T-2696-80
Smith, Kline & French Laboratories Limited,
Smith, Kline & French Canada Ltd., Graham
John Durant, John Colin Emmett et Charon Robin
Ganellin (demandeurs) (intimés)
c.
Procureur général du Canada (défendeur) (requé-
rant)
RÉPERTORIÉ: SMITH, KLINE & FRENCH LABORATORIES LTD.
c. CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL) (I" INST.)
Section de première instance, juge MacKay—
Ottawa, 2 novembre 1988 et 10 mars 1989.
Pratique — Communications privilégiées — Engagements
pris à l'étape des interrogations préalables concernant le
caractère confidentiel de certains documents et témoignages —
Documents subséquemment scellés pour motif de confidentia-
lité lors de l'instruction de l'action mettant en cause la validité
de l'art. 41(4) de la Loi sur les brevets — Le M.R.N., qui
n'était pas partie à cette instance, demande maintenant accès
aux documents pour fins de vérification — La présomption de
transparence des dossiers judiciaires, tel qu'exprimée à la
Règle 201(4), n'est pas un motif suffisant pour modifier une
ordonnance de non-divulgation — L'examen de l'assujettisse-
ment à l'impôt ne constitue pas un changement dans les
circonstances ni une raison impérative — Les intérêts de la
justice exigent qu'une ordonnance de non-divulgation ne soit
modifiée que dans des cas exceptionnels — Permettre l'accès
conduirait les parties à refuser la divulgation dans des pour-
suites instituées par la Couronne ou contre elle.
Impôt sur le revenu — Pratique — Le M.R.N. demande
l'accès, pour fins de vérification, à des documents scellés par
ordonnance pour cause de confidentialité, dans une action
concernant la validité d'une disposition de la Loi sur les
brevets — Il faut qu'il y ait un changement dans les circons-
tances ou une raison impérative pour justifier la modification
d'une ordonnance de non-divulgation — L'examen de l'assu-
jettissement à l'impôt ne constitue pas un changement dans les
circonstances mais une circonstance nouvelle — L'intérêt
public que représente le M.R.N. ne constitue pas une raison
impérative de modifier l'ordonnance.
Au nom du ministre, le procureur général demande en
l'espèce l'émission d'une ordonnance autorisant les fonctionnai-
res du ministère du Revenu national à prendre connaissance de
certains documents dont la Section de première instance et la
Cour d'appel avaient ordonné qu'ils soient scellés pour cause de
confidentialité, dans une action visant l'obtention d'un juge-
ment déclarant le paragraphe 41(4) de la Loi sur les brevets
ultra vires et contraire à la Déclaration canadienne des droits
ainsi qu'à la Charte canadienne des droits et libertés. Le
ministre du Revenu national n'était pas partie à cette instance.
La présentation de cette requête du procureur général s'ex-
plique par la vérification à laquelle procède le ministre du
Revenu national à l'égard des déclarations d'impôt de l'un des
intimés, Smith, Kline & French Canada Ltd., pour les années
1981 à 1983. Aux termes de leur mandat, les vérificateurs sont
tenus de prendre connaissance de tout renseignement pouvant
se rapporter aux prix qu'a payés cette société pour se procurer
un médicament connu sous le nom générique de cimétidine
auprès de fournisseurs liés non résidants.
Les ordonnances de non-divulgation dont le requérant veut
obtenir la modification ont été rendues à la suite des engage
ments que les avocats ont pris, préalablement à l'instruction, de
garder confidentiels certains documents et renseignements four-
nis à l'étape des interrogatoires préalables.
Jugement: la requête devrait être rejetée.
Bien qu'elle soit d'application générale dans les procédures
des tribunaux, la présomption de transparence ou de caractère
public des dossiers judiciaires, sur laquelle s'appuie le requé-
rant, n'est d'aucun secours à une partie qui, après avoir con-
senti à ce que des documents soient scellés pour motif de
confidentialité, cherche maintenant à en recevoir communica
tion à des fins n'ayant pas, de l'aveu général, été prises en
compte à l'époque où l'ordonnance a été rendue. En pareil cas,
le fardeau de convaincre la Cour d'octroyer un droit d'accès
incombe à la partie qui veut faire modifier l'ordonnance.
Le requérant n'a pas satisfait au critère qu'a établi le juge
Reed dans la décision Apotex Inc. c. Procureur général du
Canada et al. (1986), 10 C.P.R. (3d) 310 (C.F. 1te inst.) en ce
qui concerne la modification des termes d'une ordonnance de
non-divulgation. Selon le juge Reed, le principe de la transpa-
rence des procédures judiciaires, exprimé à la Règle 201(4) de
la Cour fédérale, ne constitue pas un motif suffisant pour
changer une ordonnance de non-divulgation. Pour reprendre ses
mots, il aurait fallu invoquer à cet égard «certains changements
dans les circonstances ou une raison impérative qui n'ont pas
été examinés directement lorsque l'ordonnance a été prise». Il
faut une raison vraiment impérative pour modifier une ordon-
nance de non-divulgation, surtout dans les cas où le motif de la
demande d'accès n'est aucunement relié—et est, dans ce sens,
accessoire ou ultérieur—à l'action au cours de laquelle les
documents sont produits et scellés, et où le procureur général
est partie à une action dans laquelle une ordonnance non-divul-
gation a été rendue. L'examen de l'assujettissement à l'impôt de
l'intimée ne constitue pas un changement dans les circonstances
se rapportant aux questions en litige dans l'action aux fins de
laquelle les renseignements ont été fournis. Il s'agit d'une
situation nouvelle dans la mesure où l'examen de l'assujettisse-
ment à l'impôt n'est pas un facteur ayant été retenu lorsque les
ordonnances de non-divulgation ont été prises. Cette situation
ne constitue pas une raison impérative pour modifier les
ordonnances.
Si, par l'entremise de son avocat, le procureur général con
sent à une ordonnance protégeant la confidentialité d'une
preuve, ou même s'il y est assujetti sans son consentement, cette
ordonnance ne devrait pas être modifiée simplement parce
qu'on soulève un autre intérêt public, accessoire à l'action en
cours. Sinon, les intérêts de la justice, que vise à assurer la
procédure actuelle de la communication préalable, pourraient
être compromis: les parties engagées dans des poursuites insti-
tuées par la Couronne ou contre elle chercheraient à éviter la
divulgation de renseignements dont cette dernière tenterait de
se servir, par la suite et quel que soit le résultat de l'instance
originale, pour quelque autre fin non reliée à cette première
action.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.).
Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appen-
dice III.
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63,
art. 69(2), 152(1),(4),(7), 241.
Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, chap. P-4, art. 41(4).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C. chap. 663, Règles
201, 319.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Apotex Inc. c. Procureur général du Canada et al.
(1986), 10 C.P.R. (3d) 310 (C.F. 1fB inst.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Procureur général de la Nouvelle-Écosse et autre c.
MacIntyre, [1982] 1 R.C.S. 175; Samuel Moore & Co. c.
Commissaire des brevets, [1980] 2 C.F. 350; (1979), 45
C.P.R. (2d) 185 (C.A.); Atwal c. Canada, [1988] 1 C.F.
107 (C.A.); Amp of Canada, Ltd. c. La Reine (1987), 87
DTC 5157 (C.F. 1fB inst.).
DECISIONS EXAMINEES:
Halliburton Co. et al. c. Northstar Drillstem Ltd. et al.
(1982), 65 C.P.R. (2d) 122 (C.F. 1" inst.); Algonquin
Mercantile Corp. c. Dart Industries Canada Ltd.,
T-831-82, juge McNair, ordonnance en date du 4-11-83,
non publiée; Control Data Canada Ltd. c. Senstar Corp.,
T-1583-84, protonotaire-chef adjoint Giles, ordonnance
en date du 6-5-88, non publiée; conf. par le juge en chef
adjoint Jerome, ordonnance en date du 6-6-88, non
publiée.
DÉCISIONS CITÉES:
Smith, Kline & French Laboratories Limited c. Procu-
reur général du Canada, [1986] 1 C.F. 274; (1985), 24
D.L.R. (4th) 321 (lfe inst.); conf. par [1987] 2 C.F. 359
(C.A.); autorisation de pourvoi à la Cour suprême du
Canada refusée [1987] 1 R.C.S. xiv; Smith, Kline &
French Laboratories Ltd. et autres c. Procureur général
du Canada (1984), 1 C.P.R. (3d) 268 (C.F. 1' inst.); inf.
par le juge Mahoney, A-957-84, jugement en date du
1I-1-85, non publié; Smith, Kline & French Laboratories
Ltd. c. Procureur général du Canada, A-909-85, juge
Heald, jugement en date du 25-8-86, non publié; Smith,
Kline & French Canada Ltd. c. Frank W. Horner, Inc.
(1982), 70 C.P.R. (2d) 128 (C.F. l'e inst.); Distillers Co
(Biochemicals) Ltd v Times Newspapers Ltd, [1975] 1
All ER 41 (Q.B.D.); Riddick v. Thames Board Mills
Ltd., [1977] 1 Q.B. 881 (C.A.); Crest Homes plc v
Marks, [1987] 2 All ER 1074 (H.L.); Home Office v
Harman, [1982] 1 All ER 532 (H.L.); Lac Minerals Ltd.
v. New Cinch Uranium Ltd. et al. (1985), 50 O.R. (2d)
260 (H.C.).
AVOCATS:
Gordon F. Henderson, c.r., Emma A. C. Hill
et Guy Du Pont pour les demandeurs
(intimés).
Robert McMechan pour le défendeur (requé-
rant).
PROCUREURS:
Gowling & Henderson, Ottawa, pour les
demandeurs (intimés).
Le sous-procureur général du Canada pour le
défendeur (requérant).
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MACKAY: Au nom du ministre du
Revenu national, le procureur général du Canada
demande en l'espèce l'émission d'une ordonnance
autorisant les fonctionnaires dudit ministère à exa
miner et à photocopier certaines pièces dont cette
Cour et la Cour d'appel, lors de l'instruction de
l'action originale entre les mêmes parties et les
appels y relatifs, avaient ordonné qu'elles soient
scellées pour cause de confidentialité.
Dans cette action que les demandeurs ont inten-
tée en 1980, le procureur général du Canada, à
titre de défendeur, s'est opposé à ce que le para-
graphe 41(4) de la Loi sur les brevets [S.R.C.
1970, chap. P-4] (aujourd'hui le paragraphe 39(4)
de la même Loi, L.R.C. (1985), chap. P-4) soit,
par jugement déclaratoire, déclaré invalide. Aux
termes de ce paragraphe, le commissaire des bre-
vets est tenu, sur demande, de délivrer une licence
en vertu d'un brevet relatif à un procédé de pro
duction de médicaments, et d'autoriser ainsi la
production légale des médicaments appelés «géné-
riques» par des personnes autres que le titulaire du
brevet ou ceux qui l'exploitent en vertu d'une
licence du propriétaire. Les particuliers faisant
partie des demandeurs à l'action sont les inven-
teurs de deux inventions consistant dans le procédé
utilisé dans la production d'un médicament dont le
nom générique est cimétidine. Ils ont cédé leurs
droits sur lesdites inventions à leur employeur
Smith, Kline & French Laboratories Limited, une
compagnie du Royaume- Uni, propriétaire des bre-
vets canadiens à l'égard de ces procédés. Smith,
Kline & French Canada Ltd. est une société cana-
dienne qui détient une licence des titulaires du
brevet pour vendre le médicament au Canada, ce
qu'elle fait sous le nom du médicament d'ordon-
nance Tagamet. Les deux sociétés font partie
d'une plus grande entreprise et sont toutes deux
des filiales exclusives d'une compagnie américaine
qui, de son côté, est la filiale d'une autre compa-
gnie américaine. Au moment de l'introduction de
l'action, la cimétidine faisait l'objet au Canada de
plusieurs licences obligatoires délivrées conformé-
ment à ce qui était alors le paragraphe 41(4) de la
Loi sur les brevets.
Dans l'action intentée à l'origine, les deman-
deurs cherchaient à obtenir un jugement déclara-
toire portant que cette dernière disposition de la
Loi sur les brevets était invalide parce qu'ultra
vires de l'autorité législative du Parlement, con-
traire à la Déclaration canadienne des droits
[S.R.C. 1970, Appendice III] et enfin incompati
ble avec la Charte canadienne des droits et libertés
[qui constitue la Partie I de la Loi constitution-
nelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)]. En première
instance, le juge Strayer a rejeté l'action des
demandeurs ([1986] 1 C.F. 274; (1985), 24
D.L.R. (4th) 321 (1'e inst.)). Ce jugement a été
confirmé par la Cour d'appel fédérale ([1987] 2
C.F. 359 (C.A.)), et l'autorisation de pourvoi a été
refusée par la Cour suprême du Canada ([1987] 1
R.C.S. xiv, 9.4.87).
On aurait pu croire que l'affaire trouvait là sa
conclusion finale. Aujourd'hui, cependant, le pro-
cureur général du Canada, défendeur à l'action
originale en sa qualité de représentant de l'intérêt
public fédéral, demande accès, conformément aux
Règles 201 et 319 de la Cour fédérale [Règles de
la Cour fédérale, C.R.C., chap 663], des docu
ments scellés sur ordonnance de la Cour pour
motif de confidentialité et ce, au nom du ministre
du Revenu national qui n'était pas partie à l'ins-
tance et n'avait aucun intérêt particulier à y être
représenté.
La présentation de cette requête inhabituelle
s'explique par le fait que le ministre du Revenu
national procède présentement à une vérification
des déclarations d'impôt de l'une des demanderes-
ses originales, Smith, Kline & French Canada
Ltd., à l'égard des années d'imposition 1981, 1982
et 1983. Pour les fins de cette vérification que le
ministre a le pouvoir et la responsabilité d'entre-
prendre (Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C.
1952, chap. 148, paragraphes 69(2), 152(1),
152(4) et 152(7), modifiée par S.C. 1970-71-72,
chap. 63, art. 1), les vérificateurs souhaitent pren-
dre connaissance de tout renseignement pouvant se
rapporter aux prix qu'a payés ladite demanderesse
pour se procurer de la cimétidine auprès de four-
nisseurs liés non résidants. Dans une lettre qu'ils
lui faisait parvenir au nom du ministre au mois de
février 1988, les vérificateurs enjoignaient à la
société de consentir à la communication des pièces
en litige ou des renseignements qui y sont
contenus.
C'est à la suite du refus de la société de donner
son consentement que la présente requête a été
déposée au mois d'août 1988. Les demandeurs,
intimés en l'espèce, s'y opposent pour plusieurs
motifs. Avant d'examiner les arguments des par
ties, il est cependant essentiel de revenir à l'histori-
que de l'action à l'égard des pièces ayant fait
l'objet des ordonnances de non-divulgation.
L'action—Les interrogatoires préalables
Lors des interrogatoires préalables à l'instruc-
tion, l'avocat représentant le procureur général a
pris certains engagements concernant le caractère
confidentiel de témoignages ou de documents pro-
duits dans le dossier d'au moins l'un des particu-
liers demandeurs et d'un ou plusieurs dirigeants
d'une des sociétés demanderesses, ou les deux.
D'après la transcription des interrogatoires, ces
engagements paraissent avoir une vaste portée.
Au cours de l'interrogatoire de l'un des particu-
liers demandeurs, l'avocat des demandeurs a fait
inscrire ce qui suit au dossier:
[TRADUCTION] ... nous sommes convenus d'un engagement
relatif à la confidentialité, à savoir que les documents et les
renseignements qui seront fournis et feront l'objet de discus
sions pendant le présent interrogatoire devront rester confiden-
tiels. Nous voudrions que la transcription en soit scellée,
c'est-à-dire qu'elle ne puisse pas être utilisée. Les renseigne-
ments ne devront être communiqués à quiconque n'est pas relié
directement à l'affaire et ne devront être utilisés que pour les
fins de l'action, conformément à l'engagement.
Ce à quoi l'avocat du défendeur, le procureur
général du Canada, a répondu:
[TRADUCTION] Je peux certainement ... vous donner l'assu-
rance que les renseignements fournis lors du présent interroga-
toire, que ce soit oralement ou sous forme de documents, ne
seront pas communiqués à l'extérieur du ministère de la Justice
et ou du ministère de la Consommation et des Corporations, en
particulier le Bureau des brevets, et que le défendeur ne s'en
servira pas à d'autres fins que celles de la présente action.
L'échange suivant s'est ensuite déroulé entre les
procureurs:
[TRADUCTION] (Pour les demandeurs): Lorsque vous discute-
rez des renseignements fournis avec d'autres personnes que vos
collègues intéressés dans l'action, ces personnes seraient avisées
qu'elles ne peuvent à leur tour transmettre ces renseignements
en raison de leur caractère confidentiel.
(Pour le défendeur): Oui, j'en prends également l'engagement.
Au cours de l'interrogatoire de l'un des diri-
geants de la société britannique faisant partie des
demandeurs, l'avocat de ces derniers a fait inscrire
au dossier l'engagement à la confidentialité pris
lors de l'interrogatoire précédent, en demandant
que cet engagement vaille également pour ce
nouvel interrogatoire. L'avocat du défendeur a
reconnu que le même engagement s'appliquerait à
la preuve recueillie, qu'elle soit orale ou écrite.
Lors d'un autre échange au cours de l'interroga-
toire de l'un des particuliers demandeurs, le
témoin a refusé de répondre au motif que les
renseignements étaient confidentiels. Voici ce
qu'ont alors déclaré les procureurs des parties:
[TRADUCTION] (Pour le défendeur): Je dois vous demander [de
révéler les renseignements] puisqu'aucun privilège particulier
ne s'attache évidemment à ce genre de renseignements.
(Pour les demandeurs): Nous estimons qu'il s'agit d'informa-
tions hautement confidentielles, hautement pertinentes pour les
concurrents désirant savoir s'il y a expansion, compression ou
simplement maintien de nos entreprises. Nous étudierons la
demande de dossier que vous avez présentée.
(Pour le défendeur): Je me rends compte que les renseigne-
ments peuvent très bien avoir un caractère confidentiel, et je
croyais que c'était pour cette raison que vous avez exigé de moi
un engagement avant que nous procédions.
(Pour les demandeurs): Pour certains aspects, les renseigne-
ments seront contenus dans des documents que vous verrez.
(Pour le défendeur): Vous et moi savons ...
(Pour les demandeurs): Il n'est pas nécessaire d'accroître inuti-
lement le risque.
(Pour le défendeur): J'ai le privilège d'interroger [le particulier
demandeur] sur le sujet dont il semble avoir personnellement
connaissance. Ce que je lui demande maintenant, c'est de me
dire ce qu'il sait à ce propos.
Le requérant s'appuie sur ce dernier échange
pour en arriver à la conclusion, fondée sur le
souvenir et la conviction de l'un des premiers
avocats du défendeur au dossier, que c'est parce
que les demandeurs s'inquiétaient de la concur
rence qu'ils ont cherché à obtenir des engagements
à l'égard de la confidentialité de la preuve recueil-
lie au préalable et de la correspondance ultérieure,
mentionnée plus bas.
Par la suite, en reconnaissance des engagements
pris, l'avocat du défendeur a, dans un avis écrit,
déclaré qu'il s'attendait à la collaboration de ceux
à qui il serait nécessaire de montrer les pièces
considérées par les demandeurs comme confiden-
tielles; il s'y engageait à faire en sorte que [TRA-
DUCTION] «toute personne avec qui [il pourrait]
discuter de l'affaire soit au courant de l'engage-
ment portant sur la nécessité de garder les rensei-
gnements strictement confidentiels». Ultérieure-
ment, l'avocat a donné avis écrit de son intention
de transmettre au ministre de la Consommation et
des Corporations les renseignements obtenus confi-
dentiellement lors de l'interrogatoire préalable
d'un dirigeant de la société canadienne demande-
resse. Par déduction, je présume qu'il a ainsi cher-
ché à étendre la protection couvrant la communi
cation des renseignements fournis sous le sceau de
la confidence.
Dans son argumentation, l'avocat des deman-
deurs a fait valoir que la Cour ne pouvait relever
les avocats des obligations découlant d'engage-
ments contractés avant l'instruction. Je souscris à
cet argument mais, à mon avis, il n'est pas directe-
ment pertinent à la requête.
À une étape postérieure des procédures préala-
bles à l'instruction, le défendeur a demandé aux
sociétés demanderesses certains documents, y com-
pris semble-t-il des renseignements à caractère
financier, dont il avait été question lors de l'inter-
rogatoire de certains dirigeants de ces sociétés. La
requête visant à obtenir la production des docu
ments en cause a été rejetée par le juge Strayer
(Smith, Kline & French Laboratories Ltd. et
autres c. Procureur général du Canada) (1984), 1
C.P.R. (3d) 268 (C.F. ire inst.)). La Cour d'appel
a ensuite ordonné que ces documents, qui avaient
déjà été produits et cotés au préalable, soient
produits «sous réserve toujours des mesures de
confidentialité sur lesquelles les parties pourront
s'entendre ou que la Division de première instance
pourra, à défaut d'entente, ordonner» (par le juge
Mahoney au nom de la Cour, non publié, C.F.
A-957-84, 11 janvier 1985).
L'action—Les «ordornances de non-divulgation»
Par la suite, conformément à la Règle 324 et
avec le consentement des parties, le juge en chef
adjoint a rendu, le 14 février 1985, une ordon-
nance portant que les documents seraient produits
et gardés confidentiels. Après avoir établi que le
terme «renseignements confidentiels» s'entend de
certains documents et «avocat assigné au procès»,
de l'avocat qui représentait alors le procureur
général «ou tout autre avocat, au service du sous-
ministre de la Justice, à qui est confiée la conduite
de la présente action», l'ordonnance comporte
notamment les dispositions suivantes:
3. Chaque document des renseignements confidentiels porte un
avis indiquant qu'il est visé par la présente ordonnance de
non-divulgation.
4. Lorsqu'usage en est fait en cour, les renseignements confi-
dentiels sont déposés dans des enveloppes scellées ou autres
contenants indiqués sur lesquels sont inscrits l'en-tête du pré-
sent litige, la nature des pièces qui y sont contenues, le mot
«Confidentiel», ainsi qu'une déclaration portant essentiellement
ce qui suit:
«Cette enveloppe ne sera ouverte et son contenu n'en sera
montré ou divulgué que sur ordonnance de la Cour ou
consentement des parties.»
5. Sous réserve des dispositions de la présente ordonnance, les
renseignements confidentiels restent sous la garde des avocats
assignés au procès, aux bureaux de ces derniers, lesquels ne
peuvent s'en servir que pour les fins de la présente action.
Interdiction leur est faite de communiquer ces documents ou
renseignements, sauf aux personnes, y compris les experts
externes, pour lesquelles ils l'estiment nécessaire et uniquement
pour les fins de la présente action. Les renseignements confi-
dentiels peuvent être remis aux bureaux de ces personnes, sous
réserve des dispositions de la présente ordonnance.
6. Avant qu'il ne soit procédé à toute communication confiden-
tielle autorisée en vertu du par. 5, la personne visée devra
reconnaître, dans un écrit dûment signé et remis aux avocats
assignés au procès, qu'elle a lu et compris les termes de la
présente ordonnance, qu'elle accepte de s'y conformer et s'y
déclare liée. Elle devra également, en tout temps, faire en sorte
que les renseignements confidentiels soient gardés dans un
endroit sûr et qu'ils ne soient communiqués qu'à ceux qui
auront reconnu la présente ordonnance par écrit.
7. Les avocats assignés au procès, ainsi que les personnes à qui
les renseignements confidentiels sont communiqués conformé-
ment aux par. 5 et 6 de la présente ordonnance, ne peuvent,
directement ou indirectement, divulguer ces renseignements,
leur teneur ou leur objet, à d'autres personnes, entreprises ou
sociétés sans nouvelle ordonnance de la Cour ou le consente-
ment écrit des demandeurs.
8. Les avocats assignés au procès, ainsi que les personnes à qui
les renseignements confidentiels sont communiqués conformé-
ment aux par. 5 et 6 de la présente ordonnance, ne peuvent s'en
servir, ou en utiliser la teneur ou l'objet, que pour les fins de la
présente action et sous réserve des dispositions de la présente
ordonnance.
9. Lors de la conclusion définitive du présent litige, le défen-
deur et toute autre personne assujettie aux termes des présentes
devra rassembler et renvoyer aux demandeurs tous les rensei-
gnements confidentiels et les copies de ceux-ci.
10. Rien dans la présente ordonnance, ni aucun acte fait
conformément à celle-ci, ne constitue une renonciation par les
demandeurs à la confidentialité de tout renseignement ou docu
ment qui y est visé.
Lorsque s'est ouverte l'instruction, l'avocat des
demandeurs, après une brève description de la
preuve qu'il entendait présenter, a évoqué le carac-
tère confidentiel de certains éléments de l'affaire.
Voici à cet égard un extrait de la transcription:
[TRADUCTION] ... il y a une ordonnance conservatoire en
vigueur dans cette affaire, particulièrement en ce qui concerne
l'aspect monétaire. Mon confrère et moi-même sommes d'ac-
cord pour que cette ordonnance conservatoire s'applique aussi
bien à l'instruction qu'aux procédures préalables.
Il se peut que lorsque nous en viendrons à cet aspect plus
délicat de l'affaire, nous demandions à votre seigneurie de bien
vouloir décréter le huis clos. Je présume que mon confrère est
d'accord avec cette suggestion.
Le procureur du défendeur a reconnu qu'il n'avait
pas d'objection et le juge a convenu qu'il y avait
lieu de procéder ainsi. Ceci étant, le procès a suivi
son cours, certains témoignages étant entendus à
huis clos et les documents visés par l'ordonnance
du 14 février 1985 continuant à être traités confi-
dentiellement. Certains autres documents, dont
deux que le requérant cherche à obtenir en l'es-
pèce, ont été scellés pour motif de confidentialité
au cours du procès.
Dans les procédures d'appel qui ont suivi, l'avo-
cat des demandeurs a obtenu, sur requête présen-
tée avec le consentement de l'avocat du défendeur
et conformément à la Règle 324, une ordonnance
maintenant l'ordonnance antérieure du 14 février
1985 et en étendant la portée (le juge Heald, 25
août 1986, C.F. A-909-85):
(1) Que les termes de l'ordonnance (ci-après «l'ordonnance de
non-divulgation»), rendue en l'espèce par le juge en chef adjoint
le 14 février 1985, continuent à s'appliquer pendant la durée du
présent appel à chacun des documents mentionnés dans ladite
ordonnance;
(2) Que la partie du dossier d'appel consistant dans la trans
cription des témoignages rendus à huis clos devant le juge
Strayer lors de l'instruction de la présente action ou dans les
documents confidentiels admis en preuve lors de ladite instruc
tion, savoir les volumes cotés Volume confidentiel I, Volume
confidentiel II, Volume confidentiel III, Volume confidentiel
IV, Volume confidentiel V et Volume confidentiel VI du dossier
d'appel (ci-après le «dossier d'appel confidentiel»), soit scellée
pour motif de confidentialité et qu'accès en soit interdit au
public, sauf sur ordonnance de la Cour ou consentement des
parties;
(3) Que l'exposé des faits et du droit de l'intimée, et tout autre
document déposé dans la présente affaire faisant référence à un
document visé par l'ordonnance de non-divulgation ou à un
élément du dossier d'appel confidentiel, portent la cote «confi-
dentiel» et soient scellés, et qu'accès en soit interdit au public,
sauf sur ordonnance de la Cour ou consentement des parties.
Les pièces auxquelles le requérant demande au-
jourd'hui l'accès sont visées par les «ordonnances
de non-divulgation» accordées antérieurement avec
le consentement de l'avocat du défendeur. Toutes,
sauf deux, sont des documents que la Cour d'appel
avait enjoint aux demandeurs de produire aux
conditions stipulées dans l'«ordonnance de non-
divulgation» en date du 14 février 1985. Quant aux
deux exceptions, il s'agit du rapport d'un témoin
expert du défendeur, fondé sur l'analyse de docu
ments que les demandeurs ont été sommés de
produire, ainsi que la transcription de certains
extraits de l'interrogatoire préalable d'un dirigeant
de la société britannique demanderesse, au cours
duquel le requérant s'était engagé à garder les
renseignements confidentiels et à ne pas s'en servir
à d'autres fins que celles de l'action alors en cours.
Tous ces documents avaient été scellés au procès et
faisaient l'objet de l'«ordonnance de non-divulga-
tion» qu'avait rendue la Cour d'appel le 25 août
1986.
Alléguant divers motifs, le requérant sollicite
maintenant l'émission d'une nouvelle ordonnance
autorisant un représentant du ministre du Revenu
national à avoir accès auxdits documents, ce à quoi
les intimés s'opposent.
Le principe de la transparence des dossiers
judiciaires
On invoque, à l'appui de la requête, le principe
de la transparence des dossiers judiciaires, tel qu'il
ressort de la Règle 201 des Règles de la Cour
fédérale et de la common law.
La Règle 201, qui vise la tenue des dossiers de la
Cour, dispose notamment:
Règle 201... .
(4) Toute personne peut, sous réserve d'une surveillance
appropriée, et lorsque les installations et les services de la Cour
permettent de le faire sans gêner les travaux ordinaires de la
Cour,
a) examiner les dossiers de la Cour et leurs annexes; et
b) sur paiement ... obtenir une photocopie de tout document
contenu dans un dossier de la Cour ou dans l'annexe de ce
dossier.
Cette règle générale est, certes, importante mais
elle ne saurait s'appliquer sans l'autorisation de la
Cour—que demande le requérant en l'espèce—
lorsque cette dernière a elle-même ordonné aupa-
ravant que certaines pièces soient gardées confi-
dentielles et scellées en conséquence.
Outre les Règles, on soutient qu'il existe, en
common law, une présomption en faveur de l'accès
public aux tribunaux et aux dossiers judiciaires et
que la charge de la preuve incombe à celui qui nie
cet accès: le juge Dickson (tel était alors son titre),
au nom de la majorité dans l'arrêt Procureur
général de la Nouvelle-Écosse et autre c. MacIn-
tyre, [1982] 1 R.C.S. 175, la page 189). Voici ce
qu'écrit le juge Dickson à la page 186:
A mon avis, restreindre l'accès du public ne peut se justifier
que s'il est nécessaire de protéger des valeurs sociales qui ont
préséance.
Il est statué, dans cet arrêt, qu'un membre du
public a le droit d'examiner les mandats de perqui-
sition et les documents justificatifs, délivrés en
application de l'article 443 du Code criminel,
S.R.C. 1970, chap. C-34, une fois que ces mandats
ont été exécutés. En insistant sur le principe géné-
ral de la «transparence» des dossiers judiciaires, le
requérant invoque également l'arrêt Samuel
Moore & Co. c. Commissaire des brevets, [1980]
2 C.F. 350; (1979), 45 C.P.R. (2d) 185 (C.A.), où
le juge en chef Jackett (tel était alors son titre) qui
se prononçait en appel d'une décision rejetant une
demande de brevet, a rejeté une requête visant à ce
que soient scellés pour motif de confidentialité des
documents soumis à l'appui de ladite demande de
brevet. Il cite aussi l'arrêt Atwal c. Canada,
[1988] 1 C.F. 107 (C.A.), où la Cour d'appel s'est
fondée sur ce principe pour infirmer un jugement
du juge Heald rejetant la demande qu'avait pré-
sentée un accusé dans une procédure criminelle en
vue de faire annuler un mandat, ou d'avoir accès
aux documents à l'appui de ce mandat, décerné
conformément à la Loi sur le Service canadien du
renseignement de sécurité, S.C. 1984, chap. 21.
La présomption de «transparence» des dossiers
judiciaires revêt une grande importance et elle
s'applique généralement dans les procédures des
tribunaux. Les avocats et la Cour l'ont sans doute
prise en considération à l'époque où les ordonnan-
ces, qu'on veut maintenant faire modifier, ont été
rendues sur consentement. Toutefois, aucun des
arrêts cités où le principe général de la transpa-
rence est invoqué, ne porte sur une situation où les
renseignements demandés sont tenus confidentiels
par suite d'une ordonnance que le tribunal a lui-
même rendue avec le consentement des parties, et
où l'une d'elles demande ultérieurement la modifi
cation de cette ordonnance. Or, dans la présente
requête, la valeur sociale importante en jeu est
l'intégrité même du processus judiciaire. Il ne
s'agit pas en effet des intérêts d'un membre du
public, bien que le requérant, en sa qualité de
représentant de l'ensemble des intérêts publics
fédéraux, demande accès au nom d'un intérêt
public particulier qui n'était pas en litige dans les
procédures antérieures. Le principe de l'accès
public ne saurait être invoqué tel quel par une
partie à l'instance qui, après avoir consenti à ce
que des documents soient scellés pour motif de
confidentialité, cherche maintenant à en recevoir
communication à des fins n'ayant pas, de l'aveu
général, été prises en compte à l'époque de l'émis-
sion des ordonnances. Dans la présente affaire, la
charge de convaincre la Cour d'octroyer un droit
d'accès incombe donc clairement au requérant qui
veut faire modifier des ordonnances auxquelles il
avait auparavant consenti.
Motifs présumés à l'origine des ordonnances de
non- divulgation
D'après le requérant, les intimés ont cherché à
obtenir la confidentialité de certains documents, à
la fois par des engagements conclus entre avocats
et par des ordonnances de cette Cour avant et
pendant l'instruction ainsi qu'avant l'audition de
l'appel, parce qu'ils craignaient qu'en révélant des
éléments dont le caractère confidentiel devait, à
leurs yeux, être protégé des concurrents, ils ne
heurtent ainsi leurs propres intérêts. Le requérant
se fonde, semble-t-il, sur le souvenir et la convic
tion de l'un des avocats du défendeur dans les
procédures originales, et en particulier sur le der-
nier échange, cité plus haut, entre les avocats lors
des procédures préalables. Il s'appuie également
sur le motif qu'a invoqué, dans une autre affaire,
la société canadienne demanderesse pour deman-
der le huis clos aux fins de protéger la confidentia-
lité de la preuve (Smith, Kline & French Canada
Ltd. c. Frank W. Horner, Inc. (1982), 70 C.P.R.
(2d) 128 (C.F. ire inst.), à la page 132. Cette
dernière conclusion, tirée d'une autre action, n'est
pas pertinente en l'espèce.
En ce qui a trait à la première conclusion fondée
sur le souvenir et la conviction, elle est rejetée par
l'avocat des demandeurs. Je ne puis non plus l'ac-
cepter, compte tenu de l'ensemble des interrogatoi-
res préalables ayant été portés à mon intention. En
effet, dans un passage de l'interrogatoire d'une des
parties, il ressort clairement que le requérant s'en-
gage à ne pas utiliser ce témoignage «à d'autres
fins que celles de la présente action». Cet engage
ment est spécifiquement mentionné dans l'interro-
gatoire préalable d'un dirigeant de l'une des socié-
tés demanderesses. De plus, l'avocat du défendeur
a par la suite reconnu implicitement que les rensei-
gnements fournis à l'étape de la communication
préalable et visés par les engagements ne devaient
servir qu'aux fins de l'action alors pendante, lors-
qu'il a donné l'assurance écrite qu'en étendant la
portée de l'engagement, il préviendrait quiconque
aurait accès à des renseignements réputés confi-
dentiels de l'obligation de préserver cette confiden-
tialité.
Il est fort possible, comme l'affirme l'un des
avocats du défendeur à l'origine, que [TRADUC-
TION] «l'assujettissement à l'impôt sur le revenu de
la demanderesse Smith, Kline & French Canada
Ltd. [n'ait] pas été invoqué comme motif de pré-
server la confidentialité des documents et des ren-
seignements». Il en serait de même d'une foule
d'autres motifs et il serait hasardeux de tirer à cet
égard quelque conclusion que ce soit.
Les transcriptions ne permettent pas de dégager
clairement les raisons ayant conduit les parties à
demander et à accepter des engagements à l'égard
de la confidentialité: il se peut qu'il n'y ait pas eu
d'accord véritable à ce sujet. Quoi qu'il en soit,
aucun motif n'est donné non plus quant aux ordon-
nances de la Section de première instance ou de la
Cour d'appel portant toutes deux interdiction com-
plète d'accès, sauf pour les fins de l'action pen-
dante et ordonnance contraire de la Cour. À mon
avis, compte tenu des termes des ordonnances, les
raisons pour lesquelles les engagements et ordon-
nances ont été demandés, d'une part, et les raisons
pour lesquelles ils ont été accordés à différentes
étapes des procédures, d'autre part, ne sont pas
pertinentes à la question soulevée par la présente
requête.
Autres arguments non directement pertinents
De la même façon, je ne suis pas convaincu que
les éléments suivants, soulevés lors de l'argumenta-
tion, soient pertinents au litige.
(1) La prétention du requérant selon laquelle la
protection de la confidentialité vis-à-vis la con
currence est étrangère aux intérêts du ministre
du Revenu national dans la tenue d'une vérifica-
tion fiscale semble elle-même dépourvue de per
tinence à la lumière de la conclusion à laquelle
j'en suis venu à propos des motifs et des termes
des ordonnances présentement en cause. Même
si cette conclusion était contestée, l'argument ne
pourrait aider le requérant à obtenir la modifi
cation desdites ordonnances. Il se peut, en effet,
que la protection de la confidentialité soit tout
aussi étrangère à de nombreux autres intérêts
que des personnes privées ou publiques pour-
raient chercher à promouvoir en ayant accès aux
renseignements donnés sous le sceau de la
confidence.
(2) L'argument du requérant portant que les
fonctionnaires de Revenu Canada, Impôt, sont
liés par les dispositions de l'article 241 de la Loi
de l'impôt sur le revenu et que la Cour pourrait,
le cas échéant, donner des directives limitant
l'usage des renseignements recherchés me
semble pertinent uniquement dans la mesure où
la question en litige concernerait les conditions
dont la modification des ordonnances originales
pourrait être assortie, et non le principe même
de cette modification.
Le requérant a invoqué la décision Amp of
Canada, Ltd. c. La Reine (1987), 87 DTC 5157
(C.F. lie inst.), comme exemple de restrictions
imposées par un tribunal à l'usage de renseigne-
ments. Dans cette affaire, on demandait l'accès
à des renseignements d'ordre financier et à des
déclarations d'impôt de tierces parties—alors en
la possession du ministre du Revenu national et
non de la Cour—dont le ministre s'était servi
pour cotiser à nouveau la requérante. L'une des
tierces parties s'est opposée à la divulgation de
l'information mais la Couronne n'a pas contesté
la requête. Cette décision ne fournit pas d'indi-
cations utiles sur les motifs pouvant justifier la
modification d'ordonnances en matière de confi-
dentialité. En outre, la société canadienne inti-
mée ne trouverait qu'une mince consolation dans
les dispositions de l'article 241 de la Loi de
l'impôt sur le revenu et d'éventuelles ordonnan-
ces de non-divulgation de la Cour, puisque, dans
l'un et l'autre cas, rien n'empêcherait les rensei-
gnements d'être utilisés contre elle, le but même
de la demande d'accès dont nous sommes au-
jourd'hui saisis étant d'obtenir des informations
en vue de l'établissement de cotisations qui ne
peuvent que toucher ladite intimée.
(3) Me semble également non pertinente la pré-
tention du requérant selon laquelle il serait iro-
nique que l'accès à des renseignements, fournis
dans une action où la validité de certaines dispo
sitions législatives était contestée, soit mainte-
nant refusé dans une requête visant à aider le
ministre du Revenu national à s'acquitter des
responsabilités qui lui incombent en vertu de la
loi. Au surplus, cet argument ne tient pas
compte du fait que c'est le requérant qui a
produit ces renseignements en preuve à l'ins-
tance originale, et non l'intimée qui s'est oppo
sée à leur production jusqu'à ce qu'elle y soit
contrainte par ordonnance de la Cour et sous
réserve de non-divulgation.
(4) De la même manière, je ne crois pas à
l'existence d'un rapport direct entre les ques
tions présentement en litige et l'argument de
l'intimée portant qu'en vertu d'un engagement
implicite, fondé sur la common law et ayant
force exécutoire, la preuve qu'une partie est
forcée de produire à l'enquête préalable ne ser-
vira qu'aux fins de l'action pour laquelle elle est
produite.
Dans les arrêts invoqués à l'appui de cet argu
ment, on examine la question de l'équilibre des
intérêts: d'une part, l'intérêt du public dans des
procédures judiciaires transparentes et expéditi-
ves où les parties ont accès à tous les renseigne-
ments disponibles de façon à ce que justice soit
faite entre elles, et d'autre part, l'intérêt à la fois
public et privé dans la protection de la vie privée
au regard de l'information, orale ou écrite. Dans
le premier cas, on favorise le processus de la
communication en vertu duquel les parties peu-
vent être contraintes à fournir tous les rensei-
gnements ainsi que tous les documents perti-
nents au litige dont elles disposent. Dans le
deuxième cas, on tend à reconnaître l'existence
implicite d'un engagement, de la part de l'avocat
et de la partie ayant accès à des renseignements
grâce à la communication préalable, qu'ils n'uti-
liseront ces renseignements qu'aux fins de l'ac-
tion pour laquelle ils sont produits et non à des
fins accessoires ou ultérieures. Quant aux tiers
non associés à l'instance qui acquerraient les
renseignements produits au préalable, interdic
tion pourrait leur être faite de les utiliser à
d'autres fins que l'action: Distillers Co (Bioche-
micals) Ltd y Times Newspapers Ltd, [1975] 1
All ER 41 (Q.B.D.). En vertu de cet engage
ment implicite, il serait interdit de se servir de
documents obtenus au préalable dans un litige
privé comme fondement pour un autre litige:
Riddick v. Thames Board Mills Ltd., [1977] 1
Q.B. 881 (C.A.), bien qu'il y ait possibilité d'une
poursuite en outrage pour violation d'une ordon-
nance dite «Anton Pillar» rendue dans une
action antérieure reliée opposant les parties, si
les renseignements obtenus subséquemment
grâce à une ordonnance semblable indiquent
qu'il y a eu violation de la première ordonnance:
Crest Homes plc y Marks, [1987] 2 All ER
1074 (H.L.). L'exécution de l'engagement pour-
rait être ordonnée même lorsque les documents,
obtenus au préalable et divulgués en séance
publique du tribunal, sont par la suite utilisés
pour une fin accessoire: Home Office y Harman,
[1982] 1 All ER 532 (Hl.).
Il n'y a pas lieu en lieu en l'espèce de trancher la
question de savoir si les tribunaux canadiens
reconnaissent aussi largement l'existence d'un
engagement implicite ou d'une obligation géné-
rale de la part des avocats et des parties de
n'utiliser les renseignements obtenus lors de
l'étape de la communication préalable que pour
les fins de l'action pour laquelle ils ont été
produits. Le sujet a été abordé dans certaines
décisions canadiennes, notamment dans les
affaires Lac Minerals Ltd. v. New Cinch Ura
nium Ltd. et al. (1985), 50 O.R. (2d) 260
(H.C.) et Control Data Canada Ltd. c. Senstar
Corp. (non publiée, C.F. T-1583-84, 6 mai
1988, le protonotaire-chef adjoint Giles, appel
rejeté par le juge en chef adjoint Jerome le 6
juin 1988). Toutefois, il ne s'agit pas ici d'enga-
gements implicites dont on peut être délié, mais
plutôt d'ordonnances de cette Cour et de la Cour
d'appel enjoignant de sceller des documents
pour motif de confidentialité. Nous devons
déterminer si ces ordonnances, dont l'effet est de
renforcer tout engagement exprès ou tacite
visant l'usage de documents pour l'unique fin de
l'action opposant les parties, devraient mainte-
nant être modifiées.
Modification des «ordonnances de non-divulga-
tion»
Cette Cour a déjà eu l'occasion de statuer sur
des requêtes visant à modifier ses propres ordon-
nances de non-divulgation. Dans la décision Halli-
burton Co. et al. c. Northstar Drillstem Ltd. et al.
(1982), 65 C.P.R. (2d) 122 (C.F. ire inst.), le juge
Walsh a refusé d'amender une ordonnance de
non-divulgation dans la mesure où celle-ci s'appli-
quait aux renseignements fournis au préalable; il a,
en revanche, autorisé la divulgation d'autres ren-
seignements confidentiels à des avocats albertains
pour leur permettre d'étudier la possibilité d'inten-
ter une action en Alberta, mais non de s'en servir
en preuve. Dans l'affaire Algonquin Mercantile
Corp. c. Dart Industries Canada Ltd. (non
publiée, C.F. T-831-82, 4 novembre 1983), le juge
McNair a refusé de modifier les conditions d'une
ordonnance de non-divulgation, rendue avec le
consentement des parties, pour permettre à des
personnes n'y étant pas désignées d'avoir accès à
des renseignements confidentiels aux fins de
donner un avis. Dans l'arrêt Control Data Canada
Ltd. c. Senstar Corp., précité, le protonotaire-chef
adjoint Giles a refusé de permettre, par ordon-
nance, la divulgation de renseignements fournis au
préalable, de même que d'autres informations
visées par une ordonnance de non-divulgation,
dans un cas où le requérant cherchait à obtenir
l'avis d'un avocat aux Etats-Unis sur la possibilité
d'intenter une action sous le régime des lois de ce
pays. Le protonotaire-chef adjoint a jugé que l'ac-
tion pourrait donner lieu au triplement des dom-
mages-intérêts, résultat de nature pénale à son
avis.
Dans la décision Apotex Inc. c. Procureur géné-
ral du Canada et al. (1986), 10 C.P.R. (3d) 310
(C.F. lie inst.), madame le juge Reed a rejeté la
demande de modification des termes d'une ordon-
nance antérieure de non-divulgation, présentée par
une partie cherchant à interjeter appel du rejet de
sa requête en intervention à l'instance. Dans son
examen de la question, le juge a estimé que le
principe général de la transparence des procédures
judiciaires, établi à la Règle 201(4), ne constituait
pas un motif suffisant pour changer l'ordonnance
originale enjoignant de sceller le dossier de la cour
pour motif de confidentialité. Ce facteur a dû être
pris en compte à l'époque où cette première ordon-
nance a été rendue. Voici ce qu'affirme à cet égard
le juge Reed [à la page 312]:
Il faut quelque chose de plus qu'un argument fondé sur le
principe général de la nature publique des procédures de la
Cour comme motif pour modifier l'ordonnance originale—
certains changements dans les circonstances ou une raison
impérative qui n'ont pas été examinés directement lorsque
l'ordonnance a été prise.
Le requérant soutient que l'espèce répond à ce
critère: il y aurait, en effet, changement dans les
circonstances puisque le ministre du Revenu natio
nal tente maintenant de déterminer exactement
l'assujettissement de la demanderesse à l'impôt sur
le revenu, question qui n'a pas été examinée lors-
que l'ordonnance a été prise. De plus, la volonté de
permettre au ministre d'examiner les renseigne-
ments demandés dans l'exécution des fonctions qui
lui incombent en vertu de la Loi de l'impôt sur le
revenu constituerait une raison impérative pour
modifier les ordonnances.
La vérification qu'a demandée le ministre porte
apparemment sur les prix qu'a payés la société
canadienne intimée pour s'approvisionner en cimé-
tidine auprès de fournisseurs liés non résidants. Le
requérant déduit du jugement qu'a rendu le juge
Strayer dans l'instance originale, ainsi que des
renseignements fournis par son avocat lors de l'au-
dition d'appel, que la société canadienne intimée a
acheté le médicament à un prix supérieur à celui
du marché international. A mon avis toutefois,
rien dans les motifs du juge Strayer ou dans le
dossier de la Cour concernant les procédures anté-
rieures ne permet de voir dans cette déduction
autre chose qu'une simple spéculation.
Selon les intimés, les circonstances présentes ne
constituent pas une raison impérative de modifier
l'ordonnance. Ils soulignent que le requérant n'a
pas fait la preuve de l'impossibilité pour le ministre
d'arriver à ses fins grâce aux autres renseigne-
ments dont il dispose ou aux pouvoirs qui lui sont
conférés par la Loi de l'impôt sur le revenu, sans
que soient modifiées les ordonnances de non-divul-
gation. Ils font également ressortir le fait que les
renseignements demandés découlent d'ordonnan-
ces de production visant des intimés autres que la
société canadienne dont le ministre vérifie l'assu-
jettissement à l'impôt.
Conclusion
Je ne suis pas convaincu que le requérant ait
répondu au critère établi dans la décision Apotex.
Certes, je conviens que l'examen de l'assujettisse-
ment à l'impôt dont fait l'objet la société cana-
dienne intimée n'est pas un facteur ayant été
retenu du moins lorsque des «ordonnances de non-
divulgation» ont été prises; en un sens, il s'agit
donc d'une circonstance nouvelle. Mais ce n'est pas
un changement dans les circonstances reliées aux
questions qui opposaient les parties dans l'action
aux fins de laquelle les renseignements ont été
fournis. Il s'agit en fait d'une situation entièrement
nouvelle et je ne suis pas persuadé qu'elle constitue
une raison impérative pour modifier les ordonnan-
ces. Encore que je ne doute pas que le ministre du
Revenu national ait tout intérêt à avoir accès aux
documents demandés en l'espèce, lesquels se trou-
vent, par coïncidence, dans les dossiers de la Cour
où ils ont été scellés pour motif de confidentialité
dans le cadre de l'action valablement introduite
par les intimés.
En principe, lorsque le tribunal ordonne, avec le
consentement des parties, que des documents
soient scellés dans le meilleur intérêt de la justice,
il faut une raison vraiment impérative pour modi
fier ces ordonnances, surtout dans les cas où le
motif de la demande d'accès n'est aucunement
relié—et est dans ce sens accessoire ou ultérieur—
à l'action au cours de laquelle les documents sont
produits et scellés. Seuls des cas tout à fait excep-
tionnels pourraient justifier le changement d'une
ordonnance de non-divulgation dans ces circons-
tances. En fait, même en l'absence d'une ordon-
nance, la Cour pourrait fort bien empêcher l'utili-
sation de renseignements obtenus au préalable, ou
en interdire l'accès, pour les fins d'une action
accessoire, en se fondant sur l'existence d'un enga
gement implicite à ne se servir de l'information
ainsi obtenue qu'aux seules fins de l'action où elle
est produite: Riddick, précité. Autrement, la con-
fiance dans l'intégrité du processus judiciaire,
notamment dans le devoir des tribunaux de proté-
ger les intérêts des parties en litige, serait ébranlée.
C'est particulièrement le cas, il me semble, lors-
que le procureur général est partie à une action
dans laquelle des ordonnances de non-divulgation
ont été rendues. Le procureur général est investi de
la responsabilité de représenter une vaste gamme
d'intérêts publics. Or si, par l'entremise de son
avocat, il consent à une ordonnance protégeant la
confidentialité d'une preuve, ou même s'il y est
assujetti sans son consentement, cette ordonnance
ne devrait pas être modifiée simplement parce
qu'on soulève un autre intérêt public, accessoire à
l'action en cours. Seule une raison exceptionnelle
justifierait cette modification, sinon les intérêts de
la justice, que vise à assurer la procédure actuelle
de communication préalable, pourraient être com-
promis. En effet, les parties engagées dans des
poursuites instituées par la Couronne ou contre
elle chercheraient à éviter la divulgation de rensei-
gnements dont cette dernière tenterait de se servir,
par la suite et quel que soit le résultat de l'instance
originale, pour quelque autre fin non reliée à cette
première action. Cela pourrait se produire, en
particulier, dans les cas où le ministre du Revenu
national aurait accès aux renseignements contenus
dans des dossiers judiciaires scellés, au moment où
il entreprend de réévaluer l'assujettissement à l'im-
pôt d'une partie à une action intéressant la
Couronne.
Cette responsabilité du ministre d'évaluer l'assu-
jettissement à l'impôt revêt un caractère continu
qui ne dépend aucunement des documents ou
autres éléments de preuve produits en cette Cour
ou devant tout autre tribunal. En l'espèce, le
ministre assumait cette responsabilité à l'égard de
la société canadienne intimée avant l'introduction
de l'action originale, pendant la durée des procédu-
res, et il l'assume encore aujourd'hui. Il ne s'agit
pas d'une nouveauté, même si la décision apparem-
ment prise de mener une vérification spéciale con-
cernant l'assujettissement de cette société à l'impôt
peut, en soi, constituer une circonstance nouvelle.
A mon avis, il ne s'agit donc pas d'une raison
impérative pour modifier aujourd'hui les ordon-
nances de non-divulgation rendues antérieurement
dans l'action opposant les parties et avec le consen-
tement du requérant.
Vu cette conclusion, il n'y a pas lieu d'examiner
la question de savoir si cette Cour a compétence
pour modifier une ordonnance de la Cour d'appel.
La question ne se poserait, en effet, que s'il conve-
nait de modifier des ordonnances émanant de la
Section de première instance, ce qui, à mon avis,
n'est pas le cas en l'espèce.
En conséquence, la requête du procureur général
du Canada est rejetée, avec dépens en faveur des
intimés.
À l'audition, les intimés avaient présenté une
requête visant à faire exécuter certaines disposi
tions de l'ordonnance de non-divulgation du juge
en chef adjoint Jerome, en date du 14 février 1985,
ainsi qu'à obtenir la remise, en vertu des Règles
201(5) et 342, de renseignements confidentiels
déposés aux dossiers de la Cour. Cette requête a
été ajournée à une date indéterminée avec le con-
sentement des parties.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.