T-1428-89
Fauja Singh Bains (requérant)
c.
Commission nationale des libérations condition-
nelles (intimée)
RÉPERTORIÉ: BAINS c. CANADA (COMMISSION NATIONALE
DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES) (1" INST.)
Section de première instance, juge Muldoon—
Ottawa, 18 juillet et 1°' août 1989.
Libération conditionnelle — La Commission a décidé d'ac-
corder au requérant une libération conditionnelle de jour, sous
réserve de conditions se rapportant à sa conduite après sa
libération — Avant qu'il n'ait été donné suite à la décision, le
juge de première instance, le procureur de la Couronne et le
procureur général ont communiqué d'autres observations rela-
tivement aux risques que la libération du requérant représen-
terait pour la société — Celui-ci aurait menacé de tirer sur le
juge une fois qu'il aurait été libéré — Le président de la
Commission a donné ordre au personnel de ne pas libérer le
requérant tant que la Commission n'aurait pas examiné les
nouveaux renseignements — Requête en vue d'obtenir des
brefs de certiorari, de mandamus et de prohibition — Bien que
la Loi sur la libération conditionnelle confere à la Commission
la compétence exclusive et la discrétion absolue d'accorder ou
de refuser une libération conditionnelle, elle doit agir de façon
juste et légitime — Le fait que l'employeur éventuel serait
associé avec un organisme sikh préconisant le recours à la
violence n'a aucun rapport avec le caractère, le tempérament
ou les possibilités de réhabilitation du requérant, sur quoi a
été fondée la décision d'accorder la libération conditionnelle —
Le statut de libéré conditionnel s'acquiert au moment où la
décision d'accorder la libération conditionnelle entre en
vigueur — La libération conditionnelle de jour du requérant
entrait en vigueur immédiatement, sous réserve des conditions
se rapportant à sa conduite après sa libération — Octroi d'un
bref de certiorari pour empêcher la Commission de se confor-
mer à la décision illégale de son président, et d'un bref de
mandamus enjoignant à la Commission de donner suite à la
décision.
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Requête en
vue d'obtenir des brefs de mandamus, de prohibition et de
certiorari afin que soit annulée la décision du président de la
Commission des libérations conditionnelles de ne pas accorder
de libération conditionnelle au requérant avant l'examen de
nouveaux renseignements, qu'il soit donné suite à la décision
de la Commission d'accorder au requérant une libération
conditionnelle de jour sous réserve de certaines conditions et
que la Commission ne puisse pas réviser cette dernière décision
— Bien qu'aucune disposition législative ne prévoie précisé-
ment que la Commission peut réexaminer ses propres déci-
sions, l'art. 13 de la Loi sur la libération conditionnelle lui
confère la compétence exclusive et la discrétion absolue d'ac-
corder ou de refuser une libération conditionnelle — Elle doit
agir de façon juste et légitime — Le président a tenu compte
de renseignements non pertinents quant à la prétendue adhé-
sion de l'employeur éventuel à un organisme sikh préconisant
le recours â la violence — En prétendant différer ou annuler
une décision valablement prise d'accorder une libération con-
ditionnelle de jour, la Commission a injustement outrepassé
ses pouvoirs — Requête accueillie.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la libération conditionnelle, L.R.C. (1985), chap.
P-2, art. 13 (mod. par L.R.C. (1985) (2' Supp.), chap.
35, art. 4).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Dumas c. Centre de détention Leclerc, [1986] 2 R.C.S.
459; 30 C.C.C. (3d) 129; Hay c. Commission des libéra-
tions conditionnelles, 13 Admin. L.R. 17; 21 C.C.C. (3d)
408; 18 C.R.R. 313 (1" inst.); Oag c. La Reine et autres,
[1983] 1 R.C.S. 658.
AVOCATS:
Elizabeth Thomas pour le requérant.
Brian R. Evernden pour l'intimée.
PROCUREURS:
Elizabeth Thomas, Ottawa, pour le requé-
rant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MULDOON: Le requérant est détenu à
l'Établissement Frontenac de Kingston (Ontario).
Il purge actuellement une peine de 18 ans d'empri-
sonnement à laquelle la Cour d'appel de l'Ontario
l'a condamné en remplacement d'une peine d'em-
prisonnement à perpétuité que lui avait infligée le
juge de première instance après qu'il eut été
reconnu coupable le 8 juin 1983 sous trois chefs
d'accusation de tentative de meurtre.
La condamnation du requérant par le juge
découlait de l'utilisation délibérée et criminelle
d'une arme à feu au cours d'une manifestation
publique organisée par des factions sikh rivales en
novembre 1982. Trois personnes, dont un agent de
police, furent gravement blessées par des projecti
les tirés par le requérant et un complice reconnu
également coupable. Le juge de première instance
et tous les juges de la Cour d'appel de l'Ontario
saisis de cette affaire ont estimé que les coupables
étaient déjà armés de pistolets à leur arrivée sur les
lieux de la manifestation.
Le requérant est devenu admissible à une libéra-
tion conditionnelle de jour le 7 juin 1987 et à une
libération conditionnelle totale le 7 juin 1989. Le
23 juin 1989, après audition des projets de rempla-
cement présentés par le requérant en vue de sa
libération et compte tenu du rapport positif d'éva-
luation communautaire rédigé par le Service cor-
rectionnel du Canada (ci-après appelé le SCC),
des commissaires de la Commission nationale des
libérations conditionnelles (ci-après appelée la
Commission) ont décidé d'accorder au requérant
une libération conditionnelle de jour dans un
centre de réadaptation de la région de Peterbo-
rough pour lui permettre d'occuper un emploi sous
la surveillance de son répondant, un certain Dars-
han Singh Saini (dit parfois «Saino»). La Commis
sion a en effet accepté le projet présenté par le
requérant.
Il faut insister ici, et cela deviendra plus tard
évident, sur le fait qu'il n'est nullement question
dans la présente instance d'une quelconque
demande de révision judiciaire relativement à la
décision de la Commission d'accorder au requérant
la libération conditionnelle de jour susmentionnée.
La décision de ce faire de la Commission doit,
dans le cadre de la présente instance, être considé-
rée comme ayant été et étant tout aussi fondée en
droit que le furent les condamnations initiales et
l'infliction ensuite par la Cour d'appel d'une peine
d'emprisonnement appropriée, car ces décisions
antérieures ne sont pas remises en question ici non
plus.
Il faut ordinairement d'un à plusieurs jours pour
donner suite à une décision par laquelle la Com
mission prononce la libération conditionnelle d'un
détenu. Les autorités policières et les autorités
correctionnelles doivent être informées de la libé-
ration prochaine du détenu, et il faut confirmer la
nature de l'emploi qu'il occupera à l'extérieur ainsi
que l'endroit concerné.
Pendant que les employés de la Commission
prenaient les mesures nécessaires afin de donner
suite à sa décision, d'autres observations furent
communiquées au président de la Commission et à
sa directrice régionale pour l'Ontario. Ces observa
tions émanaient du juge de première instance, du
procureur général et du sous-procureur général de
l'Ontario ainsi que du procureur de la Couronne.
Des copies de certaines seulement de ces lettres
sont annexées comme pièces justificatives à l'affi-
davit de Simonne Ferguson, directrice régionale de
la Commission pour l'Ontario. Dans sa lettre, qui
porte clairement la mention [TRADUCTION] «Privé
et confidentiel» mais est maintenant du domaine
public et dont une copie constitue la pièce A
annexée à l'affidavit de Mme Ferguson, le procu-
reur de la Couronne, après avoir cité les faits
horribles de l'infraction du requérant exposés par
la Cour d'appel de l'Ontario, poursuit ainsi:
[TRADUCTION] ... le présent procès s'est déroulé sous la plus
étroite surveillance jamais vue à Toronto, principalement en
raison des menaces proférées par Bains envers le témoin, le juge
et le ministère public. Après la condamnation mais avant le
prononcé de la peine, Bains aurait déclaré à un autre détenu
(que les policiers et moi-même avons interrogé par la suite) que
la peine infligée par le juge importait peu car il (Bains) serait
relâché un jour et pourrait tout simplement retourner au tribu
nal lorsqu'il n'y aurait pas de surveillance et abattre le juge.
Le procureur de la Couronne a qualifié d'«in-
croyablement malheureuse» la décision de la Com
mission d'accorder au requérant une libération
conditionnelle de jour. Le maire de Peterborough
et le directeur adjoint de la police de cette ville ont
également présenté des observations, dont copie est
annexée à l'affidavit de Mme Ferguson.
Une copie de la copie du document remis à la
Commission, intitulé «Rapport récapitulatif sur
l'évolution du cas—Évaluation et recommanda-
tion» et rédigé par le Service correctionnel du
Canada, Établissement Frontenac, le 24 mai 1989
est annexée à l'affidavit du requérant sous la cote
E. Bien que ce document soit clairement identifié
comme étant «confidentiel une fois rempli», il
appartient aussi maintenant au domaine public. Ce
rapport contient une formule imprimée et détaillée
sur la récidive qui, de la façon qu'elle est remplie,
indique que la cote du requérant de +10 —3, ou
+7 signifie que quatre contrevenants sur cinq ne
commettront pas d'autre acte criminel après leur
libération. Il s'agit d'une tentative, et peut-être la
meilleure possible, en vue d'imposer la science de
l'analyse statistique et d'énoncer ce qui, en der-
nière analyse, n'équivaudrait qu'à de la voyance.
Tel est, de l'avis d'un grand nombre de personnes,
le rôle malheureux de la Commission et cela
engendre naturellement la crainte que les détenus
auxquels elle accorde une libération conditionnelle
commettront tôt ou tard une faute, ce qui expose
les commissaires au jugement du public selon
lequel ils sont négligents ou incompétents. Nul
n'est besoin d'insister pour se rendre compte que la
Commission (dont la Commission de réforme du
droit du Canada recommandait l'abolition en tant
qu'organisme en 1976) continue d'exercer ses diffi-
ciles fonctions du mieux qu'elle peut et tout, pro-
bablement, du mieux que celles-ci peuvent l'être.
De toute façon, on peut noter que le complice du
requérant, Gurraj Singh Grewal, dont la peine
d'emprisonnement a été ramenée de quatorze à
neuf ans, s'est vu accorder une libération condi-
tionnelle totale à Kingston et semble vivre encore
paisiblement en liberté.
Une copie du rapport des observations des com-
missaires est annexée à l'affidavit du requérant
sous la cote. B. Les motifs des commissaires sont
formulés ainsi:
En vous accordant une libération conditionnelle de jour, nous
avons tenu compte des facteurs suivants—la gravité de l'infrac-
tion, l'amélioration de votre conduite à l'intérieur de l'établisse-
ment, votre casier judiciaire et les professionnels. Vous avez
montré par le passé que vous pouvez être un bon citoyen
productif. Nous croyons que l'infraction pourrait être due à la
conjoncture, et le psychiatre laisse entendre la même chose.
Vous avez été sous surveillance minimum durant neuf mois, et
tous les rapports à cet égard ont été favorables. Il vous a été
permis de sortir pendant votre séjour à Joyceville. Vous avez
respecté quarante-deux permissions de sortir sous surveillance.
Vous avez montré dans le passé que vous regrettiez les actes
posés ainsi que le tort que vous avez causé aux victimes et à
leurs familles. Vous avez admis votre entière responsabilité à
l'égard de vos actes. Vous avez fait un bon emploi de votre
temps passé en institution. Vous n'avez aucun problème de
toxicomanie. Vous avez gagné l'appui de l'équipe de gestion des
cas et du directeur de l'établissement. Aujourd'hui à l'audience,
un ancien membre [y nommé] de l'équipe de gestion des cas a
comparu en votre faveur. Les policiers considèrent qu'une
libération conditionnelle de jour serait dans le meilleur intérêt
de la société. A l'époque de la détermination de la peine, le juge
estimait que, dans votre cas, les perspectives de réhabilitation
étaient bonnes. La société vous manifeste un excellent appui, et
vous avez une épouse et des enfants, ainsi qu'un emploi con
firmé. Nous croyons qu'il est possible d'assumer les risques que
représente dans votre cas une libération conditionnelle de jour.
Que les membres de la Commission aient été ou
non au courant des menaces de meurtre proférées
par le requérant envers le juge de première ins
tance avant la détermination de la peine en 1983
selon les termes mêmes rapportés par le procureur
de la Couronne, ils ont néanmoins imposé avec
prudence les conditions spéciales suivantes à la
libération conditionnelle de jour:
1. Vous ne devez entrer en contact en aucune façon, directe-
ment ou indirectement, avec un employé du tribunal ou autre
fonctionnaire du gouvernement ayant participé aux poursuites
criminelles qui ont mené à votre condamnation et à votre peine
actuelles.
2. Vous ne devez pas entrer ou essayer de quelque façon
d'entrer en contact avec «Gurraj Singh Grewal», votre coaccusé.
3. Vous ne devez pas quitter le comté de Peterborough sans
l'autorisation de la Commission.
Ces conditions vous sont imposées afin de vous donner toutes
les chances possibles de vous réhabiliter et de vous réinsérer
dans la société. Selon moi, vous avez pris une bonne décision en
choisissant de vous établir dans une autre région.
Le président de la Commission a produit son
affidavit dans la présente instance afin d'exposer
sa position sur la question. Le paragraphe 6 de cet
affidavit résume ainsi cette position:
6. À mon avis, la Commission a toujours l'obligation de réexa-
miner le statut des personnes sous sa juridiction afin qu'il soit
tenu compte de tout risque qu'elles peuvent poser à la société à
la lumière des meilleurs et des plus récents renseignements
disponibles. Vu les observations faites par de hauts représen-
tants de la Couronne, y compris le procureur général de
l'Ontario—dont les observations sont loin d'être habituelles—
j'en suis venu à la conclusion qu'il fallait pour la protection de
la société et la réhabilitation du requérant que la Commission
prenne connaissance et tienne compte de renseignements dont
elle ne disposait peut-être pas lors de l'étude du cas du requé-
rant le 23 juin 1989. J'ai donc ordonné à mes employés de ne
pas procéder à la libération du requérant tant que la Commis
sion n'aurait pas eu la possibilité d'examiner les nouveaux
renseignements que les agents chargés de l'application de la loi
m'ont assuré être disponibles.
En demandant au tribunal d'accorder un bref de
certiorari afin d'annuler la décision du président,
un bref de mandamus afin d'obliger la Commis
sion à donner suite sur-le-champ à sa décision
du 23 juin 1989 et un bref de prohibition afin
d'empêcher la Commission de procéder à toute
révision de sa décision, l'avocate du requérant
soutient à l'appui d'un tel redressement que la
Commission n'a pas compétence pour réviser sa
décision du 23 juin 1989; que la décision de la
Commission et/ou de son président de procéder à
cette révision était arbitraire et irrationnelle; et
que cette décision est valide et doit être appliquée.
Les avocats des deux parties s'entendent pour
dire, et sur ce point ils semblent avoir tout à fait
raison, que ni le président ni la Commission ne
possèdent précisément en vertu de la loi ou d'un
règlement le pouvoir de faire exactement ce que le
président prétendait faire ici. Toutefois, l'avocat de
l'intimée a effectivement fait valoir que la Com-
mission peut agir par l'intermédiaire de son prési-
dent et premier dirigeant pour exercer la compé-
tence que lui confère l'article 13 de la Loi sur la
libération conditionnelle, L.R.C. (1985), chap. P-2
[mod. par L.R.C. (1985) (2 e Supp.), chap. 35, art.
4], [ci-après appelée la Loi] qui est libellé ainsi:
13. Sous réserve des autres dispositions de la présente loi et
de celles de la Loi sur les pénitenciers et de la Loi sur les
prisons et les maisons de correction, la Commission a compé-
tence exclusive et exerce un pouvoir discrétionnaire en matière
d'octroi ou de refus de libérations conditionnelles ou de permis
sions de sortir sans surveillance et de révocation ou cessation
des libérations conditionnelles, et de révocation de la mise en
liberté surveillée.
Cette «compétence exclusive» et ce «pouvoir dis-
crétionnaire» doivent cependant être tous deux
exercés de façon juste et légale, tout au moins dans
le cadre de la compétence conférée à la Commis
sion. Bien que celle-ci reste ici fidèle aux directives
émises par son président, le fait pour elle d'annuler
apparemment sa propre décision prise le 23 juin
1989 avec le quorum requis rend ces actes révisa-
bles conformément aux pouvoirs de surveillance de
notre Cour qui visent à rétablir l'équité et la
légalité s'il y a été porté atteinte dans les étapes
antérieures.
L'avocate du requérant déclare que la corres-
pondance reçue par le président et par la directrice
régionale n'a pas fourni de nouveaux renseigne-
ments à la Commission et, de toute façon, pas de
nouveaux renseignements qui puissent être retenus
de façon équitable contre le requérant. L'avocat de
l'intimée veut attirer l'attention sur les renseigne-
ments que donne la copie en partie illisible d'un
article de journal sans date et annexée à la pièce C
jointe à l'affidavit de Simonne Ferguson selon
lequel l'employeur éventuel du requérant, Darshan
Singh Saini, avait été décrit à l'époque de la
publication de l'article comme étant un [TRADUC-
TION] «dirigeant canadien du Babbar Khalsa». Par
la voie de son avocate, le requérant a, tant avant
l'audience que lors de celle-ci, offert sans réserve
d'accepter comme condition stricte de sa libération
conditionnelle de jour l'interdiction de s'associer
ou d'entrer en contact de quelle façon avec ledit
Darshan Singh Saini.
Le fait que M. Saini ait été ou soit lié à des
associations sikh violemment radicales ou autres
qui importent au Canada les haines de leur pays
d'origine ne s'avère certainement pas constituer
des faits nouveaux. Qui plus est, il n'y a rien que le
requérant puisse faire à ce sujet, si ce n'est renon-
cer publiquement à toute association ou autre con
tact avec M. Saini, et c'est ce qu'il fait et fera.
Qu'elles soient infâmes ou non, les activités de M.
Saini n'ont aucun rapport avec le caractère, le
tempérament ou les possibilités de réhabilitation
du requérant, sur quoi la Commission a fondé sa
décision de lui accorder une libération condition-
nelle de jour dans un centre de réadaptation. Par
conséquent, à défaut de disposition législative simi-
laire à celle que le Parlement a tout particulière-
ment adoptée récemment pour, permettre à la
Commission de procéder au «blocage» dans le cas
où certains détenus se voient accorder par la loi la
liberté sous surveillance obligatoire, la décision de
la Commission et de son président de suspendre ou
d'annuler la décision correctement formulée d'oc-
troyer au détenu une libération conditionnelle de
jour doit être considérée comme outrepassant illé-
galement la compétence de la Commission.
L'excès de pouvoir déjà commis par la Commis
sion dans l'affaire analogue du blocage est illustrée
dans l'arrêt Oag c. La Reine et autres, [1983] 1
R.C.S. 658, où la Cour suprême du Canada a
statué à l'unanimité que le blocage était illégal.
Ainsi qu'il a déjà été mentionné, le Parlement a
légiféré par la suite afin de rendre cette procédure
légale et intra vires de la compétence de la Com
mission. Dans l'affaire Hay c. Commission natio-
nale des libérations conditionnelles, 13 Admin.
L.R. 17; 21 C.C.C. (3d) 408; 18 C.R.R. 313, notre
Cour a montré qu'il n'était pas équitable de trans-
férer un prisonnier d'un établissement agricole au
pénitencier indiqué pour des raisons qui n'ont rien
à voir avec la conduite du prisonnier, son tempéra-
ment et l'évolution de son cas à l'intérieur de
l'établissement. Il en est ainsi dans la présente
affaire. Les raisons qui, selon la preuve, ont été
invoquées par le président de la Commission n'ont
rien à voir avec les conclusions formulées légale-
ment par la Commission au sujet du tempérament
du requérant, de sa conduite et de l'évolution du
cas en vue d'une apparente réhabilitation.
La Cour n'exprime aucune opinion sur la ques
tion de savoir si l'on devrait accorder au président
le pouvoir d'annuler une décision de la Commis
sion dans des cas où lui-même ou des dirigeants
politiques ou fonctionnaires du système judiciaire
considèrent qu'une telle décision dénote une négli-
gence ou une absence de compétence de la part de
la Commission lorsque celle-ci a accordé à un
détenu une libération conditionnelle. Cette ques
tion, qui comporte elle-même une opinion diffé-
rente, relève du Parlement.
Toutefois, tant et aussi longtemps qu'on n'aura
pas demandé au Parlement d'adopter une disposi
tion de ce genre, le droit qui continue de s'appli-
quer est celui que la Cour suprême du Canada a
énoncé à l'unanimité dans l'arrêt Dumas c. Centre
de détention Leclerc, [1986] 2 R.C.S. 459; 30
C.C.C. (3d) 129. Ce que le juge Lamer y dit du
recours à l'habeas corpus peut également s'appli-
quer au bref de certiorari dans la présente affaire.
Il mentionne ceci aux pages 464 R.C.S.; 133
C.C.C.:
Dans le contexte de la libération conditionnelle, la détention
continue d'un détenu ne deviendra illégale que s'il a acquis le
statut de libéré conditionnel. Un détenu acquiert ce statut au
moment où la décision de lui accorder la libération condition-
nelle entre en vigueur. Par conséquent, si la libération condi-
tionnelle entre en vigueur immédiatement, il devient un libéré
conditionnel au moment où la décision est rendue. Si, pour une
raison quelconque, la restriction à sa liberté se poursuit, il peut
alors recourir à l'habeas corpus. Si la libération conditionnelle
entre en vigueur à une date ultérieure, alors le détenu acquiert
le statut de libéré conditionnel à cette date et non à la date de
la décision. De même, lorsque la décision d'accorder la libéra-
tion conditionnelle est sujette à la réalisation d'une condition, le
détenu ne devient un libéré conditionnel qu'au moment où la
condition se réalise. Si le détenu n'est pas mis en liberté
conditionnelle dans le délai prévu ou lorsque la condition se
réalise, il peut alors recourir à l'habeas corpus. Enfin, si la
libération conditionnelle est refusée, il est évident que le détenu
n'est pas devenu un libéré conditionnel et ne peut avoir recours
à l'habeas corpus pour contester la décision.
En l'espèce, on a accordé au requérant une
libération conditionnelle de jour qui entrait en
vigueur immédiatement le 23 juin 1989, sous
réserve des conditions susmentionnées qui se rap-
portent à sa conduite après sa libération et qu'il a
acceptées. Il invite la Commission à prononcer
l'autre condition susmentionnée à laquelle il ne
s'opposera pas. Il est évident toutefois que, vu que
la Commission ne fait rien pour empêcher l'impo-
sition par le président de la restriction à la liberté
du requérant afin d'annuler la décision de la Com
mission et de tenir une autre audience, le requé-
rant peut recourir à un bref de certiorari pour
empêcher la Commission de se conformer à la
décision illégale de son président, et à un bref de
mandamus enjoignant à la Commission de donner
suite à sa décision du 23 juin 1989.
En raison de l'absence d'équité et de compétence
que la Cour décèle en l'espèce de la part de la
Commission, ladite Cour prononcera les présentes
ordonnances ainsi qu'une ordonnance interdisant à
la Commission de faire quoi que ce soit qui s'op-
pose à la libération conditionnelle de jour du
requérant sauf en conformité avec la Loi et les
présents motifs.
L'intimée devra payer les dépens entre les par
ties du requérant en ce qui concerne la présente
instance.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.