A-869-88
Affaire intéressant le Code canadien du travail
Et la Loi sur l'immunité des États
Et un renvoi soumis par le Conseil canadien des
relations de travail en conformité avec le paragra-
phe 28(4) de la Loi sur la Cour fédérale
RÉPERTORIÉ: CODE CANADIEN DU TRAVAIL (CAN.) (RE) (CA.)
Cour d'appel, juge en chef Iacobucci, juges Maho-
ney et Stone, J.C.A.—Ottawa, 13 juin et 9 août
1989.
Droit international — Immunité de juridiction — Les É.- U.
ont réclamé l'immunité de juridiction prévue à l'art. 3 de la
Loi sur l'immunité des États relativement à une demande
d'accréditation déposée par un syndicat au nom de civils
canadiens travaillant à sa base navale d'Argentia (Terre-
Neuve) — L'État étranger ne peut pas réclamer l'immunité de
juridiction s'il renonce de façon expresse à l'immunité souve-
raine ou dans les actions qui portent sur des activités commer-
ciales — L'adhésion à la Convention sur le statut des forces du
Traité de l'Atlantique Nord ne constitue pas une soumission
expresse à la juridiction des tribunaux canadiens — La défini-
tion de l'expression «activité commerciale» indique implicite-
ment qu'on se reporte au caractère des activités plutôt qu'à
leur but — Une requête en accréditation porte sur des contrats
de travail dont la passation est commerciale de par sa nature
— La conclusion est embarrassante car elle pourrait signifier
une atteinte à la dignité de l'État étranger si celui-ci est
contraint par un tribunal national de négocier au sujet des
conditions de travail — Ce problème pourrait être évité par
une modification législative.
Relations du travail — Un syndicat a demandé à être
accrédité comme agent négociateur de civils canadiens travail-
lant à une base navale américaine située à Terre-Neuve —
Une requête en accréditation est un acte «qui porte sur des
activités commerciales» — Les É.-U. ne pouvaient pas récla-
mer l'immunité de juridiction en vertu de l'art. 5 de la Loi sur
l'immunité des États.
Il s'agissait d'un renvoi pour déterminer si le Conseil cana-
dien des relations de travail a commis une erreur en statuant
que les États-Unis d'Amérique ne pouvaient pas réclamer
l'immunité de juridiction prévue à l'article 3 de la Loi sur
l'immunité des États relativement à une demande d'accrédita-
tion déposée au nom de civils canadiens travaillant pour le
ministère de la Défense des É.-U. à sa base militaire d'Argentia
(Terre-Neuve). Environ 60 Canadiens travaillent à la base à
titre de pompiers et d'employés d'entretien. Le Syndicat a
demandé à être accrédité en vertu du Code canadien du travail
comme agent négociateur de ces employés. L'État étranger
bénéficie de l'immunité de juridiction devant tout tribunal au
Canada (article 3 de la Loi sur l'immunité des États), sauf
lorsqu'il renonce à l'immunité en se soumettant de façon
expresse à la juridiction du tribunal (article 4) ou dans les
actions qui portent sur des activités commerciales (article 5).
«Activité commerciale» s'entend de tout acte qui revêt un
caractère commercial de par sa nature. Le Conseil a appliqué le
critère de l'activité commerciale formulé par les tribunaux
américains (s'il s'agit d'une activité dans laquelle un particulier
pourrait être engagé, il n'a pas droit à l'immunité de juridic-
tion) et a jugé que le contrat de travail constituait une activité
commerciale. Il s'agissait de savoir si les États-Unis avaient
renoncé à l'immunité de juridiction et, si tel n'était pas le cas, si
la requête en accréditation constituait une activité commer-
ciale. Le Syndicat a soutenu que les É.-U. avaient renoncé à
l'immunité de juridiction en signant la Convention sur le statut
des forces du Traité de l'Atlantique Nord de 1951, qui prévoit
que les besoins locaux en main-d'oeuvre civile sont satisfaits de
la même manière que ceux des services analogues de l'État de
séjour.
Arrêt: l'immunité de juridiction ne pouvait pas être réclamée.
Le juge en chef lacobucci (motifs concourants du juge Stone,
J.C.A.): La signature de la Convention sur le statut des forces
du Traité de l'Atlantique Nord n'équivalait pas à une soumis-
sion expresse à la juridiction des tribunaux canadiens.
La mention, dans la définition de l'activité commerciale, de
tout acte qui de par sa nature revêt un caractère commercial
laisse croire à une portée plus limitée de l'immunité que si on
parlait de but de l'activité. La définition américaine fait men
tion expressément de la nature de l'activité, mais elle continue
avec l'expression «plutôt qu'en fonction de son but». La défini-
tion canadienne véhicule implicitement le même sens, c.-à-d.
qu'on se reporte au caractère des opérations ou des activités,
non à leur but. Tenir compte du but, ce serait faire jouer le
genre d'immunité plus large accordée en vertu de la théorie
absolue traditionnelle, ce qui pourrait venir contrer le but visé
par la loi en adoptant une approche limitative de l'immunité
comme il ressort de la Loi sur l'immunité des États. Le
caractère de l'opération (contrats de travail) était commercial,
et la requête en accréditation dont le Conseil avait été saisi
portait sur cette activité commerciale au sens de l'article 5 de la
Loi sur l'immunité des États. Bien que les contrats de travail
eussent pour but d'aider à la réalisation des objectifs publics
des États-Unis dans l'exploitation d'une base navale, la Loi ne
sanctionne pas le but de l'activité de l'État mais nous oblige
plutôt à nous concentrer sur le caractère de la prétendue
activité commerciale en question.
Le juge Mahoney, J.C.A. (motifs concourants du juge Stone,
J.C.A.): Ces dernières années, on est passé d'une immunité
absolue de juridiction devant les tribunaux de common law à
une notion plus restreinte. Le Canada, les É.-U. et la Grande-
Bretagne ont, plus ou moins à la même époque, codifié cette
notion restreinte. La loi britannique, par son libellé même, et la
loi américaine, d'après l'intention du législateur mentionnée
ailleurs, excluent l'immunité souveraine en ce qui concerne
l'embauchage de leurs citoyens ou de leurs résidents à l'inté-
rieur de leurs territoires par des États étrangers. Les tribunaux
américains ont donné effet à cette intention du législateur. Il
faut accorder le même traitement aux contrats d'achat de biens
ou de services et aux contrats de travail aux fins de la Loi sur
l'immunité des États. Une requête en accréditation porte sur le
travail des membres de l'unité de négociation projetée en vertu
des contrats de services dont la passation constitue de la part
des É.-U. un acte qui revêt un caractère commercial. C'est
seulement si l'on regardait au-delà de la nature du travail afin
de découvrir son objectif général—satisfaire les besoins en
défense des E.-U.---qu'on pourrait, en l'espèce, rationaliser le
recours à l'immunité des États.
défense des É.-U.—qu'on pourrait, en l'espèce, rationaliser le
recours à l'immunité des États.
La conclusion était embarrassante en ce sens que la dignité
souveraine d'un État étranger pourrait être mise en cause si un
tribunal national pouvait l'obliger à négocier au sujet des
conditions de travail et imposer ces conditions. Le recours à
l'immunité souveraine vise à éviter de gêner les États dans leurs
fonctions et de porter atteinte à leur dignité. Ce problème
dépassait cependant la portée limitée du présent renvoi. Le
Parlement devra modifier la Loi sur l'immunité des États pour
que puisse être invoquée l'immunité de juridiction devant le
Conseil dans les affaires du genre de celle dont nous étions
saisis.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Code canadien du travail, L.R.C. (1985), chap. L-2, art.
48, 80.
Convention entre les États parties au Traité de l'Atlanti-
que Nord sur le statut de leurs forces, 19 juin 1951,
199 R.U.R.T. 67, art. 4.
Foreign Sovereign Immunities Act of 1976, Pub. L.
94-583, 90 stat. 2891 (1976), art. I603d).
Loi sur l'immunité des États, L.R.C. (1985), chap. S-18,
art. 2, 3(1), 4(1),(2)a), 5.
State Immunity Act 1978 (R.-U.), 1978, chap. 33, art.
4(1),(6).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Goethe House New York, German Cultural Center v
N.L.R.B., 869 F.2d 75 (2d Cir. 1989); infirmant 685 F.
Supp. 427 (S.D.N.Y. 1988); The Charkieh (1873), L.R.
4 Ad. & Ec. 59.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
I Congreso del Partido, [1981] 2 All ER 1064 (H.L.);
Texas Trading & Mill Corp. v. Federal Republic of
Nigeria, 647 F.2d 300 (2d Cir., 1981).
DÉCISIONS CITÉES:
Gouvernement de la République Démocratique du Congo
c. Venne, [1971] R.C.S. 997; 22 D.L.R. (3d) 669; Lorac
Transport Ltd. c. Atra (Le), [1987] 1 C.F. 108; (1986),
28 D.L.R. (4th) 309; 69 N.R. 183 (C.A.); Saint John,
The Municipality of the City and County of et al. v.
Fraser -Brace Overseas Corporation et al., [1958] R.C.S.
263.
DOCTRINE
Crawford, James «International Law and Foreign Sove
reigns: Distinguishing Immune Transactions» The Bri-
tish Yearbook of International Law 1983, Oxford:
Clarendon Press, 1984.
Emanuelli, C. «L'immunité souveraine et la coutume
internationale de l'immunité absolue à l'immunité rela
tive» (1984), 22 A.C.D.I. 26.
Molot, H.L. et Jewett, M.L. «The State Immunity Act of
Canada» (1982), 20 A.C.D.I. 79.
United States. House Report No. 94-1487, Congressional
Record, Vol. 122.
Williams, S.A. et de Mestral, A.L.C. An Introduction to
International Law, 2» éd. Toronto: Butterworths, 1987.
AVOCATS:
H. Scott Fairley pour le Conseil canadien des
relations de travail.
Ronald A. Pink et Ronald Pizzo pour l'Al-
liance de la Fonction publique du Canada.
Brian A. Crane, c.r. pour le gouvernement des
États-Unis.
Edward R. Sojonky, c.r. pour le procureur
général du Canada.
PROCUREURS:
Lang, Michener, Lash, Johnston, Toronto,
pour le Conseil canadien des relations de
travail.
Patterson, Kitz, Halifax, pour l'Alliance de la
Fonction publique du Canada.
, Cowling, Strathy & Henderson, Ottawa, pour
le gouvernement des États-Unis.
Le sous-procureur général du Canada pour le
procureur général du Canada.
Ce qui suit est la version française des motifs
de la décision rendus par
LE JUGE EN CHEF IACOBUCCI: J'ai eu l'avan-
tage de lire les motifs de mon collègue le juge
Mahoney, J.C.A., et j'y souscris ainsi qu'à la
conclusion à laquelle il aboutit, à savoir que les
États-Unis d'Amérique (les «États-Unis») ne peu-
vent pas réclamer l'immunité de juridiction prévue
par la Loi sur l'immunité des États, L.R.C.
.(1985), chap. S-18 (la «LIÉ») relativement à la
demande d'accréditation déposée par l'Alliance de
la Fonction publique du Canada (le «Syndicat») en
vertu du Code canadien du travail, L.R.C. (1985),
chap. L-2 au nom d'un certain nombre de civils
canadiens travaillant à la base navale américaine
d'Argentia (Terre-Neuve). Je voudrais toutefois
ajouter quelques observations personnelles, mais ce
faisant je ne parlerai pas de l'état général de la
question, que le juge Mahoney a bien exposé.
Quant à savoir si les États-Unis ont renoncé ou
non à l'immunité au sens de la LIÉ, et notamment
de son alinéa 4(2)a), je suis d'accord avec le juge
Mahoney, J.C.A., pour dire que le Conseil a eu
raison de statuer qu'il n'y avait pas eu renoncia-
tion. Le Syndicat a soutenu que la signature par
les États-Unis de la Convention sur le statut des
forces du Traité de l'Atlantique Nord de 1951
[Convention entre les États parties au Traité de
l'Atlantique Nord sur le statut de leurs forces, 19
juin 1951, 199 R.U.R.T. 67] équivalait à une
soumission expresse à la juridiction des tribunaux
canadiens. Je ne puis souscrire à cette allégation.
Le fait de souscrire aux dispositions de la Conven
tion sur le statut des `forces peut équivaloir tout au
plus à une renonciation implicite, mais l'alinéa
4(2)a) de la LIÉ exige la soumission expresse à la
juridiction du tribunal et je ne décèle rien dans les
dispositions de la Convention sur le statut des
forces qui constitue une soumission expresse à la
juridiction des organismes judiciaires ou quasi
judiciaires. Par conséquent, l'allégation du Syndi-
cat au sujet de la renonciation ne tient pas.
Dans le présent renvoi, la question de loin la
plus difficile est de savoir si les affaires sur lesquel-
les le Conseil a exercé sa compétence «portent sur
des activités commerciales» de l'État étranger au
sens de l'article 5 de la LIÉ, qui prévoit:
5. L'État étranger ne bénéficie pas de l'immunité de juridic-
tion dans les actions qui portent sur ses activités commerciales.
L'article 2 de la LIÉ définit ainsi l'expression
«activité commerciale»:
... Toute poursuite normale d'une activité ainsi que tout acte
isolé qui revêtent un caractère commercial de par leur
nature.
Le Conseil a jugé qu'il y avait activité commer-
ciale et je suis d'accord, mais, ainsi que je le
mentionnerai plus loin, j'entretiens des doutes
quant au raisonnement qui sous-tend la conclusion
du Conseil sur ce point.
Je n'ai pas besoin de m'étendre sur la doctrine
de l'immunité souveraine ou des États selon le
droit international public ou sur la question de
savoir si les tribunaux canadiens ont favorisé une
approche limitative à l'égard de cette immunité
avant l'adoption de la LIÉ'. Qu'il suffise de dire
que, selon la doctrine de l'immunité souveraine qui
a eu cours pendant longtemps, chaque État s'assu-
rait qu'aucun État étranger ne serait poursuivi
devant ses tribunaux, si ce n'est avec le consente-
ment de l'État étranger. L'immunité souveraine ne
consistait pas en une immunité relativement à
l'application de la loi d'un autre État mais plutôt
en une immunité relativement aux poursuites en
justice. On disait que le fait de répondre à une
enquête sur un acte de souveraineté violerait la
doctrine de l'égalité des États et menacerait la
dignité de l'État étranger 2 . En effet, le litige avec
l'Etat étranger devait être réglé par voie diplomati-
que plutôt que par un recours judiciaire'.
Mais, par la suite, la coutume internationale en
matière d'immunité de juridiction a changé, et des
lois nationales ont été adoptées afin de refléter ce
changement d'approche 4 . Ainsi que l'a mentionné
le juge Mahoney, J.C.A., les États-Unis ont adopté
leur loi en 1976, suivis en cela par le Royaume-Uni
en 1978 et par le Canada en 1982. Ce changement
a entraîné l'abandon de la soi-disant théorie «abso-
lue» de l'immunité de juridiction en faveur d'une
théorie «limitative» en vertu de laquelle l'immunité
de l'État étranger se limite à ses actes souverains
ou publics (juri imperii) et ne s'étend pas à ses
actes de nature privée ou commerciale (juri
gestionis).
Dans I Congreso del Partido 5 , lord Wilberforce
a formulé une observation très utile sur l'évolution
relativement moderne de l'immunité restreinte
lorsqu'il a dit:
' Voir Gouvernement de la République Démocratique du
Congo c. Venne, [1971] R.C.S. 997; 22 D.L.R. (3d) 669 tout
spécialement le juge Laskin, tel était son titre à l'époque, à la p.
1020 R.C.S.; voir également Lorac Transport Ltd. c. Atra (Le),
[I987] 1 C.F. 108; (1986), 28 D.L.R. (4th) 309; 69 N.R. 183
(C.A.).
2 Voir I Congreso del Partido, [1981 ] 2 All ER 1064 (H.L.);
C. Emanuelli, «L'immunité souveraine et la coutume internatio-
nale de l'immunité absolue à l'immunité relative« (1984), 22
A.C.D.I. 26.
3 Voir Saint John, The Municipality of the City and County
of et al. v. Fraser -Brace Overseas Corporation et al., [1958]
R.C.S. 263, le juge Rand, à la p. 268.
4 Voir Williams, S.A. et de Mestral, A.L.C. An Introduction
to International Law, 2 » éd. Toronto: Butterworths, 1987, p.
139 et suivantes.
5 Précité à la note 2.
[TRADUCTION] L'exception, ou la limitation, pertinente qui
s'est greffée sur la doctrine de l'immunité des États, en vertu de
la soi-disant «théorie limitative», découle de la volonté des États
d'effectuer des opérations commerciales, ou autres opérations
relevant du droit privé, avec des particuliers. Il semble que cela
ait deux fondements principaux: a) Il est nécessaire dans
l'intérêt de la justice que les particuliers effectuant de telles
opérations avec des États puissent les soumettre aux tribunaux.
b) Le fait d'exiger qu'un État réponde à une réclamation
fondée sur de telles opérations n'implique pas une contestation
de l'acte de cet État souverain ou une enquête sur cet acte. Il ne
s'agit pas, en termes établis, d'une menace à la dignité de cet
État ni d'une intrusion dans ses fonctions d'État souverain 6 .
Je reviens maintenant aux dispositions de la LIÉ
et, tout particulièrement, à l'article 5 et à la
définition de l'activité commerciale figurant à l'ar-
ticle 2. Je voudrais ajouter deux observations à
celles qu'a faites le juge Mahoney, J.C.A., sur la
question de l'activité commerciale. La première se
rapporte à la définition prévue à l'article 2 de la
LIE de l'activité commerciale et la seconde con-
cerne un avertissement au sujet du raisonnement
qui sous-tend la conclusion à laquelle le Conseil a
abouti en ce qui concerne l'activité commerciale.
À mon avis, la mention, dans la définition de
l'activité commerciale, de tout acte qui de par sa
nature revêt un caractère commercial laisse croire
à une portée plus limitée de l'immunité que si on
parlait du but de l'activité. Bien que la définition
figurant dans la loi américaine fasse mention
expressément de la nature de la poursuite de l'acte,
elle continue avec l'expression «plutôt qu'en fonc-
tion de son but». Mais encore une fois, ainsi que le
souligne le juge Mahoney, J.C.A., la définition
canadienne véhicule implicitement le même sens,
c'est-à-dire qu'on se reporte au caractère des opé-
rations ou des activités, non à leur but. Tenir
compte aussi du but, ce serait, à mon avis, faire
jouer le genre d'immunité plus large accordée en
vertu de la théorie absolue traditionnelle, ce qui
pourrait venir contrer le but visé par la Loi en
adoptant une approche limitative de l'immunité
6 Idem, à la p. 1070; cité avec approbation par le juge
Hugessen, J.C.A., dans l'arrêt Lorac Transport Ltd., précité à
la note 1, à la p. 115.
comme il ressort de la LIÉ'.
En l'espèce, le caractère de l'opération ou de
l'activité est commercial en ce sens que les contrats
de travail conclus par les États-Unis avec les civils
canadiens se trouvent au coeur de l'affaire et que la
requête en accréditation dont le Conseil a été saisi
porte sur cette activité commerciale au sens de
l'article 5 de la LIÉ. J'admets que les contrats de
travail ont pour but d'aider à la réalisation des
objectifs publics des États-Unis dans l'exploitation
d'une base navale, mais, ainsi qu'il a déjà été
mentionné, je crois que la LIÉ et, tout particulière-
ment, les dispositions de l'article 5 et la définition
d'activité commerciale figurant à l'article 2 ne
sanctionnent pas le but de l'activité de l'État mais
nous obligent plutôt à nous concentrer sur le carac-
tère de la prétendue activité commerciale en
question.
Une dernière observation porte sur le raisonne-
ment suivi par le Conseil pour aboutir à la conclu
sion selon laquelle il y avait activité commerciale
et l'immunité de juridiction ne s'appliquait pas. Le
Conseil s'est appuyé grandement sur la jurispru
dence américaine, étant donné, à son avis, le lien
étroit qui existe entre la loi canadienne et la loi
américaine. Le Conseil a déclaré:
[TRADUCTION] Dans la présente affaire, le contrat de travail
des civils employés à des travaux d'entretien a donné naissance
à la demande d'accréditation de l'AFPC. En supposant qu'un
tel litige ait pris naissance aux États-Unis, sur une base cana-
dienne, la question à trancher aurait été la suivante: un tel
contrat aurait-il pu être conclu par un particulier? Si oui, on
aurait décrit le contrat comme étant une activité commerciale,
et la base étrangère n'aurait pas pu réclamer l'immunité de
juridiction. L'embauchage d'employés civils est une activité qui
peut être exercée par un particulier, contrairement à l'embau-
chage «de diplomates, de fonctionnaires ou de militaires»
(Foreign Sovereign Immunities Act of 1976, House Report,
précité, page 6615; c'est moi qui souligne). Il s'ensuit que,
conformément à la Foreign Sovereign Immunities Act de 1976,
7 Voir Molot, H.L. et Jewett, M.L. «The State Immunity Act
of Canada», (1982), 20 A.C.D.I. 79; voir tout particulièrement
le commentaire aux p. 96 et suivantes où les auteurs examinent
]'«activité commerciale» et l'accent mis sur le «caractère» plutôt
que le «but» dans la LIÉ. Les auteurs signalent que, en théorie,
on a remarqué qu'un État souverain ne cesse pas d'être souve-
rain parce qu'il exécute un acte que pourrait exécuter un
citoyen privé. Idem, à la p. 96. Mais les auteurs notent qu'on
demande maintenant aux tribunaux de faire la distinction entre
les actes souverains et les actes non souverains d'un État, ou
entre ses actes commerciaux et ses actes gouvernementaux, et
ils poursuivent en étudiant pourquoi il est préférable de mettre
l'accent sur le «caractère» et non sur le «but». Idem, aux p. 99 et
suivantes.
dans des cas comme celui qui apparaît dans la demande
d'accréditation, l'embauchage d'employés civils américains sur
une base canadienne située aux États-Unis pourrait être consi-
déré comme étant une «activité commerciale» 8 .
Bien que je sois d'accord avec la conclusion du
Conseil au sujet de l'activité commerciale, je n'in-
sisterais pas autant sur la question de savoir si le
contrat de travail aurait pu être conclu par un
particulier dans chaque cas qui pourrait se présen-
ter sous le régime de la LIE. À titre d'exemple, il
se pourrait bien que les fonctions d'un program-
meur en informatique dans une base militaire d'un
État étranger puissent être exercées par un parti-
culier, mais si le travail du programmeur se rap-
portait à la cueillette et à l'analyse de renseigne-
ments hautement confidentiels et délicats, je doute
que ces fonctions constitueraient une activité com-
merciale au sens de la LIÉ au point d'abolir
l'immunité de juridiction.
En résumé, je souscris à la réponse donnée par le
juge Mahoney à la question posée dans le présent
renvoi.
LE JUGE STONE, J.C.A.: J'y souscris.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
de la décision rendus par
LE JUGE MAHONEY, J.C.A.: Il s'agit dans le
présent renvoi de savoir si le Conseil canadien des
relations de travail, ci-après appelé «le Conseil», a
commis une erreur en statuant que les États-Unis
d'Amérique, ci-après appelés «les É.-U.», ne pou-
vaient pas réclamer l'immunité de juridiction
prévue à l'article 3 de la Loi sur l'immunité des
États, L.R.C. (1985), chap. S-18, relativement à
une demande d'accréditation déposée au nom de
civils canadiens travaillant pour le ministère de la
Défense des É.-U. à sa base d'Argentia (Terre-
Neuve). Bien qu'elles aient été mentionnées, deux
autres questions, qui dépendent d'une réponse
négative à cette première question et portent sur
un conflit de juridiction entre le Canada et Terre-
Neuve, n'ont pas été débattues et feront l'objet, au
besoin, d'une autre audience.
En vertu d'un bail de 99 ans accordé par la
Grande-Bretagne et entré en vigueur le 27 mars
8 Dossier, à la p. 34.
1941, la marine américaine occupe et exploite une
base militaire à Argentia. Le bail prévoit:
[TRADUCTION] ARTICLE I
(1) Les États-Unis ont à l'intérieur des lieux loués tous les
droits et les pouvoirs nécessaires à leur établissement, à leur
utilisation, à leur exploitation et à leur défense ou appropriés à
leur surveillance et ils ont également à l'intérieur des limites
des eaux territoriales et des espaces aériens adjacents aux lieux
loués ou situés à leur proximité tous les droits et les pouvoirs
nécessaires pour permettre l'accès et la défense des lieux loués
ou appropriés à leur surveillance.
ARTICLE XXIX
Les États-Unis et le gouvernement du Territoire feront res-
pectivement tout en leur pouvoir pour s'aider mutuellement à
donner pleinement effet aux dispositions de la présente conven
tion et prendront toutes les mesures appropriées à cette fin.
Pendant la durée du bail, les lois du Territoire qui porte-
raient atteinte ou préjudice à quelque droit conféré aux Etats-
Unis par le bail ou par la présente convention ne pourront pas
s'appliquer à l'intérieur des lieux loués, si ce n'est avec le
consentement des États-Unis.
En plus de leur personnel militaire et de leur
personnel civil, les Etats-Unis emploient environ
60 civils canadiens à titre de pompiers et d'em-
ployés d'entretien, tels que plombiers, électriciens,
etc. L'Alliance de la Fonction publique du
Canada, ci-après appelée «le Syndicat», a demandé
à être accréditée en vertu du Code canadien du
travail, L.R.C. (1985), chap. L-2, comme agent
négociateur de ces employés.
La base est située à l'intérieur d'un périmètre
clôturé et gardé. On y accède par une entrée sous
surveillance. On y trouve un centre de communica
tions, qui en est la raison d'être, des locaux d'habi-
tation et un certain nombre d'édifices et d'installa-
tions d'approvisionnement et de services
auxiliaires. Les travailleurs canadiens, à l'excep-
tion des pompiers, sont employés à l'entretien des
édifices, de la clôture, du terrain, des services
publics et du matériel autre que le matériel de
communications. Il leur faut une habilitation de
sécurité pour entrer et travailler à la base. Lors-
qu'ils doivent pénétrer dans le centre de communi
cations lui-même, ils le font sous escorte militaire.
Voici les dispositions pertinentes de la Loi sur
l'immunité des Etats:
2. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.
«activité commerciale. Toute poursuite normale d'une activité
ainsi que tout acte isolé qui revêtent un caractère commercial
de par leur nature.
3. (1) Sauf exceptions prévues dans la présente loi, l'État
étranger bénéficie de l'immunité de juridiction devant tout
tribunal au Canada. -
4. (1) L'État étranger qui se soumet à la juridiction du
tribunal selon les modalités prévues aux paragraphes (2) ou (4),
renonce à l'immunité de juridiction visée au paragraphe 3(1).
(2) Se soumet à la juridiction du tribunal l'État étranger
qui:
a) le fait de manière expresse par écrit ou autrement, avant
l'introduction de l'instance ou en cours d'instance;
5. L'État étranger ne bénéficie pas de l'immunité de juridic-
tion dans les actions qui portent sur des activités commerciales.
Il est admis que le Conseil est un «tribunal» aux
fins du présent renvoi. Il s'agit seulement de savoir
si les Etats-Unis ont renoncé à l'immunité de
juridiction et, si tel n'est pas le cas, si l'activité au
sujet de laquelle le Conseil s'est déclaré compétent
constitue une activité commerciale.
Le Conseil a jugé qu'il n'y avait pas eu renoncia-
tion, et cette conclusion n'a été contestée devant
nous que par le Syndicat. Le Conseil a statué qu'il
s'agissait d'une activité commerciale. Devant notre
Cour, les États-Unis et le procureur général du
Canada ont contesté cette décision tandis que le
Syndicat et le Conseil l'ont défendue.
RENONCIATION
L'allégation selon laquelle les É.-U. avaient
renoncé à l'immunité de juridiction est fondée sur
leur adhésion à la Convention sur le statut des
forces du Traité de l'Atlantique Nord de 1951, qui
prévoit à l'article IX:
4. Les besoins locaux en main d'oeuvre civile d'une force ou
d'un élément civil sont satisfaits de la même manière que ceux
des services analogues de l'État de séjour, avec leur assistance
et par l'entremise des services de la main d'oeuvre. Les condi
tions d'emploi et de travail, notamment les salaires et accessoi-
res de salaires et les conditions de protection des travailleurs,
sont réglées conformément à la législation en vigueur dans
l'État de séjour. Ces travailleurs civils employés par une force
ou par un élément civil ne sont considérés en aucun cas comme
membres de cette force ou de cet élément civil.
Par définition et dans les circonstances, l'expres-
sion «élément civil» ne comprend pas les citoyens
canadiens ni les autres personnes résidant ordinai-
rement au Canada qui sont employés à la base.
Le Conseil a décidé qu'en adhérant à la conven
tion de l'OTAN, les É.-U. ne s'étaient pas soumis
expressément à sa juridiction, peu importe la façon
plus ou moins libérale d'interpréter ce que pourrait
être une renonciation. J'y souscris.
ACTIVITÉ COMMERCIALE
À une certaine époque, les États souverains
jouissaient d'une immunité absolue de juridiction
devant les tribunaux de common law. Lorsque,
directement ou par l'intermédiaire de leurs orga-
nismes, ils se sont adonnés de plus en plus à des
activités commerciales, ils en sont venus à admet-
tre une notion «restreinte» de l'immunité souve-
raine. Le Canada, les É.-U. et la Grande-Bretagne
ont, plus ou moins à la même époque, pris des
mesures afin de codifier cette notion restreinte. En
ce qui concerne les circonstances de l'espèce, la loi
britannique, c'est-à-dire la State Immunity Act
1978 (R.-U.), 1978 chap. 33, diffère beaucoup de
la loi canadienne et de la loi américaine. Elle
exclut «le contrat de travail entre un État et un
particulier» de la définition de l'expression «opéra-
tion commerciale» mais prévoit expressément:
[TRADUCTION] 4. (I) Un État ne bénéficie pas de l'immu-
nité de juridiction en ce qui concerne l'action portant sur un
contrat de travail entre l'État et un particulier lorsque le
contrat a été conclu au Royaume-Uni ou que le travail doit y
être exécuté en tout ou en partie.
(6) Dans le présent article, l'«action portant sur un contrat
de travail■ comprend l'action entre les parties à un tel contrat
relativement aux droits dont elles sont investies ou aux obliga
tions auxquelles elles sont soumises par la loi en tant qu'em-
ployeur ou employé.
La loi américaine, c'est-à-dire la Foreign Sove
reign Immunities Act of 1976, Pub. L. 94-583, 90
Stat. 2891 (1976) et ses modifications, dispose:
[TRADUCTION] 1603. Aux fins du présent chapitre
d) Une "activité commerciale" s'entend de la poursuite nor-
male d'une opération commerciale ainsi que de tout acte
isolé. Le caractère commercial d'une activité est déterminé
en fonction de la nature de la poursuite de l'activité ou de
l'acte isolé plutôt qu'en fonction de son but.
Le dernier membre de phrase «plutôt qu'en fonc-
tion de son but» évoque, à mon avis, une notion qui
n'est pas formulée expressément mais implicite-
ment dans la définition canadienne.
Pour interpréter leur loi, les tribunaux des É.-U.
ont eu recours habituellement aux observations
émises par le comité judiciaire de la Chambre
(House Judiciary Committee) sur la notion d'acti-
vité commerciale que celui-ci avait à l'esprit en
recommandant la loi au Congrès. Il est utile de les
citer en entier.
[TRADUCTION] d) Activité commerciale. L'alinéa c) de l'ar-
ticle 1603 définit l'expression «activité commerciale» comme
incluant un large éventail, depuis l'opération commerciale
isolée jusqu'à la poursuite normale d'une activité commerciale.
La «poursuite normale d'une activité commerciale» comprend
notamment l'exploitation d'une entreprise commerciale telle
qu'une compagnie d'extraction de minerais, une compagnie de
transports aériens ou une société commerciale d'État. Il est
certain que, si une activité est ordinairement exercée en vue
d'un profit, son caractère commercial pourrait être facilement
reconnu. À l'autre extrémité de l'éventail, un simple contrat, s'il
était de la même nature qu'un contrat qui pourrait être passé
par un particulier, pourrait constituer une «opération isolée».
Comme l'indique la définition, le fait que les biens ou les
services devant être obtenus grâce à un contrat doivent être
utilisés à des fins publiques n'est pas pertinent; c'est le carac-
tère essentiellement commercial d'une activité ou d'une opéra-
tion qui importe. Ainsi, le contrat passé par un gouvernement
étranger en vue d'acheter des approvisionnements ou du maté
riel destinés à ses forces armées ou de construire un édifice
gouvernemental constitue une activité commerciale. Il en serait
de même du contrat conclu en vue d'effectuer des réparations à
une ambassade. Ces contrats devraient être considérés comme
des contrats commerciaux, même s'ils ont pour but ultime des
fonctions publiques.
Par contre, la simple participation d'un État étranger à un
programme d'aide étrangère géré par l'Agency for Internatio
nal Development (AID) est une activité dont le caractère est
essentiellement public ou gouvernemental, mais elle ne consti-
tuerait pas elle-même une activité commerciale. De même, les
activités d'un État étranger aux États-Unis et les «contrats»
conclus avec les États-Unis résultant de ou requis par la
participation à un programme de ce genre ne constitueraient
pas en soi un lien commercial suffisant avec les États-Unis pour
conférer la compétence voulue à leurs tribunaux (voir l'art.
1330) ou un droit d'action sur des biens qui pourraient faire
l'objet d'une saisie-arrêt ou d'une saisie-exécution relativement
à des opérations commerciales qui n'ont aucun rapport avec ces
activités (voir l'al. 1610b)). Toutefois, une opération en vue
d'obtenir des biens ou des services de particuliers ne perdrait
pas son caractère qui autrement serait commercial du fait
qu'elle a été conclue en liaison avec un programme de l'AID.
Serait également public ou gouvernemental et non commercial
par nature l'embauchage de diplomates, de fonctionnaires ou de
militaires, mais non celui de citoyens américains ou de citoyens
d'un pays tiers par l'État étranger aux États-Unis.
Les tribunaux disposeraient d'une grande latitude pour déter-
miner ce qu'est une «activité commerciale» aux fins du présent
projet de loi. Il ne nous a pas semblé judicieux d'essayer
d'établir une définition très précise de cette expression, même si
cela était réalisable. Des activités telles que la vente d'un
service ou d'un produit, la location de biens, le prêt d'argent,
l'embauchage de manoeuvres, d'employés de secrétariat ou
d'agents de relations publiques ou de commercialisation ou
l'investissement dans un titre d'une société américaine par, un
État étranger, feraient partie de celles qui sont comprises dans
la définition. House Report No. 94-1487, Congressional
Record, Vol. 122, p. 6614-6615. [C'est moi qui souligne.]
Le document du Congrès mentionne également, à
la page 6604, que [TRADUCTION] «le projet de loi
de la Chambre fut adopté à la place de celui du
Sénat».
La loi britannique, par son libellé même, et la loi
américaine, d'après l'intention du législateur men-
tionnée ailleurs, excluent l'immunité souveraine en
ce qui concerne l'embauchage de leurs citoyens ou
de leurs résidents à l'intérieur de leurs territoires
par des États étrangers. Les tribunaux américains
ont, dans leurs décisions, donné effet à cette inten
tion du législateur en examinant les contrats indi-
viduels de travail. Il suffit, à cet égard, de se
reporter à la plus récente décision américaine qui,
tout à fait par hasard, est celle qui se compare le
plus, sur le plan des faits, à la présente affaire.
On ne nous a cité aucune décision de la Cour
suprême des É.-U., mais on nous a informés qu'un
bref de certiorari avait été demandé relativement à
la plus récente décision rendue par la U.S. Court
of Appeals for the Second Circuit dans l'affaire
Goethe House New York, German Cultural
Center y N.L.R.B., 869 F.2d 75 (2d Cir. 1989). La
Maison Goethe (Goethe House) est un organisme
culturel de la République fédérale d'Allemagne
qui, entre autres, emploie du personnel non alle-
mand aux É.-U. L'action intentée aux É.-U. visait
à obtenir une injonction afin d'empêcher le Natio
nal Labour Relations Board d'entendre plus avant
une requête en représentation ou de tenir un vote
de représentation pour ces employés. Au procès, la
cour de district a, dans une décision publiée, 685
F.Supp. 427 (S.D.N.Y. 1988), accordé l'injonction
et déclaré à la page 429:
[TRADUCTION] Le déni de l'injonction, qui aurait pour effet
d'obliger la Maison Goethe à procéder au vote de représenta-
tion, lui causerait sans aucun doute un tort irréparable dans le
domaine délicat des relations étrangères, étant donné que la
politique d'emploi de la Maison Goethe est entièrement plani-
fiée par le gouvernement allemand, et pourrait entraîner des
complications diplomatiques si le syndicat remportait le vote.
La Maison Goethe serait alors obligée de négocier avec le
syndicat en violation d'une partie ou de la totalité des mandats
du gouvernement en matière de personnel ou bien, pour obtenir
une révision, il lui faudrait commettre une manœuvre déloyale
d'après la National Labor Relations Act, 29 U.S.C. § 158
(a)(5), en refusant, par exemple de négocier avec le syndicat en
tant que représentant des employés.
et à la page 430:
[TRADUCTION] C'est une chose que de protéger et de garan-
tir un recours devant les tribunaux américains dans le cas d'un
vendeur ou d'un employé américain impayé en définissant ce
rapport comme étant une exception «commerciale», mais c'en
est une autre que de justifier par ce moyen le droit d'un
organisme des Etats-Unis d'intervenir dans la structure sous-
jacente d'emploi d'une arme reconnue d'un État étranger qui ne
s'adonne à aucune activité commerciale. Vient appuyer cette
opinion le fait que les tribunaux qui ont jugé que l'exception de
l'activité commerciale existait dans le contexte de l'emploi ont
porté un tel jugement dans le cas de contrats de travail entre
l'État ou l'intermédiaire étranger et un simple particulier.
La majorité des juges qui siégeaient à la Court of
Appeals ont accueilli l'appel pour le motif que
celui-ci était prématuré bien que, dans une remar-
que incidente, ils aient exprimé un doute quant à
la possibilité que la République fédérale réussisse à
la fin à faire valoir son immunité de juridiction
[aux pages 79 et 80].
[TRADUCTION] Pour justifier sa compétence, la cour de
district a déclaré que le fait d'exiger de la Maison Goethe
qu'elle se soumette à la juridiction de la NLRB pourrait
empiéter sur les «objectifs d'emploi du gouvernement de l'Alle-
magne de l'Ouest pour mettre en pratique sa politique étran-
gère en matière culturelle» et pourrait causer des perturbations
et des complications dans le domaine des relations internationa-
les. À notre avis, les préoccupations de la cour de dictrict
n'étaient guère fondées et ne justifiaient pas l'intervention du
tribunal dans cette affaire. Même si le syndicat était reconnu
comme l'agent négociateur des employés non allemands de la
Maison Goethe, nous ne pouvons pas concevoir comment la
présence du syndicat empiéterait sur la mise en pratique par la
Maison Goethe de la politique étrangère en matière culturelle
de l'Allemagne de l'Ouest. D'après la NLRA, la Maison
Goethe serait tenue de négocier avec le syndicat au sujet des
salaires, des heures de travail et des autres modalités d'emploi
... De plus, le fait que les employés allemands de la Maison
Goethe soient actuellement syndiqués vient donner un démenti
à la thèse selon laquelle la présence d'un syndicat pour les
employés non allemands entraverait les activités de la Maison
Goethe.
En tant qu'employeur, la Maison Goethe a la possibilité de
demander une révision indirecte de l'ordonnance du conseil des
relations de travail en refusant de négocier avec le syndicat si
celui-ci est accrédité, et de demander alors la révision de sa
position devant une cour d'appel.
Le juge dissident était entièrement d'accord avec
le juge de première instance. Il vaut la peine de
faire remarquer entre parenthèses que c'était pré-
cisément pour éviter un tel affrontement avec les
É.-U. au sujet d'une «révision indirecte» que le
Conseil a soumis le présent renvoi.
La Cour de district avait fait observer que toutes
les décisions judiciaires américaines qui invo-
quaient l'exception de l'activité commerciale dans
le contexte de l'emploi l'avaient fait relativement à
des contrats de service conclus entre un État étran-
ger et un simple particulier. Il faut dire la même
chose de la jurisprudence qui nous a été citée.
Après un examen minutieux de la jurisprudence
américaine, le Conseil en est venu à la conclusion
suivante:
Vu le lien étroit qui existe entre la loi canadienne et la loi
américaine, nous estimons opportun de nous inspirer de la
jurisprudence américaine pour définir la notion d'activité com-
merciale. Plus particulièrement, nous faisons nôtre le critère de
l'activité commerciale élaboré par les tribunaux américains. Si
nous appliquons ce critère à la présente affaire, nous trouvons
que le contrat de travail des employés civils canadiens constitue
une activité commerciale au sens de l'article 2 de la Loi sur
l'immunité des États.
Le critère américain adopté par le Conseil a été
formulé de façon concise par la U.S. Court of
Appeals for the Second Circuit dans l'affaire
Texas Trading & Mill Corp. v. Federal Republic
of Nigeria, 647 F.2d 300 (2d Cir., 1981), à la page
309:
[TRADUCTION] ... en d'autres mots, s'il s'agit d'une activité
dans laquelle un particulier pourrait être engagé, il n'a pas droit
à l'immunité de juridiction.
Cette affaire portait sur l'inexécution de contrats
de vente de ciment ainsi que de lettres de crédit y
afférentes.
Je ne vois aucun motif raisonnable de faire la
distinction entre les contrats d'achat de biens ou de
services et les contrats de travail aux fins de la Loi
sur l'immunité des États. Si celui qui fournit de
l'électricité ou des provisions à la base d'Argentia
peut poursuivre, et à mon avis il le peut, les E.-U.
pour inexécution de contrat devant un tribunal
canadien, il ne semble pas y avoir de raison pour
laquelle un employé civil canadien ne devrait pas
alors jouir d'un droit semblable. Toutefois, comme
l'a laissé entendre le juge de première instance
dans l'affaire Goethe House, l'exercice par le Con-
seil de sa compétence en matière d'accréditation va
beaucoup plus loin que l'application des droits des
employés et des obligations des employeurs en
vertu des contrats de travail.
L'accréditation d'un agent négociateur en vertu
du Code canadien du travail n'est pas une fin en
soi. Elle donne des droits à l'agent négociateur
accrédité et, ce qui est plus important en l'espèce,
elle impose des obligations à l'employeur accrédité.
Très directement, s'ils y sont invités par le Syndi-
cat, les États-Unis seront tenus de négocier avec
lui en vue de la conclusion d'une convention collec
tive (article 48). Si ces négociations ne devaient
pas aboutir à une convention collective, le Conseil
peut, sous réserve de l'intervention du ministre du
Travail, imposer une première convention (article
80). Je ne crois pas nécessaire d'aller plus loin
dans l'énumération des obligations que le Code
impose à un employeur accrédité et des pouvoirs
coercitifs qui peuvent être exercés par le Conseil
sur requête d'un agent négociateur accrédité.
Bien que la Loi ait supplanté la common law, le
raisonnement à la base de toute mesure d'immu-
nité souveraine reste le même qu'en vertu de la
common law. Il a été formulé de diverses façons,
mais jamais plus succinctement que par sir Robert
Phillimore dans l'arrêt The Charkieh (1873), L.R.
4 Ad. & Ec. 59, la page 97.
[TRADUCTION] L'objet du droit international, dans le cas qui
nous occupe comme dans d'autres domaines, n'est pas de
favoriser l'injustice ni d'empêcher la satisfaction d'une juste
réclamation, mais de substituer les négociations entre les gou-
vernements, malgré leur lenteur et leur résultat lointain et
incertain, au recours normal aux tribunaux, lorsque celui-ci
porterait atteinte à la dignité des représentants d'un État
étranger ou les gênerait dans leurs fonctions;
La dignité souveraine d'un État étranger semble
manifestement mise en cause lorsqu'un tribunal
national peut l'obliger à négocier au sujet des
conditions de travail de ses employés et, si un
ministre de la Couronne le permet, imposer ces
conditions. C'est très différent du cas où un tribu
nal national appliquerait les modalités d'un contrat
de travail que l'État étranger a conclu librement.
Cependant, dans le présent renvoi, il s'agit stric-
tement de savoir si la requête en accréditation dont
le Conseil a été saisi «porte sur une activité com-
merciale» des É.-U. Ce qui est directement en
cause dans une requête en accréditation, ce ne sont
pas les contrats de travail des particuliers faisant
partie de l'unité de négociation projetée; ce sont
plutôt le droit du syndicat requérant de négocier
une convention collective pour ces employés et
l'obligation pour l'employeur de négocier égale-
ment. Je suis arrivé à la conclusion qu'une requête
en accréditation «porte» néanmoins sur le travail
des membres de l'unité de négociation projetée en
vertu de contrats de services dont la conclusion
constitue clairement, à mon avis, de la part des
É.-U. un «acte ... qui revêt un caractère commer
cial». Je ne puis rien trouver de spécial au travail
effectué sur la base qui me permette de distinguer,
de façon significative, le travail en cause. C'est
seulement si l'on regarde au-delà de la nature du
travail afin de découvrir son objectif général—
satisfaire les besoins en défense des É.-U.-qu'on
peut rationaliser le recours à l'immunité des Etats.
Cette conclusion me trouble. Les difficultés que
j'ai rencontrées ont déjà été envisagées par James
Crawford, qui enseigne le droit à l'Université
d'Adélaïde, dans un article [«International Law
and Foreign Sovereigns: Distinguishing Immune
Transactions»] publié dans The British Year Book
of International Law 1983, dans lequel il écrivait à
la page 92:
[TRADUCTION] ... bien qu'il faille accorder à l'État du tribu
nal compétent une certaine souplesse dans la définition d'«opé-
rations commerciales», celles-ci peuvent se définir comme des
contrats ou des activités industrielles ou commerciales con-
nexes, qui ne sont pas des opérations régies par le droit interna
tional (tels que les traités et les arbitrages internationaux
publics) ni des affaires reconnues comme relevant de la juridic-
tion nationale de l'État étranger. Ce dernier point indique qu'il
est souhaitable de faire la distinction entre les opérations
commerciales et les contrats de travail: à certains égards du
moins, les relations entre un État et ses employés ou préposés
relèvent de sa juridiction nationale. (La Loi sur l'immunité des
États de 1982 (Can.) ne prévoit aucune disposition particulière
au sujet des contrats de travail et confère ainsi compétence sur
tous les contrats de ce genre qui seraient considérés comme
étant des »opérations commerciales» à la condition, par exem-
ple, qu'il y ait eu inexécution de contrat à l'intérieur de la
juridiction. Le problème est que, à certains égards (par exemple
le versement de salaires dus), ces contrats peuvent constituer
des «opérations commerciales»; à d'autres égards (par exemple
l'orientation ou le déplacement de fonctionnaires), ils peuvent
avoir des répercussions importantes sur la gestion interne de
l'État défendeur.)
J'en conclus que, si le Parlement a voulu que les
États étrangers puissent invoquer l'immunité de
juridiction devant le Conseil en matière d'accrédi-
tation relativement au travail de citoyens cana-
diens au Canada, la Loi sur l'immunité des États
doit être modifiée.
CONCLUSION
Je répondrais par la négative à la première
question mentionnée. Les États-Unis ne pouvaient
pas réclamer l'immunité de juridiction relative-
ment à la demande d'accréditation déposée par le
Syndicat au nom de civils canadiens travaillant à
sa base navale d'Argentia (Terre-Neuve).
LE JUGE STONE, J.C.A.: Je souscris aux pré-
sents motifs.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.