T-138-88
Wendy Grant, Mary Charles, Howard E. Grant,
Susan A. Point, Myrtle McKay, Marilyn Point et
Joseph Becker, en leur propre nom et au nom de
tous les autres membres de la bande indienne
Musqueam (demandeurs)
c.
Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représen-
tée par le ministre des Affaires indiennes et du
Nord canadien .et le Shaughnessy Golf and Coun
try Club (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: BANDE INDIENNE MUSQUEAM c. CANADA
(MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANA-
DIEN) (1" INST.)
Section de première instance, juge Joyal—Van-
couver, 29 novembre 1989; Ottawa, 18 janvier
1990.
Pratique — Plaidoiries — Requête en radiation --- Abus de
procédure — Cession par des Indiens de fonds de terre à la
Couronne - La Couronne a accordé un bail à long terme à un
club de golf — Ces Indiens ont obtenu un jugement leur
accordant 10 millions de dollars pour manquement à une
obligation de fiducie — Ils ont intenté une nouvelle action en
jugement déclarant nulle la cession — Les parties doivent faire
valoir tous leurs moyens et elles ne sauraient perpétuer le
litige en découvrant de nouveaux moyens d'action — Il n'exis-
te aucune circonstance particulière qui justifie l'exercice d'un
pouvoir discrétionnaire en faveur des Indiens.
Pratique — Res judicata — Cession par des Indiens de
fonds de terre à la Couronne — Obtention d'un jugement
substantiel pour manquement à une obligation de fiducie
Requête en radiation reposant sur l'autorité de la chose jugée
ou l'issue estoppel — Examen et exposé du droit — Que
l'affaire relève ou non de ce principe, on ne doit pas lui
permettre d'être entendue si cela crée un abus de procédure —
Aucune circonstance particulière ne justifie l'exercice d'un
pouvoir discrétionnaire pour permettre que l'action suive son
cours.
En 1957, la bande indienne Musqueam a cédé 162 acres de
terrain de sa réserve de Vancouver à la Couronne qui a alors
accordé un bail à long terme au Shaughnessy Golf and Country
Club. En 1984, la Cour suprême du Canada a infirmé un arrêt
de la Cour d'appel fédérale et rétabli la décision du juge de
première instance qui a statué que, en négociant le bail selon
des conditions défavorables à la bande, la Couronne avait
manqué à ses obligations de fiduciaire, et qui a accordé à la
bande dix millions de dollars en dommages-intérêts.
Dans la présente action, la bande conclut à un jugement
déclarant nuls la cession initiale et le bail ou, subsidiairement,
déclarant leur rescision. À la base du litige, il y a la conviction
de la bande qu'elle a été injustement privée de ses fonds de
terre et que ses intérêts financiers ont été gravement lésés. Le
scénario évoqué comprend le fait qu'on a privé, au moyen d'une—
intrigue, les Indiens de leurs terres de réserve dans l'intérêt des
membres choisis d'un club de golf et de loisirs.
Il s'agit d'une requête introduite en vertu de la Règle 419
pour obtenir une ordonnance qui radierait la déclaration de la
bande parce qu'elle est redondante, vexatoire et qu'elle consti-
tue un emploi abusif des procédures. Elle repose sur le principe
de l'autorité de la chose jugée ou de l'«issue estoppel*. La
Couronne affirme qu'on demande à la Cour de connaître d'une
demande qui a déjà été entièrement tranchée, et qu'on ne peut
ressusciter sous une autre forme la question qui a déjà été
réglée entre la bande et la Couronne. La bande a eu amplement
l'occasion de contester la validité de la cession et du bail
subséquent, mais elle a choisi de les considérer comme valides
et de réclamer des dommages-intérêts pour manquement aux
obligations de fiduciaire. La bande a obtenu gain de cause et
s'est vu accorder dix millions de dollars en dommages-intérêts.
Cela devrait vider l'affaire.
Jugement: la requête devrait être accueillie.
Il ressort d'un examen de la jurisprudence sur les requêtes en
radiation que les diverses restrictions imposées historiquement à
l'application du principe de l'autorité de la chose jugée ou de
l'uestoppel» semblent s'évanouir lentement. Lorsqu'on ne sait
pas s'il s'agit d'un cas d'«estoppel*, le tribunal n'hésitera pas à
suspendre l'action au motif qu'elle constitue un abus de procé-
dure, et lorsque le respect des décisions judiciaires rendues en
matière d'«estoppel* crée plus d'obstacles que de solutions, il est
possible de conclure à l'existence d'un simple cas d'abus de
procédure. Les circonstances particulières d'une affaire sont
toutefois primordiales, et les tribunaux choisiront de permettre
à une affaire de suivre son cours lorsque ces circonstances sont
suffisamment particulières pour le justifier.
Les demandeurs ont conclu, quatre ans après que la Cour
suprême eut tranché la question, que le montant de
10 000 000 $ qui leur avait été accordé en dommages-intérêts
n'était pas suffisant, qu'il était injuste, qu'il reposait sur des
hypothèses erronées et qu'il ne tenait pas compte de la valeur
actuelle du terrain et du rendement annuel raisonnable qu'on
pouvait s'attendre à en tirer. Les conclusions du juge de pre-
mière instance quant au manquement à l'obligation de fiducie
et aux dommages-intérêts ont été confirmées par la Cour
suprême, et il n'y pas lieu d'adopter un point de vue différent
dans ces nouvelles procédures.
La seule question que le juge de première instance devait
trancher était de savoir si la Couronne avait manqué aux
obligations de fiduciaire. La même question a été débattue
devant la Cour d'appel et la Cour suprême. La question de la
validité de la cession ou du bail n'a jamais été soulevée. On
s'attend à ce que les parties fassent valoir tous leurs moyens et
qu'on ne peut leur permettre, sauf dans des circonstances
particulières, de perpétuer le litige en découvrant de nouveaux
moyens d'action. Autrement, on ne mettrait fin à un litige
qu'après avoir épuisé toute ingéniosité juridique. Que l'affaire
relève ou non du principe de l'autorité de la chose jugée ou de
l'«issue estoppel» avec toutes leurs subtilités historiques, on ne
doit pas lui permettre d'être entendue si cela crée un abus de
procédure. Permettre à la bande de demander la rescision du
bail en se fondant sur des faits identiques à ceux qu'elle a déjà
invoqués constituerait un abus de procédure.
Les tribunaux ont reconnu que les «circonstances particuliè-
res» pourraient apporter des nuances à l'application du principe
de l'«issue estoppel» ou de l'autorité de la chose jugée et, à vrai
dire, de celui de l'abus de procédure, et que lorsque les circons-
tances sont suffisamment particulières, il y a lieu pour le
tribunal d'exercer son pouvoir discrétionnaire pour permettre à
une affaire de suivre son cours. En l'espèce, l'indemnité qu'on
prétend insuffisante ne saurait constituer une «circonstance
particulière». La bande n'a pas établi qu'elle a subi une injus
tice qui mérite que l'on tienne compte de circonstances particu-
lières et qui rendrait par ailleurs sa nouvelle action moins
abusive ou ferait que cette dernière mérite davantage un traite-
ment favorable. Dans la mesure du possible, dans notre système
juridictionnel, le montant adjugé est juste et raisonnable.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi des sauvages, S.R.C. 1906, chap. 81, art. 51.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle
419(1).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Hanna et autres c. Canada (1986), 9 F.T.R. 124 (C.F. 1"
inst.); Grandview (La ville de) c. Doering, [1976] 2
R.C.S. 621; (1975), 61 D.L.R. (3d) 455; [1976] 1
W.W.R. 388; 7 N.R. 299; Henderson v. Henderson
(1843), 3 Hare 100; 67 E.R. 313; Hoysted v. Federal
Commissioner of Taxation (1921), 29 C.L.R. 537 (H.C.
Aust.); Maynard v. Maynard, [1951] R.C.S. 346; [1951]
1 D.L.R. 241; Mcllkenny v. Chief Constable of the West
Midlands, [1980] 1 Q.B. 283; sub nom. Hunter v. Chief
Constable of the West Midlands Police, [1982] A.C. 529
(H.L.); Bank of B.C. v. Singh (1987), 17 B.C.L.R. (2d)
256 (C.S.); Solomon v. Smith, [1988] 1 W.W.R. 410
(C.A. Man.); Nigro v. Agnew-Surpass Shoe Stores Ltd.
et al.; Cummer-Yonge Investments Ltd., Third Party and
10 other actions (1977), 18 O.R. (2d) 215; 82 D.L.R.
(3d) 302; 3 C.P.C. 194 (H.C.); Saskatoon Credit Union
Ltd. v. Central Park Ent. Ltd. (1988), 22 B.C.L.R. (2d)
89 (C.S.); Hoystead v. Commissioners of Taxation,
[1926] A.C. 155 (C.P.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
St. Ann's Fishing Club v. The King, [1950] R.C.S. 211;
[1950] 2 D.L.R. 225.
DECISIONS EXAMINÉES:
Beauchamp c. Coastal Corporation, [1984] 2 C.F. 511
(1" inst.); Minnes v. Minnes & Rees-Davies (1962), 34
D.L.R. (2d) 497; 39 W.W.R. 112 (C.A.C.-B.); Re Bullen
(1971), 21 D.L.R. (3d) 628 (C.S.C-B.); Luzi et al. v.
Municipal District of Rockyview No. 44 et al. (1980), 28
A.R. 260 (B.R.); Lenhdorff Management Ltd. et al. v.
L.R.S. Development Enterprises Ltd. (1980), 109 D.L.R.
(3d) 729; [1980] 5 W.W.R. 14; 19 B.C.L.R. 59; 16
C.P.C. 1 (C.A.); United Shoe Machinery Company of
Canada v. Brunet, [1909] A.C. 330 (P.C.); Clough v.
London and North-Western Railway Co. (1871), L.R. 7
Ex. 26; First City Dev. Corp. v. Bekei (1986), 3 B.C.L.R.
(2d) 175 (C.S.).
DÉCISIONS CITÉES:
Angle c. M.R.N., [1975] 2 R.C.S. 248; (1974), 47 D.L.R.
(3d) 544; 74 DTC 6278; 2 N.R. 397; Carl Zeiss Stiftung
v. Rayner & Keeler Ltd. (No. 2), [1967] I A.C. 853
(H.L.).
DOCTRINE
Wade, H. W. R. Administrative Law, 5° éd., Oxford:
Clarendon Press, 1982.
AVOCATS:
M. R. V. Storrow et Maria A. Morellato pour
les demandeurs.
Brian J. Wallace, c.r. et Hugh C. Stansfield
pour le défendeur Shaughnessy Golf and
Country Club.
Mitchell Taylor pour la défenderesse Sa
Majesté la Reine.
PROCUREURS:
Blake, Cassels & Graydon, Vancouver, pour
les demandeurs.
Lawson, Lundell, Lawson & McIntosh, Van-
couver, pour le défendeur Shaughnessy Golf
and Country Club.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse Sa Majesté la Reine.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE JOYAL:
GENÈSE DE L'INSTANCE
Le litige dont je suis saisi a pris naissance il y a
plus de trente ans lorsque la bande indienne Mus-
queam, qui comptait à l'époque quelque 235 mem-
bres, a cédé 162 acres d'un fonds de terre de sa
réserve de Vancouver à la Couronne défenderesse
qui, à son tour, a loué cette superficie à la défende-
resse Shaughnessy Golf and Country Club (le
club).
Les conditions du bail ne convenaient pas à la
bande demanderesse et de nombreuses années plus
tard, en 1977, elle a engagé devant notre Cour une
action en dommages-intérêts contre la Couronne'.
Dans sa déclaration, la bande sollicitait les répara-
tions suivantes:
a) un jugement déclaratoire portant que la Cou-
ronne défenderesse a manqué à ses responsabili-
tés de fiduciaire en approuvant et en signant le
bail;
b) un jugement déclaratoire fixant le montant
des dommages subis par la bande à la suite du
manquement à la fiducie;
c) des dommages-intérêts pour le manque à
gagner subi;
d) d'autres réparations.
L'action a finalement été instruite le 18 septem-
bre 1979 par le juge Collier, qui a conclu que la
Couronne avait effectivement manqué à ses obliga
tions de fiduciaire et qui a accordé dix millions de
dollars en dommages-intérêts à la bande.
La Couronne a interjeté appel de ce jugement
devant la Cour d'appel fédérale qui, dans sa déci-
sion unanime du 10 décembre 1982 [R. c. Guerin,
[1983] 2 C.F. 656], a conclu que la Couronne
n'était pas tenue à des obligations de fiduciaire
envers la bande et qui a accueilli l'appel.
La bande a ensuite formé un pourvoi devant la
Cour suprême du Canada. Dans son arrêt pro-
noncé le ler novembre 1984 [Guerin et autres c. La
Reine et autre, [1984] 2 R.C.S. 335], la Cour
suprême a accueilli le pourvoi et a rétabli le juge-
ment initial de première instance tant en ce qui
concerne la responsabilité de la Couronne que le
montant de dommages-intérêts adjugé. À compter
de cette date, les dommages-intérêts ont été versés
avec intérêts dans le compte de recettes de la
bande administré par la Couronne.
L'affaire en est restée là jusqu'au 21 janvier
1988, date à laquelle la bande a engagé une autre
action devant notre Cour contre la Couronne et le
club. Les faits articulés sont en substance les
mêmes que ceux de l'action initiale mais, cette
fois, les réclamations de la bande sont formulées
de la façon suivante:
a) un jugement déclarant nulle et illégale la
cession consentie en 1956 par la bande à la
Couronne;
' Guerin c. R., [1982] 2 C.F. 385; (1982), 143 D.L.R. (3d)
416 (Ire inst.).
b) à titre subsidiaire, la rescision de la cession;
c) un jugement déclarant que la bande a droit à
l'utilisation, à l'occupation et à la possession
exclusives des terrains visés par le bail;
d) un jugement déclarant le bail nul;
e) un jugement déclarant que la bande a le droit
de résilier le bail;
f) à titre subsidiaire, la rescision du bail.
Aux yeux de la Couronne défenderesse et du
club défendeur, cette nouvelle action n'en est pas
une dont ils peuvent se dérober avec insouciance.
En conséquence, le club a présenté à la Cour une
requête fondée sur la Règle 419a),b),c),e) et f) des
Règles de la Cour fédérale [C.R.C., chap. 663] en
vue de faire radier la déclaration de la bande au
motif qu'elle est redondante et vexatoire et qu'elle
constitue par ailleurs un emploi abusif des procé-
dures de la Cour. À une date ultérieure, la Cou-
ronne a présenté une requête à la Cour en vue
d'obtenir une réparation similaire en vertu de la
Règle 419 et elle a de plus allégué que les réclama-
tions de la bande étaient prescrites et éteintes.
Les deux requêtes ont été entendues ensemble à
Vancouver les 29 et 30 novembre 1989. Cepen-
dant, deux jours avant l'audition, l'avocat de la
bande a déposé un avis de désistement relative-
ment au club défendeur.
Cette dernière démarche a provoqué quelques
escarmouches entre les avocats des trois parties. Il
a semblé toutefois évident que malgré le désiste-
ment, l'avocat du club devait être entendu lors du
débat sur les requêtes. Les avocats se sont alors
entendus sur une procédure qui éviterait tout
double emploi inutile et qui donnerait à l'avocat de
la bande la possibilité de répondre. De toute façon,
ainsi que je l'ai indiqué aux avocats, j'aurais par
ailleurs accordé au club la qualité d'intervenant
afin de lui permettre de présenter sa requête.
CONCLUSIONS DES DEMANDEURS
La déclaration contestée, si je puis la résumer,
relate en détail les événements qui se sont produits
en 1957, lorsque la bande a approuvé par vote la
cession à la Couronne de 162 acres de terrain de sa
réserve, étant entendu que la cession était accordée
dans le seul but de louer les terrains au club pour
qu'il y aménage un terrain de golf à des conditions
précises, c'est-à-dire, pour une période de location
totale de 75 ans comprenant une période initiale de
dix ans et des reconductions quinquennales; le
loyer pour la première période était fixé à 29 000 $
et ce montant pouvait être augmenté au moment
de chaque reconduction en fonction de la juste
valeur marchande. Il n'y avait pas de plafonne-
ment des hausses de loyer et, à l'arrivée du terme
du bail, toutes les améliorations locatives reve-
naient à la bande.
Dans la déclaration, les demandeurs allèguent
que la Couronne a commis un abus d'influence
envers la bande, qu'elle a faussement représenté la
valeur du terrain pour les fins du bail, qu'elle n'a
pas révélé que d'autres personnes s'étaient mon-
trées intéressées par le terrain, qu'elle a refusé de
permettre à la bande de consulter un avocat et des
évaluateurs et qu'elle a finalement conclu avec le
club un bail à des conditions qui étaient inconnues
de la bande et qui étaient inacceptables pour
celle-ci.
Les demandeurs allèguent également que les
deux défendeurs ont comploté illégalement de
frauder la bande, de porter atteinte à ses intérêts
financiers, de la priver de ses droits économiques et
de permettre au club de jouir d'un avantagé exor
bitant par suite du manquement aux obligations de
fiduciaire de la Couronne.
En conséquence, la bande prétend que la cession
et le bail sont tous les deux nuls et inexécutoires,
que les terrains loués devraient être remis en la
possession de la bande et que le club défendeur
devrait être expulsé des lieux.
ARGUMENTS DES DÉFENDEURS
La requête en radiation des défendeurs repose
essentiellement sur le principe de l'autorité de la
chose jugée ou de l'«issue estoppel». La Couronne
affirme qu'on demande à la Cour de connaître
d'une demande qui a déjà été entièrement tranchée
et qu'on ne peut ressusciter sous une autre forme
la question qui a déjà été réglée entre la bande et
la Couronne en employant des termes habiles dans
les actes de procédure. La bande, prétend la Cou-
ronne, a eu amplement l'occasion dans l'affaire
précédente de contester la validité de la cession et
du bail subséquent. Elle a toutefois choisi de les
considérer comme valides et encore en vigueur et
de réclamer des dommages-intérêts pour manque-
ment aux obligations de fiduciaire. La bande a
obtenu gain de cause et la somme de dix millions
de dollars qui lui a été adjugée correspond à la
valeur des dommages et cela devrait répondre à
toute question.
L'argument juridique que font valoir les défen-
deurs est que le principe de l'autorité de la chose
jugée ou de l'«issue estoppel» empêche la bande de
présenter une nouvelle demande fondée exacte-
ment sur la même question. L'action est illogique
et elle contredit les faits essentiels de l'action
précédente. La Couronne a été condamnée à des
dommages-intérêts dans l'affaire précédente et il
ressort à l'évidence de la lecture des jugements
rendus tant en première instance qu'en Cour
suprême que ces dommages-intérêts ont été éva-
lués en partant du principe de l'indemnisation
intégrale de la bande de toutes les pertes subies en
raison du manquement de Sa Majesté. La doctrine
de l'indemnisation a été parfaitement respectée au
cours du processus d'évaluation et elle s'est tra-
duite sur le plan monétaire par l'attribution à la
bande d'une indemnité pour toute perte présente,
passée et future subie par la bande. En substance,
prétend-on, l'action de la bande est une simple
tentative de faire juger à nouveau un point essen-
tiel de la décision qui a été rendue à l'issue du
procès déjà engagé par la même demanderesse.
En ce qui concerne la position du club, le fait
qu'il n'ait pas participé au procès précédent est
sans conséquence. On n'a pas articulé dans la
nouvelle action des faits essentiels qui pourraient
conduire à des résultats différents. Il n'est pas
allégué que la décision qui a déjà été rendue en
faveur de la bande a été obtenue par la fraude ou
par le dol et qu'elle pourrait justifier la tenue d'une
nouvelle audience.
De plus, suivant le club, la bande a non seule-
ment bénéficié des avantages que représente une
indemnisation forfaitaire de dix millions de dollars,
mais, depuis le tout début du bail en 1958, elle
jouit des versements de loyer. Il serait inconceva-
ble qu'après plus de trente ans, la bande s'évertue
à revenir en arrière, qu'elle dépossède le club et
qu'elle soit remise en possession des terrains loués.
RÉPONSE DE LA BANDE
La bande soutient essentiellement que la Cour
est saisie d'une cause d'action distincte. La pre-
mière cause d'action, qui portait sur un manque-
ment à des obligations de fiduciaire, relève du
domaine du droit privé et des règles de conduite
entre particuliers. La nouvelle cause d'action fait
partie du domaine des règles de droit public régis-
sant les obligations et les responsabilités que la loi
impose à la Couronne à l'égard des terres indien-
nes. Les actes accomplis par la Couronne à l'égard
de la cession et du bail soulèvent, compte tenu de
l'ensemble des circonstances établies lors du procès
précédent, la question des conditions légales de
l'exercice des pouvoirs de Sa Majesté. Comme il a
été jugé que ces conditions font défaut, on peut
sérieusement se demander si la Couronne a excédé
ses pouvoirs ou sa compétence, ce qui rendrait la
cession et le bail nuls ab initia et ce qui empêche-
rait ceux-ci d'être validés par l'attribution d'une
indemnité ou par un acte antérieur, actuel ou futur
de la part de l'une ou l'autre des personnes en
cause.
En conséquence, affirme la bande, le fait que sa
nouvelle action repose sur les mêmes données de
fait que l'action précédente est sans intérêt. On ne
saurait prétendre que la question en litige dans la
nouvelle action est identique. La validité de la
cession et du bail n'a pas encore été contestée.
De plus, la bande laisse entendre que même si
les éléments requis de l'«estoppel» ou de la chose
jugée pourraient être respectés, il existe en l'espèce
des circonstances particulières ou d'équité qui jus-
tifient de faire une exception. Voici les diverses
circonstances qu'énumère la bande:
1. Il y a la question du «complot» tramé par la
Couronne et le club en vue de frauder la bande.
2. L'indemnité déjà accordée ne constitue pas
une réparation juste, compte tenu du fait que le
juge de première instance a, dans l'action précé-
dente, réduit considérablement le montant des
dommages-intérêts adjugé en tenant compte de
l'éventualité d'une résiliation du bail par le club
à l'une ou l'autre des dates de reconduction.
3. Les dommages-intérêts ont été évalués en
1985 en fonction de ce qu'ils valaient en 1958 et
aucun intérêt antérieur au jugement n'a été
accordé.
4. Le club s'est enrichi injustement au détri-
ment de la bande.
5. Les terrains ont actuellement une valeur de
100 millions de dollars, ce qui devrait rapporter
à la bande un revenu annuel de dix millions de
dollars, un chiffre beaucoup plus réaliste que la
somme d'un million de dollars reçue au cours
des trente dernières années en vertu des condi
tions actuelles.
La bande fait valoir que, compte tenu de ces
éléments, la justice exige que l'on permette à la
bande de soumettre le litige au tribunal. Les ques
tions litigieuses qui sont soulevées sont sérieuses et
elles comportent des points de fait et de droit et
des considérations générales qui concernent les
droits des autochtones, lesquels droits ont évolué
considérablement au cours des trente dernières
années.
LA LOI
Les décisions qu'on peut invoquer au soutien de
l'une ou de l'autre thèse ne manquent pas. Au fil
des ans, divers principes se sont accumulés au sujet
des requêtes en radiation en général et de l'appli-
cation des principes appropriés à la question en
litige.
Il n'y a pas de doute qu'une requête en radiation
fondée sur l'article 419 des Règles de notre Cour
doit être examinée très attentivement. Radier une
action comporte un aspect radical et il est de
jurisprudence constante qu'on ne doit recourir à
cette mesure que dans des cas exceptionnels.
L'article 419—dans ses dispositions de fond
énoncées au paragraphe 419(1)—est libellé de
façon claire et il ne présente aucune difficulté
structurelle d'interprétation. En voici le texte:
Règle 419. (1) La Cour pourra, à tout stade d'une action,
ordonner la radiation de tout ou partie d'une plaidoirie avec ou
sans permission d'amendement, au motif
a) qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action ou de
défense, selon le cas,
b) qu'elle n'est pas essentielle ou qu'elle est redondante,
c) qu'elle est scandaleuse, futile ou vexatoire,
d) qu'elle peut causer préjudice, gêner ou retarder l'instruc-
tion équitable de l'action,
e) qu'elle constitue une déviation d'une plaidoirie antérieure,
ou
f) qu'elle constitue par ailleurs un emploi abusif des procédu-
res de la Cour,
et elle peut ordonner que l'action soit suspendue ou rejetée ou
qu'un jugement soit enregistré en conséquence.
Il est clair que l'article prévoit la radiation de la
totalité ou d'une partie d'un acte de procédure. Il
est conçu pour couvrir de nombreuses situations.
Son objectif général est d'assurer l'administration
ordonnée de la justice et, dans le contexte de règles
de procédure et d'un système fondé sur le principe
du débat contradictoire, à contrôler jusqu'à un
certain point le genre d'affaires qui méritent d'être
entendues par un tribunal.
Je n'ai pas à analyser à fond la façon dont la
Cour a appliqué chacune des rubriques de la Règle
419 aux faits et aux circonstances de cas indivi-
duels, car lorsqu'elle examine un cas particulier, la
Cour se borne à analyser un acte de procédure
précis. On ne saurait prétendre que l'acte de procé-
dure qui m'est soumis, à savoir la déclaration dans
son ensemble, n'est pas essentiel ou qu'il est redon-
dant, ou encore qu'il cause préjudice, gêne ou
retarde l'instruction équitable de l'action, ou qu'il
constitue une déviation d'une plaidoirie antérieure.
La Couronne et le club ne peuvent pas non plus
invoquer l'alinéa 419(1)a) des Règles lorsque, pour
les fins d'une radiation, les faits articulés-' dans la
déclaration sont tenus pour avérés et qu'aucune
preuve n'est recevable aux termes de cet alinéa. Ils
ne peuvent pas non plus invoquer la prescription. A
cet égard, le principe général, si l'on suit le juge-
ment Hanna et autres c. Canada (1986), 9 F.T.R.
124 (C.F. 1r° inst.), est que la prescription doit être
expressément invoquée dans la défense avant que
la Cour envisage la possibiblité de radier une
action sur ce fondement.
Il nous reste donc le moyen suivant lequel la
déclaration est scandaleuse, futile ou vexatoire ou
qu'elle constitue par ailleurs un emploi abusif des
procédures de la Cour. En termes plus clairs, il
pourrait s'agir d'un moyen de défense tiré de
l'«issue estoppel» ou de l'autorité de la chose jugée,
deux principes quelque peu parallèles qui ont été
historiquement embrouillés par des subtilités judi-
ciaires mais qui, plus récemment, semblent se pré-
senter sous une forme plus pure.
On a tenté de faire une distinction entre ces
deux concepts dans l'arrêt Hoysted v. Federal
Commissioner of Taxation (1921), 29 C.L.R. 537
(H.C. Aust.), aux pages 560 et 561:
[TRADUCTION] Je reconnais pleinement la distinction entre
le principe de l'autorité de la chose jugée applicable lorsqu'une
demande est intentée pour la même cause d'action que celle qui
a fait l'objet d'un jugement antérieur, et cette théorie de la fin
de non-recevoir qu'on applique lorsqu'il arrive que la cause
d'action est différente mais que des points ou questions de fait
ont déjà été décidés (laquelle je puis appeler théorie de l'«issue
estoppel»).
C'est l'opinion qu'a adoptée la Cour suprême du
Canada dans l'arrêt Angle c. M.R.N., [1975] 2
R.C.S. 248, la page 254; (1974), 47 D.L.R. (3d)
544; 74 DTC 6278; 2 N.R. 397, dans lequel la
Cour a également retenu les critères suivants énon-
cés dans l'arrêt Carl Zeiss Stiftung v. Rayner &
Keeler Ltd. (No. 2), [1967] 1 A.C. 853 (H.L.), au
sujet de l'«issue estoppel»: [TRADUCTION] «[Il
faut] (1) que la même question ait été décidée; (2)
que la décision judiciaire invoquée comme créant
l'estoppel" soit définitive; et, (3) que les parties
en cause dans la décision judiciaire invoquée, ou
leurs ayants droit, soient les mêmes personnes que
celles qui sont engagées dans l'affaire dans laquelle
l'estoppel" est invoqué».
Dans l'arrêt Grandview (La ville de) c. Doering,
[1976] 2 R.C.S. 621; (1975), 61 D.L.R. (3d) 455;
[1976] 1 W.W.R. 388; 7 N.R. 299, la Cour
suprême du Canada a fait siens les commentaires
que l'on trouve dans l'arrêt Henderson v. Hender-
son (1843), 3 Hare 100; 67 E.R. 313, aux pages
114 et 115 Hare:
[TRADUCTION] ... J'espère exprimer correctement la règle que
s'est imposée la présente Cour quand j'affirme que si un point
donné devient litigieux et qu'un tribunal compétent le juge, on
exige des parties qu'elles soumettent toute leur cause et, sauf
dans des circonstances spéciales, on n'autorisera pas ces parties
à rouvrir le débat sur un point qui aurait pu être soulevé en
'même temps que l'objet du litige, mais qui ne l'a pas été pour
l'unique raison qu'elles ont omis de soumettre une partie de leur
cause, par négligence, inadvertance ou même par accident. Le
plaidoyer de la chose jugée porte, sauf dans des cas spéciaux,
non seulement sur les points sur lesquels les parties ont en fait
demandé au tribunal d'exprimer une opinion et de prononcer
jugement, mais sur tout point qui faisait objectivement partie
du litige et que les parties auraient pu soulever à l'époque, si
elles avaient fait preuve de diligence.
À nouveau, dans l'arrêt Maynard v. Maynard,
[1951] R.C.S. 346; [1951] 1 D.L.R. 241, la page
359 R.C.S., la Cour suprême du Canada cite et
approuve les propos suivants de lord Shaw dans
l'arrêt Hoystead v. Commissioners of Taxation,
[1926] A.C. 155 (P.C.), aux pages 165 et 166:
[TRADUCTION] Les parties n'ont pas le droit d'engager d'au-
tres procédures parce qu'elles entretiennent des vues nouvelles
sur les règles de droit applicables à la cause, ou parce qu'elles
présentent des versions nouvelles des conclusions juridiques que
la Cour devrait tirer de l'interprétation des pièces ou du poids
de certaines circonstances.
S'il en était ainsi, on ne mettrait fin à un litige qu'après avoir
épuisé toute ingéniosité juridique. Cela ne saurait être permis,
du point de vue du droit et de nombreux auteurs et précédents
ont réitéré ce principe.
Dans l'arrêt Hoystead, lord Shaw poursuit en
disant [à la page 166]:
[TRADUCTION] Troisièmement, le même principe, à savoir
celui qui empêche de faire juger à nouveau les droits des
plaideurs, s'applique lorsqu'un point essentiel de la décision qui
pouvait être nié par le défendeur ne l'a pas été et que ce point a
été soulevé ou présumé par le demandeur. Dans ce cas aussi, le
défendeur est lié par le jugement, même s'il se rend compte par
la suite qu'il aurait pu se servir d'une dénégation et qu'il ne l'a
pas fait. Le même principe qui empêche de faire juger à
nouveau les droits des parties s'applique et il y a «estoppel».
Plus loin, lord Shaw ajoute [à la page 170]:
[TRADUCTION] Il ressort de cette citation de jurisprudence
que si un tribunal compétent en vient à une décision, les parties
sont irrecevables à la remettre en question dans le cadre d'une
nouvelle instance judiciaire. Mais le principe s'étend également
à tout point, peu importe qu'il ait été présumé ou admis, qui
constituait en substance le fondement de la décision.
Dans l'affaire Mcllkenny v. Chief Constable of
the West Midlands, [1980] 1 Q.B. 283 (C.A.); sub
nom. Hunter v. Chief Constable of the West Mid
lands Police, [1982] A.C. 529 (H.L.), le tribunal
était saisi d'une action en dommages-intérêts pour
voies de fait intentée par six personnes qui avaient
été reconnues coupables d'un meurtre commis à
l'occasion d'un attentat à la bombe.
Les accusations de voies de fait avaient été
portées au cours de leur procès pour meurtre au
moment où la question de la recevabilité de certai-
nes déclarations faites à la police avait été soule-
vée. Le juge de première instance avait statué que
les déclarations étaient recevables et le jury, qui
devait décider si ces déclarations étaient sans
valeur, a néanmoins condamné les six personnes.
Statuant sur l'action subséquente en dommages-
intérêts pour voies de fait, lord Denning, maître
des rôles, déclare ce qui suit, à la page 316:
[TRADUCTION] Pour conclure à la radiation de ces actions, la
police invoque d'abord les règles de droit relatives à l'«issue
estoppel». Elle affirme que les six hommes sont irrecevables à
soulever de nouveau une question litigieuse qui a été tranchée
par le juge Bridge. En second lieu, si elle a tort sur ce point, la
police prétend que ces actions constituent un recours abusif au
tribunal. Or, entre ces deux propositions, j'estime qu'il faut
accorder la priorité à l'«issue estoppel» ... S'ils doivent être
déclarés irrecevables, il faut que ce soit en vertu d'un «estoppel»
d'un type ou d'un autre.
À la page 323, lord Denning poursuit en disant:
[TRADUCTION] On ne saurait permettre à ces actions d'aller
plus loin. Elles devraient être radiées soit au motif que les six
hommes sont irrecevables à contester la décision du juge
Bridge, soit, subsidiairement, au motif qu'elles constituent un
recours abusif au tribunal. Dans un cas comme dans l'autre, il y
a lieu de suspendre les actions.
Le lord juge Goff a exprimé une autre opinion
dans le même appel, à la page 330:
[TRADUCTION] ... le tribunal a de toute évidence le pouvoir
discrétionnaire de suspendre une action au motif que le deman-
deur tente de soulever à nouveau une question sur laquelle un
tribunal lui a déjà donné tort, lorsqu'il a eu amplement l'occa-
sion de faire valoir tous ces arguments, même si les parties sont
différentes, de sorte que, techniquement, il n'y a pas «estoppel».
À mon sens, le tribunal peut exercer ce pouvoir dès le début du
procès lorsqu'il est saisi d'une requête en radiation, même si
l'exercice de ce pouvoir exige alors une grande prudence ...
Dans le jugement Bank of B.C. v. Singh (1987),
17 B.C.L.R. (2d) 256 (C.S.), des débiteurs hypo-
thécaires reprochaient à une banque et à ses éva-
luateurs d'avoir fait preuve de négligence et
d'avoir manqué à leurs obligations de fiduciaires à
l'égard de la vente forcée, au prix de 330 000 $,
d'une propriété qui avait par la suite été revendue
pour une somme beaucoup plus élevée. Les débi-
teurs hypothécaires s'étaient opposés sans succès à
l'ordonnance d'homologation de la vente. La
banque a exercé un recours contre les débiteurs
hypothécaires en leur demandant de respecter
leurs engagements personnels et les débiteurs
hypothécaires ont présenté une demande reconven-
tionnelle contre la banque et contre les évaluateurs
en les accusant à nouveau d'abus de confiance et
de manquement à leurs obligations de fiduciaire.
La banque a présenté une requête en vue de faire
radier la demande reconventionnelle. Le juge Har-
ding a accueilli la requête et a tenu les propos
suivants, à la page 265:
[TRADUCTION] En l'espèce, les évaluateurs n'étaient pas
partie à l'action initiale ... Faire droit à l'action contre les
évaluateurs constituerait cependant un abus de procédure. Les
Singh sollicitent un jugement contre les évaluateurs sur le
fondement des mêmes faits et points litigieux que ceux qu'a
tranchés le juge Cowan. Pour rendre un jugement défavorable
aux évaluateurs, il me faudrait statuer que le juge Cowan a eu
tort.
Dans l'arrêt Solomon v. Smith, [1988] 1
W.W.R. 410 (C.A. Man.), le demandeur avait
répudié son offre d'achat de quelque 24 maisons en
rangée de Winnipeg en alléguant qu'on lui avait
fait de fausses déclarations. Les négociations
s'étaient faites par l'intermédiaire de Smith et du
Montréal Trust, les représentants du vendeur. Le
vendeur a ensuite engagé une action en dommages-
intérêts devant un tribunal de l'Alberta qui lui a
accordé 129 032 $ en dommages-intérêts. Un
arrangement à l'amiable d'un montant de 85 000 $
est ensuite intervenu entre le vendeur et l'acheteur.
Ce dernier a ensuite poursuivi les représentants
Smith et Montréal Trust au Manitoba en leur
réclamant le même montant à titre d'indemnité.
Le juge Lyon, J.C.A. a rejeté l'action et a
déclaré ce qui suit au nom de la majorité de la
Cour d'appel, aux pages 419 et 420:
[TRADUCTION] L'avocat du demandeur prétend que le man-
quement aux obligations de fiduciaire auxquelles les défendeurs
auraient été soumis envers M. Solomon transforme l'action
intentée au Manitoba en un litige nouveau qui n'a pas été
tranché. De prime abord, cet argument est convaincant, sauf en
ce qui concerne le paragraphe 10 de la déclaration dans lequel
le demandeur allègue que ce manquement aux obligations du
fiduciaire «est imputable aux fausses déclarations en. question».
Ainsi qu'il est déclaré dans les actes de procédure, le manque-
ment aux obligations du fiduciaire tire donc sa vitalité unique-
ment de l'allégation de «fausses déclarations». Et, pour boucler
la boucle, le tribunal a déjà tranché cette allégation en donnant
tort à M. Solomon et en la déclarant fausse. Dans ces condi
tions, permettre à M. Solomon de faire juger à nouveau cette
question dans une tentative vaine de soutenir l'action qu'il a
intentée contre Montréal Trust et M. Smith constituerait,
compte tenu des circonstances de la présente espèce, un abus de
procédure.
Le juge Lyon, J.C.A. a poursuivi en disant, à la
page 421:
[TRADUCTION] Je suis d'accord avec le juge Philp de la Cour
d'appel qu'on ne peut invoquer l'«issue estoppel» en défense.
Cependant, permettre la production de la déclaration constitue-
rait un abus de procédure: voilà le principe applicable. En
examinant cette théorie, il me semble prudent d'éviter toute
règle absolue et institutionnalisée comme celles qui régissent le
moyen de défense tiré de ]'«issue estoppel». La meilleure façon
d'éviter de causer un grave préjudice à l'une ou l'autre partie et
à la bonne administration de la justice consiste à encourager les
tribunaux à juger chaque affaire d'après ses propres faits en
tenant compte du principe général de la défense d'abus. Il est
essentiel pour notre système de justice que l'on garantisse à tous
les plaideurs légitimes un accès libre et facile aux tribunaux.
Toutefois, pour atteindre cet objectif valable, nous devons être
vigilants et nous assurer que le système ne devienne pas inutile-
ment encombré par les procès répétitifs comme celui que l'on
essaie d'intenter en l'espèce. Le présent litige doit avoir une fin.
Permettre au demandeur de faire juger à nouveau la question
des fausses déclarations serait un exemple classique d'abus de
procédure, une perte de temps et de ressources pour les plai-
deurs et le tribunal et une atteinte au principe de la chose jugée
qui est tellement capital pour la bonne administration de la
justice.
Dans une affaire semblable dans laquelle l'auto-
rité de la chose jugée était invoquée en défense
dans une seconde action, l'affaire Nigro v. Agnew-
Surpass Shoe Stores Ltd. et al.; Cummer-Yonge
Investments Ltd., Third Party and 10 other
actions (1977), 18 O.R. (2d) 215; 82 D.L.R. (3d)
302; 3 C.P.C. 194 (H.C.), le juge Weatherston
déclare, à la page 218 O.R.:
[TRADUCTION] Parce qu'il s'agit d'une règle d'ordre public
qui permet au tribunal d'exercer son pouvoir intrinsèque d'em-
pêcher qu'on fasse un emploi abusif de ses procédures, je pense
que je puis aborder la question d'une manière plus ouverte et ne
pas me borner à appliquer le principe de l'autorité de la chose
jugée dans son sens restreint.
Dans le jugement Saskatoon Credit Union Ltd.
v. Central Park Ent. Ltd. (1988), 22 B.C.L.R.
(2d) 89, le juge en chef McEachern de la Cour
suprême de la Colombie-Britannique s'est en
grande partie rallié à l'opinion suivant laquelle le
principe de l'autorité de la chose jugée était
devenu, dans ses diverses manifestations, beaucoup
trop compliqué. Il a déclaré, aux pages 95 et 96:
[TRADUCTION] Il n'y a aucun doute que la conception
traditionnelle de l'irrecevabilité résultant de l'autorité de la
chose jugée (.estoppel per rem judicatamb) ne vaut qu'entre les
mêmes parties ou leurs ayants droit: Hollington v. Hewthorn &
Co., [1943] 1 K.B. 587, [1943] 2 All E.R. 35 (C.A.) (lequel
arrêt est, suivant lord Denning, m.r., mal fondé: Mcllkenny,
précité, à la page 703); Thoday v. Thoday, [1964] P. 181,
[1964] 2 W.L.R. 371, [1964] 1 All E.R. 341 (C.A.); et Carl
Zeiss Stiftung v. Rayner & Keeler Ltd.; Rayner & Keeler Ltd.
v. Courts, [1967] 1 A.C. 853, [1966] 3 W.L.R. 125, [1966] 2
All E.R. 536 (H.L.).
Plus récemment, cependant, plusieurs autorités anglaises, en
particulier lord Denning, ont laissé entendre que le principe de
l'abus de procédure empêche une partie de mettre à nouveau en
litige une question qui a été tranchée équitablement contre elle.
La Chambre des lords a accepté à contrecoeur cet énoncé dans
l'arrêt Hunter v. Chief Constable of the West Midlands Police,
[1982] A.C. 529, à la page 540, [1981] 3 W.L.R. 906, [1987] 3
All E.R. 727.
Aux États-Unis, il a été statué dès 1927 que personne ne peut
faire instruire à nouveau une question à moins que la conclu
sion initiale n'ait été obtenue par la fraude ou pour un motif
semblable d'invalidité: Eagle, Star & Br. Dom. Ins. Co. v.
Heller, 140 S.E. 314 (1927). Par la suite, en 1971, la Cour
suprême des États-Unis a déclaré qu'elle n'était pas mécanique-
ment tenue par les règles de réciprocité de l'«estoppel», mais
que les juridictions de première instance devaient plutôt jouir
d'un large pouvoir discrétionnaire pour déterminer s'il y a lieu
d'appliquer l'«issue estoppel». L'équité semble être le critère qui
a été appliqué: Blonder-Tongue' Laboratories Inc. v. Univ. of
Illinois Foundation, 402 U.S. 313, 28 L. Ed. 2d 788, 91 S. Ct.
1434 (1971), et Parkland Hosiery Co. Inc. v. Shore, 99 S. Ct.
645 (1979).
D'autre part, la jurisprudence qu'ont soumise les
partie renvoie à plusieurs décisions dans lesquelles
divers motifs ont été invoqués pour rejeter une
requête en radiation.
Dans le jugement Beauchamp c. Coastal Cor
poration, [1984] 2 C.F. 511 (1" inst.), le deman-
deur avait informé la défenderesse qu'il se désistait
de son action en exécution intégrale fondée sur un
contrat et qu'il ne réclamerait que des dommages-
intérêts pour inexécution. Après qu'il eut réclamé
l'exécution intégrale dans le cadre de son action, la
défenderesse a présenté une requête en radiation
de l'action. Le juge Reed de notre Cour a passé la
jurisprudence en revue et s'est demandée si les
renseignements donnés par le demandeur à la
défenderesse constituaient un choix si cela ne cau-
sait pas de préjudice réel au défendeur. Elle a
rejeté la demande. À la page 514, elle déclare ce
qui suit:
Compte tenu de la jurisprudence citée par l'avocat du
demandeur, je ne crois pas que cette question soit aussi évi-
dente. Il existe une question de droit que la Cour devrait
examiner en détail à l'instruction et qu'elle ne devrait pas
trancher sommairement en se prononçant sur une demande
interlocutoire comme celle présentée en l'espèce.
Dans l'arrêt Minnes v. Minnes & Rees-Davies
(1962), 34 D.L.R. (2d) 497; 39 W.W.R. 112, la
Cour d'appel de la Colombie-Britannique a, dans
une décision majoritaire, refusé de radier l'action
intentée par une épouse qui sollicitait un jugement
déclarant son divorce ainsi que son remariage ulté-
rieur nuls et de nul effet au motif que le divorce
avait été obtenu par la fraude et grâce à la collu
sion de toutes les parties à l'action en divorce. La
Cour a conclu que la situation comportait une
violation d'une loi et qu'elle soulevait des questions
d'intérêt public qui justifiaient la poursuite de
l'affaire même si la demanderesse n'avait pas elle-
même participé à la fraude.
Dans le jugement Re Bullen, un jugement de la
Cour suprême de la Colombie-Britannique publié
à (1971), 21 D.L.R. (3d) 628, la Cour a rejeté une
requête en radiation fondée sur l'autorité de la
chose jugée parce qu'on ne savait pas avec certi
tude sur quels principes de droit la décision anté-
rieure reposait.
Dans l'arrêt Luzi et al. v. Municipal District of
Rockyview No. 44 et al. (1980), 28 A.R. 260, la
Cour du Banc de la Reine de l'Alberta a décidé
que les accusations de parti-pris et de non divulga-
tion de renseignements essentiels qui avaient été
portées dans une action antérieure faisaient obsta
cle à l'application du principe de l'autorité de la
chose jugée.
Dans l'arrêt Lehndorff Management Ltd. et al.
v. L.R.S. Development Enterprises Ltd. (1980),
109 D.L.R. (3d) 729; [1980] 5 W.W.R. 14; 19
B.C.L.R. 59; 16 C.P.C. 1, la Cour d'appel a conclu
que lorsqu'il existe des circonstances particulières,
la requête en radiation fondée sur l'autorité de la
chose jugée sera rejetée.
On peut maintenant formuler certains commen-
taires d'ordre général sur ce que les tribunaux ont
dit, ou se sont permis de dire lorsque, saisis de
requêtes en radiation, ils ont examiné diverses
situations factuelles. Je constate, par exemple, que
les diverses restrictions imposées historiquement à
l'application du principe de l'autorité de la chose
jugée ou de l'«estoppel» semblent s'évanouir lente-
ment. Dans l'arrêt Hunter (précité), lord Denning
n'a pas hésité à radier la demande du demandeur
même si les parties à la seconde action n'étaient
pas identiques. On pourrait penser que vu l'action
intentée par six personnes condamnées pour meur-
tre, la question en litige était tellement scandaleuse
qu'on ne saurait reprocher à Sa Seigneurie d'avoir
affirmé énergiquement qu'il fallait suspendre l'ac-
tion qu'il s'agisse d'un cas d'«estoppel» ou d'un
abus de procédure.
Il semblerait également que lorsque, comme
dans l'arrêt Solomon (précité), on ne sait pas s'il
s'agit d'un cas d'«estoppel», le tribunal n'hésitera
pas à suspendre l'action au motif qu'elle constitue
un abus de procédure. Là encore, les parties
étaient différentes.
Le commentaire formulé par le juge en chef
McEachern dans le jugement Saskatoon Credit
(précité) me semble parfaitement à propos. Il
paraphrase les observations colorées de lord Den-
ning pour indiquer à quel point la question de
l'autorité de la chose jugée ou de l'«estoppel» a
causé inutilement de la confusion.
J'ai également cité les propos du juge Lyon,
J.C.A. dans l'arrêt Solomon (précité) et je conclus
qu'il se rallie aussi à l'opinion que lorsque le
respect des décisions judiciaires rendues en matière
d'«estoppel» crée plus d'obstacles que de solutions,
il est possible de conclure à l'existence d'un simple
cas d'abus de procédure.
Il y a finalement le pouvoir discrétionnaire
qu'exerce de façon constante et sous-jacente le
tribunal chaque fois qu'il statue sur une requête en
radiation. Quelles que soient les expressions qu'il
peut employer pour exposer ses motifs ou pour
étayer ceux-ci de citations de jurisprudence, la
décision que le tribunal finit par rendre dépend en
dernière analyse de l'opinion personnelle raisonnée
qu'il se fait de la question en litige.
Je conclus donc que, dans l'état actuel du droit,
les circonstances individuelles d'une affaire
donnée, voire même ses circonstances particulières,
sont primordiales et qu'il n'est pas nécessaire d'in-
voquer les principes embrouillés de l'autorité de la
chose jugée ou de l'«estoppel» lorsqu'aux yeux du
tribunal, il y a abus de procédure.
En tenant compte de ses observations :quelque
peu gratuites, je reviens maintenant à la question
litigieuse qui m'est soumise et je passe en revue la
jurisprudence que m'ont citée les parties, plus par-
ticulièrement celle qui se rapporte aux baux et aux
terres indiennes.
Dans l'arrêt United Shoe Machinery Company
of Canada v. Brunet, [1909] A.C. 330, le Conseil
privé a statué que comme les intimés n'avaient pas
répudié certains contrats de location,de machinerie
après avoir découvert les fausses déclarations pré-
sumées mais qu'ils avaient continué à faire mar
cher les machines et qu'ils avaient payé des rede-
vances sur celles-ci, ils avaient choisi de considérer
les baux comme encore en vigueur et qu'ils ne
pouvaient par la suite les résilier. Lord Atkinson
cite, à la page 339, la règle énoncée dans l'arrêt
Clough v. London and North-Western Railway
Co. (1871), L.R. 7 Ex. 26: [TRADUCTION] «Si,
alors qu'il est au courant de la déchéance, il mani-
feste, par la réception du loyer ou par un autre
acte non équivoque, son intention de considérer le
bail comme toujours en vigueur, il a arrêté son
choix de façon définitive et il ne peut plus résilier
le bail».
Le juge Lysyk de la Cour suprême de la Colom-
bie-Britannique en est arrivé à une conclusion
semblable dans la cause célèbre First City Dey.
Corp. v. Bekei (1986), 3 B.C.L.R. (2d) 175, dans
laquelle il a déclaré, à la page 198:
[TRADUCTION] Lorsqu'une partie tente de résilier un contrat
en invoquant le défaut de l'autre partie de respecter les exigen-
ces de la loi, l'approche qu'adoptera le tribunal peut être
influencée par les conséquences de cette inobservation. Cette
inobservation rend-elle le contrat nul (comme dans l'affaire
Home Assur.) ou annulable (comme dans l'affaire Dorsch) ou,
comme en l'espèce, simplement inexécutable? On peut, par
exemple, invoquer la renonciation si l'opération est annulable,
mais pas si elle est nulle: Springer Dey. Corp. v. Rogers (1984),
52 B.C.L.R. 169, à la page 181 (C.S.). La question de savoir si
une partie peut être irrecevable à invoquer comme moyen de
défense dans une action contractuelle l'inobservation par l'autre
partie de la législation applicable peut être formulée de diverses
façons. Bien que le choix de théories et de vocabulaire varie, il
se peut que la question cruciale qui se pose soit presque la
même: la partie qui invoque la loi a-t-elle ratifié le contrat sans
équivoque par ses paroles ou son comportement dans des cir-
constances qui font qu'il serait injuste qu'elle résilie maintenant
ce contrat? Pour répondre à cette question, il faut, en l'espèce,
examiner les actes de M. Bekei entre le moment où il a signé les
documents contractuels le 16 décembre 1981 et sa résiliation du
contrat quelque 15 1 / 2 mois plus tard, le 4 avril 1983.
L'arrêt St. Ann's Fishing Club v. The King,
[1950] R.C.S. 211; [1950] 2 D.L.R. 225, contient
des éléments de fait qui concernent la location à
bail de terres indiennes et les dispositions de la Loi
des sauvages, S.R.C. 1906, chap. 81, s'y rappor-
tant. L'article 51 de la loi disposait:
51. Les terres des sauvages qui sont des réserves ou des
parties de réserves rétrocédées, ou à retrocéder, à Sa
Majesté sont réputées possédées aux mêmes fins que par le
passé; et elles sont administrées, affermées et vendues
selon que le gouverneur en son conseil le prescrit, sauf les
conditions de la rétrocession et les dispositions de la pré-
sente Partie.
La Cour suprême du Canada a jugé dans cet
arrêt, et je cite un extrait du sommaire, [TRADUC-
TION] «que l'article 51 requiert de façon impéra-
tive un ordre du gouverneur en conseil avant
qu'une terre indienne cédée puisse être légalement
donnée à bail; et faute de décret d'habilitation, le
bail conclu par le surintendant général (des affai-
res indiennes) avec un club privé n'était pas exécu-
toire. Il est sans intérêt que la signature d'un bail
antérieur avait été autorisée par un décret, étant
donné que ce dernier devenait inopérant à l'arrivée
du terme du bail en question. Tout "estoppel" irait
à l'encontre de l'article 51, même si le surinten-
dant général s'est présenté comme étant autorisé à
signer le bail et qu'en conséquence, le club a
dépensé de l'argent pour améliorer la propriété.»
Aux pages 219 et 220 R.C.S., le juge Rand a
tenu les propos suivants:
[TRADUCTION] Je conviens cependant que l'art. 51 requiert
un ordre du gouverneur en conseil pour valider une concession
de terre indienne. Le libellé de la loi consacre le principe acquis
que les autochtones sont, en fait, des pupilles de l'État, dont la
subsistance et le bien-être constituent une obligation politique
du niveau le plus élevé. Pour cette raison, tout acte qui affecte
leurs privilèges doit être marqué au coin de l'approbation
gouvernementale, et le gouverneur en conseil commettrait un
excès de pouvoir s'il délégait cette responsabilité au surinten-
dantgénéral.
Mais les circonstances de la présente espèce excluent toute
délégation de pouvoir. Le décret autorise la signature d'un bail
d'une durée définie à certaines conditions. De par son libellé, le
bail devrait prendre fin, même après avoir été reconduit, dans
un délai de dix ans; et cet acte rend le décret inopérant.
On a fait valoir que Sa Majesté est irrecevable à contester le
bail, mais on ne peut faire valoir d'«estoppel» à l'encontre d'une
disposition expresse d'une loi: (Gooderham & Worts Ltd. v.
C.B.C., [1947] 1 D.L.R. 417; [1947] A.C. 66) et, à plus forte
raison, lorsque la loi est conçue pour protéger les intérêts de
personnes dont le législateur se préoccupe de façon spéciale. Il
faut qu'il apparaisse—et les fiduciaires initiaux le savaient
bien—que le bail a été conclu sur l'ordre du gouverneur en
conseil, et les faits qui ont été portés à notre connaissance
démontrent qu'aucun ordre de ce genre n'a été donné.
Sur la question de l'«estoppel» lorsqu'on en est
présence d'une opération nulle par opposition à
une opération annulable, ou sur la question de
l'incompétence lorsqu'une question de droit public
est soulevée, la bande demanderesse cite Adminis
trative Law de Wade, 5 e édition, Clarendon Press,
Oxford, à la page 33:
[TRADUCTION] En droit public, la restriction la plus évidente
à la doctrine de l'«estoppel» est qu'on ne peut l'invoquer de
manière à accorder à une autorité des pouvoirs qu'elle ne
possède pas en droit. En d'autres termes, aucun «estoppel» ne
peut légitimer un acte qui est ultra vires. Ainsi, dans une
affaire où les services de l'électricité n'avaient pas suffisam-
ment réclamé à un client pendant deux ans à la suite d'une
erreur de lecture d'un compteur, il a été statué que les comptes
qu'ils avaient envoyés ne les empêchaient pas de réclamer le
paiement intégral, étant donné que la loi les obligeait à perce-
voir le montant en entier et qu'ils n'avaient pas le pouvoir de
faire remise au client, de façon expresse ou autrement. Il a été
jugé que l'acquiescement d'un propriétaire foncier ne l'empê-
chait pas de nier par la suite la validité d'un avis de désistement
invalide que lui avait signifié un conseil local d'aménagement
du territoire. On a également statué qu'un conseil municipal
qui n'avait pas le pouvoir de permettre à un quartier voisin de
se servir de ses égouts, n'était pas irrecevable, en raison de son
long acquiescement, à mettre fin à cette entente. Dans une
affaire où un ministre avait pris possession d'un bien-fonds en
vertu de pouvoirs législatifs d'occupation qui ne s'étendaient
pas à l'octroi de baux, le tribunal a jugé qu'il n'était pas
irrecevable à nier qu'il avait octroyé un bail, même s'il avait
prétendu expressément «louer» le bien-fonds à un «locataire».
On en est arrivé au même résultat dans une affaire où le
locateur présumé était une administration locale qui n'avait pas
obtenu le consentement requis du ministre, ce qui rendait le
bail nul. Il était donc loisible à l'administration locale de nier la
validité de son propre «bail», contrairement aux règles qui
régissent la location privée. Aucune entente conclue entre les
parties ne pouvait empêcher l'une ou l'autre d'entre elles d'af-
firmer que le bail était ultra vires et nul.
Par ailleurs, le juge Tysoe, J.C.A. a fait observer
ce qui suit au sujet de l'application de la Règle 4,
O. 25 des Règles de la Cour suprême de la Colom-
bie-Britannique dans l'arrêt Minnes v. Minnes
(précité, à la page 505 D.L.R.);
[TRADUCTION] À mon humble avis, ce n'est que dans les cas
évidents et manifestes que l'on devrait recourir à la procédure
sommaire prévue à la Règle 4, 0. 25, et le pouvoir conféré par
cette Règle ne devrait être exercé que lorsque le cas ne fait
absolument aucun doute. Dès lors que la déclaration, dans sa
forme actuelle ou dans sa version modifiée, révèle l'existence
d'une question propre à être jugée par un juge ou un jury, le
seul fait que la cause soit faible ou qu'elle ne réussira probable-
ment pas ne justifie pas la radiation de la déclaration. Si
l'action implique l'examen de questions sérieuses de droit ou
d'importance générale, ou si - les faits doivent être constatés
avant que les droits puissent être tranchés de façon définitive, la
Règle ne devrait pas être appliqué.
Finalement, je signalerai dans quelle mesure on
a fait appel à des «considérations particulières» et à
l'«équité» dans la jurisprudence pour décider si une
action devait être radiée. On trouve ces qualifica-
tifs dans les arrêts Henderson v. Henderson (pré-
cité); Lehndorff Management Ltd. et al. v. L.R.S.
Development Enterprises Ltd.; et Hunter v. Chief
Constable of the West Midlands Police (précité).
Je mentionne ces affaires parce que la bande a
souligné l'injustice que comportait le montant
accordé en dommages-intérêts par le juge Collier
dans l'affaire précédente et le rendement relative-
ment faible du loyer en comparaison du rendement
éventuel de la valeur marchande actuelle présumée
des terrains loués. Ces circonstances particulières
sont telles, suivant la bande, que, toutes choses
étant égales par ailleurs, on devrait maintenant
donner à la bande une autre possibilité d'obtenir
justice, et cet objectif ne peut être atteint qu'en
expulsant le club et en obtenant la possession
immédiate des terrains.
ÉTUDE DES FAITS
Chacune des affaires citées par les parties a
évidemment un fondement factuel. C'est dans les
limites de ce fondement factuel que l'on peut
dégager tout le sens des principes posés par les
tribunaux et qu'on peut bien les interpréter.
Comme la Cour suprême du Canada a coutume de
dire, il n'est pas facile d'interpréter une loi hors
contexte. Cela vaut également, à mon avis, pour
l'interprétation de la doctrine judiciaire.
Le fondement factuel relatif à la cession et au
bail se trouve dans les motifs de jugement fouillés
et réfléchis qu'a prononcés le juge Collier à la suite
de l'instruction de l'action initiale. Je me réfère à
ce jugement tel qu'il a été publié à [1982] 2 C.F.
385. Dans les conclusions qu'il devait tirer lors de
ce procès, le juge Collier devait se concentrer sur
des événements qui s'étaient produits quelque
vingt-cinq années plus tôt. Il lui fallait passer en
revue les dépositions de témoins qui devaient se
remémorer ces événements. Il devait apprécier
diverses déclarations qui étaient faites par des
survivants et que ces derniers imputaient à des
personnes alors décédées. Il devait interpréter les
événements à partir du récit incomplet qui lui en
était fait et en se replaçant dans le contexte social
et économique de 1957. Le temps ne s'était pas
arrêté en 1982. Le juge Collier se trouvait néces-
sairement devant une version revue des faits et il
devait évidemment faire attention, en l'examinant,
de ne pas la modifier.
Par ailleurs, l'opinion des participants sur leur
propre motivation et sur le rôle qu'ils avaient joué
lors d'événements qu'ils relataient une génération
complète plus tard comportait des risques de
manque de précision, d'obscurité ou d'ambiguïté,
ou de transposition d'un système de valeurs plus
actuel que celui qui existait en 1957 en ce qui
concerne les rapports entre Sa Majesté et les
Indiens.
Le juge Collier a reconnu qu'il avait eu de la
difficulté à surmonter ces problèmes, mais sur ses
conclusions de fait et sur les questions de crédibi-
lité, il n'a pas fait de remplissage. Il a ajouté foi au
témoignage des membres de la bande et n'y a
trouvé aucun élément de reconstitution ou d'après
coup. Il a conclu que même si le projet de location
à bail de 162 acres de terres de la réserve pour
l'aménagement d'un terrain de golf était primor
dial dans l'esprit de la bande et de la Couronne,
d'autres personnes s'étaient dites intéressées par
les terrains mais que la bande n'en n'avait pas été
informée. Il a examiné en détail l'évaluation de
quelque 5 500 $ l'acre attribuée aux terrains, ainsi
que le témoignage donné par l'évaluateur, M.
Howell, au sujet de ce que serait un rendement
équitable pour la bande d'après le taux bancaire de
3,75 % applicable à l'époque. Le juge Collier a
expressément conclu que la bande n'avait été ni
informée de l'écart qui existait entre les différentes
estimations du loyer annuel prévu avant la pre-
mière reconduction, ni de la période de quinze ans,
ni des limites imposées relativement au loyer
annuel payable à la fin de la première période de
quinze ans, ni de la réserve stipulée au bail suivant
laquelle toutes les améliorations ne retourneraient
pas à la bande et suivant laquelle le club se
réservait le droit de résilier le bail à l'expiration de
chaque reconduction de quinze ans.
À la page 413, le juge Collier conclut en outre
que la prépondérance de preuve montre que la
majorité des membres de la bande qui ont voté sur
la cession le 6 octobre 1957 n'y auraient pas
consenti s'ils avaient connu toutes les conditions du
bail intervenu entre la Couronne et le club le 22
janvier 1958. Il a également conclu, et cela est tout
aussi important, que le club n'aurait pas conclu de
bail autrement.
À la page 415, le juge Collier conclut, d'après
l'ensemble des faits portés à sa connaissance, que
la Couronne était responsable d'un manquement à
une fiducie.
Le juge Collier aborde ensuite le problème de
l'évaluation des dommages. Il fait allusion, à la
page 420, la location par Musqueam Recreations
Ltd. de quelque 58 acres supplémentaires de terres
de réserve qui avaient fait l'objet de soumissions
publiques. Un bail avait été conclu en 1963. Ce
bail prévoyait:
a) des loyers annuels fixes pour les première,
deuxième et huit autres des dix premières
années du bail;
b) des loyers annuels fixes pour les reconduc-
tions décennales subséquentes à négocier; à
défaut d'entente, les loyers seraient fixés selon
les dispositions de la Loi sur la Cour de l'Échi-
quier [R.C.S. 1970, chap. E-11];
c) le loyer annuel payable ne serait jamais infé-
rieur à 10 % du revenu brut du locataire;
d) aucun hausse ou baisse de loyer, pour une
nouvelle reconduction décennale, ne dépasserait
15 % du loyer annuel fixe des 10 années
précédentes;
e) les améliorations apportées aux biens-fonds
loués reviendraient à la bande.
Aux pages 430 et suivantes, Sa Seigneurie
donne des détails sur les diverses analyses faites
par des experts au sujet de la valeur des biens-
fonds et de leur utilisation optimale, qui serait,
selon lui, la conclusion de baux résidentiels de 99
ans. Il ventile les diverses valeurs annuelles du
loyer, conclut que l'évaluation initiale de 5 500 $
l'acre attibuée aux biens-fonds en 1956 ne consti-
tuait pas un manquement à une fiducie et il ana
lyse plus loin les diverses estimations des pertes
subies par ailleurs par la bande. Il se réfère ensuite
à un schéma d'aménagement publié en décembre
de 1956 par les services fonciers de la Colombie-
Britannique dans lequel on recommandait le lotis-
sement massif d'une grande partie des terrains de
dotation de l'Université qui sont biens connus et
qui sont contigus à la réserve indienne Musqueam.
Bien que le juge Collier ne le mentionne que
brièvement, ce rapport a été produit en entier pour
les fins de la requête dont je suis saisi. Il compte
quelque 125 pages et est le fruit du travail d'une
demi-douzaine de ministères de la Colombie-Bri-
tannique et d'une centaine de consultants et de
collaborateurs. Je donne ici un résumé de ce
rapport.
Les terrains en cause contenaient quelque 1740
acres et les auteurs du rapport concluaient que
pour garantir une dotation permanente en faveur
de l'Université de la Colombie-Britannique au
taux de rendement le plus élevé, la solution exi-
geait des baux de 99 ans pour des habitations
résidentielles, des centres commerciaux et d'autres
installations d'appui.
À la page 100 du rapport, après avoir fait état
d'une période de mise en œuvre de 15 ans pour le
projet, les auteurs déclarent:
[TRADUCTION] On estime qu'une fois entièrement loti, le
terrain rapportera plus de 1 000 000 $ par année en revenus
directs.
Je constate que les terrains de dotation de l'Uni-
versité ont une superficie dix fois plus grande que
celle qui est en cause dans le bail conclu entre la
Couronne et le club. Je constate également que
toutes les données et tous les calculs du rapport
sont basés sur des valeurs de 1956. Il n'y a là-
dedans ni rétrospection, ni sagesse d'après coup, ni
interpolation ex post facto.
CONCLUSIONS
À la base de toute le litige dont je suis saisi, il y
a la conviction de la bande—peu importe que cette
conviction soit récente ou plus ancienne—qu'elle a
été injustement privée de ses 162 acres et que ses
intérêts financiers ont été gravement lésés. Les
événements entourant les négociations et les com
munications entre la bande et la Couronne et la
divulgation des conditions du bail quelque vingt
ans plus tard évoquent l'intrigue, la complaisance
et la condescendance dont la Couronne a fait
preuve pour priver la bande de ses droits sur les
terres de la réserve. C'est également ce que fait
ressortir l'affectation actuelle des terres de la
réserve comme club de golf et de loisirs dont seuls
les membres choisis jouissent du privilège de par-
courir les quelque 162 acres de somptueuses pelou-
ses et de terrains onduleux.
Aucun des commentaires que je pourrais faire à
cet égard n'éliminera cet aspect sombre et trou-
blant ou ne dissipera le doute persistant qu'une fois
de plus on a nié les droits individuels et collectifs
de la bande qui sont rendus d'autant plus évidents
à mesure que les gens en prennent collectivement
conscience. Le seul recours de la bande consiste à
trouver un moyen d'obtenir plus d'argent ou,
encore mieux, de faire annuler le bail actuel, d'ob-
tenir la possession des terres et de les réaménager.
La position qu'a adoptée la bande à l'audience
qui s'est déroulée devant moi est très claire sur ce
point. La bande en est venue à la conclusion,
quelque quatre ans après que la Cour suprême du
Canada eut tranché la question de façon définitive,
que le montant de 10 000 000 $ qui lui avait été
accordé en dommages-intérêts n'était pas suffisant,
qu'il était injuste, qu'il reposait sur des hypothèses
erronées, qu'il ne tenait pas compte de la valeur
actuelle du terrain et du rendement annuel raison-
nable qu'on pouvait s'attendre à en tirer.
Il n'y a pas de doute que si l'on envisage la
question sur le plan économique dans l'optique
d'aujourd'hui, les terres de la réserve ont présente-
ment une valeur qui dépasse de beaucoup la valeur
fixée en 1957, laquelle, je le répète, a été jugée
juste et raisonnable pour l'époque par le juge de
première instance. Il n'y a pas non plus de doute
que certaines des conditions du bail actuel ne sont
pas favorables à la bande ou, du moins, ne sont pas
les conditions auxquelles, suivant le juge de pre-
mière instance, la bande aurait pu raisonnable-
ment s'attendre. Je songe, à cet égard, aux recon-
ductions de 15 ans par opposition aux
reconductions de 10 ans, aux restrictions imposées
aux rajustements de loyer pendant la première
période de reconduction et à la perte du droit de
retour sur les améliorations locatives.
En revanche, le terrain était cédé dans le but d'y
aménager un terrain de golf et cette modalité a été
respectée. De plus, les parties se sont entendues sur
la durée de 75 ans ainsi que sur le principe du
rajustement du loyer à chaque reconduction par
entente ou par arbitrage:Le loyer annuel pour la
première période a aussi, suivant mon interpréta-
tion des conclusions du juge du procès, fait l'objet
d'une entente.
Je n'ai pas oublié la réserve du bail suivant
laquelle les reconductions de 15 ans constituaient
en fait une option que le preneur pouvait lever. Je
ne peux m'empêcher de faire remarquer que ce
genre de clause est loin d'être inconnue dans le cas
d'un bail à long terme lorsque les terrains loués
nécessitent des améliorations considérables des
immobilisations et que le loyer est périodiquement
révisé. Si le bailleur ne peut se prévaloir d'une telle
clause conditionnelle, c'est simplement parce que
le risque est supporté exclusivement par le preneur.
De toute façon, ce qu'il y a d'ironique dans tout
cela c'est que la bande serait maintenant parfaite-
ment heureuse si le club levait son option et renon-
çait au bail.
Dans les remarques qui précèdent, je n'ai pas
essayé de faire la part des choses en ce qui con-
cerne les tiraillements qui ont marqué les négocia-
tions du bail. Le juge de première instance a
conclu, à la page 430, que «le personnel de la
Direction des affaires indiennes, en contractant le
bail du club de golf, a agi, à mon avis, honnête-
ment. Il n'y pas eu malhonnêteté délibérée ni
volontaire envers la bande indienne. Mais le per
sonnel et, en dernier ressort, la défenderesse, n'ont
pas agi en bon père de famille en signant un bail
sans se représenter d'abord devant la bande
indienne».
Cette conclusion du juge de première instance
s'accorde avec la conclusion suivant laquelle la
Couronne a commis un manquement reconnu en
«equity» à ses obligations de fiduciaire. Le juge
applique le critère de la raisonnabilité à l'ensemble
de la transaction et il conclut que la Couronne ne
s'est pas rendue coupable de fraude au sens usuel
du terme, mais qu'elle n'a pas apporté aux négo-
ciations tout le soin et l'attention auxquels on
s'attend de la part d'un bon fiduciaire.
On se rappelera que la question à laquelle le
juge de première instance devait répondre était
celle de savoir s'il y avait eu manquement à une
fiducie et, dans l'affirmative, quel serait le mon-
tant qu'il convenait d'accorder en dommages-inté-
rêts à la bande pour replacer celle-ci dans la
situation financière qui se rapprocherait le plus de
celle dont elle aurait autrement bénéficié.
Pour ce faire, le juge de première instance a dû
tenir compte du fait que la valeur de la propriété
franche des terrains loués avait décuplé entre 1958
et 1978. Il lui a également fallu aborder et analy
ser une quantité d'hypothèses avancées par divers
évaluateurs experts et conclure que les dommages
devaient être évalués suivant la formule de la
valeur optimale, c'est-à-dire, en l'espèce, la conclu
sion de baux résidentiels de 99 ans. Aux pages 441
et 442 de ses motifs, il énumère divers facteurs et
événements qui l'ont guidé pour en arriver au
montant de dix millions de dollars en dommages-
intérêts. Les voici:
a) La difficulté de déterminer le moment du
lotissement des 162 acres, la manière d'y procé-
der et leur rendement pécuniaire, le tout, en
présumant que le bail actuel n'aurait jamais été
conclu.
b) La possibilité que la superficie aurait pu,
jusqu'à aujourd'hui même, n'être lotie d'aucune
manière satisfaisante ni n'avoir fourni aucun
rendement économique normal.
c) La hausse incroyable de la valeur des ter
rains, la montée de l'inflation et des taux d'inté-
rêt depuis 1958 et l'impossibilité, en 1958, de les
prévoir.
d) La réciproque de c), soit que ces fameuses
hausses doivent être prises en compte dans toute
attribution de dommages-intérêts.
e) La possibilité que le bail en cours reste en
vigueur jusqu'à son terme, en 2033.
f) La possibilité non moins réelle, à son avis,
que le bail soit résilié à la prochaine
reconduction.
g) Les loyers perçus par les demandeurs à ce
jour en vertu du bail en vigueur et ce qu'ils
pourraient percevoir à l'avenir si le bail
demeurait.
h) La valeur de retour des améliorations tant à
l'arrivée du terme des baux résidentiels de 99
ans payés à l'avance qu'à l'arrivée de celui du
bail du club de golf.
Si la Cour suprême n'a pu trouver rien à redire
sur cette méthode particulière d'évaluation des
dommages-intérêts, je ne le puis pas non plus.
DISPOSITIF
À titre de préambule à mon dispositif, je me
permets de citer les commentaires formulés par le
juge le Dain, J.C.A. dans l'arrêt qui a été rendu
par la Cour d'appel fédérale le 10 décembre 1982
et qui est publié à [1983] 2 C.F. 656; (1982), 143
D.L.R. (3d) 416. Sa Seigneurie déclare, à la page
687 C.F.:
Il importe de rappeler qu'il s'agit uniquement d'une action
pour manquement à une fiducie et non d'une action en annula-
tion de la cession et de l'aliénation de l'immeuble cédé qui
serait fondée sur la fraude ou l'inexécution des conditions de la
cession. Ce n'est pas une action pour négligence dans l'exercice
d'un pouvoir légal relatif à l'aliénation du terrain d'une réserve.
Enfin ce n'est pas non plus une action en rectification des
conditions de la cession du bien-fonds d'une réserve.
Je citerai également les commentaires formulés
par le juge Dickson, maintenant juge en chef, à la
page 371 des motifs du jugement de la Cour
suprême du Canada publiés à [1984] 2 R.C.S.
335:
Les demandeurs ont fondé leur action sur le manquement
aux obligations de fiduciaire, en prétendant que Sa Majesté du
chef du Canada était fiduciaire des terres cédées. Le juge de
première instance a partagé ce point de vue.
Voilà la question qui était soumise au juge de
première instance. La même question a été débat-
tue devant la Cour d'appel. Elle a fait à nouveau
l'objet d'un débat de trois jours devant la Cour
suprême du Canada. Il a finalement été décidé
d'indemniser la bande des dommages qu'elle avait
subis et de garantir à ses membres le niveau de
rendement économique dont ils auraient autrement
bénéficié.
Suivant la lecture que je fais des divers juge-
ments qui ont été rendus sur le sujet, la question de
la validité de la cession ou du bail n'a été soulevée
ni au procès ni au cours des appels successifs.
Aucun de la douzaine de juges qui ont été saisis de
l'affaire à un niveau ou à un autre n'a évoqué, de
façon hypothétique ou autre, la question de la
validité.
Je souscris aux vues exprimées dans les arrêts
Henderson v. Henderson et Hoystead (précités)
suivant lesquelles on s'attend à ce que les parties
fassent valoir tous leurs moyens et qu'on ne peut
leur permettre, sauf dans des circonstances parti-
culières, de perpétuer le litige en découvrant de
nouveaux moyens d'action. Comme lord Shaw l'a
déclaré, s'il en était ainsi, on ne mettrait fin à un
litige qu'après avoir épuisé toute ingéniosité
juridique.
Je souscris également aux vues exposées ulté-
rieurement par lord Denning dans l'arrêt Hunter,
par le juge Lyon, J.C.A. dans l'arrêt Solomon et
par le juge en chef McEachern dans l'arrêt Saska-
toon Credit Union, suivant lesquelles que l'affaire
relève ou non de la question complexe de l'autorité
de la chose jugée ou de l'«issue estoppel» avec
toutes leurs subtilités historiques, on ne doit pas lui
permettre d'être entendue si cela crée un abus de
procédure.
Dans l'espèce qui m'est soumise, l'approche de
la bande consistait à réclamer des dommages-inté-
rêts pour manquement à une fiducie. Elle n'a
réclamé rien d'autre, à titre subsidiaire ou autre-
ment. Elle a réclamé des dommages-intérêts et elle
a obtenu des dommages-intérêts.
La bande a bénéficié des avantages du bail
pendant plus de trente ans. Elle a joui des avanta-
ges d'un montant de dix millions de dollars pen
dant au moins cinq ans. Au cours de la même
période, le club a versé son loyer annuel et a
dépensé des sommes d'argent considérables pour
aménager des parcours et pour construire des ins
tallations pour le club. Devrait-on maintenant per-
mettre à la bande de repartir à zéro en demandant
la rescision du bail en se fondant sur des faits
identiques à ceux qu'elle a déjà invoqués? À mon
avis, il faut répondre par la négative. Selon moi,
cela constituerait un abus de procédure.
La jurisprudence que j'ai citée semble apporter
des nuances à l'application du principe de l'«issue
estoppel» ou de l'autorité de la chose jugée et, à
vrai dire, de celui de l'abus de procédure, en
exigeant que l'on tienne compte des «circonstances
particulières». Suivant mon interprétation de ces
termes tels qu'on les trouve dans l'arrêt Hender-
son, le tribunal est tenu de faire preuve de pru
dence lorsqu'on lui demande d'appliquer le prin-
cipe et d'empêcher une action d'être entendue. Il
arrive souvent que des circonstances spéciales
entourent des cas particuliers et que, comme la
jurisprudence nous l'enseigne, certaines soient spé-
ciales au point d'inviter le tribunal, dans l'exercice
de son pouvoir discrétionnaire, à laisser une affaire
donnée suivre son cours.
L'avocat de la bande prétend qu'il existe en
l'espèce des circonstances particulières, motif pris
que le montant de dix millions de dollars qui a été
accordé est loin de constituer une indemnité suffi-
sante. L'avocat laisse entendre que la valeur
actuelle des terrains loués approche du seuil des
100 millions de dollars ce qui devrait rapporter à
la bande dix millions de dollars en revenu annuel
selon la méthode du rendement perpétuel, une
somme qui dépasse de beaucoup le revenu locatif
actuel ou projeté.
À mon humble avis, cela ne prouve rien. Si l'on
doit ajouter foi à ces calculs, on devrait tout aussi
énergiquement soutenir qu'un montant de dix mil
lions de dollars (majoré des intérêts) accordé en
1984 à un taux d'intérêt composé de dix pour cent
par année jusqu'à l'échéance du bail aurait une
valeur de 1 280 milliards de dollars en 2033.
Même à taux simple, un fonds de dix millions de
dollars rapporte au bénéficiaire un revenu annuel
perpétuel d'un million de dollars, auquel il faut
ajouter la valeur toujours croissante de l'intérêt
réversif. Dans un cas comme dans l'autre, cela
pourrait constituer un patrimoine non négligeable
à laisser à ses descendants.
Je me permets de signaler qu'en matière de baux
à long terme, le rendement annuel du loyer est un
facteur dont il faut tenir compte en plus de l'inté-
rêt réversif sur la propriété franche. On pourrait
l'exprimer comme un élément de souffrance à
court terme se mêlant à un élément de profit à plus
long terme. Ce mélange dépend évidemment de la
stratégie financière du bénéficiaire et de la façon
dont il décide d'administrer le capital qu'il a en
main en le dépensant ou en le faisant fructifier en
tout ou en partie. La question de savoir dans quelle
mesure un tel bénéficiaire pourrait être prudent ou
imprudent dans un cas donné ne nous intéresse
évidemment pas en l'espèce.
J'ai pris la peine dans les présents motifs de
faire état des diverses analyses et conclusions du
juge de première instance en ce qui concerne l'uti-
lisation optimale des terrains, leur valeur à l'acre
en 1956 et la hausse accélérée de la valeur des
terrains pendant les vingt premières années du bail
de 75 ans. Le juge de première instance a conclu
que la valeur de 5 500 $ l'acre en 1956 était un
chiffre raisonnable. Il a également conclu que
l'utilisation optimale des terrains était la conclu
sion de baux résidentiels de 99 ans. Son analyse du
montant des dommages-intérêts repose fermement
sur ses prémisses.
J'ai également fait allusion au schéma d'aména-
gement publié en 1956 au sujet de l'aménagement
futur des terres de dotation de l'Université situées
à Point Grey. Ce schéma établit également la
valeur de la superficie, propose un projet de 99 ans
pour l'habitation résidentielle et prévoit de façon
générale un scénario de création d'une dotation
perpétuelle en faveur de l'Université de la Colom-
bie-Britannique. Le rendement que l'on estime
pouvoir obtenir en vertu de cette formule, si le
développement des services et d'autres projets est
financé, se chiffre à un minimum de deux millions
de dollars par année. Le revenu directement impu-
table au terrain se chiffrerait, comme je l'ai déjà
noté, à plus d'un million de dollars par année. On
peut observer que ce montant d'un million de
dollars par année est calculé en fonction d'une
superficie de plus de 1700 acres. On peut égale-
ment observer que le montant de dix millions de
dollars qui a été adjugé rapporte également un
million de dollars par année de façon perpétuelle,
mais qu'il est calculé en fonction d'une superficie
de 162 acres, soit moins de dix pour cent de la
superficie des terres de dotation de l'université. La
comparaison est frappante.
En plus du revenu substantiel que lui rapporte
l'indemnité de dix millions de dollars, la bande a
également droit à un loyer annuel rajusté à chaque
reconduction de 15 ans. Les avocats m'ont informé
que les parties avaient entamé des négociations en
vue de fixer un loyer annuel pour la reconduction
de 15 ans commençant en 1987. À défaut d'en-
tente, le loyer sera fixé par voie d'arbitrage. Quel
que soit le montant fixé, il sera attribué à la bande
à titre d'avantage annuel supplémentaire.
Je ne voudrais pas que l'on interprète mes com-
mentaires comme une conclusion que les membres
de la bande devraient être très heureux de ce qu'ils
ont. Il suffira que j'affirme qu'à mon avis, la bande
n'a pas établi qu'elle a subi une injustice qui
mérite que l'on tienne compte de circonstances
particulières et qui rendrait par ailleurs sa nouvelle
action moins abusive ou ferait que cette dernière
mérite davantage un traitement favorable. Je con-
clus que dans la mesure du possible, dans notre
système juridictionnel, lorsqu'un tribunal est
appelé à se pencher sur une indemnité pécuniaire
pour un préjudice financier, j'estime, tout comme
le juge de première instance et les juges de la Cour
suprême du Canada, que le montant adjugé est
juste et raisonnable.
Je n'ai pas oublié l'argument de l'avocat de la
bande suivant lequel l'action soulève de nouveaux
motifs de droit public et de pouvoir public et que la
Cour est maintenant invitée à considérer la cession
et le bail comme nuls ab initio en raison de l'arrêt
St. Ann's Fishing Club (précité), dans lequel il a
été décidé qu'on ne peut faire valoir d'«estoppel» à
l'encontre d'une disposition expresse d'une loi.
C'est peut-être vrai, pour ce qui est de cela. On
se rappelera cependant que dans cette affaire, la
Loi sur les Indiens prévoyait en des termes explici-
tes que les terres indiennes ne pouvaient être
louées qu'en vertu d'un décret. Cette disposition
législative a depuis longtemps été modifiée. On
constate également que l'arrêt de la Cour était
fondé sur une action initiale et non sur une action
ultérieure.
J'admets que lorsqu'elle est saisie d'une action
initiale qui est formulée comme la présente et
qu'on lui demande de la radier en vertu de l'article
419(1)a) des Règles au motif qu'elle ne révèle
aucune cause d'action raisonnable, la Cour hési-
tera peu à entendre l'action. Ce n'est toutefois pas
le cas en l'espèce et ma décision ne repose pas sur
de tels motifs.
En outre, je ne suis pas convaincu que les ques
tions qui sont soulevées dans la présente action
sont nouvelles au sens où l'entend l'avocat de la
bande. Toute l'action précédente constituait, à
mon sens, un débat formalisé sur le droit public et
l'autorité publique et la bande elle-même fondait
son action sur le postulat que la cession et le bail
qui en avait résulté étaient tous les deux valides et
exécutoires. Il ne m'appartient pas de décider si le
cours des événements aurait été différent si leur
validité avait été soulevée dans l'action précédente.
À mon sens, cette question ne peut plus être un
sujet qui mérite l'attention de la Cour. L'intérêt
qu'on pourrait y avoir relève maintenant de l'hypo-
thèse, de la spéculation et de la conjecture.
À mon avis, compte tenu de toutes les circons-
tances que j'ai exposées, l'action intentée par la
bande constitue, pour reprendre les termes de la
loi, un abus de procédure, et on ne devrait pas lui
permettre d'être entendue. La déclaration est donc
radiée, et les dépens seront adjugés aux défendeurs
s'ils les réclament.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.