T-218-88
Commissaire à l'information du Canada (requé-
rant)
c.
Secrétaire d'État aux Affaires extérieures
(intimé)
RÉPERTORIÉ: CANADA (COMMISSAIRE À L'INFORMATION) c.
CANADA (SECRÉTAIRE D'ÉTAT AUX AFFAIRES EXTÉRIEURES)
(1n INST.)
Section de première instance, juge Dubé—Ottawa,
1°" et 7 novembre 1989.
Accès à l'information — Le Secrétaire d'État aux Affaires
extérieures refuse de communiquer des renseignements conte-
nus dans des formulaires de commandes subséquentes utilisés
par les organismes gouvernementaux qui demandent des servi
ces de personnel intérimaire dans le cadre d'une entente en
vertu de laquelle des entrepreneurs déposent une «offre per-
manente» principale pour les services temporaires visés dans
l'offre — Lorsque les services sont requis, un formulaire «de
commandes subséquentes» est délivré à l'entrepreneur qui
fournit et paye l'employé — Demande fondée sur l'art. 42(1)a)
de la Loi sur l'accès à l'information en vue d'obtenir une
révision du refus — Demande accueillie — La classification de
sécurité comprise dans les formulaires de «commandes subsé-
quentes» peut être divulguée en vertu de la Loi sur l'accès à
l'information car il ne s'agit pas d'un renseignement personnel
au sens de l'art. 3 de la Loi sur la protection des renseigne-
ments personnels, même lorsqu'elle est liée aux noms des
personnes qui ont occupé le poste — La classification de
sécurité ne constitue pas un renseignement protégé car elle
porte sur la nature de la prestation de services et non sur la
personne.
Protection des renseignements personnels — La classifica
tion de sécurité dans un formulaire «de commandes subsé-
quentes» de personnel intérimaire engagé en vertu d'une «offre
permanente» ne constitue pas un renseignement personnel au
sens de l'art. 3 même lorsqu'elle est liée aux noms des person-
nes qui ont occupé le poste — Même si la classification de
sécurité constitue un renseignement personnel, elle s'inscrirait
dans le cadre de l'exclusion que prévoit l'art. 3k) parce qu'elle
porte sur la nature de la prestation de services et non sur la
personne.
Interprétation des lois — Demande en vue d'obtenir une
révision du refus d'un ministère du gouvernement de commu-
niquer des renseignements demandés en vertu de la Loi sur
l'accès à l'information qui comprennent des classifications de
sécurité qui figurent sur des formulaires «de commandes
subséquentes» — «Renseignements personnels» aux termes de
l'art. 3k) de la Loi sur la protection des renseignements
personnels — Différence entre les textes français et anglais —
La version qui reflète le mieux le but de l'article interprété
dans le contexte de la Loi et compte tenu de l'esprit de la Loi
doit être adoptée — L'objet ressort clairement de l'interpréta-
tion conjointe de l'art. 2 de la Loi sur l'accès à l'information et
de l'art. 3 de la Loi sur la protection des renseignements
personnels: les renseignements doivent être communiqués au
public à l'exception des renseignements personnels concernant
les individus — Les renseignements concernant un poste ne
constituent pas des renseignements personnels, que l'individu
travaille pour le gouvernement à titre d'employé (art. 3j)) ou
en vertu d'un contrat (art. 3k)) — Le texte français prévoirait
une plus grande protection des renseignements personnels à la
personne qui est engagée par le gouvernement par l'entremise
d'une agence de personnel — Il n'y a pas de raison pour un
traitement différent — Il s'agit simplement d'une mauvaise
traduction — Demande accueillie.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Lois sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), chap.
A-1, art. 19, 42(1)a), 49.
Loi sur la protection des renseignements personnels,
L.R.C. (1985), chap. P-21, art. 2, 3.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
R. c. Compagnie Immobilière BCN Ltée, [ 1979] 1 R.C.S.
865; [1979] C.T.C. 71; (1979), 79 DTC 5068; sous le
nom de Cie Immobilière BCN c. M.R.N., 25 N.R. 361.
DOCTRINE
Beaupré, Rémi Michael Interprétation de la législation
bilingue, Montréal: Wilson et Lafleur Ltée, 1986.
AVOCATS:
M. L. Phelan, P. J. Wilson et Paul B. Tetro
pour le requérant.
Wendy E. Burnham et P. Dubrule pour
l'intimé.
PROCUREURS:
Osier, Hoskin & Harcourt, Ottawa, pour le
requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE DUBÈ: Il s'agit d'une demande fondée
sur l'alinéa 42(1)a) de la Loi sur l'accès à l'infor-
mation' présentée par le Commissaire à l'informa-
tion du Canada («le Commissaire») en vue d'obte-
nir une révision du refus du Secrétaire d'État aux
L.R.C. (1985), chap. A-1.
Affaires extérieures («le Ministère») de communi-
quer certains renseignements demandés par
Michael A. Dagg le 1e' décembre 1986, savoir
des «commandes subséquentes» traitées par le
Ministère au cours des mois de juillet et août 1986.
Par suite de la demande de M. Dagg, le Minis-
tère a communiqué quatre-vingt documents consti-
tués de formulaires désignés sous le nom de «com-
mandes subséquentes à une offre permanente».
Vingt-cinq de ces documents contenaient les classi
fications de sécurité exigées relativement aux
emplois occupés par des employés temporaires
affectés aux postes. Le Ministère a soutenu qu'il
pouvait refuser de communiquer ces classifications
de sécurité en application de l'article 19 de la Loi
sur l'accès à l'information parce qu'il s'agissait de
renseignements personnels. M. Dagg a porté
plainte auprès du Commissaire.
Ces formulaires de commandes subséquentes
sont utilisés par les organismes gouvernementaux
qui demandent des services de personnel intéri-
maire dans le cadre d'une entente administrée par
le ministère des Approvisionnements et Services en
vertu de laquelle diverses personnes, morales ou
physiques, déposent au Ministère, de façon pério-
dique, une «offre permanente» principale pour les
services temporaires visés dans l'offre. Lorsqu'un
Ministère du gouvernement requiert les services
d'employés temporaires, il délivre un «formulaire
de commandes subséquentes» à l'un des proposants
visés à l'offre permanente. L'employé temporaire
est alors affecté au Ministère demandeur pour
fournir les services requis. L'employé est payé par
l'agence de personnel qui fournit l'employé.
Dans sa réponse initiale à la demande de M.
Dagg, le Ministère a communiqué dans le cadre du
formulaire de commandes subséquentes, le nom
des employés. Le Commissaire à la protection de
la vie privée a conclu que le Ministère avait agi en
violation de la Loi sur la protection des renseigne-
ments personnels [L.R.C. (1985), chap. P-21] par
la divulgation de tels «renseignements personnels».
Le Ministère qui a donc été critiqué parce qu'il
avait communiqué les noms, n'allait pas aggraver
l'erreur en communiquant les renseignements rela-
tifs aux cotes de sécurité qui pourraient, en vertu
du fait que les noms avaient été communiqués,
révéler des renseignements personnels au sujet de
ces personnes.
Après avoir examiné la plainte, le Commissaire
à l'information a recommandé au Ministère de
divulguer les renseignements sur la classification
de sécurité, pour les motifs que ces renseignements
ne constituaient pas des «renseignements person-
nels» aux termes de l'alinéa 3k) de la Loi sur la
protection des renseignements personnels.
Le Ministère a encore refusé de communiquer
les renseignements demandés en matière de sécu-
rité. Toutefois, il convient de souligner à ce sta-
de-ci, qu'après la présente demande de révision, le
Ministère a reçu le consentement de quinze des
vingt-cinq personnes et a communiqué les classifi
cations de sécurité pertinentes. Les dix autres per-
sonnes n'ont pas donné de consentement soit parce
qu'elles n'ont pas répondu ou parce qu'elles n'ont
pas pu être retrouvées.
Par conséquent, deux questions doivent être
tranchées: (1) la classification de sécurité comprise
dans les demandes subséquentes constitue-t-elle un
renseignement personnel au sens de l'article 3 de la
Loi sur la protection des renseignements person-
nels lorsqu'elle est liée au nom des personnes qui
ont occupé le poste? (2) Dans l'affirmative, ce
renseignement constitue-t-il une exception aux fins
de l'article 19 de la Loi sur l'accès à l'informa-
tion?
Voici le texte du paragraphe 19(1) qui prévoit
que les «renseignements personnels» ne doivent pas
être communiqués:
19. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le responsable d'une
institution fédérale est tenu de refuser la communication de
documents contenant les renseignements personnels visés à
l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements
personnels.
L'article 3 d'interprétation de la Loi sur la
protection des renseignements personnels définit
les «renseignements personnels» de la manière
suivante:
3....
«renseignements personnels» Les renseignements, quels que
soient leur forme et leur support, concernant un individu
identifiable, notamment:
a) les renseignements relatifs à sa race, à son origine natio-
nale ou ethnique, à sa couleur, à sa religion, à son âge ou à sa
situation de famille;
b) les renseignements relatifs à son éducation, à son dossier
médical, à son casier judiciaire, à ses antécédents profession-
nels ou à des opérations financières auxquelles il a participé;
c) tout numéro ou symbole, ou toute autre indication identifi-
catrice, qui lui est propre;
d) son adresse, ses empreintes digitales ou son groupe
sanguin;
e) ses opinions ou ses idées personnelles, à l'exclusion de
celles qui portent sur un autre individu ou sur une proposition
de subvention, de récompense ou de prix à octroyer à un
autre individu par une institution fédérale, ou subdivision de
celle-ci visée par règlement;
J) toute correspondance de nature, implicitement ou explici-
tement, privée ou confidentielle envoyée par lui à une institu
tion fédérale, ainsi que les réponses de l'institution dans la
mesure où elles révèlent le contenu de la correspondance de
l'expéditeur;
g) les idées ou les opinions d'autrui sur lui;
h) les idées ou opinions d'un autre individu qui portent sur
une proposition de subvention, de récompense ou de prix à lui
octroyer, par une institution, ou subdivision de celle-ci, visée à
l'alinéa e), à l'exclusion du nom de cet autre individu si ce
nom est mentionné avec les idées ou opinions;
i) son nom lorsque celui-ci est mentionné avec d'autres
renseignements personnels le concernant ou lorsque la seule
divulgation du nom révélerait des renseignements à son sujet;
toutefois, il demeure entendu que, pour l'application des
articles 7, 8 et 26, et de l'article 19 de la Loi sur l'accès à
l'information, les renseignements personnels ne comprennent
pas les renseignements concernant:
j) un cadre ou employé, actuel ou ancien, d'une institution
fédérale et portant sur son poste ou ses fonctions,
notamment:
(i) le fait même qu'il est ou a été employé par l'institution,
(ii) son titre et les adresse et numéro de téléphone de son
lieu de travail,
- (iii) la classification, l'éventail des salaires et les attribu
tions de son poste,
(iv) son nom lorsque celui-ci figure sur un document qu'il
a établi au cours de son emploi,
(y) les idées et opinions personnelles qu'il a exprimées au
cours de son emploi;
k) un individu qui a conclu un contrat de prestation de
services avec une institution fédérale et portant sur la nature
de la prestation, notamment les conditions du contrat, le nom
de l'individu ainsi que les idées et opinions personnelles qu'il
a exprimées au cours de la prestation;
1) des avantages financiers facultatifs, notamment la déli-
vrance d'un permis ou d'une licence accordés à un individu, y
compris le nom de celui-ci et la nature précise de ces
avantages;
m) un individu décédé depuis plus de vingt ans.
Le Commissaire soutient que la classification de
sécurité constitue une condition liée au poste et
non à la personne et, à ce titre, ne constitue pas un
renseignement personnel. Il s'agit simplement
d'une exigence minimale et son inscription sur le
formulaire de demande subséquente n'indique pas
le niveau de la cote de sécurité que détient l'em-
ployé mais simplement que l'employé a satisfait à
l'exigence minimale en matière de sécurité pour ce
poste.
Le Ministère convient que la classification de
sécurité en question constitue une condition liée au
poste mais soutient qu'il s'agit également d'un
renseignement personnel étant donné que les noms
des personnes ont déjà été communiqués.
De toute évidence, la classification de sécurité se
rattache à un poste et non à la personne qui a
demandé ce poste ou qui l'a finalement occupé.
Les renseignements personnels que définit l'article
3 de la Loi sur la protection des renseignements
personnels désignent les renseignements relatifs à
une personne, que ce soit sa race, sa couleur, sa
religion, son dossier personnel, ses opinions, etc. La
classification de sécurité ne figure nulle part dans
les rubriques relatives aux renseignements person-
nels énumérés à l'article 3 de la Loi sur la protec
tion des renseignements personnels. Même l'alinéa
3c) qui traite des numéros, symboles ou toute
autre indication identificatrice restreint ces indica
tions à la personne et non au poste occupé par
celle-ci. Donc, à mon avis, la classification de
sécurité ne constitue pas un renseignement qui ne
doit pas être divulgué pour le motif qu'il s'agit de
«renseignements personnels».
Si je me trompe et si la classification de sécurité
constitue des «renseignements personnels», à mon
avis, elle s'inscrirait dans le cadre de l'exclusion
que prévoit l'alinéa 3k) mentionné précédemment,
pour le motif qu'elle constitue un renseignement
portant sur la nature de la prestation de service et
non sur la personne.
Toutefois, il y a une différence entre les textes
français et anglais de l'alinéa 3k). Le texte anglais
parle d'un renseignement au sujet d'un individu
«performing services under contract», alors que le
texte français parle d'un individu «qui a conclu un
contrat». De toute évidence, le texte français
entraîne une interprétation plus restrictive car il
limite l'exclusion à un individu qui a personnelle-
ment conclu des ententes contractuelles avec le
gouvernement, alors que le texte anglais vise un
individu qui fournit des services au gouvernement
directement ou indirectement par l'entremise d'une
agence de personnel.
Les deux parties soutiennent en conformité avec
la jurisprudence 2 , que la position qui doit être
adoptée pour interpréter deux versions incompati
bles est d'adopter la version qui reflète le mieux le
but de l'article pertinent interprété dans le con-
texte de la Loi et compte tenu de l'esprit de la loi.
Il convient donc à ce stade-ci d'examiner l'arti-
cle 2 de la Loi sur l'accès à l'information qui
indique l'objet de la Loi, qui est d'élargir l'accès
aux documents de l'administration fédérale en con-
sacrant le principe du droit du public à leur com
munication, les exceptions indispensables à ce droit
«étant précises et limitées». L'objet de la Loi sur la
protection des renseignements personnels est éga-
lement défini dans son article 2 qui prévoit que la
Loi a pour objet de protéger les renseignements
personnels relevant des institutions fédérales.
Il ressort clairement de l'interprétation conjointe
de ces deux articles que la règle est la communica
tion des renseignements au public et l'exception
vise les renseignements personnels. La Loi sur la
protection des renseignements personnels protège
expressément des renseignements limités qui con-
cernent la personne. Les alinéas 3j) à 3m) pré-
voient les exceptions à cette protection. L'alinéa
3j) traite expressément des renseignements concer-
nant le poste d'une personne qui est «un cadre ou
employé» du gouvernement alors que l'alinéa 3k)
traite d'«un individu qui a conclu un contrat de
prestation de services» avec le gouvernement.
Il me paraît évident que les deux lois interpré-
tées de façon conjointe prévoient la communica
tion des renseignements au public à l'exception des
renseignements personnels concernant les indivi-
dus. Les renseignements concernant un poste ne
constituent pas de tels renseignements personnels,
que l'individu travaille directement pour le gouver-
2 R. c. Compagnie Immobilière BCN Liée, [1979] 1 R.C.S.
865; [1979] C.T.C. 71; (1979), 79 DTC 5068; sub. nom. Cie
Immobilière BCN c. M.R.N., 25 N.R. 361 et Rémi Michael
Beaupré, Interprétation de la législation bilingue, Montréal:
Wilson et Lafleur Ltée, 1986.
nement à titre d'employé aux termes de l'alinéa 3j)
ou en vertu d'un contrat aux termes de l'alinéa
3k). Il n'y a rien dans l'esprit de la Loi qui
prévoirait une plus grande protection des rensei-
gnements personnels à la personne qui est engagée
par le gouvernement par l'entremise d'une agence
de personnel. Le texte français «qui a conclu un
contrat de prestation de services» est, à mon avis,
simplement une mauvaise traduction.
Par conséquent, la Cour ordonne en application
de l'article 49 de la Loi sur l'accès à l'information
que l'intimé, le Secrétaire d'État aux Affaires
extérieures, communique à Michael A. Dagg les
classifications de sécurité figurant sur les dix
autres formulaires de demande subséquente dans
le cas où le renseignement n'a pas déjà été
communiqué.
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