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A-362-88
Mahmoud Mohammad Issa Mohammad (appe- lant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, ministre d'État à l'Immigration et gouverneur en conseil (intimés)
RÉPERTORIÉ: MOHAMMAD c. CANADA (MINISTRE DE L'EM- PLOI ET DE L'IMMIGRATION) (CA.)
Cour d'appel, juges Heald, Urie et Mahoney— Toronto, 31 octobre, 1, 2, 3 et 4 novembre; Ottawa, 8 décembre 1988.
Immigration Expulsion Appel d'une décision du tri
bunal de première instance rejetant la demande de bref de certiorari, annulant le rapport établi en vertu de l'art. 27(1) de la Loi sur l'immigration et la directive d'enquête prononcée en vertu de l'art. 27(3), et de bref de prohibition interdisant à l'arbitre d'entendre l'enquête L'appelant, apatride, est entré au Canada grâce à un visa d'immigrant délivré par un agent des visas canadien, en Espagne Il a alors obtenu le statut de
résident permanent Quelques mois plus tard, il a appris d'un fonctionnaire de l'immigration que le ministère savait qu'il avait été reconnu coupable de détournement d'avion en
Grèce Il avait le choix: il pouvait quitter le pays ou subir une enquête portant sur son expulsion Il bénéficiait d'un certain délai pour partir mais l'avis d'enquête a été délivré avant l'échéance à cause des pressions exercées par les médias L'enquête n'était pas terminée au moment de l'appel
Appel rejeté Il n'est pas nécessaire que l'agent d'immigra- tion qui établit un rapport en vertu de l'art. 27(1) soit en possession de renseignements à savoir si l'appelant a convaincu
le gouverneur en conseil qu'il s'était réhabilité L'exception prévue à l'art. 19(1)c) décrit les personnes qui ne seront pas
admises La catégorie n'est pas restreinte par cette diposi- lion L'établissement d'un rapport en vertu de l'art. 27(1) et la directive prévoyant la tenue d'une enquête en vertu de l'art. 27(3) sont assujetties à des formalités procédurales minimales
puisqu'il s'agit de décisions administratives Il n'est pas nécessaire que la personne en cause ait la possibilité de répondre aux allégations contenues dans le rapport La possibilité pour l'appelant de demander au gouverneur en conseil d'exercer sa prérogative est continue Pour la per- sonne bien renseignée, les arbitres répondent aux critères d'in- dépendence judiciaire en vertu de la Loi.
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative Rapport établi en vertu de l'art. 27(1) de la Loi sur l'immigration et directive d'enquête prononcée en vertu de l'art. 27(3) Juge de première instance a refusé de délivrer les brefs de certiorari et de prohibition L'appelant, apatride, est entré au Canada grâce à des visas d'immigrant délivrés en Espagne Le statut de résident permanent lui a été accordé Par la suite, les fonctionnaires ont appris qu'il avait été reconnu coupable de détournement d'avion en Grèce L'appelant avait le choix: il pouvait quitter le pays de plein gré ou subir une enquête portant sur son expulsion Il avait un certain délai pour
partir mais l'avis d'enquête a été délivré avant l'échéance à cause des pressions exercées par les médias L'enquête n'était pas terminée au moment de l'appel de la décision de la Division de première instance L'agent d'immigration a compétence pour établir un rapport en vertu de l'art. 27(1) et prononcer une directive prévoyant la tenue d'une enquête en vertu de l'art. 27(3) Il n'est pas nécessaire qu'il soit en possession de renseignements à savoir si l'appelant a convaincu le gouverneur en conseil qu'il s'était réhabilité Les formali- tés procédurales pour l'établissement d'un rapport en vertu de l'art. 27(1) et d'une directive en vertu de l'art. 27(3) sont minimales puisqu'il s'agit de décisions purement administrati- ves L'agent d'immigration qui établit un rapport n'est pas tenu de donner à la personne en cause la possibilité de répon- dre aux allégations Le droit de l'appelant de demander au gouverneur en conseil d'exercer sa prérogative est continu Les déclarations faites par les ministres au sujet de l'expulsion de l'appelant n'entraînent pas une crainte raisonnable que l'arbitre soit partial lors de la tenue de l'enquête L'esprit de la Loi en ce qui a trait aux arbitres inciterait une personne bien informée à conclure qu'ils jouissent d'indépendance judiciaire.
Il s'agit d'un appel de la décision de la Division de première instance rejetant la demande de bref de certiorari, annulant le rapport établi en vertu du paragraphe 27(1) de la Loi sur l'immigration de 1976 et la directive d'enquête prononcée en vertu du paragraphe 27(3), et de bref de prohibition interdisant à l'arbitre d'entendre l'enquête. L'appelant est un apatride d'origine palestinienne. Sa famille et lui sont entrés au Canada en février 1987, conformément à des visas d'immigrant délivré par un agent des visas canadien, en Espagne. Ils ont alors obtenu le statut de résidents permanents. En décembre 1987, l'appelant a appris d'un agent d'immigration que le ministère savait qu'il avait été reconnu coupable, en Grèce, d'infractions relatives à un détournement d'avion. On lui a donné le choix: il pouvait quitter le pays de plein gré ou subir un enquête portant sur son expulsion. L'appelant devait bénéficier d'un certain délai pour partir. Cependant, les médias ont exercé tellement de pressions que l'appelant a reçu un avis d'enquête avant même de faire un choix, et au moment de l'appel, l'enquête n'était toujours pas terminée.
Arrêt: l'appel devrait être rejeté.
Pour établir un rapport en vertu du paragraphe 27(1) et une directive d'enquête en vertu du paragraphe 27(3) de la Loi, il n'est pas nécessaire que l'agent d'immigration soit en possession de renseignements à savoir si l'appelant a convaincu le gouver- neur en conseil qu'il s'était réhabilité. L'exception prévue à l'alinéa 19(1)c) décrit les personnes appartenant à la catégorie de personnes non admissibles qui ne seront pas admises et n'a pas pour effet de restreindre la catégorie prévue à cet alinéa. L'établissement d'un rapport en vertu du paragraphe 27(1) et la directive prévoyant la tenue d'une enquête en vertu du paragraphe 27(3) sont assujetties à des formalités procédurales minimales puisqu'il s'agit de décisions purement administrati- ves: Kindler c. MacDonald, [1987] 3 C.F. 34 (C.A.). L'agent d'immigration n'est pas tenu de donner à la personne en cause la possibilité de répondre aux allégations contenues dans le rapport avant de rédiger celui-ci. Le droit de l'appelant de demander au gouverneur en conseil d'exercer sa prérogative est continu.
Les diverses déclarations faites par des ministres, au sujet de l'espèce, et présentées en preuve, ne sauraient entraîner, chez une personne bien renseignée, une crainte raisonnable que l'arbitre soit partial lors de la tenue de l'enquête.
Après avoir analysé toutes les circonstances entourant le processus d'arbitrage en vertu de la Loi, la Cour conclue que le tribunal jouit bien des garanties essentielles d'indépendance judiciaire.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 7, 11d).
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10, art. 28.
Loi sur l'immigration de /976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 2(1), 19(1)c),e), 27(1)a),e),(3).
Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, chap. P-32, art. 23, 31.
Règlement sur l'arriéré des revendications du statut de
réfugié, DORS/86-701. JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Martineau et autre c. Comité de discipline des détenus de l'Institution Matsqui (no I), [1978] 1 R.C.S. 118; Martineau c. Comité de discipline de l'Institution Mats- qui (n° 2), [1980] 1 R.C.S. 602; Kindler c. MacDonald, [1987] 3 C.F. 34 (C.A.); Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l'énergie et autres, [1978] I R.C.S. 369; Valente c. La Reine et autres, [1985] 2 R.C.S. 673.
DISTINCTION FAITE AVEC:
MacBain c. Lederman, [1985] 1 C.F. 856 (C.A.); R. c. Vermette (1984), 15 D.L.R. (4th) 218 (C.A. Qué.); inf. [1988] 1 R.C.S. 985.
DÉCISION CITÉE:
Satiacum c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration,
[1985] 2 C.F. 430 (C.A.) DOCTRINE
Canada, Débats de la Chambre des communes, vol. 129,
n° 236, Sess., 33° Leg. 18 janvier 1988, aux pages
12000 à 12002.
Canada, Débats de la Chambre des communes, vol. 129,
n° 237, Sess., 33° Lég. 19 janvier 1988, aux pages
12055 à 12057.
Canada, Débats de la Chambre des communes, vol. 129,
n° 238, Sess., 33° Lég. 20 janvier 1988, aux pages 12095 et 12097.
Canada, Débats de la Chambre des communes, vol. 129,
239, 20 Sess., 330 Lég. 21 janvier 1988, la page
12150.
Canada, Débats de la Chambre des communes, vol. 129,
258, Sess., 33° Lég. 24 février 1988, la page 1380.
AVOCATS:
Barbara Jackman, Lorne Waldman, Maureen Silcolff et Pia Zambelli pour l'appelant. David Sgayias et Michael Duffy pour les intimés.
PROCUREURS:
Ruby & Edwardh et Chiasson, Jackman, Toronto, pour l'appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Il s'agit d'un appel d'une ordonnance prononcée par la Division de première instance, en date du 7 mars 1988 [[1988] 3 C.F. 308 (1"° inst.)]. Dans cette décision, le juge de première instance a rejeté la demande présentée par l'appelant en vue d'obtenir ce qui suit:
(a) un bref de certiorari annulant le rapport établi à son encontre en vertu du paragraphe 27 (1) de la Loi sur l'immigration de 1976 [S.C. 1976-77, chap. 52], par l'agent d'immigration D. Bacon;
(b) un bref de certiorari annulant la directive d'enquête prononcée à son encontre, en vertu du paragraphe 27(3) de la Loi sur l'immigration de 1976, par Edward Donagher, directeur général de la Direction des opérations pour le sous- ministre de l'Immigration; et
(c) un bref de prohibition interdisant à l'arbitre nommé en vertu de la Loi sur l'immigration de 1976 d'entendre l'enquête de l'appelant engagée en application de cette Loi.
FAITS
Dans son témoignage, l'appelant a déclaré qu'il était en 1943 dans une région de la Palestine qui fait maintenant partie de l'État d'Israël. Il a ajouté qu'il est maintenant apatride. Aucun pays ne lui a délivré de passeport ni ne lui reconnaît le droit de résider ou d'entrer dans son territoire. Sa
famille et lui sont entrés au Canada le 25 février 1987, conformément à des visas d'immigrant déli- vrés par un agent des visas canadien, en Espagne. Ils ont alors obtenu le statut de résidents permanents.
Le 21 décembre 1987, l'appelant s'est entretenu au téléphone avec l'agent d'immigration C. Fia- melli au sujet de ses antécédents. Une entrevue a été fixée au 29 décembre 1987, date à laquelle elle eut lieu. L'appelant y a alors appris que le minis- tère de l'Immigration savait qu'il avait été reconnu coupable en 1968, en Grèce, d'infractions relatives à un attentat commis à bord d'un avion de la ligne aérienne israélienne d'El Al et à sa participation à cet incident.
M. Fiamelli a présenté à l'appelant deux solu tions possibles. Il pouvait tout d'abord quitter le Canada de son plein gré. S'il choisissait d'agir ainsi, aucune mesure d'expulsion ne serait prise à son égard. M. Fiamelli lui a laissé entendre qu'il pourrait partir de plein gré jusqu'à la fin de jan- vier. Si l'appelant refusait de quitter le pays de plein gré, la seule autre solution serait une enquête portant sur son expulsion en vertu de la Loi. L'appelant a été avisé des trois motifs qui donne- raient lieu à l'enquête. Lors de cette même entre- vue, M. Fiamelli a noté par écrit, pour l'appelant, les dispositions pertinentes de la Loi'.
L'appelant a retenu les services d'un procureur, Me Brian Pennell, le 31 décembre 1987. Le 15 janvier 1988, M. Fiamelli a communiqué à Me Pennell, au téléphone, les trois motifs susmention- nés sur lesquels serait fondée l'enquête de l'appe- lant. M. Fiamelli a de nouveau mentionné les deux solutions dont disposait l'appelant, savoir un départ de plein gré ou une enquête portant sur son expulsion. L'avocat a alors déclaré qu'il devrait d'abord obtenir d'autres directives de son client.
Mc Pennell s'est entretenu de nouveau au télé- phone avec M. Fiamelli, le 18 janvier 1988. Lors de cette conversation, M. Fiamelli a affirmé que, malgré toute la publicité entourant cette affaire, l'appelant pouvait toujours choisir de quitter le pays de son plein gré. Le 19 janvier 1988, Mc Pennell a parlé de nouveau au téléphone avec M.
1 11 s'agit des trois catégories énumérées dans le rapport établi en vertu du paragraphe 27(1)à l'égard de l'appelant: a) la catégorie de personnes non admissibles décrite à l'alinéa 19(1)c) de la Loi; b) la catégorie de personnes non admissibles décrite à l'alinéa 19(1)e) de la Loi; et c) la catégorie de personnes décrite à l'alinéa 27(1)e) de la Loi.
Fiamelli et lui a dit que l'appelant était toujours indécis, qu'il préférerait quitter le pays de son plein gré, mais qu'il lui était très difficile de trouver une destination sûre. Le 20 janvier 1988, M. Fiamelli a rejoint Me Pennell au téléphone et lui a demandé de venir le rencontrer parce qu'il avait un document à lui remettre. Plus tard, le même jour, M. Fiamelli a remis à Me Pennell une copie du rapport établi en vertu du paragraphe 27(1) et de la directive d'enquête prononcée en vertu du paragraphe 27(3) l'égard de l'appelant. Des copies de ces documents ont été également signifiées personnellement à l'appelant vers minuit, le 20 janvier 1988. Mc Pennell a affirmé qu'il n'avait eu aucun contact avec d'autres représen- tants du ministère de l'Emploi et de l'Immigration que M. Fiamelli. Il a ajouté qu'en aucun temps, M. Fiamelli ne l'avait invité à présenter des argu ments pour démontrer que l'appelant s'était réha- bilité ou qu'il ne représentait plus une menace pour la sécurité nationale. Il a de plus affirmé qu'on ne lui avait jamais dit que l'appelant pouvait présenter de tels arguments. Selon la preuve sou- mise au juge de première instance, l'appelant a été surpris par la signification d'un avis de faire tenir une enquête, le 20 janvier 1988, puisqu'il croyait qu'aucune enquête ne serait instituée avant la fin de janvier. L'enquête de l'appelant a été fixée au 25 janvier 1988. L'appelant a déclaré que, juste avant l'ouverture de l'enquête, il a interrogé M. Fiamelli sur les raisons de la tenue de l'enquête puisque lors de leur rencontre, le 20 janvier, l'ap- pelant lui avait dit qu'il avait décidé d'essayer de quitter le pays de son plein gré. M. Fiamelli a répondu, le 25 janvier, que le gouvernement avait ordonné la tenue d'une enquête à cause des pres- sions exercées par les médias. L'enquête a débuté le 25 janvier 1988 et a été ajournée au 15 février 1988, les parties ayant convenu de se rencontrer le 2 février 1988 pour régler la question de l'accès des médias.
Le 1" février 1988, l'appelant a déposé un avis introductif d'instance devant la Division de pre- mière instance en vue d'obtenir les redressements déjà énumérés. Dans les circonstances, l'avocat de l'appelant a demandé l'ajournement sine die de l'enquête jusqu'à ce que soit entendue la requête déposée devant la Division de première instance. L'arbitre a rejeté cette demande et l'enquête a repris son cours le 15 février 1988; depuis, elle a
été ajournée à l'occasion et n'est toujours pas terminée. Au moment la Cour a entendu cet appel, aucune décision définitive n'avait été prise à l'égard des allégations présentées à l'enquête. Cependant, l'avocat des intimés nous a appris que les allégations relatives à l'alinéa 19(1)e) ont été retranchées au cours de l'enquête.
Le 7 mars 1988, la Division de première ins tance a rejeté l'avis de requête introductif d'ins- tance et refusé à l'appelant tous les redressements demandés. La Cour est maintenant saisie de l'ap- pel de cette décision.
QUESTIONS POSÉES EN APPEL Voici un exposé général des questions en litige:
1. L'agent d'immigration qui a signé le rapport établi en vertu du paragraphe 27(1) contre l'ap- pelant a-t-elle outrepassé ses pouvoirs ou agi sans compétence?
2. Le directeur des opérations, au nom du sous- ministre, a-t-il outrepassé ses pouvoirs ou agi sans compétence en omettant de s'assurer du respect des conditions préalables à l'établisse- ment d'un rapport en vertu du paragraphe 27(1), selon la loi, avant de prononcer la direc tive en vertu du paragraphe 27(3) de la Loi?
3. Existe-t-il une crainte raisonnable de partia- lité dans la façon dont l'arbitre a mené les procédures d'expulsion contre l'appelant, à cause des déclarations faites auparavant par divers ministres de la Couronne?
4. L'arbitre jouit-il d'une indépendance institu- tionnelle lui permettant d'exécuter les fonctions que lui confère la Loi sur l'immigration de 1976 conformément aux règles de justice naturelle et aux principes de justice fondamentale?
I. Rapport établi en vertu du paragraphe 27(1) 2
Sous cette rubrique, l'appelant fait les deux allégations suivantes:
a) l'agent d'immigration a outrepassé sa compé- tence parce qu'au moment d'établir le rapport
2 Voici le texte de l'alinéa 27(1)a), applicable en l'espèce:
(Suite à la page suivante)
en vertu du paragraphe 27(1), elle n'était pas en possession de renseignements qui, par une preuve prima facie, rendaient l'alinéa 19(1)c) de la Loi applicable à l'appelant;
b) lorsque l'agent d'immigration établit un rap port en vertu de l'article 27, elle a l'obligation d'agir équitablement envers l'appelant qu'elle doit traiter de la même façon que les autres personnes qui se trouvent dans une situation semblable et, d'après les faits pertinents, l'agent n'a pas rempli cette obligation.
(a) Excès de pouvoir
L'appelant prétend qu'à l'égard de l'alinéa 19(1)c) 3 , l'agent d'immigration devait, avant d'éta- blir un rapport en vertu du paragraphe 27(1), être en possession de renseignements indiquant que:
(i) l'appelant a été déclaré coupable d'une infraction qui constitue, qu'elle ait été commise au Canada ou à l'étranger, une infraction punis- sable d'une peine maximale d'au moins dix ans d'emprisonnement; et
(ii) si cinq ans se sont écoulés depuis l'expira- tion de la peine, la personne en cause n'a pas établi à la satisfaction du gouverneur en conseil qu'elle s'est réhabilitée.
(Suite de la page précédente)
27. (1) Tout agent d'immigration ou agent de la paix, en possession de renseignements indiquant qu'un résident permanent
a) ne remplit pas les conditions d'obtention du droit d'éta- blissement du fait de son appartenance à l'une des catégo- ries non admissibles visées aux alinéas 19(1)c), d), e) ou g) ou à l'alinéa 19(2)a) par suite d'une déclaration de culpa- bilité à son égard avant l'obtention du droit d'établisse- ment,
doit adresser un rapport écrit et circonstancié au sous-minis-
tre à ce sujet.
3 Voici le texte de l'alinéa 19(1)c):
19. (1) Ne sont pas admissibles
c) les personnes qui ont été déclarées coupables d'une infraction qui constitue, qu'elle ait été commise au Canada ou à l'étranger, une infraction qui peut être punissable, en vertu d'une loi du Parlement, d'une peine maximale d'au moins dix ans d'emprisonnement, à l'exception de celles qui établissent à la satisfaction du gouverneur en conseil qu'elles se sont réhabilitées et que cinq ans au moins se sont écoulés depuis l'expiration de leur peine;
Selon les faits de l'espèce, il est allégué que l'agent d'immigration qui a signé le rapport établi en vertu de l'article 27 n'avait pas en sa possession, au 20 janvier 1988, de renseignements lui permet- tant de conclure que l'appelant ne remplissait pas les conditions d'obtention du droit d'établissement parce que les renseignements à sa disposition n'in- diquaient aucunement si l'appelant avait établi, à la satisfaction du gouverneur en conseil, qu'il s'était réhabilité; comme il s'agit d'un élément essentiel des renseignements dont l'agent d'immi- gration doit disposer au moment d'établir le rap port, il est allégué que l'absence de ce renseigne- ment rend le rapport invalide. Je ne puis accepter cette prétention. L'argument de l'appelant impli- que que l'on présume que les personnes qui ont établi à la satisfaction du gouverneur en conseil qu'elles s'étaient réhabilitées n'appartiennent pas à la catégorie de personnes non admissibles décrite à l'alinéa 19(1)c). Je ne suis pas d'accord avec cette opinion. À mon avis, l'exception prévue à l'alinéa 19(1)c) décrit les personnes appartenant à cette catégorie qui ne seront pas admises, c'est-à-dire les personnes qui n'ont pas établi à la satisfaction du gouverneur en conseil qu'elles se sont réhabilitées. J'estime toutefois que cela n'a pas pour effet de restreindre la catégorie prévue à l'alinéa 19(1)c). Pour établir un rapport conformément au paragra- phe 27(1), l'agent d'immigration signataire doit être en possession de renseignements indiquant que la personne en cause a été déclarée coupable d'une infraction criminelle prévue à l'alinéa 19(1)c) et savoir qu'elle n'a pas établi à la satisfaction du gouverneur en conseil qu'elle s'était réhabilitée. À mon avis, il n'est pas nécessaire que l'agent attende qu'une décision soit rendue à l'égard de la réhabili- tation avant d'établir le rapport. L'article prévoit uniquement que l'agent doit être convaincu que le gouverneur en conseil n'a pas conclu que la per- sonne s'était réhabilitée au moment l'agent entre en possession de renseignements relatifs à la déclaration de culpabilité. Par conséquent, je sous- cris à l'opinion de l'avocat de l'intimé selon laquelle l'application de l'alinéa 19(1)c) n'exige pas que le gouverneur en conseil ait étudié la question de la réhabilitation et conclu que la per- sonne en cause n'a pas démontré qu'elle était visée par cette exception. Je rejetterais donc cet argument.
(b) Obligation d'agir équitablement
Selon les prétentions de l'appelant, l'agent d'im- migration qui établit un rapport en vertu de l'arti- cle 27 est tenu, en vertu de son obligation d'agir équitablement, de traiter l'appelant de la même façon que toutes les autres personnes qui se trou- vent dans une situation semblable. L'avocat pré- tend que le texte de l'alinéa 27(1)a) prévoit que l'agent d'immigration doit considérer le résident permanent comme un candidat au droit d'établis- sement en vertu de l'alinéa 19(1)c) de la Loi. Il allègue de plus que le texte de l'alinéa 27(1)a), c'est-à-dire «ne remplit pas les conditions d'obten- tion du droit d'établissement», exige l'application des mêmes normes juridiques imposées à l'agent des visas qui doit évaluer une demande d'immigra- tion à l'étranger, conformément à l'article 9 de la Loi sur l'immigration de 1976. Puisque dans les circonstances, l'agent des visas serait tenu d'inviter la personne qui arrive au Canada à obtenir du gouverneur en conseil qu'il exerce sa prérogative, ce qui signifie qu'il devrait lui donner la possibilité de le faire, l'appelant estime que cette possibilité devrait également lui être offerte en sa qualité de résident permanent. On allègue que les directives écrites de la Commission donnent à la personne qui demande l'admission au Canada la possibilité de présenter des arguments relatifs à sa réhabilita- tion et que l'agent d'immigration en cause a erré en droit en établissant le rapport, parce qu'elle a omis de rencontrer l'appelant et de lui donner la possibilité de présenter des arguments à cet égard. L'appelant allègue également que le juge de pre- mière instance a commis une erreur en concluant que l'appelant était suffisamment renseigné et qu'il avait eu la possibilité de présenter des arguments sur la question de sa réhabilitation.
À mon avis, ces prétentions ne peuvent être retenues. Quant aux directives du ministère, il a été établi dans Martineau (no 1) ° que ces derniè- res, qu'elles soient établies en vertu du pouvoir réglementaire ou de la compétence administrative générale, ne sont rien de plus que des instructions et la population n'a aucun recours pour assurer leur observation. J'estime que lorsqu'un agent
4 Martineau et autre c. Comité de discipline des détenus de l'Institution de Matsqui (no 1), [1978] 1 R.C.S. 118, le juge Pigeon, aux pages 129 et 130.
d'immigration établit un rapport en vertu du para- graphe 27(1), il est tenu à très peu de formalités sur le plan de la procédure. Comme l'a affirmé le juge Dickson (alors juge puîné) dans l'arrêt Mar- tineau c. Comité de discipline de l'Institution de Matsqui (no 2), [1980] 1 R.C.S. 602, aux pages 626 629, il existe une «obligation générale d'agir avec équité qui incombe à toutes les instances décisionnelles publiques» la page 628] dont l'intensité «variera selon sa situation dans le spec tre administratif» la page 629]. Je conclus que les formalités procédurales en l'espèce sont mini- mes, tout d'abord, parce qu'il s'agit d'une décision purement administrative et ensuite, à cause du raisonnement suivi par la Cour dans l'arrêt Kind- ler 5 . Dans Kindler, la directive prévoyant la tenue d'enquête en vertu du paragraphe 27(3) de la Loi était contestée 6 . Cependant, puisque la Cour traite de la nature de tout le processus d'enquête, je crois que certains de ces commentaires sont aussi appli- cables à la première étape du processus, à savoir l'établissement d'un rapport en vertu du paragra- phe 27(1). Dans les motifs qu'il a rédigés au nom de la Cour, le juge MacGuigan a tout d'abord souligné que la décision de donner une directive prévoyant la tenue d'une enquête en vertu du paragraphe 27(3) était purement administrative, puis il a ajouté ce qui suit, à la page 39:
Le sous-ministre a seulement à décider que la tenue d'une enquête s'impose, ce qu'il peut faire sur le fondement d'une preuve prima facie. Sa décision est analogue à celle d'un procureur de la poursuite concluant qu'il poursuivra une accu sation devant les tribunaux.
À mon avis, ces commentaires s'appliquent égale- ment à l'établissement d'un rapport par un agent d'immigration, en vertu du paragraphe 27(1). Lorsqu'il établit un rapport en vertu de cette dis position, l'agent ne fait que déclencher le processus d'enquête. Par analogie avec la procédure crimi- nelle, méthode employée par le juge MacGuigan, l'établissement d'un rapport en vertu du paragra- phe 27(1) est semblable au dépôt d'une dénoncia- tion en vertu du Code criminel [S.R.C. 1970,
5 Kindler c. MacDonald, [1987] 3 C.F. 34 (C.A.).
6 Voici le texte du paragraphe 27(3):
27....
(3) Sous réserve des instructions ou directives du Ministre, le sous-ministre saisi d'un rapport visé aux paragraphes (1) ou (2), doit, au cas il estime que la tenue d'une enquête s'impose, adresser à un agent d'immigration supérieur une copie de ce rapport et une directive prévoyant la tenue d'une enquête.
chap. C-34]. Je doute qu'un prévenu puisse avoir gain de cause en prétendant que, dans de pareilles circonstances, la police était tenue, en vertu des principes de justice fondamentale, de lui donner la possibilité de répondre aux accusations avant le dépôt de la dénonciation. Puisque le texte de la Loi est clair, je ne puis admettre qu'un agent d'immi- gration soit tenu de donner à la personne en cause la possibilité de répondre aux allégations contenues dans le rapport établi en vertu du paragraphe 27(1), avant de rédiger ce rapport. Le rapport visé au paragraphe 27(1) est la première étape du processus d'enquête. La directive énoncée en vertu du paragraphe 27(3) en est la deuxième. C'est ensuite que, conformément à l'esprit de la Loi et au règlement d'application, la personne en cause sera avisée en bonne et due forme, de l'heure et du lieu sera tenue l'enquête. D'après les faits, l'agent d'immigration qui a signé le rapport en vertu du paragraphe 27(1) avait assez de connais- sances et de renseignements pour établir un rap port fondé. Il appert également d'après le dossier, que l'appelant a été informé en détail de toutes les allégations portées contre lui. Les faits énoncés dans le rapport, si la preuve en est faite à l'en- quête, suffisent nettement à établir que l'appelant appartient à la catégorie de personnes non admissi- bles décrite à l'alinéa 19(1)c) de la Loi. Malgré cela, il pouvait certainement demander au gouver- neur en conseil d'exercer sa prérogative. S'il obte- nait cette décision, il n'appartiendrait pas moins à la catégorie des personnes non admissibles décrite à l'alinéa 19(1)c) mais, vu l'exception qui y est prévue, il pourrait quand même être admis au Canada grâce à l'exercice de cette prérogative. Par conséquent, et pour les motifs susmentionnés, je ne puis retenir les prétentions faites par l'appelant à l'égard du rapport établi en vertu du paragraphe 27(1).
II. Directive d'enquête en vertu du paragraphe 27(3)
L'avocat de l'appelant a soulevé essentiellement les mêmes objections à cette directive que dans le cas du rapport établi en vertu du paragraphe 27(1). Puisque l'arrêt Kindler portait sur la direc tive prononcée en vertu du paragraphe 27(3), comme nous l'avons déjà souligné, les motifs de la Cour dans cette affaire s'appliquent directement à cette partie des prétentions de l'appelant. L'avocat
a tout d'abord tenté de distinguer l'espèce de l'affaire Kindler en alléguant que dans ce dernier cas, le requérant n'était pas immigrant reçu et que cela appelait des considérations différentes. Je ne suis pas convaincu par cet argument. Dans l'arrêt Kindler, la Cour traitait de l'esprit du processus d'enquête établi dans la Loi sur l'immigration de 1976. Il s'agit du même processus d'enquête qu'en l'espèce. Je reprends en particulier les commentai- res du juge MacGuigan, aux pages 40 et 41:
À cet égard, il m'apparaît des plus importants que les décisions visées constituent simplement des décisions prises au sujet de (with respect to) l'intimé, et non contre celui-ci. En fait, on pourrait dire que de telles décisions favorisent ce dernier, puisque celui-ci non seulement a droit à une audition mais, en vertu du paragraphe 30(1) de la Loi, peut être représenté par un avocat. En d'autres termes, il ne s'agit pas d'une décision privant l'intimé de sa vie, de sa liberté, de la sécurité de sa personne ou même de ses biens, de sorte qu'elle n'est pas visée par le principe selon lequel «une obligation de respecter l'équité dans la procédure incombe à tout organisme public qui rend des décisions administratives qui ne sont pas de nature législative et qui touchent les droits, privilèges ou biens d'une personne», dont l'application était confirmée par la Cour suprême dans l'arrêt Cardinal et autre c. Directeur de l'éta-
blissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, la page 653 (les soulignements sont ajoutés).
En fait, j'estime qu'il serait ridicule d'exiger même que, dans de telles circonstances, il soit permis à l'intimé de présenter des arguments par écrit concernant la décision d'accorder une audition. Si telle était la loi, pourquoi une audition antérieure ne serait-elle pas tenue relativement à cette décision de tenir une audition, et ainsi de suite, en reculant à l'infini? Pourvu que les décisions officielles aient été prises de bonne foi, je ne vois pas comment elles pourraient porter atteinte à l'équité, et le juge de première instance a conclu que la preuve ne révèle aucune mauvaise foi.
En matière d'équité, j'aimerais ajouter que d'après les faits de l'espèce, il est évident que l'appelant a eu amplement la possibilité de présenter des argu ments à l'appui de sa position, à savoir que ni un rapport en vertu du paragraphe 27(1) ni une direc tive en vertu du paragraphe 27(3) n'étaient justi- fiés. Le juge de première instance a résumé de façon succincte et exacte la preuve présentée à cet égard la page 319 C.F.):
Deuxièmement, le requérant a bénéficié de renseignements appropriés et de la possibilité de présenter des arguments en l'espèce. À la suite de sa première entrevue avec M. Fiamelli, le requérant connaissait les préoccupations du ministère de l'Im- migration concernant ses antécédents, les événements particu- liers à l'origine de ces préoccupations, les motifs pour lesquels une enquête serait tenue, le cas échéant, et les articles de la loi qui étaient appliqués. 11 a manifesté le désir d'en discuter avec son avocat, ce qu'il a fait, et Pennell a eu par la suite la possibilité d'en discuter avec M. Fiamelli, ce qu'il a fait. Il
ressort de deux autres conversations téléphoniques ultérieures entre Me Pennell et M. Fiamelli que l'affaire était devenue plus urgente et que certaines décisions devraient bientôt être prises. Ces événements offraient au requérant d'autres possibilités d'empêcher qu'un rapport soit rédigé et qu'une enquête soit tenue en lui permettant de fournir plus de renseignements. M. Fiamelli n'avait plus d'autre obligation à remplir avant qu'un rapport sur la situation de M. Mohammad soit rédigé.
et de nouveau, à la page 334 C.F.:
Ce qui s'est finalement produit, c'est que M. Fiamelli l'a convoqué à une entrevue et lui a plus que convenablement et équitablement expliqué les enjeux et souligné les dispositions législatives applicables et les renseignements pertinents, y com- pris les principales préoccupations que soulevait son cas. Il s'agissait de préoccupations tout à fait légitimes en matière d'immigration. M. Mohammad a eu la possibilité de consulter un avocat, lequel a eu plusieurs conversations avec M. Fiamelli. Le requérant n'a pas cherché à présenter son cas au ministre comme le permettent les alinéas 19(1)c) et e) et je suis con- vaincu que c'est en partie parce qu'il n'a jamais divulgué les renseignements qui peuvent justifier une telle demande. Il doit accepter les conséquences de cette décision.
La très grande publicité de cette affaire ne modifie en rien ces considérations. Elle résulte de la gravité du crime, de la façon dont le requérant est entré au Canada et de son omission de divulguer complètement sa situation lorsque les possibilités lui ont été offertes. Il n'est guère surprenant que l'affaire ait fait les manchettes et suscité un débat à la Chambre des communes. De plus, il n'est pas surprenant que ces facteurs aient eu pour effet d'exercer une pression sur les représentants des intimés pour procéder rapidement à l'arbitrage de cette affaire. J'ai déjà dit que je ne trouve rien d'anormal à cette situation.
À mon avis, ces conclusions de fait formulées par le juge de première instance et les déductions qu'il en a tirées étaient tout à fait justifiées d'après le dossier dans les circonstances.
Je souscris également à l'opinion des intimés selon laquelle rien n'empêche l'appelant de faire une demande devant le gouverneur en conseil, même à cette étape tardive de l'instance. À mon avis, cette possibilité existe toujours.
Pour toutes les raisons susmentionnées, je ne peux donc retenir les arguments de l'appelant à l'égard de l'invalidité de la directive prononcée en vertu du paragraphe 27(3).
III. Crainte raisonnable de partialité imputable aux déclarations faites par les ministres de la Couronne
L'appelant invoque précisément neuf déclara- tions faites par différents ministres de la Couronne
au sujet de la procédure d'expulsion engagée contre lui. Voici donc ces déclarations, tirées de l'exposé de faits et de droit de l'appelant:
Déclarations faites par M. James Kelleher, sollici- teur général du Canada.
(a) Le 18 janvier 1988—à la Chambre des com munes, en réponse à une question posée par M. Ed Broadbent, député et chef du Nouveau Parti démocratique [Canada, Débats de la Chambre des communes, vol. 129, 236, 2e Sess., 33e Lég. 18 janvier 1988, aux pages 12000 et 12001]:
Monsieur le Président, je peux dire à la Chambre qu'au cours de l'été 1986 un certain M. Muhammad [sic] a demandé le statut d'immigrant reçu au Canada à notre bureau de Madrid. Les autorités espagnoles auprès desquelles nous nous sommes renseignés ne nous ont rien signalé d'anormal et notre agent de liaison en Espagne a donc informé l'Immigration qu'il n'y avait pas de problème de sécurité. Évidemment, cette décision a été prise sur la foi des renseignements faux et trompeurs que ce M. Muhammad a donnés à notre agent en Espagne.
Monsieur le Président, comme je l'ai déjà expliqué à la Chambre, cette personne se trouve au Canada parce qu'elle a fourni à notre agent de liaison en Espagne de faux renseigne- ments qui l'ont induit en erreur.
(b) Le 19 janvier 1988—à la Chambre des com munes, en réponse à une question posée par M. Ed Broadbent, chef du Nouveau Parti démocratique [Canada, Débats de la Chambre des communes, vol. 129, 237, 2 e Sess., 33e Lég. 19 janvier 1988, aux pages 12056 et 12057]:
Monsieur le Président, nous l'avons identifié formellement en mai. Nous avons transmis ce renseignement aux agents de l'immigration en juin, lesquels ont immédiatement entamé leur enquête. Ils se sont adressés au ministre en octobre et ce dernier a ordonné qu'on prenne des mesures légales. Nous nous sommes conformés aux garanties procédurales prévues par la loi. Nous faisons tout notre possible et personne ne souhaite davantage que le ministre ou le gouvernement de débarrasser notre pays de ce terroriste.
Monsieur le Président, je crois qu'on a déjà répondu à cette question. Je vais quand même y répondre une fois de plus pour le député. Nous avons établi la véritable identité de cet homme en mai. L'information a été transmise à l'Immigration en juin. Je répète ma mise en garde; le député s'attend sûrement à ce que nous respections les garanties procédurales prévues par la loi.
Tout exécrable que soit ce crime et tout pressés que nous soyons de nous débarrasser de cet homme, les garanties procé- durales prévues par la loi doivent être respectées. Notre cause doit être défendable. Sans entrer dans les détails relatifs à la sécurité, je donne au député l'assurance que cet homme est étroitement surveillé.
Déclarations faites par M. Benoît Bouchard, ministre de l'Emploi et de l'Immigration.
(c) Le 18 janvier 1988—à la Chambre des com munes, en réponse à une question posée par M. Sergio Marchi, député de York-Ouest [Débats, aux pages 12001 et 12002]:
Monsieur le Président, les mêmes fausses informations qui ont été fournies à l'agence de sécurité en Espagne ont été utilisées pour passer les portes d'entrée canadiennes.
La personne en cause utilisait 21 noms différents pour fin d'identification, et lorsqu'elle est arrivée aux frontières cana- diennes, le nom utilisé dans le visa officiel ne correspondait pas aux listes que nous avions. C'est la raison pour laquelle la personne a été admise.
Mais encore une fois, monsieur le Président, je veux corriger une affirmation fausse de son collègue de York-Sud—Weston prétendant qu'il y avait danger pour la sécurité canadienne. La journée même, ou le lendemain du jour cette personne est entrée ici, nous savions, nous étions en mesure de définir elle était. Elle a été suivie par l'agence de sécurité ou la Gendarme- rie royale, dans le cas présent. En aucun moment cette personne n'a représenté une menace.
(d) Le 24 février 1988—à la Chambre des com munes, en réponse à une question posée par M. Sergio Marchi, député de York-Ouest [Canada, Débats de la Chambre des communes, vol. 129, 258, 2e Sess., 33e Lég. 24 février 1988, à la page 1380]:
Monsieur le Président, je pense avoir été clair sur les événe- ments hier. Je les rappelle pour le bénéfice de mon collègue. D'abord, nous avons été approchés, c'est-à-dire que le gouver- nement a toujours manifesté son intention de faciliter le départ de M. Mohammad, départ volontaire, ou, comme nous le faisons actuellement, par des processus de déportation. Celui-ci a approché les fonctionnaires du ministère, et son propre avocat nous a proposé un départ volontaire, et que mon collègue comprenne bien, à partir d'ententes et de mécanismes définis par eux-mêmes. Le gouvernement ne fait que faciliter, par les mesures de sécurité et par un certificat d'identité, le départ de M. Mohammad du Canada. Je pense que mon collègue devra admettre une chose. Encore une fois, à moins qu'il soit contre le départ de M. Mohammad, ce ne sera pas la première fois que son parti serait contradictoire dans ses positions. Mais à partir du moment, pour une raison ou pour une autre qui concerne M. Mohammad lui-même, que celui-ci a revenir au Canada, à partir de ce moment-là, nous continuons le processus de dépor- tation, et le gouvernement n'aura de repos que lorsque M. Mohammad sera déporté du pays.
Déclarations faites par M. Gerry Weiner, ministre d'Etat à l'Immigration.
(e) Le 19 janvier 1988—à la Chambre des com munes, en réponse à une question posée par M. Ed Broadbent, député et chef du Nouveau Parti démocratique [Débats, aux pages 12055 et 12056]:
Monsieur le Président, le Canada ne deviendra jamais un refuge pour les terroristes.
Nous avons l'intention d'appliquer la loi dans toute sa rigueur pour expulser cet individu du Canada. On ne permettra pas aux terroristes de demeurer ici.
Monsieur le Président, nous avons constitué un dossier solide- ment documenté pour justifier l'expulsion. Nous avons inter- rogé l'immigrant en décembre et nous lui avons fait savoir que les procédures d'expulsion seraient amorcées très prochaine- ment. La prochaine étape consiste en une comparution officielle devant un arbitre de l'immigration. Elle aura lieu très bientôt.
(f) Le 20 janvier 1988—à l'émission «CBC Natio nal News», à 22 heures:
[TRADUCTION] Il s'agit ici d'un terroriste reconnu coupable. Notre objectif est de nous en débarrasser.
(g) Le 20 janvier 1988—lors d'une entrevue trans- mise par le Service de dépêches Southam:
[TRADUCTION] Notre objectif primordial est de nous en débar- rasser. Il quittera le pays soit sous la menace d'expulsion soit à la suite de l'ordonnance d'expulsion livrée conformément à la procédure établie. Notre objectif sera atteint de toute façon.
(h) Le 20 janvier 1988—à la Chambre des com munes en réponse à une question posée par M. Jacques Guilbault, député de St-Jacques [Canada, Débats de la Chambre des communes, vol. 129,
238, 2e Sess., 33e Lég. 20 janvier 1988, aux pages 12095 et 12097]:
Monsieur le Président, j'ai dit bien clairement que l'on a déjà entamé des poursuites judiciaires. Cet homme se trouve ici illégalement, car c'est un terroriste notoire. Notre objectif primordial est de nous en débarrasser. Il quittera le pays soit sous la menace d'expulsion soit à la suite d'une ordonnance d'expulsion émise conformément à la procédure établie.
Peut-être certains députés de l'opposition songent-ils mainte- nant à exhorter les membres de l'autre endroit à adopter le projet de loi C-84 dans les plus brefs délais. Peut-être que certains d'entre eux qui on vilipendé le projet de loi songent-ils maintenant à seconder nos efforts en vue de bloquer l'accès de notre pays aux terroristes, aux saboteurs et aux espions.
et
(i) Le 21 janvier 1988—à la Chambre des com munes, en réponse à une question posée par M. Sergio Marchi, député de York-Ouest [Canada, Débats de la Chambre des communes, vol. 129,
239, 2 e Sess., 33e Lég. 21 janvier 1988, à la page 12150]:
Je confirme à la Chambre qu'il y a au Canada un terroriste condamné, entré au pays illégalement. Notre intention est d'utiliser tous les pouvoirs que la loi nous donne pour l'expulser.
La procédure est en marche. Les documents lui ont été remis et l'audition aura lieu lundi prochain.
Les parties n'ont pas contesté le critère applica ble à la preuve de l'existence d'une crainte raison- nable de partialité. Ce critère a été énoncé par le juge de Grandpré dans l'arrêt Crowe:
La Cour d'appel a défini avec justesse le critère applicable dans une affaire de ce genre. Selon le passage précité, la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d'appel, ce critère consiste à se demander «à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et prati- que. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, M. Crowe, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste?»
Je ne vois pas de différence véritable entre les expressions que l'on retrouve dans la jurisprudence, qu'il s'agisse de «crainte raisonnable de partialité», «de soupçon raisonnable de partialité», ou «de réelle probabilité de partialité». Toutefois, les motifs de crainte doivent être sérieux et je suis complètement d'accord avec la Cour d'appel fédérale qui refuse d'admettre que le critère doit être celui d'«une personne de nature scrupu- leuse ou tatillonne».
Telle est la façon juste d'aborder la question mais il faut évidemment l'adapter aux faits de l'espèce. La question de la partialité ne peut être examinée de la même façon dans le cas d'un membre d'un tribunal judiciaire que dans le cas d'un membre d'un tribunal administratif que la loi autorise à exercer ses fonctions de façon discrétionnaire, à la lumière de son expérience ainsi que de celle de ses conseillers techniques.
Les parties ont également admis que l'enquête tenue devant l'arbitre est une instance quasi judi- ciaire à laquelle s'appliquent les règles de justice naturelle, y compris celles qui portent sur la crainte raisonnable de partialité. L'appelant pré- tend que les remarques du solliciteur général, du ministre de l'Emploi et de l'Immigration et du ministre d'État à l'Immigration indiquent claire- ment à l'arbitre l'ordonnance qu'il doit prononcer à la conclusion de l'enquête de l'appelant. L'avocat allègue également que lorsque les ministres men- tionnent les garanties procédurales prévues par la
7 Committe for Justice and Liberty et autres c. Office natio nal de l'énergie et autres, [1978] I R.C.S 369, aux p. 394 et 395.
Ce critère a été repris par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Valente c. La Reine et autres, [1985] 2 R.C.S.
673, la p. 684. Il a été également retenu par la Cour fédérale dans Satiacum c. Ministre de l'Emploi et de l'Im- migration, [1985] 2 C.F. 430 (C.A.), à la p. 436, et dans MacBain c. Lederman, [1985] 1 C.F. 856 (C.A.), aux p. 867 et 868.
loi, il s'agit, d'après le contexte, [TRADUCTION] «d'une simple façade tandis que le message clair et net porte que l'enquête se terminera par une ordonnance d'expulsion» (exposé de faits et de droit de l'appelant, paragraphe 169). L'avocat pré- tend de plus que bon nombre des remarques faites par les ministres susmentionnés constituent un jugement préalable des questions mêmes dont est saisi l'arbitre.
Je ne puis retenir ces arguments. J'estime qu'une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, n'arriverait pas à la con clusion que, selon toute vraisemblance, l'arbitre, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste, même si l'on présume que les déclarations faites par les ministres, et déjà citées, ont été portées à l'attention de l'arbitre.
Compte tenu du critère applicable et des objec tions faites par l'avocat de l'appelant, je vais main- tenant étudier les diverses déclarations faites par les trois ministres en cause.
Quant aux deux déclarations faites par le sollici- teur général du Canada, je note tout d'abord qu'el- les ont toutes deux été faites en réponse à des questions posées lors de la période des questions à la Chambre des communes. En ce qui a trait à la déclaration faite le 18 janvier 1988, la déclaration invoquée par l'appelant, et reproduite au paragra- phe III(a), ne représente pas la réponse complète du ministre.
Une lecture rapide de la page 183 du Dossier d'appel, volume 1, permet facilement de conclure que la mention, par le solliciteur général, de ren- seignements faux et trompeurs doit être lue dans le contexte de sa réponse globale portant que «l'infor- mation a été transmise à l'Immigration qui fait le nécessaire depuis ce temps pour entreprendre des procédures d'expulsion contre lui.» Compte tenu de l'ensemble, je ne vois rien de répréhensible dans cette déclaration. Le solliciteur général n'a fait que répéter l'une des allégations énoncées dans le rap port établi en vertu du paragraphe 27(1), c'est-à-
dire que l'appelant appartenait à la catégorie de personnes décrites à l'alinéa 27(1)e) de la Loi 8 .
Quant à la deuxième déclaration du solliciteur général, à savoir la déclaration faite à la Chambre des communes, au cours de la période des ques tions du 19 janvier 1988, je ne vois rien de répré- hensible dans cette réponse non plus. Après avoir affirmé que les garanties procédurales prévues par la loi avaient été respectées, le ministre a affirmé ce qui suit:
Tout exécrable que soit ce crime et tout pressés que nous soyons de nous débarrasser de cet homme, les garanties procé- durales prévues par la loi doivent être respectées. Notre cause doit être défendable.
Il s'agit en réalité d'une réponse à la question posée par M. Sergio Marchi, député, et non à une question de M. Broadbent. Voici la question posée par M. Marchi [Débats, à la page 120571:
Peut-il expliquer pourquoi cet homme n'a pas été arrêté ou détenu pour assurer au moins qu'il ne s'échappera pas ou qu'il ne disparaîtra pas pendant l'enquête...?
À mon avis, compte tenu de la question posée, le ministre a servi une réponse intelligente, raisonna- ble et pertinente. Je n'y trouve rien qui puisse inciter une personne raisonnable à craindre que l'arbitre serait illégitimement influencé par une telle déclaration. Au contraire, il me semble que si l'arbitre était au courant des commentaires faits par le solliciteur général, cela ne pourrait que servir à lui rappeler qu'il doit mener l'enquête conformément aux principes de justice naturelle.
Quant aux deux déclarations faites par le minis- tre de l'Emploi et de l'Immigration, je ne vois pas comment la déclaration faite au cours de la période des questions, le 18 janvier 1988, pourrait
8 Voici le texte de l'alinéa 27(1 )e):
27. (I) Tout agent d'immigration ou agent de la paix, en possession de renseignements indiquant qu'un résident permanent
e) a obtenu le droit d'établissement soit sur présentation d'un passeport, visa ou autre document relatif à son admis sion faux ou obtenu irrégulièrement, soit par des moyens frauduleux ou irréguliers soit grâce à une représentation erronée d'un fait important, que ces moyens aient été exercés ou ces représentations faites par ledit résident ou par un tiers, ou
doit adresser un rapport écrit et circonstancié au sous-minis- tre à ce sujet.
soulever un problème de crainte de partialité. Par sa question, M. Marchi cherchait à savoir si l'arri- vée de l'appelant au Canada représentait une menace pour la sécurité du Canada. Le ministre a nié que la sécurité du pays ait été en péril.
En ce qui concerne la déclaration entendue au cours de la période des questions du 24 février 1988, il faut encore une fois tenir compte du contexte dans lequel elle a été faite. Le ministre répondait à une question posée par M. Marchi qui voulait avoir des explications au sujet du séjour de l'appelant à Londres, Angleterre, et à son retour au pays. Voici un extrait pertinent de la réponse du ministre [Débats, à la page 1380]:
... le gouvernement a toujours manifesté son intention de faciliter le départ de M. Mohammad, départ volontaire, ou, comme nous le faisons actuellement, par des processus de déportation ... à partir du moment, pour une raison ou pour une autre qui concerne M. Mohammad lui-même, que celui-ci a revenir au Canada, à partir de ce moment-là, nous continuons le processus de déportation, et le gouvernement n'aura de repos que lorsque M. Mohammad sera déporté du
pays.
À mon avis, ces déclarations sont conformes à la position souvent citée du gouvernement, à savoir que la procédure d'expulsion intentée contre l'ap- pelant serait maintenue avec vigueur. Même si l'affirmation portant que «le gouvernement n'aura de repos que lorsque M. Mohammad sera déporté du pays» peut sembler exagérée, il faut se rappeler que cet échange a eu lieu dans le cadre accusatoire qui caractérise souvent la période des questions à la Chambre des communes et que l'on avait assuré à plusieurs reprises qu'il y aurait application équi- table de la loi dans la procédure d'expulsion inten- tée contre l'appelant. Je ne suis pas prêt à admet- tre que l'affirmation susmentionnée pourrait entraîner une crainte raisonnable que l'arbitre soit partial lors de la tenue de l'enquête de l'appelant, s'il était au courant de l'affirmation du ministre.
Enfin, j'en viens aux quatre déclarations faites par le ministre d'État à l'Immigration. Quant à sa déclaration du 19 janvier 1988, faite pendant la période des questions, je n'ai rien à lui reprocher. Quand il parle d'appliquer «la loi dans toute sa rigueur pour expulser cet individu du Canada», cela est tout à fait conforme aux autres déclara- tions que ses collègues et lui ont faites au sujet de l'application équitable de la loi. Il ajoute égale- ment que «nous avons constitué un dossier solide-
ment documenté pour justifier l'expulsion.» Cela est également compatible avec l'opinion portant que les principes de justice naturelle et de l'appli- cation équitable de la loi étaient respectés. Quant aux remarques faites par ce ministre le 20 janvier 1988 des membres de médias nationaux et trans- mises par le service de dépêches Southam, l'avocat de l'appelant cite l'extrait suivant comme un exem- ple particulièrement éloquent de déclaration préju- diciable à l'appelant:
[TRADUCTION] Il quittera le pays soit sous la menace d'expul- sion soit à la suite de l'ordonnance d'expulsion livrée conformé- ment à la procédure établie. Notre objectif sera atteint de toute façon. (Souligné par mes soins.)
J'estime que pour bien comprendre ces propos, il faut tenir compte des deux , autres déclarations faites par le ministre, durant la période des ques tions à la Chambre des communes, les 20 et 21 janvier. Voici ce qu'il a affirmé le 20 janvier:
Notre objectif primordial est de nous en débarrasser. Il quittera le pays soit sous la menace d'expulsion soit à la suite d'une ordonnance d'expulsion émise conformément à la procédure établie.
Voici ce qu'il a déclaré le 21 janvier:
Notre intention est d'utiliser tous les pouvoirs que la loi nous donne pour l'expulser. La procédure est en marche. Les docu ments lui ont été remis et l'audition aura lieu lundi prochain. (Souligné par mes soins.)
Dans le contexte toutes ces déclarations ont été faites, il me semble qu'elles confirment que le ministre avait l'intention d'agir contre l'appelant en se conformant aux dispositions de la Loi sur l'immigration de 1976. Si on examinait hors con- texte la remarque faite par ce ministre le 20 janvier 1988, savoir que l'ordonnance de dépor- tation sera émise, j'admets que ce serait une remarque déplacée. Toutefois, si on tient compte du contexte des autres remarques faites par ce ministre ainsi que celles des deux autres ministres en cause, je ne suis pas convaincu que cette remar- que ait été fondée sur autre chose qu'un excès de confiance dans le dossier préparé en vue de l'expul- sion de l'appelant.
L'avocat de l'appelant a également invoqué l'ar- rêt Vermette 9 . Dans cette affaire, le procès du prévenu devant un juge et jury a été suspendu par le juge de première instance à cause de la publicité
9 R. c. Vermette, [1988] 1 R.C.S. 985.
exceptionnelle qui avait été faite à des déclarations du premier ministre du Québec, à l'Assemblée nationale, au sujet de la défense du prévenu et de la crédibilité d'un témoin. Selon le juge de pre- mière instance, ces circonstances empêchaient la tenue d'un procès équitable.
À mon avis, il est facile de distinguer l'arrêt Vermette de l'espèce, à partir des faits pertinents. Les déclarations en cause dans l'affaire Vermette figurent dans les motifs du jugement du juge Chouinard ((1984) 15 D.L.R. (4th) 218 (C.A. Qué.), à la page 229). Il ressort clairement, même d'une lecture superficielle de ces remarques, qu'el- les étaient très préjudiciables au prévenu. Comme je l'ai déjà souligné, j'ai conclu que les déclarations ministérielles contestées en l'espèce, ne sont ni répréhensibles ni préjudiciables à l'appelant. Par conséquent, l'arrêt Vermette ne s'applique pas en l'espèce parce que les faits de chaque affaire sont tout à fait différents.
Une dernière chose au sujet de l'arrêt Vermette: j'aimerais souligner que le juge La Forest, qui a rédigé la décision au nom de la majorité de la Cour suprême du Canada, a mentionné «la confiance qu'on peut avoir dans la capacité d'un jury de se dégager de l'information qu'il n'a pas le droit de prendre en considération» (aux pages 993 et 994). Je souscris également à l'opinion du juge La Forest lorsqu'il affirme ce qui suit, à la page 992 de l'arrêt Vermette:
Comme la Cour d'appel de l'Ontario l'a fait remarquer dans
l'arrêt R. v. Hubbert (1975), 29 C.C.C. (2d) 279, la p. 289 (confirmé par cette Cour: [1977) 2 R.C.S. 267), [TRADUC- TION] 411 existe une présomption de base qu'un juré [...] se déchargera de ses fonctions conformément à son serment..
À mon avis, ces commentaires sur la réaction probable d'un juré à des renseignements préjudi- ciables au prévenu s'appliquent encore plus en l'espèce, puisque l'arbitre nommé en vertu de la Loi sur l'immigration de 1976 est alors l'instance décisionnelle. Je pense qu'il est encore moins pro bable que cette personne soit influencée par les déclarations d'un ministre, même si l'on présume qu'elles étaient tout à fait déplacées, comme ce fut
le cas dans l'affaire Vermette 10 . Je conclus donc dans ce sens, prenant en considération que les arbitres sont des instances décisionnelles profes- sionnelles qui savent très bien que leurs décisions sont assujetties aux mêmes restrictions que toute décision prise par un tribunal quasi judiciaire.
Par conséquent, pour les motifs susmentionnés, je ne suis pas convaincu que les diverses déclara- tions faites par les ministres de la Couronne en cause aient démontré l'existence d'une crainte rai- sonnable de partialité.
IV. Indépendance institutionnelle
L'avocat de l'appelant prétend que les arbitres qui tiennent des enquêtes en vertu de la Loi sur l'immigration de 1976 ne jouissent pas d'une indé- pendance institutionnelle suffisante pour jouer leur rôle selon l'esprit de la Loi, conformément aux règles de justice naturelle et aux principes de justice fondamentale. L'appelant estime que l'es- prit de la Loi ne confère pas à l'arbitre [TRADUC- TION] odes garanties institutionnelles objectives qui permettent d'établir assez de distance par rap port à l'aile exécutive du gouvernement, assurant ainsi l'indépendance du système arbitral.» (Exposé de faits et de droit de l'appelant, paragraphe 197.)
Les parties admettent que l'indépendance est un concept prévu dans les règles de justice naturelle et également reconnu à l'article 7 de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui cons- titue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)]. Elles reconnaissent également que même si l'alinéa 11 d) de la Charte ne s'appli- que pas directement en l'espèce, il est évident que les tribunaux quasi judiciaires, notamment les arbitres, doivent également pouvoir rendre des décisions impartiales. Cela n'est possible que si
10 1I faut se souvenir que, selon le paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration de 1976, «arbitre» désigne «l'arbitre en matière d'immigration nommé ou employé conformément à la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique pour exercer les fonctions prévues à la présente loi»; l'article 23 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique [S.R.C. 1970, chap. P-321 prévoit notamment que les employés doivent faire un serment ou une affirmation solennelle d'allégeance ainsi que le serment ou l'affirmation solennelle figurant à l'annexe Ill selon laquelle l'employé s'engage à remplir «avec fidélité et honnêteté les fonctions qui [P]incombe» en raison de son emploi dans la fonction publique.
l'on peut percevoir suffisamment de distance insti- tutionnelle par rapport à l'aile exécutive du gou- vernement. L'appelant invoque un certain nombre de faits et de circonstances pour démontrer que cette perception n'existe pas en l'espèce. Je vais maintenant résumer les faits et circonstances invo- qués par l'appelant à l'appui de ses prétentions.
(a) Structure de la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada
La structure de la Commission établit la hiérar- chie à partir du ministre jusqu'à l'arbitre. Le sous-ministre et le sous-ministre adjoint sont res- pectivement président et vice-président de la Com mission. Par conséquent, ils ont tous deux un pouvoir de surveillance et de discipline par rapport aux agents chargés de présenter les cas ainsi qu'aux arbitres. Les agents chargés de présenter les cas et les arbitres sont donc des fonctionnaires relevant du ministre.
(b) Conseils juridiques
La Direction de l'arbitrage n'a pas son propre service juridique. Elle doit s'adresser aux conseil- lers juridiques de la Commission pour obtenir des avis juridiques. L'appelant prétend que cela com- promet l'indépendance de l'arbitre. Les conseillers juridiques de la Commission donnent également des avis juridiques à la section des agents chargés de présenter les cas. De l'avis de l'appelant, cela enlève effectivement à l'arbitre toute véritable indépendance par rapport à la Direction de l'exé- cution de la loi. De plus, il est fréquent que la Direction de l'arbitrage procède à l'interprétation de questions de droit par voie d'énoncés de prin- cipe que les arbitres reçoivent régulièrement. L'ap- pelant invoque l'affidavit de M. Stuart Scott, ancien arbitre et maintenant avocat en Ontario, dont voici un extrait (Dossier d'appel, volume II, à la page 211, paragraphe 20):
[TRADUCTION] D'après mon expérience à titre d'arbitre, je n'ai jamais eu le sentiment de devoir rendre une décision compatible avec l'opinion du personnel surveillant. J'ai déjà perçu que des pressions avaient été exercées pour que je me conforme à une certaine norme du processus décisionnel sur des questions de fond importantes, par la Direction de l'arbitrage de la Commis sion d'immigration du Canada.
(c) Contrôle
Les arbitres sont assujettis à un système de contrôle considérable. Il a pour but de garantir l'efficacité et l'efficience du service, de souligner les inconséquences dans l'application de la loi et d'évaluer le travail des arbitres. L'une des métho- des employées pour évaluer le rendement des arbi- tres en audience est le contrôle des transcriptions d'audience, notamment des motifs donnés par les arbitres. L'appelant prétend que ce procédé [TRA- DUCTION] «a pour effet de paralyser l'indépen- dance de l'arbitre.» Il prétend de plus [TRADUC- TION] «que les méthodes restreintes employées pour avancer des énoncés de principe en matière juridique et contrôler le rendement des arbitres créent un régime de contrainte préalable tout à fait différent du régime d'examen du pouvoir judi- ciaire.»
(d) Sécurité d'emploi
L'arbitre, à titre de fonctionnaire, bénéficie de la sécurité d'emploi habituellement applicable aux fonctionnaires. Ainsi, en vertu de l'article 31 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique [S.R.C. 1970, chap. P-32], l'arbitre, comme d'au- tres fonctionnaires, a le droit d'en appeler d'une recommandation de rétrogradation ou de renvoi devant un comité indépendant établi par la Com mission. La décision de ce comité peut également être examinée par la Cour, en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10]. L'appelant allègue toutefois que les supérieurs de l'arbitre peuvent imposer diverses mesures disciplinaires sans que l'arbitre ait accès à un processus indépendant d'arbitrage. On souligne également qu'un arbitre peut faire l'objet de mesu- res disciplinaires pour des raisons tout à fait étran- gères à sa compétence ou à sa capacité de remplir ses fonctions d'arbitre. On a donné de nombreux exemples de cas un arbitre a fait l'objet de mesures disciplinaires, notamment pour avoir causé de l'embarras au ministre, pour avoir criti- qué publiquement la politique gouvernementale, pour ne pas avoir suivi les directives établies, pour insubordination, etc. On prétend que ces contrain- tes imposées aux arbitres sont tout à fait différen- tes du régime de discipline ou de congédiement applicable aux juges, qui est confié à un processus indépendant.
(e) Unité de négociation
Les arbitres et les agents chargés de présenter les cas appartiennent à la même unité de négocia- tion et ont donc des intérêts communs en ce qui a trait aux conditions de travail. On prétend que ces intérêts communs entraîneront une prise de posi tion commune dans leurs relations avec l'em- ployeur, la Commission.
(f) Affectations intérimaires
Bon nombre de membres du personnel de la Commission occupent leur poste de façon intéri- maire. Le personnel permanent d'une section peut être muté à une autre section, en affectation intéri- maire provisoire. Certains arbitres du Bureau de l'arbitrage de Toronto ont reçu des affectations intérimaires à titre d'agents d'appel de l'immigra- tion et, sous ce chef, représentent le ministre devant la Commission d'appel de l'immigration. De même, des arbitres ont été affectés à des bureaux des visas à l'étran,ger, ils occupent le poste d'agent des visas. Egalement, des agents chargés de présenter les cas ont reçu des affecta tions intérimaires à titre d'arbitres. Un arbitre occupe un poste de surveillant à titre intérimaire, dans le cadre du programme d'application du Règlement sur l'arriéré des revendications du statut de réfugié [DORS/86-701]. La plupart des requérants visés par ce programme font déjà l'ob- jet d'une enquête établie conformément à la Loi. Dans un autre exemple, un agent chargé de pré- senter les cas qui avait reçu une affectation intéri- maire à titre d'arbitre, est retourné à son poste d'agent chargé de présenter les cas, puis a été nommé arbitre de façon permanente. Dans un autre cas, un arbitre qui avait reçu une affectation intérimaire d'agent d'appel de l'immigration est ensuite retourné à son poste permanent d'arbitre.
Voici ce qu'allègue l'appelant à cet égard (Exposé de faits et de droit de l'appelant, paragraphe 210):
[TRADUCTION] Nous alléguons que l'existence de «nombreu- ses affectations intérimaires» au sein du ministère compromet l'indépendance même de l'arbitre en créant une séparation tout à fait transitoire et illusoire entre les fonctions d'arbitre et de procureur de la poursuite. L'interchangeabilité réelle des postes d'arbitre et de «procureur» met profondément en péril toute distinction institutionnelle délicate qui pourrait exister par ail- leurs. De plus, dans le ministère, la direction confie les affecta tions intérimaires sans respecter le processus normal de dota-
tion par concours. Cela est très grave lorsque les affectations intérimaires dans le secteur de l'exécution de la loi sont consi- dérées comme des modes de promotion professionnelle par les arbitres.
(g) Indépendance administrative
L'agent chargé du rôle qui décide quel arbitre entendra chaque affaire travaille au sein de la Section des agents chargés de présenter les cas. Ses décisions ne peuvent être renversées que par le chef de la section ou de la division, à la Direction de l'arbitrage. L'appelant prétend que ce système ne protège aucunement l'arbitre contre les choix et affectations arbitraires faits par des fonctionnaires qui s'intéressent surtout à l'exécution de la loi. D'après l'avocat de l'appelant, l'existence même de cette pratique compromet l'indépendance de l'arbi- tre. L'appelant ajoute que les arbitres contrôlent peu ou point certaines fonctions administratives essentielles comme la décision de retenir les servi ces d'interprètes et de sténographes judiciaires. D'après son avocat, cette absence de contrôle affai- blit encore plus l'indépendance de l'arbitre.
Autres faits et circonstances déposés en preuve relativement à l'indépendance institutionnelle
Les questions soulevées plus haut par l'appelant pour démontrer que cette affaire ne renferme pas toute l'indépendance institutionnelle nécessaire, ne couvrent pas toute la situation. Il convient de souligner d'autres faits et circonstances, en preuve au dossier, avant de procéder à une analyse objec tive de la situation.
Quant à la structure de la Commission, il a été démontré que tous les arbitres travaillent sous le contrôle de la Direction de l'arbitrage. L'énoncé de fonctions du directeur général de la Direction d'ar- bitrage prévoit notamment que le directeur général doit être:
[TRADUCTION] responsable de la prestation de services d'arbi- trage aux enquêtes en matière d'immigration et aux auditions en vue d'une mise en liberté au Canada, conformément aux règles de justice naturelle, à la Loi sur l'immigration et aux règlements d'application, ainsi qu'à la jurisprudence pertinente. (Dossier d'appel, volume II, à la page 257.)
Les arbitres fondent leurs décisions sur la Loi sur l'immigration et les règlements d'application, la jurisprudence pertinente, les énoncés de principe et les procédures de la Direction de l'arbi- trage. (Dossier d'appel, volume I1, à la page 258.)
Le directeur général de la Direction de l'arbitrage est responsa- ble de la prestation de services efficaces d'arbitrage au Canada et de la tenue d'enquêtes de façon équitable, suivies de décisions de grandes qualité et conformes aux règles de justice naturelle ainsi qu'à la Loi sur l'immigration et aux règlements d'applica- tion. (Dossier d'appel, volume II, à la page 258.)
Les arbitres étant des instances décisionnelles indépendantes, le directeur général doit adopter un mode de gestion flexible, voire collégial. Afin d'assurer une application conséquente du droit en vigueur, il faut établir, par la discussion et la persuasion, des énoncés de principes relatifs à l'interprétation de la Loi sur l'immigration et des règlements d'application, ainsi qu'à la jurisprudence en évolution constante, et les faire accepter et appliquer par les arbitres. 1l faut mettre en place un système complet de contrôle des opérations visant à souligner les incon- séquences dans l'application du droit et les besoins en matière de formation. Puisque les personnes sont envoyées à l'enquête par des agents de la Division de l'immigration et qu'une des parties à l'enquête est le représentant du ministre (l'agent chargé de présenter les cas), le directeur général doit consulter fréquemment le directeur de la Direction générale des opéra- tions et le directeur de la Direction des services juridiques qui conseille la Division de l'immigration en matière juridique. Cependant, puisque les arbitres constituent un tribunal quasi judiciaire, il faut garantir l'impartialité et l'indépendance de la Direction de l'arbitrage et sa politique. Il convient d'équilibrer le maintien de services efficaces et efficients par la consultation et la négociation avec la possibilité de convenir avec tact de ne pas être d'accord sur des questions de droit et de procédure. (Dossier d'appel, volume I1, à la page 259.)
En ce qui concerne les liens qui existent entre l'arbitre et l'agent chargé de présenter les cas, un examen rapide des fonctions conférées à ce dernier indique qu'il relève du surveillant des agents char- gés de présenter les cas et qu'il ne joue aucun rôle de surveillance à l'égard des arbitres. Ses fonctions ne sont pas très différentes de celles d'un procu- reur de la Couronne en instance criminelle. Cepen- dant, il peut être tenu de rédiger un rapport sur les enquêtes au cours desquelles il représentait la Commission afin de commenter les pratiques et procédures adoptées ainsi que:
[TRADUCTION] ... sur la pertinence de la décision de l'arbitre afin d'assurer une application uniforme de la Loi sur l'immi- gration et des règlements. [Dossier d'appel, vol. Il, aux p. 243 et 245.]
De façon plus précise, il est censé évaluer les pratiques et procédures employées par l'arbitre, surtout si les décisions semblent incompatibles avec la Loi, les règlements et la jurisprudence. Dans ce cas, l'agent chargé de présenter les cas est censé donner son opinion, à savoir si la décision devrait ou non être portée en appel.
Jusqu'à maintenant, j'ai mentionné l'esprit de la Loi ainsi que les règlements et les directives admi- nistratives d'application qui régissent la nomina tion des arbitres. Même si ces éléments de preuve sont pertinents, du moins dans la mesure ils permettent de comprendre la façon dont le système d'arbitrage doit fonctionner, ils ne sont pas con- cluants en ce qui a trait à la question de l'indépen- dance institutionnelle. Cependant, le dossier con- tient également des éléments de preuve directe relatifs au fonctionnement réel du système. Je renvoie à l'affidavit déposé par Stuart Scott, ci-dessus, lequel, nous l'avons déjà dit, est un ancien arbitre qui pratique maintenant le droit en Ontario, plus particulièrement le droit de l'immi- gration.
Quant à la structure de la Commission, M. Scott décrit la structure de la Direction de l'arbi- trage aux paragraphes 4 à 8 de son affidavit (Dossier d'appel, volume II, aux pages 208 et 209). D'après ces propos, il semble évident que les arbi- tres et les agents chargés de présenter les cas travaillent dans des directions générales de la Commission. Je souscris à l'opinion de l'avocat des intimés selon laquelle les arbitres et les agents chargés de présenter les cas ne relèvent pas d'un même supérieur et [TRADUCTION] «ce n'est qu'au sommet, que les hiérarchies se rejoignent.» (Exposé de faits et de droit de l'intimé, paragraphe 90.)
Quant à la question des conseils juridiques, M. Scott a affirmé au paragraphe 16 de son affidavit (Dossier d'appel, volume II, à la page 211), que l'arbitre ayant besoin de conseils en matière juridi- que pouvait faire appel à la Direction de l'arbi- trage. Il y a des avocats au sein du personnel de la Direction de l'arbitrage, d'ailleurs le directeur intérimaire au 5 février 1988 était avocat. Cepen- dant, la Direction de l'arbitrage n'est pas dotée de son propre service juridique. A l'occasion, les arbi- tres s'adressent à la Direction des services juridi- ques de la Commission pour obtenir des avis juridi- ques. La Direction des services juridiques donne des avis à d'autres services de la Commission, y compris la Section des agents chargés de présenter les cas de la Direction de l'exécution de la loi.
Au sujet des contrôles, M. Scott a ajouté aux commentaires faits au paragraphe 20 de son affi davit, précité, que la Direction de l'arbitrage con-
trôlait les transcriptions d'audiences tenues par les arbitres (paragraphe 19). Voici ce qu'il a affirmé:
[TRADUCTION] Je crois que ces contrôles portaient essentielle- ment sur la façon dont les enquêtes étaient menées. Les résul- tats des contrôles pouvaient être utilisés au moment l'arbitre et son chef de section discutaient de l'évaluation de l'employé.
M. Scott a également mentionné qu'à l'occasion, la Commission remettait aux arbitres des données statistiques relatives au nombre de personnes qui négligeaient de quitter le Canada à la suite d'un avis d'interdiction de séjour ainsi que le nombre de personnes qui ne se présentaient pas à l'enquête ou au renvoi après avoir été mises en liberté (paragra- phe 17). Voici ce qu'il a ajouté ensuite au paragra- phe 17:
[TRADUCTION] Un agent supérieur m'a déjà fait remarquer que j'optais plus souvent pour des mises en liberté et des avis d'interdiction de séjour que d'autres arbitres. Quant à moi, je ne crois pas que des statistiques sur le nombre d'absences devraient influencer ma décision dans chaque cas.
Il a de plus affirmé clairement (paragraphe 14) qu'en sa qualité d'arbitre, il avait toujours eu l'impression [TRADUCTION] «que la décision finale m'appartenait uniquement et que je ne devais pas suivre des instructions données par mes supérieurs sur des questions de fond en matière de droit.»
Quant à la sécurité d'emploi, M. Scott souligne qu'un arbitre ne peut faire l'objet de mesures disciplinaires que s'il y a juste cause, et sous réserve de la convention collective cadre des fonc- tionnaires. Les arbitres disposent de trois paliers de grief: tout d'abord le chef de division, puis le directeur général de la Direction de l'arbitrage et enfin, le sous-ministre de la Commission (paragra- phe 12). Cette procédure de grief s'ajoute à la protection prévue à l'article 31 que j'ai déjà mentionnée.
Sous la rubrique de l'«indépendance administra tive», M. Scott a affirmé qu'en ce qui a trait à l'attribution des dossiers, il estimait que le pouvoir discrétionnaire y était employé [TRADUCTION] «de façon normale, rationnelle.» Par exemple, un arbi- tre débutant ne serait pas affecté à une affaire particulièrement complexe; le chef de section choi- sira plutôt de la confier à un arbitre plus expéri- menté (paragraphe 13).
M. Scott a rapporté (paragraphe 15) que les arbitres avaient régulièrement des réunions et des séances de formation on les mettait au courant
des dernières modifications des lois et des règle- ments ainsi que de la jurisprudence actuelle. D'après lui, les avis joints à la jurisprudence avaient pour but [TRADUCTION] «d'assurer la con- formité du processus décisionnel dans tout le pays.» Il a également affirmé ce qui suit (paragra- phe 15):
[TRADUCTION] On ne nous ordonnait jamais d'appliquer une certaine interprétation, mais on nous incitait à accepter une opinion donnée, pour des raisons de plus grande conformité.
Conclusions relatives à l'indépendance institution- nelle
J'ai l'intention de fonder ma décision à cet égard sur le critère énoncé par le juge de Grandpré dans l'arrêt Crowe, précité, puisque ce critère a été repris par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Valente c. La Reine et autres".
Pour l'application de ce critère en l'espèce, il s'agit de déterminer si une personne saine et rai- sonnable, renseignée au sujet de la méthode d'af- fectation des arbitres en vertu de la Loi sur l'immi- gration et du mode d'exécution de leurs fonctions, conclurait qu'un arbitre ainsi nommé et agissant de cette façon rendrait probablement des décisions équitables dans les enquêtes qu'il préside en vertu de la Loi sur l'immigration de 1976?
On ne peut répondre à cette question qu'après avoir étudié les différents éléments qui préoccu- pent l'appelant et que nous avons déjà résumés.
Examinons tout d'abord la structure et l'organi- sation de la Commission: d'après la preuve, je conclus que même si les agents chargés de présen- ter les cas et les arbitres sont tous des fonctionnai- res relevant du même ministre, ils travaillent dans des divisions distinctes de la Commission. Les agents chargés de présenter les cas ne jouent pas un rôle de surveillance à l'égard des arbitres. Ils ne relèvent pas des mêmes supérieurs et ce n'est qu'au sommet de l'organigramme que leurs hiérarchies respectives se rejoignent.
Quant aux conseils juridiques, même s'il est vrai que les arbitres peuvent consulter les conseillers
" [ 1985] 2 R.C.S. 673, la p. 685.
juridiques de la Commission qui donnent égale- ment des avis aux autres directions de la Commis sion, y compris la Section des agents chargés de présenter les cas de la Direction de l'exécution de la loi, la preuve indique nettement que les arbitres consultent, pour des questions de droit plus diffici- les, des avocats employés par la Direction de l'ar- bitrage qui ne sont aucunement liés à la Direction de l'exécution de la loi.
En ce qui a trait aux contrôles, on a démontré qu'ils portaient essentiellement sur la façon dont les enquêtes sont menées. De plus, le témoignage de l'ancien arbitre M. Scott, précité, est clair et sans équivoque: lorsqu'il était arbitre, il avait tou- jours l'impression que la décision finale lui appar- tenait à lui seul. Il a également ajouté qu'il ne se sentait pas tenu de suivre les directives de ses supérieurs. Je crois qu'il convient de présumer, en l'absence de preuve contraire, que les autres arbi- tres sont également conscients de leurs responsabi- lités à titre d'officiers d'un tribunal quasi judiciaire.
Quant à la question de la sécurité d'emploi, les arbitres sont protégés en vertu de l'article 31 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, comme tous les autres fonctionnaires. De plus, ils bénéficient d'un processus de grief à trois paliers.
Quant au fait que les arbitres appartiennent à la même unité de négociation que les agents chargés de présenter les cas, j'estime que, en l'absence de preuve concrète portant que les arbitres ont opté pour une position commune avec les agents char- gés de présenter les cas et qui pourrait nous faire craindre que les arbitres ne mènent pas les enquê- tes de façon équitable, cette situation demeure une circonstance neutre qui ne donne lieu à aucune crainte.
Quant à l'habitude de nommer des arbitres de façon intérimaire à d'autres postes, je ne vois pas comment cette pratique pourrait en soi entraîner une crainte raisonnable de manque d'indépen- dance. Encore une fois, cet argument n'est aucune- ment étayé par la preuve. Il ne tient pas compte du serment d'allégeance fait par tous les arbitres. Il ne tient pas compte non plus de la preuve incontes- tée présentée par M. Scott, selon laquelle les déci- sions qu'il rendait ne dépendaient aucunement d'instructions venues d'ailleurs. Si on examine
cette preuve à la lumière des preuves documentai- res déposées (Dossier d'appel, volume II, aux pages 257 à 259), précitées, à savoir la description en détail des fonctions du directeur général de l'arbitrage, il me semble évident qu'on ne peut en déduire une crainte de partialité ou de manque d'indépendance. J'invoque la directive portant que les enquêtes en matière d'immigration et les audi tions en vue de la mise en liberté doivent être menées [TRADUCTION] «conformément aux règles de justice naturelle, à la Loi sur l'immigration de 1976 et aux règlements d'application ainsi qu'à la jurisprudence pertinente.» J'invoque également la mention des arbitres à titre d'[TRADUCTION] «ins- tances décisionnelles indépendantes.»
Enfin, quant à l'attribution des dossiers aux arbitres, la preuve indique qu'elle se fait de façon rationnelle. Les dossiers complexes sont habituelle- ment confiés à des arbitres plus expérimentés. Rien ne nous suggère que des affaires particulières sont confiées à des arbitres particuliers et encore moins que l'arbitre en cause a été choisi pour mener cette enquête d'une autre façon que la méthode rationnelle indiquée par M. Scott.
D'après ces conclusions, j'estime que des person- nes raisonnables, suffisamment renseignées, con- cluraient que les arbitres nommés en vertu de la Loi sur l'immigration de 1976 sont indépendants, compte tenu du fait qu'ils sont, pour la plupart, des profanes dans la hiérarchie des tribunaux quasi judiciaires, que leurs décisions peuvent être exami nées par la Cour et qu'ils ont tous prêté le serment de «remplir fidèlement et honnêtement les fonc- tions» qui leur sont conférées.
Je devrais toutefois m'arrêter sur un fait étrange souligné par l'ancien arbitre M. Scott, au paragra- phe 17 de son affidavit précité, qui mentionne le cas d'un supérieur qui lui a fait remarquer qu'il faisait souvent appel à des avis d'interdiction de séjour et à des mises en liberté. Cependant, si l'on tient compte de l'ensemble de son témoignage, à savoir qu'il avait l'impression que la décision finale appartenait à lui seul et qu'il n'était pas tenu de suivre les directives de ses supérieurs dans l'exer- cice de ses fonctions d'arbitre, je ne crois pas que ce seul exemple de conduite douteuse entache de quelque façon la perception globale de l'indépen- dance du processus.
L'avocat de l'appelant a invoqué la décision rendue par cette Cour dans l'affaire MacBain c. Lederman et autres, précitée. A mon avis, il est facile de distinguer cet arrêt de l'espèce. Dans MacBain, une plainte d'acte discriminatoire fondé sur le sexe en matière d'emploi, a été déposée contre l'appelant devant la Commission cana- dienne des droits de la personne. Conformément à l'esprit de la Loi, la Commission a confié la plainte à un enquêteur. Au terme de son enquête, l'enquê- teur a soumis un rapport à la Commission. Con- vaincue que la plainte était fondée, la Commission a adopté une résolution entérinant le rapport de l'enquêteur.
La Commission a ensuite constitué, à partir d'une liste de membres potentiels et temporaires, un Tribunal des droits de la personne chargé d'examiner la plainte. La Commission a comparu devant le Tribunal, présenté des éléments de preuve et fait des représentations, agissant en fait à titre de poursuivant. Le Tribunal a conclu que la plainte était fondée. C'est cette décision du Tribu nal qui fait l'objet d'un examen. La Cour a annulé la décision du Tribunal, jugeant qu'il y avait crainte raisonnable de partialité parce qu'il y avait des liens directs entre le poursuivant de la plainte (la Commission) et l'instance décisionnelle (le Tri bunal), le premier ayant nommé le dernier, et parce que ces liens pouvaient facilement soulever des soupçons d'influence ou de dépendance. De plus, le fait de nommer de façon ponctuelle des «juges» temporaires laissait ces derniers dans un état de dépendance en ce qui a trait à leur carrière de juge. Ce système permettait également au pour- suivant (la Commission) de choisir le juge (les membres du tribunal) saisi d'une affaire donnée.
Je crois qu'il est évident que les circonstances de l'espèce sont tout à fait différentes de celles de l'affaire MacBain. Dans MacBain, le poursuivant nommait le juge. Ce n'est certainement pas le cas des arbitres en vertu de la Loi sur l'immigration de 1976. Comme je l'ai déjà souligné, les arbitres sont des fonctionnaires à temps plein dont l'emploi est régi par les dispositions de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique et de la Loi sur l'immi- gration de 1976. Ils sont tout à fait à l'écart de la Direction de l'exécution de la loi de la Commission qui n'exerce aucun contrôle de surveillance sur
leur travail. De même, la Direction de l'exécution de la loi n'exerce aucune influence ni contrôle à l'égard de l'attribution des dossiers aux arbitres. Cette tâche est remplie de façon rationnelle par la Direction de l'arbitrage. En somme, j'estime que les faits, les circonstances et l'esprit de la loi en cause dans l'affaire MacBain sont si différents de l'espèce que le raisonnement appliqué par la Cour est tout à fait inutile en l'occurrence.
À mon avis, les propos éclairés du juge Le Dain dans l'arrêt Valente, précité, sont beaucoup plus pertinents en l'espèce que l'affaire MacBain. Voici ce qu'il a affirmé aux pages 688 et 689:
Naturellement, on se préoccupe finalement de la manière dont un tribunal agira concrètement dans une espèce particulière, et un tribunal qui n'agit pas en toute indépendance ne saurait être considéré comme indépendant au sens de l'al. I 1 d) de la Charte, quel que soit son statut objectif. Mais un tribunal dépourvu du statut objectif ou de la relation d'indépendance ne peut être considéré comme indépendant aux termes de l'al. 11 d), quelle que soit la manière dont il paraît avoir agi dans une espèce particulière. C'est le statut objectif ou la relation d'indépendance judiciaire qui doit fournir l'assurance que le tribunal peut agir d'une manière indépendante et qu'il agira effectivement de cette manière ...
Même si l'indépendance judiciaire est un statut ou une relation reposant sur des conditions ou des garanties objectives, autant qu'un état d'esprit ou une attitude dans l'exercice con- cret des fonctions judiciaires ... que le critère de l'indépen- dance aux fins de l'al. I Id) de la Charte soit, comme dans le cas de l'impartialité, de savoir si le tribunal peut raisonnable- ment être perçu comme indépendant. Tant l'indépendance que l'impartialité sont fondamentales non seulement pour pouvoir rendre justice dans un cas donné, mais aussi pour assurer la confiance de l'individu comme du public dans l'administration de la justice. Sans cette confiance, le système ne peut comman der le respect et l'acceptation qui sont essentiels à son fonction- nement efficace. Il importe donc qu'un tribunal soit perçu comme indépendant autant qu'impartial et que le critère de l'indépendance comporte cette perception qui doit toutefois, comme je l'ai proposé, être celle d'un tribunal jouissant de conditions ou garanties objectives essentielles d'indépendance judiciaire, et non pas une perception de la manière dont il agira en fait, indépendamment de la question de savoir s'il jouit de ces conditions ou garanties.
Je crois que dans l'arrêt Valente, la Cour a jugé bon de raffiner le critère établi dans l'affaire Crowe et même d'en étendre la portée, tout en confirmant et en acceptant ce critère. De toute façon, j'estime que l'esprit de la loi en ce qui a trait aux arbitres nommés en vertu de la Loi sur l'immigration de 1976 est conforme aux normes énoncées dans Valente, à savoir que la perception d'indépendance et d'impartialité du tribunal doit comprendre la perception d'un tribunal jouissant
des garanties essentielles d'indépendance judi- ciaire. Je tire cette conclusion de mon analyse de toutes les circonstances qui entourent le processus d'arbitrage en vertu de la Loi sur l'immigration de 1976.
Cette analyse m'a convaincu que la personne raisonnable, saine d'esprit et bien renseignée, décrite dans notre critère, conclurait que les arbi- tres nommés et agissant en vertu des dispositions de la Loi sur l'immigration de 1976 jouissent des garanties objectives nécessaires d'indépendance judiciaire. Par conséquent, j'estime que les argu ments de l'appelant en ce qui a trait à l'indépen- dance institutionnelle doivent être rejetés.
DÉCISION
Pour tous les motifs susmentionnés, je conclus que l'appelant ne peut avoir gain de cause à l'égard des quatre questions soulevées en appel. Il s'ensuit donc que l'appel devrait être rejeté avec dépens.
LE JUGE URIE: J'y souscris.
LE JUGE MAHONEY: J'y souscris.
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