T-7186-82
John Ernest Kenney (demandeur)
c.
Le navire Cape York, ses propriétaires et toutes
les autres personnes ayant un droit sur lui, ainsi
que National Sea Products Limited, personne
morale (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: KENNEY c. CAPE YORK (LE) (I" INST.)
Section de première instance, juge McNair—
Ottawa, 28 mars 1989.
Pratique — Frais et dépens — Le jugement a accordé au
demandeur des dommages-intérêts au montant de I 071 $ plus
l'intérêt couru avant comme après jugement, à compter de la
date à laquelle le préjudice avait été causé — Les défendeurs
avaient consigné un montant de 5 000 $ à la Cour avant le
procès — La Cour n'avait pas connaissance de ce paiement —
Les défendeurs réclament les frais de l'action à compter de la
date du paiement au motif que les dommages-intérêts accor
dés sont inférieurs au montant consigné — La Cour accepte la
pratique voulant que la consignation d'un montant à la Cour
ne soit pas révélée — Questions à examiner lors de la détermi-
nation de la question de savoir si les frais et dépens doivent
être accordés à compter de la date de la consignation.
Le demandeur, qui avait intenté une action pour compenser
le préjudice subi à la suite du pilotage négligent du chalutier
arrière des défendeurs, a obtenu un jugement lui accordant des
dommages-intérêts au montant de 1 072 $ plus l'intérêt couru
avant comme après jugement, à compter de la date à laquelle le
préjudice avait été causé, ainsi que ses frais taxés. Avant le
procès, les défendeurs avaient consigné un montant de 5 000 $ à
la Cour pour indemniser le demandeur à l'égard de toutes ses
causes d'action. Cette consignation n'a été révélée à la Cour
qu'après le prononcé du jugement qui a statué sur la responsa-
bilité et adjugé des dommages-intérêts. Alléguant que le mon-
tant adjugé était considérablement inférieur au montant consi
gné, les défendeurs réclament les frais qu'ils ont engagés dans
l'action à compter de la date de la consignation d'argent à la
Cour.
Jugement: l'adjudication des dépens sera modifiée pour
accorder au demandeur les frais taxables qu'il a engagés jus-
qu'à la consignation d'argent à la Cour et pour refuser tous
frais à qui que ce soit après cette date.
Les Règles de la Cour fédérale traitant de la consignation
d'un montant à la Cour ont été conçues pour promouvoir le
règlement des litiges en obligeant les demandeurs à réexaminer
leur position compte tenu du risque qu'ils courent d'être pénali-
sés au niveau des dépens.
De plus, il est préférable qu'aucune communication du fait
de la consignation d'argent à la Cour ne soit faite au juge avant
que toutes les questions relatives à la responsabilité et au
montant des dommages-intérêts n'aient été tranchées.
Le calcul du montant accordé par le jugement du demandeur
devrait comprendre l'intérêt couru avant jugement lorsqu'il
s'agit de déterminer si, relativement à la question des dépens, le
montant de ce jugement était inférieur ou supérieur au montant
consigné à la Cour. Lorsqu'il s'agit de déterminer si un défen-
deur devrait se voir accorder des frais à compter de la date de
la consignation d'argent à la Cour, l'augmentation de la durée
du litige qui est due à la contestation ainsi que la complexité
des questions à trancher sont au nombre des facteurs addition-
nels qui doivent être examinés.
LOIS ET RÈGLEMENTS
England, Rules of the Supreme Court (No. /) 1933, Ord.
22, Règles 1, 6 (mod. par les Rules of the Supreme
Court (No. 1) 1934).
Nova Scotia, Civil Procedure Rules, Règle 41.07.
Ontario, Rules of Civil Procedure, Règle 49.06.
Ontario, Rules of Practice, 1977, Règles 306, 317.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles
324, 337(2)a),b),(5)b), 344(1) (mod. par
DORS/87-221, art. 2), (3), 441, 442, 443.
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
Klaus v. Beck (1966), 59 D.L.R. (2d) 284; 58 W.W.R.
361 (C.A. Man.); Rushton v. Lake Ontario Steel Co.
Ltd. (1980), 29 O.R. (2d) 68 (H.C.); Ryan v. McGregor,
[1926] I D.L.R. 476 (C.A. Ont.).
DECISIONS EXAMINÉES:
Milligan v. Carter, [1935] 2 W.W.R. 662 (C.S. Alb.);
Fraser et al. v. Lochead et al. (1981), 126 D.L.R. (3d) 86
(H.C. Ont.); Findlay v. Railway Executive, [1950] 2 All
E.R. 969 (C.A.).
DOCTRINE
Sgayias, David et al., Federal Court Practice /988,
Toronto: Carswell, 1987.
AVOCATS:
Walton W. Cook, c.r. pour le demandeur.
Mark E. MacDonald pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Walton W. Cook, c.r., Lunenburg (Nouvelle-
Écosse), pour le demandeur.
Stewart MacKeen & Covert, Halifax, pour les
défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MCNAIR: Des motifs de jugement ont
été déposés en l'espèce avec le prononcé d'un juge-
ment formel le 10 janvier 1989. L'action intentée
par le demandeur visait à compenser le préjudice
subi à la suite du pilotage négligent du chalutier
arrière des défendeurs qui, le 14 septembre 1981,
en mer, était passé à proximité de son navire de
pêche et avait été à l'origine d'un emmêlement de
câbles. Le jugement a accordé au demandeur des
dommages-intérêts au montant de 1 072 $ plus
l'intérêt couru avant comme après jugement, à
compter de la date à laquelle le préjudice avait été
causé, au taux annuel de 8 %, ainsi que ses frais
taxés.
Le 5 octobre 1988, cinq jours avant le début du
procès, les défendeurs ont consigné à la Cour une
somme de 5 000 $ destinée à indemniser le deman-
deur à l'égard de toutes les causes d'action visées
par sa réclamation, y compris les intérêts et les
dépens. Le demandeur a été dûment avisé de cette
consignation, mais il a choisi de ne pas accepter
l'argent offert en règlement de sa cause d'action,
comme il était en droit de le faire. Les avocats des
défendeurs ont considéré qu'il était préférable que
je ne sois pas informé de cette consignation, et ce
fait ne m'a été communiqué qu'une fois prononcé
le jugement statuant sur la responsabilité et adju-
geant des dommages-intérêts. J'ai été avisé pour la
première fois de cette consignation dans une note
reçue du greffe d'Ottawa vers le 9 février 1989.
Cette note expédiait sous pli séparé le jugement
formel ainsi que ses motifs, une lettre en date du
16 janvier 1989 adressée par les procureurs des
défendeurs au greffe de Halifax et une lettre en
date du 31 janvier 1989 adressée à ce même greffe
par le procureur du demandeur. Les signataires de
ces lettres sont les avocats mêmes qui ont repré-
senté les parties lors du procès, et ils ont tous deux
convenu que ces lettres devaient être considérées
comme énonçant leurs prétentions respectives au
sujet de l'adjudication des dépens. Comme je l'ai
dit, le jugement a accordé au demandeur les frais
qu'il a engagés tout au long de l'instance.
L'avocat des défendeurs souligne que les dom-
mages-intérêts accordés, qui comprennent les inté-
rêts courus et les frais engagés jusqu'à la date de la
consignation du montant de 5 000 $ à la Cour, sont
considérablement moins élevés que ce montant. En
conséquence, prétend-il, les défendeurs devraient
avoir droit aux frais qu'ils ont engagés dans l'ac-
tion à compter de la date de la consignation à la
Cour.
L'avocat du demandeur soutient que les vérita-
bles frais du procès pourraient être supérieurs à
ceux auxquels le demandeur aurait droit jusqu'au
jour de la consignation, et il souligne que l'adjudi-
cation des dépens fait l'objet d'une discrétion judi-
ciaire qui doit être exercée en tenant compte des
circonstances particulières de l'espèce. Il s'appuie
également sur le fait que le demandeur a présenté
une réclamation de dommages-intérêts punitifs
fortement appuyée qui, bien qu'ayant échoué,
devrait être prise en compte lors de l'exercice du
pouvoir discrétionnaire en cause et contribuer à
justifier le refus de [TRADUCTION] «tous dépens à
la puissante partie défenderesse».
La Règle 344(1) [Règles de la Cour fédérale,
C.R.C., chap. 663 (mod. par DORS/87-221, art.
2)] codifie la règle fondamentale voulant que l'ad-
judication de dépens soit entièrement laissée à la
discrétion de la Cour. Les alinéas du paragraphe
(3) de la Règle 344 énumèrent certains des fac-
teurs devant être pris en considération par les
tribunaux dans l'exercice de leur pouvoir discré-
tionnaire d'adjuger des dépens; ainsi les tribunaux
doivent-ils notamment tenir compte:
Règle 344. (3) ...
a) du résultat de l'instance;
b) des sommes réclamées et des sommes recouvrées;
e) de l'importance des questions en litige;
f) de toute consignation d'argent à la Cour en vertu des règles
441 et suivantes et du montant de cette consignation;
g) de toute offre de règlement présentée par écrit;
j) de la complexité des questions en litige;
k) de la conduite d'une partie qui aurait abrégé ou prolongé
inutilement la durée de l'instance;
La Règle 441 traite de la consignation d'une
somme d'argent à la Cour en règlement de la
cause d'action faisant l'objet de la demande du
demandeur, tandis que les Règles 442 et 443 trai-
tent de façon générale des conséquences d'une telle
mesure au plan de la procédure. Ces Règles ne
prévoient aucune ligne directrice précisant l'effet
d'une consignation à la Cour sur l'adjudication des
dépens. Néanmoins, je suis d'avis qu'elles sont
conçues pour promouvoir le règlement des litiges
en obligeant les demandeurs à bien réfléchir avant
de poursuivre l'instance et de risquer d'être pénali-
sés au niveau des dépens. En disant cela, je ne fais
que répéter ce qu'ont dit les nombreuses décisions
judiciaires qui ont traité de cette question.
Dans l'arrêt Klaus v. Beck (1966), 59 D.L.R.
(2d) 284; 58 W.W.R. 361 (C.A. Man.), le juge
d'appel Monnin, énonçant l'opinion que la Cour a
dit aux pages 287 D.L.R.; 364 W.W.R.:
[TRADUCTION] Ces arrêts indiquent tous que le juge de
première instance est investi d'un pouvoir discrétionnaire inhé-
rent à sa fonction en ce qui concerne les dépens mais que,
lorsque le défendeur a consigné un montant à la Cour et que le
montant adjugé est inférieur au montant consigné, les frais et
dépens subséquents à la consignation devraient être accordés au
défendeur à moins qu'il n'existe des circonstances justifiant le
tribunal d'exercer son pouvoir discrétionnaire dans le sens
contraire.
Ce passage, à mon sens, constitue un excellent
énoncé de la règle générale qui a actuellement
cours.
Dans l'arrêt Milligan v. Carter, [1935] 2
W.W.R. 662 (C.S. Alb.), il était question d'une
collision d'automobiles et de négligence grossière
de la part du défendeur, qui avait consigné à la
Cour une somme de 769,50 $ en règlement de la
demande de la partie demanderesse. La partie
demanderesse s'est vue accorder des dommages-
intérêts de 653 $ plus les dépens. Les parties ont
ensuite présenté leurs arguments sur la question
des dépens, le défendeur prétendant qu'il devait
avoir droit aux frais de procès ainsi qu'à tous les
frais de procédure qu'il avait engagés subséquem-
ment à la consignation du montant susmentionné à
la Cour. La Cour a conclu que le défendeur devait
être privé de ces dépens dans les circonstances de
cette affaire.
Le juge en chef de la Division de première
instance Simmons a dit à la page 663:
[TRADUCTION] En ce qui concerne les frais du procès, je suis
d'avis que le défendeur devrait y avoir droit si aucune circons-
tance ne lui retirait le droit à ses dépens. Je considère que les
circonstances de la présente espèce m'autorisent à priver le
défendeur de ses frais de procès. La collision a été causée par
une négligence très grossière, ainsi qu'il ressortira des motifs de
jugement prononcés à la fin du procès. Seule une manoeuvre
très heureuse de la partie demanderesse a permis d'éviter que
l'accident ne cause des blessures très graves ou des pertes de
vie. Absolument rien ne justifiait le comportement grossière-
ment négligent du défendeur, qui a circulé du mauvais côté
d'une route très achalandée alors qu'une automobile s'appro-
chait et était parfaitement visible. Malgré ces circonstances, il a
continué de circuler sur la voie de gauche de la route, de sorte
que je me considère justifié d'imposer au défendeur la privation
de ses dépens, qui tiendra lieu de dommages-intérêts exemplai-
res ou punitifs pour sa conduite téméraire et déréglée.
Dans l'arrêt Fraser et al. v. Lochead et al.
(1981), 126 D.L.R. (3d) 86 (H.C. Ont.), M. le
juge Lerner a énuméré plusieurs facteurs devant
être pris en considération par les tribunaux pour
les justifier de s'écarter de la pratique générale
d'adjuger au défendeur ses dépens relatifs à la
période subséquente à sa consignation d'un mon-
tant à la cour lorsque le montant recouvré par le
demandeur est moindre que le montant consigné.
Parmi ces facteurs figurent les suivants [à la page
92]:
[TRADUCTION]
(a) la question de savoir si la consignation d'un montant à la
Cour a été faite à un moment laissant un délai raisonnable
avant le procès;
(b) la question de savoir si le défendeur a contesté sa responsa-
bilité et, si tel est le cas, avec quelle vigueur il l'a fait;
(c) l'écart entre le montant consigné à la Cour et le montant
accordé par le jugement;
(f) le comportement du défendeur (en particulier la question
de savoir si sa conduite était si déréglée qu'elle justifiait
l'adjudication d'un équivalent de dommages-intérêts exem-
plaires), et ...
Dans les circonstances de cette affaire particu-
lière, le juge avait exercé son pouvoir discrétion-
naire en accordant aux demandeurs les frais qu'ils
avaient engagés jusqu'au moment de la consigna-
tion ainsi que les honoraires d'avocat d'une journée
de procès et en refusant tous dépens à l'une ou à
l'autre partie pour la période subséquente à cette
consignation. Les règles dont il était question dans
cette espèce étaient les anciennes Règles 306 et
317 des Ontario Rules [Ontario Rules of Practice,
1977], qui étaient ainsi libellées:
[TRADUCTION] 306. Tout défendeur peut, à tout moment,
consigner à la cour une somme d'argent en règlement de la
demande ou de la cause d'action, ou d'une ou de plusieurs
demandes ou causes d'action faisant l'objet d'une réclamation
en justice du demandeur.
317. Sauf dans une action à laquelle une défense d'offre
antérieure à l'action est opposée ou dans laquelle un paiement
est effectué sous le régime de The Libel and Slander Act [Loi
sur la diffamation], aucune mention n'est faite dans les actes de
procédure de la consignation d'un montant d'argent à la cour
aux termes des règles qui précèdent, et ce fait n'est aucunement
communiqué au juge ou au jury lors de l'instruction d'une
action tant que toutes les questions relatives à la responsabilité
et au montant de la dette ou des dommages-intérêts visés ne
sont pas tranchées, mais le juge doit, dans l'exercice du pouvoir
discrétionnaire qu'il détient à l'égard des dépens, tenir compte
de la consignation d'un montant d'argent à la cour, du montant
de l'argent consigné, de la date et du moment de la délivrance
de l'avis portant la consignation de ce montant et de la question
de savoir s'il y a eu admission ou dénégation de responsabilité.
L'arrêt Findlay v. Railway Executive, [1950] 2
All E.R. 969 (C.A.), concernait une action en
dommages-intérêts intentée pour blessures corpo-
relles dans laquelle les défendeurs avaient admis
leur responsabilité et consigné une somme de 920
livres à la Cour. Lors du procès, la partie deman-
deresse a recouvré des dommages-intérêts totali-
sant 867 livres. L'avocat des défendeurs a réclamé
des dépens en alléguant que le montant accordé
par le jugement était moindre que le montant
consigné. L'avocat de la partie demanderesse a
prétendu que cette question était visée par le pou-
voir discrétionnaire du juge, et il a demandé des
dépens, que le juge a accordés. Un appel a été
interjeté de cette décision, et la Cour a décidé que
les défendeurs avaient droit à leurs dépens à partir
de la date de la consignation.
Le lord juge Somervell a dit à la page 971:
[TRADUCTION] L'objet principal des règles applicables à la
consignation est de mettre fin aux litiges: ces règles incitent le
demandeur à accepter la somme consignée lorsque celle-ci est
raisonnable, en prévoyant que ce dernier sera pénalisé en ce qui
concerne la totalité ou une partie des dépens s'il poursuit
l'action et obtient une somme moindre que celle consignée.
Le lord juge Denning, développant cette question
avec sa verve inimitable, a déclaré à la page 972:
[TRADUCTION] En l'espèce, il m'est facile de comprendre
pourquoi le juge a voulu accorder à la demanderesse ses frais
d'action. De nos jours, un juge ne sait pas quel montant a été
consigné à la cour, et il est particulièrement exaspérant pour
celui qui, par exemple a hésité entre un montant de 750 livres
et un montant de 1 000 livres, de constater que, parce qu'il a
choisi le moindre de ces deux montants, le demandeur non
seulement reçoit seulement ce montant moins élevé mais encore
doit en remettre une partie importante au défendeur sous forme
de dépens. Sachant à quel point il s'en fallait de peu qu'il ne
choisisse le montant le plus élevé, il ne veut pas que le deman-
deur subisse un préjudice du seul fait qu'il se trouve que le
montant consigné à la cour est supérieur au montant adjugé. Il
préférerait ne pas tenir compte de la consignation d'argent à la
cour, mais les règles applicables l'y obligent.
La perte subie par la demanderesse en l'espèce doit être
opposée aux inconvénients reliés au fait de permettre générale-
ment aux demandeurs à qui une indemnité raisonnable a été
offerte de faire instruire leur action et d'accumuler des frais
impunément. Il est préférable pour l'intérêt public que les
demandeurs puissent faire instruire le procès mais subissent
généralement les risques attachés à une telle décision en ce qui
concerne les dépens. Tel est le fondement des règles applicables
à la consignation, et je suis d'avis que nous devrions les
appliquer à la présente espèce, même si cela signifie que la
demanderesse doit remettre une bonne partie des dommages-
intérêts qu'elle a reçus aux défendeurs à titre de dépens. La
seule question soulevée en l'espèce était celle du montant des
dommages-intérêts. Un montant raisonnable a été consigné à la
cour par les défendeurs. La demanderesse a tenté à ses propres
risques d'obtenir davantage que le montant offert; ayant perdu
son pari, elle doit en subir les conséquences.
Les règles anglaises qui étaient en vigueur au
moment où l'affaire Findlay v. Railway Executive
a été tranchée ressemblaient beaucoup aux ancien-
nes Règles 306 et 317 des Ontario Rules: voir
Ordonnance 22, Règles 1, 6; Rules of the Supreme
Court (No. I) 1933, modifiées par Rules of the
Supreme Court (No. 1) 1934. La Règle 41.07 des
Civil Procedure Rules de la Nouvelle-Ecosse con-
tient une semblable interdiction de communication
de la consignation d'argent à la Cour. Cette Règle
est ainsi libellée:
[TRADUCTION] 41.07. Sauf lorsqu'une offre effectuée avant le
commencement d'une instance est plaidée dans cette même
instance en défense à une action, le fait qu'un montant d'argent
a été consigné à la cour sur le fondement des dispositions qui
précèdent de la présente Règle ne peut être plaidé ou communi-
qué à la cour ou au jury lors du procès ou de l'audition relatifs
à une instance, ou avant ce procès ou cette audition, qu'une fois
que toutes les questions touchant la responsabilité ou le mon-
tant de la dette ou des dommages-intérêts ont été tranchées, ou
que l'instance a été suspendue conformément aux Règles
41.03(1) ou 41.05(2).
Incidemment, les nouvelles règles de l'Ontario
régissant la consignation d'argent à la Cour ne
mentionnent aucunement que la communication
d'un tel paiement au juge ou au jury soit interdite
avant que n'aient été tranchées toutes les questions
touchant la responsabilité et le montant de la dette
ou des dommages-intérêts. Au lieu de cela, une
interdiction ressemblant quelque peu à celle qui
précède a été incorporée aux nouvelles Rules of
Civil Procedure concernant les offres de règle-
ment: voir la Règle 49.06.
Les auteurs de l'ouvrage Federal Court Practice
1988 (Carswell, 1987) notent que les Règles de la
Cour fédérale ne prévoient aucune disposition
empêchant un avis de consignation à la Cour de
parvenir à l'attention du juge. En acceptant que
l'objet de nos Règles relatives aux dépens et à la
consignation d'argent à la Cour est de favoriser le
règlement des litiges, il me semble que les exigen-
ces relatives à la bonne marche des procédures
dicteraient qu'aucune communication du fait de la
consignation d'argent à la Cour ne soit faite au
juge avant que toutes les questions relatives à la
responsabilité et au montant de la dette ou des
dommages-intérêts n'aient été tranchées. Autre-
nient, la connaissance par le juge du fait de la
consignation d'argent à la Cour risque d'influencer
de quelque manière sa décision finale, ou d'être
perçue comme ayant influencé cette décision.
Comme nous l'avons indiqué, le jugement
formel est strictement conforme aux motifs de
jugement déposés concurremment avec lui lorsqu'il
accorde au demandeur les frais d'action qu'il a
engagés tout au long de l'instance. Alléguant que
le montant total adjugé dans le jugement était de
beaucoup inférieur au montant de 5 000 $ qui a été
consigné, les défendeurs maintiennent qu'ils
devraient avoir droit à leurs frais d'action à partir
de la date de la consignation d'argent à la Cour. À
première vue, cette demande semblerait impliquer
la modification des dispositions du jugement pré-
voyant l'adjudication des dépens par quelque
moyen légitime de procédure, sans que n'entrent
en jeu les difficultés habituellement reliées à la
modification d'un jugement. Considérant la tour-
nure des événements, il eût peut-être été préférable
que, en me fondant sur la Règle 337(2)b) et la
Règle 324, je demande à l'avocat de la partie
gagnante de présenter un projet de jugement et
une requête pour obtenir le prononcé d'un juge-
ment: l'autre partie aurait ainsi été en mesure de
m'aviser de la consignation d'argent à la Cour et
de discuter de la question des dépens. Si telle avait
été ma façon de procéder, j'aurais pu résoudre le
problème posé par l'adjudication des dépens dans
les circonstances de la présente espèce avant de
prononcer le jugement formel conformément à la
Règle 337(2)a).
Le problème auquel je me trouve confronté sou-
lève, à mon sens, les questions suivantes: (1) l'ad-
judication des dépens devrait-elle être modifiée en
raison de la consignation d'argent à la Cour? (2)
Quelle est la meilleure manière d'effectuer une
telle modification?
Le demandeur s'est vu accorder des dommages-
intérêts de 1 072 $, plus l'intérêt couru à partir de
la date de l'accident jusqu'à la date du jugement,
au taux de 8 % l'an. Cet intérêt couru avant
jugement devrait-il être compris dans le calcul du
montant du jugement du demandeur aux fins de
déterminer, relativement à la question des dépens,
si le montant de ce jugement était inférieur ou
supérieur au montant consigné à la Cour? À mon
sens, oui. Voir l'arrêt Rushton v. Lake Ontario
Steel Co. Ltd. (1980), 29 O.R. (2d) 68 (H.C.). De
plus, je considère que cette façon de voir est la plus
conforme à la pratique suivie par cette Cour en
matière d'amirauté, pratique qui consiste à accor-
der l'intérêt comme partie intégrante des domma-
ges-intérêts subis en interprétant largement le
principe de la restitution intégrale. Dans la pré-
sente affaire, un calcul approximatif de l'intérêt
couru avant jugement le situe aux environs de
1 910 $, un montant qui, additionné à celui des
dommages-intérêts, fait s'élever la dette totale
prévue au jugement à 2 982 $, à l'exclusion des
dépens. Cette somme est de beaucoup inférieure au
montant de 5 000 $ qui a été consigné à la Cour.
Par ailleurs, je suis d'avis que la question des
dépens ne devrait pas entrer en ligne de compte
dans le calcul du montant recouvré par le deman-
deur lorsque ce montant est comparé à celui qui a
été consigné à la Cour par les défendeurs. Le
principe fondamental des dépens entre parties veut
que ces dépens soient accordés par la loi à titre
d'indemnité à la personne qui y a droit; ils ne sont
ni imposés comme une pénalité à la partie qui les
paie, ni accordés à titre de prime à la partie qui les
reçoit: voir l'arrêt Ryan v. McGregor, [1926] 1
D.L.R. 476 (C.A. Ont.), les motifs du juge Midd-
leton, de la Cour d'appel, à la page 477.
Dans la présente affaire, les défendeurs ont
vigoureusement contesté la question de la respon-
sabilité, en soutenant que la perte subie par le
demandeur était attribuable à sa seule négligence
ou, à défaut par la Cour d'accepter un tel argu
ment, était due en grande partie à la négligence du
demandeur. J'ai conclu à partir des éléments de
preuve présentés que les manoeuvres négligentes
des défendeurs, qui ont fait passer leur grand
dragueur arrière trop près du bateau de pêche du
demandeur, alors que ce bateau était à l'ancre,
étaient la seule cause des dommages occasionnés
par l'emmêlement des funes des défendeurs et du
câble d'ancrage du demandeur. Dans les circons-
tances, je n'ai fait aucune répartition des fautes
qui retiendrait la responsabilité du demandeur. La
durée de l'instance aurait pu être moindre si les
défendeurs avaient choisi de reconnaître leur res-
ponsabilité et de contester le montant des domma-
ges-intétêts réclamés. Toutefois, ils ont choisi de
débattre la question de la responsabilité, ce qui
était parfaitement légitime. Cette décision a forcé-
ment eu pour conséquence d'accroître la complexi-
té des questions débattues lors du procès. À mon
sens, ces facteurs ont tous à être pris en considéra-
tion lorsqu'il s'agit d'examiner la prétention des
défendeurs qu'ils ont droit à leurs frais d'action à
compter de la date de la consignation d'argent à la
Cour.
D'autre part, le demandeur soutient qu'il serait
injuste de lui retirer le droit aux frais d'action
engagés tout au long de l'instance puisque, même
s'il n'a pas obtenu gain de cause à cet égard, il a
fait valoir avec force qu'il avait droit à des dom-
mages-intérêts punitifs en raison de la négligence
et de la témérité manifestées par les défendeurs
dans le pilotage de leur chalutier. En fait, j'ai
conclu que la négligence des défendeurs n'était pas
si outrageuse qu'elle justifiât la Cour d'accorder
des dommages-intérêts punitifs, et je ne suis pas
prêt à modifier mon jugement à cet égard. Toute-
fois, certains des éléments de preuve présentés
veulent la sécurité du demandeur ait pu être grave-
ment menacée n'eût ét la rupture fortuite du
câble d'ancrage emmêlé au moment où le bateau
du demandeur risquait vraisemblablement d'être
englouti ou tiré par le fond. À mon avis, bien que
ce facteur puisse être considéré comme augmen-
tant la gravité de la conduite négligente, il ne doit
pas avoir une influence telle qu'il permette la
récupération par le demandeur de ses frais engagés
tout au long de l'instance, en remplacement de
dommages—intérêts punitifs ou exemplaires.
Considérant tous les facteurs qui précèdent, je
suis d'avis que, dans les circonstances de l'espèce,
les dépens devraient être adjugés en accordant au
demandeur ses frais taxables jusqu'au jour de la
consignation de l'argent à la Cour et en refusant
tous dépens à une partie ou à l'autre après cette
date. Un tel dispositif accorderait au demandeur
une indemnité sous forme de dépens, tout en
reconnaissant le fait que le montant recouvré selon
le jugement était de beaucoup inférieur au mon-
tant consigné à la Cour par les défendeurs. En
conséquence, le jugement devra être modifié de
façon à harmoniser ses dispositions avec la pré-
sente adjudication de dépens.
Il me semble que la présente question est régie
par l'alinéa 337(5)b) des Règles de la Cour fédé-
rale, qui est ainsi libellé:
Règle 337. .. .
(5) Dans les 10 jours de prononcé d'un jugement en vertu de
l'alinéa (2)a), ou dans tel délai prolongé que la Cour pourra
accorder, soit avant, soit après l'expiration du délai de 10 jours,
l'une ou l'autre des parties pourra présenter à la Cour, telle
qu'elle est constituée au moment du prononcé, une requête
demandant un nouvel examen des termes du prononcé, mais
seulement [pour] l'une ou l'autre ou l'une et l'autre des raisons
suivantes:
b) on a négligé ou accidentellement omis de traiter d'une
question dont on aurait dû traiter.
La question qui a été «négligée» [la version
anglaise des présents motifs utilise l'expression
«overlooked» figurant à l'alinéa 337(5)b)] en l'es-
pèce est celle de la comparaison du montant recou-
vré en vertu du jugement et du montant consigné à
la Cour par les défendeurs, dont n'a pas tenu
compte l'adjudication des dépens; cette «négli-
gence» résultait de ce que la règle ou le principe de
pratique applicable prévoyait que le fait de la
consignation d'un montant d'argent à la Cour
devait être caché au juge saisi du litige. Je
n'éprouve aucune difficulté à proroger le délai de
10 jours stipulé à la Règle qui précède au 9 février
1989, la date à laquelle j'ai été informé du
problème.
En conséquence, une ordonnance sera prononcée
pour modifier l'adjudication des dépens du juge-
ment de façon à rendre cette adjudication con-
forme aux présents motifs. Aucuns dépens ne
seront adjugés en ce qui concerne la présente
demande.
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