A-454-89
Shibamoto & Company Ltd. et Ocean Fisheries
Ltd. (appelantes) (demanderesses)
c.
Western Fish Producers, Inc., C.N. Holding, Inc.,
Jorn Nordmann, S.M. Properties Ltd. et Le
navire Nicolle N (intimés) (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: SHIBAMOTO & CO. c. WESTERN FISH PRODU
CERS, INC. (CA.)
Cour d'appel, juge en chef Iacobucci et juges
Mahoney et MacGuigan, J.C.A.—Vancouver, 12
octobre; Ottawa, 14 novembre 1989.
Droit constitutionnel — Partage des pouvoirs — Une
demande reconventionnelle où est alléguée l'inexécution d'un
contrat relève-t-elle de la compétence de la Cour fédérale dans
une action en dommages-intérêts découlant d'une entente
quant à l'achat et à la transformation de poisson en haute mer
— Le juge de première instance a légitimement conclu que les
questions en litige faisaient partie intégrante du droit maritime
— Toutes les conditions essentielles à la compétence de la
Cour fédérale ont été remplies.
Compétence de la Cour fédérale — Contrat exigeant l'utili-
sation d'un navire — Le droit maritime canadien, qui com-
prend le droit des contrats et de la responsabilité délictuelle
dans la mesure où cela est nécessaire, est essentiel à la
résolution du litige — Le droit maritime canadien relève du
pouvoir sur «la navigation et la marine marchande» prévu à
l'art. 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867 — L'art.
22(2)i) tel qu'il s'applique relève également du pouvoir en
matière de navigation et de marine marchande.
Le litige découle d'un contrat aux termes duquel l'intimée
Western, exploitante d'un navire-usine, devait acheter et trans
former en haute mer du saumon et des veufs de saumon pour le
compte de la demanderesse Shibamoto, laquelle finançait l'opé-
ration. Ocean Fisheries devait agir à titre de mandataire nord-
américain de Shibamoto. L'intimée devait déterminer le prix
payé pour le poisson sous réserve d'un plafond fixé par le
représentant de Shibamoto à bord du navire au cas où le prix
atteindrait un niveau susceptible d'entraîner une perte à la
revente. Peu après le début des opérations, le représentant a
décidé que le seuil de non-rentabilité avait été atteint et il a mis
fin au contrat. L'action des demanderesses a pour objet la
propriété du poisson à bord, les sommes non encore utilisées, les
dépenses et le pouvoir discrétionnaire de suspendre les achats.
Les défendeurs ont présenté une demande reconventionnelle
fondée sur l'inexécution du contrat ainsi que sur la fraude, le
dol et le complot en vue d'inciter à la violation du contrat. Le
présent appel a été interjeté à l'encontre de l'ordonnance du
juge Rouleau qui a autorisé la modification de la défense par
ajout de la demande reconventionnelle en concluant que cette
dernière relevait de la compétence de la Cour.
Arrêt: l'appel devrait être rejeté.
Les trois conditions pour pouvoir conclure à la compétence
de la Cour fédérale, établies dans l'arrêt ITO—International
Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc., ont toutes
été remplies. (1) L'exigence de l'attribution de compétence par
une loi du Parlement est remplie par l'alinéa 22(2)i) de la Loi
sur la Cour fédérale puisque l'utilisation d'un navire était
expressément prévue et exigée en vertu du contrat même s'il ne
s'agissait pas dans les faits d'une utilisation intégrale. (2) Il est
satisfait à la deuxième condition puisque le droit maritime
canadien, ensemble de règles de droit fédérales, est essentiel à
la solution du litige et constitue le fondement de l'attribution
légale de compétence, et que le droit des contrats et de la
responsabilité délictuelle relève du droit maritime canadien
dans la mesure où la résolution du litige l'exige. (3) La
condition relative à la constitutionnalité est remplie étant donné
que l'arrêt ITO confirme que le droit maritime canadien relève
du paragraphe 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867 (la
compétence fédérale sur (la navigation et la marine mar-
chande») et que l'alinéa 22(2)i) relève pareillement de cette
catégorie de pouvoir dans la mesure où il vise l'utilisation d'un
navire pour la pêche.
Bien que, dans plusieurs arrêts récents, la Cour suprême du
Canada ait soumis l'existence de la compétence de la Cour
fédérale à un critère très rigoureux en jugeant que les termes
pertinents pour définir cette compétence sont ceux que l'on
retrouve à l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867,
savoir (administration des lois du Canada», aucun de ces arrêts
ne porte sur une question de droit maritime. Il reste que
l'article 22 de la Loi sur la Cour fédérale ne doit pas recevoir
une interprétation qui excéderait la portée de cette expression.
La décision de la Cour suprême dans l'arrêt ITO confirme
cependant la tendance à reconnaître la compétence de la Cour
fédérale sur les questions de droit maritime.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3
(R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de
1982, n° 1) [L.R.C. (1985), appendice II, n° 5], art.
91(10),(12), 101.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap.
10, art. 2, 22.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
ITO—International Terminal Operators Ltd. c. Miida
Electronics Inc. et autres, [1986] 1 R.C.S. 752;
(1986), 28 D.L.R. (4th) 641; 68 N.R. 241; 34 B.L.R.
251.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Kuhr c. Le Friedrich Busse, [1982] 2 C.F. 709; (1982),
134 D.L.R. (3d) 261 (1' inst.); Dome Petroleum Ltd. c.
Hunt International Petroleum Co., [1978] 1 C.F. 11 (1'
inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Quebec North Shore Paper Co. et autres c. Canadien
Pacifique Liée et autres, [1977] 2 R.C.S. 1054; (1976),
71 D.L.R. (3d) 111; 9 N.R. 471; McNamara Construc
tion (Western) Ltd. et autres c. La Reine, [1977] 2 R.C.S.
654; (1977), 75 D.L.R. (3d) 273; 13 N.R. 181; R. c.
Thomas Fuller Construction Co. (1958) Ltd. et autres,
[1980] 1 R.C.S. 695; (1979), 106 D.L.R. (3d) 193; 30
N.R. 249; 12 C.P.C. 248; Pacific Western Airlines Ltd. c.
R., [1979] 2 C.F. 476; (1979), 105 D.L.R. (3d) 44; 13
C.P.C. 299 (1 re inst.).
DÉCISIONS CITÉES:
Tropwood A.G. et autres c. Sivaco Wire & Nail Co. et
autres, [1979] 2 R.C.S 157; (1979), 99 D.L.R. (3d) 235;
10 C.P.C. 9; 26 N.R. 313; Antares Shipping Corporation
c. Le navire aCapricorn» et autres, [1980] 1 R.C.S. 553;
(1979), 111 D.L.R. (3d) 289; 30 N.R. 104; Wire Rope
Industries of Canada (1966) Ltd. c. B.C. Marine Ship
builders Ltd. et autres, [1981] 1 R.C.S. 363; (1981), 121
D.L.R. (3d) 517; 35 N.R. 288.
DOCTRINE
Evans, J. M. «Case Comment» [«Federal Jurisdiction—A
Lamentable Situation»] (1981), 59 Re. du Bar. Can.
124.
Hogg, P. W. «Case Comment» [«Constitutional Law—
Limits of Federal Court Jurisdiction—Is there a Fede
ral Common Law?»] (1977), 55 R. du B. Can. 550.
Jones, P. F. M. «Jurisdiction at Sea» (1982), 3 Supreme
Court L.R. 445.
Kerr, R. W. «Constitutional Limitations on the Admi
ralty Jurisdiction of the Federal Court» (1979), 5
Dalhousie L.J. 568.
Laskin, J. B. et Sharpe, R. J. «Constricting Federal Court
Jurisdiction: A Comment on Fuller Construction»
(1980), 30 U.T. L.J. 283.
Rogers, D. N. «Admiralty Jurisdiction in Canada: Is
There a Need for Reform?» (1985), 16 J. Mar. L.&
Comm. 467.
Scott, S. A. «Canadian Federal Courts and the Constitu
tional Limits of their Jurisdiction» (1982), 27 R. de D.
McGill 137.
Shorter Oxford English Dictionary, vol. II, 3rd rev. ed.
Oxford: Clarendon Press, 1975, «navigation».
AVOCATS:
David F. McEwen pour les appelantes
(demanderesses).
J. W. Perrett pour les intimés (défendeurs).
PROCUREURS:
McEwen, Schmitt & Co., Vancouver, pour les
appelantes (demanderesses).
Campney & Murphy, Vancouver, pour les
intimés (défendeurs).
Ce qui, suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A.: Il s'agit en l'es-
pèce d'un appel contre une ordonnance du juge
Rouleau [T-1810-88, ordonnance en date du 2
octobre 1989, encore inédite] faisant droit à la
requête par laquelle les intimés visaient à modifier
leur défense en y ajoutant, entre autres, une
demande reconventionnelle. Les appelantes contes-
tent la décision du juge portant que la demande
reconventionnelle relève de la compétence de la
Cour fédérale.
Le litige découle du contrat conclu entre Shiba -
moto & Company Ltd. («Shibamoto»), Ocean Fis
heries Limited («Ocean») et Western Fish Produ
cers Inc. («Western») le 16 mai 1988. Aux termes
de ce contrat, il était stipulé que Western, exploi-
tante du navire-usine Nicolle N («le navire»), était
désireuse de conserver et de transformer le poisson
en Alaska pour le compte d'une partie ayant le
capital voulu pour financer l'opération, que Shiba -
moto, une société commerciale japonaise, souhai-
tait acheter du saumon et des veufs de saumon en
Alaska pour les revendre au Japon et enfin qu'O-
cean agirait à titre de mandataire nord-américain
de Shibamoto, effectuant toutes les opérations en
son nom. En vertu de l'entente, Shibamoto devait,
par l'entremise de son mandataire, avancer les
fonds suffisants (en tout 1,8 million $ US) pour
acheter trois millions de livres de saumon sockeye
à Western, laquelle convenait d'acheter et de
transformer le saumon et les veufs de saumon sur
le navire en haute mer pendant la saison de pêche
1988. Western devait déterminer le prix payé pour
le poisson sous réserve d'un plafond fixé par le
représentant de Shibamoto à bord du navire au cas
où le prix atteindrait un niveau susceptible d'en-
traîner une perte à la revente. Se trouvaient égale-
ment à bord du navire huit techniciens spécialisés
dont Shibamoto fournissait les services pour la
préparation du saumon et des veufs de saumon
selon les exigences du marché japonais. Après
avoir acheté, apprêté et surgelé le poisson, Western
devait le charger le plus rapidement possible à
bord de navires de tramping. Il était enfin prévu
que l'entente devait [TRADUCTION] «être appli-
quée et interprétée conformément aux lois de la
province de la Colombie-Britannique» (clause
8.01).
Peu de temps après le début des opérations selon
les stipulations du contrat en juin 1988, le prix du
saumon a augmenté au point où le représentant de
Shibamoto a décidé que le seuil de non-rentabilité
avait été atteint.
Les appelantes ont intenté une action devant la
Cour suprême de la Colombie-Britannique puis
devant la Cour fédérale. Les questions en litige y
portent sur la propriété du poisson à bord du
navire, les sommes non encore utilisées, les dépen-
ses engagées dans la transformation du poisson et
le pouvoir discrétionnaire des appelantes de sus-
pendre leurs achats. Les intimés se sont vu refuser
un sursis de l'action portée en Cour fédérale pour
le motif que l'un des recours qui y était prévu,
savoir l'exercice d'un privilège contre le navire, ne
pouvait être obtenu en Cour suprême de la
Colombie-Britannique.
Dans leur demande reconventionnelle, les inti-
més allèguent qu'il y a eu inexécution du contrat,
ainsi que fraude, dol et complot en vue d'inciter ou
de contraindre à la violation de l'entente (Dossier
d'appel, aux pages 260 et 261).
La compétence à l'égard de la demande recon-
ventionnelle dépend de l'interprétation qu'il con-
vient de donner à l'article 22 de la Loi sur la Cour
fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10] («la
Loi»), ainsi que du partage constitutionnel du pou-
voir législatif.
Voici les dispositifs pertinentes de l'article 22:
22. (1) La Division de première instance a compétence con-
currente en première instance, tant entre sujets qu'autrement,
dans tous les cas où une demande de redressement est faite en
vertu du droit maritime canadien ou d'une autre loi du Canada
en matière de navigation ou de marine marchande, sauf dans la
mesure où cette compétence a par ailleurs fait l'objet d'une
attribution spéciale.
(2) Sans restreindre la portée générale du paragraphe (1), il
est déclaré pour plus de certitude que la Division de première
instance a compétence relativement à toute demande ou à tout
litige de la nature de ceux qui sont ci-après mentionnés:
i) toute demande née d'une convention relative au transport
de marchandises à bord d'un navire à l'utilisation ou au
louage d'un navire soit par charte-partie, soit autrement;
m) toute demande relative à des marchandises, fournitures
ou services fournis à un navire, où que ce soit, pour son
exploitation ou son entretien, et notamment, sans restreindre
la portée générale de ce qui précède, les demandes relatives à
l'acconage ou gabarage;
Est également pertinente la définition de «droit
maritime canadien» que l'on retrouve à l'article 2
de la Loi:
2....
adroit maritime canadien» désigne le droit dont l'application
relevait de la Cour de l'Échiquier du Canada, en sa juridic-
tion d'amirauté, en vertu de la Loi sur l'Amirauté ou de
quelque autre loi, ou qui en aurait relevé si cette Cour avait
eu, en sa juridiction d'amirauté, compétence illimitée en
matière maritime et d'amirauté, compte tenu des modifica
tions apportées à ce droit par la présente loi ou par toute
autre loi du Parlement du Canada;
Il convient également de citer le passage suivant
des motifs d'ordonnance du juge de première ins
tance [Shibamoto & Co. c. Western Fish Produ
cers, Inc., ordonnance en date du 2 octobre 1989,
section de première instance de la Cour fédérale,
T-1810-88, encore inédite] (Dossier d'appel, aux
pages 271 274):
L'une des décisions importantes dans laquelle la compétence
de la Cour fédérale a été analysée et qui est d'une grande
importance est l'arrêt ITO—International Terminal Operators
Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre de la Cour suprême du
Canada publié dans [1986] 1 R.C.S. 752; (1986), 28 D.L.R.
4th 641. A la page 774 R.C.S., le juge Maclntyre tient les
propos suivants que je paraphrase: Pour déterminer si une
affaire donnée soulève une question maritime ou d'amirauté,
nous devons éviter d'empiéter sur ce qui constitue une matière
d'une nature locale mettant en cause la propriété et les droits
civils ou les questions qui relèvent essentiellement de la compé-
tence exclusive d'une province. A la page 774 R.C.S., il ajoute
que la question doit être entièrement liée aux affaires mariti-
mes au point de constituer légitimement du droit maritime
canadien qui relève de la compétence législative fédérale.
En analysant les litiges de cette nature, on doit examiner
l'essence de la réclamation faite et de la réparation demandée.
Il s'agit en l'espèce de l'engagement d'un navire-usine, du
financement et de la transformation du poisson en haute mer.
On doit déterminer le fondement réel du litige. L'entente entre
la demanderesse et la défenderesse dans cette opération parti-
culière prévoyait essentiellement que la demanderesse devait
fournir des fonds aux défendeurs, et que ceux-ci devaient
rendre disponible le navire Nicolle N pour l'achat et la trans
formation du poisson et des œufs de saumon en mer.
Les défendeurs prétendent que la Cour peut connaître des
questions soulevées dans la demande reconventionnelle en vertu
de la compétence qu'elle tient du paragraphe 22(1) et des
alinéas 22(2)i) et m) de la Loi sur la Cour fédérale.
Je préfère de beaucoup le raisonnement adopté par le juge
Addy dans l'affaire Kuhr c. Le Friedrich Busse, [1982] 2 C.F.
709 (1" inst.). Les faits de celle-ci ressemblent quelque peu à
ceux de l'espèce, et il y a été décidé que la Cour avait
compétence. Dans cette affaire, la défenderesse était proprié-
taire d'un navire-usine traitant le poisson, et les demandeurs
ont prétendu que la défenderesse violait un contrat portant
fourniture de poissons en mer au navire défendeur qui devait
demeurer sur certains champs de pêche spécifiés pour recevoir
livraison des prises et les payer. Comme en l'espèce, le navire
défendeur a été saisi à la requête des demandeurs. Dans une
requête en radiation, on a invoqué des arguments selon lesquels
la Cour n'avait pas compétence, aucune action ne pouvait être
intentée puisque la fourniture de poissons en vertu d'un contrat
n'était visée par aucun des alinéas du paragraphe 22(2) de la
Loi sur la Cour fédérale, et plus particulièrement, n'était pas
visée par les alinéas i) et m), et l'essence de l'affaire ne relevait
pas de la compétence maritime. Le juge Addy a tenu les propos
suivants à la page 714:
J'admets qu'un contrat de fourniture de poissons à un
navire ne saurait être considéré, simplement du fait que le
navire traite du poisson et utilise le poisson fourni, comme
une «convention relative ... à l'utilisation ... d'un navire»
aux termes de l'alinéa i). Il est clair que dans ce contexte,
l'emploi du terme «utilisation» vise l'utilisation que fait d'un
navire un tiers autre que le propriétaire: une convention pour
son usage de même qu'un contrat de nolisement ordinaire
seraient ejusdem generis.
Toutefois, la question de savoir si l'alinéa m) s'applique
n'est pas aussi claire. Il se peut fort bien que le terme
«exploitation» de cet alinéa vise non seulement le fait pour ce
navire de naviguer mais aussi l'exploitation générale de
toutes ces fonctions comme celle de recevoir livraison de
poissons en haute mer et de les traiter même lorsque ce
traitement consiste en la même opération que celle qu'effec-
tue une usine de traitement de poissons à terre.
Le juge Addy a ajouté que, bien que les dispositions en cause
n'aient pas expressément mentionné ce qui devrait être inter-
prété comme étant un équipement nécessaire à un navire, il est
certain que lorsqu'il s'agit d'une telle catégorie, la Cour fédé-
rale a compétence.
Le juge Addy cite également l'affaire Western Nova Scotia
Bait Freezers Limited v. The Ship «Shamrock», [1939] R.C.É.
53. Dans cette affaire, il s'agissait d'un navire qui se livrait à
des opérations de pêche, et le contrat concernait la fourniture
de bouette et de glace. On statua que la bouette et la glace
constituaient des fournitures nécessaires.
On soutient que l'argent, dans ce cas particulier, ne saurait
être considéré comme une fourniture nécessaire puisque, en
l'espèce, il s'agit d'une garantie financière. On peut le préten-
dre, mais je doute sérieusement que les faits étayent cet argu
ment. La raison en est que l'entente exigeait de retenir les
services d'un navire en vue de la transformation du poisson à
laquelle a donné lieu l'engagement financier. Le contrat entre
les parties prévoyait que le navire Nicolle N devait opérer en
haute mer pour acheter du poisson dans un champ de pêche
spécifié et recevoir, transformer et livrer le poisson. Compte
tenu du raisonnement adopté par la Cour suprême du Canada
dans l'arrêt ITO précité, c'est-à-dire l'analyse faite à la page
775 R.C.S. où la Cour a considéré que la proximité des
activités par rapport à la mer suffisait à mettre en cause du
droit maritime, je suis convaincu que je n'excède nullement les
limites de la compétence conférée à cette Cour, et que les
questions sont entièrement liées au droit maritime.
Je me permets d'ajouter qu'il serait illogique, semble-t-il,
qu'un demandeur puisse faire valoir le droit de saisir la Cour
fédérale du Canada d'une action, réclamer un privilège mari
time et saisir un navire sur le fondement du droit des États-
Unis et puis rejeter avec succès une demande reconventionnelle
de dommages-intérêts qui découle de la même rupture de
contrat mettant en cause le même navire. Peut-être la répara-
tion demandée par les défendeurs dans la demande reconven-
tionnelle pourrait-elle donner lieu aussi à un privilège maritime
sous le régime du droit des États-Unis. Je le dis sans bénéficier
d'une assistance quelconque pour étayer soit l'affirmation faite
par les demanderesses dans leur plaidoirie ou ma connaissance
indépendante quant à ce qui peut donner lieu à un privilège
devant les instances américaines.
C'est au regard de l'article 101 de la Loi constitu-
tionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.)
(mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitution-
nelle de 1982, n° 1) [L.R.C. (1985), appendice II,
n° 5]] que doit d'abord être examinée la compé-
tence attribuée par la Loi à la Cour fédérale du
Canada puisque lui seul confère au Parlement le
pouvoir d'établir ce tribunal:
101. Le parlement du Canada pourra, nonobstant toute dis
position contraire énoncée dans la présente loi, lorsque l'occa-
sion le requerra, adopter des mesures à l'effet de créer, mainte-
nir et organiser une cour générale d'appel pour le Canada, et
établir des tribunaux additionnels pour la meilleure administra
tion des lois du Canada.
Dans plusieurs arrêts récents, la Cour suprême du
Canada a jugé que les termes pertinents de l'arti-
cle 101 étaient «administration des lois du
Canada». Aussi l'article 22 ne doit-il pas recevoir
une interprétation qui excéderait la portée de cette
expression.
Le premier de ces arrêts de la Cour suprême est
Quebec North Shore Paper Co. et autres c. Cana-
dien Pacifique Ltée et autres, [1977] 2 R.C.S.
1054; (1976), 71 D.L.R. (3d) 111; 9 N.R. 471. Le
juge en chef Laskin (qui a prononcé les jugements
unanimes de la Cour dans les deux affaires) a
peut-être le mieux résumé l'effet de cette décision
dans l'arrêt McNamara Construction (Western)
Ltd. et autres c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654;
(1977), 75 D.L.R. (3d) 273; 13 N.R. 181, aux
pages 658-659 R.C.S.:
Dans l'arrêt Quebec North Shore Paper Company c. Le Cana-
dien Pacifique Limitée, ... cette Cour a statué que les disposi
tions de l'art. 101 posent comme condition préalable à l'exer-
cice par la Cour fédérale de sa compétence, l'existence d'une
législation fédérale applicable sur laquelle on puisse fonder les
procédures. Il ne suffit pas que le Parlement du Canada puisse
légiférer sur un domaine dont relève la question soumise à la
Cour fédérale. Comme l'a indiqué cette Cour dans l'arrêt
Quebec North Shore Paper Company, la compétence judiciaire
en vertu de l'art. 101 ne recouvre pas le même domaine que la
compétence législative fédérale. Il s'ensuit qu'il ne suffit pas
que la compétence exclusive du Parlement s'exerce dans les
domaines ... [visés par les par. 91(1A) et 91(28) de la Loi
constitutionnelle de 1867], et que l'objet du contrat de cons
truction en l'espèce puisse relever de l'un ou l'autre de ces
domaines législatifs, ou des deux, pour fonder la compétence de
la Cour fédérale à l'égard de la présente action en dommages-
intérêts. [C'est moi qui souligne.]
Dans cette affaire, la Cour a conclu que l'action
que la Couronne avait intentée contre une tierce
partie en dommages-intérêts pour inexécution de
contrat n'était fondée sur aucune loi ni aucun
principe de common law fédéraux.
Bien que certaines opinions incidentes émises
dans l'arrêt McNamara donnent à penser que le
résultat aurait été différent si la question en litige
avait été celle de la responsabilité de la Couronne
envers une tierce partie, la Cour (le juge Martland
étant dissident) n'est pas allée, dans l'arrêt R. c.
Thomas Fuller Construction Co. (1958) Ltd. et
autres, [1980] 1 R.C.S. 695; (1979), 106 D.L.R.
(3d) 193; 30 N.R. 249; 12 C.P.C. 248, jusqu'à
autoriser la Couronne à délivrer un avis à la tierce
partie réclamant une indemnisation fondée sur le
contrat et la négligence contributive. Et ce, même
si la propre responsabilité de la Couronne aurait
dû être établie en vertu du droit fédéral pour que
cette dernière puisse réussir dans sa demande
vis-à-vis de la tierce partie. Au nom de la majorité,
le juge Pigeon a déclaré ce qui suit à l'égard de la
réclamation de la Couronne en vertu du contrat (à
la page 711 R.C.S.):
A mon avis, la question en l'espèce est: «Le litige soulevé par
l'»avis à la tierce partie» relève-t-il du droit fédéral?» A mon
avis il n'en relève pas. La Loi sur la responsabilité de la
Couronne porte seulement sur la responsabilité qui est invoquée
dans l'action principale. Il est vrai qu'il n'y aurait pas de
demande d'indemnisation sans cette responsabilité, mais cette
demande ne découle pas de cette responsabilité mais seulement
du contrat et de The Negligence Act [R.S.O. 1970, chap. 296.]
... En l'espèce, l'objection à la compétence n'est pas fondée sur
l'interprétation de la loi, mais découle de la restriction constitu-
tionnelle du pouvoir du Parlement laquelle, en ce qui a trait au
système judiciaire canadien, le limite à l'établissement de «tri-
bunaux ... pour la meilleure administration des lois du
Canada». En l'espèce, les lois sur lesquelles se fonde «l'avis à la
tierce partie» ne sont pas celles du Canada mais celles de la
province de l'Ontario.
En ce qui concerne la réclamation fondée sur la
négligence, le juge Pigeon écrit ceci (aux pages
712 et 713 R.C.S.):
Même s'il me fallait endosser l'opinion de la Cour d'appel de
l'Ontario sur l'effet de The Negligence Act, [savoir qu'aucune
contribution ne pouvait être recouvrée d'une partie si elle
n'avait pas été réclamée avant le jugement dans l'action princi-
pale] je n'admettrais pas que cela puisse justifier la conclusion
que Sa Majesté doit pouvoir instituer des procédures de mise en
cause devant la Cour fédérale afin de ne pas être privée du
bénéfice de The Negligence Act. Il faut tenir compte de ce que
le principe fondamental régissant le système judiciaire canadien
est la compétence des cours supérieures des provinces sur toutes
questions de droit fédéral et provincial. Le Parlement fédéral a
le pouvoir de déroger à ce principe en établissant des tribunaux
additionnels seulement «pour la meilleure administration des
lois du Canada». L'établissement de ces tribunaux n'est donc
pas nécessaire pour mettre ces lois à exécution. Par conséquent,
je ne vois aucun fondement à l'application de la doctrine du
pouvoir accessoire qui est limitée à ce qui est vraiment néces-
saire à l'exercice efficace de l'autorité législative du Parlement.
Si l'on estime souhaitable d'être en mesure d'invoquer une loi
provinciale sur la négligence contributive qui n'est susceptible
d'application que devant les cours de la province, la solution
appropriée est de rendre possible l'exercice de ce droit de la
manière prévue à la règle générale de la Constitution du
Canada, c'est-à-dire devant la cour supérieure de la province.
Ces arrêts soumettent l'existence de la compé-
tence de la Cour fédérale à un critère très rigou-
reux' et sembleraient à première vue invalider
l'avis qu'a exprimé le juge de première instance
dans le dernier paragraphe, précité, de ses motifs.
En effet, le simple fait que le demandeur puisse
exercer une action contre un navire en Cour fédé-
rale ne constitue pas le fondement d'une demande
reconventionnelle en dommages-intérêts, même si
les dommages découlent [TRADUCTION] «de la
même rupture de contrat mettant en cause le
même navire». La demande reconventionnelle
serait comparable à une action intentée contre une
tierce partie: il s'agirait d'une nouvelle instance et
non d'un simple incident de l'action principale.
Cependant, j'accepte l'argument de la partie inti-
mée selon lequel ce passage des motifs revêt un
caractère incident, le juge ayant formulé l'essentiel
de son raisonnement à la fin du paragraphe précé-
dent où il a écrit: «je suis convaincu que je n'ex-
cède nullement les limites de la compétence confé-
rée à cette Cour, et que les questions sont
entièrement liées au droit maritime».
' Dans la décision Pacific Western Airlines Ltd. c. R., [1979]
2 C.F. 476; (1979), 105 D.L.R. (3d) 44; 13 C.P.C. 299 (1"
inst.), à la p. 490, le juge Collier a qualifié de «lamentable» la
situation créée par suite des limitations juridictionnelles qu'a
imposées la Cour suprême dans ces décisions. Les commenta-
teurs ont pour leur part unanimement critiqué le raisonnement
de la Cour. Dans «Case Comment» [«Constitutional Law—
(Suite à la page suivante)
Aucun des arrêts précités de la Cour suprême ne
porte sur une question de droit maritime. Lors-
qu'appelée à se prononcer sur des litiges dans ce
domaine, la Cour a confirmé la compétence de la
Cour fédérale dans Tropwood A.G. et autres c.
Sivaco Wire & Nail Co. et autres, [ 1979] 2 R.C.S.
157; (1979), 99 D.L.R. (3d) 235; 10 C.P.C. 9; 26
N.R. 313; Antares Shipping Corporation c. Le
navire «Capricorn» et autres, [1980] 1 R.C.S. 553;
(1979), 111 D.L.R. (3d) 289; 30 N.R. 104; et
Wire Rope Industries of Canada (1966) Ltd. c.
B.C. Marine Shipbuilders Ltd. et autres, [1981] 1
R.C.S. 363; (1981), 121 D.L.R. (3d) 517; 35 N.R.
288. Ce courant a été récemment confirmé dans
un jugement partagé de la Cour suprême (4 contre
(Suite de la page précédente)
Limits of Federal Court Jurisdiction—Is there a Federal
Common Law?»] (1977), 55 R. du B. Can. 550, à la p. 555, le
professeur Peter W. Hogg écrit que [TRADUCTION] «le seul
critère pratique et rationnel pour déterminer ce qui constitue
une «loi du Canada» est celui de la compétence législative
fédérale qui prévalait avant les arrêts Quebec North Shore et
McNamara Construction. Dans «Constricting Federal Court
Jurisdiction: A Comment on Fuller Construction» (1980), 30
U.T.L.J. 283, à la p. 286, les professeurs John B. Laskin et
Robert J. Sharpe mettent en contraste la solution américaine:
[TRADUCTION] «Confrontées à une difficulté analogue—savoir
des tribunaux fédéraux saisis d'affaires dont les ramifications
dépassent leur compétence constitutionnelle limitée—les cours
de justice américaines ont élaboré les notions de compétence
«accessoire» et «suspensive» pour permettre à un tribunal fédéral
de connaître de tous les aspects d'un litige dont il pouvait par
ailleurs entendre la demande principale». Dans «Canadian
Federal Courts and the Constitutional Limits of their Jurisdic
tion» (1982), 27 R. de D. McGill 137, à la p. 161, le professeur
Stephen A. Scott parle de [TRADUCTION] «l'exigence constitu-
tionnelle d'un «droit fédéral» de fond qui se dérobe». Enfin, dans
Case Comment [«Federal Jurisdiction—A Lamentable Situa
tion»] (1981), 59 Re. du Bar. Can. 124, aux p. 132 et 133, le
professeur J. M. Evans écrit: [TRADUCTION] «Limiter si étroi-
tement la compétence que le Parlement peut conférer à la Cour
fédérale que même les parties clairement valides de cette
compétence en deviennent pratiquement déficientes au point de
nécessiter une réforme législative radicale, paraît constituer une
usurpation remarquable de pouvoir.»
3) 2 , l'arrêt ITO—International Terminal Opera
tors Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autres,
[1986] 1 R.C.S. 752; (1986), 28 D.L.R. (4th) 641;
68 N.R. 241; 34 B.L.R. 251.
Dans l'affaire ITO, le transporteur maritime
avait convenu, par contrat constaté par un connais-
sement, de transporter des cartons de calculatrices
électroniques du Japon à Montréal pour livraison
au destinataire. A son arrivée à Montréal, la mar-
chandise a été prise en charge et entreposée par
ITO, une compagnie de manutention et d'acco-
nage. Avant que la livraison ne soit effectuée au
destinataire, des voleurs ont pénétré par effraction
dans le hangar de transit où ils ont volé la majorité
des cartons. La Cour suprême a analysé la ques
tion en présumant que la perte par suite de vol
était le résultat de la négligence dont aurait fait
preuve ITO. Le destinataire avait intenté des pour-
suites en Cour fédérale tant contre le transporteur
que contre les acconiers.
La Cour a finalement conclu que le destinataire
n'avait aucune cause d'action à faire valoir contre
le transporteur, parce qu'elle a jugé que la limita
tion de responsabilité expressément stipulée au
contrat s'appliquait même en cas de négligence et
s'étendait également à l'acconier.
Avant d'en arriver à cette conclusion, la Cour a
toutefois défini la compétence de la Cour fédérale
en matière d'amirauté. Le juge McIntyre a résumé
ainsi les conditions essentielles pour pouvoir con-
clure à cette compétence (à la page 766 R.C.S.):
2 Dans «Constitutional Limitations on the Admiralty Juris
diction of the Federal Court» (1979), 5 Dalhousie L.J. 568, le
professeur Robert W. Kerr a prévu que la compétence en
matière d'amirauté pourrait échapper aux limitations constitu-
tionnelles imposées dans les arrêts Quebec North Shore et
McNamara Construction en raison de l'élaboration historique
d'une common law fédérale dans ce domaine. Dans «Jurisdic-
tion at Sea» (1982), 3 Supreme Court L.R. 445, la p. 451, le
professeur P.F.M. Jones estime, à la suite de l'arrêt B.C.
Marine, qu'[TRADucTIoN] «on peut conclure que la compé-
tence de la Cour fédérale en matière d'amirauté n'obéit pas à la
philosophie de la "solution appropriée" a exprimé la Cour
suprême du Canada dans l'arrêt Fuller, savoir qu'il convient
d'exercer les droits en cause devant la cour supérieure de la
province». Dans «Admiralty Jurisdiction in Canada: Is There a
Need for Reform?» (1985), 16 J. Mar. L.& Comm. 467, David
N. Rogers préfère la solution adoptée par la Cour d'appel
fédérale à celle suivie jusqu'alors par la Cour suprême (c'est-à-
dire jusqu'à l'arrêt ITO).
1. Il doit y avoir attribution de compétence par une loi du
Parlement fédéral.
2. Il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui
soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement
de l'attribution légale de compétence.
3. La loi invoquée dans l'affaire doit être «une loi du Canada»
au sens où cette expression est employée à l'art. 101 de la
Loi constitutionnelle de 1867.
Les juges formant la majorité n'ont eu aucune
hésitation à juger que le paragraphe 22(1) de la
Loi satisfaisait à la première condition. Ils se sont
ensuite demandé si le droit maritime canadien
était essentiel à la solution du litige et constituait
le fondement de l'attribution légale de compétence
(à la page 769 R.C.S.):
Le droit maritime canadien, tel qu'il est défini à l'art. 2 de la
Loi sur la Cour fédérale, peut être divisé en deux catégories. Il
s'agit du droit:
(1) dont l'application relevait de la Cour de l'Échiquier du
Canada, en sa juridiction d'amirauté, en vertu de la Loi sur
l'Amirauté ou de quelque autre loi; ou
(2) qui en aurait relevé si cette cour avait eu, en sa juridiction
d'amirauté, compétence illimitée en matière maritime et
d'amirauté.
La première catégorie englobe la compétence et le
droit en matière maritime qui existaient en Angle-
terre en 1934, date à laquelle a été adoptée la
première loi canadienne en matière d'amirauté à la
suite du Statut de Westminster. Cependant,
comme le droit maritime anglais était, dès 1934,
confiné aux délits commis entre le flux et le reflux,
à l'exclusion des délits survenus à terre, il ne
s'appliquerait pas à la négligence en l'espèce. La
Cour s'est donc attachée à l'examen de la
deuxième catégorie du droit maritime canadien
(aux pages 774 776 R.C.S.):
Je suis d'accord pour dire que la compétence historique des
cours d'amirauté est importante pour déterminer si une
demande particulière est une matière maritime au sens qu'en
donne la définition du droit maritime canadien que l'on trouve
à l'art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale. Je n'irais pas
cependant jusqu'à limiter la définition de matière maritime et
d'amirauté aux seules demandes qui cadrent avec ces limites
historiques. Une méthode historique peut servir à éclairer, mais
ne saurait autoriser à limiter. À mon avis, la seconde partie de
la définition que donne l'art. 2 du droit maritime canadien a été
adoptée afin d'assurer que le droit maritime canadien com-
prenne une compétence illimitée en matière maritime et d'ami-
rauté. À ce titre, elle constitue une reconnaissance légale du
droit maritime canadien comme ensemble de règles de droit
fédérales portant sur toute demande en matière maritime et
d'amirauté. On ne saurait considérer ces matières comme ayant
été figées par la Loi d'amirauté, 1934. Au contraire, les termes
«maritime» et «amirauté» doivent être interprétés dans le con-
texte moderne du commerce et des expéditions par eau. En
réalité, l'étendue du droit maritime canadien n'est limitée que
par le partage constitutionnel des compétences établi par la Loi
constitutionnelle de 1867. Je n'ignore pas, en tirant cette
conclusion, que la cour, en déterminant si une affaire donnée
soulève une question maritime ou d'amirauté, doit éviter d'em-
piéter sur ce qui constitue, de par son caractère véritable, une
matière d'une nature locale mettant en cause la propriété et les
droits civils ou toute autre question qui relève essentiellement
de la compétence exclusive de la province en vertu de l'art. 92
de la Loi constitutionnelle de 1867. Il est donc important de
démontrer que la question examinée dans chaque cas est entiè-
rement liée aux affaires maritimes au point de constituer
légitimement du droit maritime canadien qui relève de la
compétence législative fédérale.
Pour en venir à la demande adressée par Miida contre ITO,
on peut constater qu'elle met en cause la négligence dont aurait
fait preuve un manutentionnaire acconier dans l'entreposage à
court terme de marchandises à l'intérieur de la zone portuaire,
en attendant leur livraison au destinataire.
Il est clair, à mon sens, que cet entreposage accessoire par le
transporteur lui-même, ou par un tiers lié par contrat avec le
transporteur, est aussi une affaire d'intérêt maritime en vertu
du «rapport étroit existant en pratique entre le transit et
l'exécution du contrat de transport» (le juge Le Dain en Cour
d'appel). On peut donc conclure que la manutention et l'entre-
posage accessoire, avant la livraison et pendant que la mar-
chandise reste sous la garde d'un acconier dans la zone por-
tuaire, est suffisamment liée au contrat de transport maritime
pour constituer une affaire maritime qui relève du droit mari
time canadien, au sens de l'art. 2 de la Loi sur la - Cour
fédérale.
Au risque de me répéter, je tiens à souligner que la nature
maritime de l'espèce dépend de trois facteurs importants. Le
premier est le fait que les activités d'acconage se déroulent à
proximité de la mer, c'est-à-dire dans la zone qui constitue le
port de Montréal. Le second est le rapport qui existe entre les
activités de l'acconier dans la zone portuaire et le contrat de
transport maritime. Le troisième est le fait que l'entreposage en
cause était à court terme en attendant la livraison finale des
marchandises au destinataire. À mon avis, ce sont ces facteurs
qui, pris ensemble, permettent de caractériser la présente
affaire comme mettant en cause du droit maritime canadien.
Cette analyse ayant mené à la conclusion que la
demande fondée sur la négligence relevait du droit
maritime canadien, la question qui se posait
ensuite était celle du contenu de ce droit sur le
plan des règles de fond (aux pages 776 et 777
R.C.S.):
Le droit maritime canadien, en tant qu'ensemble de règles de
fond, englobe les principes du droit maritime anglais élaborés et
appliqués par la Cour d'amirauté d'Angleterre (La Reine c.
Canadian Vickers Ltd., précité, et la jurisprudence qui y est
citée, pp. 683 et 684) [[1978] 2 C.F. 675; (1977), 77 D.L.R.
(3d) 241 (le juge Thurlow, alors juge en chef adjoint)]. En
1934, lorsque, comme je l'ai déjà noté, un ensemble de règles de
droit maritime d'Angleterre a été incorporé dans le droit cana-
dien, la Haute Cour de justice, en sa juridiction d'amirauté,
pouvait connaître des affaires contractuelles et délictuelles con-
sidérées comme des affaires en matière d'amirauté. En exami-
nant ces affaires, la cour a appliqué les principes de common
law en matière délictuelle et contractuelle nécessaires à la
résolution des points litigieux. Les règles de common law en
matière de négligence, par exemple, étaient appliquées dans les
affaires d'abordage (aCubau (The) v. McMillan (1896), 26
R.C.S. 651, aux pp. 661 et 662) et E. Mayers, Admiralty Law
and Practice in Canada (1916), à la p. 146.) Les principes en
matière de dépôt ont été appliqués dans les affaires de perte de
cargaison (aWinkfield» (The), [1902] P. 42 (C.A.)) Ainsi,
l'ensemble de règles de droit maritime qui a été emprunté à
l'Angleterre pour constituer le droit maritime canadien englo-
bait à la fois les règles et principes spéciaux en matière
d'amirauté et les règles et principes puisés dans la common law
et appliqués aux affaires d'amirauté selon que ces règles et
principes ont été, et continuent d'être, modifiés et élargis dans
la jurisprudence canadienne. (Voir, par exemple, l'arrêt de
cette Cour Wire Rope Industries of Canada (1966) Ltd. c. B.C.
Marine Shipbuilders Ltd., [1981] 1 R.C.S. 363, où les princi-
pes de common law en matière de négligence et de droit des
contrats ont été utilisés pour résoudre le pourvoi.)
Le droit maritime canadien est donc cet ensemble de règles
de droit fédérales existantes qui est essentiel à la solution de
l'espèce et qui constitue le fondement de la compétence attri-
buée à la Cour fédérale par l'art. 22 de la Loi sur la Cour
fédérale. Ainsi, la seconde condition nécessaire pour conclure
que la Cour fédérale a compétence se trouve remplie.
Il est donc clair que le droit maritime canadien
englobe non seulement les règles et principes spé-
ciaux en matière d'amirauté mais également les
principes de common law en matière délictuelle et
contractuelle, selon l'interprétation actuelle qu'en
donnent les tribunaux (en présumant, bien
entendu, que la demande en question relève du
droit maritime).
Afin de dissiper toute ambiguïté, la Cour a
poursuivi son analyse en se demandant si, en appli-
quant la common law, la Cour fédérale se trouvait
à appliquer le droit provincial (à la page 779
R.C.S.):
Je suis d'avis, comme je viens de l'expliquer, que le droit
maritime canadien constitue un ensemble de règles de droit
fédérales qui englobe les principes de common law en matière
de responsabilité délictuelle, de contrat et de dépôt. Je suis
aussi d'avis que le droit maritime canadien est uniforme partout
au Canada, un point de vue partagé par le juge Le Dain de la
Cour d'appel qui a appliqué les principes de common law en
matière de dépôt pour résoudre la demande de Miida contre
ITO. Le droit maritime canadien est l'ensemble de règles de
droit que définit l'art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale. Ce
droit, c'est le droit maritime d'Angleterre qui a été incorporé au
droit canadien; ce n'est pas le droit d'une province canadienne.
La Cour ajoute (aux pages 781 et 782 R.C.S.):
La Cour fédérale est constituée pour la meilleure administra
tion des lois du Canada. Elle n'est pas cependant restreinte à
l'application du droit fédéral aux affaires dont elle est saisie.
Lorsqu'une affaire relève, de par son «caractère véritable», de sa
compétence légale, la Cour fédérale peut appliquer accessoire-
ment le droit provincial nécessaire à la solution des points
litigieux soumis par les parties ...
On fait valoir qu'en l'absence d'une règle ou d'une disposition
particulière de droit maritime, la loi du lieu où se déroulent les
procédures s'applique. Cela résulte, soutient-on, de l'incorpora-
tion dans un régime fédéral d'un ensemble de règles de droit
incomplet emprunté à un État unitaire. Comme les principes de
common law en matière de négligence et de dépôt peuvent être
appliqués accessoirement dans les affaires d'amirauté, de même
le Code civil peut être appliqué accessoirement dans les litiges
qui ont pris naissance dans la province de Québec. On peut
répondre brièvement à cet argument. Le droit maritime cana-
dien, tel qu'adopté historiquement au Canada, puis finalement
incorporé dans le droit canadien par l'art. 2 de la Loi sur la
Cour fédérale, inclut les principes de common law qui s'appli-
quent en matière d'amirauté. Ainsi, comme le montre l'analyse
qui précède, les principes de common law ainsi incorporés
constituent du droit fédéral et non une application accessoire du
droit provincial.
En conclusion, on peut donc dire que les principes de
common law en matière de négligence et de dépôt ont été
empruntés à l'Angleterre et font maintenant partie du droit
maritime canadien.
À la lumière d'un énoncé aussi catégorique, il ne
peut à mon avis subsister de doute que le droit
maritime canadien comprend les principes de
common law en matière délictuelle et contrac-
tuelle, lesquels constituent ainsi du droit fédéral.
Ne saurait donc être déterminant en l'espèce le fait
que les parties ont prévu l'application du droit de
la Colombie-Britannique.
Il importe de souligner que si, à quelques repri
ses, le juge McIntyre se réfère uniquement au droit
de la négligence lorsqu'il évoque les règles provin-
ciales de common law en matière de responsabilité
délictuelle, c'est manifestement parce que c'était le
seul droit applicable dans l'affaire ITO. Voilà
pourquoi, dans le dernier paragraphe de l'extrait
ci-dessus, il ne mentionne que «les principes de
common law en matière de négligence et de
dépôt», objets du litige en l'espèce. Auparavant, il
s'était borné à déclarer que «le droit maritime
canadien constitue un ensemble de règles de droit
fédérales qui englobe les principes de common law
en matière de responsabilité délictuelle, de contrat
et de dépôt».
Enfin, dans l'arrêt ITO, la Cour a estimé que la
troisième condition pour qu'il y ait compétence de
la Cour fédérale était aussi facilement remplie que
la première (à la page 777 R.C.S.):
La troisième condition, savoir que la loi en question soit une loi
du Canada au sens où cette expression est employée à l'art. 101
de la Loi constitutionnelle de 1867, est aussi remplie du fait
que le droit maritime canadien et les autres lois qui portent sur
la navigation et les expéditions par eau relèvent du par. 91(10)
de la Loi constitutionnelle de 1867, confirmant ainsi la compé-
tence législative fédérale.
Je conclus donc que la Cour fédérale a compétence pour
instruire les demandes formées par Miida [le destinataire]
contre à la fois Mitsui [le transporteur maritime] et ITO
[l'acconier].
Ainsi éclairé par l'arrêt ITO, il nous est mainte-
nant possible de revenir à la présente espèce pour
déterminer si les trois conditions essentielles pour
pouvoir conclure à la compétence de la Cour fédé-
rale à l'égard de la demande reconventionnelle ont
été remplies.
La première condition repose sur l'attribution de
compétence par une loi du Parlement fédéral. À
mon avis, cette attribution se trouve au paragraphe
22(1) et plus particulièrement à l'alinéa 22(2)i):
22. (2) ...
i) toute demande née d'une convention relative ... à l'utili-
sation ... d'un navire soit par charte-partie, soit autrement;
Voici en quels termes le juge ayant instruit la
requête a analysé l'essence du contrat: [TRADUC-
TION] L'entente entre la demanderesse et la défen-
deresse dans cette opération particulière prévoyait
essentiellement que la demanderesse devait fournir
des fonds aux défendeurs et que ceux-ci devaient
rendre disponible le navire Nicolle N pour l'achat
et la transformation du saumon et des oeufs de
saumon en mer». Et plus loin: [TRADUCTION] «Le
contrat entre les parties prévoyait que le navire
Nicolle N devait opérer en haute mer pour acheter
du poisson dans un champ de pêche spécifié et
recevoir, transformer et livrer le poisson.» En d'au-
tres mots, l'utilisation d'un navire était expressé-
ment prévue et exigée en vertu du contrat.
L'appelante a fait valoir que l'alinéa i) ne pou-
vait s'appliquer compte tenu de ce passage de la
décision Kuhr c. Le Friedrich Busse, [1982] 2 C.F.
709; (1982), 134 D.L.R. (3d) 261 (1r° inst.), où le
juge Addy écrit, à la page 714 C.F.:
J'admets qu'un contrat de fourniture de poissons à un navire
ne saurait être considéré, simplement du fait que le navire
traite du poisson et utilise le poisson fourni, comme une «con-
vention relative ... à l'utilisation ... d'un navire» aux termes de
l'alinéa i). Il est clair que dans ce contexte, l'emploi du terme
«utilisation» vise l'utilisation que fait d'un navire un tiers autre
que le propriétaire: une convention pour son usage de même
qu'un contrat de nolisement ordinaire seraient ejusdem generis.
En présumant, sans en décider, que le juge Addy a
correctement conclu que l'utilisation visée à l'ali-
néa i) est celle que fait d'un navire un tiers autre
que le propriétaire, il y a lieu de faire une distinc
tion entre cette affaire et les faits de l'espèce. Non
seulement le représentant de Shibamoto était-il
présent à bord du navire à toutes époques pertinen-
tes aux fins de la fixation des prix, mais, plus
important encore, le contrat stipulait que Shiba -
moto fournissait à bord les services de huit techni-
ciens spécialisés, chargés de la préparation du
poisson et des veufs destinés au marché japonais. À
mon avis, bien qu'on ne puisse parler ici d'utilisa-
tion intégrale d'un navire, il s'agit néanmoins de
son utilisation manifeste par Shibamoto aux fins
du contrat, ce qui est suffisant pour satisfaire aux
exigences de l'alinéa i).
De ce point de vue, il y a également lieu de
distinguer l'espèce d'avec l'arrêt Dome Petroleum
Ltd. c. Hunt International Petroleum Co., [1978]
1 C.F. 11 (1 r° inst.), où le juge Dubé déclare, à la
page 14:
En bref, la question est de savoir si la réclamation de Dome
est fondée sur une convention relative au transport de marchan-
dises à bord d'un navire, ou bien à l'utilisation ou au louage
d'un navire au sens général de l'article 22 qui traite de naviga
tion et de marine marchande.
La convention évoquée dans la déclaration et signifiée à
Hunt ex juris avec celle-ci, ne traite pas du transport de
marchandises à bord d'un navire, ni de l'utilisation ou du
louage d'un navire ou reliés à un navire. Elle traite du forage
d'un puits d'essai. [C'est moi qui souligne.]
Vu cette conclusion de fait, la convention en cause
dans cette affaire ne pouvait, à la différence de
l'espèce, constituer en soi le fondement de la com-
pétence de la Cour fédérale.
Puisqu'à mon avis la compétence de la Cour
fédérale peut être fondée sur l'alinéa 22(2)i), il n'y
a pas lieu de se demander si elle peut également
être justifiée aux termes de l'alinéa m), comme l'a
estimé le juge saisi de la requête en s'appuyant sur
la décision Kuhr.
La première condition juridictionnelle est donc
remplie.
À mon avis, il est par ailleurs facilement satis-
fait à la deuxième condition à la lumière de l'arrêt
ITO. À cet égard il faut examiner non pas l'es-
sence de la convention, comme pour la première
condition, mais, comme les appelantes le soutien-
nent, la cause d'action de la demande reconven-
tionnelle.
Or, contrairement à ce qu'elles allèguent, il est
absolument impossible, vu l'arrêt ITO, de soutenir
que le sabotage d'une entreprise de transformation
du poisson par la fraude, le dol, le complot et
l'inexécution de contrat est une matière de droit
provincial plutôt que de droit maritime canadien.
Etant donné que le droit des contrats et de la
responsabilité délictuelle relève du droit maritime
canadien dans la mesure où la résolution d'un
litige l'exige, on ne saurait soutenir que certaines
parties de cet ensemble de règles de droit ne
relèvent pas du droit maritime. Selon la définition
énoncée dans l'arrêt ITO, le droit maritime cana-
dien est l'ensemble des règles de droit fédérales
essentiel à la solution du litige et qui constitue le
fondement de l'attribution légale de compétence.
La troisième condition est celle de la constitu-
tionnalité. On pourrait manifestement soutenir que
le contrat relève du paragraphe 91(12) de la Loi
constitutionnelle de 1867, à savoir de la compé-
tence fédérale sur les pêcheries côtières. Mais cette
troisième condition ne nécessite pas l'examen de
l'entente contractuelle elle-même mais bien celui
du droit maritime canadien ainsi que de l'alinéa
22(2)i) de la Loi, selon l'interprétation que j'en ai
faite. Or, la constitutionnalité du droit maritime
canadien a déjà été confirmée par l'arrêt ITO aux
termes du paragraphe 91(10) de la Loi constitu-
tionnelle de 1867 traitant de la compétence fédé-
rale sur «La navigation et les bâtiments ou
navires».
Dans la mesure où il vise l'utilisation d'un navire
pour la pêche, l'alinéa 22(2)i) relève pareillement
de la compétence en matière de navigation et de
marine marchande. Même si l'on devait limiter le
sens de cette dernière expression au seul transport
de marchandises, l'utilisation de navires pour la
pêche continuerait d'être comprise dans la défini-
tion du terme «navigation», dont le Shorter Oxford
English Dictionary, [vol. II, 3e éd. revue et corri-
gée, Oxford, Clarendon Press, 1975], donne
comme première acception:
[TRADUCTION] Navigation ... 1. Le fait de naviguer; le fait
de se déplacer sur l'eau à bord d'un navire ou autre bâtiment
Il me semble par conséquent incontestable que le
fait de se déplacer sur l'eau au cours d'une activité
de pêche côtière constitue de la navigation.
Les trois conditions pour pouvoir conclure à la
compétence de la Cour fédérale relativement à la
demande reconventionnelle ayant, à mon avis,
toutes été remplies, je rejetterais l'appel, avec
dépens suivant l'issue de la cause.
LE JUGE EN CHEF IACOBUCCI: Je souscris à ces
motifs.
LE JUGE MAHONEY, J.C.A.: Je souscris à ces
motifs.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.