A-798-88
Procureur général du Canada (appelant)
c.
Organisation nationale anti -pauvreté et Arthur
Milner (intimés)
et
Bell Canada International Inc. et BCE Inc.
(intervenantes)
RÉPERTORIÉ: ORGANISATION NATIONALE ANTI -PAUVRETÉ c.
CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL) (CA.)
Cour d'appel, juges Pratte, Mahoney et Stone,
J.C.A.—Ottawa, 4, 5, 6 avril et 15 mai 1989.
Télécommunications. — Décret modifiant la partie de la
décision du CRTC relative à la proposition tarifaire de Bell
Canada concernant le dédommagement pour les employés de
Bell provisoirement mutés auprès de BCI — Il s'agit de savoir
si les coûts de mutation sont assumés par les abonnés de Bell
et s'ils constituent un interfinancement entre Bell et BCI — La
décision du gouverneur en conseil est une question de commo-
dité publique et de politique générale qui échappe au contrôle
judiciaire.
Contrôle judiciaire — Recours en equity — Jugements
déclaratoires — Décret modifiant la partie de la décision du
CRTC relative à la proposition tarifaire de Bell Canada
concernant le dédommagement pour les employés de Bell
provisoirement mutés à BCI — Le décret est une question de
commodité publique et de politique générale qui échappe au
contrôle judiciaire — Le gouverneur en conseil n'a pas outre-
passé sa compétence car il n'existe aucune preuve évidente
qu'il a dépassé les objets de la loi dans le seul but d'aider BCI
— La doctrine de l'attente raisonnable (de se faire entendre) ne
s'applique pas car il n'y a ni «promesse formelle» ni «pratique
courante».
Déclaration des droits — Droit à une audition impartiale —
L'art. 2e) de la Déclaration des droits ne s'applique pas car le
décret ne définit pas les «droits et obligations» de l'intimé.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits à
l'égalité — L'intimée n'est pas une personne jouissant de la
protection de l'art. 15 — La discrimination alléguée (l'absence
de possibilité de répondre) n'est pas visée par l'art. 15.
Au cours des audiences tenues en 1986 et en 1987 au sujet
des besoins en recettes de Bell Canada, on s'est demandé si
cette dernière ne se trouvait pas à interfinancer sa filiale
indépendante Bell Canada International Inc. (BCI) lorsque ses
employés sont mutés au service de la BCI à l'étranger pour une
période dont la durée normale est de deux ans au moins. On
était préoccupé par le fait qu'une partie des coûts était trans-
mise aux abonnés de Bell. Dans sa décision 88-4 du 17 mars
1988, le CRTC a fixé à 25 % l'indemnité payable à Bell ou à sa
filiale Tele-Direct en raison de la mutation temporaire d'em-
ployés (une contribution compensatoire correspondant à 25 %
du salaire annuel et des frais connexes de chaque employé). Le
25 mars 1988, Bell Canada Enterprises Inc. (BCE) et BCI, qui
n'avaient été ni l'une ni l'autre parties devant le CRTC, ont
présenté au gouverneur en conseil une pétition demandant que
le niveau de ces frais soit abaissé.
Sans tenir compte de la demande de l'Organisation nationale
anti -pauvreté (ONAP) visant à obtenir la possibilité de formu-
ler une réponse, le gouverneur en conseil, agissant conformé-
ment au paragraphe 64(1) de la Loi nationale sur les attribu
tions en matière de télécommunications (Loi NAMT), a pris le
décret C.P. 1988-762 qui, en fait, déclarait que l'établissement
de la valeur des mutations devait être restreint à l'utilisation
des frais vérifiés et des garanties de réemploi, faisant ainsi droit
aux demandes de BCE et BCI.
La Section de première instance a accueilli une action visant
à obtenir un jugement déclaratoire qui déclarait le décret nul et
sans effet. Le juge de première instance a déclaré que le
gouverneur en conseil avait privé les intimés d'un procès équita-
ble selon les principes de la justice fondamentale qui aurait
déterminé les droits qui sont les leurs à la suite de la décision du
CRTC et de sa décision antérieure 86-17. Ce déni d'une
audition a été jugé contraire à l'alinéa 2e) de la Déclaration des
droits. Il s'agit d'un appel de ce jugement.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli.
On ne peut établir de distinction entre l'espèce et l'affaire
Inuit Tapirisat et le juge de première instance a commis une
erreur en faisant une telle distinction. Contrairement à ce qui a
été statué en première instance, l'espèce est une question de
commodité publique et de politique générale. La décision du
gouverneur en conseil était sans appel et ne pouvait être
examinée par voie de procédure judiciaire, sauf peut-être pour
absence de compétence ou tout autre motif péremptoire.
L'alinéa 2e) de la Déclaration des droits ne pouvait s'appli-
quer en l'espèce car la décision du gouverneur en conseil n'a
déterminé ni droits ni obligations propres aux intimés. Il n'ap-
partenait ni au juge de première instance ni à cette Cour de
présumer que la Cour Suprême n'a pas fait de cas de l'alinéa
2e) lorsqu'elle a jugé l'affaire Inuit Tapirisat.
Le paragraphe 15(1) de la Charte n'était pas non plus
applicable. L'intimée, ONAP n'est pas une personne au sens de
ce mot dans cette disposition. Et si l'on se fonde sur la récente
décision de la Cour Suprême dans l'affaire Andrews c. Law
Society of British Columbia, la discrimination dont on se plaint
en l'espèce n'est pas de la nature de celle que l'article 15 de la
Charte vise à prévenir. Le fait que les intervenants aient pu
déposer auprès du gouverneur en conseil leur requête avec
documents justificatifs alors que les intimés ont pu ne pas avoir
la possibilité de répondre avant que le décret ne soit rendu ne
constitue pas la violation d'un droit consacré à l'article en
question.
Le gouverneur en conseil n'a pas outrepassé la compétence
que lui confère le paragraphe 64(1) de la Loi en se souciant de
la position concurrentielle de BCI sur le plan international,
souci dont la Loi ne fait pas mention. Il existait d'autres motifs
d'intérêt public justifiant la décision. La position de BCI à
l'échelle internationale n'était pas le seul souci ni même le souci
primordial.
En l'absence d'une preuve de l'existence d'une «promesse
formelle» ou d'une «pratique courante», la doctrine de l'attente
légitime ou raisonnable ne saurait s'appliquer.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 15.
Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appen-
dice III, art. 2e).
Loi nationale sur les attributions en matière de télécom-
munications, S.R.C. 1970, chap. N-17 (mod. par L.C.
1987, chap. 34, art. 302), art. 64(1).
Loi nationale sur les transports, S.R.C. 1970, chap.
N-17, art. 64(1).
Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommu-
nications canadiennes, S.C. 1974-75-76, chap. 49, art.
14(2).
Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, chap. R-2, art.
321(I),(2) (mod. par S.R.C. 1970 (1" Supp.), chap.
35, art. 3).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Thorne's Hardware Ltd. et autres c. La Reine et autre,
[1983] 1 R.C.S. 106; Procureur général du Canada c.
Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735,
infirmant [1979] 1 C.F. 710 (C.A.); Andrews c. Law
Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143;
(1989), 91 N.R. 255; Associated Provincial Picture
Houses, Ld. v. Wednesbury Corporation, [1948] 1 K.B.
223 (C.A.); Rex v. Chiswick Police Station Superinten
dent, Ex parte Sacksteder, [1918] 1 K.B. 578 (C.A.);
Regina v. Governor of Brixton Prison, Ex parte Soblen,
[1963] 2 Q.B. 243 (C.A.); Council of Civil Service
Unions v. Minister for the Civil Service, [1985] A.C. 374
(H.L.).
DÉCISION INFIRMÉE:
Organization nationale anti -pauvreté c. Canada (Procu-
reur général), [1989] 1 C.F. 208; (1989), 21 F.T.R. 33
(1" inst.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autre, [1985] 1 R.C.S.
295; Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121; Re
Doctors Hospital and Minister of Health et al.
(1976), 68 D.L.R. (3d) 220 (C. div. Ont.); Re Toohey:
Ex parte Northern Land Council (1981), 38 ALR 439
(H.C.).
DÉCISIONS CITÉES:
Homex Realty and Development Co. Ltd. c. Corporation
of the Village of Wyoming, [1980] 2 R.C.S. 1011; FAI
Insurances Ltd v Winneke (1982), 41 ALR 1 (H.C.);
South Australia (State of) v O'Shea (1986), 73 ALR 1
(H.C.); Ministre des Affaires indiennes et du Nord cana-
dien c. Ranville et autre, [1982] 2 R.C.S. 518; Smith,
Kline & French Laboratories Ltd. c. Canada (Procureur
général), [1987] 2 C.F. 359 (C.A.); Renvoi relatif à la
Workers' Compensation Act, 1983 (T.-N.), [1989] 1
R.C.S. 922; Earl Fitzwilliam's Wentworth Estates Co.
Ld. v. Minister of Town and Country Planning, [ 1951] 2
K.B. 284 (C.A.); Hanks v. Minister of Housing and
Local Government, [1963] I Q.B. 999.
AVOCATS:
Duff F. Friesen, c.r., pour l'appelant.
Andrew J. Roman et Robert E. Horwood
pour l'intimée.
François Lemieux et David Wilson pour les
intervenantes.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada, pour
l'appelant.
Centre pour la promotion de l'intérêt public,
Ottawa, pour l'intimée.
Osler, Hoskin & Harcourt, Ottawa, pour les
intervenantes.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE STONE, J.C.A.: La question en litige
en l'espèce vise la validité du décret C.P. 1988-762
[Ordonnance modifiant la décision Telecom
CRTC 88-4, DORS/88-250] adopté par le gouver-
neur en conseil le 22 avril 1988 dans ce qui serait
l'exercice des pouvoirs qui lui sont conférés par le
paragraphe 64(1) de la Loi nationale sur les attri
butions en matière de télécommunications,
[S.R.C. 1970, chap. N-17 (mod. par S.C. 1987,
chap. 34, art. 302)] («la Loi»), lequel décret modi-
fiait la décision 88-4 du Conseil de la radiodiffu-
sion et des télécommunications canadiennes (le
«CRTC») en date du 17 mars 1988. Par jugement
rendu le 27 juin 1988', la Section de première
instance a statué que le gouverneur en conseil avait
privé les intimés de leur droit à une audition
impartiale selon les principes de justice fondamen-
tale pour la détermination de leurs droits décou-
lant de la décision du CRTC et de sa décision
antérieure portant la cote 86-17. Selon le juge de
première instance, le déni d'une audition était
contraire à l'alinéa 2e) de la Déclaration cana-
' Répertorié sous le libellé: Organisation nationale anti -pau-
vreté c. Canada (Procureur général), [1989] 1 C.F. 208;
(1989), 21 F.T.R. 33 (1" inst.).
dienne des droits [S.R.C. 1970, Appendice III] et
en conséquence, il a déclaré le décret «nul et non
avenu et inopérant».
Bell Canada et Bell Canada International Inc.
(«BCI») sont des filiales en propriété exclusive de
BCE Inc. («BCE»). Le CRTC exerce des pouvoirs
de réglementation sur Bell Canada mais pas sur
BCE ni sur BCI. Ces pouvoirs comprennent celui
de réglementer les tarifs que Bell Canada exige de
ses abonnés 2 . BCI est partie à un contrat de
consultation conclu avec le Royaume d'Arabie
Saoudite et elle a, de son côté, conclu une entente
avec Bell Canada aux termes de laquelle des
employés de cette dernière compagnie sont provi-
soirement mutés auprès de BCI ou lui sont prêtés
de façon à lui permettre de respecter ses obliga
tions de consultante. La question du dédommage-
ment convenable à verser à Bell Canada pour ses
employés provisoirement mutés a été soumise au
CRTC en 1986 et elle a donné lieu à la décision
86-17. Dans cette décision, le CRTC a déterminé
que le dédommagement convenable était une con
tribution de 25 % calculée en fonction d'un coût
imputé composé de l'ensemble des frais annuels
reliés aux salaires et à la main d'oeuvre de chacun
des employés, immédiatement avant la mutation.
Il a aussi été établi que ces frais devaient être
rajustés, le cas échéant, de manière à tenir compte
de toute majoration normale de salaire au cours de
la période de mutation, mais qu'ils ne devaient pas
inclure tout rajustement de salaire attribuable uni-
quement à une affectation outre-mer.
En octobre 1987, le CRTC a délibéré en vue
d'établir les besoins en revenus de Bell Canada
pour 1988. Il y a eu audition publique. Bell
Canada a demandé que la question du dédomma-
gement soit examinée de nouveau et que la déci-
sion 86-17 soit modifiée. Les intimés, en qualité
d'intervenants, ont appuyé le maintien de cette
décision. Ni BCE ni BCI n'ont participé à l'au-
2 Le CRTC tire ses pouvoirs du paragraphe 14(2) de la Loi
sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications
canadiennes, S.C. 1974-75-76, chap. 49, et ses modifications:
14. ...
(2) En matière de télécommunications, à l'exclusion de la
radiodiffusion, le comité de dirAction et le président exercent
les pouvoirs et s'acquittent des devoirs et fonctions que la Loi
sur les chemins de fer, la Loi nationale sur les attributions
en matière de télécommunications ou toute autre loi du
Parlement confère au Conseil et à son président respective-
ment.
dience. Parmi la documentation que Bell Canada a
fournie au CRTC figurait une lettre en date du 14
juillet 1987, adressée par le ministre des Commu
nications au président de BCE, qui portait sur une
rencontre qu'ils avaient eue le 23 décembre 1986.
Le ministre soulignait que l'audience que devait
bientôt tenir le CRTC offrirait [TRADUCTION] «la
possibilité de régler définitivement ce problème» et
qu'elle répondrait aussi au souhait de BCE [TRA-
DUCTION] «de voir élucider pour 1988 et les
années subséquentes la question du dédommage-
ment convenable à payer à Bell Canada pour les
services fournis par ses employés à BCI, de façon à
permettre à cette dernière de planifier et de con-
clure efficacement ses futures entreprises commer-
ciales.» Le ministre a alors dit ce qui suit:
[TRADUCTION] J'ai étudié attentivement les éléments de preuve
déposés au cours de l'audience relative à la décision 86-17 et il
me semble que la contribution de 25 pour cent décrétée par le
CRTC peut en effet être inappropriée. Toutefois, le conseil a
peut être choisi ce chiffre en raison de l'absence de, renseigne-
ments sur les frais vérifiés liés à la mutation des employés de
Bell Canada auprès de BCI. En conséquence, il semblerait
approprié que Bell Canada dépose, à l'audience tenue en octo-
bre 1987, des éléments de preuve supplémentaires portant sur le
fond de la question, comme un rapport vérifié confirmant que
les frais liés à la mutation provisoire des employés auprès de
BCI sont recouvrés par Bell Canada. Il me semble qu'une
analyse indépendante de ce genre constitue un facteur impor
tant quand il s'agit de résoudre cette question.
Je tiens à vous assurer que le gouvernement du Canada a pour
politique d'appuyer énergiquement les efforts déployés par des
sociétés telles Bell Canada International en vue d'obtenir des
contrats de l'étranger et qu'il apprécie la contribution de ces
initiatives à la création d'emplois, au maintien d'un solde
commercial favorable et à la promotion à l'étranger de la
technologie et des connaissances techniques des Canadiens.
Comme l'estime le gouvernement, et comme le prévoit le projet
de loi C-13, les actionnaires des Entreprises Bell Canada
devraient accepter les risques et recueillir les fruits de ces
activités. En même temps, le gouvernement appuie les efforts
déployés par le CRTC pour que les abonnés de Bell Canada
n'aient pas à subventionner directement ou indirectement les
activités concurrentielles et non réglementées de compagnies
affiliées, ni ne soient subventionnés par elles.
Conformément à cette politique, et pourvu que Bell Canada
dépose en preuve la confirmation qu'elle recouvre pleinement
les frais vérifiés liés à la mutation provisoire de ses employés
auprès de BCI, je serais disposée à étudier toute décision future
du CRTC qui ne refléterait pas ces principes. Ainsi donc, si le
Conseil fixait ou imposait par exemple un dédommagement
payable par BCI à Bell Canada qui était supérieur aux frais
vérifiés liés directement ou indirectement aux mutations, je
serais disposée à recommander au gouverneur en conseil des
mesures indiquées qui permettraient à BCI de conserver une
position concurrentielle au sein des marchés internationaux et,
par conséquent, de maintenir son importante contribution aux
revenus d'exportation du Canada et à sa prospérité économique
en général.
Les parties semblent s'être entendues devant le
CRTC pour dire que le dédommagement convena-
ble à être établi ne devait pas avoir pour consé-
quence l'interfinancement des activités commer-
ciales internationales de BCI par les abonnés de
Bell Canada. Le CRTC, dans ses «Conclusions»
figurant aux pages 58 et 59 de sa décision, a rejeté
la position de Bell Canada, assurant plutôt le
maintien de la décision 86-17. Il a dit ce qui suit:
3) Conclusions
Le Conseil n'a pas été persuadé qu'il y a lieu de modifier
l'approche au dédommagement des employés provisoirement
mutés prescrite dans la décision 86-17. Bell a choisi de se
pencher sur la question de savoir s'il existe de l'interfinance-
ment uniquement en fonction des frais comptables. Le Conseil
rejette ce point de vue et il estime que les frais comptables seuls
ne tiennent pas compte de tous les frais inhérents aux mutations
provisoires d'employés à la BCI. A cet égard, le Conseil note la
lettre de la Ministre, en date du 9 octobre 1987, dans laquelle
elle a déclaré: [TRADUCTION] «... je n'avais pas l'intention de
donner l'impression que l'établissement de la valeur de ces
mutations doit être restreint à l'utilisation des frais compta-
bles.»
Au nombre des frais non inclus dans les frais comptables se
trouvent les frais liés aux garanties de réemploi. Le Conseil
juge convaincant l'argument de l'ACC voulant que Bell, du fait
de ces garanties, absorbe une grande partie du risque que la
BCI puisse, à un moment donné, être incapable de trouver
suffisamment de travail pour ses employés.
Dans la décision 86-17, le Conseil a fait remarquer que la
compagnie a raisonnablement réussi à atteindre la majoration
traditionnelle de 25 % relativement aux transactions inter-com-
pagnies. A cet égard, le Conseil fait remarquer que, lorsque
Bell prête simplement des employés à la BCI, plutôt que de les
muter provisoirement, le dédommagement que la BCI verse à
Bell comprend une contribution de 25 % calculée en fonction
des salaires et avantages sociaux des employés et que l'approche
adoptée dans la décision 86-17 est conforme à cette pratique.
De l'avis du Conseil, la meilleure façon d'établir s'il existe ou
non de l'interfinancement est de s'en remettre à la juste valeur
marchande des biens ou services fournis. Si Bell fournit des
biens ou services à une compagnie avec lien de dépendance à un
prix inférieur à la juste valeur marchande, elle interfinance
cette compagnie. Le Conseil est conscient que la juste valeur
marchande est, dans les circonstances, difficile à établir. Toute-
fois, rien dans le dossier de la présente instance n'indique que la
méthode de rechange à la juste valeur marchande des employés
provisoirement mutés, adoptée dans la décision 86-17, n'est pas
appropriée. Le Conseil estime que les problèmes qui peuvent se
poser pour la BCI sur les marchés internationaux ne justifient
pas suffisamment une dérogation à la politique du Conseil qui
veut que les abonnés de Bell ne soient pas obligés d'interfinan-
cer les entreprises concurrentielles des affiliées de Bell.
Le Conseil fait remarquer que les employés de Bell sont, à
l'heure actuelle, provisoirement mutés à des compagnies affi-
liées autres que la BCI et que des employés de la Télé-Direct
sont également provisoirement mutés à des compagnies affi-
liées. Par conséquent, le Conseil juge qu'aux fins de la régle-
mentation, le dédommagement pour tout employé provisoire-
ment muté de Bell ou de la Télé-Direct à toute compagnie
affiliée doit être celui qui est prescrit dans la décision 86-17. Le
Conseil a rajusté les besoins en revenus de la compagnie pour
1988 de manière à tenir compte de sa décision concernant le
dédommagement annuel des employés provisoirement mutés.
Le Conseil estime qu'aux fins de la réglementation, cette
décision accroîtra d'environ quatre millions de dollars les reve-
nus nets après impôts de la compagnie pour 1988.
Le 25 mars 1988, BCE et BCI ont déposé une
requête auprès du gouverneur en conseil conformé-
ment au paragraphe 64(1) de la Loi. L'intimée,
l'organisation nationale anti -pauvreté («ONAP»)
n'a reçu aucun avis de cette requête et elle en a
appris l'existence par le biais d'un fonctionnaire du
ministère des Communications. La lettre par
laquelle ONAP demandait au greffier du Conseil
privé, le 19 avril 1988, de lui transmettre une copie
de la requête et de la documentation justificative
et réclamait la possibilité d'y répondre avant qu'il
n'y soit donné suite, est restée sans réponse. Trois
jours plus tard, le 22 avril 1988, le décret C.P.
1988-762 était adopté. Il supprimait les cinq para-
graphes précités de la décision du CRTC pour leur
substituer ce qui suit:
Les frais liés à la mutation provisoire d'employés consistent
uniquement en des frais comptables, soit les frais de sélection et
de réintégration des employés de Bell Canada, les frais de
prolongation de leur congé et tous les autres frais administratifs
directement liés à leur mutation, ainsi que les frais liés aux
garanties de réemploi. Par conséquent, le Conseil juge qu'aux
fins de la réglementation le dédommagement pour tout employé
provisoirement muté de Bell Canada ou de Télé-Direct à toute
compagnie affiliée doit être comme suit:
a) pour chaque employé muté pour des périodes de plus de
30 jours, un montant forfaitaire de 1 840 $;
b) pour chaque employé rapatrié, un montant forfaitaire de
455 $;
c) pour chaque prolongation de la durée de tout congé
autorisé à un employé muté, un montant forfaitaire de 90 $;
d) un montant annuel de 1 000 $ par employé muté
provisoirement;
e) en plus des montants spécifiés aux alinéas a) à d), un
montant annuel qui sera déterminé par le Conseil et qui
représente les frais liés aux garanties de réemploi.
Afin que le Conseil puisse déterminer le montant spécifié à
l'alinéa e), Bell Canada doit déposer devant celui-ci, au plus
tard le 15 juin 1988, ses frais vérifiés liés aux garanties de
réemploi et toute information et documentation pertinentes qui
seraient utiles au Conseil pour qu'il en arrive à sa conclusion.
Le gouvernement a publié un communiqué de
presse à la même date. Il est utile de le citer en
entier.
Ottawa—Le gouverneur en conseil a modifié la décision CRTC
88-4 pour éviter que la société Bell Canada International (BCI)
ne soit désavantagée sur le marché mondial et hautement
concurrentiel des télécommunications en raison d'un calcul
financier arbitraire. La modification comprend des mesures
visant à protéger les intérêts des abonnés de Bell Canada et à
prévenir tout interfinancement entre la société Bell Canada et
la BCI.
Le différend portait sur le niveau des frais administratifs que
la BCI doit verser à Bell Canada lorsque des employés de Bell
sont temporairement affectés aux marchés de services d'expert-
conseil de la BCI à l'étranger. Cette dernière, qui est une filiale
des Entreprises Bell Canada, n'est pas assujettie à l'autorité du
CRTC. Société canadienne à part entière, elle fournit depuis
vingt ans des services d'expert-conseil en matière de télécom-
munications à divers gouvernements et entreprises de télécom-
munications dans plus de 70 pays. Les centaines de Canadiens
qui ont travaillé pour la BCI ont contribué à établir la réputa-
tion de chef de file mondial du Canada en matière de biens et
services de haute technologie. Les marchés de services d'expert-
conseil de la BCI ont également entraîné d'importantes ventes
de produits de fabrication canadienne, allant du simple câble au
matériel de commutation perfectionné et aux automobiles.
Au cours des audiences tenues en 1986 et 1987 par le CRTC
au sujet des besoins en recettes de Bell Canada, on s'est
demandé si Bell Canada ne se trouvait pas à interfinancer sa
filiale indépendante* dans les cas où ses employés sont affectés
au service de la BCI à l'étranger, le plus souvent pour une
période de deux ans au moins. En vertu de cet arrangement, la
BCI assume, pendant la période de l'affectation, tous les frais
liés aux salaires et aux avantages sociaux des employés mutés et
verse en outre à Bell Canada des droits pour couvrir les coûts
de la mutation. Au cours des audiences portant sur les besoins
en recettes, certains intervenants ont toutefois proposé que la
BCI verse à Bell Canada un montant compensatoire pour sa
compétence, sa bonne volonté, les économies réalisées au niveau
des frais versés aux agences de placement, la promesse de
réemploi offerte aux employés de Bell et la souplesse des
mécanismes qui permettent à la BCI de renvoyer des employés
à Bell et de les rappeler selon les besoins. D'autre part, Bell
Canada a fait valoir que tous les frais directs liés à cette entente
étaient remboursés et les frais indirects, adéquatement couverts
par les droits administratifs que lui versait la BCI et que, par
conséquent, il n'existait aucun interfinancement.
Comme il ne disposait pas d'une analyse financière détaillée
de ces frais indirects, le CRTC a conclu, en se fondant sur les
preuves qui lui ont été présentées, que le juste montant de la
contribution compensatoire correspondait à 25 p. 100 du salaire
annuel et des frais connexes pour chaque employé. Dans sa
décision 88-4 du 17 mars 1988, le Conseil a donc fixé à 25 p.
100 la compensation à verser à Bell ou à son affiliée réglemen-
tée par le CRTC, la Télé-Direct, pour la mutation temporaire
d'employés. Le 25 mars 1988, les Entreprises Bell Canada et la
BCI ont présenté une requête au gouverneur en conseil pour
demander que le niveau de la compensation soit abaissé.
En réponse à la requête, le gouvernement a examiné les
preuves présentées au CRTC. Le principe fondamental qui
sous-tend cet examen est l'engagement du gouvernement à
* Il peut s'agir d'une erreur dans le texte, car les rapports
entre BCI et Bell Canada n'étaient pas dénués de dépendance.
veiller à ce que les abonnés de Bell Canada ne soient pas forcés
d'interfinancer les opérations des filiales non réglementées de la
société. Le gouvernement reconnaît également l'importance des
retombées économiques qu'entraîne dans toutes les régions du
pays la vente de biens et services de télécommunications cana-
diens à l'étranger.
À la suite de cet examen, le gouvernement a conclu que les
niveaux de compensation proposés par le CRTC étaient arbi-
traires, qu'ils semblaient exagérés et pouvaient même porter
préjudice aux intérêts du Canada à l'étranger. Le gouverne-
ment n'a pas pu relever d'autres instances où des montants
compensatoires d'une telle ampleur étaient imposés à la muta
tion d'employés entre des entreprises de télécommunications et
leurs filiales non réglementées dans des circonstances sembla-
bles. Le gouvernement a aussi remarqué que les niveaux de
compensation accordés par la BCI à Bell Canada étaient du
même ordre que ceux payés par la BCI à d'autres entreprises de
télécommunications canadiennes réglementées lorsque des
employés de ces dernières étaient temporairement affectés à
l'emploi de la BCI. Par conséquent, le gouvernement est d'avis
que le niveau fixé par le CRTC impose à la BCI un traitement
différent de celui qui est fait à ses concurrents canadiens et
constitue un handicap par rapport à ses principaux concurrents
étrangers.
Le gouvernement convient avec le CRTC de la nécessité
d'adopter une formule de paiement qui compense nettement
Bell Canada de tous les frais directs liés à la mutation de ses
employés. À cette fin, il a ordonné que Bell Canada et la
Télé-Direct reçoivent les montants compensatoires suivants
pour chaque employé muté pour plus de trente jours:
a) un droit initial de 1 840 $;
b) un montant unique de 455 $ au retour de chaque
employé;
c) un montant unique de 90 $ pour chaque prolongation de
congé;
d) et un droit annuel de 1 000 $, pour absorber tous les
autres frais administratifs.
De plus, le gouvernement est d'avis que le seul coût indirect
suggéré par des intervenants qu'il conviendrait de rembourser à
Bell Canada est celui relié à la promesse de réemploi qu'elle
fait aux employés mutés à la BCI. Le gouvernement a donc
modifié la décision en conséquence. Comme aucune informa
tion permettant d'établir la valeur de ce service n'a été présen-
tée au CRTC, le gouverneur en conseil demande à Bell Canada
de déposer devant le Conseil, d'ici au 15 juin 1988, un devis
estimatif vérifié des coûts liés aux promesses de réemploi, ainsi
que toute l'information et la documentation dont le Conseil
pourrait avoir besoin pour effectuer ses propres calculs.
La réparation recherchée par les intimés devant
la Section de première instance consistait en un
bref de certiorari annulant le décret pour quatre
motifs précisés:
1. L'intimé a excédé sa compétence parce que sa décision visait
une fin non autorisée par la mesure législative pertinente.
2. L'intimé a excédé sa compétence parce que sa décision se
fondait sur des considérations non pertinentes.
3. L'intimé a excédé sa compétence parce qu'il n'a pas accordé
aux requérants l'équité dans la procédure; plus précisément,
l'intimé a décidé l'affaire en secret alors qu'il s'avait que des
parties intéressées comme les requérants n'avaient pas reçu
avis de la requête, ni une copie de cette dernière et des
documents justificatifs, pas plus que la possibilité suffisante
d'y répondre avant que la décision ne soit rendue.
4. Le défaut de l'intimé d'accorder aux requérants la même
possibilité qu'aux Entreprises Bell Canada et à Bell Canada
International Inc. de participer aux processus décisionnel
constitue le déni de leur droit à la même protection et au
même bénéfice de la loi, en violation du paragraphe 15(1) de
la Charte Canadienne des droits et libertés.
Cependant, à l'audience, une ordonnance a été
rendue sur consentement qui transformait la
demande en une action visant à obtenir un juge-
ment qui déclarait le décret nul et sans effet. Le
juge de première instance n'a traité que des deux
derniers motifs de contestation. Après avoir conclu
qu'aucun droit garanti par le paragraphe 15(1) de
la Charte [Charte canadienne des droits et liber-
tés, qui constitue la Partie I de la Loi constitution-
nelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] n'avait été violé,
il a conclu que le décret était nul et non avenu et
sans effet en raison de la violation des droits
conférés aux intimées par l'alinéa 2e) de la Décla-
ration canadienne des droits. Il s'est montré d'avis
que la décision du gouverneur du conseil n'était
pas une question «de commodité publique et de
politique générale» (voir Thorne's Hardware Ltd.
et autres c. La Reine et autre, [1983] 1 R.C.S 106,
le juge Dickson (aujourd'hui juge en chef) à la
page 111), mais qu'elle «intervenait pour une ques
tion de commodité privée et au nom des deux
compagnies non réglementées, BCE et BCI». À
l'argument selon lequel l'affaire était régie par
l'arrêt Procureur général du Canada c. Inuit
Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S.
735, le juge de première instance a répondu ce qui
suit, aux pages 26 et 27:
Ce pouvoir de rendre des décisions sur des questions de commo-
dité privée et de politique discrète est un pouvoir spécial de
régir les délibérations ainsi que les conclusions et les actes
administratifs du CRTC. Ce n'est pas un pouvoir tout à fait
général car il ne touche que les décisions, ordonnances, règles
ou règlements pris par le Conseil et que le gouverneur en
conseil souhaite modifier ou rescinder. Il dépasse également le
cadre des droits et obligations des personnes lesquels peuvent
être déterminés lors des procédures devant le CRTC. Cela
montre l'importance de se rappeler que le jugement rendu dans
Inuit Tapirisat a été quelque peu dépassé par des événements
très importants survenus depuis lors. Deux de ces événements
sont les modifications de 1982 la Constitution et la réanima-
tion de la Déclaration canadienne des droits par la Cour
suprême du Canada dans l'arrêt Harbhajan Singh & al. c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177,
aux pages 226 231.
Il a ajouté à la page 29 que bien que l'arrêt Inuit
Tapirisat «a fait état du droit tel qu'il était ...
cette analyse n'est plus valide».
On a soutenu devant nous que le juge de pre-
mière instance a commis les erreurs suivantes:
a) Il n'a pas suivi l'arrêt Inuit Tapirisat, par
lequel était liée la Section de première instance.
b) Il a traité la décision du gouverneur en conseil
de décision «de commodité privée» et «de politi-
que discrète», appliquant de la sorte erroné-
ment les décisions de la Cour suprême dans les
affaires Inuit Tapirisat et Thorne's Hardware.
c) Il a imposé des limites à l'exercice du pouvoir
que le Parlement a conféré au gouverneur en
conseil au paragraphe 64(1) de la Loi alors que
le Parlement n'a imposé aucune limite sembla-
ble.
d) Il a mal interprété l'alinéa 2e) de la Déclara-
tion canadienne des droits.
Bien qu'ils se montrent d'accord avec le jugement,
les intimés affirment que le juge de première ins
tance a commis une erreur en déclarant inapplica
ble le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne
des droits et libertés, et en négligeant de traiter de
leur prétention selon laquelle le gouverneur en
conseil avait excédé sa compétence. Finalement, ils
affirment s'être «attendus raisonnablement» à être
entendus avant que le gouverneur en conseil ne
décide la requête, attente qui n'a pas été respectée
en l'espèce. Ces questions ont été longuement
débattues devant cette Cour. Je vais maintenant
traiter de chacune d'elles.
L'instance est-elle régie par l'arrêt Inuit Tapiri-
sat?
Dans l'affaire Inuit Tapirisat, ONAP et Inuit
Tapirisat of Canada sont intervenues dans le cadre
d'audiences tenues par le CRTC sur l'augmenta-
tion envisagée des tarifs de téléphone que Bell
Canada exigeait de ses abonnés au Québec et en
Ontario. Mécontentes de la décision du CRTC, les
intervenantes ont tenté de la faire modifier ou
annuler par voie de requête adressée au gouver-
neur en conseil conformément au paragraphe
64(1) de la Loi nationale sur les transports,
S.R.C. 1970, chap. N-17, et ses modifications. Le
paragraphe 64(1) est libellé comme suit:
64. (1) Le gouverneur en conseil peut à toute époque, à sa
discrétion, soit à la requête d'une partie, personne ou compa-
gnie intéressée, soit de son propre mouvement et sans aucune
requête ni demande à cet égard, modifier ou rescinder toute
ordonnance, décision, règle ou règlement de la Commission,
que cette ordonnance ou décision ait été rendue inter partes ou
autrement, et que ce règlement ait une portée et une applica
tion générales ou restreintes; et tout décret que le gouverneur
en conseil prend à cet égard lie la Commission et toutes les
parties.
Ce paragraphe est libellé de façon identique au
paragraphe 64(1) de la Loi. Le litige dont les
tribunaux étaient saisis portait sur le refus du
gouverneur en conseil d'accorder aux requérantes
la possibilité de répondre à une requête incidente
déposée par Bell Canada. Dans leur déclaration,
les intimées soutenaient que le gouverneur en con-
seil avait manqué aux règles de justice naturelle
ou, tout au moins, qu'il n'avait pas traité les
requérantes équitablement. L'affaire est parvenue
devant la Cour suprême après que cette Cour 3 ait
infirmé le jugement de la Section de première
instance [[1979] 1 C.F. 213] qui radiait la décla-
ration au motif qu'elle ne révélait aucune cause
raisonnable d'action.
Ce qui importait de façon cruciale à la décision
dans l'affaire Inuit Tapirisat, c'était la nature de
l'action ou de la fonction que pouvait accomplir le
gouverneur en conseil en vertu du paragraphe
64(1) de la Loi nationale sur les transports. Était-
elle administrative ou législative? Dans le second
cas, nul ne serait alors besoin pour le gouverneur
en conseil de tenir des audiences, de motiver sa
décision ou même d'accuser réception de la
requête. La Cour suprême a considéré que la
fonction en cause était législative. Le juge Estey,
aux pages 752 à 754, a tenu le raisonnement
suivant:
J'en viens maintenant à l'examen du par. 64(1) à la lumière
de ces principes. Le pouvoir du gouverneur en conseil n'est
manifestement pas limité aux modifications des ordonnances
rendues inter partes lorsqu'un litige a été tranché par le Con-
seil. L'article 321 de la Loi sur les chemins de fer, précitée, et
l'article déjà noté de la Loi sur le CRTC autorisent le Conseil à
approuver tous les droits exigés pour l'usage des téléphones de
Bell Canada. Ce faisant, le Conseil décide si le tarif de taxes
3 [1979] 1 C.F. 710.
proposé est juste et raisonnable et s'il est discriminatoire. La loi
délègue donc au CRTC la fonction d'approuver les taxes pour
le service de téléphone, assortie d'une directive sur les critères
applicables. Le législateur délègue ensuite au gouverneur en
conseil la fonction de fixer les tarifs, mais cette délégation
secondaire joue seulement après que le Conseil a approuvé un
tarif de taxes; une fois cette condition préalable remplie, le
gouverneur en conseil peut exercer son pouvoir de fixer les
tarifs pour le service de téléphone en modifiant l'ordonnance, la
décision, la règle ou le règlement du CRTC. Alors que le
CRTC doit prendre ses décisions dans un certain cadre, le par.
64(1) n'impose pas à l'Exécutif de normes ou de règles applica-
bles à l'exercice de sa fonction de révision des tarifs. Le
législateur n'a pas imposé non plus de normes de procédure
expresses ou même implicites. Cela ne veut pas dire que les
tribunaux ne réagiront pas aujourd'hui comme dans l'arrêt
Wilson, précité, si les conditions préalables à l'exercice du
pouvoir ainsi conféré à l'Exécutif n'ont pas été respectées. La
réaction pourrait aussi être la même si le gouverneur en conseil
n'examinait pas le contenu d'une requête qui lui est soumis.
C'est une question très différente (et ce n'est pas le cas en
l'espèce) de l'affirmation qu'un principe de droit exige qu'avant
de remplir les obligations conférées par cet article, le gouver-
neur en conseil lise, soit un à un, soit globalement, la requête
elle-même et tous les documents à l'appui, les dépositions faites
devant le CRTC et tous les arguments et mémoires soumis par
la requérante et les parties opposées. Il faut, dans l'évaluation
de la technique de révision adoptée par le gouverneur en
conseil, tenir compte de la nature même de ce corps constitué.
On ne peut priver l'Exécutif de son droit d'avoir recours à son
personnel, aux fonctionnaires du ministère concerné, et surtout
aux commentaires et aux avis des ministres membres du con-
seil, responsables, à ce titre, des questions d'intérêt public
soulevées par la requête, que ces questions soient de nature
économique, politique, commerciale ou autre. Le législateur
pourrait ordonner qu'il en soit autrement, mais l'art. 64 n'im-
pose pas de restriction semblable au gouverneur en conseil dans
l'adoption des règles de procédure pour l'audition de requêtes
en vertu du par. (1).
Cette conclusion s'impose d'autant plus que le par. 64(1)
autorise en outre le gouverneur en conseil à modifier ou rescin-
der «de son propre mouvement» une règle ou ordonnance du
Conseil. C'est là un acte législatif sous la forme la plus pure qui
a pour objet de fixer les tarifs d'un service public tel un réseau
téléphonique. L'aspect pratique d'un avis à «toutes les parties»
doit, selon les intimées, avoir une incidence sur l'interprétation
qu'il faut donner au par. 64(1) dans les circonstances. En
l'espèce, les intimées contestent les tarifs fixés par le CRTC et
confirmées par le gouverneur en conseil. Bell Canada a de
nombreux abonnés qui sont et seront tous certainement touchés
jusqu'à un certain point par le tarif de taxes et de frais autorisé
par le Conseil et révisé par gouverneur en conseil. On pourrait
soutenir que tous les abonnés devraient être avisés avant que le
gouverneur en conseil n'aille de l'avant avec la révision. On
pourrait soutenir que cette interprétation est justifiée par les
derniers mots du par. 64(1) qui disposent:
... tout décret que le gouverneur en conseil prend à cet égard
lie la Commission et toutes les parties.
À mon avis, ces mots veulent simplement dire ceci: si la
question soumise au gouverneur en conseil en vertu de l'art. 64
est d'une nature telle qu'elle concerne des parties qui ont
participé aux procédures devant le tribunal administratif dont
la décision est soumise au gouverneur en conseil par une
requête, toutes ces personnes, de même que le tribunal ou
l'organisme lui-même, seront tenues de donner effet au décret
du gouverneur en conseil sur révision de la requête. Les lois
antérieures contenaient des dispositions au même effet et rien
dans cette loi ne me permet d'y voir une intention du législateur
différente de celle que j'ai attribuée à ces termes que l'on trouve
maintenant au par. 64(1).
Je ne crois pas que l'on puisse établir une dis
tinction entre cette affaire et l'espèce simplement
parce que dans le premier cas, le gouverneur en
conseil n'a pas accordé la possibilité de répondre à
une requête incidente avant de prendre une déci-
sion alors qu'en l'espèce, il n'y a pas eu possibilité
de répondre à une requête. Dans chaque cas, le
gouverneur en conseil a eu à déterminer une ques
tion ayant trait aux tarifs de Bell Canada dans
l'exercice du large pouvoir discrétionnaire conféré
par le Parlement en vertu du paragraphe 64(1) de
l'une et l'autre lois visées. A moins qu'il ne soit
possible de faire une distinction avec l'arrêt Inuit
Tapirisat pour un autre motif, il faudrait l'appli-
quer et accueillir l'appel.
La décision du gouverneur en conseil est-elle une
décision de «commodité privée» et de «politique
discrète»?
Le juge de première instance a considéré que
l'espèce se distinguait de l'affaire Inuit Tapirisat
parce que dans cette instance le gouverneur en
conseil devait se prononcer sur une question de
commodité publique et de politique générale alors
qu'en l'espèce, comme il l'a dit à la page 227, il
intervient pour une question de «commodité privée
et au nom des deux compagnies non réglementées,
BCE et BCI». Il a reconnu que s'il s'agissait d'une
question de commodité publique et de politique
générale, l'opinion du juge Dickson dans l'arrêt
Thorne's Hardware, précité, à la page 111
s'appliquerait: _
Les décisions prises par le gouverneur en conseil sur des
questions de commodité publique et de politique générale sont
sans appel et ne peuvent être examinées par voie de procédures
judiciaires. Comme je l'ai déjà indiqué, bien qu'un décret du
Conseil puisse être annulé pour incompétence ou pour tout
autre motif péremptoire, seul un cas flagrant pourrait justifier
une pareille mesure. Tel n'est pas le cas ici.
Le juge de première instance a ajouté, à la page 21
de ses motifs, qu'en raison de cette différence «ni le
pouvoir conféré au gouverneur en conseil ni l'exer-
cice particulier de ce pouvoir, n'échappent au con-
trôle judiciaire». Nous devons donc en conséquence
nous demander si, comme le prétendent l'appelant
et les intervenantes, la question dont était saisi le
gouverneur en conseil (comme dans l'affaire Inuit
Tapirisat) relevait de la commodité publique et de
la politique générale.
Il ne fait aucun doute que BCE et BCI pou-
vaient toutes deux présenter une requête fondée
sur le paragraphe 64(1) bien qu'elles n'aient pas
participé aux délibérations du CRTC. Il convient
également de souligner que même si le gouverneur
en conseil était tenu d'agir dans les limites d'un
certain mandat que lui imposait la loi, la conve-
nance du dédommagement à verser à l'égard des
employés de Bell Canada provisoirement mutés
auprès de BCI avait une incidence directe sur les
besoins en revenus de Bell Canada pour 1988 et,
par conséquent, une incidence indirecte sur les
tarifs applicables aux abonnés de Bell Canada. Ces
tarifs devaient être à la fois «justes et raisonnables»
et ne pas établir de discrimination". Le fait que
BCI pouvait tirer un certain avantage de cette
décision ne pouvait, à mon sens, modifier sa vérita-
^ Les paragraphes 321(1) et (2) [mod. par S.R.C. 1970 (1°'
Supp.), chap. 35, art. 3] de la Loi sur les chemins de fer,
S.R.C. 1970, chap. R-2, sont ainsi libellés:
321. (1) Toutes les taxes doivent être justes et raisonna-
bles et doivent toujours, dans des circonstances et conditions
sensiblement analogues, en ce qui concerne tout le trafic du
même type suivant le même parcours, être imposées de la
même façon à toutes personnes au même taux.
(2) Une compagnie ne doit pas, en ce qui concerne les
taxes, ou en ce qui concerne tous services ou installations
fournis par elle à titre de compagnie de télégraphe ou de
téléphone,
a) établir de discrimination injuste contre une personne ou
une compagnie;
b) instaurer ou accorder une préférence ou un avantage
indu ou déraisonnable à l'égard ou en faveur d'une certaine
personne ou d'une certaine compagnie ou d'un certain type
de trafic, à quelque point de vue que ce soit; ou
c) faire subir à une certaine personne, une certaine com-
pagnie ou un certain type de trafic un désavantage ou
préjudice indu ou déraisonnable, à quelque point de vue
que ce soit;
et, lorsqu'il est démontré que la compagnie établit une
discrimination ou accorde une préférence ou un avantage, il
incombe à la compagnie de prouver que cette discrimination
n'est pas injuste ou que cette préférence n'est pas indue et
déraisonnable.
ble nature et en faire une question de commodité
privée échappant au pouvoir qu'a le gouverneur en
conseil, en vertu du paragraphe 64(1), de modifier
ou rescinder la décision antérieure du CRTC. Si
j'ai raison à cet égard, il faut donc suivre l'arrêt
Inuit Tapirisat car, comme l'a répété de nouveau
le juge Dickson dans l'arrêt Thorne's Hardware,
les décisions du gouverneur en conseil sur une
question de commodité publique et de politique
générale sont «sans appel et ne peuvent être exami
nées par voie de procédures judiciaires».
Quelles limites le gouverneur en conseil doit-il
respecter dans l'exercice des pouvoirs que lui con-
fère le paragraphe 64(1)?
L'appelant soulève cette question générale en
s'opposant à la conclusion de la Cour d'instance
inférieure selon laquelle le gouverneur en conseil
était tenu, avant de se prononcer sur la requête
fondée sur le paragraphe 64(1), d'accorder aux
intimés la possibilité d'y répondre. Je vais mainte-
nant traiter du fondement juridique même sur
lequel s'appuie le jugement, soit l'alinéa 2e) de la
Déclaration canadienne des droits. À ce stade-ci,
je n'ai qu'à me demander si le fait que le CRTC
ait reconnu la position de l'ONAP sur la question
du dédommagement obligeait le gouverneur en
conseil à lui accorder la possibilité recherchée. A
mon sens, ce serait une erreur de considérer qu'il
est question de quelque façon que ce soit en l'es-
pèce de la détermination, par le gouverneur en
conseil, d'un droit ou d'une obligation propre à
l'ONAP ou, comme l'a dit le juge Estey à la page
758, qu'il s'agit d'une question «de nature person-
nelle ou propre» à cette organisations. Cela étant,
j'estime que les seules limites dans lesquelles doit
s'exercer le pouvoir discrétionnaire du gouverneur
en conseil sont celles exposées dans l'arrêt Inuit
Tapirisat.
L'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des
droits est-il applicable?
Le juge de première instance était d'avis que
l'on pouvait considérer l'arrêt Inuit Tapirisat
comme étant quelque peu dépassé depuis les modi-
5 11 était question d'un tel droit ou d'une telle considération
dans les arrêts Homex Realty and Development Co. Ltd. c.
Corporation of the Village of Wyoming, [1980] 2 R.C.S. 1011,
et FAI Insurances Ltd v Winneke (1982), 41 ALR 1 (H.C.).
Voir aussi South Australia (State of) v O'Shea (1986), 73
ALR 1 (H.C.) à la p. 6.
fications récentes apportées à la Constitution et la
réanimation de la Déclaration canadienne des
droits dans l'affaire Singh. Il a ensuite interprété
le paragraphe 64(1) de la Loi comme imposant au
gouverneur en conseil l'obligation d'accorder aux
intimés une audition impartiale conformément aux
principes de justice fondamentale pour la détermi-
nation de leurs droits et obligations avant de se
prononcer sur la requête.
L'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des
droits est libellé comme suit:
2. Toute loi du Canada, à moins qu'une loi du Parlement du
Canada ne déclare expressément qu'elle s'appliquera nonob-
stant la Déclaration canadienne des droits, doit s'interpréter et
s'appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou
enfreindre l'un quelconque des droits ou des libertés reconnus et
déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la
diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du
Canda ne doit s'interpréter ni s'appliquer comme
e) privant une personne du droit à une audition impartiale de
sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la
définition de ses droits et obligations.
J'ai déjà mentionné certains des motifs pour
lesquels le juge de première instance a conclu que
la question était régie par cet alinéa. Il a exposé
ses vues de façon plus détaillée aux pages 239 et
240 de ses motifs de jugement:
Il [le gouverneur en conseil] allait exercer son pouvoir de
conseiller rectificateur sur une question précise de détermina-
tion des droits et obligations des parties. (L'emploi du pronom
personnel à l'alinéa 2e) dans l'expression «ses droits et obliga
tions» n'a aucune conséquence. Après tout, l'expression «à sa
discrétion» est utilisée au paragraphe 64(1), eu égard au gou-
verneur en conseil). L'ONAP, représentant les abonnés de Bell,
comme l'a admis le CRTC, et Bell elle-même, allaient voir les
droits et obligations desdits abonnés être déterminés par le
gouverneur en conseil.
Le gouverneur en conseil a agi, ne tenant tout simplement
pas compte de la demande de l'ONAP d'être «entendue»,
c'est-à-dire de présenter des observations écrites. En 1988, le
gouverneur en conseil doit respecter les canons de base de
«justice naturelle», «justice fondamentale» ou tout simplement
d'impartialité; c'est la règle audi alteram partem, qui oblige à
entendre l'autre partie avant de déterminer les droits et obliga
tions de celle-ci. En l'absence d'urgence ou d'exigences relatives
au renseignement de sécurité, le gouverneur en conseil ne peut
légalement agir autrement.
Le décret C.P. 1988-762 opère une telle détermination même
s'il renvoie la question au CRTC, parce que ledit décret limite
les éléments dont le CRTC doit tenir compte aux frais vérifiés
de Bell et empêche des considérations plus générales au sujet
desquelles la ministre, dans sa correspondance antérieure, avait
indiqué qu'elle n'avait pas l'intention de donner cette fausse
impression de restriction. Ainsi Bell, pour obtenir le dédomma-
gement que le CRTC lui avait accordé en acceptant de ne pas
augmenter les tarifs réclamés à ses abonnés, et les abonnés
représentés par l'ONAP, ont vu en fait leurs droits et obliga
tions déterminés, malgré le renvoi au CRTC. Étant donné que
ces ordonnances, tarifs et réglementations ont eu lieu conformé-
ment aux lois du Canada, il n'y a pas d'édulcoration ou de déni
des droits et obligations mêmes dont il est question à l'alinéa
2e) de la Déclaration canadienne des droits.
La question qui ce pose pour nous comme pour
lui tient à l'applicabilité de l'alinéa 2e) dans les
circonstances de l'espèce. La question délicate, à
mon sens, consiste à savoir si le gouverneur en
conseil, en exerçant le pouvoir discrétionnaire qui
lui est conféré par le paragraphe 64(1) de la Loi, a
de ce fait déterminé les «droits et obligations» des
intimés.
L'appelant et les intervenantes avancent deux
arguments contraires. Ils disent que l'alinéa 2e) ne
peut aucunement s'appliquer à ce que l'arrêt Inuit
Tapirisat appelle l'acte «législatif» que constitue
un décret rendu en application du paragraphe
64(1) de la Loi. Ils affirment aussi qu'un acte de
cette nature, qui vise le grand public on tout au
moins la partie considérable du public que repré-
sentent les abonnés de Bell Canada, n'a pas mis en
cause «les droits et obligations» des intimés; il
n'était pas censé être assujetti aux garanties procé-
durales qui pourraient par ailleurs être applicables
dans une affaire dont l'objet est de nature person-
nelle ou propre au requérant.
ONAP est intervenue dans les délibérations du
CRTC pour le compte du public en général. Elle
pouvait y participer en cette qualité, et (comme
cela lui a été possible) gagner le CRTC à son point
de vue particulier. Mais en définitive, la décision
rendue n'a déterminé ni «droits» ni «obligations»
qui lui étaient propres; ces droits, s'il en est, appar-
tenaient à tous les abonnés de Bell Canada, qu'ils
soient intervenus ou non. Rien au paragraphe
64(1) de la Loi n'imposait des limites au pouvoir
du gouverneur en conseil de modifier la décision
88-4 du CRTC, si ce n'est que cette modification
ne devait pas avoir pour résultat des tarifs injustes
ou exagérés ou des tarifs établissant une discrimi
nation injuste, comme c'eut été le cas si le décret
avait violé la règle interdisant l'interfinancement.
Telle était la nature du processus qui s'est déroulé
aussi bien devant le CRTC que devant le gouver-
neur en conseil. En toute déférence, il n'apparte-
nait pas au juge de première instance et il n'appar-
tient pas à cette Cour de tenir pour acquis que la
Cour suprême n'a pas fait de cas de l'alinéa 2e)
lorsqu'elle a jugé l'affaire Inuit Tapirisat. Cette
Cour est libre de s'écarter d'une de ses décisions
antérieures en présence de motifs sérieux de le
faire (voir l'arrêt Ministre des Affaires indiennes
et du Nord canadien c. Ranville et autre, [1982] 2
R.C.S. 518, la page 527). Nous devons laisser à
la Cour suprême le soin de décider ce qui peut
constituer des motifs sérieux. Le Parlement, il va
sans dire, est lui-même libre d'adopter toutes les
garanties de la procédure qu'il veut appliquer au
processus décisionnel visé au paragraphe 64(1). En
attendant, je dois dire comme l'appelant et les
intervenantes que l'alinéa 2e) de la Déclaration
canadienne des droits ne saurait s'appliquer à
l'espèce.
Le paragraphe 15 (1) de la Charte est-il applica
ble?
En première instance, les intimés ont soutenu
sans succès qu'en agissant comme il l'a fait, le
gouverneur en conseil a enfreint un droit consacré
par le paragraphe 15 (1) de la Charte en les trai-
tant différemment de l'appelant dont la requête et
les documents justificatifs ont été étudiés par le
gouverneur en conseil avant qu'il ne se prononce
sur la requête.
Je suis d'accord avec le juge de première ins
tance pour dire que le paragraphe 15(1) de la
Charte ne s'applique pas dans les circonstances. En
voici le libellé:
15. (I) La loi ne fait acception de personne et s'applique
également à tous, et tous ont droit à la même protection et au
même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimina
tion, notamment des discriminations fondées sur la race, l'ori-
gine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge
ou les déficiences mentales ou physiques.
À mon sens, le fait (comme on l'affirme) que
l'ONAP soit une société sans but lucratif n'en fait
pas une «personne» au sens du paragraphe 15(1),
et je ne crois pas davantage que l'ONAP soit
servie du fait que la Cour suprême, dans l'arrêt R.
c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1
R.C.S. 295 (motifs du juge Dickson, à la page
313) a interprété les mots «toute personne» au
paragraphe 24(1) de la Charte comme comprenant
des «personnes, aussi bien physiques que morales
«alors que le mot employé au paragraphe 15(1) de
la version anglaise est «individual» 6 plutôt que
«anyone» («toute personne») comme c'est le cas au
paragraphe 24(1) de la version anglaise. Finale-
ment, je suis porté à croire que les droits de Milner
garantis par le paragraphe 15(1) (s'il en est) n'ont
pas été enfreints. Il n'est pas intervenu personnelle-
ment devant le CRTC et il n'a pas davantage
recherché la possibilité de répondre à la requête de
Bell Canada avant qu'il ne soit statué à cet égard.
Cela fait pour le moins planer le doute sur sa
qualité pour se plaindre maintenant de la violation
d'un droit consacré au paragraphe 15(1). Étant
donné l'opinion que je suis sur le point d'exprimer,
il est inutile de traiter davantage de cette question.
J'estime que le «droit» revendiqué en l'espèce
n'en est pas un qui est garanti au paragraphe
15(1). À la date de la décision de première ins
tance, la Cour suprême ne s'était pas encore pro-
noncée sur la nature des droits à l'égalité consacrés
au paragraphe 15(1). Elle l'a fait depuis dans
l'arrêt Andrews c. Law Society of British Colum-
bia, [1989] 1 R.C.S. 143; (1989), 91 N.R. 255 7 .
L'opinion du juge McIntyre sur la nature des
droits prévus au paragraphe 15(1), bien qu'elle ait
été exprimée dans un jugement dissident, a généra-
lement été acceptée par les autres membres de la
Cour. Aux pages 178 R.C.S.; 298 et 299 N.R., il a
dit ce qui suit:
L'article 15 prévoit lui-même que le droit à l'égalité devant la
loi et dans la loi ainsi que les droits à la même protection et au
même bénéfice de la loi qu'il confère doivent exister indépen-
damment de toute discrimination. La discrimination est inac-
ceptable dans une société démocratique parce qu'elle incarne
les pires effets de la dénégation de l'égalité et la discrimination
consacrée par la loi est particulièrement répugnante. La pire
forme d'oppression résulte de mesures discriminatoires ayant
force de loi. C'est une garantie contre ce mal que fournit
l'art. 15.
Et en répondant à la question posée aux pages 173
R.C.S.; 300 N.R.: «que signifie le terme discrimi
nation?» le juge a répondu aux pages 174 et 175
R.C.S.; 302 N.R.:
J'affirmerais alors que la discrimination peut se décrire comme
une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des
motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d'un individu
ou d'un groupe d'individus, qui a pour effet d'imposer à cet
individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des
désavantages non imposés à d'autres ou d'empêcher ou de
6 Voir l'arrêt Smith, Kline & French Laboratories Ltd. c.
Canada (Procureur général), [1987] 2 C.F. 359 (C.A.).
7 L'arrêt Andrews a depuis été appliqué dans l'arrêt Renvoi
relatif à la Workers' Compensation Act, 1983 (T.-N.), [1989]
I R.C.S. 922.
restreindre l'accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avanta-
ges offerts à d'autres membres de la société. Les distinctions
fondées sur des caractéristiques personnelles attribuées à un
seul individu en raison de son association avec un groupe sont
presque toujours taxées de discriminatoires, alors que celles
fondées sur les mérites et capacités d'un individu le sont
rarement.
Si l'on se fonde sur cette décision, la «discrimi-
nation» dont on se plaint en l'espèce n'est pas de la
nature de celle que le paragraphe 15 (1) de la
Charte vise à prévenir. Le fait que les intervenan-
tes aient pu déposer auprès du gouverneur en
conseil leur requête avec documents justificatifs
alors que les intimés ont pu ne pas avoir la possibi-
lité de répondre avant que le décret ne soit rendu
ne constitue pas la violation d'un droit consacré à
l'article en question.
Le gouverneur en conseil a-t-il outrepassé sa
compétence?
Les intimés ont soutenu que le gouverneur en
conseil a outrepassé la compétence que lui confère
le paragraphe 64(1) de la Loi en se souciant de la
position concurrentielle de BCI sur le plan interna
tional. À cet égard, ils s'appuient sur des déclara-
tions que le ministre a faites dans la lettre du 14
juillet 1987 qu'elle a adressée au président de
BCE, aussi bien que sur d'autres déclarations con-
tenues dans le communiqué de presse du gouverne-
ment en date du 22 avril 1988. Dans la lettre
susmentionnée, le ministre a écrit ce qui suit:
[TRADUCTION] Je tiens à vous assurer que le gouvernement du
Canda a pour politique d'appuyer énergiquement les efforts
déployés par des sociétés telle Bell Canada en vue d'obtenir des
contrats de l'étranger et qu'il apprécie la contribution de ces
initiatives à la création d'emplois, au maintien d'un solde
commercial favorable et à la promotion à l'étranger de la
technologie et des connaissances techniques des Canadiens ...
Ainsi donc, si le Conseil fixait ou imposait par exemple un
dédommagement payable par BCI à Bell Canada qui était
supérieur aux frais vérifiés liés directement ou indirectement
aux mutations, je serais disposée à recommander au gouverneur
en conseil des mesures indiquées qui permettraient à BCI de
conserver une position concurrentielle au sein des marchés
internationaux et, par conséquent, de maintenir son importante
contribution aux revenus d'exportation du Canada et à sa
prospérité économique en général.
Les intimés se plaignent des déclarations suivantes
figurant dans le communiqué de presse:
Le gouverneur en conseil a modifié la décision CRTC 88-4
pour éviter que la société Bell Canada International (BCI) ne
soit désavantagée sur le marché mondial et hautement concur-
rentiel des télécommunications en raison d'un calcul financier
arbitraire.
Le gouvernement reconnaît également l'importance des retom-
bées économiques qu'entraîne dans toutes les régions du pays la
vente de biens et services de télécommunications canadiens à
l'étranger.
Par conséquent, le gouvernement est d'avis que le niveau fixé
par le CRTC impose à la BCI un traitement différent de celui
qui est fait à ses concurrents canadiens et constitue un handicap
par rapport à ses principaux concurrents étrangers.
Selon les intimés, ces déclarations montrent bien
que le gouverneur en conseil a agi de mauvaise foi
et qu'il a outrepassé sa compétence en fondant sa
décision sur une considération qui ne s'inscrit pas
dans l'esprit, dans les objets ni dans les fins de la
Loi 8 . Il ne faut pas considérer ces déclarations
isolément. D'autres éléments de preuve expliquant
la décision prise se trouvent dans le décret, qui dit
notamment qu'elle «est dans l'intérêt public». De
plus, la lettre du ministre en date du 14 juillet
1987 et le communiqué de presse du gouvernement
du 22 avril 1988 disent tous deux qu'il ne doit pas
y avoir interfinancement entre Bell Canada et
BCI. Le seul point divergent entre le gouverneur
en conseil et le CRTC résidait dans le mode de
calcul du dédommagement convenable, compte
tenu de la règle contre l'interfinancement.
On ne doit pas négliger la nature de la décision
ni celle du preneur de décision. Il serait bien de se
rappeler la distriction faite dans l'arrêt Inuit Tapi-
risat entre le gouverneur en conseil agissant dans
les limites des pouvoirs que lui a conféré le Parle-
ment, et les diverses considérations de politique qui
peuvent l'inspirer. Cet arrêt dit clairement que le
gouverneur en conseil peut tenir compte de ces
considérations; il en est fait mention, et il convient
de les répéter. À la page 753, le juge Estey a dit:
On ne peut priver l'Exécutif de son droit d'avoir recours à son
personnel, aux fonctionnaires du ministère concerné, et surtout
aux commentaires et aux avis des ministres membres du con
8 Dans l'arrêt Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, le
juge Rand a dit à la p. 140:
[TRADUCTION] La «discrétion» implique nécessairement la
bonne foi dans l'exercise d'un devoir public. Une loi doit
toujours s'entendre comme s'appliquant dans une certaine
optique, et tout écart manifeste de sa ligne ou de son objet est
tout aussi répréhensible que la fraude ou la corruption.
Les arrêts Re Doctors Hospital and Minister of Health et al.
(1976), 68 D.L.R. (3d) 220 (C. div. Ont.) et Re Toohey: Ex
parte Northern Land Council (1981), 38 ALR 439 (H.C.)
illustrant le cas d'une organisme établi par la loi qui outrepasse
ses pouvoirs discrétionnaires en agissant en vue d'une fin unique
non autorisée.
sell, responsables, à ce titre, des questions d'intérêt public
soulevées par la requête, que ces questions soient de nature
économique, politique, commerciale ou autre.
La position concurrentielle de BCI sur le plan
international était évidemment une question de
politiques que le gouverneur en conseil pouvait
prendre en considération et dont il a effectivement
tenu compte.
Je ne trouve pas au dossier la preuve évidente
que le gouverneur en conseil a agit dans le seul et
unique but d'aider BCI. Pour tirer une telle con
clusion, il faudrait ne pas tenir compte d'autres
éléments de preuve, et considérer la décision plus
ou moins comme une simple fiction». Il est évident
que l'on a considéré que les niveaux de la compen
sation proposée par le CRTC étaient «arbitraires»
et aussi qu'ils semblaient «exagérés et pouvaient
même porter préjudice aux intérêts du Canada à
l'étranger», et qu'ils imposeraient à la BCI un
«traitement différent» et constitueraient «un handi
cap par rapport à ses principaux concurrents
étrangers».
Même si l'on devait présumer que le gouverneur
en conseil visait une double fin (l'une conforme à
son mandat, soit la fixation des tarifs, et l'autre
excédant son mandat, soit le souci de protéger la
position concurrentielle de BCI à l'étranger»), je
doute que cela servirait la cause des intimés 10 .
Dans l'affaire Thorne's Hardware, par exemple,
» Les tribunaux ont souligné que l'exercice d'un pouvoir
discrétionnaire conféré par la loi [TRADUCTION] «doit consti-
tuer l'exercice réel d'un pouvoir discrétionnaire» (selon lord
Greene, M.R. dans l'arrêt Associated Provincial Picture
Houses, Ld. v. Wednesbury Corporation, [1948] 1 K.B. 223,
(C.A.) à la p. 228), et non «un acte qui serait illégal ou qui
viserait à permettre de faire un acte subséquent qui serait
lui-même illégal» (selon lord Warrington dans l'arrêt Rex v.
Chiswick Police Station Superintendent, Ex parte Sacksteder,
[1918] 1 K.B. 578 (C.A.), à la p. 589), ou qui donne à un ordre
illégal «l'apparence de la légalité simplement pour sauver les
apparences» (selon le lord juge Donovan dans l'arrêt Regina y.
Governor of Brixton Prison, Ex parte Soblen, [1963] 2 Q.B.
243 (C.A.), à la p. 308).
I° En matière de droit administratif, les juges ont parfois
parlé du besoin dans un tel cas de rechercher la fin «principale»
en vue de laquelle est exercé le pouvoir discrétionnaire (voir
Earl Fitzwilliam's Wentworth Estates Co. Ld. v. Minister of
Town and Country Planning, [1951] 2 K.B. 284 (C.A.), le lord
juge Denning, à la p. 307; comparez avec Hanks v. Minister of
Housing and Local Government, [1963] 1 Q.B. 999, aux p.
1018 à 1020).
des éléments de preuve indiquaient que le gouver-
neur en conseil avait décrété l'extension des limites
d'un port à la fois pour augmenter les revenues en
provenant et pour rationaliser les activités mariti-
mes de la région, le second objet étant conforme à
la fin de la loi alors que le premier ne l'était pas.
La Cour a cependant conclu que la décision ressor-
tissait aux pouvoirs du gouverneur en conseil. À la
page 117, le juge Dickson a dit:
Les appelantes reconnaissent que l'art. 7 confère effective-
ment au cabinet fédéral compétence pour étendre les limites du
port. Elles prétendent cependant que cela peut se faire seule-
ment en vue de «l'administration, gestion et régie» du port et
que l'art. 7 n'autorise nullement l'extension pour augmenter les
revenus du Conseil.
J'ai déjà souligné que le port n'a pas été étendu à la seule fin
d'accroître les revenus et que la «rationalisation» des activités
maritimes de la région a également été un facteur important. Il
me semble que la «rationalisation», au sens déjà indiqué, relève
facilement des pouvoirs que confère le par. 7(2).
Les intimés pouvaient-ils «s'attendre raisonnable-
ment» à se faire entendre?
Les intimés cherchent à s'appuyer sur la doc
trine en pleine évolution dite de «l'attente raisonna-
ble», ou pour dire comme certains tribunaux, de
«l'attente légitime». Nul n'a mieux décrit cette
doctrine que lord Fraser de Tullybelton dans l'ar-
rêt Council of Civil Service Unions v. Minister for
the Civil Service, [1985] A.C. 374 (H.L.), à la
page 401:
[TRADUCTION] Mais même lorsqu'une personne qui réclame
un avantage ou un privilège quelconque n'a aucun droit à cet
égard, selon le droit privé, elle peut s'attendre légitimement à
l'obtenir, et dans ce cas, les tribunaux protégeront cette attente
par voie de révision judiciaire conformément au droit public. Ce
sujet a été amplement expliqué par mon collègue, lord Diplock,
dans l'arrêt O'Reilly v. Mackman, [1983] 2 A.C. 237, aussi
n'ai-je pas à repéter ce qu'il a dit récemment. Des attentes
légitimes, ou raisonnables, peuvent découler soit d'une pro-
messe formelle faite pour le compte d'une autorité publique,
soit de l'existence d'une pratique courante au maintien de
laquelle le demandeur peut raisonnablement s'attendre.
Voir aussi ce qu'a dit le lord juge Diplock aux
pages 408 et 409.
Il suffit de souligner à ce stade que le dossier ne
contient aucun élément de preuve qui établisse
clairement l'existence d'une «promesse formelle»
ou d'une «pratique courante». En l'absence d'une
telle preuve, la doctrine ne peut s'appliquer en
l'espèce.
Dispositif
Pour résumer, je suis convaincu pour les motifs
qui prédèdent que le décret C.P. 1988-762 est
valide. En conséquence de quoi j'accueillerais l'ap-
pel et j'annulerais le jugement de la Section de
première instance. Comme en ont convenu les
parties, il n'y aura pas d'adjudication de dépens.
LE JUGE PRATTE, J.C.A.: Je souscris à ces
motifs.
LE JUGE MAHONEY, J.C.A.: Je souscris à ces
motifs.
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