ont les tribunaux supérieurs d'examiner les
décisions des tribunaux inférieurs, mais d'une déclaration selon
laquelle, dans certains cas, on ne peut se prévaloir du nouveau
recours prévu par la loi. On ne saurait dire de la disposition
qu'elle contrevient à l'article 15 de la Charte parce qu'elle est
discriminatoire. On ne saurait pas non plus conclure que les
autres formes possibles d'obtenir un examen judiciaire seraient
moins avantageuses que ce qui est prévu à l'article 28.
Le juge Desjardins (dissidente): Étant donné l'approche tra-
ditionnelle adoptée par les tribunaux judiciaires selon laquelle
le Parlement ne saurait avoir entendu que des délégués infé-
rieurs commettent un abus de pouvoir, et alors que le paragra-
phe 28(1) prévoit un pouvoir d'examen, il n'y a pas lieu de
statuer que le paragraphe 28(6) prive cette Cour du pouvoir
d'examen qu'elle tient de l'alinéa 28(1)a).
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 15.
Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, art.
61.5(10) (ajouté par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 21).
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3
(R. -U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5] (mod. par la
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, n° 1), art.
101.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap.
10, art. 28(1)a),b),c),(6).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS CITÉES:
Martins c. Le Ministre de la Santé nationale et du
Bien-être social, [1979] 1 C.F. 347; (1978), 92 D.L.R.
(3d) 767 (C.A.); Lee-Shanok c. Banque Nazionale del
Lavoro du Canada, [1987] 3 C.F. 578 (C.A.).
AVOCATS:
Charles E. D. Groos pour la requérante.
Paul F. Partridge pour l'intimé le ministre de
la Santé nationale et du Bien-être social.
Personne n'a comparu pour l'intimé Douglas
Benjamin Franklin.
PROCUREURS:
Doug Traill Memorial Law Centre, Vancou-
ver, pour la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé le ministre de la Santé nationale et du
Bien-être social.
L'INTIMÉ POUR SON PROPRE COMPTE:
Douglas Benjamin Franklin, Richmond
(Colombie-Britannique).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés à l'audience par
LE JUGE MARCEAU: La présente requête que le
procureur général a introduite en vue de faire
annuler les procédures intentées en vertu de l'arti-
cle 28 l'encontre d'une décision de la Commis
sion d'appel des pensions est, à mon avis, bien
fondée. Le paragraphe 28(6) de la Loi sur la Cour
fédérale [S.R.C. 1970 (2 ° Supp.), chap. 10] inter-
dit clairement et de façon non équivoque l'institu-
tion de telles procédures puisqu'il prévoit:
28. ...
(6) Nonobstant le paragraphe (1), aucune procédure ne doit
être instituée sous son régime relativement à une décision ou
ordonnance du gouverneur en conseil, du conseil du Trésor,
d'une cour supérieure ou de la Commission d'appel des pensions
ou relativement à une procédure pour une infraction militaire
en vertu de la Loi sur la défense nationale.
Il s'agit d'une exclusion formelle à laquelle cette
Cour n'a pas hésité à donner effet dès que l'occa-
sion s'est présentée dans l'arrêt Martins c. Le
Ministre de la Santé nationale et du Bien-être
social, [1979] 1 C.F. 347; (1978), 92 D.L.R. (3d)
767 (C.A.), et je ne vois pas comment elle aurait
pu faire autrement.
L'avocat de Mme Franklin soutient que la déci-
sion laconique dans l'affaire Martins, qui a été
rendue apparemment sans qu'il y ait eu plein débat
et, en tout état de cause, avant l'avènement de la
Charte [Charte canadienne des droits et libertés,
qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle
de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada,
1982, chap. 11 (R.-U.)], ne devrait pas être suivie
et, à l'appui de cet argument, il a adopté deux
positions dans son argumentation devant la Cour.
Il a tout d'abord prétendu qu'on devrait considé-
rer et interpréter le paragraphe 28(6) uniquement
comme une clause privative «excluant le recours au
certiorari», et qu'on devrait par conséquent l'inter-
préter—comme ces clauses sont toujours interpré-
tées par les tribunaux—de manière à restreindre la
portée du contrôle judiciaire auquel la décision est
normalement assujettie sous le régime de la
common law sans y faire échec complètement.
Cette Cour, dit-il, a déjà admis sa compétence sous
l'empire de l'alinéa 28(1)a) malgré qu'une disposi
tion législative interdise expressément tout examen
de la décision par un tribunal quelconque, par
exemple dans l'arrêt Lee-Shanok c. Banque
Nazionale del Lavoro du Canada, [1987] 3 C.F.
578 (C.A.); ne devrait-elle pas faire la même chose
en l'espèce, puisqu'il n'y a aucune raison d'appli-
quer aux clauses privatives «excluant le recours au
certiorari» promulguées dans la Loi sur la Cour
fédérale des règles d'interprétation différentes de
celles qu'on applique aux clauses de ce genre figu-
rant dans toute autre loi?
Ma réponse à ce premier argument de l'avocat
est qu'on ne saurait considérer et interpréter le
paragraphe 28(6) comme étant une clause priva-
tive, pour la raison fondamentale qu'il ne s'agit pas
d'une disposition visant à refuser, à limiter, à
modifier ou à entraver de quelque façon que ce soit
le pouvoir traditionnel et fondamental de contrôle
et d'examen prévu en common law et qu'exercent
les cours supérieures sur les tribunaux inférieurs. Il
y est dit simplement que, dans certains cas, on ne
peut se prévaloir du recours nouveau et spécial
créé par le paragraphe 28(1).
Subsidiairement, l'avocat de Mme Franklin a
prétendu que la Cour devrait déclarer le paragra-
phe 28(6) inconstitutionnel et refuser d'y donner
effet parce que, en refusant à ceux qui comparais-
sent devant la Commission d'appel des pensions un
droit d'examen dont peuvent se prévaloir ceux qui
sont touchés par les décisions d'autres commis
sions, cette disposition serait discriminatoire et
incompatible avec l'article 15 de la Charte.
Ma réponse ici est que, à supposer qu'une cour
créée par une loi spéciale, telle cette Cour, soit
libre de déclarer inconstitutionnelle une disposition
de la loi même d'où elle tire son pouvoir juridic-
tionnel pour ensuite se donner compétence dans
une affaire qui devrait lui échapper, il m'est tou-
jours impossible de voir comment on peut dire de
la disposition en cause en l'espèce qu'elle est discri-
minatoire en elle-même. Si on devait présumer que
le paragraphe 28(6) visait à interdire tout examen
judiciaire des décisions de la Commission d'appel
des pensions, l'argument pourrait alors donner lieu
à une certaine inquiétude. Mais je ne crois pas que,
à ce stade, une telle prétention soit possible et je ne
pense pas non plus qu'on puisse tenir pour acquis
que les autres façons possibles d'obtenir un
examen judiciaire seraient moins avantageuses
qu'une demande fondée sur le paragraphe 28(1).
J'accueillerais donc la demande et j'ordonnerais
l'annulation des procédures intentées en l'espèce.
LE JUGE PRATTE y a souscrit.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés à l'audience par
LE JUGE DESJARDINS (dissidente): La question
soulevée par la présente requête en annulation est
de savoir si le paragraphe 28(6) de la Loi sur la
Cour fédérale a pour effet de priver cette Cour du
pouvoir d'examiner une décision de la Commission
d'appel des pensions et, dans l'affirmative, si le
Parlement peut validement adopter une telle dispo
sition compte tenu de l'article 101 de la Loi cons-
titutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3
(R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5 (mod.
par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de
1982, n° 1)] et de l'article 15 de la Charte cana-
dienne des droits et libertés.
On voit dans la rédaction du paragraphe 28(6)
une exception au paragraphe (1) ainsi qu'une
mesure visant à protéger un groupe énuméré d'or-
ganismes, dont la Commission d'appel des pen
sions, contre toute procédure instituée sous le
régime de ce paragraphe (1)'.
L'argument qu'a fait valoir l'avocat de l'intimé
devant la Cour est que le paragraphe 28(6), quoi-
que figurant dans la Loi sur la Cour fédérale,
revêt le caractère d'une clause privative et ne
saurait dépouiller cette Cour du pouvoir d'examen
qu'elle tient de l'alinéa 28(1)a), ainsi qu'elle l'a
statué à l'égard du paragraphe 61.5(10) du Code
canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1
[ajouté par S.C. 1977-78, chap. 27, art 21] dans
l'arrêt Lee-Shanok c. Banque Nazionale del
Lavoro du Canada, [1987] 3 C.F. 578 (C.A.).
On peut certainement interpréter le paragraphe
28(6) comme retirant le pouvoir conféré à cette
Cour par le paragraphe 28(1), ce qui a pour
conséquence qu'elle n'a nullement compétence
pour exercer le recours prévu aux alinéas 28(1)a),
b) et c) à l'égard des décisions des organismes
énumérés.
J'estime qu'on peut également voir dans ces
dispositions une tentative de protéger ces organis-
mes contre le recours prévu par les alinéas
28(1)a), b) et c), selon le cas, sans pour autant
priver validement cette Cour du pouvoir qu'elle
aurait sans cela sous le régime de l'alinéa 28(1)a).
Cette interprétation repose sur le fait qu'on ne
'28....
(6) Nonobstant le paragraphe (1), aucune procédure ne doit
être instituée sous son régime relativement à une décision ou
ordonnance du gouverneur en conseil, du conseil du Trésor,
d'une cour supérieure ou de la Commission d'appel des pensions
ou relativement à une procédure pour une infraction militaire
en vertu de la Loi sur la défense nationale. [C'est moi qui
souligne.]
trouve nulle part dans le paragraphe 28(6) des
mots qui déclarent que cette Cour est «sans compé-
tence», comme ceux figurant au paragraphe 28(3)
et concernant la Division de première instance.
Étant donné l'approche traditionnelle adoptée
par les tribunaux judiciaires selon laquelle le Par-
lement ne saurait avoir entendu que des délégués
inférieurs commettent un abus de pouvoir, et alors
que cette Cour se voit conférer un pouvoir d'exa-
men sous le régime du paragraphe 28(1), j'opte
pour l'approche plus restrictive. Je dirai que le
paragraphe 28(6) ne prive pas cette Cour de son
pouvoir, prévu à l'alinéa 28(1)a) de la Loi sur la
Cour fédérale, d'examiner les décisions de la Com
mission d'appel des pensions.
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