T-2395-88
Toronto Independent Dance Enterprise (requé-
rante)
c.
Conseil des arts du Canada (intimé)
RÉPERTORIÉ: TORONTO INDEPENDENT DANCE ENTERPRISE C.
CONSEIL DES ARTS DU CANADA (1 fe INST.)
Section de première instance, juge Rouleau—
Toronto, 9 et 10 mai; Ottawa, 20 juin 1989.
Compétence de la Cour fédérale — Section de première
instance — Demande d'annulation de la décision par laquelle
le Conseil des arts du Canada a cessé son financement — La
Cour fédérale n'a pas compétence pour examiner la décision
du Conseil — Le Conseil n'est pas un «office, commission ou
autre tribunal fédéral» — Il est sans lien de dépendance avec
le Parlement — Il dispose d'un pouvoir discrétionnaire absolu
pour établir la façon dont il procède et des normes qu'il
applique dans l'exécution de son mandat.
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Certiorari —
Demande d'annulation de la décision par laquelle le Conseil
des arts du Canada a mis fin à son financement — La
compagnie de danse a, à deux reprises, été avisée de l'éventua-
lité d'un arrêt de financement — Le Conseil s'appuie sur les
recommandations du Service de la danse, lesquelles reposent
sur des rapports confidentiels établis par des appréciateurs
indépendants — Des copies d'appréciations défavorables ont
été fournies par le Conseil — La requérante s'est vu refuser la
possibilité de faire des observations orales avant que le Conseil
ne rende sa décision — Bien que les décisions du Conseil soient
finales à moins que de nouveaux facteurs ne modifient sensi-
blement le fondement de la décision, le Conseil a officieuse-
ment entendu les observations de la requérante — Il y a lieu à
la délivrance possible d'un bref de certiorari si la décision
touche les droits des Canadiens en général — Aucun droit n'a
été créé sous le régime de la Loi sur le Conseil des arts du
Canada — Le contenu des principes de justice naturelle et
d'équité varie selon les circonstances — Étant donné le grand
nombre de demandes, les procédures en cause sont acceptables
— La requérante connaît ces procédures — Les avertissements
et la nouvelle audition respectent les exigences d'équité —
L'omission de donner l'identité des appréciateurs ne constitue
pas une violation de l'équité — Il est nécessaire d'apprécier
l'importance de la communication par rapport au tort que
celle-ci pourrait causer à l'économie de la Loi — Application
de la loi de façon réaliste et pratique.
Il s'agit d'une demande de bref de certiorari qui annulerait la
décision de l'intimé de refuser son financement pour l'année
1988-1989. La requérante, une compagnie de danse contempo-
raine, avait été financée par le Conseil des arts du Canada
pendant plusieurs saisons. On a avisé la requérante que les
subventions étaient accordées pendant une période d'essai,
étaient destinées aux compagnies qui en faisaient la demande
pour la première fois et dépendaient d'une nouvelle demande
annuelle. Pour toutes les demandes de financement, le Conseil
s'appuie sur les recommandations du Service de la danse, qui
est composé de professionnels et d'un personnel de soutien. Le
Service de la danse se fonde notamment sur des rapports
confidentiels établis par des appréciateurs indépendants. Il
s'agit là de l'un des facteurs les plus importants dont le Conseil
doit tenir compte en rendant ses décisions. Les décisions du
conseil d'administration du Conseil sont finales à moins que de
nouveaux facteurs ne modifient sensiblement le fondement de
la décision. On a constaté que la requérante ne continuait pas
de croître sur le plan artistique. Son financement a été gelé
pour la saison 1986-1987 et elle a été avisée de l'éventualité
d'un arrêt de financement. Le financement a été réduit en
1987-1988, et l'avertissement a été réitéré. Bien que le Conseil
n'ait pas autorisé la requérante à faire des observations orales
avant qu'elle ne rende sa décision, il lui a effectivement fourni
des copies de tous les rapports défavorables après avoir sup-
primé l'identité des appréciateurs. Le Conseil a adopté cette
pratique pour protéger les appréciateurs contre les procédés
injurieux de la part de candidats déçus. Par la suite, des
représentants du conseil d'administration ont officieusement
rencontré ceux de la requérante qui ont pleinement présenté les
arguments de celle-ci. Le conseil d'administration a décidé qu'il
n'existait pas de nouveaux motifs suffisants pour réexaminer la
demande.
La requérante soutient que le Conseil, en tant qu'organisme
créé par le Parlement pour distribuer des fonds gouvernemen-
taux et responsable devant celui-ci, est tenu à l'obligation
d'équité. Elle prétend que, financièrement, elle dépendait des
subventions, et qu'on aurait dû lui donner la possibilité de faire
des observations avant de décider de mettre fin au financement.
Toujours selon elle, il n'est pas juste que le Conseil s'appuie si
largement sur l'opinion d'appréciateurs indépendants en l'ab-
sence de ses observations. Qui plus est, en adoptant cette
attitude, le Conseil a entravé l'exercice de son pouvoir discré-
tionnaire. L'intimé fait valoir qu'il n'est pas susceptible de
contrôle judiciaire puisqu'il n'est pas un office, commission ou
un autre tribunal fédéral, et qu'il est indépendant du contrôle
gouvernemental et dispose d'un pouvoir discrétionnaire absolu
dans l'établissement de la façon dont il procède. La Loi sur le
Conseil des arts du Canada autorise le Conseil à prendre des
règlements administratifs qui régissent son activité, et elle
prévoit que le Conseil n'est pas mandataire de la Couronne. En
l'espèce, il s'agit de savoir si le Conseil est un office, une
commission ou un autre tribunal fédéral et, dans l'affirmative,
il s'agit de déterminer quelles sont, dans les circonstances, les
exigences d'équité et les règles de justice naturelle, et si celles-ci
ont été respectées.
Jugement: la demande devrait être rejetée.
La Cour n'a pas compétence pour examiner les décisions du
Conseil des arts du Canada. Il est douteux qu'il soit un office,
une commission ou un autre tribunal fédéral au sens de l'alinéa
2g) de la Loi sur la Cour fédérale. En créant cet organisme, on
a voulu qu'il soit un organisme sans lien de dépendance avec le
gouvernement. Il a le mandat général de favoriser les arts au
Canada, et il dispose d'un pouvoir discrétionnaire absolu pour
établir la façon dont il procède et des normes qu'il applique
dans l'exécution de son mandat.
Un bref de certiorari peut être accordé seulement lorsqu'un
organisme public a le pouvoir de décider des questions qui
touchent les droits, les intérêts, les biens, les privilèges ou la
liberté des Canadiens en général. Les actes du Conseil n'entrai-
nent pas ces conséquences. La subvention de projet est un
avantage dont un candidat ne peut bénéficier que s'il remplit
chaque année les conditions requises. La Loi ne crée aucun
droit.
Le contenu des principes de justice naturelle et d'équité varie
avec les circonstances. Compte tenu des milliers de demandes
qui sont soumises chaque année, la procédure et les lignes
directrices établies par le Conseil sont acceptables. La requé-
rante en était bien au courant. Elle a été avertie de sa situation
précaire et, ultérieurement à la décision, elle a eu la possibilité
de fournir des renseignements supplémentaires pour tenter de
faire tomber la conclusion du Conseil. On peut parfois se
montrer équitable en fournissant l'essentiel d'une affaire sans
divulguer la preuve précise ou les sources de l'information. Il
est peut-être nécessaire d'apprécier l'importance de la commu
nication exigée par la justice naturelle par rapport au tort que
la communication pourrait causer à l'économie de la Loi. Il n'y
a pas eu privation de droit, et le caractère confidentiel des
sources d'information est essentiel à la pratique légitime du
Conseil de s'en remettre à des pairs professionnels dans ses
appréciations. La nouvelle audition remédiait à tout vice
possible.
Les règles d'équité doivent s'appliquer de façon réaliste eu
égard à la tâche. le Conseil a établi ses propres normes artisti-
ques ainsi que la méthode de répartition des fonds. Il est peu
probable que la Cour intervienne dans ce cas. Le Conseil est le
mieux placé pour décider des critères à appliquer. En pratique,
il serait impossible d'accorder une audience à tous les
candidats.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Business Corporations Act, S.R.O. 1980, chap. 54.
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63.
Loi sur l'accès à l'information, S.C. 1980-81-82-83,
chap. I 11, annexe I.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap.
10, art. 2g), 18.
Loi sur la pension de la Fonction publique, S.R.C. 1970,
chap. P-36.
Loi sur le Conseil des arts du Canada, L.R.C. (1985),
chap. C-2, art. 3, 5, 8, 12, 20, 21.
Loi sur le Conseil des arts du Canada, S.R.C. 1970,
chap. C-2.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de
Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602; Regina v. Gaming Board
for Great Britain, Ex parte Benaim and Khaida, [1970]
2 Q.B. 417 (C.A.); Russell v. Duke of Norfolk, [1949] 1
All E.R. 109 (C.A.); Pearlberg v. Varty, [1972] 1
W.L.R. 534 (H.L.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Re Webb and Ontario Housing Corporation (1978), 22
O.R. (2d) 257 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Paine v. University of Toronto et al. (1981), 34 O.R. (2d)
770 (C.A.); Harelkin v. University of Regina, [1979] 2
R.C.S. 561.
DOCTRINE
Wade, H. W. R. Administrative Law, 5' éd. Clarendon
Press: Oxford, 1982.
AVOCATS:
John J. Chapman pour la requérante.
David W. Scott, c.r. et Guy J. Pratte pour
l'intimé.
PROCUREURS:
Miller, Thomson, Sedgewick, Lewis & Healy,
Toronto, pour la requérante.
Scott & Aylen, Ottawa, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE ROULEAU: La requérante conclut à un
bref de certiorari annulant la décision par laquelle
l'intimé a refusé de la financer au cours de l'année
1988-1989, ainsi qu'à un bref de mandamus for-
çant l'intimé à réexaminer l'affaire conformément
aux exigences d'équité.
En l'espèce, la question se pose de savoir si le
Conseil des arts du Canada est un «office, commis
sion ou autre tribunal fédéral» assujetti au contrôle
judiciaire sous le régime de l'article 18 de la Loi
sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.),
chap. 10] et, dans l'affirmative, il s'agit de déter-
miner quelles sont, dans les circonstances, les exi-
gences d'équité et les règles de justice naturelle, et
si celles-ci ont été respectées.
La Toronto Independent Dance Enterprise
(«TIDE») est une compagnie de danse contempo-
raine qui donne des représentations dans tout le
Canada depuis 1978. Elle a été constitutée en
compagnie en vertu de la Business Corporations
Act [S.R.O. 1980, chap. 54], et elle est également
un organisme de charité enregistré en vertu de la
Loi de l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72,
chap. 63]. Depuis la saison 1981-1982, elle a reçu
un financement annuel du Conseil des arts du
Canada, qui lui a été refusé pour la saison
1988-1989.
Le Conseil des arts du Canada («le Conseil») a
été créé en 1957 en vertu de la Loi sur le Conseil
des Arts du Canada (S.R.C. 1970, chap. C-2;
actuellement L.R.C. (1985), chap. C-2) en vue de
«favoriser et de promouvoir l'étude et la diffusion
des arts ainsi que la production d'oeuvres d'art ...»
(article 8). A cette fin, il offre notamment des
subventions à diverses compagnies de danse telles
que la requérante. C'est le gouverneur en conseil
qui nomme ses vingt et un membres et ses deux
directeurs (articles 3 et 5). La Loi dit expressé-
ment que le Conseil n'est pas mandataire de Sa
Majesté et, excepté pour les fins de la Loi sur la
pension de la Fonction publique [S.R.C. 1970,
chap. P-36], il ne fait pas partie de l'administra-
tion publique fédérale (article 12). Il rend compte
au Parlement en déposant un rapport annuel (arti-
cle 21) et au vérificateur général du Canada au
moyen d'une vérification annuelle (article 20).
Voici, en résumé, les activités du Conseil: le
Conseil des arts du Canada offre des subventions
dont le montant annuel s'élève approximativement
à 100 000 000 $. Chaque année, il reçoit environ
15 000 demandes dont environ 10 500 sont reje-
tées. Il existe deux types de subventions: les sub-
ventions de projet et les subventions de fonctionne-
ment. Les subventions de projet, que TIDE
recevait et que le Conseil décrit comme étant
accordées «pendant une période d'essai», sont desti
nées aux compagnies qui en font la demande pour
la première fois et, sous réserve d'une nouvelle
demande annuelle, sont renouvelables pendant un
certain nombre d'années. Par contre, les subven-
tions de fonctionnement constituent un engage
ment à long terme du Conseil. Dans l'année 1987-
1988, il a reçu d'organismes de danse 112 deman-
des dont 68 ont été accueillies en tout ou en partie.
La fiche de renseignements qui accompagne
chaque demande décrit les deux types de subven-
tions susmentionnés, et explique également en
détail le processus suivi. Voici, en bref, ses grands
traits: le Service de la Danse du Conseil, composé
de quatre professionnels et de trois secrétaires,
prépare à l'intention du Conseil des recommanda-
tions pour toutes les demandes de financement. Le
conseil d'administration du Conseil se réunit
quatre fois l'an et, en général, bien que ce ne soit
pas dans tous les cas, il accepte les recommanda-
tions qui lui ont été soumises. Dans le cas des
compagnies de danse, le Conseil examine la crois-
sance, le changement et l'évolution continus dont
font preuve leurs réalisations artistiques. En prépa-
rant ses recommandations, le Service de la danse
s'appuie sur des rapports établis par des apprécia-
teurs indépendants. Ces appréciateurs sont des
professionnels bien compétents engagés par le
Conseil pour apprécier la qualité artistique des
candidats, qui est l'un des plus importants facteurs
dont doit tenir compte le Conseil en rendant sa
décision. Les appréciateurs reçoivent des directives
écrites sur les points à traiter dans leurs rapports,
et assistent à un minimum de trois spectacles par
an donnés par un candidat. Ils soumettent alors au
Service de la danse des rapports confidentiels
fondés sur leurs observations. A son tour, en pré-
parant ses recommandations à l'intention du Con-
seil, le Service de la danse examine ces évaluations,
ainsi que la situation financière, la compétence
administrative et les budgets proposés du candidat,
et d'autres facteurs tels que son mérite relatif
vis-à-vis d'autres candidats compte tenu des res
trictions budgétaires. Le Conseil avise le candidat
de sa décision quant au financement au moyen
d'une lettre de subvention. Les décisions du conseil
d'administration sont finales à moins que de nou-
veaux facteurs ne modifient sensiblement l'infor-
mation sur laquelle la décision est 'fondée.
Selon l'intimé, on s'attendait à ce que la compa-
gnie de danse TIDE continue de croître, de se
transformer et d'évoluer dans ses réalisations artis-
tiques. Les appréciations ont révélé qu'elle n'avait
pas atteint les buts énoncés; elle a par conséquent
été avisée de l'éventualité d'un arrêt de finance-
ment dans la lettre accompagnant sa subvention
pour l'année 1986-1987. Elle a reçu un autre
avertissement dans la lettre de subvention pour la
saison 1987-1988. Il convient de souligner que son
financement a été gelé pour la saison 1986-1987,
et diminué en 1987. Selon l'intimé, cela constitue
en soi un avertissement. Bien que la requérante
conteste que ces lettres contiennent un avertisse-
ment, j'estime en fait que, malgré la très grande
politesse dont le Conseil a fait preuve dans la
formulation de l'avertissement, le tact est de mise
dans ces milieux; je suis certain que l'intimé n'était
pas tranquille. Par suite de la réception de la lettre
de subvention pour 1987, TIDE a demandé un
entretien avec un membre du Service de la danse,
qui a eu lieu le 23 octobre 1987. C'est à ce
moment-là qu'on l'a indubitablement informée de
la gravité de sa situation.
À un autre entretien tenu le 9 juin 1988, on a
informé TIDE que le Service de la danse recom-
mandait un arrêt de financement. Elle a donc
demandé à présenter des observations orales
devant le Conseil avant que celui-ci ne rende sa
décision. Elle a également demandé qu'on lui four-
nisse tous les rapports qui lui étaient défavorables.
Conformément à sa pratique passée, le Conseil ne
lui a pas permis de comparaître. D'autre part, la
demande de communication des rapports défavora-
bles a été accueillie dès réception, et on a envoyé
ceux-ci à la requérante après avoir supprimé
l'identité des appréciateurs, pratique suivie par le
Conseil pour protéger l'identité des appréciateurs
qui ne sont pas nombreux et qui font souvent
l'objet de procédés injurieux de la part de candi-
dats déçus. Malheureusement, ces demandes n'ont
été soumises au Conseil qu'au jour où la décision a
été rendue. Plus tard, en se fondant sur la Loi sur
l'accès à l'information [S.C. 1980-81-82-83, chap.
111, Annexe I], la requérante a obtenu copies de
toutes les évaluations, tant favorables que défavo-
rables.
Par lettre en date du 20 juillet 1988, TIDE a
demandé qu'on lui accorde la possibilité d'interje-
ter appel de la décision du Conseil. Bien que la
présidente n'ait pas estimé que des informations
essentiellement nouvelles avaient été présentées,
elle a néanmoins offert de rencontrer des représen-
tants de TIDE, ce qu'elle a effectivement fait.
Cette réunion a eu lieu à la maison de la prési-
dente; y ont assisté deux autres membres du con-
seil d'administration ainsi que le directeur adjoint
et le secrétaire du Conseil. On a fourni par écrit à
chaque participant les observations de la requé-
rante. TIDE a eu la possibilité de présenter pleine-
ment ses arguments. À la fin de la réunion, la
présidente l'a informée qu'on examinerait la ques
tion de savoir s'il existait des motifs suffisants pour
réexaminer la demande. Par la suite, au moyen
d'une lettre en date du 24 novembre 1988, les
procureurs du Conseil ont avisé TIDE que la
question d'un nouvel examen serait étudiée à la
prochaine assemblée du conseil d'administration.
Le procureur de TIDE a rejeté cette offre. Néan-
moins, le conseil d'administration a effectivement
examiné la question, et il a décidé à l'unanimité
qu'il n'existait aucun motif additionnel ni d'infor-
mations essentiellement nouvelles justifiant ce
nouvel examen. La requérante en a été avisée par
écrit.
TIDE soutient que le Conseil des arts du
Canada, en tant qu'organisme public créé par une
Loi du Parlement, distribuant des fonds gouverne-
mentaux et étant responsable devant le Parlement,
est tenu à l'obligation d'équité. Financièrement, la
requérante dépendait de ces subventions au point
de ne pouvoir s'en passer. Depuis 1982, approxi-
mativement un tiers de son budget annuel prove-
nait de ces subventions. En conséquence, on aurait
dû lui donner la possibilité de faire des observa
tions avant de décider de mettre fin au finance-
ment. Elle invoque la décision Re Webb and Onta-
rio Housing Corporation (1978), 22 O.R. (2d) 257
(C.A.), selon laquelle lorsqu'une expectative légi-
time intervient, on ne devrait pas être privé de la
possibilité de répondre et on devrait être informé
avant qu'une décision ne soit prise et ce, selon la
requérante, lors même qu'elle n'aurait peut-être
pas «droit» aux subventions.
Il est allégué en outre que le processus décision-
nel ne s'est pas conformé aux exigences de la
justice naturelle. Il n'est pas juste que le Conseil
des arts du Canada prenne ses décisions en l'ab-
sence d'observations de la requérante et en s'ap-
puyant largement sur l'opinion d'appréciateurs
indépendants. Il est en outre allégué que, en adop-
tant cette attitude, le Conseil a entravé l'exercice
de son pouvoir discrétionnaire en se fondant pres-
que exlusivement sur le critère du mérite artistique
établi par les appréciateurs. Le droit d'analyser les
documents et de faire des commentaires est fonda-
mental. En dernier lieu, la détermination du Con-
seil de ne pas réexaminer sa décision ne constituait
pas un «nouvel examen» de la question qui remé-
dierait à la violation de la justice naturelle.
L'intimé répond que le Conseil des arts du
Canada n'est pas un office, commission ou autre
tribunal fédéral selon la définition figurant à l'ali-
néa 2g) de la Loi sur la Cour fédérale; il soutient
en outre que la demande n'est pas visée par l'arti-
cle 18 de la Loi sur la Cour fédérale, puisque le
Conseil des arts du Canada est un organisme
indépendant du contrôle gouvernemental, qui dis-
pose d'un pouvoir discrétionnaire absolu dans l'éta-
blissement de la façon dont il procède ainsi que
dans l'exécution de son mandat, celui de promou-
voir les arts au Canada.
Les articles 9 et 12 de la Loi sur le Conseil des
Arts du Canada sont ainsi rédigés:
9. Le Conseil peut, par règlement administratif, régir son
activité et le déroulement de ses réunions et prévoir notamment
la nomination de membres honoraires et la constitution de
comités consultatifs.
12. Le Conseil n'est pas mandataire de Sa Majesté, et sous
réserve de l'article 11, les conseillers et les membres du person
nel du Conseil, le directeur et le directeur adjoint compris, ne
font pas partie de l'administration publique fédérale.
Si je devais décider que la Cour a effectivement
compétence et que la décision du Conseil est sus
ceptible de révision sous le régime de l'article 18
de la Loi sur la Cour fédérale, l'intimé prétend
que la doctrine d'équité ne s'applique pas. La loi
ne prévoit pas de droit au financement, celui-ci
étant purement facultatif; on ne peut non plus
prétendre qu'il existe une expectative légitime à
protéger, à la différence de ce qui est énoncé dans
l'affaire Re Webb susmentionnée. Il est bien connu
que la requérante devait faire sa demande chaque
année pour obtenir une subvention et faire l'objet
d'un contrôle annuel de la part d'appréciateurs
avant d'avoir droit à une subvention. De plus,
TIDE a consenti à la façon de procéder du Con-
seil, connaissant le processus applicable et ayant
soumis des demandes pour les sept années
précédentes.
Subsidiairement, si l'équité s'applique, il est
allégué que les procédures restrictives adoptées par
règlements pris par l'intimé s'imposaient pour pré-
server les fonds pour la collectivité des arts plutôt
que de les détourner en direction d'une bureaucra-
tie embarrassante et coûteuse. Dans le cadre de
son mandat, le Conseil dispose d'une autonomie
pour établir sa façon de procéder et ses normes, à
laquelle la Cour ne saurait faire obstacle.
Pour ce qui est du défaut de communication des
évaluations, l'intimé prétend qu'elles n'ont pas à
être divulguées dans chaque détail pour satisfaire
aux exigences d'équité. La requérante a été infor-
mée de l'essentiel des rapports et elle a eu la
possibilité de remédier aux difficultés. L'intimé
fait valoir également que son recours aux profes-
sionnels indépendants pour évaluer le mérite artis-
tique des compagnies de danse est une méthode
des plus équitables et objectives, l'évaluation étant
faite par les pairs des candidats, qui sont les
personnes les plus compétentes en la matière. Tou-
jours selon l'intimé, la procédure contradictoire ne
conviendrait pas en l'espèce, puisque le personnel a
agi pour le compte des candidats et a fait preuve
d'objectivité dans la préparation de ses observa
tions.
L'intimé soutient en dernier lieu que s'il y avait
eu vice sur le plan de la procédure, il y a été
remédié lorsque le Conseil a par la suite tenu
compte des préoccupations de la requérante, tant à
la rencontre qui a eu lieu à la maison de la
présidente qu'à l'assemblée plénière ultérieure du
conseil d'administration.
Je suis convaincu que cette Cour n'a pas compé-
tence pour examiner les actes du Conseil des arts
du Canada, et que la présente demande devrait
être rejetée avec dépens. Je me propose de statuer
sur chacune des questions soulevées.
Je doute que le Conseil des arts du Canada soit
un «office, commission ou autre tribunal fédéral»
au sens de l'alinéa 2g) de la Loi sur la Cour
fédérale, organisme à l'égard duquel cette Cour a
compétence. En créant cet organisme, la Loi sur le
Conseil des Arts du Canada a délibérément voulu
qu'il soit un organisme sans lien de dépendance
avec le gouvernement. Il a le mandat général de
favoriser les arts au Canada, au moyen d'un finan-
cement fixe ou limité. Le gouvernement n'a abso-
lument pas la haute main sur la répartition des
fonds, et la seule condition imposée est celle d'un
rapport et d'une vérification annuels. Surtout, le
Conseil dispose d'un pouvoir discrétionnaire absolu
pour établir la façon dont il procède et des normes
qu'il applique dans l'exécution de son mandat. Lé
fait qu'il a été créé par le gouvernement et qu'il
distribue des fonds publics n'est pas en soi
déterminant.
S'il est décidé que j'ai effectivement compé-
tence, quelles sont les exigences d'équité et les
règles de justice naturelle applicables dans les
circonstances?
Pour exercer mon pouvoir discrétionnaire et
accorder le bref de certiorari demandé, je devrais
me laisser guider par le juge Dickson [tel était
alors son titre] qui, dans l'arrêt Martineau c.
Comité de discipline de l'Institution de Matsqui,
[1980] 1 R.C.S. 602, a proposé [à la page 628], et
je paraphrase ses idées, qu'il devrait y avoir un
recours possible lorsqu'un organisme public a le
pouvoir de décider d'une question qui touche les
droits, les intérêts, les biens, les privilèges ou la
liberté d'une personne. Le Conseil se compose, non
pas de fonctionnaires, mais de personnes indépen-
dantes rompues aux arts au Canada. Leurs actes
ne touchent pas les droits, les intérêts, les biens, les
privilèges ou la liberté des Canadiens en général.
La subvention de projet est un avantage dont un
candidat ne peut bénificier que s'il remplit chaque
année les conditions requises. La Loi ne crée aucun
droit.
La requérante, soutient que, ayant reçu ces sub-
ventions de projet pendant un certain nombre d'an-
nées, elle s'attendait légitimement à recevoir cet
avantage qui devrait être protégé. Cette dépen-
dance est protégée, sur le plan de la procédure,
dans l'affaire Re Webb susmentionnée [à la page
265]:
[TRADUCTION] Une fois devenue locataire, l'appelante a acquis
un avantage substantiel bien réel parce qu'elle dépendait de
l'aide sociale et y était admissible. La décision de lui accorder
cet avantage a été prise lorsqu'elle a été acceptée comme
locataire. Il s'agit, à mon avis, d'une décision que la S.L.O.
aurait pu prendre sans qu'intervienne une règle ou un principe
d'équité dans la procédure. Cependant, une fois qu'elle est
devenue locataire et est ainsi devenue «admissible» à l'avantage
bien réel d'un loyer réduit et subventionné, avantage qu'elle a
reçu, la situation a changé ... J'estime que la S.L.O., en
exerçant son pouvoir de résiliation pour priver ainsi l'appelante
de l'avantage du bail, était tenue, dans les circonstances, de la
traiter équitablement en l'informant de la (des) plainte(s) ou
des arguments à son encontre et en lui accordant, si tel était son
désir, la possibilité de répondre à ces plaintes.
Dans cette affaire-là, l'appelante a rempli les
conditions requises pour obtenir un logement sub-
ventionné en conséquence d'un droit légal à des
avantages sociaux. Il s'agissait, si vous voulez, d'un
droit accessoire.
La requérante prétend qu'elle était en droit de
connaître les arguments auxquels elle devait faire
face, et qu'elle devrait avoir la possibilité de com-
paraître devant le Conseil. On aurait dû lui fournir
des copies des appréciations pour qu'elle puisse les
commenter avant que le personnel fasse sa recom-
mandation. L'omission de prévoir cette procédure
constitue une violation de l'équité et des règles de
justice naturelle. Compte tenu des milliers de
demandes qui sont soumises chaque année, je suis
persuadé que la façon de procéder et les lignes
directrices établies par le Conseil sont acceptables
étant donné leur contexte.
Le juge Dickson s'est exprimé en ces termes
dans l'arrêt Martineau susmentionné, à la page
630, citant la décision Russell v. Duke of Norfolk,
[1949] 1 All E.R. 109 (C.A.), à la page 118:
Le contenu des principes de justice naturelle et d'équité appli-
cables aux cas individuels variera selon les circonstances de
chaque cas ....
Et voici les propos tenus par la Chambre des lords
dans l'arrêt Pearlberg v. Varty, [1972] 1 W.L.R.
534, la page 547 (lord Pearson):
[TRADUCTION] L'équité ... n'exige pas une pluralité d'audi-
tions ou d'observations et de réponses à ces observations. S'il
existait une trop grande complication des garanties offertes par
la procédure, rien ne pourrait se faire simplement, rapidement
et à peu de frais. L'efficacité et la bonne gestion administrati-
ves ne devraient pas être trop aisément sacrifiées.
En l'espèce, le Conseil a établi ses propres
normes artistiques ainsi que la méthode de réparti-
tion des fonds. Il est moins probable que la Cour
intervienne dans ces cas (Paine v. University of
Toronto et al. (1981), 34 O.R. (2d) 770 (C.A.)), à
la page 774. De plus, la requérante connaissait
bien cette méthode. Bien qu'elle ait été informée
de l'essentiel de la critique après la décision, elle
avait connaissance de sa situation précaire en
raison des avertissements et des réunions avec un
membre du Service de la danse. Ultérieurement,
elle a également eu la possibilité de fournir des
renseignements supplémentaires pour tenter de
faire tomber la conclusion du Conseil. D'après un
principe bien connu du droit administratif, on peut
parfois se montrer tout à fait équitable en fournis-
sant l'essentiel d'une affaire sans divulguer la
preuve précise ou les sources de l'information. Il
peut être nécessaire d'apprécier l'importance de la
communication exigée par la justice naturelle par
rapport au tort que la communication pourrait
causer à l'économie de la Loi'.
La décision Regina v. Gaming Board for Great
Britain, Ex parte Benaim and Khaida, [1970] 2
Q.B. 417 (C.A.), s'applique davantage aux faits de
l'espèce. La Cour y a statué qu'il suffisait de
' Wade, H. W. R. Administrative Law, 5e éd., aux
p. 481-482.
communiquer au requérant à qui on refusait une
licence l'essentiel de l'information sur laquelle
reposait la décision. On n'était pas tenu de divul-
guer les détails ni les sources, le requérant n'ayant
pas à réfuter des accusations, et la divulgation
étant susceptible de compromettre les sources. De
même, en l'espèce, il n'y a pas eu privation de
droit, et le caractère confidentiel des sources d'in-
formation est essentiel à la pratique légitime du
Conseil de s'en remettre à des pairs professionnels
dans ses appréciations. Il convient de se rappeler
que, en l'espèce, aucun rapport de type contradic-
toire n'existe, et il n'y a pas lieu d'en encourager
un.
En dernier lieu, le nouvel examen de cette
affaire par le Conseil, à la demande de TIDE, était
plus que suffisant pour remédier à n'importe quel
vice. Dans la fiche de renseignements accompa-
gnant chaque demande, il était dit que les déci-
sions du conseil d'administration étaient finales à
moins que «de nouveaux facteurs ne modifient
sensiblement l'information sur laquelle elles sont
fondées». Par lettre en date du 20 juillet 1988,
TIDE a demandé la possibilité de faire appel de la
décision du Conseil. Bien que la présidente n'ait
pas estimé que des informations essentiellement
nouvelles avaient été présentées, elle a néanmoins
offert de rencontrer des représentants de TIDE, et
elle les a effectivement rencontrés. Les observa
tions de celle-ci ont également été fournies par
écrit à chaque membre du conseil d'administra-
tion. À la fin de cette réunion qui a duré trois
heures, et à laquelle TIDE a eu la possibilité de
présenter pleinement ses arguments, la présidente
a informé TIDE qu'il serait procédé à l'examen de
la question de savoir s'il existait des motifs suffi-
sants pour réexaminer la demande. TIDE a rejeté
cette offre, mais le conseil d'administration a
néanmoins examiné la question à sa prochaine
assemblée, et il a décidé à l'unanimité qu'il n'y
avait pas lieu à un nouvel examen. Cette nouvelle
audition suffisait à remédier à tout vice possible
(Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2
R.C.S. 561).
Étant donné les objectifs du Conseil des arts du
Canada et la loi habilitante, il est évident qu'il
dispose d'une marge de liberté pour atteindre ses
objectifs. Les règles d'équité doivent s'appliquer de
façon réaliste eu égard à la tâche. Le Conseil a
établi ses propres normes applicables à l'apprécia-
tion artistique et il a élaboré sa façon de procéder.
Je suis persuadé qu'il est le mieux placé pour
décider des critères à appliquer. De quel droit la
Cour peut-elle imposer ses propres vues et normes
et faire obstacle au processus décisionnel? En pra-
tique, il serait impossible d'accorder une audience
à tous les candidats. La règle relative aux activités
et aux délibérations du Conseil des arts du Canada
devrait s'appliquer de façon réaliste plutôt qu'à un
niveau théorique et abstrait.
J'ordonne donc que la présente demande soit
rejetée avec dépens.
Il est ordonné en outre que l'ordonnance portant
confidentialité reste pleinement en vigueur pour ce
qui est des documents actuellement sous scellés.
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