T-1957-87
Lucette Robitaille (demanderesse)
c.
La Reine (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: ROB!TAILLE c. CANADA (l" INST.)
Section de première instance, juge Addy—Mont-
réal, 23 et 24 novembre; Ottawa, 19 décembre
1989.
Impôt sur le revenu — Corporations — Responsabilité
encourue sous le régime de l'art. 227.1 de la Loi par des
administrateurs d'une société liquidée qui ont omis de déduire
ou de retenir des impôts — La responsabilité d'une adminis-
tratrice n'a pas été considérée comme engagée puisqu'elle
n'avait pas réellement pris part aux activités de la compagnie,
et puisque le contrôle de la société, b la connaissance de la
défenderesse et avec son consentement, était effectivement
passé aux mains d'une banque — L'art. 227.1 suppose que la
compagnie agit librement par le truchement de son conseil
d'administration — La responsabilité personnelle de l'admi-
nistrateur ne saurait être engagée que s'il jouit d'une liberté de
choix.
La demanderesse était administratrice à titre nominal de la
société Placage St-Laurent Limitée, dont la liquidation a été
entamée en septembre 1983, à la suite de la saisie de tous ses
actifs par une banque. Elle était l'épouse de l'un des propriétai-
res de la société, et on lui a remis une action en la nommant
administratrice pour respecter ce que l'on croyait être les
exigences de la loi à l'époque. La demanderesse n'a jamais
participé activement à la gestion ou aux opérations de la
société. Sous le régime de l'article 227.1 de la Loi de l'impôt
sur le revenu, le ministère du Revenu national a réclamé de la
demanderesse les déductions à la source sur le salaire des
employés qui ne lui ont pas été remises, soit un montant
d'environ 50 000 $ plus les intérêts.
En janvier 1981, la situation financière de la société a
commencé à se détériorer et, en octobre 1982, le crédit autorisé
ayant été dépassé, une banque a pris le contrôle de la société et
de tous ses paiements. Les activités de la société se sont
déroulées sous le contrôle de la banque jusqu'à la liquidation,
qui a eu lieu en septembre 1983. Ne pouvant recouvrer de la
société le plein montant qui lui était dû, le ministère du Revenu
national a eu recours à l'article 227.1 et, deux ans après que la
société ait cessé de faire affaire, il a imposé la demanderesse
pour les montants dus à l'égard des mois au cours desquels les
déductions n'avaient pas été effectuées.
Le procès en l'espèce concerne un appel interjeté de la
décision de la Cour canadienne de l'impôt qui a conclu à la
responsabilité de la demanderesse.
Jugement: l'action devrait être accueillie.
L'espèce est la première à mettre en jeu devant cette Cour les
obligations que la common law impose aux administrateurs de
sociétés et la mesure dans laquelle ces obligations ont reçu de
l'extension en étant codifiées dans les lois fiscales. Jusqu'à
récemment, la Cour de l'impôt a considéré que l'administrateur
avait l'obligation absolue de prendre des mesures positives pour
s'assurer que les déductions étaient faites régulièrement. Les
administrateurs devaient prouver que, aussi bien avant qu'après
l'événement concerné, ils avaient agi avec le soin, la diligence et
l'habileté voulus en remplissant les fonctions qui sont normale-
ment celles d'un administrateur. L'argument se fonde sur la
règle de common law selon laquelle il ne faut faire aucune
distinction entre les administrateurs, qu'ils soient actifs ou de
nom seulement. Dans ses décisions plus récentes, la Cour de
l'impôt s'est montrée plus indulgente envers les administrateurs.
L'exception prévue au paragraphe 227.1(3) ne constitue pas le
seul moyen d'échapper à la responsabilité. L'espèce est de celles
présentant certaines situations exceptionnelles dans lesquelles
une distinction peut et doit être faite.
Le fait que la banque, à la connaissance et avec le consente-
ment de la défenderesse, a effectivement assumé plein contrôle
de tous les débours de la société, constitue une circonstance très
importante. À partir de ce moment-là, les actions posés par la
société en ce qui concerne le versement ou la retenue de
montants d'argent étaient essentiellement celles de la banque.
Aussi, même en faisant abstraction du paragraphe 227.1(3), les
administrateurs n'auraient aucune responsabilité en vertu du
paragraphe 227.1(1) car cette disposition n'envisage que la
situation dans laquelle la société agit librement par le truche-
ment de son conseil d'administration. La responsabilité person-
nelle de l'administrateur ne saurait être engagée que s'il jouit
d'une pleine et entière liberté de choix.
Dans la présente espèce, la demanderesse n'avait pas le
moindre intérêt dans les opérations de la société, pas plus
qu'elle n'a eu, à aucun moment pertinent, la moindre connais-
sance du défaut de paiement des retenues salariales. Eût-elle
été au courant de la situation, elle n'aurait rien pu faire à cet
égard. La défenderesse, d'autre part, connaissait bien la , situa
tion, et elle a non seulement permis à cet état de choses de
continuer mais encore toléré que les défauts de paiement se
poursuivent, dans l'espoir de permettre à la société de survivre.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63,
art. 223(2), 227.1 (édicté par S.C. 1980-81-82-83,
chap. 140, art. 124(1)); (1),(3).
Loi sur les banques, S.C. 1980-81-82-83, chap. 40, art.
178.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Fancy c. M.R.N. (1988), 88 DTC 1641 (C.C.I.).
DÉCISIONS MENTIONNÉES:
Barnett, J. V. c. M.R.N. (1985), 85 DTC 619; [1985] 2
C.T.C. 2336 (C.C.I.); Fraser, H. Syndic c. M.R.N.
(1987), 87 DTC 250; [1987] 1 C.T.C. 2311; 64 B.C.R.
(N.S.) 58; 37 B.L.R. 309 (C.C.I.); Quantz, C. c. M.R.N.
(1988), 88 DTC 1201; [1988] 1 C.T.C. 2276 (C.C.I.);
Beutler, O. c. M.R.N. (1988), 88 DTC 1286; [1988] 1
C.T.C. 2414 (C.C.I.); Cybulski, D. J. c. M.R.N. (1988),
88 DTC 1531 (C.C.I.); Moore, R. M. c. M.R.N. (1988),
88 DTC 1537 (C.C.I.); Edmondson, S. G. c. M.R.N.
(1988), 88 DTC 1542 (C.C.I.); Merson, K. c. M.R.N.
(1989), 89 DTC 22 (C.C.I.); Pilling, D. et H. c. M.R.N.
(1989), 89 DTC 327; [1989] 2 C.T.C. 2037 (C.C.I.);
Miche! c. M.N.R., 87-1893(IT)/87-1894(IT), juge St-
Onge, décision en date du 21-6-89, C.C.I., encore inédite;
Denis c. M.R.N., 87-962(IT)/87-963(IT), juge Sarchuk,
décision en date du 28-8-89, C.C.I., encore inédite;
Gagnon c. M.R.N., 87-244(IT), juge Rip, décision en
date du 22-9-89, C.C.I., encore inédite.
AVOCATS:
Wilfrid Lefebvre pour la demanderesse.
Daniel Marecki pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Ogilvy, Renault, Montréal, pour la demande-
resse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse. '
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE ADDY: Le procès en l'espèce concernait
un appel interjeté par la demanderesse d'une déci-
sion de la Cour canadienne de l'impôt concernant
l'application des paragraphes (1) et (3) de l'article
227.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.C.
1970-71-72, chap. 63 (édicté par S.C. 1980-81-
82-83, chap. 140, art. 124(1))], qui sont ainsi
libellés:
227.1 (1) Lorsqu'une corporation a omis de déduire ou de
retenir une somme, tel que prévu au paragraphe 135(3) ou à
l'article 153 ou 215, ou a omis de remettre cette somme, les
administrateurs de la corporation, à la date à laquelle la
corporation était tenue de déduire ou de retenir la somme ou de
la remettre, sont conjointement et solidairement responsables,
avec la corporation, du paiement de toute somme que la
corporation est tenue de payer en vertu de la présente loi à
l'égard de cette somme, incluant tous les intérêts et toutes les
pénalités s'y rapportant.
(3) Un administrateur n'est pas responsable de l'omission
visée au paragraphe (1) lorsqu'il a agi avec le degré de soin, de
diligence et d'habileté pour prévenir le manquement qu'une
personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des cir-
constances comparables.
La demanderesse était administratrice de la
société Placage St-Laurent Limitée, une société
constituée selon la loi fédérale, dont la liquidation
a été entamée le 2 septembre 1983 la suite de la
saisie de tous ses actifs par la Banque.
En vertu du paragraphe 227.1(1), Revenu natio
nal réclame à la demanderesse à l'égard de certai-
nes retenues à la source qui devaient être prélevées
sur les salaires des employés et qui n'ont pas été
remises un montant d'environ 20 000 $ plus un
intérêt cumulé pour les retenues faites au cours de
la période de septembre à novembre 1982, ainsi
qu'un montant d'environ 30 000 $ plus les intérêts
pour les retenues faites au cours de la période de
mai à septembre 1983.
L'époux de la demanderesse, Claude Robitaille,
ainsi que son frère Guy Robitaille, avaient fait
affaire pendant une bonne période comme co-pro-
priétaires à parts égales d'une société connue sous
le nom de TransCanada Industries Inc. En 1978,
ils ont acheté, à parts égales, la société Placage
St-Laurent Limitée. A l'époque de l'achat des
actions de cette Société, leurs conseillers juridiques
les ont avisés que la loi exigeait un minimum de
trois actionnaires et de trois administrateurs, pour
l'exploitation d'une entreprise fédérale. Afin, tout
à la fois, de respecter cette exigence et d'assurer
l'égalité des participations, les épouses des frères
Robitaille ont reçu chacune une action et elles ont
été nommées administratrices avec leurs maris.
La loi avait en fait été modifiée en 1978 pour
permettre à une société constituée selon la loi
fédérale de restreindre à un le nombre de ses
administrateurs. Aucun changement n'a été effec-
tué par la société à cet égard, peut-être parce que
les propriétaires n'étaient pas au courant des chan-
gements apportés à la loi.
Il a été convenu que l'époux de la demanderesse,
Claude, exploiterait et dirigerait TransCanada,
tandis que son beau-frère, Guy, exploiterait et
dirigerait la société nouvellement acquise, Placage
St-Laurent Limitée; les profits ou les dividendes de
chacune de ces sociétés devaient être partagés
également entre les deux frères. C'est ce qui est
arrivé. Le dernier rapport annuel de Placage
St-Laurent, qui a été signé en 1981, indique que
50 % des actions appartiennent à chacun des deux
frères, sans mentionner qu'une seule action soit
mise au nom de l'une ou de l'autre des épouses.
Celles-ci, toutefois, demeuraient inscrites comme
administratrices et continuaient de détenir cha-
cune une action.
Placage St-Laurent employait normalement
entre 42 et 45 personnes. En janvier 1981, toute-
fois, les affaires de la société se sont mises à
péricliter comme le nombre des commandes dimi-
nuait. En septembre 1982, les retenues à la source
n'ont pas été acheminées au ministère du Revenu
national, et, le mois suivant, un contrôleur de
gestion mandaté par la Banque a pris en charge
l'administration des paiements de la société, dont
le crédit autorisé avait été dépassé. Dès lors,
aucuns chèques ne pouvaient être—et, en fait, ne
furent—émis sans l'autorisation du contrôleur de
gestion. Peu après le début de l'année 1981, la
société s'attendait à recevoir un prêt fédéral de
quelque 160 000 $ visant à favoriser la croissance
économique de certaines entreprises. La société
avait également demandé et, plus tard, obtenu, une
somme de 200 000 $ du gouvernement de la pro
vince de Québec. Ces 200 000 $ ont en fait été
reçus au début de l'année 1983. La Banque a
prélevé 160 000 $ sur ces argents pour les appli-
quer à sa dette, et elle a autorisé la sortie de
40 000 $ pour payer les comptes de certains créan-
ciers de la société.
Au cours des années ayant précédé septembre
1982, la Banque avait exigé à différentes reprises
que des sûretés et hypothèques soient consenties à
l'égard du matériel d'usine et, en fait, de tous les
actifs de la société. Après avoir pris le contrôle de
l'émission des chèques de la compagnie en octobre,
la Banque, le 2 novembre, a obtenu une cession
générale de ses inventaires conformément à l'arti-
cle 178 de la Loi sur les banques [S.C. 1980-81-
82-83, chap. 40]. À la suite de sa prise de contrôle
des sorties d'argent en octobre 1982, la Banque n'a
autorisé aucune remise des retenues salariales du
mois d'octobre ou du mois de novembre, non plus
que la remise des arrérages du mois de septembre.
Le 24 janvier 1983, une demande formelle à des
tiers a été signifiée à la Banque par le ministère du
Revenu national. Après que le Ministère eut tenu
certaines discussions avec la Banque, qui l'a
informé que, dans l'éventualité où il persisterait à
exiger paiement, elle serait dans l'obligation de
réaliser immédiatement ses sûretés et, en fait, de
fermer l'entreprise, et parce qu'il anticipait l'octroi
de certaines subventions par les gouvernements
fédéral et provincial, le Ministère, le 12 février
1983, a consenti à retirer sa demande pour permet-
tre la survie de l'entreprise. Le Ministère a dès lors
fait exclusivement affaire avec la Banque, et n'a,
selon la preuve, tenu aucune consultation avec les
administrateurs. Guy Robitaille a reçu instruction
d'obtenir des commandes et de voir au bon fonc-
tionnement de l'usine. Les questions financières se
trouvaient, dans les faits, entièrement placées sous
le contrôle de la Banque.
En 1983, des chèques ont effectivement été
autorisés par la Banque à l'égard des retenues à la
source prélevées sur les salaires des employés pour
les mois de janvier à avril inclusivement, mais
aucuns chèques n'ont été émis à l'égard des rete-
nues de la période de mai à septembre.
Bien que la marge de crédit originale de la
société auprès de la Banque ait été de 350 000 $ et
que cette limite ait été atteinte en 1981, en juin
1983, une somme de 1 500 000 $ avait été avancée
par la Banque, somme dont le remboursement se
trouvait en grande partie garanti aussi bien par le
gouvernement fédéral que par le gouvernement
provincial. Le ministère du Revenu national a en
fait été constamment informé des opérations et de
la situation financière de l'entreprise pendant la
période envisagée; de plus, il a effectué des vérifi-
cations au cours de l'année 1983. Pendant la pre-
mière semaine du mois de juin de cette année-là,
un vérificateur du Ministère a déclaré que l'émis-
sion d'un chèque en faveur du Ministère était alors
impossible, mais que la société s'attendait à rece-
voir une subvention de 160 000 $ au cours du mois
de juillet; il joignait à ce document une copie d'une
lettre de la Banque en date du 9 juin 1983 confir-
mant que la subvention de 160 000 $ était atten-
due pour le mois de juillet et demandant qu'une
seconde demande formelle à des tiers signifiée le 2
juin soit retirée pour permettre la continuation des
affaires de la société. Ce retrait semble avoir eu
lieu, ou, à tout le moins, aucune mesure n'a été
prise pour faire suite à la demande en question. Le
2 novembre 1983, la Banque a pris possession des
actifs de la société, qui, effectivement, a alors cessé
ses activités. Depuis lors, les deux frères ont
déclaré une faillite personnelle.
En mars 1983, un certificat visant le montant dû
par la société avait été déposé à la Cour fédérale
conformément au paragraphe 223(2) de la Loi [de
l'impôt sur le revenu]. Deux ans plus tard, le 24
avril 1985, un bref de fieri facias était décerné.
Une déclaration nulla bona a suivi et, le 28 août
1985, un avis de cotisation a été adressé . à la
demanderesse, qui s'y est immédiatement opposée.
À la fin d'août 1983, la Banque et le Ministère
avaient conclu une entente prévoyant que des chè-
ques post-datés seraient émis pour payer les arré-
rages. Ces chèques ont été émis mais n'ont pas
ensuite été honorés par la Banque.
À aucun moment la Banque a-t-elle exigé des
garanties personnelles de la demanderesse ou de
l'un des autres administrateurs. La personne qui a
témoigné au nom de la défenderesse au cours de
l'interrogatoire préalable a déclaré que toutes les
négociations et discussions en cause ont été tenues
avec la Banque parce qu'il était inutile de traiter
avec les administrateurs alors que la Banque avait
pris le contrôle des affaires de la société; ces
derniers auraient simplement répondu que le
Ministère avait saisi les comptes de banque et
qu'ils ne pouvaient rien y faire.
Avant que l'avis de cotisation de la demande-
resse ne soit expédié en août 1985, aucune commu
nication que ce soit n'a eu lieu entre le Ministère et
la demanderesse concernant la dette ou concernant
la société. L'avis de cotisation qui précède lui a été
adressé quelque deux années après que la société
ait cessé ses activités. Alors seulement a-t-elle pris
conscience de la possibilité qu'elle soit tenue res-
ponsable de dettes de la société.
L'avocat, outre plusieurs arrêts et articles ayant
trait aux obligations que la common law impose
aux administrateurs des sociétés et à la mesure
dans laquelle ces obligations ont reçu de l'exten-
sion en étant codifiées dans les lois fiscales, ont
mentionné assez longuement divers articles et
douze décisions publiées rendues par la Cour cana-
dienne de l'impôt depuis que l'article a été édicté,
ainsi que la décision non encore publiée rendue
dans l'affaire Gagnon c. M.R.N., appel
87-244(IT), juge Rip, en date du 22 septembre
1989. Il s'agit là apparemment de toutes les affai-
res décidées par ladite Cour en ce qui concerne les
effets des paragraphes 227.1(1) et 227.1(3), et en
voici la liste:
Barnett, J. V. v. M.N.R. (1985), 85 DTC 619;
[1985] 2 C.T.C. 2336;
Fraser H. Syndic c. M.R.N. (1987), 87 DTC
250; [1987] 1 C.T.C. 2311; 64 B.C.R. (N.S.)
58; 37 B.L.R. 309;
Quantz, C. c. M.R.N. (1988), 88 DTC 1201;
[1988] 1 C.T.C. 2276;
Beutler, O. c. M.R.N. (1988), 88 DTC 1286;
[ 1988] 1 C.T.C. 2414;
Cybulski, D. J. c. M.R.N. (1988), 88 DTC
1531;
Moore, R. M. c. M.R.N. (1988), 88 DTC 1537;
Edmondson, S. G. c. M.R.N. (1988), 88 DTC
1542;
Fancy c. M.R.N. (1988), 88 DTC 1641;
Merson, K. c. M.R.N. (1989), 89 DTC 22;
Pilling, D. et H. c. M.R.N. (1989), 89 DTC 327;
[ 1989] 2 C.T.C. 2037;
Michel c. M.R.N., appels 87-1893(IT)/87-
1894(IT), décision ecore inédite du juge St-
Onge de la Cour canadienne de l'impôt, en date
du 21 juin 1989.
Denis c. M.R.N., appels 87-962(11)/87-963(1T),
décision encore inédite du juge Sarchuk de la
Cour canadienne de l'impôt en date du 28 août
1989.
Deux de ces décisions, à savoir celles qui ont été
rendues dans les affaires Fancy c. M.R.N. et Beut-
ler, O. c. M.R.N. font actuellement l'objet d'un
appel mais elles n'ont pas encore été entendues.
Par conséquent, il semble que l'espèce soit la pre-
mière à être jugée par notre Cour.
Même si, lorsqu'il s'agit du «degré de soin, de
diligence et d'habileté» qu'«une personne raisonna-
blement prudente» doit exercer «dans des circons-
tances comparables», chaque affaire dépend néces-
sairement des faits qui lui sont propres, il semble
que la Cour canadienne de l'impôt, dans ses déci-
sions les plus récentes, a pu se montrer plus indul-
gente envers les administrateurs que dans les déci-
sions précédentes, dans lesquelles elle a semblé
exiger une obligation un peu plus stricte, l'admi-
nistrateur ayant l'obligation absolue, semble-t-il,
de prendre des mesures positives puisqu'il doit,
dans tous les cas, abstraction faite de la situation,
prouver qu'aussi bien avant qu'après l'événement
concerné, il a agi avec le degré de soin, de dili
gence et d'habileté nécessaire en remplissant les
fonctions qui sont normalement celles d'un admi-
nistrateur. L'argument se fonde sur la règle de
common law selon laquelle il ne faut faire aucune
distinction entre les administrateurs, qu'ils soient
actifs ou de nom seulement. Bien que dans la
grande majorité des cas ce fardeau serait imposé à
tout directeur qui cherche à échapper à la respon-
sabilité prévue au paragraphe 227.1(1) en invo-
quant l'exception prévue au paragraphe 227.1(3),
je ne saurais admettre qu'il s'agit d'une règle
inflexible d'application universelle, peu importe les
faits en cause. 11 existe, comme l'a décidé le juge
en chef Couture de la Cour canadiene de l'impôt
dans la décision publiée rendue dans l'affaire
Fancy c. M.R.N. précitée, certaines situations
exceptionnelles dans lesquelles une distinction peut
et doit être faite. Quoi qu'il en soit, les «circons-
tances» dont il est question au paragraphe (3)
doivent êtres celles qui, directement ou indirecte-
ment, auraient une incidence sur les actions ou
l'inaction de la personne que l'on veut tenir respon-
sable en vertu du paragraphe (1). Or, le fait que la
Banque, à la connaissance et du consentement de
la défenderesse, a effectivement assumé plein con-
trôle de tous les débours de la société, à compter
d'octobre 1982, constitue une circonstance très
importante.
De plus, lorsqu'une banque a assumé le contrôle
effectif d'une société comme c'est le cas en l'es-
pèce, sans que les administrateurs lui aient
demandé d'agir de la sorte ni l'aient invité à le
faire, et lorsque c'est exclusivement la banque qui
décide quels chèques seront ou ne seront pas rédi-
gés sans consultation du conseil d'administration, à
partir de ce moment les actions de la société en ce
qui concerne le versement ou la retenue des deniers
sont essentiellement celles de la banque et je serais
disposé à statuer que même abstraction faite du
paragraphe 227.1(3), les administrateurs n'au-
raient aucune responsabilité en vertu du paragra-
phe 227.1(1) car cette disposition envisage claire-
ment la situation où la société agit librement par le
truchement de son conseil d'administration. La
responsabilité personnelle de l'administrateur ne
saurait être engagée que s'il jouit d'une pleine et
entière liberté de choix.
L'expression «diligence» désormais codifiée,
introduit une norme objective plus élevée que celle
imposée par la common law aux administrateurs
en général. Bien que le critère applicable soit, dans
une large mesure, un critère objectif, la question
reste tout de même de savoir ce que ferait une
personne raisonnablement prudente dans les cir-
constances dans lesquelles se trouve l'administra-
teur. Parmi ces circonstances, se trouvent des élé-
ments subjectifs tels le degré d'éducation, les
connaissances en affaires et les capacités générales
de l'administrateur.
La demanderesse n'était pas sans connaître la
marche d'une société car elle avait sa propre petite
société, dont elle était présidente et directrice. Il
est donc probable qu'elle connaissait au moins
quelques unes des obligations générales d'un
administrateur.
Elle était aussi employée par son mari à Trans-
Canada, où elle faisait un travail de bureau géné-
ral, remplissant notamment les fonctions de récep-
tionniste et accomplissant quelques travaux reliés à
la tenue de livres, au classement de documents et à
la paye. Mais elle n'a toutefois jamais accompli
quelque travail que ce soit pour Placage St-Lau-
rent Limitée, pas plus qu'elle n'a jamais assisté
aux assemblées des administrateurs ni à d'autres
assemblées ou discussions concernant cette société,
ni reçu des dividendes ou autre rémunération,
émoluments ou -deniers par le biais d'un prêt ou
autrement. Elle n'a jamais rempli de fonctions ni
travaillé pour la société, que ce soit comme admi-
nistratrice, employée, fondée de pouvoir ou à un
autre titre. Bien qu'elle ait été employée comme on
l'a dit plus haut et qu'elle ait reçu un salaire de
TransCanada Industries que son mari dirigeait,
elle n'a jamais assisté ni pris part à aucune des
assemblées des administrateurs de cette société.
La demanderesse n'a été au courant de l'omis-
sion de remettre des déductions qu'une fois les
affaires de la société placées entre les mains de la
Banque. Elle savait que les choses allaient mal en
raison de l'absence de commandes; son mari l'avait
prévenue, mais elle ne connaissait pas du tout les
détails si ce n'est dans la mesure où des rapports
rédigés par son beau-frère à l'intention de son mari
étaient adressés à TransCanada, où elle travaillait.
Je conclus que sauf dans la mesure où une
épouse peut profiter des succès financiers de son
mari, la demanderesse n'avait pas le moindre inté-
rêt dans les opérations de Placage St-Laurent
Limitée, pas plus qu'elle n'a eu, à aucun moment
pertinent, la moindre connaissance du défaut de
paiement des retenues salariales. Eut-elle été au
courant de la situation, elle n'aurait rien pu faire à
cet égard. D'autre part, dès le début, la défende-
resse connaissait entièrement la situation, et
comme on l'a dit plus haut, elle avait convenu avec
la Banque de permettre à cet état de choses et aux
défauts de paiement de continuer dans l'espoir de
permettre à la société de survivre. Je ne veux pas
laisser entendre que la défenderesse a agi de façon
blâmable, car il eut été à l'avantage de tous si
l'entreprise avait finalement pu être sauvée. Le
gouvernement fédéral lui-même, indépendamment
de la situation fiscale, avait un intérêt réel à
assurer la survivance financière de la société en
raison des subventions considérables qu'il lui avait
accordées.
Mon souci en l'espèce se limite évidemment à
déterminer si la demanderesse devrait être tenue
responsable des arriérés de paiement. Dans les
circonstances de l'espèce, j'estime qu'elle ne doit
pas être tenue responsable. La demanderesse a
donc droit à un jugement en sa faveur et à ses frais
depuis le début.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.