A-685-88
Cumberland Properties Ltd. (appelante) (deman-
deresse)
c.
La Reine (intimée) (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: CUMBERLAND PROPERTIES LTD. c. CANADA
(C.A.)
Cour d'appel, juges Heald, Hugessen et Desjar-
dins, J.C.A.—Fredericton, 25 mai; Ottawa, 13 juin
1989.
Couronne — Créanciers et débiteurs — Appel interjeté d'un
jugement rejetant une action en recouvrement d'un rembourse-
ment d'impôt — La Couronne plaide qu'il y a eu paiement —
Un chèque a été émis et expédié a/s d'une personne qui a signé
la déclaration de 1978 à titre de secrétaire de la compagnie —
Cette personne, qui n'était plus un signataire autorisé, a
endossé le chèque en son propre nom et l'a négocié — Cette
personne est décédée et sa succession est insolvable — La
déclaration de l'année 1979, qui indiquait la nouvelle adresse
de la compagnie, a été produite avant l'émission du chèque —
Avant la négociation, une lettre répétant l'adresse exacte a été
adressée — Appel accueilli — La Couronne ne s'est pas
acquittée du fardeau d'établir un mandat réel ou apparent —
Comme Revenu Canada n'avait pas fait affaire avec la per-
sonne agissant au nom de la compagnie, c'est sur le fondement
de la déclaration d'impôt de 1978 que la nature du pouvoir
conféré doit être déterminée — La présence du nom de la
personne concernée dans l'adresse du siège social de la compa-
gnie n'autorise pas cette personne à recevoir en son nom propre
de l'argent dû à la compagnie — La désignation du poste de
cette personne comme celui de secrétaire ne lui confère pas le
pouvoir de recevoir le paiement — Le pouvoir conféré par la
désignation de cette personne comme signataire autorisée de la
société se restreint à l'attestation de la déclaration — Le
pouvoir de recevoir des documents au nom de la compagnie a
été révoqué avant l'émission du chèque par le dépôt de la
déclaration de 1979.
Mandat — La déclaration d'impôt de la compagnie contri-
buable pour l'année 1978 portait sous le titre de l'adresse de
son siège social les mots (i% John Church suivis d'un
numéro de casier postal — Church était alors secrétaire et
signataire autorisé de la compagnie — Le chèque du rembour-
sement d'impôt pour l'année 1978 a été adressé à la compagnie
aux soins de Church — Alors qu'il avait cessé d'être un des
responsables de la compagnie, Church a endossé le chèque en
son propre nom et l'a négocié — Church est décédé et sa
succession est insolvable — Avant que le chèque ne soit
expédié, la compagnie a avisé Revenu Canada de la nouvelle
adresse de son siège social — Comme moyen de défense à
l'action de la compagnie visant à recouvrer le remboursement,
la Couronne a plaidé qu'il y avait eu paiement — Le juge de
première instance a conclu que Church détenait un pouvoir
apparent, sinon réel, en ce qui avait trait aux opérations
relatives au chèque; la Couronne, à son avis, n'avait pas été
incitée à déclencher une enquête — La Couronne n'a pas établi
que la compagnie avait présenté les choses d'une manière qui
permettrait d'inférer que Church détenait le pouvoir de négo-
cier le chèque — Le pouvoir limité qui avait été conféré à
Church lui a été retiré avant l'émission du chèque.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63.
Loi sur les lettres de change, L.R.C. (1985), chap. B-4,
art. 165.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle
337.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
Bank of Montreal v. R.J. Nicol Construction (1975) Ltd.
(1981), 121 D.L.R. (3d) 230 (H.C. Ont.); Banque Cana-
dienne Nationale et autre c. Gingras, [1977] 2 R.C.S.
554.
DÉCISION INFIRMÉE:
Cumberland Properties Ltd. c. Canada (M.R.N.) (1988),
88 DTC 6284 (C.F. l'° inst.).
AVOCATS:
D. Leslie Smith, c.r. pour l'appelante (deman-
deresse).
Michael F. Donovan, Halifax, pour l'intimée
(défenderesse).
PROCUREURS:
Graser, Smith & Townsend, Fredericton,
pour l'appelante (demanderesse).
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée (défenderesse).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HUGESSEN, J.C.A.: L'appelante a
intenté une action en recouvrement de la somme
de 8 048,06 $ à titre de remboursement d'un impôt
sur le revenu pour l'année 1978. La Couronne n'a
contesté ni la dette ni le montant; son moyen de
défense portait sur le paiement.
La Couronne a prouvé, lors du procès, qu'elle
avait émis et expédié un «chèque»' de rembourse-
ment le 24 novembre 1980, dont le preneur était:
Cumberland Properties Ltd
C/0 John Church
PO Box 6276 Sta A
Saint John NB.
(Dossier d'appel, page 10). Elle a également
prouvé que ce chèque avait été négocié le 24 juillet
1981 par M. John Church qui l'avait endossé à son
nom seulement.
Le dossier ne contient aucune explication du
délai prolongé qu'il y a eu entre l'émission du
chèque et sa négociation. Trois cases différentes de
la déclaration d'impôt de 1978 de l'appelante con-
tiennent les différents éléments du nom du preneur
inscrit sur le chèque. Dans la case intitulée «Nom
de la personne morale (lettres moulées)» figure le
nom suivant:
Cumberland Properties Ltd.
Immédiatement en-dessous, mais dans une case
séparée intitulée «Adresse du siège social» est
inscrit:
c/o John Church
P.O. Box 6276, Station «A»
suivi des mots inscrits dans la case suivante:
Saint John, N.B.
(Dossier d'appel, page 13). L'attestation à la page
3 de la déclaration, que John Church a signée en
sa capacité de secrétaire, indique que celui-ci est le
signataire autorisé de la compagnie (Dossier d'ap-
pel, page 14).
Au moment où il a endossé et négocié le chèque,
John Church n'était plus secrétaire ou signataire
de la compagnie dont les actions avaient été ven-
dues à d'autres. Il n'était par conséquent pas auto-
risé à recevoir le paiement au nom de celle-ci. M.
Church est maintenant décédé et sa succession est
insolvable.
Bien que l'effet se présente, à première vue, comme un
«chèque», il n'en est pas un puisqu'il n'est pas tiré sur une
banque. (Voir la Loi sur les lettres de change, L.R.C. (1985),
chap. B-4, art. 165). Il semble être une lettre de change tirée
sur le gouvernement par le sous-receveur général et adressée au
receveur général. Étant donné que le tireur et le tiré sont en fait
la même personne, il s'agit probablement d'un effet qui peut
être traité soit comme une lettre soit comme un billet à ordre,
(article 25). Rien ne semble porter sur ce point et je continuerai
donc à considérer l'effet comme un chèque.
Avant l'émission du chèque en date du 24
novembre 1980, la compagnie a, le 22 août 1980,
produit sa déclaration pour l'année d'imposition
1979. L'adresse du siège social figurant sur cette
déclaration est différente et on a coché la case
«Oui» en réponse à la question «Y-a-t-il eu un
changement d'adresse depuis que vous avez rempli
votre dernière déclaration?». Revenu Canada a
reçu la déclaration le 2 septembre 1980.
Après la date d'émission du chèque mais avant
sa négociation, la compagnie a écrit ce qui suit à
Revenu Canada le 26 février 1981 au sujet du
remboursement:
[TRADUCTION] Revenu Canada Impôt
Ottawa (Ontario)
KIA 0L9
Monsieur:
Objet: Cumberland Properties Ltd.
Nous croyons comprendre que la Cumberland Properties Ltd.
qui appartient à la Resort Estates Ltd. a droit à un crédit
d'impôt au montant de 8 048,06 $.
Comme nous l'avons signalé dans notre dernière déclaration,
notre adresse exacte est: Cumberland Properties Ltd., a/s Ryan,
Graser & Smith, C.P. 38, Fredericton (N.B.) E3B 4Y2.
Nous vous saurions gré de nous faire parvenir ce chèque relatif
au crédit d'impôt ainsi que toute correspondance future à
l'adresse susmentionnée.
Nous vous prions d'agréer, Monsieur, l'expression de nos senti
ments distingués.
CUMBERLAND PROPERTIES LTD.
(signature)
Le président
H. B. Antosko
HBA/gl
(Dossier d'appel, page 21).
Cette lettre aurait été reçue le 3 mars 1981,
d'après le timbre dateur. La preuve n'indique pas
que le gouvernement a amorcé une enquête entre
le moment où il a reçu la lettre et celui où le
chèque a été négocié.
En première instance [(1988), 88 DTC 6284], le
juge McNair a rejeté l'action de l'appelante. Il a
décidé que M. Church détenait un pouvoir appa
rent sinon réel, de recevoir et de négocier le
chèque. Il a en outre statué que ni la production de
la déclaration d'impôt pour 1979 en date du 22
août 1980, ni la réception de la lettre datée du 26
février 1981 ne suffisait à révoquer un tel pouvoir
apparent ou à inciter la Couronne à déclencher
une enquête. À mon avis, sauf le respect que je lui
dois, ses deux décisions sont erronées.
Il importe de se rappeler, en premier lieu, qu'é-
tant donné la façon dont la contestation a été liée,
il incombait à la Couronne de prouver son moyen
de défense portant sur le paiement. Plus précisé-
ment en ce qui a trait à la question du pouvoir
apparent, la Couronne devait démontrer une
manière d'agir ou de «présenter les choses» de la
part de la compagnie qui permettrait aux fonction-
naires de Revenu Canada de conclure à bon droit
que M. Church était autorisé à recevoir et à
négocier le chèque. En fait, la seule preuve sur ce
point, était la déclaration d'impôt pour l'année
1978 où le nom de M. Church figurait dans
l'adresse du siège social et qui attestait ses fonc-
tions de secrétaire et de signataire autorisé. Il
n'existait aucun témoignage ni aucune correspon-
dance tendant à prouver que Revenu Canada avait
fait affaire avec M. Church en tant que représen-
tant de la compagnie avant la date d'émission du
chèque. Ce fait à lui seul suffit à distinguer la
présente affaire de l'arrêt Bank of Montreal v.
R.J. Nicol Construction (1975) Ltd. 2 invoquée par
le juge de première instance'.
Par conséquent, quel que soit le pouvoir que la
compagnie a pu donner à M. Church, il faut, pour
déterminer la nature de ce pouvoir, se fonder
uniquement sur la déclaration d'impôt de 1978.
Son nom figure à deux endroits sur cette déclara-
tion, le premier dans l'adresse du siège social. On
peut soutenir et même dire, selon toute probabilité,
que ce fait lui confère le pouvoir de recevoir des
documents, y compris des chèques libellés au nom
de la compagnie, mais cela ne lui permet certaine-
ment pas de recevoir en son nom propre de l'argent
dû à la compagnie. On peut résoudre la question
en se demandant si un débiteur de la compagnie,
se fondant uniquement sur l'adresse figurant sur la
déclaration d'impôt de 1978, réussirait à prouver le
z (1981), 121 D.L.R. (3d) 230 (H.C. Ont.).
Il permet également d'établir une nette distinction entre
l'espèce et la situation de fait dans l'arrêt de la Cour suprême
Banque Canadienne Nationale et autre c. Gingras, [I977] 2
R.C.S. 554 invoquée par l'avocat de l'intimée. Il s'agissait d'une
demande faite au nom d'une compagnie contre une personne
qui avait, alors qu'elle occupait le poste de président de la
compagnie, détourné à son profit un chèque payable à celle-ci.
Or, cette situation n'a rien à voir avec le pouvoir apparent.
paiement en produisant une quittance signée. par
John Church. On peut également se demander si
lorsque le preneur est une personne physique et
que les deux premières lignes se lisent: «John Doe,
a/s John Church» etc., M. Church serait autorisé à
endosser et à négocier le chèque. À mon avis, il
faut répondre aux deux questions par la négative.
L'autre endroit où le nom de M. Church figure
est dans l'attestation à la page 3. (Dossier d'appel,
page 14). Il s'agit d'une formule du gouvernement
qui est libellée comme suit (les parties soulignées
ont été remplies par le contribuable, le reste est
imprimé):
[TRADUCTION]
Attestation
Je, John Church de Saint John N.B.
(Nom en lettres moulées) (Adresse)
suis un signataire autorisé de la compagnie.
J'atteste que j'ai examiné la présente déclaration, y compris
les annexes et déclarations jointes et qu'elle est authentique,
exacte et complète.
J'atteste en outre que la méthode de calcul du revenu pour
cette année d'imposition est compatible avec celle de l'année
précédente, sauf ce qui est indiqué explicitement dans la décla-
ration ci-jointe.
(signature) John (?) Church
Signature du signataire autorisé de la compagnie
Secrétaire
Poste ou rang du signataire
Date le 21 juillet 1979
(Dossier d'appel, page 14).
À mon avis, la désignation du «poste ou rang» de
M. Church comme «secrétaire» ne permet pas de
déduire qu'il détenait le pouvoir de recevoir le
paiement au nom de la compagnie. Qu'en est-il de
sa désignation en tant que «signataire autorisé»? À
mon avis, il faut considérer ce pouvoir comme
étant limité aux fonctions spécifiques précisées,
soit l'attestation de la déclaration et de ses annexes
et la méthode de calcul du revenu. Toute autre
conclusion aboutirait à des résultats très étonnants.
Si le gouvernement veut exiger que les personnes
morales indiquent dans leur déclaration d'impôt le
nom d'une personne autorisée à émettre des quit-
tances en leur nom, il devrait le préciser en termes
beaucoup plus clairs que ceux employés en
l'espèce.
J'en conclus que l'intimée n'a pas réussi à prou-
ver que la déclaration d'impôt de 1978 conférait à
M. Church un pouvoir, soit apparent, soit réel, de
négocier le chèque.
J'estime en outre que même si on peut conclure
que - ce pouvoir limité de recevoir des documents
envoyés à la compagnie à l'adresse indiquée a été
conféré à M. Church par la déclaration de 1978,
ledit pouvoir a été révoqué de manière non équivo-
que avant l'émission du chèque de remboursement.
Il importe de se rappeler que la compagnie a
déposé sa déclaration d'impôt pour l'année 1979 le
22 août 1980; Revenu Canada l'a reçue le 2 sep-
tembre suivant, soit environ deux mois et demi
avant l'émission du chèque du 24 novembre. Or,
cette déclaration ne comporte aucune mention de
M. Church et indique un changement d'adresse du
siège social par rapport à l'année précédente; ce
fait ressort clairement de la réponse à la question
relative au changement d'adresse. On peut à juste
titre se demander quel est l'objet d'une question
semblable si ce n'est de signaler aux fonctionnaires
de Revenu Canada que quels que soient les rensei-
gnements concernant l'adresse qui figure sur la
déclaration de l'année précédente, ils ne sont plus
valables. Étant donné que c'est l'inclusion du nom
de M. Church comme partie intégrante de
l'adresse de la compagnie qui est la principale
source de son prétendu pouvoir apparent, il n'est
tout simplement pas permis au gouvernement de
s'y fier après la production de la déclaration de
1979.
J'ajouterais que la lettre du 26 février 1981,
bien qu'elle fût expédiée et reçue après l'émission
du chèque du 24 novembre 1980, a précédé la
négociation de celui-ci d'environ cinq mois. Son
contenu est plus que suffisant pour inciter le gou-
vernement à déclencher une enquête. Le fait qu'il
n'y ait eu, semble-t-il, aucune réaction pendant
deux ans est pour le moins étonnant et cadre mal
avec le moyen de défense fondé sur le pouvoir
apparent. Lorsque l'effet a été honoré par le rece-
veur général, l'endossement n'était pas celui du
preneur; il présentait donc une irrégularité et n'au-
rait pas dû être accepté.
Finalement, le moyen de défense du gouverne-
ment fondé sur le paiement repose uniquement sur
la conversion, par M. Church agissant en son
propre nom et sans l'autorisation de l'appelante,
d'un chèque payable à celle-ci. Ce moyen de
défense doit être rejeté.
Pour toutes ces raisons, j'accueillerais l'appel
avec dépens, j'infirmerais le jugement de la Sec
tion de première instance et j'adjugerais à la
demanderesse la somme de 8 048,06 $, en plus des
dépens. La demanderesse a également droit aux
intérêts calculés selon le taux et la période prévus
par la Loi de l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-
71-72, chap. 63]. Si les parties parviennent à
s'entendre 4 sur le taux et la période, l'une d'entre
elles peut alors demander le prononcé d'un juge-
ment conformément à la Règle 337 [Règles de la
Cour fédérale, C.R.C., chap. 663]. Faute d'en-
tente, l'une d'elles doit demander que la question
soit réglée par renvoi.
LE JUGE HEALD, J.C.A.: Je soucris à ces motifs.
LE JUGE DESJARDINS, J.C.A.: Je souscris à ces
motifs.
° Dans leurs mémoires, les parties déclarent qu'elles sont
d'accord mais il existe, en fait, une petite divergence relative
aux intérêts quotidiens composés mentionnés par chacune
d'elles.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.