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A-1161-88
Gurjinder Kaur (requérante)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
RÉPERTORIE: KAUR c. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION) (CA.)
Cour d'appel, juges Heald, Mahoney et Desjar- dins, J.C.A.—Toronto, 25 août; Ottawa, 4 décem-
bre 1989.
Immigration La requérante a été déclarée membre d'une catégorie non admissible après le retrait de sa revendication du statut de réfugiée Délivrance d'une ordonnance d'exclusion L'art. 35 de la Loi sur l'immigration permet de rouvrir l'enquête à l'effet d'entendre de nouveaux témoignages et de modifier la décision antérieure de l'arbitre L'affidavit non contesté de la requérante déclare que le retrait de sa revendi- cation du statut de réfugiée est imputable à la crainte des coups de la part de son ex-mari La preuve des mauvais traitements constitue-t-elle d'«autres preuves» au sens de l'art. 35? Sens du mot «décision» à l'art. 35(1) L'art. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 autorise-t-il à rou- vrir l'enquête pour rectifier un déni de justice naturelle? Annulation du refus de l'arbitre de rouvrir l'enquête.
Droit constitutionnel Charte des droits Vie, liberté et sécurité de la personne Suite à la demande de réouverture de l'enquête en vertu de la Loi sur l'immigration afin de présenter des preuves des mauvais traitements à la source du retrait de la demande de statut de réfugiée, la requérante a été
déclarée membre d'une catégorie non admissible et elle a fait l'objet d'une ordonnance d'exclusion L'ex-mari de la requérante lui faisait subir des sévices et de la violence psy- chologique Il la menaçait de mort si elle révélait la violence dont elle était victime Retrait de la demande da au désir d'échapper à un danger immédiat La requérante a été effectivement privée de son droit de retenir les services d'un conseil et de prendre une décision éclairée L'ordonnance d'exclusion est injuste et elle viole l'art. 7 de la Charte.
Droit constitutionnel Charte des droits Recours Retrait, sous la contrainte, de la revendication du statut de réfugiée L'arbitre a à bon droit refusé de rouvrir l'enquête en vertu de l'art. 35 de la Loi sur l'immigration Retrait, sous la contrainte, de la revendication du statut de réfugiée Obligation en vertu de l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 de rouvrir l'enquête car il y a eu violation des droits garantis à l'art. 7 de la Charte Obligation de ne pas imposer les restrictions inhérentes aux art. 35(1) et 45(1) de la Loi sur l'immigration de 1976 dans la mesure ces disposi tions contreviennent aux droits conférés à l'art. 7 de la Charte L'espèce donne lieu à une «exemption» ou «omission» La mesure législative reste en vigueur, sans toutefois s'appliquer à celui dont les droits garantis par la Charte ont été violés.
Il s'agit d'une demande visant la révision et l'annulation du refus de l'arbitre de rouvrir une enquête en vertu de la Loi sur l'immigration de 1976. La requérante avait obtenu un divorce
pour sévices et violence psychologique. Craignant d'être persé- cuté pour ses activités politiques, son ex-mari avait fui l'Inde pour le Canada, il a revendiqué le statut de réfugié. La requérante a commencé à avoir des problèmes avec les autorités indiennes. Elle est venue au Canada, laissant savoir au point d'entrée qu'elle entendait revendiquer le statut de réfugiée. Elle est allée vivre sur une ferme sikh avec son ex-époux et la compagne de ce dernier. Elle était souvent battue ou maltraitée durement par son ex-mari, qui lui interdisait de téléphoner et de quitter la ferme. La nuit qui a précédé l'enquête, l'ex-mari de la requérante lui a dit qu'elle était libre de retourner en Inde, mais il l'a menacée de la tuer si elle révélait les mauvais traitements qu'il lui avait infligés. Son fils a assisté à l'enquête comme espion de son père. La requérante a exprimé le souhait de retourner en Inde et l'audience a été ajournée. À la reprise de l'enquête, la requérante a déclaré qu'elle ne voulait pas revendiquer le statut de réfugiée, et elle a réitéré son intention de retourner en Inde. L'arbitre a conclu qu'elle faisait partie d'une catégorie non admissible et il a rendu une ordonnance d'exclusion. La requérante s'est plus tard enfuie de la ferme et elle a été accueillie dans un refuge pour femmes. Dans son affidavit à l'appui de sa demande de réouverture d'enquête, elle a expliqué que son désir de retourner en Inde avait été motivé par le besoin d'échapper au danger plus immédiat que représen- tait son ex-époux, et que la présence de son fils à l'enquête, aussi bien que la peur que lui inspirait son ex-mari, avaient exercé une pression sur elle. Elle ne savait pas à quoi s'en tenir sur le processus de l'immigration et elle n'était pas représentée par un conseil. Selon l'article 35 de la Loi sur l'immigration de 1976, une enquête peut être réouverte afin d'entendre de nou- veaux témoignages, et l'arbitre peut alors confirmer, modifier ou révoquer la décision antérieure. L'arbitre a refusé la réou- verture au motif que les renseignements que la requérante voulait présenter ne constituaient pas «de nouveaux témoigna- ges ... et d'autres preuves». Il a aussi conclu qu'il n'était pas habilité à rouvrir l'enquête pour corriger un déni de justice naturelle.
Arrêt: la demande devrait être accueillie.
Le juge Heald, J.C.A. (le juge Mahoney, J.C.A., souscrit aux motifs): L'arbitre n'a pas commis d'erreur en refusant de rouvrir l'enquête en application de l'article 35 de la Loi. La «décision» visée au paragraphe 35(1) n'est pas l'ordonnance rendue à l'issue de l'enquête, mais la décision concluant qu'une personne est soit visée ou non au paragraphe 14(1), soit admis sible ou non, soit visée ou non à l'article 27. La décision contestée était le refus de l'arbitre de rouvrir l'enquête. Le but de la réouverture était la production d'éléments de preuve pour démontrer l'existence d'un déni de justice naturelle qui n'était pas manifeste au vu du dossier. Si l'on considère simultanément et selon le contexte les paragraphes 35(1) et 35(2), il en ressort que les paramètres du paragraphe 35(1) ne vont pas au-delà de nouveaux éléments de preuve susceptibles de justifier la modifi cation ou la révocation de la décision antérieure. Les éléments de preuve que l'on voulait produire s'en prenaient à l'illégalité de l'ordonnance d'expulsion plutôt qu'à la validité de la décision à la source de cette ordonnance.
L'espèce donne toutefois clairement lieu à réparation étant donné la violation de l'article 7 de la Charte. En raison de la contrainte que son ex-mari exerçait sur elle au cours de l'en- quête, la requérante a été effectivement privée de son droit à un conseil indépendant, et aussi de la possibilité de prendre une
décision libre et éclairée relativement à la revendication du statut de réfugiée. L'ordonnance d'exclusion était, dans les circonstances, manifestement injuste et contraire à l'article 7 de la Charte.
L'arbitre était habilité à rouvrir l'enquête en vertu du para- graphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, et il était tenu de ne pas imposer les restrictions inhérentes aux paragraphes 35(1) et 45(1) de la Loi sur l'immigration de 1976, dans la mesure ces dispositions contreviennent aux droits conférés à la requérante par l'article 7. Le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 prévoit que la Constitution rend inopérante les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.
Il y avait clairement lieu à une «exemption», situation dans laquelle la mesure législative reste en vigueur, sans toutefois s'appliquer à une personne dont les droits garantis par la Charte ont été violés par l'application de dispositions législati- ves à la situation qui est la sienne.
Le juge Desjardins, J.C.A. (motifs concordants quant au résultat): En raison des pressions exercées sur elle, la requé- rante n'avait pas la liberté de parler de sa situation et elle était incapable de retenir les services d'un conseil qui l'aurait aidée à faire un choix. Dans un cadre contractuel normal, la contrainte vicie le consentement. De la même manière, le choix que la requérante a exprimé à l'audience ne peut être valide. Son affidavit constitue «de nouveaux témoignages et ... d'autres preuves, au sens du paragraphe 35(1). Une fois ces éléments portés à l'attention de l'arbitre, celui-ci, en vertu de cet article, est compétent à rouvrir l'enquête. Il n'a d'autre possibilité que d'annuler le choix antérieur de la requérante et de placer les parties dans la situation elles se trouvaient au départ. Une fois que la requérante a exprimé son choix librement, l'arbitre n'a d'autres pouvoirs que ceux que lui confère le paragraphe 35(1), savoir «confirmer, modifier ou révoquer ... [sa] décision antérieure». Le sens du mot «décision, est celui que lui a donné cette Cour dans l'arrêt Gray c. Fortier (conclusion portant que la requérante appartient ou non à une catégorie non admissi ble). La conclusion de l'arbitre que la requérante ne satisfait pas aux exigences de l'alinéa 19(2)d) sera probablement confir- mée puisque, même avec la nouvelle preuve qui est présentée, la requérante continue d'appartenir à une catégorie non admissi ble. L'arbitre aura, sous le régime du paragraphe 45(1), le devoir d'ajourner l'enquête en raison de la demande du statut de réfugiée de la requérante. Vu la limitation de la compétence conférée à l'arbitre au paragraphe 35(2), celui-ci ne sera pas habilité à annuler l'ordonnance d'exclusion. Il ne peut infirmer une ordonnance que lorsqu'il modifie ou révoque une décision en vertu du paragraphe 35(1). L'arrêt Gray c. Fortier doit être distingué en partie. Dans cette affaire, on cherchait à infirmer une ordonnance d'expulsion, ce que l'on ne pouvait faire en vertu du paragraphe 35(2) que si la preuve était susceptible de justifier la modification ou la révocation de la décision. Dans l'hypothèse les propos du juge Pratte, J.C.A., selon lesquels une réouverture peut seulement être accordée si des éléments de preuve additionnels sont susceptibles de justifier la modification ou la révocation de la décision antérieure, devaient être considé- rés comme établissant une règle unique et universelle, le mot «confirmer, du paragraphe 35(1) se verrait rarement appliqué. Plus souvent qu'autrement, la réouverture de l'enquête pour obtenir une confirmation risquerait de se révéler un exercice futile. Tel n'est pas le cas en l'espèce. La preuve comporte des
renseignements fondamentaux qui pourraient annuler une grande partie de la preuve déjà produite et qui, par le jeu du paragraphe 45(1), seraient susceptibles de modifier le cours de l'enquête.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), Appendice II, 44], art. 1, 7.
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 52(1).
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 18, 28.
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 14(3), 19(2)d), 20, 32, 35, 40(1), 45(1), 70(1), 104(2).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Gray c. Fortier, [1985] 2 C.F. 525; (1985), 21 D.L.R. (4th) 14; 61 N.R. 197 (C.A.); Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; (1985), 17 D.L.R. (4th) 422; 12 Admin. L.R. 137; 14 C.R.R. 13; 58 N.R. 1; Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; (1984), 55 A.R. 291; 11 D.L.R. (4th) 641; [1984] 6 W.W.R. 577; 33 Alta. L.R. (2d) 193; 27 B.L.R. 297; 14 C.C.C. (3d) 97; 2 C.P.R. (3d) 1; 41 C.R. (3d) 97; 9 C.R.R. 355; 84 DTC 6467; 55 N.R. 241; Mattia c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion), [1987] 3 C.F. 492; (1987), 10 F.T.R. 170 (1"° inst.); Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 3 C.F. 487 (C.A.); R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S. 295; (1985), 60 A.R. 161; 18 D.L.R. (4th) 321; [1985] 3 W.W.R. 481; 37 Alta. L.R. (2d) 97; 18 C.C.C. (3d) 385; 85 CLLC 14,023; 13 C.R.R. 64; 58 N.R. 81; Re Shewchuck and Ricard; Attorney -General of British Columbia et al., Intervenors (1986), 28 D.L.R. (4th) 429; [1986] 4 W.W.R. 289; 2 B.C.L.R. (2d) 324; 1 R.F.L. (3d) 337; (C.A.C: B.); Zwarich c. Canada (procureur général), [1987] 3 C.F. 253; (1987), 26 Admin. L.R. 295; 87 CLLC 14,053; 31 C.R.R. 244; 82 N.R. 341 (C.A.); Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441; (1985), 18 D.L.R. (4th) 481; 12 Admin. L.R. 16; 13 C.R.R. 287; 59 N.R. 1; Seaboyer and The Queen; Re Gayme and the Queen (1987), 37 C.C.C. (3d) 53 (C.A. Ont.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration c. Hudnik, [1980] 1 C.F. 180; (1979), 103 D.L.R. (3d) 308 (C.A.).
DOCTRINE
Gibson, Dale The Law of the Charter: General Princi ples, Toronto: Carswell Co. Ltd., 1986.
AVOCATS:
Barbara L. Jackman et Maureen Silcoff pour la requérante.
Chris Parke pour l'intimé. PROCUREURS:
Maureen N. Silcoff, Toronto, pour la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HEALD, J.C.A.: Il s'agit d'une demande fondée sur l'article 28 visant l'examen et l'annulation de la décision par laquelle l'arbitre Michael Burns, nommé conformément à la Loi sur l'immigration de 1976 [S.C. 1976-77, chap. 52] (la Loi), a résolu de ne pas rouvrir l'enquête menée sur la requérante en vertu de la Loi. La demande de réouverture formulée par la requérante reposait sur deux moyens:
a) une telle réouverture est prévue par l'article 35 de la Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-1977, chap. 52'; et
b) les règles de justice naturelle n'ont pas été observées au cours de l'enquête et, en vertu de l'article 7 de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), Appendice II, 44]], l'arbitre avait compétence pour rouvrir l'enquête indé- pendamment des dispositions de l'article 35.
' 35. (1) Sous réserve des règlements, une enquête menée par un arbitre peut être réouverte à tout moment par le même arbitre ou par un autre, à l'effet d'entendre de nouveaux témoignages et de recevoir d'autres preuves, et l'arbitre peut alors confirmer, modifier ou révoquer la décision antérieure.
(2) L'arbitre qui modifie ou révoque une décision en vertu du paragraphe (1), peut infirmer toute ordonnance ou avis et, le cas échéant, doit prendre les mesures appropriées conformé- ment à l'article 32.
(3) Les ordonnances ou avis infirmés en vertu du paragraphe (2), sont réputés n'avoir jamais été rendus.
L'arbitre Burns a rejeté la demande de réouver- ture de l'enquête parce qu'à son avis, les renseigne- ments que l'on cherchait à produire ne consti- tuaient pas «de nouveaux témoignages et ... d'autres preuves» comme le prévoit l'article 35 de la Loi. Pour ce qui est du second moyen, il estimait ne pas avoir compétence pour rouvrir l'enquête pour réparer un déni de justice naturelle.
Ma collègue, Madame le juge Desjardins, a exposé correctement les faits pertinents dans ses motifs de jugement. Il n'est donc pas nécessaire dans les circonstances actuelles d'ajouter à son exposé fort complet. Ma collègue déclare que l'af- fidavit non contesté que la requérante a fait sous serment le 1 °r novembre 1988 donne les motifs pour lesquels la requérante a changé d'avis entre le moment de son arrivée au Canada, alors qu'elle avait exprimé l'intention de revendiquer le statut de réfugiée, et le moment s'est déroulée son enquête, lorsqu'elle a avisé l'arbitre de son désir de retourner en Inde. Je conviens qu'une forte pres- sion était exercée sur la requérante pour l'amener à informer l'arbitre qu'elle souhaitait retourner en Inde, et que sa décision de s'exécuter n'avait pas été prise librement. En se fondant sur ces éléments de preuve, le juge Desjardins, J.C.A., a conclu que puisque la contrainte entache le consentement de nullité, le souhait exprimé par la requérante à l'enquête était sans valeur. En raison de ce fait, elle a conclu ce qui suit la page 22]:
Son affidavit du 1 a novembre 1988 constitue «de nouveaux témoignages et ... d'autres preuves» au sens du paragraphe 35(1) de la Loi. Une fois ces éléments portés à l'attention de l'arbitre, celui-ci, en vertu de cet article, est compétent à rouvrir l'enquête.
Le problème que me cause la conclusion de ma collègue est que je la crois contraire aux motifs de jugement de la majorité de cette Cour dans l'arrêt Gray c. Fortier 2 . Dans cette affaire, une audience visant l'expulsion du requérant avait été ajournée afin qu'il soit statué sur sa revendication du statut de réfugié. Le ministre a rejeté la revendication et la Commission d'appel de l'immigration a, elle aussi, rejeté la demande de réexamen de cette revendication. Le requérant a demandé, en vertu de l'article 28, l'annulation de la décision de la Commission. L'arbitre a repris l'audience en
2 [1985] 2 C.F. 525; (1985), 21 D.L.R. (4th) 14; 61 N.R. 197 (C.A.).
matière d'expulsion et il a rendu une ordonnance d'expulsion. Par la suite, cette Cour a annulé la décision de la Commission. Le requérant a alors demandé à l'arbitre de rouvrir l'enquête, qui a refusé au motif qu'il n'avait pas compétence pour rouvrir l'enquête dans le but de recevoir des preu- ves relatives à la décision par laquelle cette Cour avait annulé la décision de la Commission. Le requérant a alors demandé, en vertu de l'article 28, l'annulation du refus de l'arbitre. La majorité de la formation saisie de la demande fondée sur l'article 28 a rejeté celle-ci. Le juge Pratte a rédigé les motifs de la majorité. Je cite plus bas une partie de ces motifs (pages 528 et 529 C.F.):
L'article 35 de la Loi ne confère pas aux arbitres un pouvoir illimité en matière de réexamen de leurs décisons et de réouver- ture d'enquêtes. Les pouvoirs accordés par cet article sont en effet plus restreints.
Le paragraphe 35(1) donne aux arbitres le pouvoir de rouvrir les enquêtes pour la seule fin de recevoir de nouveaux- éléments de preuve susceptibles de justifier la modification ou la révoca- tion d'une décision déjà rendue. Par conséquent, un arbitre ne peut rouvrir une enquête dans le seul but de modifier une décision (sans recevoir de nouveaux éléments de preuve) ou de recevoir des éléments de preuve qui ne pourraient conduire à la modification ou à la révocation d'une décision antérieure. Cette conclusion n'est pas sans importance puisque le paragraphe 35(2) établit clairement qu'il faut donner au mot «décision» du paragraphe 35(1) un sens très précis et étroit.
En vertu du paragraphe 35(2), l'arbitre qui, après avoir rouvert une enquête et reçu de nouveaux éléments de preuve, modifie ou révoque une décision conformément au paragraphe (1), peut infirmer toute ordonnance ou tout avis et, le cas échéant, doit prendre les mesures appropriées conformément à l'article 32. Pour bien comprendre cette disposition, il est nécessaire de se reporter à l'article 32 qui indique clairement qu'au terme d'une enquête, un arbitre doit d'abord prendre certaines décisions et ensuite, une fois ces décisions prises, prononcer des ordonnances ou des avis. Dans le cas d'une enquête tenue à la suite du rapport prévu à l'article 20, l'arbitre doit d'abord déterminer si la personne faisant l'objet de l'en- quête est visée au paragraphe 14(1) et, dans le cas contraire, décider si elle est admissible au pays; dans le cas d'une enquête tenue à la suite du rapport prévu à l'article 27, l'arbitre doit d'abord déterminer si la personne faisant l'objet de l'enquête est visée à l'article 27. Dès qu'une de ces décisions a été rendue, l'arbitre doit alors prendre la mesure prescrite par l'article 32 et, dans certaines circonstances, il doit prononcer une ordon- nance d'expulsion ou une ordonnance d'exclusion ou encore émettre un avis d'interdiction de séjour. Voilà les ordonnances et avis qui, suivant le paragraphe 35(2), peuvent être infirmés par l'arbitre qui modifie ou révoque une décision conformément au paragraphe 35(1). La décision susceptible d'être modifiée ou révoquée en vertu du paragraphe 35(1) n'est pas l'ordonnance ou l'avis qui a été rendu au terme de l'enquête. Le mot «décisions utilisé dans ce paragraphe vise clairement la décision d'un arbitre concluant qu'une personne est soit visée ou non au paragraphe 14(1), soit admissible ou non, soit visée ou non à
l'article 27. Par conséquent, l'article 35 n'autorise pas la réou- verture d'une enquête afin de recevoir des éléments de preuve se rapportant uniquement à l'ordonnance prononcée au terme de l'enquête en question. Il s'ensuit que la présente demande fondée sur l'article 28 doit être rejetée puisque le requérant a sollicité la réouverture de l'enquête afin d'apporter des éléments de preuve qui établiraient le caractère illégal de l'ordonnance d'expulsion mais n'influeraient d'aucune façon sur la validité de la décision sur laquelle reposait cette ordonnance.
À mon sens, le raisonnement tenu dans cette affaire et exposé par le juge Pratte, J.C.A., s'appli- que aux circonstances de l'espèce. La décision contestée dans cette action est le refus de l'arbitre de rouvrir l'enquête. L'objet de la réouverture était de présenter des preuves afin de prouver un déni de justice naturelle qui n'était pas manifeste au vu du dossier. Bien que la preuve puisse établir l'illégalité de l'ordonnance d'expulsion, elle n'aurait aucune incidence sur la validité de la décision sur laquelle se fondait l'ordonnance d'expulsion. Après avoir considéré simultanément et selon le contexte les paragraphes 35(1) et 35(2), je suis d'accord avec le juge Pratte, J.C.A., pour dire que les paramètres du paragraphe 35(1) ne vont pas au-delà de nou- veaux éléments de preuve susceptibles de justifier la modification ou la révocation de la décision antérieure. En l'espèce, les éléments de preuve que l'on veut soumettre sont de la même catégorie que ceux en cause dans l'affaire Gray c. Fortier, c'est-à-dire des preuves qui s'en prennent à l'illéga- lité de l'ordonnance d'expulsion plutôt qu'à la vali- dité de la décision à la source de cette ordonnance. Il s'ensuit, à mon avis, que l'arbitre n'a pas commis d'erreur en refusant de rouvrir l'enquête en vertu de l'article 35 de la Loi, en l'absence d'une application possible de la Charte.
J'en arrive maintenant au second moyen sur lequel la requérante se fonde pour demander la réouverture de l'enquête. Elle allègue essentielle- ment qu'il a été porté atteinte aux droits que lui confère l'article 7 de la Charte', et que, dans ces circonstances, l'arbitre a compétence pour étudier la demande de réouverture.
Le point de départ d'une discussion de ce sujet semblerait logiquement être la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Singh et autres
3 7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor- mité avec les principes de justice fondamentale.
c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration 4 . Dans l'arrêt Singh, les motifs du juge Wilson, qui s'exprimait pour elle-même, pour le juge en chef et le juge Lamer ont établi, premièrement, que ceux qui revendiquent le statut de réfugié en vertu des dispositions de la Loi sur l'immigration de 1976 ont droit à la protection de l'article 7 de la Charte, et deuxièmement, que la procédure d'examen des revendications du statut de réfugié faites sous le régime de la Loi à cette époque n'appliquait pas aux intéressés les principes de justice fondamen- tale, et qu'en conséquence elle était incompatible avec l'article 7 de la Charte. Mon optique sur cette question est aussi influencée par les propos du juge Dickson (aujourd'hui juge en chef) dans l'affaire Hunter et autres c. Southam Inc.S:
La Charte canadienne des droits et libertés est un document
qui vise un but. Ce but est de garantir et de protéger, dans des limites raisonnables, la jouissance des droits et libertés qu'elle enchâsse. Elle vise à empêcher le gouvernement d'agir à l'en- contre de ces droits et libertés; elle n'autorise pas en soi le gouvernement à agir.
Lorsque l'on traite de la situation en l'espèce compte tenu de ces deux décisions marquantes de la Cour suprême du Canada, il est nécessaire de s'attacher à certains aspects des faits. La requé- rante a divorcé en Inde en 1972 en raison des mauvais traitements que lui faisait subir son mari, sur le plan physique et psychologique. Son ex-mari a fui l'Inde en 1985 par crainte d'être persécuté. Il a revendiqué le statut de réfugié au Canada. En Inde, il avait été accusé d'avoir participé au soulè- vement qui avait suivi l'attaque du Temple d'Or. En 1986, la requérante avait été interrogée et détenue par des agents de la police et des forces armées à trois occasions distinctes en raison des activités de son époux. C'est pourquoi elle a décidé de quitter l'Inde; elle est arrivée au Canada en juillet 1987. Elle a déclaré à l'agent d'immigration à son arrivée à l'aéroport qu'elle voulait revendi- quer le statut de réfugiée. Elle a fait l'objet d'un rapport fondé sur l'article 20 étant donné son appartenance à une catégorie de personnes non admissibles définie dans la Loi sur l'immigration
[1985] 1 R.C.S. 177; (1985), 17 D.L.R. (4th) 422; 12 Admin. L.R. 137; 14 C.R.R. 13; 58 N.R. 1, à la p. 216 R.C.S., motifs du juge Wilson.
5 [1984] 2 R.C.S. 145, la p. 156 R.C.S.; (1984), 55 A.R. 291; 11 D.L.R. (4th) 641; [1984] 6 W.W.R. 577; 33 Alta L.R. (2d) 193; 27 B.L.R. 297; 14 C.C.C. (3d) 97; 2 C.P.R. (3d) 1; 41 C.R. (3d) 97; 9 C.R.R. 355; 84 DTC 6467; 55 N.R. 241.
de 1976. Elle a été remise en liberté à la suite du dépôt d'un bon de garantie par son ancien époux; elle est allée vivre avec lui et sa compagne sur une ferme. Son ancien mari la battait et lui imposait fréquemment de mauvais traitements; elle était pratiquement prisonnière sur la ferme de ce der- nier. Elle ne recevait aucune assistance médicale après avoir été battue. Elle s'est présentée à son enquête le 22 décembre 1987. Elle était encore sous le contrôle de son ex-mari. Elle a déclaré à l'enquête ne pas vouloir être représentée par un conseil. Elle est retournée à l'enquête le 15 mars 1988, et elle a alors informé l'arbitre qu'elle ne tenait pas à revendiquer le statut de réfugiée. L'arbitre a tenu une enquête et a conclu que la requérante appartenait à une catégorie de person- nes non admissibles, à la suite de quoi il a rendu contre elle une ordonnance d'exclusion. Le 9 avril 1988, la requérante s'est enfuie de la ferme pour se retirer dans un refuge pour femmes. Seulement après avoir échappé à la contrainte, à la violence, aux menaces et aux mauvais traitements infligés par son ex-mari s'est-elle trouvée capable de donner les détails de sa situation et d'exprimer ses véritables sentiments à l'égard de sa revendication du statut de réfugiée aussi bien que sa décision éclairée relativement à son droit de retenir les services d'un conseil. Cet exposé détaillé des nom- breux incidents désagréables qu'a vécus la requé- rante se trouve dans son affidavit non contesté du ler novembre 1988. Ce sont ces faits qu'elle veut porter à la connaissance de l'arbitre pour expliquer sa conduite au cours des procédures qui se sont déroulées devant lui.
À mon avis, l'espèce donne clairement lieu à une intervention, en application de l'article 7 de la Charte. Il ressort du dossier qu'en raison de la contrainte que son ex-mari exerçait sur elle au cours de l'enquête, la requérante a été effective- ment privée de son droit à un conseil indépendant. Elle a aussi été effectivement privée de la possibi- lité de prendre une décision libre et éclairée relati- vement à la revendication du statut de réfugiée. En conséquence, je conclus que l'ordonnance d'exclu- sion rendue en l'espèce est manifestement injuste dans les présentes circonstances et contraire aux dispositions de l'article 7 de la Charte.
Des décisions des deux sections de cette Cour appuient cette vue de la question. Je pense tout
d'abord à la décision du juge McNair, de la Sec tion de première instance, dans l'affaire Mattia c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion) 6 . Les faits dans cette affaire ont une certaine similarité avec les faits en l'espèce. Dans l'affaire Mattia, le requérant était entré au Canada grâce à un visa d'étudiant. Après son arrivée au Canada, il a souffert de troubles mentaux et il a été hospita- lisé. Après avoir reçu son congé de l'hôpital, il a sollicité la prorogation de son visa, qui lui a été refusée. Lorsqu'il étudiait à l'université, il a été de nouveau victime de troubles mentaux, en raison desquels il a été incarcéré conformément au para- graphe 104(2) de la Loi sur l'immigration de 1976. Au terme d'une enquête subséquente, son expulsion a été décrétée en application du paragra- phe 32(6) de la Loi. Le juge McNair, saisi d'une demande de bref de prérogative fondée sur l'article 18, a conclu que le refus de l'arbitre de rouvrir l'enquête prévue à l'article 35 de la Loi, la condi tion posée par le paragraphe 45 (1) de la Loi selon laquelle la revendication du statut de réfugié doit se faire au cours de l'enquête, et l'ordonnance d'expulsion étaient manifestement injustes et vio- laient les droits conférés au requérant par l'article 7 de la Charte. Il a dit ce qui suit à la page 501 C.F.:
La preuve, compte tenu de la prépondérance des probabilités, permet de conclure que le requérant était atteint d'une maladie mentale telle qu'il ne pouvait pas vraiment apprécier l'impor- tance d'exercer son droit d'être représenté par un avocat ni connaître les conséquences d'une renonciation à ce droit. Il ne pouvait pas non plus se rendre compte qu'il devait faire valoir sa revendication du statut de réfugié au cours de l'enquête même, étant donné le libellé du paragraphe 45(1) et le sens que les tribunaux lui ont donné. L'avocat des intimés soutient qu'aucun fait concret ne permet de conclure à l'incapacité mentale et à l'incapacité de comprendre. Ainsi que je l'ai dit, je ne suis pas d'accord. A mon avis, le refus par l'arbitre de rouvrir l'enquête prévue à l'article 35 de la Loi qui lui aurait permis de recevoir d'autres preuves à l'appui de la revendica- tion du statut de réfugié, la condition posée par le paragraphe 45(1) selon laquelle une telle revendication ne peut être faite qu'au cours de l'enquête même et l'ordonnance d'expulsion rendue en l'espèce sont manifestement injustes dans les circons- tances et violent les droits que le requérant tient de l'article 7 de la Charte.
Je renverrais aussi aux décisions non publiées de cette Cour dans les affaires Bains c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration et James c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration qui ont été ren- dues le 14 juillet 1989 [et répertoriées: Bains c.
6 [1987] 3 C.F. 492; (1987), 10 F.T.R. 170 (P' inst.).
Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion), [1989] 3 C.F. 487]. Dans ces affaires, le ministre avait rejeté les revendications du statut de réfugié au sens de la Convention faites par les requérants. Ces derniers ont alors demandé à l'an- cienne Commission d'appel de l'immigration la prorogation du délai applicable au dépôt de la demande de réexamen de leurs revendications du statut de réfugiés en vertu du paragraphe 70(1) de la Loi sur l'immigration de 1976. La Commission a rejeté ces demandes au motif qu'elle n'avait pas la compétence nécessaire pour en être saisie en raison du paragraphe 40(1) du Règlement sur l'immigration de 1978 [DORS/78-172 (mod. par DORS/80-601, art. 4)]. Après avoir observé que les pouvoirs de la Commission «ne suffisent pas à lui permettre de proroger un délai fixé par le gouverneur en conseil en vertu du pouvoir de régle- mentation que lui confère la Loi», le juge Huges- sen, J.C.A., qui s'exprimait pour la Cour, a dit ce qui suit la page 490 C.F.]:
Il est maintenant bien établi qu'une revendication du statut de réfugié peut faire entrer en jeu des droits protégés par la Charte.
Il s'est appuyé sur l'arrêt Singh, précité, en expri- mant cette opinion. Dans les affaires Bains et James, les requérants ont essentiellement fait valoir qu'un délai limite rigide et inflexible imparti pour demander un réexamen sans qu'il soit possi ble d'obtenir une prorogation, quelles que soient les circonstances, était incompatible avec les prin- cipes de justice fondamentale et pouvait entraîner une atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, contrairement à l'article 7 de la Charte. Dans ces affaires, la Cour a jugé cet argument «irréfragable», et elle a ajouté la page 491] que la Commission avait eu tort de refuser simplement de connaître des demandes de proroga- tion de délai; elle devait plutôt «examiner les faits particuliers de chaque affaire pour déterminer si le requérant risque d'être privé d'un droit protégé par la Charte au cas il ne serait pas autorisé à demander un réexamen et, dans l'affirmative, si la justice fondamentale exige qu'il lui soit accordé une telle autorisation».
Je crois que le raisonnement suivi dans ces deux affaires s'applique par analogie à la situation en l'espèce. Ici, l'arbitre a conclu qu'il n'était pas habilité à rouvrir une enquête pour corriger un déni de justice naturelle. Je ne suis pas de cet avis.
À mon sens, l'arbitre avait compétence pour déter- miner si, dans les circonstances de l'espèce, la justice fondamentale permettrait à la requérante de revendiquer le statut de réfugiée au-delà du délai imparti par la Loi sur l'immigration de 1976. Il tient cette compétence des dispositions du para- graphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)], qui est libellé comme suit:
52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.
Ce point de vue trouve appui dans la remarque incidente du juge en chef Dickson dans l'arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres':
Si un tribunal judiciaire ou administratif juge une loi incom patible avec la Constitution, ce tribunal a, en vertu du caractère prédominant de la Loi constitutionnelle de 1982 prévu au par. 52(1), non seulement le pouvoir mais encore l'obligation de considérer comme «inopérantes» les dispositions incompatibles de cette loi.
Dans l'affaire Re Shewchuck and Ricard; Attor- ney -General of British Columbia et al., Interve- nors 8 , la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a adopté une approche semblable. Le juge d'appel Macfarlane a dit:
[TRADUCTION] Il est avéré que le pouvoir de rendre un jugement déclaratoire sur la validité constitutionnelle des lois adoptées par le Parlement ou l'une des Législatures ressortit à la compétemce exclusive des instances supérieures.
Mais il est également avéré que si une personne comparaît devant un tribunal suite à une inculpation, à une plainte ou à un autre acte de procédure qui relève régulièrement de la compétence de ce dernier, il s'ensuit que le tribunal a compé- tence d'une part, pour juger que la loi sur laquelle repose l'inculpation, la plainte ou l'autre acte de procédure est inopé- rante du fait des dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés, et d'autre part, pour rejeter l'inculpation, la plainte ou l'autre acte de procédure. Le prononcé d'un juge- ment déclaratoire portant que la loi contestée est inopérante n'est, dans ce contexte, rien de plus qu'une décision sur une question juridique dont le tribunal est régulièrement saisi. Cela n'empiète aucunement sur le droit exclusif des instances supé- rieures d'accorder un redressement par voie de bref de préroga- tive, y compris un jugement déclaratoire.
' [1985] 1 R.C.S. 295; (1985), 60 A.R. 161; 18 D.L.R. (4th) 321; [1985] 3 W.W.R. 481; 37 Alta. L.R. (2d) 97; 18 C.C.C. (3d) 385; 85 CLLC 14,023; 13 C.R.R. 64; 58 N.R. 81, la p. 353 R.C.S.
8 (1986), 28 D.L.R. (4th) 429; [1986] 4 W.W.R. 289; 2 B.C.L.R. (2d) 324; 1 R.F.L. (3d) 337, aux p. 439 et 440 D.L.R.
Cette Cour s'est montrée d'accord avec la décision Shewchuck dans l'arrêt Zwarich c. Canada (pro- cureur général)». Dans l'arrêt Zwarich le juge Pratte, qui s'exprimait pour la Cour, a dit ce qui suit:
Il est évident qu'il n'appartient ni au conseil arbitral ni au juge-arbitre de statuer sur la validité constitutionnelle des lois et des règlements. Il s'agit d'un privilège réservé aux instances supérieures. Mais le juge-arbitre et le conseil arbitral doivent appliquer le droit, comme tous les tribunaux d'ailleurs. Ils doivent donc déterminer le droit applicable, et pour ce faire, ils doivent non seulement interpréter les lois et les règlements applicables mais également statuer sur la validité de leur adoption. S'ils concluent qu'une disposition légale applicable enfreint la Charte, ils doivent trancher la question comme si cette disposition n'avait jamais été adoptée.
Il est aussi intéressant de noter que le professeur Dale Gibson, aux pages 185 et 186 de l'ouvrage intitulé The Law of the Charter: General Princi ples (Toronto: Carswell Co. Ltd., 1986), a exprimé l'opinion que les tribunaux se font [TRADUCTION] «une idée généreuse du sens de l'expression `règle de droit' au paragraphe 52(1)». Il ajoute: «Une remarque incidente du juge Dickson dans l'arrêt Operation Dismantle indique que l'article 52 pour- rait même aller au-delà des règles de droit elles- même pour viser également les actes fondés sur elles.» La remarque incidente laquelle il est fait allusion est la suivante '°:
rien dans les présents motifs ne saurait être interprété comme l'adoption de l'opinion selon laquelle la référence faite à la «règle de droit» à l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 doit être confinée aux lois, aux règlements et à la common law. Il se peut fort bien que, si la suprématie de la Constitution, énoncée à l'art. 52, doit avoir un sens, tous les actes effectués selon des pouvoirs découlant d'une règle de droit relèveront de l'art. 52.
Compte tenu de la jurisprudence dont il est question plus haut, je conclus sans difficulté que l'arbitre était habilité à rouvrir l'enquête en cause conformément au paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, et qu'il était tenu de ne pas imposer les restrictions inhérentes aux para- graphes 35(1) et 45(1) dans la mesure ces dispositions contreviennent aux droits conférés à la requérante par l'article 7.
» [1987] 3 C.F. 253; (1987), 26 Admin. L.R. 295; 87 CLLC 14,053; 31 C.R.R. 244; 82 N.R. 341 (C.A.), à la p. 255 C.F.
10 Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441; (1985), 18 D.L.R. (4th) 481; 12 Admin. L.R. 16; 13 C.R.R. 287; 59 N.R. 1, à la p. 459 R.C.S.
Cette conclusion me fait réfléchir à la répara- tion appropriée dans les circonstances en cause. Je suis d'avis que l'espèce donne clairement lieu à une [TRADUCTION] «exemption» ou «omission». Selon mon interprétation de l'arrêt Mattia et des arrêts Bains et James, précités, c'est de fait la répara- tion accordée, même si cela n'est pas dit explicite- ment. Lorsqu'il y a exemption, la mesure législa- tive reste en vigueur, sans toutefois s'appliquer à une personne comme la requérante dont les droits garantis par la Charte ont été violés par l'applica- tion de dispositions législatives à la situation qui est la sienne. La solution de l'exemption» est celle qu'a adopté la majorité de la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt Seaboyer and The Queen et Re Gayme and the Queen". Cette décision portait sur la constitutionnalité de l'article 246.6 du Code criminel [S.R.C. 1970, chap. C-34 (édicté par S.C. 1980-81-82-83, chap. 125, art. 19)]. Après avoir dit que l'article n'était pas inconstitutionnel, le juge d'appel Grange a observé qu'il pourrait exis- ter des circonstances dans lesquelles l'article se trouverait à priver l'accusé de son droit à un procès équitable et qu'alors, la disposition enfreindrait l'article 7 de la Charte. Après avoir déclaré que ces circonstances seraient rares et dépendraient des faits propres à l'espèce, il a ajouté:
[TRADUCTION] Je ne vois aucune raison pour laquelle on ne pourrait conclure que dans ces circonstances, l'article sera inopérant.
Il a plus loin étayé cette solution en notant qu'elle [TRADUCTION] «semble aussi être envisagée par l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982». Il a tiré cette conclusion en tenant pour acquis que le libellé de cette disposition rendait inopérante toute règle de droit incompatible avec les dispositions de la Constitution, dans la mesure de cette incompati- bilité.
L'avocat de l'intimé ne s'est pas penché sur l'applicabilité possible de l'article premier de la Charte. En tout état de cause, rien au dossier ne pourrait justifier l'application de l'article premier. De plus, et indépendamment de ce dossier, je ne vois aucun motif permettant d'invoquer les disposi tions de l'article premier.
Ainsi donc, et pour les motifs susmentionnés, j'accueillerais la demande fondée sur l'article 28 et j'annulerais la décision de l'arbitre en date du 22
11 (1987), 37 C.C.C. (3d) 53, aux p. 67 et 68.
novembre 1988. Je renverrais l'affaire à un arbitre aux fins d'un nouvel examen en tenant pour acquis qu'il a la compétence nécessaire pour rouvrir l'en- quête dans les circonstances de l'espèce.
LE JUGE MAHONEY, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE DESJARDINS, J.C.A.: La présente demande fondée sur l'article 28 conteste une déci- sion d'un arbitre qui, le 22 novembre 1988, refu- sait la réouverture d'une enquête. La demande adressée à l'arbitre avait deux fondements: ses pouvoirs d'agir en vertu du libellé de l'article 35 de la Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52 12 (la «Loi») et le manquement à la justice naturelle en violation de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés que constituerait le refus d'autoriser la réouverture sollicitée. Les motifs donnés par l'arbitre à l'appui de son refus sont ainsi libellés:
[TRADUCTION] Je considère que les informations que vous souhaitez présenter ne constituent pas «de nouveaux témoigna- ges et ... d'autres preuves» au sens de l'article 35 de la Loi.
En ce qui concerne votre second motif de réouverture, je ne me considère pas habilité à rouvrir une enquête pour corriger ce que vous pouvez considérer comme un déni de «justice naturelle».
À mon sens, le premier motif de l'arbitre est entaché d'une erreur de droit. Je n'ai donc pas à traiter de son second motif.
La requérante est née en Inde le 15 novembre 1939. Elle a épousé Santokh Singh Bagga en 1962. Ils ont eu trois enfants, Gurpreet, Gursev et Harki- rat. Au cours de son mariage, le mari de la requé-
' Z 3 5 . (1) Sous réserve des réglements, une enquête menée par un arbitre peut être réouverte à tout moment par le même arbitre ou par un autre, à l'effet d'entendre de nouveaux témoignagnes et de recevoir d'autres preuves, et l'arbitre peut alors confirmer, modifier ou révoquer la décision antérieure.
(2) L'arbitre qui modifie ou révoque une décision en vertu du paragraphe (1), peut infirmer toute ordonnance ou avis et, le cas échéant, doit prendre les mesures appropriées conformé- ment à l'article 32.
(3) Les ordonnances ou avis infirmés en vertu du paragraphe (2), sont réputés n'avoir jamais été rendus.
rante lui a fait subir à la fois des sévices et de la violence psychologique. En raison de cette situa tion, elle a obtenu un divorce en 1972 auprès du système judiciaire civil de l'Inde.
Son ex-mari, M. Singh, a exercé des activités politiques en Inde dans le cadre du mouvement Khalistan, et il a écrit plusieurs livres sur le natio- nalisme indien. On l'a accusé d'avoir été un insti- gateur du soulèvement ayant suivi le raid mené sur le Temple d'or. Deux de leurs fils, Gurpreet et Gursev, ont suivi les activités politiques de leur père. M. Singh a fui l'Inde en 1985 en compagnie de son fils Gursev. Il a réussi à atteindre les États-Unis, puis le Canada. Gurpreet est demeuré en Inde.
La requérante a commencé à avoir des problè- mes avec les forces militaires et la police après que son ex-mari a quitté le pays. A trois reprises, en octobre, en novembre et en décembre 1986, ils se sont présentés à sa maison et l'ont détenue pour l'interroger au sujet de son fils Gurpreet et de son ex-mari. Elle craignait d'être bientôt placée en détention si elle ne fournissait pas des renseigne- ments pouvant aider les autorités dans leurs inves tigations. M. Singh et les deux fils en question faisaient maintenant l'objet de différentes accusa tions.
Elle a décidé de quitter l'Inde avec son fils Harkirat qui vivait avec elle. Elle a appris par son fils Harkirat, qui était en contact avec son père, que son ex-mari se trouvait au Canada. De Singa- pour, Harkirat a rejoint son père et lui a demandé de l'argent pour les billets d'avion qui leur permet- traient de se rendre au Canada. M. Singh a adressé au bureau des visas de Singapour une lettre dans laquelle il déclarait vouloir que la requérante et son fils le rejoignent au Canada et y revendiquent le statut de réfugiés puisque leur vie était menacée. La requérante considère que la raison pour laquelle M. Singh l'a présentée comme son épouse dans cette lettre est qu'il voulait que son fils trouve refuge au Canada. Elle considère également que si M. Singh voulait qu'elle vienne au Canada demeurer avec lui, c'est qu'il n'avait pas informé les gens de son divorce et que des rumeurs s'étaient répandues dans la communauté sikh de Toronto selon lesquelles il vivait avec une [TRADUCTION] «maîtresse».
À son arrivée à l'aéroport international Pearson, la requérante a déclaré à l'examinateur qu'elle voulait réclamer le statut de réfugiée. Elle avait détruit son passeport et ses documents de voyage alors qu'elle faisait route vers le Canada. Elle a été détenue par les autorités jusqu'à l'arrivée de M. Singh qui a signé un cautionnement en sa faveur.
La requérante a été vivre avec M. Singh et avec sa compagne à la ferme sikh située à Princeton, en Ontario. M. Singh était la seule personne qu'elle connaissait au Canada et elle n'avait pas d'autre endroit aller. Elle était souvent battue ou mal- traitée par M. Singh. Elle ne pouvait ni téléphoner ni quitter la ferme. Elle ne recevait aucun soin médical après avoir été battue.
Le 5 décembre 1987, elle a réussi à s'enfuir, pour se rendre jusqu'à un temple sikh. M. Singh a été informé du lieu elle se trouvait et a envoyé quelqu'un la chercher. Elle est retournée à la ferme avec la promesse que son mari ne la battrait plus. Elle a toutefois été battue très violemment à de nombreuses occasions, au point que, à quelques reprises, ses vêtements se sont trouvés noyés dans le sang.
Le 22 décembre 1987, elle s'est présentée aux autorités de l'immigration pour subir son enquête. Au cours de la nuit précédente, M. Singh lui avait dit qu'elle était libre de retourner en Inde si telle était sa volonté. Il a toutefois menacé de la tuer si elle devait révéler les mauvais traitements qu'il lui avait infligés. Son fils Gursev assisterait à l'en- quête et la surveillerait constamment. Au cours de l'enquête, qui a été tenue sous le régime de l'article 23 de la Loi, elle a dit qu'elle ne souhaitait pas être représentée par un conseil. Elle a identifié Gursev comme étant son fils. Lorsqu'on lui a demandé si ce monsieur avait sa permission d'assister à l'en- quête, elle a répondu:
[TRADUCTION] «Il m'a amenée ici, monsieur.»
L'arbitre a alors dit:
[TRADUCTION] «Oui, mais vous devez donner sa ... votre permission pour qu'il puisse voir ce qui se passe ici. Pour qu'il puisse se trouver dans cette pièce, vous devez donner votre permission.»
Elle a alors répondu:
[TRADUCTION] «Oui.»
L'agent chargé de présenter les cas a mentionné à l'arbitre que la conversation qu'il avait eue avec
la requérante avant l'ouverture de l'enquête révé- lait qu'elle n'était pas certaine de présenter son point de vue à quelque moment que ce soit au cours de cette journée-là. L'arbitre a réagi en disant que, si elle n'était pas prête à présenter son point de vue ce jour-là, il aurait souhaité qu'elle le fasse savoir: il lui aurait accordé un ajournement pour lui permettre de réfléchir. Il a observé que, bien qu'elle ne désirât pas être représentée par un conseil, il était évident que son fils agissait en cette qualité. La requérante a répondu que son fils n'était pas son conseil. Elle a dit qu'elle souhaitait retourner en Inde même si elle s'attendait à y être détenue. Elle a déclaré qu'elle ne voulait pas revendiquer le statut de réfugiée. L'audience a été ajournée jusqu'au 9 février 1988 afin de lui donner le temps d'obtenir un passeport.
Les 5, 7 et 8 janvier 1988, les autorités de l'immigration ont pris contact avec M. Singh afin de connaître les intentions de la requérante. Le 8 janvier 1988, M. Singh a dit que la requérante voulait revendiquer le statut de réfugiée. Le 8 février 1988, M. Singh a téléphoné aux autorités pour dire que la requérante était incapable de se décider.
La séance du 9 février 1988 a été ajournée jusqu'au 15 mars 1988 parce que l'appelante, ayant eu un accident d'automobile, n'a pas pu comparaître.
Le 15 mars 1988, la requérante, encore une fois accompagnée par son fils Gursev, a déclaré à l'arbitre qu'elle ne voulait pas réclamer le statut de réfugiée. Elle n'avait pas de passeport, ne s'étant pas sentie assez bien pour en obtenir. Elle a décliné l'offre qu'on lui faisait de lui accorder plus de temps pour s'en procurer un. Elle a réitéré son intention de retourner en Inde, et elle a demandé à l'arbitre de lui fournir la documentation nécessaire pour ce faire. L'arbitre a conclu qu'elle était une personne décrite à l'alinéa 19(2)d) de la Loi. Il a refusé de lui accorder l'autorisation de séjour tem- poraire prévue à l'égard des visiteurs sous le régime du paragraphe 14(3) de la Loi. Une ordon- nance d'exclusion a été prononcée.
Le 9 avril 1988, la requérante a réussi à s'enfuir de la ferme et à trouver un refuge à Toronto. Plus tard, elle a déménagé dans un refuge pour femmes.
Dans l'affidavit en date du 1°' novembre 1988 qu'elle présente à l'appui de sa demande de réou- verture d'enquête, la requérante explique que, si elle a dit qu'elle voulait retourner en Inde au cours de son enquête, c'était parce qu'elle était torturée par M. Singh, au Canada. Elle considérait qu'elle serait en danger si elle retournait en Inde, mais elle voulait échapper à une menace plus immé- diate. Elle était incapable de révéler les mauvais traitements qu'elle subissait aux mains de M. Singh à l'arbitre, puisque son fils Gursev aurait rapporté ses propos à M. Singh. Elle affirme qu'elle subissait une contrainte considérable lors de son enquête, pour ajouter qu'elle avait ultime- ment décidé de ne pas poursuivre sa revendication du statut de réfugiée parce qu'elle ne pouvait plus tolérer la violence de M. Singh. Au cours du mois de janvier 1988, M. Singh l'avait informée que les autorités de l'immigration avaient appelé, mais sans jamais mentionner que l'objet de ces commu nications était de l'aviser qu'elle devait prendre une décision concernant la revendication du statut de réfugiée. Elle a alors fait part à M. Singh de son intention de parler aux fonctionnaires de l'im- migration, mais celui-ci a refusé de la laisser com- muniquer avec eux. Il n'a jamais discuté avec elle des possibilités qui lui étaient offertes et il lui a suggéré de retourner en Inde. Elle dit que ses intentions étaient confuses au moment de l'en- quête. Si elle ne s'était pas fait représenter par un conseil, bien que l'arbitre lui ait offert de faire valoir ce droit, c'était parce que M. Singh ne l'aurait pas autorisée à confier ses intérêts à un avocat. Elle n'a jamais entrepris de démarche en vue d'obtenir un passeport car elle croyait qu'en raison de la demande de son mari, il était entendu qu'elle revendiquait le statut de réfugiée. Elle ne comprenait pas qu'elle devait obtenir un passeport. Il ne lui était pas permis de quitter la ferme pour se procurer une demande de passeport. En résumé, les décisions qu'elle devait prendre, comme la pro- cédure de l'immigration, étaient confuses pour elle.
Dans cet affidavit non contredit figurent des éléments de preuve expliquant les différents chan- gements d'intention manifestés par l'appelante entre le moment elle a atteint le point d'entrée et exprimé son intention de revendiquer le statut de réfugiée et le moment où, au cours de son enquête, elle a déclaré à l'arbitre qu'elle désirait retourner en Inde. Il existe des indications selon
lesquelles, en raison des pressions dont elle faisait l'objet, elle n'avait pas la liberté de parler de sa situation et elle était incapable de retenir les servi ces d'un conseil qui l'aurait aidée à faire ses choix. Dans un cadre contractuel normal, la contrainte vicie le consentement. De la même manière, le choix qu'elle a exprimé à l'audience du 15 mars 1988 ne peut être valide. Son affidavit du 1°' novembre 1988 constitue «de nouveaux témoigna- ges et ... d'autres preuves» au sens du paragraphe 35(1) de la Loi. Une fois ces éléments portés à l'attention de l'arbitre, celui-ci, en vertu de cet article, est compétent à rouvrir l'enquête. Il n'a d'autre possibilité que d'annuler le choix antérieur du requérant et de replacer les parties dans la situation elles se trouvaient au départ. Une fois que le requérant a exprimé son choix librement, l'arbitre n'a d'autres pouvoirs que ceux que lui confère le paragraphe 35(1) de la Loi, savoir «confirmer, modifier ou révoquer ... [sa] décision antérieure». Le sens du mot «décision» est celui que lui a donné cette Cour dans l'arrêt Gray c. Fortier, [1985] 2 C.F. 525; (1985), 21 D.L.R. (4th) 14; 61 N.R. 197. Ce terme doit recevoir le sens restreint d'une conclusion portant, en l'espèce, que la requé- rante appartient ou non à une catégorie non admis sible, la «décision» se distinguant de l'ordonnance prononcée en vertu de l'article 32 de la Loi. La conclusion de l'arbitre que la requérante ne satis- fait pas aux exigences de l'alinéa 19(2)d) de la Loi sera de toute évidence confirmée puisque, même avec la nouvelle preuve qui est présentée, la requé- rante continue d'appartenir à une catégorie non admissible. L'arbitre, sous le régime du paragra- phe 45(1) de la Loi, aura toutefois le devoir d'ajourner l'enquête en raison de la demande du statut de réfugiée de la requérante.
La compétence conférée à l'arbitre sous le régime du paragraphe 35(2) de la Loi étant encore plus limitée, celui-ci ne sera pas habilité à annuler l'ordonnance d'exclusion prononcée le 15 mars 1988. Il ne peut infirmer une ordonnance que lorsqu'il modifie ou révoque une décision en vertu du paragraphe (1). L'ordonnance d'exclusion du 15 mars 1988 serait donc maintenue, à moins qu'elle ne soit contestée dans un autre acte de procédure, au motif qu'elle est prématurée compte tenu de l'ajournement éventuel de l'enquête.
L'arrêt Gray c. Fortier, que j'ai déjà mentionné et appliqué, doit toutefois être distingué en partie de l'espèce. Dans cette affaire, une personne avait présenté une revendication du statut de réfugié au cours d'une enquête. Comme l'exigeait le paragra- phe 45(1), l'enquête a été ajournée jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la revendication du statut de réfugié. Lorsque cette demande a été rejetée par le ministre, le requérant a présenté une demande de réexamen à la Commission d'appel de l'immigra- tion. La Commission d'appel de l'immigration ayant rejeté la demande, le requérant a présenté une demande d'examen auprès de notre Cour con- formément à l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale. Alors que ces procédures étaient pendan- tes, l'arbitre a repris l'enquête et il a prononcé l'ordonnance d'expulsion. La Cour d'appel fédérale a alors annulé la décision de la Commission d'ap- pel de l'immigration, pour renvoyer la question devant la Commission afin qu'elle tienne une audience régulière concernant la demande de réexamen de la revendication du requérant. L'avo- cat du requérant a alors écrit à l'arbitre pour lui demander de rouvrir l'enquête pour faire la preuve du jugement qui avait annulé la décision de la Commission d'appel de l'immigration et ainsi obte- nir l'annulation de l'ordonnance d'expulsion au motif qu'elle avait été prononcée sans compétence. L'arbitre a refusé d'accéder à cette requête car, selon lui, il n'avait pas le pouvoir de rouvrir l'en- quête afin de recevoir des éléments de preuve établissant qu'il avait agi sans compétence lorsqu'il avait repris l'enquête et prononcé l'ordonnance d'expulsion. Une demande fondée sur l'article 28 a été présentée devant notre Cour. Le juge Pratte, prononçant les motifs de la majorité, a rejeté la demande. Il a établi une distinction entre le sens du mot «décision», qui figurait à la fois au paragra- phe 35(1) et au paragraphe 35(2), et celui du mot «ordonnance» du paragraphe 35(2); il en découlait que l'article 35 ne pouvait permettre qu'une enquête soit rouverte afin de recevoir des éléments de preuve se rapportant uniquement à l'ordon- nance. Il a limité la compétence accordée à l'arbi- tre sous le régime du paragraphe 35 (1) en décla- rant que ce paragraphe donne aux arbitres «le pouvoir de rouvrir les enquêtes pour la seule fin de recevoir de nouveaux éléments preuve suscepti- bles de justifier la modification ou la révocation d'une décision déjà rendue». Il a expressément déclaré (aux pages 528 et 529 C.F.):
L'article 35 de la Loi ne confère pas aux arbitres un pouvoir illimité en matière de réexamen de leurs décisions et de réou- verture d'enquêtes. Les pouvoirs accordés par cet article sont en effet plus restreints.
Le paragraphe 35(1) donne aux arbitres le pouvoir de rouvrir les enquêtes pour la seule fin de recevoir de nouveaux éléments de preuve susceptibles de justifier la modification ou la révoca- tion d'une décision déjà rendue. Par conséquent, un arbitre ne peut rouvrir une enquête dans le seul but de modifier une décision (sans recevoir de nouveaux éléments de preuve) ou de recevoir des éléments de preuve qui ne pourraient conduire à la modification ou à la révocation d'une décision antérieure. Cette conclusion n'est pas sans importance puisque le paragraphe 35(2) établit clairement qu'il faut donner au mot «décision» du paragraphe 35(1) un sens très précis et étroit.
En vertu du paragraphe 35(2), l'arbitre qui, après avoir rouvert une enquête et reçu de nouveaux éléments de preuve, modifie ou révoque une décision conformément au paragraphe (1), peut infirmer toute ordonnance ou tout avis et, le cas échéant, doit prendre les mesures appropriées conformément à l'article 32. Pour bien comprendre cette disposition, il est nécessaire de se reporter à l'article 32 qui indique clairement qu'au terme d'une enquête, un arbitre doit d'abord prendre certaines décisions et ensuite, une fois ces décisions prises, prononcer des ordonnances ou des avis. Dans le 'ias d'une enquête tenue à la suite du rapport prévu à l'article 20, l'arbitre doit d'abord déterminer si la personne faisant l'objet de l'en- quête est visée au paragraphe 14(1) et, dans le cas contraire, décider si elle est admissible au pays; dans le cas d'une enquête tenue à la suite du rapport prévu à l'article 27, l'arbitre doit d'abord déterminer si la personne faisant l'objet de l'enquête est visée à l'article 27. Dès qu'une de ces décisions a été rendue, l'arbitre doit alors prendre la mesure prescrite par l'article 32 et, dans certaines circonstances, il doit prononcer une ordon- nance d'expulsion ou une ordonnance d'exclusion ou encore émettre un avis d'interdiction de séjour. Voilà les ordonnances et avis qui, suivant le paragraphe 35(2), peuvent être infirmés par l'arbitre qui modifie ou révoque une décision conformément au paragraphe 35(1). La décision susceptible d'être modifiée ou révoquée en vertu du paragraphe 35(1) n'est pas l'ordonnance ou l'avis qui a été rendu au terme de l'enquête. Le mot «décision» utilisé dans ce paragraphe vise clairement la décision d'un arbitre concluant qu'une personne est soit visée ou non au paragraphe 14(1), soit admissible ou non, soit visée ou non à l'article 27. Par conséquent, l'article 35 n'autorise pas la réou- verture d'une enquête afin de recevoir des éléments de preuve se rapportant uniquement à l'ordonnance prononcée au terme de l'enquête en question.
Ce passage doit toutefois être interprété selon son contexte. Dans l'arrêt Gray c. Fortier, l'avocat du requérant cherchait à faire infirmer l'ordon- nance. Il ne pouvait espérer atteindre ce but que si la preuve présentée était susceptible de justitier la modification ou la révocation de la décision. Dans l'hypothèse les propos du juge Pratte, selon lesquels une réouverture peut seulement être accordée si des éléments de preuve additionnels sont susceptibles de justifier la modification ou la
révocation de la décision antérieure, devraient s'in- terpréter littéralement, et être considérés comme établissant une règle unique et universelle, un arbi- tre, à la limite, risquerait de se trouver dans la situation il ne pourrait recevoir des éléments de preuve additionnels que s'il était pratiquement cer tain que ceux-ci entraîneraient la modification ou la révocation de la décision en cause. Sauf dans les cas exceptionnels la preuve présentée s'avérerait plus faible qu'elle n'apparaissait au départ, le mot «confirmer» du paragraphe 35(1) de la Loi se verrait rarement, sinon jamais, appliqué. Cepen- dant, rédigé comme il l'est, l'article 35 pourrait recevoir une interprétation plus large que celle qui précède. Il est vrai que, plus souvent qu'autrement, le fait de rouvrir l'enquête pour aboutir à une confirmation risquerait de se révéler un exercice futile. Toutefois, tel n'est pas le cas en l'espèce. La preuve comporte des renseignements cruciaux et fondamentaux qui, dans les circonstances excep- tionnelles de la présente affaire, pourraient annu- ler une grande partie de la preuve déjà présentée devant l'arbitre, et qui, par le jeu du paragraphe 45(1) de la Loi, seraient susceptibles de modifier le cours de l'enquête dont l'arbitre est responsable, une fois présentée une revendication du statut de réfugié. Rien dans l'arrêt Gray c. Fortier comme dans le texte de l'article 35 n'empêche la réouver- ture de l'enquête dans de telles circonstances, à la condition que le paragraphe 35(2) soit respecté.
L'arrêt Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion c. Hudnik, [1980] 1 C.F. 180; (1979), 103 D.L.R. (3d) 308 (C.A.) doit être distingué de l'espèce. Dans cette affaire, l'intimé, un citoyen de la Yougoslavie, n'avait jamais prétendu être un réfugié au sens de la Convention au cours de l'enquête. Il n'a présenté une revendication du statut de réfugié que plus tard, environ cinq mois après le prononcé de l'ordonnance d'expulsion. Le bref de mandamus sollicité a été refusé. Le juge Pratte, prononçant les motifs de la Cour, a dit la page 182):
Lorsque l'intimé a présenté sa demande, il était déjà sous le coup d'une ordonnance d'expulsion. En vertu de l'article 50 de la Loi, il incombait à l'appelant et à ses fonctionnaires de mettre cette ordonnance à exécution «dès que les circonstances le permettent.. Cette obligation n'a pas cessé d'exister du fait que l'intimé a choisi de demander son admission au pays. En outre, ni l'appelant ni ses fonctionnaires n'étaient tenus de considérer une demande qui ne pouvait être accueillie sans implicitement infirmer l'ordonnance d'expulsion prononcée contre l'intimé.
Dans l'affaire Hudnik, rien n'indiquait que l'in- timé détînt une preuve cruciale et fondamentale, comme la preuve qu'il n'avait pas pu s'exprimer librement ou obtenir les services d'un conseil lors de l'enquête, et rien n'indiquait non plus que, avant l'enquête, il avait projeté de présenter une revendication lors de l'enquête.
Pour les motifs qui précèdent, j'accueillerais la demande fondée sur l'article 28 et j'annulerais la décision de l'arbitre en date du 22 novembre 1988. Je renverrais la question devant un arbitre pour qu'il la réexamine en tenant pour acquis qu'il est compétent à rouvrir l'enquête dans les circons- tances de la présente affaire.
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