T-2332-85
Iscar Limited and Iscar Tools Inc.
(demanderesses)
c.
Karl Hertel GmbH, Karl Hertel GmbH Verkaufs
KG et Hertel Carbide Canada, Inc.
(défenderesses)
RÉPERTORIÉ: ISCAR LTD. C. KARL HERTEL GMBH (1" INST.)
Section de première instance, protonotaire-chef
adjoint Giles —Toronto, 4 novembre 1988.
Compétence de la Cour fédérale — Section de première
instance — Compétence du protonotaire pour entendre une
requête en radiation — Le juge en chef adjoint a délégué le
pouvoir d'instruire les demandes interlocutoires, sauf celles
qui d'après la loi ne peuvent être instruites que par un juge —
La requête en radiation d'une demande interlocutoire prend
naissance au cours d'une action, même si elle débouche sur une
ordonnance finale — La délégation prévue à la Règle 336
énonce les pouvoirs des protonotaires.
Fin de non-recevoir — La requête visant la suspension
d'instance a été rejetée parce que le projet de loi qui privait les
demanderesses de son droit d'action ne s'appliquait pas à
l'instance — L'irrecevabilité de la question a été alléguée à
l'occasion de la requête en radiation parce qu'on avait déjà
conclu que les prétendus droits des demanderesses ne seraient
pas définitivement perdus à la suite de l'adoption de la Loi —
Les motifs s'appliquent à la suspension d'instance et non à la
question liée à la radiation de la déclaration.
Interprétation des lois — Loi sur le droit d'auteur, art. 46.1
— L'art. 24 de la loi modificative et l'art. 46.1 prévoient que
certains actes, lorsqu'ils se produisent, ne constituent pas au
moment de l'adoption de l'article ni par la suite une violation
du droit d'auteur — Cela ne veut pas dire que l'acte lorsqu'il
se produit ne constitue pas une violation au moment de son
accomplissement — Il y a présomption que la loi qui a pour
effet de supprimer des droits de propriété ne s'applique pas
aux actions en cours.
Droits d'auteur — Contrefaçon — Protection du droit d'au-
teur revendiquée pour quelque chose pour lequel il existe
également une protection accordée aux brevets empiétant et
aux dessins industriels — Il s'agit de savoir s'il existe une
lacune qui appellerait l'application de la Loi sur le droit
d'auteur — Il n'existe aucun élément de preuve permettant de
conclure qu'il n'y a pas de lacune — Requête en radiation de
la déclaration rejetée.
Il s'agit en l'espèce d'une requête en radiation d'une déclara-
tion, fondée sur l'absence de cause d'action. Les défenderesses
avaient déjà tenté d'obtenir une suspension d'instance pour le
motif qu'un projet de loi à l'étude devant le Parlement à ce
moment-là pouvait, s'il était adopté, supprimer le droit d'action
des demanderesses. Une suspension d'instance avait été refusée
pour le motif que le projet de loi ne s'appliquerait pas à la
présente action. Cette décision a été confirmée en appel en
raison du caractère incertain que présente tout projet de loi
avant sa promulgation. Les défenderesses ont prétendu que les
violations reprochées dans la déclaration n'existaient plus aux
termes de l'article 46.1 de la Loi sur le droit d'auteur. Il s'agit
de savoir: (1) si le protonotaire a compétence pour connaître
d'une requête en radiation; (2) si la requête est irrecevable
parce qu'on a déjà conclu que les prétendus droits des deman-
deresses ne seraient pas définitivement perdus à la suite de
l'adoption de la loi; (3) si l'article 46.1 de la Loi sur le droit
d'auteur qui prévoit que certains actes ne constituent pas une
violation du droit d'auteur a éteint la cause d'action des deman-
deresses; (4) si une cause d'action existait antérieurement à
l'adoption de l'article 46.1.
Jugement: la requête doit être rejetée.
(1) Sous le régime de la Règle 336(1)g), le juge en chef
adjoint a autorisé le protonotaire-chef et le protonotaire-chef
adjoint à juger les demandes interlocutoires, sauf celles qui
d'après la loi ne peuvent être instruites et jugées que par un
juge. Une demande visant la radiation d'une déclaration en
entier constitue une demande interlocutoire parce qu'elle prend
naissance au cours d'une action. Il est sans importance qu'elle
débouche sur une ordonnance finale. Il ne s'agit pas d'une
question litigieuse qui ne puisse être instruite que par un juge,
parce que (1) les protonotaires sont des fonctionnaires nommés
par le fédéral et, à ce titre, les pouvoirs judiciaires dont ils sont
investis ne sont pas assujettis aux mêmes restrictions que celles
régissant les fonctionnaires nommés par le provincial et (2) le
paragraphe 12(3) de la Loi sur la Cour fédérale prévoit que les
fonctions des protonotaires sont déterminées par les Règles qui,
à leur tour, permettent aux protonotaires de connaître des
demandes interlocutoires confiées à eux par le juge en chef
adjoint.
(2) La question qui aurait pu faire l'objet d'une fin de
non-recevoir était celle de la suspension d'instance. Les motifs
justifiant la suspension en question ne s'appliquaient pas à la
présente requête.
(3) Lorsque l'article 46.1 de la Loi sur le droit d'auteur et
l'article 24 de la loi modificative sont lus en parallèle, ils
prévoient que lorsqu'un acte se produit, il ne constitue pas au
moment de la proclamation ou après une violation du droit
d'auteur. Ils ne signifient pas non plus que lorsqu'un acte s'est
produit, il ne constituait pas alors une violation du droit
d'auteur. Dans la mesure où la présente action visait un redres-
sement dans le cas d'actes survenus avant la promulgation de la
loi, il existait une présomption que la loi qui supprimait des
droits de propriété ne s'appliquait pas aux actions en cours.
(4) II semblerait que la protection du droit d'auteur a été
revendiquée pour quelque chose pour lequel il existait égale-
ment une protection du brevet empiétant sur celle du dessin
industriel. On a soulevé la question de savoir s'il existait une
lacune auquel cas la Loi sur le droit d'auteur s'appliquerait. Le
jugement est fondé sur les faits et aucun élément de preuve ne
permet de conclure qu'il n'y avait pas de lacune.
LOIS ET RÈGLEMENTS
An Act to further amend the Law of Property, and to
relieve Trustees (1859), 22 & 23 Vict., chap. 35
(R.-U.).
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.).
Conveyancing and Law of Property Act, 1881, 44 & 45
Vict., chap. 41 (R.-U.).
Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appen-
dice III.
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3
(R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5] (mod. par la
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, n° 1), art.
96.
Loi modifiant la Loi sur le droit d'auteur et apportant
des modifications connexes et corrélatives, L.C. 1988,
chap. 15, art. 24
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap.
10, art. 12(1),(3).
Loi sur le droit d'auteur, S.R.C. 1970, chap. C-30, art.
46.1 (édicté S.C. 1988, chap. 15, art. 11).
Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, chap. P-4.
Loi sur les dessins industriels, S.R.C. 1970, chap. 1-8.
Projet de loi C-60, Loi modifiant la Loi sur le droit
d'auteur et apportant des modifications connexes et
corrélatives, 2° Sess., 33° Lég., 35-36 Eliz. II, 1986-87.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles
336(1)g), 419(1)a).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
In re Joseph Suche & Co., Limited (1875), 1 Ch.D. 48;
In re Page. Hill v. Fladgate, [ 1910] 1 Ch. 489 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Quilter v. Mapleson (1882), 9 Q.B.D. 672 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
The Monk Corp. c. Island Fertilizers Ltd., T-2115-86,
juge Rouleau, jugement en date du 22-12-86, non publié;
Bayliner Marine Corp. c. Dorai Boats Ltd., [1986] 3
C.F. 421; 10 C.P.R. (3d) 289 (C.A.); British Leyland
Motor Corporation and Others v. Armstrong Patents
Company Limited and Others, [1986] F.S.R. 221 (ELL.).
DÉCISIONS CITÉES:
Windsurfing International Inc. c. Oberson (Maurice) Inc.
(1987), 15 F.T.R. 299; 16 C.I.P.R. 210 (C.F. 1" inst.);
Windsurfing International Inc. c. Novaction Sports Inc.
et Teasdale (1987), 15 F.T.R. 302; 15 C.I.P.R. 164 (C.F.
1" inst.); Thibodeau c. Canada (1988), 20 C.P.R. (3d)
539 (C.F. 1°° inst.); Iscar Ltd. c. Karl Hertel GmbH,
[1988] 1 C.F. 569 (1"° inst.).
AVOCATS:
Gunars Gaikis pour les demanderesses.
Roger T. Hughes, c.r. pour les défenderesses.
PROCUREURS:
Smart & Biggar, Toronto, pour les demande-
resses.
Sim, Hughes, Dimock, Toronto, pour les
défenderesses.
Voici la version française des motifs de l'ordon-
nance prononcés à l'audience par
LE PROTONOTAIRE-CHEF ADJOINT GILES:
Merci. La requête dont je suis saisi est présenté en
vertu de la Règle 419(1)a) [Règles de la Cour
fédérale, C.R.C., chap. 663] en vue de la radiation
d'une déclaration qui ne révèle aucune cause d'ac-
tion. En guise de préliminaire, l'avocat de la défen-
deresse/requérante a soulevé la question de la com-
pétence des protonotaires d'entendre une requête
de ce genre.
Le paragraphe (3) de l'article 12 de la Loi sur
la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap.
10, prévoit que «Les pouvoirs et fonctions des
protonotaires sont déterminés par les Règles.»
La Règle 336(1)g) dispose en partie qu'un pro-
tonotaire a le pouvoir «de statuer sur toute
demande interlocutoire qui lui a été nommément
confiée ou qui a été confiée à l'un quelconque des
protonotaires sur directive spéciale ou générale du
juge en chef ou du juge en chef adjoint».
La note de pratique n° 3 est rédigée ainsi:
Directive générale en vertu de la Règle 336(1)g)
Suivant la Règle 336(1 )g), le protonotaire en chef et le proto-
notaire en chef adjoint ont le pouvoir d'instruire et de juger
toute demande interlocutoire portée devant la Division de pre-
mière instance à l'exception de:
1. toute demande qui d'après la loi ne peut être instruite et
jugée que par un juge de la Cour;
2. toute demande d'injonction, y compris une injonction du
type Mareva ou Anton Pillar, faite ex parte ou après avis, ou
toute demande faite ex parte ou après avis en vue d'obtenir la
nomination d'un séquestre;
3. toute demande faite en vue d'obtenir l'un quelconque des
redressements prévus à l'article 18 de la Loi sur la Cour
fédérale;
4. toute demande faite en vue d'obtenir une ordonnance de
divulgation de renseignements ou de production de documents à
caractère confidentiel ou à l'égard desquels une directive de
non-divulgation ou de non-production a été émise par un juge;
5. toute demande faite en vue d'obtenir une modification ou
l'annulation d'une ordonnance rendue par un juge de la Cour.
James A. Jerome, juge en chef adjoint, Ottawa, 31 octobre
1985.
Sous le régime de la Règle 336(1)g), le juge en
chef adjoint a, aux termes d'une directive générale,
autorisé le protonotaire-chef et le protonotaire-
chef adjoint à instruire et à juger les demandes
interlocutoires sauf en ce qui concerne certains
genres de demandes interlocutoires indiqués dans
la directive. Parmi ces genres de demandes interlo-
cutoires, mentionnons:
1. toute demande qui d'après la loi ne peut être instruite et
jugée que par un juge de la Cour.
Par conséquent, pour conclure à ma compétence
en l'espèce, je dois conclure qu'une demande d'or-
donnance en vue de la radiation d'une déclaration
en entier en vertu de la Règle 419 constitue une
demande interlocutoire et, de plus, que la loi
n'exige pas qu'une demande de ce genre soit ins-
truite seulement par un juge de la Cour.
Une requête en vue de la radiation d'une décla-
ration en entier est-elle interlocutoire de nature? Il
faut noter qu'il existe une distinction entre, d'une
part, une ordonnance ou un jugement interlocutoi-
res et, d'autre part, une demande interlocutoire.
Selon la Règle 336(1)g), ce que le juge en chef ou
le juge en chef adjoint peut autoriser un protono-
taire à instruire et à juger, c'est une demande
interlocutoire. Ce genre de demande prend nais-
sance au cours d'une action. C'est-à-dire, habituel-
lement, entre le moment où l'action est intentée et
celui où le jugement est rendu à la suite du procès.
L'ordonnance finale ou le jugement final est celui
qui tranche de façon finale une question en litige
entre les parties (l'existence d'un droit d'appel n'a
pas de conséquences sur le caractère final de l'or-
donnance ou du jugement).
On peut se rendre compte qu'il est possible
qu'une demande interlocutoire débouche sur une
ordonnance finale ou un jugement final. Il semble-
rait alors que le juge en chef ou le juge en chef
adjoint puisse autoriser un protonotaire à instruire
et à juger une demande en vue de la radiation
d'une déclaration en entier et à rejeter l'action,
laquelle demande est interlocutoire même si l'or-
donnance qui en découle tranche la question de
façon finale entre les parties.
Je remarque en outre que, dans l'affaire In re
Page. Hill v. Fladgate, [1910] 1 Ch. 489, la Cour
d'appel d'Angleterre a statué qu'une ordonnance
rejetant une action en raison de son caractère
frivole et vexatoire était une ordonnance interlocu-
toire, au moins aux fins du délai d'appel. Dans cet
arrêt, le lord juge Buckley a déclaré, à la page 494:
[TRADUCTION) Il s'agit toutefois d'une ordonnance en faveur
des défendeurs et elle met fin à la présente action. À mon avis,
il serait raisonnable de dire qu'il s'agit d'une ordonnance finale.
Mais je ne crois pas pouvoir me fonder sur cela, car il y a eu
tellement de décisions dans lesquelles des ordonnances appa-
remment finales ont été considérées comme interlocutoires.
Après en être venu à la conclusion qu'une
demande en vue de la radiation d'une déclaration
en entier constitue une demande interlocutoire et
qu'ainsi un protonotaire peut, selon les Règles de
la Cour, être chargé de l'instruire et de la juger, il
me reste à déterminer s'il s'agit d'une demande qui
ne peut être instruite et jugée que par un juge de la
Cour.
Les avocats m'ont signalé que les protonotaires
de la Cour suprême de l'Ontario n'instruisaient pas
les requêtes en vue de la radiation des déclarations
en entier. Je remarque que la restriction imposée
par l'article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867
[30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970,
Appendice II, n° 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi
constitutionnelle de 1982, n° 1)] en ce qui con-
cerne le pouvoir des provinces de nommer des
fonctionnaires investis de certains pouvoirs judi-
ciaires ne s'applique pas au gouvernement du
Canada. Le paragraphe 12(1) de la Loi sur la
Cour fédérale confère au gouverneur en conseil le
pouvoir de nommer des protonotaires. Quant au
paragraphe 12(3) de cette Loi, il dispose que les
pouvoirs et fonctions des protonotaires sont déter-
minés par les Règles. Ainsi que je l'ai déjà men-
tionné, la Règle 336 prévoit certains pouvoirs des
protonotaires. Je suis donc d'avis que le juge en
chef ou le juge en chef adjoint peut accorder à un
protonotaire le pouvoir d'instruire et de juger une
demande présentée en vertu de la Règle 419 en vue
de la radiation d'une déclaration et que c'est ce
qu'a fait le juge en chef adjoint.
Je constate également que plusieurs ordonnan-
ces dans lesquelles des demandes en radiation de
déclarations ont été examinées par des protonotai-
res ont fait l'objet d'un appel à la Section de
première instance de notre Cour. Les décisions
Windsurfing International Inc. c. Oberson (Mau-
rice) Inc. (1987), 15 F.T.R. 299; 16 C.I.P.R. 210;
Windsurfing International Inc. c. Novaction
Sports Inc. et Teasdale (1987), 15 F.T.R. 302; 15
C.I.P.R. 164; et Thibodeau c. Canada (1988), 20
C.P.R. (3d) 539 en sont des exemples. Il ne ressort
pas des motifs des juges ayant statué sur ces appels
que la question de la compétence ait été alléguée.
Dans l'affaire The Monk Corp. c. Island Fertili
zers Ltd., T-2115-86, 22 décembre 1986, non
publiée, il s'agissait d'une requête en radiation
dont avait été saisi le juge Rouleau. Il appert de
ses motifs que l'avocat avait refusé de comparaître
devant un protonotaire et avait insisté pour compa-
raître devant un juge. Lorsque le juge indique
qu'un protonotaire a compétence dans le cas d'une
requête en radiation, cela ne constitue donc mal-
heureusement qu'une remarque incidente, mais
comme c'est le seul cas où on semble avoir exa-
miné la question de la compétence des protonotai-
res, je dois le citer. Je signale toutefois que l'objec-
tion préalable, en fait une question polie, a été
soulevée en l'espèce, à mon avis, très correctement
et certainement sans montrer d'audace et tout en
manifestant la volonté ou même le désir que j'en-
tende la requête si j'estimais avoir compétence
pour ce faire.
J'ai été quelque peu surpris par cette objection,
n'ayant pas examiné la question de la compétence
des protonotaires depuis qu'on m'a chargé de la
première requête de ce genre il y a plusieurs
années. J'ai exprimé à l'audience l'opinion que, si
une requête en radiation était accueillie, elle
devrait être suivie, après l'expiration du délai d'ap-
pel, d'une requête en péremption d'instance, ce qui
présenterait de l'analogie avec la situation qui
existe lorsque des actions ont été intentées au
moyen d'un bref suivi d'une déclaration. Il ressort
de ce raisonnement que la procédure en deux
étapes que j'ai proposée à l'audience n'est pas
nécessaire. Il en est ainsi même en cas de radiation
d'une déclaration en entier sans qu'il soit prévu
que la déclaration est radiée sous réserve du droit
du demandeur de déposer une nouvelle déclara-
tion.
À une étape antérieure de la présente action, les
défenderesses ont tenté d'obtenir une suspension
d'instance pour le motif que le Projet de loi C-60
[Loi modifiant la Loi sur le droit d'auteur et
apportant des modifications connexes et corrélati-
ves, 2e Sess., 33e Lég., 35-36 Eliz. II, 1986-87]
était à l'étude à la Chambre des communes et que
son adoption éventuelle supprimerait tout droit que
les demanderesses pourraient avoir dans la pré-
sente action. Aucune des parties n'a allégué la
question de la rétroactivité; toutefois, comme je
l'ai mentionné dans mes motifs écrits [[1988] 1
C.F. 569], la Loi, advenant son adoption, ne s'ap-
pliquerait pas selon son libellé initial à la présente
action. J'ai refusé une suspension d'instance pour
ce motif. Il a été interjeté appel de ma décision
auprès du juge en chef adjoint, qui n'a pas désap-
prouvé mon raisonnement mais a formulé un motif
différent pour refuser une suspension d'instance.
Ce motif différent consistait dans le caractère
incertain que présente tout projet de loi avant sa
promulgation.
L'avocat des intimées/demanderesses a allégué
l'irrecevabilité de la question pour le motif que
j'avais conclu que les prétendus droits des deman-
deresses ne seraient pas perdus à la suite de l'adop-
tion de la Loi. L'avocat des défenderesses a sou-
tenu, avec raison à mon avis, que la question qui
aurait pu faire l'objet d'une fin de non-recevoir
était celle de la suspension d'instance, que visait la
requête dont j'avais été saisi la fois précédente.
D'après l'avocat, mes motifs ne s'appliquaient pas,
selon la doctrine de l'irrecevabilité de la question,
à la requête maintenant en litige. Je suis certain
que la prétention de l'avocat était justifiée. Néan-
moins j'avais examiné l'éventualité de la rétroacti-
vité de cette Loi. J'ai donc laissé entendre à l'avo-
cat de la défenderesse/requérante qu'il aimerait
peut-être que quelqu'un d'autre instruise la
requête. Il a été si flatteur et si persuasif en
expliquant que je devrais poursuivre l'audition de
la requête que je l'ai fait, peut-être à tort.
L'article 46.1 de la Loi sur le droit d'auteur
[S.R.C. 1970, chap. C-30], édicté par S.C. 1988,
chap. 15, art. 11, est libellé ainsi:
46.1 (1) Ne constitue pas une violation du droit d'auteur ou
des droits moraux sur une ouvre le fait:
a) de conférer à un objet utilitaire des caractéristiques de
celui-ci résultant uniquement de sa fonction utilitaire;
b) de faire, à partir seulement d'un objet utilitaire, une
reproduction graphique ou matérielle des caractéristiques de
celui-ci qui résultent uniquement de sa fonction utilitaire;
c) d'accomplir, avec un objet visé à l'alinéa a) ou avec une
reproduction visée à l'alinéa b), un acte réservé exclusive-
ment au titulaire du droit;
d) d'utiliser tout principe ou méthode de réalisation de
l'ouvre.
(2) Le paragraphe (1) ne vise pas le droit d'auteur ou les
droits moraux sur les empreintes, rouleaux perforés, films
cinématographiques ou autres organes à l'aide desquels une
ouvre peut être mécaniquement reproduite, représentée ou
exécutée.
L'article 24 de loi modificative est rédigé ainsi:
24. Le paragraphe 46(1) et l'article 46.1 de la Loi sur le
droit d'auteur, édictés par l'article 11, s'appliquent à toute
prétendue violation du droit d'auteur, même quand elle survient
avant l'entrée en vigueur de cet article.
Les violations alléguées dans la déclaration, a
prétendu l'avocat des défenderesses, entrent dans
la catégorie des actes auxquels s'applique l'article
46.1.
À la lecture de l'article 46.1 de la Loi sur le
droit d'auteur en parallèle avec l'article 24 de la
loi modificative, il appert que, lorsqu'il se produit,
nul acte y mentionné ne constitue une violation du
droit d'auteur. Je crois comprendre que cela signi-
fie que l'acte, lorsqu'il se produit, ne constitue pas
au moment de la promulgation de l'article ni par la
suite une violation du droit d'auteur. On ne peut
pas interpréter le libellé de l'article de façon à lui
faire dire que, lorsqu'il s'est produit, un tel acte ne
constituait pas au moment où il s'est produit une
violation du droit d'auteur. Il y a des affaires qui
ont été jugées avant l'adoption de l'article 46.1 et
dans lesquelles, semble-t-il, des actes similaires ont
été considérés comme des violations du droit d'au-
teur. Il se peut donc qu'au moment de la présenta-
tion de la preuve, le juge de première instance
conclue qu'au moment où les actes reprochés sont
survenus, ils constituaient des violations du droit
d'auteur. Par conséquent, il est nécessaire d'établir
quel effet cette Loi a sur la présente action dans la
mesure où elle vise un redressement dans le cas
d'actes survenus avant la promulgation de la Loi.
Lorsque, comme en l'espèce, la loi a pour effet de
supprimer des droits de propriété, il y a présomp-
tion que la loi ne s'applique pas aux actions en
cours. Ce principe a été formulé par sir George
Jessel, maître des rôles, dans l'arrêt In re Joseph
Suche & Co., Limited (1875), 1 Ch.D. 48, dans
lequel il a déclaré, à la page 50:
[TRADUCTION] ... en règle générale, lorsque la législature
modifie les droits des parties en enlevant ou en conférant un
droit d'action, les lois ainsi promulguées n'ont pas d'incidence
sur eux à moins qu'elles ne s'appliquent expressément aux
actions en cours. On dit que cette règle connaît une exception, à
savoir que, lorsque les lois promulguées ont simplement une
incidence sur la procédure et ne s'étendent pas aux droits
d'action, elles ont été considérées comme s'appliquant aux
droits existants ...
Cependant, l'avocat a cité les motifs de juge-
ment de sir George Jessel, alors maître des rôles,
dans l'affaire Quilter v. Mapleson (1882), 9
Q.B.D. 672 (C.A.) à l'appui de la thèse selon
laquelle une loi rétroactive devrait s'appliquer aux
actions en cours lors de l'entrée en vigueur de la
loi. Dans l'affaire Quilter v. Mapleson, la loi con-
cernée était la Conveyancing and Law of Property
Act, 1881, 44 & 45 Vict., chap. 41 (R.-U.). Cette
loi abrogeait une loi antérieure [An Act to further
amend the Law of Property, and to relieve Trus
tees (1859)], 22 & 23 Vict., chap. 35 (R.-U.), qui
prévoyait une levée de la déchéance, et elle adop-
tait des dispositions différentes dans ce domaine.
Le maître des rôles a fait remarquer que, si les
nouvelles dispositions en matière de levée de la
déchéance devaient ne pas s'appliquer aux viola
tions antérieures, la loi, destinée à accorder une
plus grande portée au pouvoir de lever la
déchéance, aurait pour effet de priver un proprié-
taire du droit à une libération qu'il avait déjà eu
ainsi que du droit quelque peu différent à une
libération que la nouvelle loi était censée prévoir.
Le maître des rôles a donc conclu que, pour favori-
ser l'objectif de la nouvelle loi, on devait la consi-
dérer comme s'appliquant aux poursuites en cours.
L'affaire Quilter v. Mapleson a été jugée de cette
façon parce qu'il existait des situations factuelles
où, si la loi ne s'était pas appliquée au litige en
cours, elle aurait eu un effet contraire à l'effet
recherché. Le fait d'interpréter les modifications à
la Loi sur le droit d'auteur comme ne s'appliquant
pas au litige en cours n'entraîne pas la suppression
des droits déjà existants que la demanderesse était
censée continuer d'avoir.
J'ai examiné la jurisprudence et les textes cités
par les avocats à l'audience et ceux cités dans mes
motifs en date du 3 novembre 1987 et je n'en
trouve aucun qui diminuerait l'applicabilité de la
règle formulée dans l'arrêt In re Suche. Je n'ai pas
à faire d'observations sur les allégations de l'avocat
des demanderesses en ce qui concerne la Déclara-
tion canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appen-
dice III, et la Charte canadienne des droits et
libertés [qui constitue la Partie I de la Loi consti-
tutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)].
Il reste à examiner s'il existait une cause d'ac-
tion avant l'entrée en vigueur de la loi de 1988. Il
se peut que la situation factuelle en l'espèce ne soit
pas différente de celle qui existait dans l'affaire
Bayliner Marine Corp. c. Dorai Boats Ltd., [1986]
3 C.F. 421; 10 C.P.R. (3d) 289 (C.A.), car on
réclame la protection de la Loi sur le droit d'au-
teur pour quelque chose qui peut empiéter sur la
protection qui peut être obtenue sous le régime de
la Loi sur les dessins industriels [S.R.C. 1970,
chap. 1-8].
Il peut également s'agir d'une situation factuelle
dans laquelle la protection pouvant être obtenue
sous le régime de la Loi sur le droit d'auteur
empiète sur celle qui peut être obtenue sous le
régime de la Loi sur les brevets [S.R.C. 1970,
chap. P-4]. Il est possible que la situation factuelle
soit telle qu'aucune partie de l'ouvrage pour lequel
on revendique la protection du droit d'auteur ne
relève de la protection pouvant être obtenue sous le
régime de la Loi sur les dessins industriels ou de
la Loi sur les brevets et que, par conséquent, selon
le raisonnement suivi dans l'arrêt Doral Boats et
dans l'arrêt anglais British Leyland Motor Corpo
ration and Others v. Armstrong Patents Company
Limited and Others, [1986] F.S.R. 221 (H.L.), la
Loi sur le droit d'auteur ne prévoie aucune protec
tion. Il se peut qu'il y ait une lacune et que la Loi
sur le droit d'auteur puisse s'appliquer. Il a été
allégué qu'il ne pouvait pas en théorie y avoir de
lacune de ce genre et que, par conséquent, je
n'avais pas besoin d'une preuve factuelle pour
décider qu'il n'existait pas de cause d'action.
C'est-à-dire que, pour un dessin d'un objet qui est
utilitaire, il n'y a que deux aspects, l'aspect du
dessin et l'aspect fonctionnel. Ces aspects auraient
pu, à une certaine époque, être enregistrés en tant
que dessins industriels ou être brevetés s'il avait
existé une loi à cet effet. Cela, naturellement, va
refuser à la peinture d'un voilier toute protection
du droit d'auteur. Je ne suis pas disposé à conclure
qu'il ne peut pas y avoir de lacune de ce genre en
théorie. Aucun élément de preuve n'a été présenté
à partir duquel je pourrais conclure qu'en fait il
n'y a pas de lacune. Je constate que, dans tous les
arrêts cités traitant de l'empiètement, le jugement
était fondé sur les faits.
Pour les motifs susmentionnés, je rejette la pré-
sente requête avec dépens en faveur des demande-
resses dans l'instance.
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