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T-1957-87
Lucette Robitaille (demanderesse)
c.
La Reine (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: ROB!TAILLE c. CANADA (l" INST.)
Section de première instance, juge Addy—Mont- réal, 23 et 24 novembre; Ottawa, 19 décembre 1989.
Impôt sur le revenu Corporations Responsabilité encourue sous le régime de l'art. 227.1 de la Loi par des administrateurs d'une société liquidée qui ont omis de déduire ou de retenir des impôts La responsabilité d'une adminis- tratrice n'a pas été considérée comme engagée puisqu'elle n'avait pas réellement pris part aux activités de la compagnie, et puisque le contrôle de la société, b la connaissance de la défenderesse et avec son consentement, était effectivement passé aux mains d'une banque L'art. 227.1 suppose que la compagnie agit librement par le truchement de son conseil d'administration La responsabilité personnelle de l'admi- nistrateur ne saurait être engagée que s'il jouit d'une liberté de choix.
La demanderesse était administratrice à titre nominal de la société Placage St-Laurent Limitée, dont la liquidation a été entamée en septembre 1983, à la suite de la saisie de tous ses actifs par une banque. Elle était l'épouse de l'un des propriétai- res de la société, et on lui a remis une action en la nommant administratrice pour respecter ce que l'on croyait être les exigences de la loi à l'époque. La demanderesse n'a jamais participé activement à la gestion ou aux opérations de la société. Sous le régime de l'article 227.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu, le ministère du Revenu national a réclamé de la demanderesse les déductions à la source sur le salaire des employés qui ne lui ont pas été remises, soit un montant d'environ 50 000 $ plus les intérêts.
En janvier 1981, la situation financière de la société a commencé à se détériorer et, en octobre 1982, le crédit autorisé ayant été dépassé, une banque a pris le contrôle de la société et de tous ses paiements. Les activités de la société se sont déroulées sous le contrôle de la banque jusqu'à la liquidation, qui a eu lieu en septembre 1983. Ne pouvant recouvrer de la société le plein montant qui lui était dû, le ministère du Revenu national a eu recours à l'article 227.1 et, deux ans après que la société ait cessé de faire affaire, il a imposé la demanderesse pour les montants dus à l'égard des mois au cours desquels les déductions n'avaient pas été effectuées.
Le procès en l'espèce concerne un appel interjeté de la décision de la Cour canadienne de l'impôt qui a conclu à la responsabilité de la demanderesse.
Jugement: l'action devrait être accueillie.
L'espèce est la première à mettre en jeu devant cette Cour les obligations que la common law impose aux administrateurs de sociétés et la mesure dans laquelle ces obligations ont reçu de l'extension en étant codifiées dans les lois fiscales. Jusqu'à récemment, la Cour de l'impôt a considéré que l'administrateur avait l'obligation absolue de prendre des mesures positives pour
s'assurer que les déductions étaient faites régulièrement. Les administrateurs devaient prouver que, aussi bien avant qu'après l'événement concerné, ils avaient agi avec le soin, la diligence et l'habileté voulus en remplissant les fonctions qui sont normale- ment celles d'un administrateur. L'argument se fonde sur la règle de common law selon laquelle il ne faut faire aucune distinction entre les administrateurs, qu'ils soient actifs ou de nom seulement. Dans ses décisions plus récentes, la Cour de l'impôt s'est montrée plus indulgente envers les administrateurs. L'exception prévue au paragraphe 227.1(3) ne constitue pas le seul moyen d'échapper à la responsabilité. L'espèce est de celles présentant certaines situations exceptionnelles dans lesquelles une distinction peut et doit être faite.
Le fait que la banque, à la connaissance et avec le consente- ment de la défenderesse, a effectivement assumé plein contrôle de tous les débours de la société, constitue une circonstance très importante. À partir de ce moment-là, les actions posés par la société en ce qui concerne le versement ou la retenue de montants d'argent étaient essentiellement celles de la banque. Aussi, même en faisant abstraction du paragraphe 227.1(3), les administrateurs n'auraient aucune responsabilité en vertu du paragraphe 227.1(1) car cette disposition n'envisage que la situation dans laquelle la société agit librement par le truche- ment de son conseil d'administration. La responsabilité person- nelle de l'administrateur ne saurait être engagée que s'il jouit d'une pleine et entière liberté de choix.
Dans la présente espèce, la demanderesse n'avait pas le moindre intérêt dans les opérations de la société, pas plus qu'elle n'a eu, à aucun moment pertinent, la moindre connais- sance du défaut de paiement des retenues salariales. Eût-elle été au courant de la situation, elle n'aurait rien pu faire à cet égard. La défenderesse, d'autre part, connaissait bien la , situa tion, et elle a non seulement permis à cet état de choses de continuer mais encore toléré que les défauts de paiement se poursuivent, dans l'espoir de permettre à la société de survivre.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 223(2), 227.1 (édicté par S.C. 1980-81-82-83, chap. 140, art. 124(1)); (1),(3).
Loi sur les banques, S.C. 1980-81-82-83, chap. 40, art. 178.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Fancy c. M.R.N. (1988), 88 DTC 1641 (C.C.I.).
DÉCISIONS MENTIONNÉES:
Barnett, J. V. c. M.R.N. (1985), 85 DTC 619; [1985] 2 C.T.C. 2336 (C.C.I.); Fraser, H. Syndic c. M.R.N. (1987), 87 DTC 250; [1987] 1 C.T.C. 2311; 64 B.C.R. (N.S.) 58; 37 B.L.R. 309 (C.C.I.); Quantz, C. c. M.R.N. (1988), 88 DTC 1201; [1988] 1 C.T.C. 2276 (C.C.I.); Beutler, O. c. M.R.N. (1988), 88 DTC 1286; [1988] 1 C.T.C. 2414 (C.C.I.); Cybulski, D. J. c. M.R.N. (1988), 88 DTC 1531 (C.C.I.); Moore, R. M. c. M.R.N. (1988), 88 DTC 1537 (C.C.I.); Edmondson, S. G. c. M.R.N.
(1988), 88 DTC 1542 (C.C.I.); Merson, K. c. M.R.N. (1989), 89 DTC 22 (C.C.I.); Pilling, D. et H. c. M.R.N. (1989), 89 DTC 327; [1989] 2 C.T.C. 2037 (C.C.I.); Miche! c. M.N.R., 87-1893(IT)/87-1894(IT), juge St- Onge, décision en date du 21-6-89, C.C.I., encore inédite; Denis c. M.R.N., 87-962(IT)/87-963(IT), juge Sarchuk, décision en date du 28-8-89, C.C.I., encore inédite; Gagnon c. M.R.N., 87-244(IT), juge Rip, décision en date du 22-9-89, C.C.I., encore inédite.
AVOCATS:
Wilfrid Lefebvre pour la demanderesse. Daniel Marecki pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Ogilvy, Renault, Montréal, pour la demande- resse.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse. '
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE ADDY: Le procès en l'espèce concernait un appel interjeté par la demanderesse d'une déci- sion de la Cour canadienne de l'impôt concernant l'application des paragraphes (1) et (3) de l'article 227.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, chap. 63 (édicté par S.C. 1980-81- 82-83, chap. 140, art. 124(1))], qui sont ainsi libellés:
227.1 (1) Lorsqu'une corporation a omis de déduire ou de retenir une somme, tel que prévu au paragraphe 135(3) ou à l'article 153 ou 215, ou a omis de remettre cette somme, les administrateurs de la corporation, à la date à laquelle la corporation était tenue de déduire ou de retenir la somme ou de la remettre, sont conjointement et solidairement responsables, avec la corporation, du paiement de toute somme que la corporation est tenue de payer en vertu de la présente loi à l'égard de cette somme, incluant tous les intérêts et toutes les pénalités s'y rapportant.
(3) Un administrateur n'est pas responsable de l'omission visée au paragraphe (1) lorsqu'il a agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté pour prévenir le manquement qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des cir- constances comparables.
La demanderesse était administratrice de la société Placage St-Laurent Limitée, une société constituée selon la loi fédérale, dont la liquidation a été entamée le 2 septembre 1983 la suite de la saisie de tous ses actifs par la Banque.
En vertu du paragraphe 227.1(1), Revenu natio nal réclame à la demanderesse à l'égard de certai- nes retenues à la source qui devaient être prélevées sur les salaires des employés et qui n'ont pas été remises un montant d'environ 20 000 $ plus un intérêt cumulé pour les retenues faites au cours de la période de septembre à novembre 1982, ainsi qu'un montant d'environ 30 000 $ plus les intérêts pour les retenues faites au cours de la période de mai à septembre 1983.
L'époux de la demanderesse, Claude Robitaille, ainsi que son frère Guy Robitaille, avaient fait affaire pendant une bonne période comme co-pro- priétaires à parts égales d'une société connue sous le nom de TransCanada Industries Inc. En 1978, ils ont acheté, à parts égales, la société Placage St-Laurent Limitée. A l'époque de l'achat des actions de cette Société, leurs conseillers juridiques les ont avisés que la loi exigeait un minimum de trois actionnaires et de trois administrateurs, pour l'exploitation d'une entreprise fédérale. Afin, tout à la fois, de respecter cette exigence et d'assurer l'égalité des participations, les épouses des frères Robitaille ont reçu chacune une action et elles ont été nommées administratrices avec leurs maris.
La loi avait en fait été modifiée en 1978 pour permettre à une société constituée selon la loi fédérale de restreindre à un le nombre de ses administrateurs. Aucun changement n'a été effec- tué par la société à cet égard, peut-être parce que les propriétaires n'étaient pas au courant des chan- gements apportés à la loi.
Il a été convenu que l'époux de la demanderesse, Claude, exploiterait et dirigerait TransCanada, tandis que son beau-frère, Guy, exploiterait et dirigerait la société nouvellement acquise, Placage St-Laurent Limitée; les profits ou les dividendes de chacune de ces sociétés devaient être partagés également entre les deux frères. C'est ce qui est arrivé. Le dernier rapport annuel de Placage St-Laurent, qui a été signé en 1981, indique que 50 % des actions appartiennent à chacun des deux frères, sans mentionner qu'une seule action soit mise au nom de l'une ou de l'autre des épouses. Celles-ci, toutefois, demeuraient inscrites comme administratrices et continuaient de détenir cha- cune une action.
Placage St-Laurent employait normalement entre 42 et 45 personnes. En janvier 1981, toute- fois, les affaires de la société se sont mises à péricliter comme le nombre des commandes dimi- nuait. En septembre 1982, les retenues à la source n'ont pas été acheminées au ministère du Revenu national, et, le mois suivant, un contrôleur de gestion mandaté par la Banque a pris en charge l'administration des paiements de la société, dont le crédit autorisé avait été dépassé. Dès lors, aucuns chèques ne pouvaient être—et, en fait, ne furent—émis sans l'autorisation du contrôleur de gestion. Peu après le début de l'année 1981, la société s'attendait à recevoir un prêt fédéral de quelque 160 000 $ visant à favoriser la croissance économique de certaines entreprises. La société avait également demandé et, plus tard, obtenu, une somme de 200 000 $ du gouvernement de la pro vince de Québec. Ces 200 000 $ ont en fait été reçus au début de l'année 1983. La Banque a prélevé 160 000 $ sur ces argents pour les appli- quer à sa dette, et elle a autorisé la sortie de 40 000 $ pour payer les comptes de certains créan- ciers de la société.
Au cours des années ayant précédé septembre 1982, la Banque avait exigé à différentes reprises que des sûretés et hypothèques soient consenties à l'égard du matériel d'usine et, en fait, de tous les actifs de la société. Après avoir pris le contrôle de l'émission des chèques de la compagnie en octobre, la Banque, le 2 novembre, a obtenu une cession générale de ses inventaires conformément à l'arti- cle 178 de la Loi sur les banques [S.C. 1980-81- 82-83, chap. 40]. À la suite de sa prise de contrôle des sorties d'argent en octobre 1982, la Banque n'a autorisé aucune remise des retenues salariales du mois d'octobre ou du mois de novembre, non plus que la remise des arrérages du mois de septembre. Le 24 janvier 1983, une demande formelle à des tiers a été signifiée à la Banque par le ministère du Revenu national. Après que le Ministère eut tenu certaines discussions avec la Banque, qui l'a informé que, dans l'éventualité il persisterait à exiger paiement, elle serait dans l'obligation de réaliser immédiatement ses sûretés et, en fait, de fermer l'entreprise, et parce qu'il anticipait l'octroi de certaines subventions par les gouvernements fédéral et provincial, le Ministère, le 12 février 1983, a consenti à retirer sa demande pour permet- tre la survie de l'entreprise. Le Ministère a dès lors
fait exclusivement affaire avec la Banque, et n'a, selon la preuve, tenu aucune consultation avec les administrateurs. Guy Robitaille a reçu instruction d'obtenir des commandes et de voir au bon fonc- tionnement de l'usine. Les questions financières se trouvaient, dans les faits, entièrement placées sous le contrôle de la Banque.
En 1983, des chèques ont effectivement été autorisés par la Banque à l'égard des retenues à la source prélevées sur les salaires des employés pour les mois de janvier à avril inclusivement, mais aucuns chèques n'ont été émis à l'égard des rete- nues de la période de mai à septembre.
Bien que la marge de crédit originale de la société auprès de la Banque ait été de 350 000 $ et que cette limite ait été atteinte en 1981, en juin 1983, une somme de 1 500 000 $ avait été avancée par la Banque, somme dont le remboursement se trouvait en grande partie garanti aussi bien par le gouvernement fédéral que par le gouvernement provincial. Le ministère du Revenu national a en fait été constamment informé des opérations et de la situation financière de l'entreprise pendant la période envisagée; de plus, il a effectué des vérifi- cations au cours de l'année 1983. Pendant la pre- mière semaine du mois de juin de cette année-là, un vérificateur du Ministère a déclaré que l'émis- sion d'un chèque en faveur du Ministère était alors impossible, mais que la société s'attendait à rece- voir une subvention de 160 000 $ au cours du mois de juillet; il joignait à ce document une copie d'une lettre de la Banque en date du 9 juin 1983 confir- mant que la subvention de 160 000 $ était atten- due pour le mois de juillet et demandant qu'une seconde demande formelle à des tiers signifiée le 2 juin soit retirée pour permettre la continuation des affaires de la société. Ce retrait semble avoir eu lieu, ou, à tout le moins, aucune mesure n'a été prise pour faire suite à la demande en question. Le 2 novembre 1983, la Banque a pris possession des actifs de la société, qui, effectivement, a alors cessé ses activités. Depuis lors, les deux frères ont déclaré une faillite personnelle.
En mars 1983, un certificat visant le montant par la société avait été déposé à la Cour fédérale conformément au paragraphe 223(2) de la Loi [de l'impôt sur le revenu]. Deux ans plus tard, le 24 avril 1985, un bref de fieri facias était décerné. Une déclaration nulla bona a suivi et, le 28 août
1985, un avis de cotisation a été adressé . à la demanderesse, qui s'y est immédiatement opposée.
À la fin d'août 1983, la Banque et le Ministère avaient conclu une entente prévoyant que des chè- ques post-datés seraient émis pour payer les arré- rages. Ces chèques ont été émis mais n'ont pas ensuite été honorés par la Banque.
À aucun moment la Banque a-t-elle exigé des garanties personnelles de la demanderesse ou de l'un des autres administrateurs. La personne qui a témoigné au nom de la défenderesse au cours de l'interrogatoire préalable a déclaré que toutes les négociations et discussions en cause ont été tenues avec la Banque parce qu'il était inutile de traiter avec les administrateurs alors que la Banque avait pris le contrôle des affaires de la société; ces derniers auraient simplement répondu que le Ministère avait saisi les comptes de banque et qu'ils ne pouvaient rien y faire.
Avant que l'avis de cotisation de la demande- resse ne soit expédié en août 1985, aucune commu nication que ce soit n'a eu lieu entre le Ministère et la demanderesse concernant la dette ou concernant la société. L'avis de cotisation qui précède lui a été adressé quelque deux années après que la société ait cessé ses activités. Alors seulement a-t-elle pris conscience de la possibilité qu'elle soit tenue res- ponsable de dettes de la société.
L'avocat, outre plusieurs arrêts et articles ayant trait aux obligations que la common law impose aux administrateurs des sociétés et à la mesure dans laquelle ces obligations ont reçu de l'exten- sion en étant codifiées dans les lois fiscales, ont mentionné assez longuement divers articles et douze décisions publiées rendues par la Cour cana- dienne de l'impôt depuis que l'article a été édicté, ainsi que la décision non encore publiée rendue dans l'affaire Gagnon c. M.R.N., appel 87-244(IT), juge Rip, en date du 22 septembre 1989. Il s'agit apparemment de toutes les affai- res décidées par ladite Cour en ce qui concerne les effets des paragraphes 227.1(1) et 227.1(3), et en voici la liste:
Barnett, J. V. v. M.N.R. (1985), 85 DTC 619; [1985] 2 C.T.C. 2336;
Fraser H. Syndic c. M.R.N. (1987), 87 DTC 250; [1987] 1 C.T.C. 2311; 64 B.C.R. (N.S.) 58; 37 B.L.R. 309;
Quantz, C. c. M.R.N. (1988), 88 DTC 1201; [1988] 1 C.T.C. 2276;
Beutler, O. c. M.R.N. (1988), 88 DTC 1286; [ 1988] 1 C.T.C. 2414;
Cybulski, D. J. c. M.R.N. (1988), 88 DTC 1531;
Moore, R. M. c. M.R.N. (1988), 88 DTC 1537;
Edmondson, S. G. c. M.R.N. (1988), 88 DTC 1542;
Fancy c. M.R.N. (1988), 88 DTC 1641; Merson, K. c. M.R.N. (1989), 89 DTC 22;
Pilling, D. et H. c. M.R.N. (1989), 89 DTC 327; [ 1989] 2 C.T.C. 2037;
Michel c. M.R.N., appels 87-1893(IT)/87- 1894(IT), décision ecore inédite du juge St- Onge de la Cour canadienne de l'impôt, en date du 21 juin 1989.
Denis c. M.R.N., appels 87-962(11)/87-963(1T), décision encore inédite du juge Sarchuk de la Cour canadienne de l'impôt en date du 28 août 1989.
Deux de ces décisions, à savoir celles qui ont été rendues dans les affaires Fancy c. M.R.N. et Beut- ler, O. c. M.R.N. font actuellement l'objet d'un appel mais elles n'ont pas encore été entendues. Par conséquent, il semble que l'espèce soit la pre- mière à être jugée par notre Cour.
Même si, lorsqu'il s'agit du «degré de soin, de diligence et d'habileté» qu'«une personne raisonna- blement prudente» doit exercer «dans des circons- tances comparables», chaque affaire dépend néces- sairement des faits qui lui sont propres, il semble que la Cour canadienne de l'impôt, dans ses déci- sions les plus récentes, a pu se montrer plus indul- gente envers les administrateurs que dans les déci- sions précédentes, dans lesquelles elle a semblé exiger une obligation un peu plus stricte, l'admi- nistrateur ayant l'obligation absolue, semble-t-il, de prendre des mesures positives puisqu'il doit, dans tous les cas, abstraction faite de la situation, prouver qu'aussi bien avant qu'après l'événement concerné, il a agi avec le degré de soin, de dili gence et d'habileté nécessaire en remplissant les fonctions qui sont normalement celles d'un admi- nistrateur. L'argument se fonde sur la règle de common law selon laquelle il ne faut faire aucune distinction entre les administrateurs, qu'ils soient actifs ou de nom seulement. Bien que dans la
grande majorité des cas ce fardeau serait imposé à tout directeur qui cherche à échapper à la respon- sabilité prévue au paragraphe 227.1(1) en invo- quant l'exception prévue au paragraphe 227.1(3), je ne saurais admettre qu'il s'agit d'une règle inflexible d'application universelle, peu importe les faits en cause. 11 existe, comme l'a décidé le juge en chef Couture de la Cour canadiene de l'impôt dans la décision publiée rendue dans l'affaire Fancy c. M.R.N. précitée, certaines situations exceptionnelles dans lesquelles une distinction peut et doit être faite. Quoi qu'il en soit, les «circons- tances» dont il est question au paragraphe (3) doivent êtres celles qui, directement ou indirecte- ment, auraient une incidence sur les actions ou l'inaction de la personne que l'on veut tenir respon- sable en vertu du paragraphe (1). Or, le fait que la Banque, à la connaissance et du consentement de la défenderesse, a effectivement assumé plein con- trôle de tous les débours de la société, à compter d'octobre 1982, constitue une circonstance très importante.
De plus, lorsqu'une banque a assumé le contrôle effectif d'une société comme c'est le cas en l'es- pèce, sans que les administrateurs lui aient demandé d'agir de la sorte ni l'aient invité à le faire, et lorsque c'est exclusivement la banque qui décide quels chèques seront ou ne seront pas rédi- gés sans consultation du conseil d'administration, à partir de ce moment les actions de la société en ce qui concerne le versement ou la retenue des deniers sont essentiellement celles de la banque et je serais disposé à statuer que même abstraction faite du paragraphe 227.1(3), les administrateurs n'au- raient aucune responsabilité en vertu du paragra- phe 227.1(1) car cette disposition envisage claire- ment la situation la société agit librement par le truchement de son conseil d'administration. La responsabilité personnelle de l'administrateur ne saurait être engagée que s'il jouit d'une pleine et entière liberté de choix.
L'expression «diligence» désormais codifiée, introduit une norme objective plus élevée que celle imposée par la common law aux administrateurs en général. Bien que le critère applicable soit, dans une large mesure, un critère objectif, la question reste tout de même de savoir ce que ferait une personne raisonnablement prudente dans les cir- constances dans lesquelles se trouve l'administra-
teur. Parmi ces circonstances, se trouvent des élé- ments subjectifs tels le degré d'éducation, les connaissances en affaires et les capacités générales de l'administrateur.
La demanderesse n'était pas sans connaître la marche d'une société car elle avait sa propre petite société, dont elle était présidente et directrice. Il est donc probable qu'elle connaissait au moins quelques unes des obligations générales d'un administrateur.
Elle était aussi employée par son mari à Trans- Canada, elle faisait un travail de bureau géné- ral, remplissant notamment les fonctions de récep- tionniste et accomplissant quelques travaux reliés à la tenue de livres, au classement de documents et à la paye. Mais elle n'a toutefois jamais accompli quelque travail que ce soit pour Placage St-Lau- rent Limitée, pas plus qu'elle n'a jamais assisté aux assemblées des administrateurs ni à d'autres assemblées ou discussions concernant cette société, ni reçu des dividendes ou autre rémunération, émoluments ou -deniers par le biais d'un prêt ou autrement. Elle n'a jamais rempli de fonctions ni travaillé pour la société, que ce soit comme admi- nistratrice, employée, fondée de pouvoir ou à un autre titre. Bien qu'elle ait été employée comme on l'a dit plus haut et qu'elle ait reçu un salaire de TransCanada Industries que son mari dirigeait, elle n'a jamais assisté ni pris part à aucune des assemblées des administrateurs de cette société.
La demanderesse n'a été au courant de l'omis- sion de remettre des déductions qu'une fois les affaires de la société placées entre les mains de la Banque. Elle savait que les choses allaient mal en raison de l'absence de commandes; son mari l'avait prévenue, mais elle ne connaissait pas du tout les détails si ce n'est dans la mesure des rapports rédigés par son beau-frère à l'intention de son mari étaient adressés à TransCanada, elle travaillait.
Je conclus que sauf dans la mesure une épouse peut profiter des succès financiers de son mari, la demanderesse n'avait pas le moindre inté- rêt dans les opérations de Placage St-Laurent Limitée, pas plus qu'elle n'a eu, à aucun moment pertinent, la moindre connaissance du défaut de paiement des retenues salariales. Eut-elle été au courant de la situation, elle n'aurait rien pu faire à
cet égard. D'autre part, dès le début, la défende- resse connaissait entièrement la situation, et comme on l'a dit plus haut, elle avait convenu avec la Banque de permettre à cet état de choses et aux défauts de paiement de continuer dans l'espoir de permettre à la société de survivre. Je ne veux pas laisser entendre que la défenderesse a agi de façon blâmable, car il eut été à l'avantage de tous si l'entreprise avait finalement pu être sauvée. Le gouvernement fédéral lui-même, indépendamment de la situation fiscale, avait un intérêt réel à assurer la survivance financière de la société en raison des subventions considérables qu'il lui avait accordées.
Mon souci en l'espèce se limite évidemment à déterminer si la demanderesse devrait être tenue responsable des arriérés de paiement. Dans les circonstances de l'espèce, j'estime qu'elle ne doit pas être tenue responsable. La demanderesse a donc droit à un jugement en sa faveur et à ses frais depuis le début.
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