A-24-86
Michel Larivière (appelant)
c.
La Reine (intimée)
RÉPERTORIÉ: LA RIVIÈRE C. CANADA (C.A.)
Cour d'appel, juges Pratte, Hugessen et Desjar-
dins—Québec, 13 octobre 1988.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Déductions —
Pension alimentaire et aliments — Il s'agit de savoir si l'art.
60b) de la Loi de l'impôt sur le revenu permettait de déduire
une somme de 10 000 $ qui devait être versée suivant un
jugement conditionnel de divorce rendu au Québec — Le juge
de première instance a refusé d'accorder la déduction puis-
qu'elle n'était pas visée par une disposition de la Loi — Les
mots «pension alimentaire» tels qu'employés dans le texte
français de l'art. 60b) n'avaient pas le même sens que celui
prévu par le droit civil québécois — Les mots en question
correspondent à la traduction de l'expression anglaise «ali-
mony» désignant l'allocation qu'une personne mariée verse à
son conjoint — Un montant versé après la dissolution du
mariage n'est pas déductible à titre de pension alimentaire —
Il s'agit de savoir si cette somme a été versée à titre d'alloca-
tion payable périodiquement pour subvenir aux besoins du
bénéficiaire — L'allocation périodique est une somme payable
en des montants variables qui permet au créancier de subvenir
en partie à son entretien jusqu'au prochain paiement — Le
paiement de !0 000 $ du contribuable est déductible à titre
d'allocation périodique pour subvenir à l'entretien du
créancier.
Interprétation des lois — L'expression «pension alimen-
taire» dans le texte français de l'art. 60b) de la Loi de l'impôt
sur le revenu — Son interprétation n'est pas la même que celle
donnée par le droit civil québécois — Traduction de l'expres-
sion anglaise «alimony» qui désigne l'allocation versée durant
le mariage — Les montants versés après le divorce ne s'assimi-
lent pas à la «pension alimentaire».
Il s'agit en l'espèce d'un appel interjeté à l'encontre d'une
décision de la division de première instance qui faisait droit en
partie à l'appel de l'appelant contre les cotisations relatives à
son impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1978 et
1979. L'appelant a été tenu de payer la somme de 10 000 $ à
son ancienne épouse suivant un jugement conditionnel de
divorce rendu en 1979 par la Cour supérieure du Québec. Le
juge de première instance n'a pas accordé la déduction du
paiement susmentionné puisqu'il ne s'agissait ni d'une «pension
alimentaire» ni d'une «autre allocation payable périodiquement»
au sens où l'alinéa 60b) de la Loi de l'impôt sur le revenu
utilise ces expressions.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli.
Le juge de première instance a eu raison de statuer que les
mots «pension alimentaire» de la version française de l'alinéa
60b) n'ont pas le même sens que celui que le droit civil
québécois leur donne. Ces mots traduisent le terme anglais
«alimony» et désignent l'allocation qu'un conjoint est tenu de
verser pendant le mariage. Une fois le mariage dissout, les
montants versés par l'ancien époux ne peuvent plus être déduits
à titre de pension alimentaire en vertu de l'alinéa 60b).
À la lumière de la décision rendue dans l'affaire Veliotis c.
La Reine, le juge de première instance a également décidé que
le montant versé par l'appelant à son ancienne épouse ne
pouvait être déduit à titre d'«allocation payable périodiquement
pour subvenir aux besoins du bénéficiaire en question».
Le juge qui a rendu les motifs de jugement dans l'affaire
Veliotis, et qui statue sur cet appel, s'il avait à écrire de
nouveau présentement, ses motifs dans l'affaire Veliotis, les
changerait pour dire que l'allocation périodique dont parle
l'alinéa 60b) doit simplement subvenir à l'entretien de l'épouse
de l'appelant, au moins en partie, jusqu'au prochain paiement.
Il n'était pas exact de déclarer dans l'affaire Veliotis qu'un
jugement ne crée pas l'obligation de verser une allocation
payable périodiquement s'il n'oblige pas le débiteur à verser
une même somme à intervalles réguliers. Des montants varia
bles et payables périodiquement peuvent être déduits aux
termes de l'alinéa 60b).
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63,
art. 60b).
Loi sur le divorce, S.R.C. 1970, chap. D-8, art.
I1(I)a)(i).
JURISPRUDENCE
DÉCISION INFIRMÉE:
Veliotis c. La Reine, [ 1974] 1 C.F. 3 (I" inst.).
AVOCATS:
Raymond Nepveu pour l'appelant.
Paul E. Plourde pour l'intimée.
PROCUREURS:
Gauthier, Nepveu, Leblanc, Brouillette, Ron-
deau & Grégoire, Sept-Îles (Québec) pour
l'appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée.
Voici les motifs du jugement prononcés en fran-
çais à l'audience par
LE JUGE PRATTE: L'appelant attaque un juge-
ment de la Division de première instance [[1986] 1
C.T.C. 206; (1985), 8 F.T.R. 14] (M. le juge
Pinard) qui n'a fait droit qu'en partie à l'appel
qu'il avait interjeté à l'encontre des cotisations
relatives à son impôt sur le revenu pour les années
d'imposition 1978 et 1979.
La seule question en litige est celle de savoir si
l'alinéa 60b) de la Loi de l'impôt sur le revenu
[S.C. 1970-71-72, chap. 63]' autorisait l'appelant
à déduire, lors du calcul de son revenu pour l'an-
née 1979, une somme de 10 000 $ qu'il avait dû
payer à son ancienne épouse suivant un jugement
conditionnel de divorce rendu le 13 mars 1979 par
la Cour supérieure du Québec.
Il est constant que la somme dont il s'agit avait
un caractère alimentaire. Si le premier juge a,
malgré cela, jugé que l'alinéa 60b) n'en permettait
pas la déduction c'est que, à son avis, il ne s'agis-
sait ni d'une «pension alimentaire» ni d'une «autre
allocation payable périodiquement» au sens où
l'alinéa 60b) utilise ces expressions.
Il paraît certain que, comme l'a dit le juge, les
mots «pension alimentaire» dans le texte français
de l'alinéa 60b) n'ont pas le sens général que le
droit civil québécois leur donne. On les a utilisés
pour traduire l'expression anglaise «alimony» qui
désigne seulement la pension qu'une personne
mariée doit verser à son conjoint pendant le
mariage. Comme la somme de 10 000 $ qui nous
intéresse a été payée par l'appelant à son ancienne
épouse après la dissolution de leur mariage, ce
n'était pas là le paiement d'une pension alimen-
taire au sens restreint où cette expression est utili
sée dans l'alinéa 60b). Le juge a donc eu raison
d'en refuser la déduction à ce titre.
Reste à savoir s'il a eu raison de juger que cette
somme n'avait pas été payée à titre d'«allocation
payable périodiquement pour subvenir aux besoins
' Le texte de cette disposition est le suivant:
60. Peuvent être déduites lors du calcul du revenu d'un
contribuable pour une année d'imposition les sommes suivan-
tes qui sont appropriées:
b) toute somme payée dans l'année par le contribuable, en
vertu d'un arrêt, d'une ordonnance ou d'un jugement
rendus par un tribunal compétent ou en vertu d'un accord
écrit, à titre de pension alimentaire ou autre allocation
payable périodiquement pour subvenir aux besoins du
bénéficiaire, des enfants issus du mariage ou à la fois du
bénéficiaire et des enfants issus du mariage, si le contri-
buable vivait séparé, en vertu d'un divorce, d'une sépara-
tion judiciaire ou d'un accord écrit de séparation, du
conjoint ou de l'ex-conjoint à qui il était tenu de faire le
paiement, le jour où le paiement a été effectué et durant le
reste de l'année;
du bénéficiaire» [aux pages 209 C.T.C.; 17 F.T.R.]
malgré qu'il s'agissait clairement ici d'une somme
ayant un caractère alimentaire. Pour justifier cette
conclusion, le juge s'est fondé sur le jugement
rendu dans l'affaire Veliotis c. La Reine 2 où, alors
que je siégais à la Division de première instance, je
me suis exprimé comme suit [à la page 8]:
En second lieu, on ne peut dire que le montant de $25,000.00
ait été payé à titre «d'allocation payable périodiquement». A
mon avis, l'allocation payable périodiquement dont parle l'arti-
cle 11(1)l) est une allocation périodique de même nature
qu'une pension alimentaire. Or une pension alimentaire est une
allocation périodique non seulement en ce sens que son débiteur
doit en payer le montant à intervalles réguliers mais aussi en ce
sens que, à intervalles réguliers, le débiteur doit payer une
somme tout juste suffisante pour subvenir à l'entretien du
créancier jusqu'au prochain paiement. C'est pourquoi le juge-
ment de divorce qui ordonnerait au mari de payer à son épouse
une somme de $100,000.00 en quatre versements mensuels de
$25,000.00 ne serait pas normalement un jugement qui ordon-
nerait le paiement d'une allocation périodique au sens de
l'article 11(1)l). De plus, il faut remarquer que cet article parle
d'un montant payé à titre d'«allocation payable périodique-
ment». Une allocation, c'est une somme d'argent précise allouée
à une personne. Une allocation est payable périodiquement
lorsqu'une somme d'argent précise est payable à intervalles
réguliers. Un jugement ne crée pas l'obligation de verser une
allocation payable périodiquement s'il n'oblige pas le débiteur à
verser une même somme d'argent à intervalles réguliers. Dans
cette affaire-ci, le jugement de divorce impose peut-être au
demandeur l'obligation de faire périodiquement certains paie-
ments; il ne lui impose pas cependant l'obligation de verser
périodiquement à son épouse une allocation de $25,000.00.
Après avoir cité ce jugement, le juge conclut que
la somme de 10 000 $ n'avait pas été payée «à titre
d'allocation payable périodiquement» d'une part
parce qu'il n'était pas établi que cette somme était
«tout juste suffisante pour subvenir à l'entretien»
[aux pages 210 C.T.C.; 18 F.T.R.] de l'ancienne
épouse de l'appelant pendant la période pour
laquelle cette somme était payée et, d'autre part,
parce qu'elle avait été payée en vertu d'un juge-
ment qui l'obligeait à effectuer des paiements
périodiques inégaux.
Au sujet des motifs du jugement que j'ai rendu
dans l'affaire Veliotis, je veux faire deux observa
tions. Si j'avais à les réécrire, je ne dirais plus que
l'allocation périodique dont parle l'alinéa 60b) doit
être une somme «tout juste suffisante pour subve-
nir à l'entretien du créancier jusqu'au prochain
paiement»; j'écrirais plutôt qu'elle doit être une
somme payée dans le but de permettre au créan-
2 [ 1974] 1 C.F. 3 (1" inst.).
cier de subvenir, au moins en partie, à son entre-
tien jusqu'au prochain paiement plutôt que dans le
but de lui permettre d'accumuler un capital,
Quant à l'affirmation qu'un jugement ne crée pas
l'obligation de verser une allocation payable pério-
diquement s'il n'oblige pas le débiteur à verser une
même somme d'argent à intervalles réguliers, elle
m'apparaît aujourd'hui inexacte. Je crois mainte-
nant qu'une allocation payable périodiquement
peut être d'un montant variable...
Ceci dit, la question à résoudre, telle que je la
comprends, est celle de savoir si le jugement en
vertu duquel le paiement de 10 000 $ a été fait a
imposé l'obligation d'effectuer des paiements
périodiques ayant pour objet de permettre à l'an-
cienne épouse de l'appelant de subvenir à ses
besoins pendant le temps où ces paiements étaient
effectués plutôt que de lui permettre de se consti-
tuer un capital. La réponse semble au premier
abord facile. Le juge de la Cour supérieure dit, en
effet, que, au lieu de condamner l'appelant à payer
«une pension alimentaire payable par mensualités»,
il s'autorise du sous-alinéa 11(1)a)(i) de la Loi sur
le divorce [S.R.C. 1970, chap. D-8] 3 pour «rendre
... une ordonnance enjoignant au requérant d'ef-
fectuer à l'intimée le paiement d'une somme glo-
bale de 20 000 $ devant être acquittée par verse-
ments échelonnés comme suit, savoir: 10 000 $
payables le ler avril prochain suivis de deux autres
versements annuels, égaux et consécutifs de
5 000 $ chacun payables les 1" avril 1980 et 1981
respectivement». A lire ce passage du jugement, on
est enclin à croire que le juge a voulu, plutôt que
condamner l'appelant à payer une pension alimen-
taire (au sens que le droit civil du Québec donne à
ce terme), le condamner à verser une somme
forfaitaire.
3 Le texte de cet article était alors le suivant:
11. (I) En prononçant un jugement conditionnel de
divorce, le tribunal peut, s'il l'estime juste et approprié,
compte tenu de la conduite des parties ainsi que de l'état et
des facultés de chacune d'elles et des autres circonstances
dans lesquelles elles se trouvent, rendre une ou plusieurs des
ordonnances suivantes, savoir:
a) une ordonnance enjoignant au mari d'assurer l'obten-
tion ou d'effectuer le paiement de la somme globale ou des
sommes échelonnées que le tribunal estime raisonnables
pour l'entretien
(i) de l'épouse
Si, cependant, on étudie avec soin les motifs de
la décision du juge de la Cour supérieure, il
devient évident que son intention, malgré les
termes qu'il a utilisés, était de condamner l'appe-
lant à payer une pension alimentaire annuelle pour
un terme fixe de trois ans. Lors du divorce,
l'épouse de l'appelant recevait de son mari une
pension alimentaire intérimaire de 1 075 $ par
mois plus le coût de son loyer. Le premier verse-
ment de la «somme globale» était donc beaucoup
moins élevé que celui de la pension payée jusque-là
par l'appelant. Plus important encore, le juge a
indiqué qu'il considérait le paiement de la «somme
globale» de 20 000 $ à l'ancienne épouse de l'appe-
lant comme une provision temporaire devant lui
permettre de se recycler, de compléter sa forma
tion et de s'établir dans une nouvelle vie. Les trois
versements de 10 000 $, 5 000 $ et 5 000 $ étaient
donc un revenu plutôt qu'un capital pour celle qui
les recevait; ils étaient payables périodiquement
dans le but de subvenir à ses besoins; ils étaient
donc déductibles dans le calcul du revenu de
l'appelant.
Je ferais droit à l'appel avec dépens et je modi-
fierais le jugement de la Division de première
instance de façon à ce qu'il se lise comme suit:
L'appel est accueilli avec dépens et les cotisations relatives à
l'impôt sur le revenu payable par l'appelant pour les années
1978 et 1979 sont déférées au ministre pour nouvel examen et
nouvelles cotisations en prenant pour acquis que dans le calcul
de son revenu pour ces années-là l'appelant avait le droit de
déduire les sommes dont il avait réclamé la déduction en vertu
de l'alinéa 60b) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
LE JUGE HUG ESSEN y a souscrit.
LE JUGE DESJARDINS y a souscrit.
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