T-1723-89
Procureur général du Canada (requérant)
c.
Commission des relations de travail dans la fonc-
tion publique (intimée)
et
Alliance de la Fonction publique du Canada
(mise-en-cause)
RÉPERTORIE: CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL) c. COMMIS
SION DES RELATIONS DE TRAVAIL DANS LA FONCTION PUBLI-
QUE (I re INST.)
Section de première instance, juge Teitelbaum—
Ottawa, 7 septembre et 20 octobre 1989.
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Prohibition
— La décision préliminaire de la Commission des relations de
travail dans la fonction publique sur sa compétence d'être
saisie d'un renvoi déposé en vertu de l'art. 99 de la Loi sur les
relations de travail dans la Fonction publique n'est pas sus
ceptible de révision par la Section de première instance en
vertu de l'art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale — La
Commission a la compétence légale de rendre une décision
préliminaire en matière de compétence en vertu de l'art. 87 du
Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P. — La
décision est finale car elle crée des droits prévus par la loi —
Susceptible de révision en vertu de l'art. 28(1) de la Loi sur la
Cour fédérale — Selon l'art. 28(3), la Section de première
instance ne peut connaître des demandes de révision qui res-
sortissent à la Cour d'appel en vertu de l'art. 28.
Compétence de la Cour fédérale — Section de première
instance — Demande de bref de prohibition pour empêcher que
se poursuive l'audition d'un renvoi devant la Commission des
relations de travail dans la fonction publique après que la
Commission ait rendu une décision préliminaire en matière de
compétence — La Commission est légalement autorisée à
rendre une telle décision en vertu du Règlement et règles de
procédure de la C.R.T.F.P. — La décision est finale en ce sens
qu'elle a des effets juridiques — Elle est susceptible de la
révision prévue à l'art. 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale —
L'art. 28(3) écarte la compétence de la Section de première
instance.
Fonction publique — Compétence — La Commission des
relations de travail dans la fonction publique est habilitée par
l'art. 87 du Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P.
à décider de façon préliminaire si l'affaire dont elle est saisie
peut faire l'objet d'un renvoi en vertu de l'art. 99 de la LRTFP
— La décision de la Commission est finale en ce sens qu'elle
crée des droits et des obligations prévus par la loi — C'est la
Cour d'appel fédérale et non la Section de première instance
qui a compétence pour procéder à la révision judiciaire.
Il s'agit d'une requête visant la délivrance d'un bref de
prohibition pour interdire à la Commission des relations de
travail dans la fonction publique de poursuivre son examen du
renvoi déposé par l'Alliance de la Fonction publique du Canada
en vertu de l'article 99 de la Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique. Revenu Canada, Douanes et Accise,
avait annoncé que certaines fonctions seraient confiées au
secteur privé en application de son Plan de réduction des
années-personnes et des coûts. Le syndicat a déposé un renvoi,
alléguant que Revenu Canada avait violé la convention collec
tive et la Politique de réaménagement des effectifs. La Com
mission a conclu de façon préliminaire qu'elle était habilitée à
être saisie du renvoi et elle a informé les parties qu'elle enten-
dait procéder à son audition. Le procureur général a soutenu
que la Commission n'avait pas la compétence nécessaire pour
entendre le renvoi. Les questions litigieuses consistaient à savoir
(I) si l'espèce se prête à la délivrance d'un bref de prohibition
en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale et (2),
dans l'affirmative, si cette réparation devrait être accordée.
Jugement: la demande devrait être rejetée.
L'espèce ne se prête pas à la délivrance d'un bref de prohibi
tion. L'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale accorde à la
Section de première instance la compétence exclusive pour
décerner un bref de prohibition contre atout office fédéral».
Selon l'article 28, la Cour d'appel est compétente pour les
demandes de révision et d'annulation de certaines décisions
rendues par un office fédéral. Le paragraphe 28(3) prévoit que
la Section de première instance ne peut connaître des demandes
de révision des décisions d'un office qui, aux termes de l'article
28, ressortissent à la Cour d'appel. La question est de savoir si
la décision contestée est une «décision ou ordonnance» au sens
du paragraphe 28(1). La décision de la Cour d'appel fédérale
dans l'affaire Danmor Shoe—une décision faisant autorité sur
le sens de l'expression «décision ou ordonnance» à l'article 28—
écarte la demande de bref de prohibition fondée sur l'article 18
qui s'attaque à une ordonnance ou décision interlocutoire d'un
tribunal, sauf si l'office concerné est expressément habilité à
rendre une telle décision. Une fois qu'un office a rendu une
décision relevant de sa «compétence», cette décision a un effet
juridique et l'office a épuisé ses pouvoirs à l'égard de cette
affaire. Une telle décision est susceptible de révision en vertu de
l'article 28. Cependant, lorsqu'un office prend position sur la
nature des pouvoirs qu'il a l'intention d'utiliser, cette «décision»
n'a aucun effet juridique—il n'y a pas eu décision en droit.
Cette dernière décision n'est susceptible d'annulation ni en
vertu de l'article 28, ni en vertu de l'article 18. L'article 87 du
Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P. confère à
cette dernière la compétence nécessaire pour décider de façon
interlocutoire ou préliminaire si la question pouvait donner lieu
régulièrement à un renvoi en vertu de l'article 99. La décision
de la Commission était finale en ce sens qu'elle créait des droits
et des obligations prévus par la loi. 11 y avait donc lieu à
révision en vertu de l'article 28, ce qui écartait la révision
fondée sur l'article 18.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7. art.
2, 18, 28, 29.
Loi sur les relations de travail dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), chap. P-35, art. 91, 99, 100(3)c).
Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P.,
C.R.C., chap. 1353, art. 87.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Ministre du Revenu national c. Coopers and Lybrand,
[1979] 1 R.C.S. 495; (1978), 92 D.L.R. I; 78 DTC 6258;
[1978] C.T.C. 829; La Loi antidumping (In re) et in re
Danmor Shoe Co. Ltd., [1974] I C.F. 22; (1974), 1 N.R.
422 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Procureur général du Canada c. Lachapelle, [1979] I
C.F. 377; (1978), 91 D.L.R. (3d) 674 (I" inst.); confir-
mée sub nom. Baril c. Procureur général du Canada,
[1980] 1 C.F. 55; (1979), 106 D.L.R. (3d) 79; 36 N.R.
587 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale
963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick,
[1979] 2 R.C.S. 227; (1979), 25 N.B.R. (2d) 237; 97
D.L.R. (3d) 417; 26 N.R. 341; 51 A.P.R. 237; 79 CLLC
14,209; Syndicat des employés de production du Québec
et de l'Acadie c. Conseil canadien des relations du
travail et autres, [1984] 2 R.C.S. 412; (1984), 14 D.L.R.
(4th) 457; 55 N.R. 321; 14 Admin. L.R. 72; 84 CLLC
14,069.
DÉCISIONS CITÉES:
Association professionnelle des agents du Service exté-
rieur et Conseil du Trésor, 169-2-7, Edward B. Jolliffe,
c.r., arbitre en chef, décision en date du 14 décembre
1970; Association canadienne des professionnels de l'ex-
ploitation radio et Conseil du Trésor (1988), 14 Déci-
sions de la CRTFP 72.
DOCTRIN E
Finkelman, Jacob et Goldenberg, Shirley B. Collective
Bargaining in the Public Service—The Federal Expe
rience in Canada, vol. 2, Montréal: L'Institut de
recherches politiques, 1983.
Sgayias, David et al., Federal Court Practice 1988
Toronto: Carswell Company Limited, 1987.
AVOCATS:
Harvey Newman et Mylène Bouzigon pour le
requérant.
John E. McCormick pour l'intimée.
Dianne Nicholas pour la mise-en-cause.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour le
requérant.
Commission des relations de travail dans la
fonction publique pour l'intimée.
Soloway, Wright, Ottawa, pour la mise-en-
cause.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE TEITELBAUM: Le requérant, le procu-
reur général du Canada, demande un bref de
prohibition interdisant à l'intimée, la Commission
des relations de travail dans la fonction publique
(cRTFP) de poursuivre son examen du renvoi qu'a
déposé la mise-en-cause, l'Alliance de la Fonction
publique du Canada (AFPc)), en vertu de l'article
99 de la Loi sur les relations de travail dans la
fonction publique, L.R.C. (1985), chap. P-35
(LRTFP) (Dossier N° 169-2-473 de la CRTFP).
Les motifs de la requête, cités par le requérant,
sont les suivants:
[TRADUCTION] ... l'intimée ne possède pas la compétence
nécessaire pour être saisie du renvoi en vertu de l'article 99 de
la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique,
puisque ce dont on se plaint ne peut faire l'objet d'un renvoi.
Me Francine Roach, avocate du cabinet juridi-
que Soloway, Wright, a exposé comme suit dans
son affidavit du 1e' septembre 1989 les faits à
l'origine de la présente demande:
[TRADUCTION] 2. Le 2 décembre 1985, le sous-ministre
adjoint de Revenu Canada, Douanes et Accise, M. M.A.
Gallup a adressé une note de service aux fonctionnaires de son
ministère les avisant qu'une partie du Plan de réduction des
années-personnes et des coûts du ministère comportait le projet
de saisie des données qui entraînerait une économie d'années-
personnes s'élevant à 260 000 $ dans la Direction des opérations
extérieures. 11 a indiqué que l'un des aspects primordiaux de
cette initiative résidait dans l'affermage de la saisie des données
parmi le secteur privé. Les contrats à conclure avec les organis-
mes du secteur privé devaient exiger la conclusion d'ententes
satisfaisantes visant le placement d'opérateurs(trices) de la
saisie des données au sein des organismes contractants. Par
conséquent, des efforts ont été déployés dans le cadre de cette
initiative en vue de placer dans le secteur privé par opposition
au secteur public des opérateurs(trices) de la saisie des données
auparavant au service du fédéral.
3. Les représentants de l'Alliance de la fonction publique du
Canada ont reçu d'autres renseignements sur ce Projet de saisie
des données. Celui-ci exigeait l'affermage de 228 années-per-
sonnes entre le 5 janvier et le 1" juillet 1987. Cette initiative
avait pour effet de transférer au secteur privé une partie de la
charge de travail car on estimait que le coût de l'affermage de
la charge de travail de 228 opérateurs(trices) de la saisie des
données était inférieur au coût équivalent de leurs traitements.
5. L'Alliance de la Fonction publique du Canada a déposé un
renvoi en vertu de l'article 98 de la Loi sur les relations de
travail dans la fonction publique (aujourd'hui l'article 99),
alléguant que l'intimée avait agi en violation de la convention
collective et des dispositions de la Politique de réaménagement
des effectifs en décidant l'affermage des services de saisie des
données, à la suite duquel des employés ont été touchés, décla-
rés excédentaires ou mis en disponibilité.
L'agent négociateur des employés de l'unité des
opérations d'enregistrement des données du minis-
tère est l'Alliance de la Fonction publique du
Canada. Cette dernière a fait le renvoi susmen-
tionné en vertu des articles 5.1.2 et 6.2d) de la
Politique de réaménagement des effectifs.
Le 14 avril 1989, la CRTFP a tenu une audience
et Maurice Cantin, c.r., vice-président de la
CRTFP, a statué que la Commission était compé-
tente à juger le renvoi fondé sur l'article 99 de la
LRTFP (Onglet 2e) du dossier du requérant). Cette
décision a dû être faite en raison d'une objection
préliminaire à la compétence de la Commission
soulevée par l'employeur, le Conseil du Trésor.
Suite à la décision par laquelle M. Cantin recon-
naissait à la CRTFP la compétence nécessaire pour
être saisie du renvoi fondé sur l'article 99, une
lettre en date du 20 juillet 1989 a été adressée à
l'avocat du Conseil du Trésor et à l'avocat de
l'AFPC, les avisant que l'audience concernant le
renvoi fondé sur l'article 99 de la LRTFP allait se
poursuivre (Onglet 2f), dossier du requérant).
Comme la CRTFP entend poursuivre l'audience,
le requérant présente cette requête concluant à la
délivrance d'un bref de prohibition.
La question en litige
La question à régler a été exposée de façon
satisfaisante par l'avocat du requérant:
[TRADUCTION] On avance que cette requête soulève deux
questions générales ... La première ... est celle de savoir si
l'espèce se prête à la délivrance d'un bref de prohibition en
vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale et, dans
l'affirmative, y a-t-il lieu de décerner un tel bref? [Trans-
cription, page 4, lignes 2 à 7.]
Bien que l'intimée, la CRTFP, ait été représentée
par son avocat à l'audience devant moi, ce dernier
n'a fait aucune observation.
Les arguments du requérant
Le requérant affirme que la Commission ne
possède pas la compétence nécessaire pour être
saisie du renvoi fondé sur l'article 99 de la LRTFP
et que par conséquent, il devrait être ordonné à la
CRTFP de ne pas procéder plus avant à l'égard du
renvoi. Le paragraphe 99(1) de la LRTFP dit ce qui
suit (les paragraphes 99(2) et 99(3) ne sont pas
pertinents):
99. (1) L'employeur et l'agent négociateur qui ont signé une
convention collective ou sont liés par une décision arbitrale
peuvent, dans les cas où l'un ou l'autre cherche à faire exécuter
une obligation qui, selon lui, découlerait de cette convention ou
décision, renvoyer l'affaire à la Commission, dans les formes
réglementaires, sauf s'il s'agit d'une obligation dont l'exécution
peut faire l'objet d'un grief de la part d'un fonctionnaire de
l'unité de négociation visée par la convention ou la décision.
Le requérant, lorsqu'il s'agit de savoir s'il con-
vient de décerner un bref de prohibition enjoignant
à la CRTFP de ne pas donner suite à une demande
après que la Commission ait rendu une décision
préliminaire concluant à sa compétence en la
matière, fonde tout son argument sur les motifs du
juge Marceau dans l'arrêt Le procureur général du
Canada c. Lachapelle, [1979] 1 C.F. 377; (1978),
91 D.L.R. (3d) 674 (ire inst.) et sur la décision que
la Cour d'appel fédérale a rendue dans cette
affaire publiée [sub nom. Baril c. Procureur géné-
ral du Canada] dans [1980] 1 C.F. 55; (1979),
106 D.L.R. (3d) 79; 36 N.R. 587. Le requérant
soutient que l'espèce est très semblable à l'affaire
dont le juge Marceau était saisi et dans laquelle il
a décerné un bref de prohibition bien qu'il pourrait
y avoir révision de la décision finale de l'arbitre en
vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale
[L.R.C. (1985), chap. F-7]. Voici les motifs que
donne le juge Marceau, à la page 379:
On verra cependant que les faits mis en cause sont simples et
non contestés, que les données du problème de compétence à
résoudre sont d'ores et déjà clairement établies, que la prise de
position de l'arbitre-intimé peut avoir dès maintenant un
impact certain sur les relations des parties et qu'une clarifica
tion immédiate de la situation est d'un intérêt évident.
Quant à la seconde question, qui consiste à
savoir s'il y a lieu de décerner un bref de prohibi
tion en raison d'une absence de compétence, le
requérant soutient que l'arbitre, M. Cantin, a
commis une erreur de droit en concluant que vu
l'intérêt évident de 1'AFPC dans l'exécution des
obligations qui seraient prévues aux paragraphes
5.1.2 et 6.2d) de la Politique de réaménagement
des effectifs, l'AFPC avait par conséquent le droit
de faire une demande fondée sur l'article 99 de la
LRTFP. Le requérant s'appuie sur l'opinion expri-
mée par Jacob Finkelman dans Collective Bargai
ning in the Public Service, Volume 2, L'Institut de
recherches politiques, aux pages 563 et 564 pour
affirmer qu'un bref de prohibition devrait être
décerné en raison de l'absence de compétence. Le
requérant s'appuie aussi sur la décision dans l'af-
faire Association professionnelle des agents du
Service extérieur et Conseil du Trésor, dossier
169-2-7, jugée par Edward B. Joliffe, c.r., arbitre
en chef, le 14 décembre 1970, et sur une décision
plus récente de M. J. Galipeault, membre de la
CRTFP, en date du 30 mai 1988, rendue dans
l'affaire Association canadienne des professionnels
de l'exploitation radio et Conseil du Trésor
(1988), 14 Décisions de la CRTFP 72.
Les arguments de la mise-en-cause
La mise-en-cause avance quatre arguments, que
voici:
a) La présente demande de bref de prohibition constitue une
nouvelle audition de la décision de l'arbitre;
b) La décision de l'arbitre portait sur une question de fait ou
une question mixte de droit et de fait que la Cour ne peut
par conséquent pas réviser;
c) La décision de la Commission relève de sa compétence;
d) Toute allégation visant l'absence de compétence est préma-
turée, et la réparation afférente à cette allégation se trouve
non pas à l'article 18 mais à l'article 28 de la Loi sur la
Cour fédérale après la décision de l'arbitre sur le fond.
Les arguments de la mise-en-cause, l'AFPC, se
fondent sur la jurisprudence récente qui a suivi
l'arrêt Syndicat canadien de la Fonction publique,
section local 963 c. Société des alcools du Nou-
veau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227; (1979), 25
N.B.R. (2d) 237; 97 D.L.R. (3d) 417; 26 N.R.
341; 51 A.P.R. 237; 79 CLLC 14,209 (scFP), qui
recommande une plus grande considération judi-
ciaire envers l'expertise des tribunaux administra-
tifs que celle qui a été démontrée dans les arrêts
sur lesquels s'est appuyé le requérant.
En réponse, le requérant fait valoir que la ten-
dance à une plus grande considération judiciaire a
commencé avec l'arrêt SCFP et qu'elle a pris fin à
la suite de la décision rendue en 1984 par la Cour
suprême dans l'affaire Syndicat des employés de
production du Québec et de l'Acadie c. Conseil
canadien des relations du travail et autres, [ 1984]
2 R.C.S. 412; (1984), 14 D.L.R. (4th) 457; 55
N.R. 321; 14 Admin. L.R. 72; 84 CLLC 14,069,
décision qui rétablissait la distinction tradition-
nelle entre l'excès de compétence et les erreurs non
juridictionnelles.
J'estime qu'en dépit des décisions rendues en
1978 et en 1979 dans l'affaire Baril (précitée), il
n'y a pas lieu en l'espèce de décerner un bref de
prohibition conformément à l'article 18 de la Loi
sur la Cour fédérale. Les faits en cause dans la
décision du juge Marceau et dans celle de la Cour
d'appel fédérale dans l'affaire Baril peuvent se
distinguer de ceux en l'espèce parce que l'avocat
de l'intimé, dans l'affaire Baril, a reconnu que
l'affaire se prêtait à la délivrance d'un bref de
prohibition, contrairement à ce qui est le cas en
l'espèce, l'AFPc soutenant l'argument opposé.
Les articles de la Loi sur la Cour fédérale
permettant de déterminer s'il y a lieu de décerner
un bref de prohibition conformément à l'article 18
sont les articles 2, 28, 29 et 18 (Sgayias Kinnear,
Rennie et Saunders, Federal Court Practice 1988,
Carswell 1987). Sgayias et autres font remarquer,
à la page 82, que lorsque l'on cherche à obtenir
une révision judiciaire en vertu de l'article 18, il
faut considérer les points suivants:
[TRADUCTION] 1. Cherche-t-on à obtenir révision d'une déci-
sion d'un «office fédéral»? Cette expression est définie à l'article
2 de la Loi. Il est à noter que la définition n'inclut pas la
Couronne.
2. La révision est-elle écartée en raison de l'article 29 de la
Loi? Cet article écarte la révision judiciaire par la Section de
première instance en vertu de l'article 18 et par la Cour d'appel
en vertu de l'article 28 dans la mesure où la décision ou
l'ordonnance contestée est susceptible d'appel devant les orga-
nismes mentionnés à l'article 29.
3. La révision est-elle écartée par l'article 28 de la Loi? Le
paragraphe 28(3) dit que la Section de première instance ne
peut connaître des demandes de révision de décisions ou d'or-
donnances qui, aux termes de l'article 28, ressortissent à la
Cour d'appel. Cette exception apportée au pouvoir de contrôle
de la Section de première instance a suscité bien des contesta-
tions, et aussi bien la Section de première instance que la Cour
d'appel se sont efforcées de déterminer quelles sont les décisions
et les ordonnances donnant lieu à révision en vertu de
l'article 28.
La LRTFP ne confère aucun droit particulier
d'interjeter appel devant la Cour fédérale. Il
semble que rien dans la LRTFP ne laisse entendre
que la bonne façon d'obtenir une révision serait un
appel qui entraînerait l'application de l'article 29
de la Loi sur la Cour fédérale. Ainsi en l'espèce,
l'article 29 n'interdit pas la délivrance d'un bref de
prohibition en vertu de l'article 18 de la Loi sur la
Cour fédérale.
Il semblerait également que l'article 2 n'écarte
pas la délivrance d'un bref de prohibition en l'es-
pèce. L'article 18 permet la délivrance d'un tel
bref contre «tout office fédéral». La CRTFP est un
office au sens donné à ce mot à l'article 18 selon la
définition qu'en donne l'article 2, étant donné
qu'elle exerce une compétence et des pouvoirs
prévus par une loi fédérale. Ainsi, le seul obstacle
à l'application de l'article 18 est l'exception prévue
au paragraphe 28(3).
L'arrêt Ministre du Revenu national c. Coopers
and Lybrand, [1979] 1 R.C.S. 495; (1978), 92
D.L.R. 1; 78 DTC 6258; [1978] C.T.C. 829 est un
arrêt de principe sur la question de savoir si la
révision en vertu de l'article 18 est écartée par
l'article 28. Dans cet arrêt, le juge Dickson (au-
jourd'hui juge en chef) a établi un critère à quatre
volets qui régit l'application du paragraphe 28(1),
et qui écarte, s'il s'applique, la possibilité d'obtenir
la révision judiciaire prévue à l'article 18. Le juge
Dickson dit, aux pages 499 et 500 R.C.S.:
Le texte compliqué de l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale a
soulevé de nombreuses difficultés, comme en témoigne la juris
prudence, mais il semble clair que la Cour d'appel fédérale est
compétente en vertu de cet article si l'on peut répondre affirma-
tivement à chacune de ces quatre questions:
(1) Est-ce que l'objet de la contestation est une «décision ou
ordonnance» au sens pertinent?
(2) Si c'est le cas, tombe-t-elle à l'extérieur de la catégorie
exclue, c'est-à-dire s'agit-il d'une décision ou d'une ordon-
nance «autre qu'une décision ou ordonnance de nature
administrative qui n'est pas légalement soumises à un
processus judiciaire ou quasi judiciaire»?
(3) La décision ou ordonnance a-t-elle été rendue à l'occasion
de «procédures»?
(4) L'organisme, ou la personne, dont la décision ou ordon-
nance est contestée est-il un «office, commission ou autre
tribunal fédéral» au sens de l'art. 2 de la Loi sur la Cour
fédérale?
En l'espèce, la décision concernée est une déci-
sion soumise à un processus judiciaire ou quasi
judiciaire plutôt qu'une décision de nature admi
nistrative. La décision a été rendue à l'occasion de
«procédures», et l'organisme dont la décision est
contestée, la Commission intimée, est un «office
fédéral» au sens de l'alinéa 2g).
Il ne reste plus, pour satisfaire au critère énoncé
dans l'arrêt Coopers and Lybrand (précité), qu'à
démontrer que la décision contestée est une «déci-
sion ou ordonnance» au sens pertinent.
Une décision faisant autorité sur le sens de
l'expression «décision ou ordonnance» à l'article 28
est l'arrêt La Loi antidumping (In re) et in re
Danmor Shoe Co. Ltd., [1974] 1 C.F. 22; (1974),
1 N.R. 422 (C.A.), dont le juge Marceau a fait
mention dans l'arrêt Baril. Dans l'affaire Baril, le
requérant a reconnu qu'il n'y avait pas lieu à
révision en vertu de l'article 28 «puisque ... la
décision attaquée n'est qu'interlocutoire». Rien de
tel n'a été reconnu en l'espèce.
Les paragraphes 28(4) et (5) de la Loi sur la
Cour fédérale renforcent l'opinion que le paragra-
phe 28(3) écarte la demande de bref de prohibition
fondée sur l'article 18 qui s'attaque à une ordon-
nance ou décision interlocutoire d'un tribunal. La
simple lecture de la Loi permet de dégager ces
notions:
i) la Section de première instance ne peut connaître des
demandes de révision de décisions ou d'ordonnances qui ressor-
tissent à la Cour d'appel;
ii) l'office visé par le paragraphe 28(1) peut, à tout stade de ses
procédures, renvoyer devant la Cour d'appel pour audition et
jugement toute question de droit, de compétence ou de pratique
et de procédure; et
iii) la Cour d'appel statue à bref délai et selon une procédure
sommaire sur les demandes et les renvois qui lui sont faits dans
le cadre de l'alinéa ii).
Lorsque l'on interprète l'article 28 de façon
globale, il devient évident que de façon générale les
questions visées au paragraphe 28(4) ne devraient
être soumises aux offices que peu souvent et, lors-
que cela se révèle nécessaire, la Cour d'appel
statuera à bref délai et selon une procédure som-
maire. Cela vise évidemment à rendre le processus
d'application du droit administratif fédéral plus
rapide et plus accessible. Ce serait évidemment
alourdir ce processus que de suggérer qu'en plus de
la réparation prévue au paragraphe 28(4), une
objection à une décision interlocutoire ou prélimi-
naire faite par une partie insatisfaite comparais-
sant devant un office puisse servir de fondement à
la demande prévue à l'article 18.
Loin d'approuver la révision des décisions inter-
locutoires en application de l'article 18, l'arrêt
Danmor Shoe (précité) condamne énergiquement
une telle mesure. Cet arrêt écarte la révision
fondée sur l'article 18 des décisions ou ordonnan-
ces de nature préliminaire ou provisoire, (sauf dans
les cas où—et c'est là une importante exception—
l'office concerné est expressément habilité à rendre
une telle décision), mais il ne s'ensuit pas que la
révision de ces décisions peut par conséquent se
faire en vertu de l'article 18. Ce que le juge en chef
Jâckett a dit [à la page 29 C.F.] dans l'arrêt
Danmor Shoe (précité), c'est que ces décisions ne
sont pas réellement des décisions:
Il existe une différence manifeste entre une «décision» de la
Commission dont l'objet relève de sa «compétence et de ses
pouvoirs» et une déclaration de ladite Commission sur la nature
des pouvoirs qu'elle va exercer pour rendre une décision rele
vant de sa «compétence ou de ses pouvoirs». Une fois que la
Commission, dans une affaire donnée, a rendu une décision
relevant de sa «compétence ou de ses pouvoirs», cette décision a
un effet juridique et la Commission a épuisé ses pouvoirs à
l'égard de cette affaire. Cependant, lorsque la Commission
prend position sur la nature des pouvoirs qu'elle a l'intention
d'utiliser, cette «décision» n'a aucun effet juridique. Dans un tel
cas, il n'y a pas eu décision en droit ...
Je conclus donc que la déclaration de la Commission portant
qu'elle n'avait pas compétence pour examiner la validité des
«directives» n'a aucun effet juridique dans la mesure où elle a
été faite avant qu'il ne soit statué sur les appels des requérants,
et donc séparément de ceux-ci. Il s'ensuit que la déclaration
n'est pas une «décision» que cette Cour a le pouvoir d'annuler
en vertu de l'article 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale.
Il s'ensuivrait également que la Section de pre-
mière instance n'a nullement compétence pour
annuler une telle «décision» en vertu de l'article 18.
La question cruciale est alors la suivante: «La
Commission a-t-elle reçu de sa loi habilitante la
compétence particulière de rendre une décision
interlocutoire en matière de compétence comme
elle l'a fait?» Si tel est le cas, il pourra être
interjeté appel auprès de la Cour d'appel fédérale
en application du paragraphe 28(1). Sinon, la
Commission doit décider dans l'exercice de son
pouvoir discrétionnaire si elle doit renvoyer la
question devant la Cour d'appel fédérale en appli
cation du paragraphe 28(4) ou juger l'affaire au
fond et se débrouiller de son mieux avec la ques
tion juridictionnelle ou préliminaire dans le cadre
de sa décision finale, en s'exposant il va de soi à ce
que la Cour d'appel modifie plus tard ses conclu
sions à la suite d'une demande de révision en vertu
du paragraphe 28(1).
Un office ne devrait pas décider des questions de
compétence avant de statuer sur un renvoi, et par
conséquent de façon distincte de celui-ci, à moins
d'être expressément habilité à le faire. En l'ab-
sence de cette compétence légale, la décision de
nature préliminaire que peut rendre un office sur
de telles questions est sans effet, et en ne parve-
nant donc pas à rendre une décision susceptible de
révision en vertu de l'article 28, il ne la rend pas
pour autant susceptible d'être révisée en vertu de
l'article 18. Je suis convaincu qu'il ne peut y avoir
révision conformément à l'article 18 lorsqu'un
office fédéral rend une décision ou ordonnance
préliminaire ou provisoire, exception faite de celles
de nature administrative résultant d'un processus
n'ayant légalement aucun caractère judiciaire ou
quasi judiciaire. Il y aurait lieu à la révision fondée
sur l'article 18 l'égard des décisions de nature
administrative alors que la révision prévue à
l'article 28 s'appliquerait aux décisions préliminai-
res qu'un office est expressément habilité à rendre
et qui imposent des droits ou des obligations
prévus par la loi.
La question décisive en l'espèce consiste à savoir
si la Commission intimée était expressément habi-
litée à déterminer sa propre compétence. Les dis
positions pertinentes des mesures législatives qui
habilitent la Commission se trouvent à l'alinéa
100(3)c) de la LRTFP et à l'article 87 du Règle-
ment et règles de procédure de la C.R.T.F.P.
[C.R.C., chap. 1353]. Ces dispositions sont libel-
lées comme suit:
100.
(3) La Commission peut prendre des règlements régissant
l'arbitrage des griefs, notamment en ce qui concerne:
c) la procédure à suivre par les arbitres;
87. (1) Sous réserve du paragraphe (2), mais nonobstant
toute autre disposition du présent règlement, la Commission
peut rejeter un grief pour le motif qu'il ne s'agit pas d'un grief
susceptible d'être renvoyé à l'arbitrage.
(2) Avant de rejeter un grief conformément au paragraphe
(1), la Commission peut, afin de déterminer s'il s'agit d'un grief
susceptible d'être renvoyé à l'arbitrage,
a) inviter les parties à soumettre un exposé écrit dans le délai
et de la manière spécifiés par elle; ou
b) tenir une audience préliminaire.
(4) Un employé qui s'estime lésé peut, dans un délai de 25
jours de la signification qui lui a été faite d'une décision rendue
conformément au paragraphe (1), produire au greffier une
demande voulant que la Commission révise sa décision.
(5) Une demande de révision produite conformément au
paragraphe (4) doit contenir un sommaire des faits et des
motifs sur lesquels s'appuie l'employé qui s'estime lésé.
(6) Sur production d'une demande de révision, la Commis
sion peut
a) annuler sa décision et ordonner que le grief soit inscrit de
la manière indiquée dans les articles 79 86;
b) signifier un avis d'audition du motif d'audition du grief à
l'employé qui s'estime lésé et à toute autre personne que la
Commission estime pouvoir être atteinte par le grief; ou
c) confirmer sa décision rejetant le grief.
Les dispositions du règlement à l'article 87 s'ap-
pliquent à l'audition des griefs fondés sur l'article
91 de la Loi et aussi à l'audition des renvois prévus
à l'article 99. Le paragraphe 99(3) dit ce qui suit:
99....
(3) La Commission entend et juge l'affaire qui lui est ren-
voyée au titre du paragraphe (1) comme s'il s'agissait d'un
grief, et le paragraphe 96(2) ainsi que les articles 97 et 98
s'appliquent à l'audition et à la décision.
Les dispositions précitées de la Loi et de son
règlement d'application confèrent à la Commission
intimée la compétence nécessaire pour rendre des
décisions préliminaires. En d'autres termes, elle est
habilitée à décider de façon préliminaire si l'af-
faire dont elle est saisie peut faire l'objet d'un
renvoi en vertu de l'article 99.
Étant donné la compétence accordée à la CRTFP
par l'article 87 de son règlement (alinéa 87(2)b)),
je ne doute pas que cette affaire puisse faire l'objet
d'une révision fondée sur l'article 28 de la Loi sur
la Cour fédérale. Je crois que la décision de la
Commission est une décision finale en ce sens
qu'elle crée des droits et des obligations prévus par
la loi. J'estime qu'il n'y a pas ouverture, dans les
circonstances de l'espèce, à la révision fondée sur
l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale.
La demande est rejetée. Il n'y aura pas adjudi
cation de dépens.
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