A-899-88
Gurdev Singh Grewal (appelant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration et Secré-
taire d'État aux Affaires extérieures (intimés)
RÉPERTORIE: GREWAL C. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET
DE L'IMMIGRATION) (CA.)
Cour d'appel, juges Heald, Mahoney et MacGui-
gan, J.C.A.—Toronto, 21 juin; Ottawa, 26 juin
1989.
Immigration — Refus de l'agent des visas d'accorder la
demande de permis de séjour au Canada pour étudiant —
Application par l'agent des visas de l'art. 8(2) de la présomp-
tion du statut d'immigrant, le demandeur ne l'ayant pas
convaincue «qui n'était pas un immigrant» — Appel de la
décision de première instance qui a rejeté la demande de
certiorari et de mandamus accueilli — La Loi sur l'immigra-
tion prévoit une procédure en deux étapes : (1) la procédure
applicable aux visas (art. 9 et 10) s'effectue à l'extérieur du
Canada par les agents des visas; (2) la procédure d'examen
(art. 11 à 18) s'effectue à un point d'entrée par les agents
d'immigration — La présomption de l'art. 8(2) ne s'applique
qu'à la deuxième étape de la procédure — La présomption ne
lie pas les agents des visas.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art.
52b)(i).
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52,
art. 2, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 72(2).
JURISPRUDENCE
DÉCISION CITÉE:
Procureur général du Canada c. Commission d'appel de
l'immigration, (lre inst.), T-1240-85, juge Denault,
5-7-85, non publiée.
AVOCATS:
David Bruner pour l'appelant.
Urszula Kaczmarczyk pour les intimés.
PROCUREURS:
Abraham Duggan Hoppe Niman Stott,
Toronto, pour l'appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HEALD, J.C.A.: Appel est interjeté
contre une ordonnance de la Section de première
instance [(1988), 24 F.T.R. 126] rejetant la
demande de l'appelant en vue d'obtenir une ordon-
nance de certiorari et une ordonnance de manda-
mus. La demande de redressement fondée sur
l'article 18 découle de la décision des intimés de
rejeter la demande de permis de séjour pour étu-
diant du neveu de l'appelant, Hardev Singh
Grewal, qui voulait entreprendre des études de
cinquième année dans une école publique de
Brantford (Ontario), le 8 septembre 1987. Le
neveu avait onze ans à l'époque.
L'appelant est citoyen canadien et vit au
Canada depuis 1969. C'est un homme d'affaires
prospère de la région de Brantford, où' il habite
actuellement avec sa femme et ses trois enfants.
En 1971, le frère de l'appelant, qui est le père de
Hardev Singh Grewal, est devenu totalement aveu-
gle. Il vit en Inde, pays dont il a la citoyenneté. En
raison de son état de santé, il n'est plus en mesure
de travailler. Depuis ce temps, l'appelant pourvoit
entièrement aux besoins de la famille de son frère,
y compris à ceux de Hardev Singh Grewal, qui
habite et étudie dans le district de Ludhiana, en
Inde.
En 1987, un tribunal indien a attribué la garde
de Hardev Singh Grewal à l'appelant. Celui-ci
estime que l'enfant aurait tout intérêt à venir au
Canada et à demeurer avec l'appelant et la famille
de ce dernier pendant ses études. Il a pris les
dispositions nécessaires pour que son neveu soit
accepté en cinquième année dans une école de
Brantford.
Le 28 septembre 1987, le neveu de l'appelant
s'est rendu au Haut-commissariat du Canada à
New Delhi en compagnie d'un adulte qui est un
ami de la famille et a demandé l'autorisation de
séjourner temporairement au Canada (permis de
séjour pour étudiant). Il a reçu une lettre de refus
datée du 30 septembre 1987 (dossier d'appel, page
53), dont voici un extrait:
[TRADUCTION] Aux termes du paragraphe 8(2) de la Loi sur
l'immigration de 1976, «Toute personne désireuse d'entrer au
Canada est présumée vouloir s'y établir tant qu'elle n'a pas
démontré le contraire à la satisfaction de l'agent d'immigration
qui l'examine». Après avoir étudié attentivement tous les fac-
teurs relatifs à votre commande, il a été décidé que vous ne
pouvez être considéré comme un véritable visiteur.
L'agent des visas qui a rejeté la demande a produit
un affidavit devant la Section de première instance
dans lequel elle déclare (dossier d'appel, page 66):
[TRADUCTION] J'ai rejeté la demande parce que j'ai présumé
que le demandeur était un immigrant au sens du paragraphe
8(2) de la Loi sur l'immigration de 1976, celui-ci ne m'ayant
pas convaincue qu'il n'était pas un immigrant.
Le procureur de l'appelant a fait valoir que le
juge qui a entendu la requête a commis une erreur
de droit en concluant que l'agent des visas a eu
raison d'appliquer la présomption énoncée au
paragraphe 8(2) de la Loi aux circonstances de
l'espèce.
Pour bien évaluer cette prétention, il m'apparaît
nécessaire de prendre en considération les articles
pertinents de la Loi sur l'immigration de 1976. Il
s'agit des articles 8 à 18, qui figurent à la Partie II
de la Loi, sous la rubrique «Admission au Canada».
Cette Partie II comporte quatre intertitres:
Présomption d'ordre général (article 8)
Visas et autorisations spéciales (articles 9 et 10)
Examens (articles 11 à 17)
Dépôt de gage par les visiteurs (article 18)
L'article 8 est ainsi libellé:
8. (1) Il appartient à la personne désireuse d'entrer au
Canada de prouver qu'elle a le droit d'y entrer ou que son
admission ne contreviendrait ni à la présente loi ni aux
règlements.
(2) Toute personne désireuse d'entrer au Canada est présu-
mée vouloir s'y établir tant qu'elle n'a pas démontré le contraire
à la satisfaction de l'agent d'immigration qui l'examine ou de
l'arbitre qui mène l'enquête.
L'article 9 oblige tout visiteur (sauf dans les cas
prévus par règlement) à demander et à obtenir un
visa avant de se présenter à un point d'entrée. Le
cas de ce demandeur est examiné par un agent des
visas qui détermine s'il semble répondre aux critè-
res de l'autorisation de séjour. Le paragraphe 9(4)
précise que l'agent des visas qui constate que le
séjour au Canada du demandeur ne contrevien-
drait pas à la Loi ni à ses règlements peut lui
délivrer un visa attestant qu'à son avis, le titulaire
est un visiteur qui satisfait aux exigences de la Loi
et de ses règlements.
Conformément à l'article 10, quiconque veut
suivre des cours de formation au Canada doit
présenter une demande auprès de l'agent des visas
et obtenir l'autorisation nécessaire avant de se
présenter à un point d'entrée.
Comme on le précise plus haut, l'intertitre des
articles 11 17 est «Examens». À l'article 2 de la
Loi, on définit ainsi l'examen: «l'entrevue qu'un
agent d'immigration fait subir à une personne qui
se présente à un point d'entrée dans le but d'entrer
au Canada». L'emploi de ce terme dans les diffé-
rents articles de cet intertitre est conforme à cette
définition. À mon avis, la procédure d'admission
prévue par la Loi comporte deux étapes, celle des
articles 9 et 10 étant antérieure à celle des articles
11 17. La première étape se déroule à l'étranger
et non à un point d'entrée. Cela ne fait . aucun
doute car les formalités sont accomplies par des
agents des visas, lesquels sont définis dans la Loi
comme des agents d'immigration en poste à
l'étranger et autorisés par arrêté du ministre à
délivrer des visas. Le procureur des intimés a fait
valoir que la présomption générale qui figure au
paragraphe 8(2) s'applique à toutes les admissions
au Canada et à toute étape ou procédure menant à
l'admission. Je ne partage pas ce point de vue. La
procédure relative à l'obtention d'un visa prévue
aux articles 9 et 10 est distincte parce que la
délivrance d'un visa sous le régime de ces disposi
tions crée un statut que le législateur a reconnu
dans la loi. Voir à ce propos le paragraphe 72(2)
de la Loi, dont l'extrait pertinent est ainsi libellé:
72....
(2) Toute personne, frappée par une ordonnance de renvoi,
qui
b) demande l'admission et était titulaire d'un visa en cours de
validité lorsqu'elle a fait l'objet du rapport visé au paragra-
phe 20(1),
peut, sous réserve du paragraphe (3), interjeter appel à la
Commission en invoquant l'un ou les deux motifs suivants:
c) un moyen d'appel comportant une question de droit ou de
fait ou une question mixte de droit et de fait;
d) le fait que, compte tenu de considérations humanitaires ou
de compassion, elle ne devrait pas être renvoyée du Canada.
Les dispositions de ce paragraphe s'appliquent aux
titulaires d'un «visa en cours de validité», qu'il
s'agisse du titulaire d'un visa d'immigrant ou du
titulaire d'un visa de visiteur'. Elles confèrent un
droit d'appel à ces deux catégories de personnes
lorsqu'une ordonnance de renvoi a été rendue. En
revanche, l'étape subséquente et distincte prévue
aux articles 11 à 18 porte sur les examens devant
l'agent d'immigration à un point d'entrée ou à tout
autre lieu désigné. Ces dispositions confèrent à
l'agent d'immigration plusieurs pouvoirs accessoi-
res, notamment le pouvoir d'accorder l'autorisation
de séjour à un visiteur sous réserve de certaines
conditions (paragraphe 14(3)). De plus, l'article
18 autorise un agent d'immigration supérieur à
exiger des visiteurs qu'ils déposent un gage titre de
garantie de l'observation des conditions qui pour-
raient leur être imposées en vertu de la Loi.
En résumé, j'en arrive à la conclusion que la Loi
sur l'immigration prévoit une procédure compor-
tant deux étapes et que le visiteur qui respecte les
conditions qui y sont prévues peut obtenir l'autori-
sation de séjour au Canada. Ce sont des agents des
visas en poste à l'étranger qui s'occupent de la
première étape. La deuxième étape se déroule au
Canada, la plupart du temps à un point d'entrée.
Lorsqu'un visiteur est accepté après la première
étape, il jouit alors d'un statut particulier et
obtient de ce fait certains droits d'appel dont il ne
bénéficierait pas autrement. La deuxième étape
comprend l'examen mené par un «agent d'immi-
gration». Si l'on analyse le paragraphe 8(2) dans le
contexte de cette procédure en deux étapes, on en
arrive facilement à la conclusion que la présomp-
tion s'applique uniquement aux examens effectués
par un agent d'immigration à un point d'entrée,
comme on le précise aux articles 11 à 18. Si le
législateur avait voulu que cette présomption s'ap-
plique aux agents des visas, il aurait été facile pour
lui de le dire en ajoutant quelques mots pour
obliger les agents des visas à tenir compte de cette
présomption au moment d'apprécier le cas d'un
demandeur de visa et de délivrer un visa en cours
de validité sous le régime des articles 9 et 10.
Pour ces motifs, j'estime que le juge qui a
entendu la requête a commis une erreur de droit en
' Comparer avec: Procureur général du Canada c. Commis
sion d'appel de l'immigration, Section de première instance,
T-1240-85, juge Denault, 5 juillet 1985, non publiée.
donnant raison à l'agent des visas, qui se considé-
rait liée par la présomption énoncée au paragraphe
8(2) de la Loi.
Le procureur de l'appelant a invoqué un
deuxième argument, soit le fait que le neveu de
l'appelant n'a pas eu droit à une audience juste et
impartiale et que la procédure devant l'agent des
visas était également nulle pour cette raison.
Comme j'en arrive à la conclusion que l'appel doit
être accueilli en appuyant sur le premier argument
invoqué par le procureur, il devient inutile d'exa-
miner les prétentions des parties au sujet du traite-
ment injuste en matière de procédure.
En bref, l'appel est accueilli, et l'ordonnance en
date du 7 octobre 1988 de la Section de première
instance est annulée et remplacée par l'ordonnance
suivante, rendue conformément à l'alinéa 52b)(1)
de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985),
chap. F-7]:
La décision en date du 30 septembre 1987 de l'agent des visas
Patricia Fortier, qui a rejeté la demande de permis de séjour au
Canada pour étudiant présentée par Hardev Singh Grewal, est
annulée et l'affaire est renvoyée aux intimés pour qu'ils réexa-
minent et tranchent à nouveau ladite demande en tenant
compte du fait que la présomption énoncée au paragraphe 8(2)
de la Loi sur l'immigration de 1976, ne s'applique pas aux
procédures relatives à l'obtention d'un visa qui sont prévues aux
articles 9 et 10 de la Loi.
L'appelant a droit aux dépens tant en cette ins
tance que devant la Section de première instance.
LE JUGE MAHONEY, J.C.A.: Je souscris à ces
motifs.
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A.: Je souscris à ces
motifs.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.