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T-2332-85
Iscar Limited and Iscar Tools Inc. (demanderesses)
c.
Karl Hertel GmbH, Karl Hertel GmbH Verkaufs KG et Hertel Carbide Canada, Inc. (défenderesses)
RÉPERTORIÉ: ISCAR LTD. C. KARL HERTEL GMBH (1" INST.)
Section de première instance, protonotaire-chef adjoint Giles —Toronto, 4 novembre 1988.
Compétence de la Cour fédérale Section de première instance Compétence du protonotaire pour entendre une requête en radiation Le juge en chef adjoint a délégué le pouvoir d'instruire les demandes interlocutoires, sauf celles qui d'après la loi ne peuvent être instruites que par un juge La requête en radiation d'une demande interlocutoire prend naissance au cours d'une action, même si elle débouche sur une ordonnance finale La délégation prévue à la Règle 336 énonce les pouvoirs des protonotaires.
Fin de non-recevoir La requête visant la suspension d'instance a été rejetée parce que le projet de loi qui privait les demanderesses de son droit d'action ne s'appliquait pas à l'instance L'irrecevabilité de la question a été alléguée à l'occasion de la requête en radiation parce qu'on avait déjà conclu que les prétendus droits des demanderesses ne seraient pas définitivement perdus à la suite de l'adoption de la Loi Les motifs s'appliquent à la suspension d'instance et non à la question liée à la radiation de la déclaration.
Interprétation des lois Loi sur le droit d'auteur, art. 46.1 L'art. 24 de la loi modificative et l'art. 46.1 prévoient que certains actes, lorsqu'ils se produisent, ne constituent pas au moment de l'adoption de l'article ni par la suite une violation du droit d'auteur Cela ne veut pas dire que l'acte lorsqu'il se produit ne constitue pas une violation au moment de son accomplissement Il y a présomption que la loi qui a pour effet de supprimer des droits de propriété ne s'applique pas aux actions en cours.
Droits d'auteur Contrefaçon Protection du droit d'au- teur revendiquée pour quelque chose pour lequel il existe également une protection accordée aux brevets empiétant et aux dessins industriels Il s'agit de savoir s'il existe une lacune qui appellerait l'application de la Loi sur le droit d'auteur Il n'existe aucun élément de preuve permettant de conclure qu'il n'y a pas de lacune Requête en radiation de la déclaration rejetée.
Il s'agit en l'espèce d'une requête en radiation d'une déclara- tion, fondée sur l'absence de cause d'action. Les défenderesses avaient déjà tenté d'obtenir une suspension d'instance pour le motif qu'un projet de loi à l'étude devant le Parlement à ce moment-là pouvait, s'il était adopté, supprimer le droit d'action des demanderesses. Une suspension d'instance avait été refusée pour le motif que le projet de loi ne s'appliquerait pas à la présente action. Cette décision a été confirmée en appel en raison du caractère incertain que présente tout projet de loi
avant sa promulgation. Les défenderesses ont prétendu que les violations reprochées dans la déclaration n'existaient plus aux termes de l'article 46.1 de la Loi sur le droit d'auteur. Il s'agit de savoir: (1) si le protonotaire a compétence pour connaître d'une requête en radiation; (2) si la requête est irrecevable parce qu'on a déjà conclu que les prétendus droits des deman- deresses ne seraient pas définitivement perdus à la suite de l'adoption de la loi; (3) si l'article 46.1 de la Loi sur le droit d'auteur qui prévoit que certains actes ne constituent pas une violation du droit d'auteur a éteint la cause d'action des deman- deresses; (4) si une cause d'action existait antérieurement à l'adoption de l'article 46.1.
Jugement: la requête doit être rejetée.
(1) Sous le régime de la Règle 336(1)g), le juge en chef adjoint a autorisé le protonotaire-chef et le protonotaire-chef adjoint à juger les demandes interlocutoires, sauf celles qui d'après la loi ne peuvent être instruites et jugées que par un juge. Une demande visant la radiation d'une déclaration en entier constitue une demande interlocutoire parce qu'elle prend naissance au cours d'une action. Il est sans importance qu'elle débouche sur une ordonnance finale. Il ne s'agit pas d'une question litigieuse qui ne puisse être instruite que par un juge, parce que (1) les protonotaires sont des fonctionnaires nommés par le fédéral et, à ce titre, les pouvoirs judiciaires dont ils sont investis ne sont pas assujettis aux mêmes restrictions que celles régissant les fonctionnaires nommés par le provincial et (2) le paragraphe 12(3) de la Loi sur la Cour fédérale prévoit que les fonctions des protonotaires sont déterminées par les Règles qui, à leur tour, permettent aux protonotaires de connaître des demandes interlocutoires confiées à eux par le juge en chef adjoint.
(2) La question qui aurait pu faire l'objet d'une fin de non-recevoir était celle de la suspension d'instance. Les motifs justifiant la suspension en question ne s'appliquaient pas à la présente requête.
(3) Lorsque l'article 46.1 de la Loi sur le droit d'auteur et l'article 24 de la loi modificative sont lus en parallèle, ils prévoient que lorsqu'un acte se produit, il ne constitue pas au moment de la proclamation ou après une violation du droit d'auteur. Ils ne signifient pas non plus que lorsqu'un acte s'est produit, il ne constituait pas alors une violation du droit d'auteur. Dans la mesure la présente action visait un redres- sement dans le cas d'actes survenus avant la promulgation de la loi, il existait une présomption que la loi qui supprimait des droits de propriété ne s'appliquait pas aux actions en cours.
(4) II semblerait que la protection du droit d'auteur a été revendiquée pour quelque chose pour lequel il existait égale- ment une protection du brevet empiétant sur celle du dessin industriel. On a soulevé la question de savoir s'il existait une lacune auquel cas la Loi sur le droit d'auteur s'appliquerait. Le jugement est fondé sur les faits et aucun élément de preuve ne permet de conclure qu'il n'y avait pas de lacune.
LOIS ET RÈGLEMENTS
An Act to further amend the Law of Property, and to relieve Trustees (1859), 22 & 23 Vict., chap. 35 (R.-U.).
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.).
Conveyancing and Law of Property Act, 1881, 44 & 45 Vict., chap. 41 (R.-U.).
Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appen- dice III.
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1), art. 96.
Loi modifiant la Loi sur le droit d'auteur et apportant des modifications connexes et corrélatives, L.C. 1988, chap. 15, art. 24
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10, art. 12(1),(3).
Loi sur le droit d'auteur, S.R.C. 1970, chap. C-30, art. 46.1 (édicté S.C. 1988, chap. 15, art. 11).
Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, chap. P-4.
Loi sur les dessins industriels, S.R.C. 1970, chap. 1-8. Projet de loi C-60, Loi modifiant la Loi sur le droit
d'auteur et apportant des modifications connexes et
corrélatives, Sess., 33° Lég., 35-36 Eliz. II, 1986-87. Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles
336(1)g), 419(1)a).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
In re Joseph Suche & Co., Limited (1875), 1 Ch.D. 48; In re Page. Hill v. Fladgate, [ 1910] 1 Ch. 489 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Quilter v. Mapleson (1882), 9 Q.B.D. 672 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
The Monk Corp. c. Island Fertilizers Ltd., T-2115-86, juge Rouleau, jugement en date du 22-12-86, non publié; Bayliner Marine Corp. c. Dorai Boats Ltd., [1986] 3 C.F. 421; 10 C.P.R. (3d) 289 (C.A.); British Leyland Motor Corporation and Others v. Armstrong Patents Company Limited and Others, [1986] F.S.R. 221 (ELL.).
DÉCISIONS CITÉES:
Windsurfing International Inc. c. Oberson (Maurice) Inc. (1987), 15 F.T.R. 299; 16 C.I.P.R. 210 (C.F. 1" inst.); Windsurfing International Inc. c. Novaction Sports Inc. et Teasdale (1987), 15 F.T.R. 302; 15 C.I.P.R. 164 (C.F. 1" inst.); Thibodeau c. Canada (1988), 20 C.P.R. (3d) 539 (C.F. 1°° inst.); Iscar Ltd. c. Karl Hertel GmbH, [1988] 1 C.F. 569 (1"° inst.).
AVOCATS:
Gunars Gaikis pour les demanderesses. Roger T. Hughes, c.r. pour les défenderesses.
PROCUREURS:
Smart & Biggar, Toronto, pour les demande- resses.
Sim, Hughes, Dimock, Toronto, pour les défenderesses.
Voici la version française des motifs de l'ordon- nance prononcés à l'audience par
LE PROTONOTAIRE-CHEF ADJOINT GILES: Merci. La requête dont je suis saisi est présenté en vertu de la Règle 419(1)a) [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] en vue de la radiation d'une déclaration qui ne révèle aucune cause d'ac- tion. En guise de préliminaire, l'avocat de la défen- deresse/requérante a soulevé la question de la com- pétence des protonotaires d'entendre une requête de ce genre.
Le paragraphe (3) de l'article 12 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10, prévoit que «Les pouvoirs et fonctions des protonotaires sont déterminés par les Règles.»
La Règle 336(1)g) dispose en partie qu'un pro- tonotaire a le pouvoir «de statuer sur toute demande interlocutoire qui lui a été nommément confiée ou qui a été confiée à l'un quelconque des protonotaires sur directive spéciale ou générale du juge en chef ou du juge en chef adjoint».
La note de pratique 3 est rédigée ainsi:
Directive générale en vertu de la Règle 336(1)g)
Suivant la Règle 336(1 )g), le protonotaire en chef et le proto- notaire en chef adjoint ont le pouvoir d'instruire et de juger toute demande interlocutoire portée devant la Division de pre- mière instance à l'exception de:
1. toute demande qui d'après la loi ne peut être instruite et jugée que par un juge de la Cour;
2. toute demande d'injonction, y compris une injonction du type Mareva ou Anton Pillar, faite ex parte ou après avis, ou toute demande faite ex parte ou après avis en vue d'obtenir la nomination d'un séquestre;
3. toute demande faite en vue d'obtenir l'un quelconque des redressements prévus à l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale;
4. toute demande faite en vue d'obtenir une ordonnance de divulgation de renseignements ou de production de documents à caractère confidentiel ou à l'égard desquels une directive de non-divulgation ou de non-production a été émise par un juge;
5. toute demande faite en vue d'obtenir une modification ou l'annulation d'une ordonnance rendue par un juge de la Cour. James A. Jerome, juge en chef adjoint, Ottawa, 31 octobre 1985.
Sous le régime de la Règle 336(1)g), le juge en chef adjoint a, aux termes d'une directive générale, autorisé le protonotaire-chef et le protonotaire- chef adjoint à instruire et à juger les demandes interlocutoires sauf en ce qui concerne certains genres de demandes interlocutoires indiqués dans la directive. Parmi ces genres de demandes interlo- cutoires, mentionnons:
1. toute demande qui d'après la loi ne peut être instruite et jugée que par un juge de la Cour.
Par conséquent, pour conclure à ma compétence en l'espèce, je dois conclure qu'une demande d'or- donnance en vue de la radiation d'une déclaration en entier en vertu de la Règle 419 constitue une demande interlocutoire et, de plus, que la loi n'exige pas qu'une demande de ce genre soit ins- truite seulement par un juge de la Cour.
Une requête en vue de la radiation d'une décla- ration en entier est-elle interlocutoire de nature? Il faut noter qu'il existe une distinction entre, d'une part, une ordonnance ou un jugement interlocutoi- res et, d'autre part, une demande interlocutoire. Selon la Règle 336(1)g), ce que le juge en chef ou le juge en chef adjoint peut autoriser un protono- taire à instruire et à juger, c'est une demande interlocutoire. Ce genre de demande prend nais- sance au cours d'une action. C'est-à-dire, habituel- lement, entre le moment l'action est intentée et celui le jugement est rendu à la suite du procès. L'ordonnance finale ou le jugement final est celui qui tranche de façon finale une question en litige entre les parties (l'existence d'un droit d'appel n'a pas de conséquences sur le caractère final de l'or- donnance ou du jugement).
On peut se rendre compte qu'il est possible qu'une demande interlocutoire débouche sur une ordonnance finale ou un jugement final. Il semble- rait alors que le juge en chef ou le juge en chef adjoint puisse autoriser un protonotaire à instruire et à juger une demande en vue de la radiation d'une déclaration en entier et à rejeter l'action, laquelle demande est interlocutoire même si l'or- donnance qui en découle tranche la question de façon finale entre les parties.
Je remarque en outre que, dans l'affaire In re Page. Hill v. Fladgate, [1910] 1 Ch. 489, la Cour d'appel d'Angleterre a statué qu'une ordonnance rejetant une action en raison de son caractère frivole et vexatoire était une ordonnance interlocu-
toire, au moins aux fins du délai d'appel. Dans cet arrêt, le lord juge Buckley a déclaré, à la page 494:
[TRADUCTION) Il s'agit toutefois d'une ordonnance en faveur des défendeurs et elle met fin à la présente action. À mon avis, il serait raisonnable de dire qu'il s'agit d'une ordonnance finale. Mais je ne crois pas pouvoir me fonder sur cela, car il y a eu tellement de décisions dans lesquelles des ordonnances appa- remment finales ont été considérées comme interlocutoires.
Après en être venu à la conclusion qu'une demande en vue de la radiation d'une déclaration en entier constitue une demande interlocutoire et qu'ainsi un protonotaire peut, selon les Règles de la Cour, être chargé de l'instruire et de la juger, il me reste à déterminer s'il s'agit d'une demande qui ne peut être instruite et jugée que par un juge de la Cour.
Les avocats m'ont signalé que les protonotaires de la Cour suprême de l'Ontario n'instruisaient pas les requêtes en vue de la radiation des déclarations en entier. Je remarque que la restriction imposée par l'article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1)] en ce qui con- cerne le pouvoir des provinces de nommer des fonctionnaires investis de certains pouvoirs judi- ciaires ne s'applique pas au gouvernement du Canada. Le paragraphe 12(1) de la Loi sur la Cour fédérale confère au gouverneur en conseil le pouvoir de nommer des protonotaires. Quant au paragraphe 12(3) de cette Loi, il dispose que les pouvoirs et fonctions des protonotaires sont déter- minés par les Règles. Ainsi que je l'ai déjà men- tionné, la Règle 336 prévoit certains pouvoirs des protonotaires. Je suis donc d'avis que le juge en chef ou le juge en chef adjoint peut accorder à un protonotaire le pouvoir d'instruire et de juger une demande présentée en vertu de la Règle 419 en vue de la radiation d'une déclaration et que c'est ce qu'a fait le juge en chef adjoint.
Je constate également que plusieurs ordonnan- ces dans lesquelles des demandes en radiation de déclarations ont été examinées par des protonotai- res ont fait l'objet d'un appel à la Section de première instance de notre Cour. Les décisions Windsurfing International Inc. c. Oberson (Mau- rice) Inc. (1987), 15 F.T.R. 299; 16 C.I.P.R. 210; Windsurfing International Inc. c. Novaction Sports Inc. et Teasdale (1987), 15 F.T.R. 302; 15
C.I.P.R. 164; et Thibodeau c. Canada (1988), 20 C.P.R. (3d) 539 en sont des exemples. Il ne ressort pas des motifs des juges ayant statué sur ces appels que la question de la compétence ait été alléguée. Dans l'affaire The Monk Corp. c. Island Fertili zers Ltd., T-2115-86, 22 décembre 1986, non publiée, il s'agissait d'une requête en radiation dont avait été saisi le juge Rouleau. Il appert de ses motifs que l'avocat avait refusé de comparaître devant un protonotaire et avait insisté pour compa- raître devant un juge. Lorsque le juge indique qu'un protonotaire a compétence dans le cas d'une requête en radiation, cela ne constitue donc mal- heureusement qu'une remarque incidente, mais comme c'est le seul cas on semble avoir exa- miné la question de la compétence des protonotai- res, je dois le citer. Je signale toutefois que l'objec- tion préalable, en fait une question polie, a été soulevée en l'espèce, à mon avis, très correctement et certainement sans montrer d'audace et tout en manifestant la volonté ou même le désir que j'en- tende la requête si j'estimais avoir compétence pour ce faire.
J'ai été quelque peu surpris par cette objection, n'ayant pas examiné la question de la compétence des protonotaires depuis qu'on m'a chargé de la première requête de ce genre il y a plusieurs années. J'ai exprimé à l'audience l'opinion que, si une requête en radiation était accueillie, elle devrait être suivie, après l'expiration du délai d'ap- pel, d'une requête en péremption d'instance, ce qui présenterait de l'analogie avec la situation qui existe lorsque des actions ont été intentées au moyen d'un bref suivi d'une déclaration. Il ressort de ce raisonnement que la procédure en deux étapes que j'ai proposée à l'audience n'est pas nécessaire. Il en est ainsi même en cas de radiation d'une déclaration en entier sans qu'il soit prévu que la déclaration est radiée sous réserve du droit du demandeur de déposer une nouvelle déclara- tion.
À une étape antérieure de la présente action, les défenderesses ont tenté d'obtenir une suspension d'instance pour le motif que le Projet de loi C-60 [Loi modifiant la Loi sur le droit d'auteur et apportant des modifications connexes et corrélati- ves, 2e Sess., 33e Lég., 35-36 Eliz. II, 1986-87] était à l'étude à la Chambre des communes et que son adoption éventuelle supprimerait tout droit que
les demanderesses pourraient avoir dans la pré- sente action. Aucune des parties n'a allégué la question de la rétroactivité; toutefois, comme je l'ai mentionné dans mes motifs écrits [[1988] 1 C.F. 569], la Loi, advenant son adoption, ne s'ap- pliquerait pas selon son libellé initial à la présente action. J'ai refusé une suspension d'instance pour ce motif. Il a été interjeté appel de ma décision auprès du juge en chef adjoint, qui n'a pas désap- prouvé mon raisonnement mais a formulé un motif différent pour refuser une suspension d'instance. Ce motif différent consistait dans le caractère incertain que présente tout projet de loi avant sa promulgation.
L'avocat des intimées/demanderesses a allégué l'irrecevabilité de la question pour le motif que j'avais conclu que les prétendus droits des deman- deresses ne seraient pas perdus à la suite de l'adop- tion de la Loi. L'avocat des défenderesses a sou- tenu, avec raison à mon avis, que la question qui aurait pu faire l'objet d'une fin de non-recevoir était celle de la suspension d'instance, que visait la requête dont j'avais été saisi la fois précédente. D'après l'avocat, mes motifs ne s'appliquaient pas, selon la doctrine de l'irrecevabilité de la question, à la requête maintenant en litige. Je suis certain que la prétention de l'avocat était justifiée. Néan- moins j'avais examiné l'éventualité de la rétroacti- vité de cette Loi. J'ai donc laissé entendre à l'avo- cat de la défenderesse/requérante qu'il aimerait peut-être que quelqu'un d'autre instruise la requête. Il a été si flatteur et si persuasif en expliquant que je devrais poursuivre l'audition de la requête que je l'ai fait, peut-être à tort.
L'article 46.1 de la Loi sur le droit d'auteur [S.R.C. 1970, chap. C-30], édicté par S.C. 1988, chap. 15, art. 11, est libellé ainsi:
46.1 (1) Ne constitue pas une violation du droit d'auteur ou des droits moraux sur une ouvre le fait:
a) de conférer à un objet utilitaire des caractéristiques de celui-ci résultant uniquement de sa fonction utilitaire;
b) de faire, à partir seulement d'un objet utilitaire, une reproduction graphique ou matérielle des caractéristiques de celui-ci qui résultent uniquement de sa fonction utilitaire;
c) d'accomplir, avec un objet visé à l'alinéa a) ou avec une reproduction visée à l'alinéa b), un acte réservé exclusive- ment au titulaire du droit;
d) d'utiliser tout principe ou méthode de réalisation de l'ouvre.
(2) Le paragraphe (1) ne vise pas le droit d'auteur ou les droits moraux sur les empreintes, rouleaux perforés, films cinématographiques ou autres organes à l'aide desquels une ouvre peut être mécaniquement reproduite, représentée ou exécutée.
L'article 24 de loi modificative est rédigé ainsi:
24. Le paragraphe 46(1) et l'article 46.1 de la Loi sur le droit d'auteur, édictés par l'article 11, s'appliquent à toute prétendue violation du droit d'auteur, même quand elle survient avant l'entrée en vigueur de cet article.
Les violations alléguées dans la déclaration, a prétendu l'avocat des défenderesses, entrent dans la catégorie des actes auxquels s'applique l'article 46.1.
À la lecture de l'article 46.1 de la Loi sur le droit d'auteur en parallèle avec l'article 24 de la loi modificative, il appert que, lorsqu'il se produit, nul acte y mentionné ne constitue une violation du droit d'auteur. Je crois comprendre que cela signi- fie que l'acte, lorsqu'il se produit, ne constitue pas au moment de la promulgation de l'article ni par la suite une violation du droit d'auteur. On ne peut pas interpréter le libellé de l'article de façon à lui faire dire que, lorsqu'il s'est produit, un tel acte ne constituait pas au moment il s'est produit une violation du droit d'auteur. Il y a des affaires qui ont été jugées avant l'adoption de l'article 46.1 et dans lesquelles, semble-t-il, des actes similaires ont été considérés comme des violations du droit d'au- teur. Il se peut donc qu'au moment de la présenta- tion de la preuve, le juge de première instance conclue qu'au moment les actes reprochés sont survenus, ils constituaient des violations du droit d'auteur. Par conséquent, il est nécessaire d'établir quel effet cette Loi a sur la présente action dans la mesure elle vise un redressement dans le cas d'actes survenus avant la promulgation de la Loi. Lorsque, comme en l'espèce, la loi a pour effet de supprimer des droits de propriété, il y a présomp- tion que la loi ne s'applique pas aux actions en cours. Ce principe a été formulé par sir George Jessel, maître des rôles, dans l'arrêt In re Joseph Suche & Co., Limited (1875), 1 Ch.D. 48, dans lequel il a déclaré, à la page 50:
[TRADUCTION] ... en règle générale, lorsque la législature modifie les droits des parties en enlevant ou en conférant un droit d'action, les lois ainsi promulguées n'ont pas d'incidence sur eux à moins qu'elles ne s'appliquent expressément aux actions en cours. On dit que cette règle connaît une exception, à savoir que, lorsque les lois promulguées ont simplement une incidence sur la procédure et ne s'étendent pas aux droits
d'action, elles ont été considérées comme s'appliquant aux droits existants ...
Cependant, l'avocat a cité les motifs de juge- ment de sir George Jessel, alors maître des rôles, dans l'affaire Quilter v. Mapleson (1882), 9 Q.B.D. 672 (C.A.) à l'appui de la thèse selon laquelle une loi rétroactive devrait s'appliquer aux actions en cours lors de l'entrée en vigueur de la loi. Dans l'affaire Quilter v. Mapleson, la loi con- cernée était la Conveyancing and Law of Property Act, 1881, 44 & 45 Vict., chap. 41 (R.-U.). Cette loi abrogeait une loi antérieure [An Act to further amend the Law of Property, and to relieve Trus tees (1859)], 22 & 23 Vict., chap. 35 (R.-U.), qui prévoyait une levée de la déchéance, et elle adop- tait des dispositions différentes dans ce domaine. Le maître des rôles a fait remarquer que, si les nouvelles dispositions en matière de levée de la déchéance devaient ne pas s'appliquer aux viola tions antérieures, la loi, destinée à accorder une plus grande portée au pouvoir de lever la déchéance, aurait pour effet de priver un proprié- taire du droit à une libération qu'il avait déjà eu ainsi que du droit quelque peu différent à une libération que la nouvelle loi était censée prévoir. Le maître des rôles a donc conclu que, pour favori- ser l'objectif de la nouvelle loi, on devait la consi- dérer comme s'appliquant aux poursuites en cours. L'affaire Quilter v. Mapleson a été jugée de cette façon parce qu'il existait des situations factuelles où, si la loi ne s'était pas appliquée au litige en cours, elle aurait eu un effet contraire à l'effet recherché. Le fait d'interpréter les modifications à la Loi sur le droit d'auteur comme ne s'appliquant pas au litige en cours n'entraîne pas la suppression des droits déjà existants que la demanderesse était censée continuer d'avoir.
J'ai examiné la jurisprudence et les textes cités par les avocats à l'audience et ceux cités dans mes motifs en date du 3 novembre 1987 et je n'en trouve aucun qui diminuerait l'applicabilité de la règle formulée dans l'arrêt In re Suche. Je n'ai pas à faire d'observations sur les allégations de l'avocat des demanderesses en ce qui concerne la Déclara- tion canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appen- dice III, et la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi consti- tutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)].
Il reste à examiner s'il existait une cause d'ac- tion avant l'entrée en vigueur de la loi de 1988. Il se peut que la situation factuelle en l'espèce ne soit pas différente de celle qui existait dans l'affaire Bayliner Marine Corp. c. Dorai Boats Ltd., [1986] 3 C.F. 421; 10 C.P.R. (3d) 289 (C.A.), car on réclame la protection de la Loi sur le droit d'au- teur pour quelque chose qui peut empiéter sur la protection qui peut être obtenue sous le régime de la Loi sur les dessins industriels [S.R.C. 1970, chap. 1-8].
Il peut également s'agir d'une situation factuelle dans laquelle la protection pouvant être obtenue sous le régime de la Loi sur le droit d'auteur empiète sur celle qui peut être obtenue sous le régime de la Loi sur les brevets [S.R.C. 1970, chap. P-4]. Il est possible que la situation factuelle soit telle qu'aucune partie de l'ouvrage pour lequel on revendique la protection du droit d'auteur ne relève de la protection pouvant être obtenue sous le régime de la Loi sur les dessins industriels ou de la Loi sur les brevets et que, par conséquent, selon le raisonnement suivi dans l'arrêt Doral Boats et dans l'arrêt anglais British Leyland Motor Corpo ration and Others v. Armstrong Patents Company Limited and Others, [1986] F.S.R. 221 (H.L.), la Loi sur le droit d'auteur ne prévoie aucune protec tion. Il se peut qu'il y ait une lacune et que la Loi sur le droit d'auteur puisse s'appliquer. Il a été allégué qu'il ne pouvait pas en théorie y avoir de lacune de ce genre et que, par conséquent, je n'avais pas besoin d'une preuve factuelle pour décider qu'il n'existait pas de cause d'action. C'est-à-dire que, pour un dessin d'un objet qui est utilitaire, il n'y a que deux aspects, l'aspect du dessin et l'aspect fonctionnel. Ces aspects auraient pu, à une certaine époque, être enregistrés en tant que dessins industriels ou être brevetés s'il avait existé une loi à cet effet. Cela, naturellement, va refuser à la peinture d'un voilier toute protection du droit d'auteur. Je ne suis pas disposé à conclure qu'il ne peut pas y avoir de lacune de ce genre en théorie. Aucun élément de preuve n'a été présenté à partir duquel je pourrais conclure qu'en fait il n'y a pas de lacune. Je constate que, dans tous les arrêts cités traitant de l'empiètement, le jugement était fondé sur les faits.
Pour les motifs susmentionnés, je rejette la pré- sente requête avec dépens en faveur des demande- resses dans l'instance.
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