T-606-87
Cartier, Incorporated, Les Must de Cartier
Canada Inc. (demanderesses)
c.
John Doe et Jane Doe et d'autres personnes,
inconnues des demanderesses, qui vendent des
montres contrefaites dans la rue, à Toronto
(Ontario), et Martin Herson (défendeurs)
RÉPERTORIE: CARTIER, INC. C. DOE (I" INST.)
Section de première instance, juge Pinard—
Ottawa, 11 janvier et 6 février 1990.
Marques de commerce — Contrefaçon — Requête du
M.R.N. visant à obtenir une ordonnance annulant l'ordonnance
ex parte qui prohibait l'importation de montres contrefaites —
L'art. 52(4) de la Loi sur les marques de commerce permet de
prohiber l'importation future de marchandises lorsque la cour
trouve que cette importation est illégale — Il faut que cette
conclusion soit un prononcé final et qu'elle soit énoncée expli-
citement — Même si une action en usurpation de marque de
commerce a été intentée, aucune décision finale n'a été rendue
— Requête accueillie.
Interprétation des lois — L'art. 52(4) de la Loi sur les
marques de commerce permet de prohiber l'importation future
de marchandises lorsque, dans une action, la cour trouve que
l'importation est illégale — Il faut une conclusion antérieure
d'illégalité qui soit un prononcé final et qui soit énoncée
explicitement — Une telle décision doit porter sur le fond du
litige — Cette interprétation correspond mieux au libellé
anglais qui mentionne «in such action» qu'au libellé français
qui porte «au cours d'une pareille action».
Douanes et accise — Tarif des douanes — Requête du
M.R.N. visant à obtenir l'annulation d'une ordonnance ex
parte, rendue en vertu de l'art. 52(4) de la Loi sur les marques
de commerce, de l'art. 114 du Tarif des douanes et de l'an-
nexe VII, prohibant l'importation de montres contrefaites —
La condition préalable à l'art. 52(4) n'a pas été satisfaite —
Requête accueillie.
Il s'agit d'une requête du ministre du Revenu national visant
à obtenir une ordonnance annulant l'ordonnance ex parte qui
prohibait l'importation de montres contrefaites et ordonnait la
saisie immédiate de ces marchandises. Dans leur déclaration,
les demanderesses allèguent qu'il y a usurpation de leur marque
de commerce. Elles cherchent à empêcher l'importation, la
distribution et la vente de montres Cartier contrefaites. Elles
font valoir qu'il est pratiquement impossible d'obtenir un juge-
ment définitif sur le fond du litige dans des affaires de cette
nature. L'ordonnance a été rendue sous le régime du
paragraphe 52(4) de la Loi sur les marques de commerce, qui
habilite la Cour à prohiber l'importation future de marchandi-
ses lorsque, dans une action, elle trouve que cette importation
est illégale, de même que sous le régime de l'article 114 du
Tarif des douanes et de l'annexe VII.
Jugement: la requête devrait être accueillie.
Avant que la Cour puisse rendre une ordonnance prohibant
l'importation future sous le régime du paragraphe 52(4), une
action visant à déterminer la légalité de l'importation ou de la
distribution des marchandises doit avoir été intentée, et la Cour
doit avoir conclu que l'importation est contraire à la Loi sur les
marques de commerce ou que la distribution y serait contraire.
Même si une action a été intentée, la Cour ne semble pas avoir
encore exprimé une telle conclusion. La conclusion antérieure
doit être un prononcé final sur la question en cause et elle doit
être énoncée explicitement. Une telle décision ne peut que
porter sur le fond du litige. Une telle interprétation correspond
mieux au libellé de la version anglaise du paragraphe 52(4),
qui mentionne l'expression «in such action», qu'au libellé de la
version française qui porte «au cours d'une pareille action».
Toutefois, dans le contexte global de l'article, le libellé de la
version anglaise reflète mieux l'intention du législateur. Même
si, dans l'action intentée contre des défendeurs inconnus, il peut
être extrêmement difficile pour les demanderesses d'obtenir le
redressement précis prévu au paragraphe 52(4), la Cour ne
peut modifier la loi.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), chap.
T-13, art. 52.
Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, chap.
T-10, art. 52.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle
330a).
Tarif des douanes, L.R.C. (1985) (3 ° suppl.), chap. 41,
art. 114, annexe VII, code 9967.
Tarif des douanes, S.R.C. 1970.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Adidas Sportschuhfabriken Adi Dassler K. G. et al. v.
Kinney Shoes of Canada Ltd.; E'Mar Imports Ltd.,
Third Party (1971), 19 D.L.R. (3d) 680; 2 C.P.R. (2d)
227 (C. de l'E.); Montres Rolex S.A. c. M.R.N., [ 1988] 2
C.F. 39; (1987), C.E.R. 309; 17 C.P.R. (3d) 507 (1'°
inst.).
DÉCISIONS CITÉES:
May and Baker (Canada) Ltée c. L'Oak, [1979] 1 C.F.
401; (1978), 89 D.L.R. (3d) 692; 22 N.R. 214 (C.A.);
Bunker Ramo Corp. c. TRW Inc., [1980] 2 C.F. 488;
(1980), 17 C.P.C. 55; 47 C.P.R. (2d) 159 (1" inst.);
Parnassis Shipping Co. c. Le Mary K, T-4151-80, juge en
chef adjoint Jerome, jugement en date du 17-12-80, C.F.
1" inst., non publié; Montres Rolex S.A. c. Lifestyles
Imports Inc. (1988), 23 C.P.R. (3d) 436 (C.F. l' ° inst.);
Guccio Gucci S.p.A. c. Cebuchier (1988), 22 C.I.P.R.
254; 23 C.P.R. (3d) 427; 25 F.T.R. 235 (C.F. 1" inst.).
AVOCATS:
Christopher J. Kvas pour les demanderesses.
Personne n'a comparu pour les défendeurs.
Alain Préfontaine pour le ministre du Revenu
national.
PROCUREURS:
Rogers, Bereskin & Parr, Toronto, pour les
demanderesses.
Le sous-procureur général du Canada pour le
ministre du Revenu national.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE PINARD: Il s'agit d'une requête du
ministre du Revenu national visant à obtenir une
ordonnance annulant l'ordonnance ex parte rendue
par cette Cour le 13 juillet 1987.
Le 20 mars 1987, les demanderesses ont déposé
une déclaration dans laquelle elles poursuivent les
défendeurs pour usurpation de leur marque de
commerce. Les demanderesses cherchent à empê-
cher l'importation, la distribution, la vente, etc., de
montres Cartier contrefaites. Plusieurs ordonnan-
ces interlocutoires prohibant ces activités ont été
rendues et renouvelées par la Cour. Le 13 juillet
1987, le juge Teitelbaum a rendu une ordonnance
ex parte qui prohibait l'importation de montres
contrefaites et qui ordonnait aux employés du
ministère du Revenu national de retenir immédia-
tement ces marchandises. Voici le libellé de
l'ordonnance:
ORDONNANCE
APRÈS AVOIR examiné la demande ex parte présentée par
l'avocat des demanderesses et visant à étendre la portée des
ordonnances accordées antérieurement dans la présente action
de façon à inclure des mesures supplémentaires pour empêcher
l'importation;
APRÈS AVOIR entendu les observations de l'avocat des
demanderesses, et lu les affidavits déposés dans la présente
action;
Et compte tenu de l'engagement des demanderesses à respec-
ter toute ordonnance que cette Cour peut rendre à l'égard des
dommages découlant de l'application de la présente ordon-
nance, comme
a) du fait que les demanderesses ont consigné à la Cour la
somme de 20 000 $ sous la forme d'une obligation en garan-
tie destinée à répondre de tous dommages subis par les
défendeurs en raison des ordonnances rendues antérieure-
ment dans la présente action, et
b) de l'engagement des demanderesses à consigner à la Cour,
dans les 10 jours de la date de la présente ordonnance, une
somme supplémentaire de 30 000 $ en espèces ou sous la
forme d'une obligation ou d'un avenant à l'obligation anté-
rieurement déposée devant la Cour en garantie destinée à
répondre de tous dommages que les défendeurs peuvent subir
en raison de la présente ordonnance;
CETTE COUR ORDONNE QUE:
1. L'importation par quiconque de plus de 10 montres portant
l'une ou l'autre des marques de commerce CARTIER, MUST,
MUST DE CARTIER Ou LES MUST DE CARTIER et déclarées être
des répliques, des copies, des imitations ou des contrefaçons, est
par les présentes prohibée sous le régime de l'article 52 de la
Loi sur les marques de commerce.
2. Tout fonctionnaire ou inspecteur du ministère du Revenu
national (Douanes et accise) qui reçoit une déclaration d'impor-
tation au Canada des montres décrites au paragraphe 1 de la
présente ordonnance doit immédiatement retenir les montres
conformément au Tarif des douanes, article 14, article C.
3. Chaque fois que cette ordonnance est appliquée, la personne
dont les montres sont saisies doit être avisée qu'elle peut
interjeter appel de la saisie des montres en invoquant les
articles 58 63 de la Loi sur les douanes ou demander à cette
Cour d'ordonner la restitution des montres saisies.
4. Toute personne qui importe légalement des montres au
Canada et dont les montres sont retenues en application de la
présente ordonnance peut, en donnant un avis de 24 heures aux
avocats des demanderesses, de même qu'en leur signifiant toute
pièce justificative, demander à cette Cour d'ordonner la restitu
tion des montres retenues.
5. 11 n'y aura aucuns dépens.
[signé par le juge Teitelbaum.]
Une version révisée de l'ordonnance a été établie
pour corriger une erreur d'écriture: les mots «Tarif
des douanes, article 14, article C» du paragraphe 2
de l'ordonnance ont été remplacés par le libellé
suivant: «Tarif des douanes, article 14, liste C».
Toutefois, au cours de l'audience devant moi,
l'avocat a convenu que l'ordonnance, lorsqu'elle a
été rendue, aurait dû mentionner: «Tarif des doua-
nes, article 37, annexe IV».
Compte tenu des nouvelles lois révisées adoptées
en 1988, dans lesquelles les dispositions pertinentes
n'ont pas changé, les citations devraient être ainsi
désignées aujourd'hui: Tarif des douanes, L.R.C.
(1985) (3° suppl.), chap. 41, art. 114; et l'annexe,
Tarif des douanes, L.C. 1987, chap. 49, annexe
VII, code 9967.
Le ministre du Revenu national cherche mainte-
nant à faire annuler l'ordonnance susmentionnée,
en se fondant principalement sur la Règle 330a) de
la Cour fédérale [Règles de la Cour fédérale,
chap. 663], sur l'article 52 de la Loi sur les
marques de commerce, L.R.C. (1985), chap. T-13,
de même que sur le Tarif des douanes et l'annexe
susmentionnés.
Les demanderesses ont produit l'affidavit d'Ivor
R. Elrifi en réponse à la requête du ministre. Le
déposant y étudie des affaires semblables, notam-
ment Montres Rolex S.A. c. Lifestyles Imports
Inc. (1988), 23 C.P.R. (3d) 436 (C.F. 1r° inst.);
Guccio Gucci S.p.A. c. Cebuchier (1988), 22
C.I.P.R. 254 (C.F. 1r° inst.). L'argument principal
présenté dans l'affidavit est qu'il est pratiquement
impossible d'obtenir un jugement définitif sur le
fond du litige dans des affaires de cette nature.
Lors de l'audience, l'avocat des demanderesses a
fait valoir que de toute façon il n'est pas nécessaire
qu'une conclusion antérieure, comme celle que
prévoit le paragraphe 52(4) de la Loi sur les
marques de commerce, soit un jugement définitif
sur le fond de l'action des demanderesses. L'avocat
a ajouté que même si en l'espèce une telle conclu
sion antérieure n'est pas explicite, elle ressort
nécessairement de l'ordonnance même du juge Tei-
telbaum comme de toutes les autres ordonnances
interlocutoires antérieures rendues dans la pré-
sente action.
Il y a lieu de rappeler ici certains des principes
fondamentaux applicables lorsqu'il s'agit d'étudier
une demande d'annulation d'une ordonnance ex
parte rendue par la Cour:
—Les ordonnances ex parte sont des mesures
extraordinaires dont la durée devrait être limitée et
qui ne visent qu'à protéger les personnes manifes-
tement susceptibles de subir un préjudice irrépara-
ble, jusqu'à ce que les parties puissent comparaître
en cour (voir Parnassis Shipping Co. c. Le Mary
K, n° du greffe T-4151-80, le 17 décembre 1980).
— Lorsqu'il s'agit d'une ordonnance ex parte, la
Cour est naturellement compétente pour l'annuler
à compter du jour où l'annulation est demandée.
La Cour peut également rendre une ordonnance
corrélative pour remettre la partie lésée dans l'état
où elle était avant que ne soit rendue l'ordonnance
ex parte (voir May and Baker (Canada) Ltée c.
L'Oak, [1979] 1 C.F. 401 (C.A.)).
— Le pouvoir d'annuler une ordonnance ex parte
prévu à la Règle 330 est un pouvoir discrétion-
naire. La partie qui soumet une requête à cette fin
a la charge d'établir qu'elle devrait être annulée
(voir Bunker Ramo Corp. c. TRW Inc., [1980] 2
C.F. 488 (1r° inst.)).
En l'espèce, les dispositions de l'article 52 de la
Loi sur les marques de commerce sont pertinentes.
Lorsque l'ordonnance en cause a été rendue, cet
article était libellé comme suit [S.R.C. 1970, chap.
T-10]:
52. (1) Lorsqu'il est démontré à une cour compétente
qu'une marque de commerce enregistrée ou un nom commer
cial a été appliqué à des marchandises importées au Canada ou
qui sont sur le point d'être distribuées au Canada de telle façon
que la distribution de ces marchandises serait contraire à la
présente loi, ou qu'une indication de lieu d'origine a été illégale-
ment appliquée à des marchandises, la cour peut rendre une
ordonnance décrétant la garde provisoire des marchandises, en
attendant un prononcé final sur la légalité de leur importation
ou distribution, dans une action intentée dans le délai prescrit
par l'ordonnance.
(2) Avant que soit rendue une ordonnance sous le régime du
paragraphe (1), le demandeur ou pétitionnaire doit être requis
de fournir une garantie, au montant que fixe la cour, destinée à
répondre de tous dommages que le propriétaire ou consigna-
taire des marchandises peut subir en raison de l'ordonnance, et
couvrant tout montant susceptible de devenir imputable aux
marchandises pendant qu'elles demeurent sous garde selon
l'ordonnance.
(3) Lorsque, aux termes du jugement dans toute semblable
action déterminant de façon définitive la légalité de l'importa-
tion ou de la distribution des marchandises, l'importation ou
distribution en est interdite soit absolument, soit de façon
conditionnelle, un privilège couvrant des charges contre ces
marchandises ayant pris naissance avant la date d'une ordon-
nance rendue sous le régime du présent article n'a d'effet que
dans la mesure compatible avec la fidèle exécution du
jugement.
(4) Lorsque, au cours d'une pareille action, la cour trouve
que cette importation est contraire à la présente loi, ou que
cette distribution serait contraire à la présente loi, elle peut
rendre une ordonnance prohibant l'importation future de mar-
chandises auxquelles a été appliqué cette marque de commerce,
ce nom commercial ou cette indication de lieu d'origine.
(5) Une ordonnance prévue au paragraphe (1) peut être
rendue à la demande de toute personne intéressée soit dans une
action ou autrement, et soit sur avis ou ex parte.
Les dispositions pertinentes du Tarif des doua-
nes se trouvent à l'article 114 et à l'annexe VII
(autrefois l'article 37 et l'annexe IV), qui interdi-
sent, sous le code 9967, l'importation de produits
«dont l'importation a été interdite par un décret
pris en vertu de l'article 52 de la Loi sur les
marques de commerce». En voici le libellé:
MARCHANDISES PROHIBÉES
114. L'importation au Canada des marchandises dénommées
ou visées à l'annexe VII est prohibée.
ANNEXE VII (fin)
Code Marchandises prohibées
9967 Tout produit au sujet duquel une désignation est utilisée
qui est fausse sous un rapport important quant à son
origine géographique ou dont l'importation a été
interdite par un décret pris en vertu de l'article 52 de
la Loi sur les marques de commerce.
L'ordonnance du 13 juillet 1987 a été rendue
sous le régime de l'article 52 de la Loi sur les
marques de commerce et du Tarif des douanes,
article 37, annexe IV (maintenant l'article 114,
l'annexe VII); elle prohibe l'importation de certai-
nes marchandises. Par conséquent, l'ordonnance
doit avoir été rendue sous le régime du paragraphe
52(4) de la Loi sur les marques de commerce.
En effet, l'article 52 de la Loi sur les marques
de commerce habilite une Cour compétente à
rendre deux sortes d'ordonnances: une ordonnance
décrétant la garde provisoire des marchandises, en
vertu du paragraphe (1), ou une ordonnance prohi-
bant l'importation future des marchandises, en
vertu du paragraphe (4). En l'espèce, l'ordonnance
ne peut avoir été rendue en vertu du paragraphe
52(1) puisque celui-ci vise exclusivement les mar-
chandises qui ont été importées au Canada ou qui
se trouvent déjà au Canada. De plus, il n'est fait
aucune mention de «la garde provisoire des mar-
chandises» dans l'ordonnance, et celle-ci ne com-
prend aucune disposition obligeant la demande-
resse à fournir une garantie destinée à répondre de
tous dommages que le «consignataire des marchan-
dises peut subir en raison de l'ordonnance, et
couvrant tout montant susceptible de devenir
imputable aux marchandises pendant qu'elles
demeurent sous garde selon l'ordonnance» comme
le prescrit le paragraphe 52(2).
Avant que la Cour puisse rendre une ordon-
nance prohibant l'importation future sous le
régime du paragraphe 52(4), une action visant à
déterminer la légalité de l'importation ou de la
distribution des marchandises doit avoir été inten-
tée, et la Cour doit avoir conclu que l'importation
est contraire à la Loi sur les marques de com
merce ou que la distribution y serait contraire. En
l'espèce, les demanderesses ont intenté une action
de cette nature; toutefois, la Cour ne semble pas
encore avoir exprimé une telle conclusion à l'égard
de l'action des demanderesses. À mon avis, pour
qu'une ordonnance sous le régime du paragraphe
52(4) soit valide et qu'elle ait effet à l'égard de
tout le monde, il faut que la conclusion antérieure
arrêtée par la Cour soit un prononcé final sur la
question en cause et qu'elle soit énoncée explicite-
ment. Il ne suffit pas en cette matière qu'elle soit
implicite.
J'estime que ce point de vue correspond à celui
qu'avait exprimé le président Jackett dans l'affaire
Adidas Sportschuhfabriken Adi Dassler K. G. et
al. v. Kinney Shoes of Canada Ltd.; E'Mar
Imports Ltd., Third Party (1971), 19 D.L.R. (3d)
680 (C. de l'É.). Dans cette décision, en traitant de
l'article de la Loi sur les marques de commerce
qui se compare à l'article 52 pertinent, le président
Jackett a d'abord formulé l'observation suivante, à
la page 688:
([TRADUCTION] Sous réserve du pouvoir exprès prévu au par.
51(5) de rendre une ordonnance ex parte décrétant la garde
provisoire en vertu du par. 51(1), j'aurais supposé qu'aucun des
redressements autorisés par ces dispositions ne pouvait être
accordé si ce n'est à l'encontre d'une personne partie à l'action
où l'on demandait le redressement et qui, à ce titre, connaissait
les arguments soumis à la Cour à l'appui de la requête pour
jugement déposée contre elle. Selon moi, il n'y a pas lieu de
trancher en ce moment la question de savoir si les art. 51 et 52
sont ainsi limités, mais l'existence de cette question permet
d'apprécier la position de la demanderesse sur ce point et en
particulier sur l'effet que cherchent à obtenir les demanderesses
d'une ordonnance qui, selon les renseignements qu'elles ont
donnés aux autorités de la douane, aurait été rendue sous le
régime du par. 51(4).)
Puis, aux pages 690 et 691, le président de la
Cour de l'Échiquier du Canada a déclaré ce qui
suit:
[TRADUCTION] À mon avis, aucun tribunal n'accorderait une
demande de jugement fondée sur le consentement d'une per-
sonne et devant avoir effet à l'égard de tout le monde sans être
persuadé qu'il avait la compétence spéciale et le devoir d'accor-
der un tel jugement; dans ce cas peu probable, la situation
serait expliquée en détail sur le jugement. Pour employer les
termes de lord Macnaghten, il est «décemment» difficile d'attri-
buer à la Cour toute autre façon de traiter une demande aussi
spéciale.
Donc, en ce qui concerne cette affaire, je suis convaincu que
si, lorsque les parties ont présenté la demande de jugement par
consentement, on m'avait demandé de rendre une ordonnance
sous le régime de l'art. 51(4), valable à l'égard de tout le
monde, j'aurais signalé que le requérant devait me convaincre
que la Cour avait, en vertu de l'art. 51(4), le pouvoir d'émettre
une ordonnance contre toute personne qui n'avait pas été
adjointe à l'instance et qui, par conséquent, n'avait pas eu
l'occasion de se défendre. Une fois au moins, auparavant, cette
demande m'a été faite et ce fut ma réaction immédiate. De
plus, si on avait donné suite à l'affaire, j'aurais sans aucun
doute exigé qu'on me démontre,
a) que l'action correspondait aux termes «pareille action» de
l'art. 51(4), et
b) qu'était remplie la condition préalable à toute ordonnance
rendue en vertu de l'art. 51(4) voulant que la Cour ait trouvé
«que cette importation est contraire à la présente loi, ou que
cette distribution serait contraire à la présente loi».
Dans une autre affaire, Montres Rolex S.A. c.
M.R.N., [1988] 2 C.F. 39 (i re inst.), mon collègue
le juge McNair, en traitant du paragraphe 52(4),
a manifesté son accord avec l'opinion exprimée par
le président Jackett dans la décision Adidas préci-
tée, et a en outre précisé de quelle façon la Cour
doit rendre une telle décision finale. Il a déclaré ce
qui suit, à la page 49:
Je suis pleinement d'accord avec l'opinion exprimée par le
président de la Cour de l'Échiquier dans l'affaire Adidas et
selon laquelle c'est une condition essentielle préalable à toute
ordonnance laissée à l'appréciation de la Cour et visée au
paragraphe 52(4) que la Cour trouve que l'importation et la
distribution des marchandises incriminées étaient contraires à
la Loi sur les marques de commerce. Il doit y avoir un
prononcé final sur la légalité de l'objet de la plainte avant que
puisse être rendue une ordonnance sous le régime du paragra-
phe 52(4). À mon avis, je suis obligé dans les circonstances
présentes d'aller un peu plus loin que dans l'affaire Adidas et
de déterminer de quelle façon la Cour doit rendre une telle
décision finale.
Il y a en outre déclaré ce qui suit, à la page 53:
Par conséquent, je suis d'avis que le sens normal des mots
utilisés à l'article 52 de la Loi sur les marques de commerce
dans le contexte de son régime législatif indique clairement
qu'on doit avoir déterminé de façon définitive la légalité de
l'importation et de la distribution des marchandises incriminées
avant de pouvoir rendre une ordonnance sous le régime du
paragraphe 52(4) prohibant leur importation future. A mon
avis, une telle décision ne peut que porter sur le fond du litige.
J'en conclus donc que ni le jugement par consentement ni le
jugement obtenu pour défaut de plaider ne peuvent donner lieu
à une ordonnance sous le régime du paragraphe 52(4).
Une telle interprétation semble mieux corres-
pondre au libellé de la version anglaise du paragra-
phe 52(4), qui mentionne l'expression «in such
action», qu'au libellé de la version française qui
porte «au cours d'une pareille action». Toutefois,
dans le contexte global de l'article, j'estime que
c'est le libellé de la version anglaise qui reflète le
mieux l'intention du législateur.
Malheureusement pour les demanderesses, il
peut être extrêmement difficile pour elles, dans
l'action qu'elles ont intentée contre des défendeurs
inconnus, d'obtenir le redressement précis prévu au
paragraphe 52(4). La Cour ne peut toutefois modi
fier la loi.
Puisque, dans l'action des demanderesses, la
Cour n'a rendu aucune décision portant que l'im-
portation des marchandises en cause est contraire
à la Loi sur les marques de commerce, ou que la
distribution de ces marchandises y serait contraire,
il me faut conclure que les demanderesses n'ont
pas réussi à remplir une condition préalable essen-
tielle à l'obtention d'une ordonnance sous le
régime du paragraphe 52(4) de la Loi sur les
marques de commerce.
Par conséquent, l'ordonnance ex parte rendue
dans cette affaire par le juge Teitelbaum (qui
n'avait devant lui que les représentations d'une
partie) le 13 juillet 1987 doit être annulée. Compte
tenu du long délai entre la date de l'ordonnance en
cause et le dépôt de l'avis de la présente requête, il
n'y aura aucune adjudication des dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.