A-1227-88
La bande indienne de Saugeen, représentée par
son chef Vernon Roote et par ses conseillers
Arnold Solomon, Roy Wesley, Oliver Kahgee père,
Chester Ritchie, Mildred Ritchie, Harriet Kewa-
quom, Marie Mason et Franklin Shawbedees
(appelante) (demanderesse)
c.
Sa Majesté la Reine (intimée) (défenderesse)
RÉPERTORIE: BANDE INDIENNE DE SAUGEEN c. CANADA
(CA.)
Cour d'appel, juges Heald, Stone et MacGuigan,
J.C.A.—Ottawa, 21, 22 novembre et 7 décembre
1989.
Peuples autochtones — Taxation — L'art. 27(1) de la Loi
sur la taxe d'accise impose une taxe sur la vente de marchan-
dises fabriquées au Canada — L'art. 87 de la Loi sur les
Indiens exempte les Indiens et les bandes indiennes d'une
taxation directe et indirecte, mais non de l'incidence d'une
taxation indirecte telle que la taxe de vente fédérale — La
bande n'est pas en droit de se faire rembourser la taxe de vente
fédérale payée sur les marchandises achetées pour être utili
sées sur la réserve.
Douanes et accise — Loi sur la taxe d'accise — Une bande
indienne cherche à recouvrer la taxe de vente fédérale prévue à
l'art. 27 et payée par d'autres sur les marchandises achetées
pour être utilisées sur la réserve — Adoption de la définition
d'imposition directe et indirecte de John Stuart Mill — L'ap-
pelante n'a pas payé la taxe en tant que telle, mais le prix des
biens qui comprenait la taxe — Les taxes de vente sous le
régime de la Loi sur la taxe d'accise sont, non pas des impôts
sur les biens, mais des taxes sur les opérations commerciales,
lesquelles taxes sont perçues au moment de l'opération —
L'art. 87(1)b) de la Loi sur les Indiens ne s'applique pas
puisque la taxe ayant été payée par quelqu'un d'autre à une
phase antérieure de la chaîne commerciale, elle ne frappe donc
pas les biens meubles d'un Indien ou d'une bande situés sur
une réserve.
Il s'agit d'un appel formé contre le jugement par lequel la
Section de première instance a décidé que l'article 87 de la Loi
sur les Indiens ne devrait pas être interprété comme permettant
à l'appelante de se faire rembourser la taxe de vente fédérale
relative à certaines marchandises qu'elle a achetées pour être
utilisées sur la réserve. Certaines des opérations consistaient en
achats effectués directement auprès de fabriquants, un achat
chez un marchand en gros muni de licence, et le reste auprès de
vendeurs situés au bas de la chaîne de distribution et qui
n'avaient jamais eu la responsabilité directe de payer la taxe de
vente fédérale à la Couronne. Selon le juge de première ins
tance, «le législateur eût-il l'intention d'exonérer les Indiens et
les bandes indiennes de toute incidence ou fardeau des impôts
indirects, l'article 87 l'aurait prévu plus expressément».
Arrêt: l'appel devrait être rejeté.
On ne saurait écarter la définition d'imposition directe et
indirecte de John Stuart Mill, laquelle a été adoptée par le
Comité judiciaire du Conseil privé dans Bank of Toronto v.
Lambe. Ainsi donc, les impôts indirects sont «ceux qu'on exige
d'une personne dans l'intention que celle-ci se fasse indemniser
par une autre». C'est le fardeau de la taxe qui est transféré et
non la taxe elle-même. Autrement dit, les consommateurs
peuvent être considérés comme payant des impôts individuels,
non pas en tant que taxes, mais comme une partie du prix sur le
marché des denrées achetées.
Ce point a été tranché dans l'arrêt Price (Nfld.) Pulp &
Paper Ltd. c. La Reine. La Cour d'appel fédérale a statué que
l'acheteuse de machines n'avait pas qualité pour réclamer à la
Couronne le remboursement de la taxe de vente que la Cou-
ronne avait reçue de la vendeuse et qui avait été incluse, au
moyen d'une augmentation équivalente, dans le prix des machi
nes acquises par l'acheteuse.
On ne saurait donc dire que l'appelante est assujettie à une
taxe sous le régime de la La Loi sur la taxe d'accise, quand
bien même on lui ferait indubitablement supporter le fardeau
de la taxe. L'appelante n'a pas payé la taxe comme telle, mais
le prix des denrées qui comprenait la taxe. En conséquence,
l'appelante n'était pas la véritable contribuable.
Compte tenu de la jurisprudence sur la Loi sur la taxe
d'accise, on peut conclure que le fait que plusieurs dispositions
de la Loi accordent des exemptions ou remboursements à
certains utilisateurs finals ne saurait être interprété comme une
règle pour les autres, ni comme une indication de l'intention de
l'ensemble de la Loi. En conséquence, les taxes de vente prévues
à la Loi sur la taxe d'accise doivent être considérées, non pas
comme des impôts sur les biens, mais comme des taxes sur les
opérations commerciales, lesquelles taxes sont perçues au
moment de l'opération.
Cette interprétation de la Loi sur la taxe d'accise écarte
l'application de l'alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens
puisque, la taxe ayant été payée à une phase antérieure de la
chaîne commerciale par une partie autre que la bande, on ne
peut dire qu'elle frappe «les biens meubles d'un Indien ou d'une
bande situés sur une réserve». L'application du paragraphe
87(2) se trouve également écartée parce que celui-ci parle de
«l'un de ces biens», c'est-à-dire les mêmes «biens meubles d'un
Indien ou d'une bande situés sur une réserve». L'appelante n'a
donc pas droit à une exemption à l'égard de l'une quelconque
des opérations, ni à un remboursement des taxes de vente
remises.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3
(R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de
1982, n° 1) [L.R.C. (1985), Appendice II, n° 5], art.
92(2).
Loi sur la taxe d'accise. S.R.C. 1970, chap. E-13, art.
27(1), 44(1),(2).
Loi sur les Indiens, S.R.C. 1952, chap. 149, art. 86.
Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, chap. 1-6, art. 83, 87
(mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 47, art. 25).
JURISPRUDENCE
DÉCISION CONFIRMÉE:
Bande indienne de Saugeen c. Canada, [ 1989] 3 C.F. 186
(1" inst.).
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Bank of Toronto v. Lambe (1887), 12 App. Cas. 575
(P.C.); C.P.R. v. A.G. for Saskatchewan, [1952] 2
R.C.S. 231; [1952] 4 D.L.R. 11; Délisle v. Shawinigan
Water & Power Co. (1941), 79 C.S. 353; [1941] 4
D.L.R. 556 (C.S. Qc); The Queen v. M. Geller Inc.,
[1963] R.C.S. 629; Price (Nfld.) Pulp & Paper Ltd. c. La
Reine, [1974] 2 C.F. 436 (C.A.), confirmée pour un autre
motif, [1977] 2 R.C.S. 36.
DISTINCTION FAITE AVEC:
La Reine c. Stevenson Construction Co. Ltd., [1979]
CTC 86; (1978), 79 DTC 5044; 24 N.R. 390 (C.A.F.);
Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29; (1983), 144
D.L.R. (3d) 193; [1983] 2 C.N.L.R. 89; [1983] CTC 20;
83 DTC 5041; 46 N.R. 41; Renvoi relatif à la taxe sur le
gaz naturel exporté, [1982] 1 R.C.S. 1004; (1982), 37
A.R. 541; 42 N.R. 361; Brown v. R. in Right of B.C.
(1979), 20 B.C.L.R. 64; 107 D.L.R. (3d) 705; [1980] 3
W.W.R. 360 (C.A.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Francis v. The Queen, [1956] R.C.S. 618; (1956), 3
D.L.R. (2d) 641; 56 DTC 1077.
DÉCISIONS CITÉES:
Air Canada c. Colombie-Britannique, [1989] 1 R.C.S.
1161; (1989), 59 D.L.R. (4th) 161; [1989] 4 W.W.R. 97;
Dominion Distillery Products Co. Ltd. v. The King,
[1938] R.C.S. 458; [1938] 4 D.L.R. 289.
AVOCATS:
Maureen M. Gregory pour l'appelante
(demanderesse).
Dogan D. Akman pour l'intimée (défende-
resse).
PROCUREURS:
Tweedy, Ross, Charlottetown, pour l'appe-
lante (demanderesse).
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée (défenderesse).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A.: En l'espèce, il
s'agit principalement de savoir si l'article 87 de la
Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, chap. I-6, modi-
fié par S.C. 1980-81-82-83, chap. 47 [art. 25],
devrait être interprété comme permettant à l'appe-
lante de se faire rembourser la taxe de vente
fédérale relative à certaines marchandises qu'elle a
achetées. La partie applicable de l'article 87 est
ainsi conçue:
87. Nonobstant toute autre loi du Parlement du Canada ou
toute loi de la législature d'une province, mais sous réserve de
l'article 83, les biens suivants sont exemptés de taxation, à
savoir:
a) l'intérêt d'un Indien ou d'une bande dans une réserve ou
des terres cédées; et
b) les biens personnels d'un Indien ou d'une bande situés sur
une réserve;
et nul Indien ou bande n'est assujetti à une taxation concernant
la propriété, l'occupation, la possession ou l'usage d'un bien
mentionné aux alinéas a) ou b) ni autrement soumis à une
taxation quant à l'un de ces biens ...
L'article 83 porte sur la réunion de fonds par la
bande elle-même et ne s'applique pas à l'espèce.
Dans les Lois révisées du Canada (1985), la Loi
sur les Indiens y figure sous le titre de Chapitre
I-5. L'article 87 est divisé en paragraphes, mais il
est à d'autres égards identique:
87. (1) Nonosbtant toute autre loi fédérale ou provinciale,
mais sous réserve de l'article 83, les biens suivants sont exemp
tés de taxation:
a) le droit d'un Indien ou d'une bande sur une réserve ou des
terres cédées;
b) les biens meubles d'un Indien ou d'une bande situés sur
une réserve.
(2) Nul Indien ou bande n'est assujetti à une taxation
concernant la propriété, l'occupation, la possession ou l'usage
d'un bien mentionné aux alinéas (1)a) ou b) ni autrement
soumis à une taxation quant à l'un de ces biens.
Parce qu'il est plus facile de relever les différentes
parties de l'article, je vais employer la version 1985
de la loi.
Les taxes ont été payées en vertu du paragraphe
27(1) de la Loi sur la taxe d'accise, S.R.C. 1970,
chap. E-13; la partie pertinente de ce paragraphe
est ainsi rédigée:
27. (1) Est imposée, prélevée et perçue une taxe de consom-
mation ou de vente ... sur le prix de vente de toutes
marchandises,
a) produites ou fabriquées au Canada ...
b) importées au Canada ...
c) vendues par un marchand en gros muni de licence...
d) retenues par un marchand en gros muni de licence pour
son propre usage ou pour être par lui louées à d'autres ...
L'appelante conclut à un jugement déclaratoire
à l'encontre de la taxe de vente et non de la taxe de
consommation. Il est constant que, dans chaque
cas, lorsque la taxe de vente est payée, le paiement
réel est effectué par un fabricant, un marchand en
gros ou un détaillant muni de licence, selon le cas.
Il est également constant que la taxe est habituel-
lement repassée au consommateur. Il s'agit de
savoir si le fait de repasser la taxe à l'utilisateur
final d'un produit, lorsque cela se produit, est une
question de contrat ou une question de droit.
L'exposé conjoint des faits déposé par les parties
contient neuf opérations représentatives des situa
tions qui peuvent se produire. Les marchandises
faisant l'objet de ces opérations ont toutes été
achetées pour être utilisées sur la réserve: 1) bou-
lons et écrous; 2) chlorure de calcium à l'état
solide; 3) chlorure de calcium à l'état liquide; 4)
panneaux de signalisation routière et balises
d'avertissement; 5) canalisations de plomberie; 6)
tubes fluorescents; 7) huile diesel; 8) rondelles de
butée; et 9) bougies d'allumage. Les opérations 1,
3, 5 et 7 représentaient des ventes où la propriété
du bien était transférée à la bande indienne à
l'intérieur de la réserve. Certaines des opérations
consistaient en achats effectués directement auprès
du fabricant (opérations 2, 3, 4, 8 et 9), un achat
chez un marchand en gros muni de licence (opéra-
tion 1), et le reste auprès de vendeurs situés au bas
de la chaîne de distribution et qui n'avaient jamais
eu pour responsabilité directe de payer la taxe de
vente fédérale à la Couronne (opérations 5, 6 et 7).
Dans toutes les neuf opérations, la demanderesse
connaissait le montant de la taxe de vente fédérale
et, pour ce qui est des opérations 2 et 3, le montant
figurait sur les factures.
Au procès [[1989] 3 C.F. 186], le juge Reed a
tiré la conclusion suivante sur la principal point
litigieux [à la page 2031:
J'en conclus que la disposition de l'article 87 qui prévoit que
nulle bande indienne «n'est assujetti[e] à une taxation concer-
nant ...D doit être interprétée comme signifiant que les bandes
indiennes ne doivent pas être imposées à titre de contribuables.
Le législateur eût-il l'intention d'exonérer les Indiens et les
bandes indiennes de toute incidence ou fardeau des impôts
indirects, l'article 87 l'aurait prévu plus expressément.
* * *
L'appelante soutient que le juge de première ins
tance a mal interprété tant la Loi sur la taxe
d'accise que la Loi sur les Indiens.
Pour ce qui est de la Loi sur la taxe d'accise,
l'argument de l'appelante peut se résumer en deux
mots: la taxe de vente fédérale est une taxe de
consommation, fondée sur un pourcentage du prix
de vente et qui, bien que normalement payée par
un vendeur, est en réalité payée par l'utilisateur
final du produit auquel elle est repassée par la loi
en tant que taxe.
L'appelante prétend que le juge de première
instance ne s'est pas rendu compte de la portée
juridique de sa propre conclusion selon laquelle la
taxe de vente fédérale est un impôt indirect. Il est
dit que, bien que la taxe de vente fédérale soit
exigée du fabricant, cette mesure ne vise pas à
faire payer la taxe par celui-ci car, autrement, elle
deviendrait alors un impôt direct. Le fait que la
taxe d'accise soit repassée à l'utilisateur final d'un
produit constitue, non pas une simple question de
contrat, mais une question de droit, car un impôt
indirect, de par sa nature juridique, s'attache
comme un fardeau à la marchandise et est repassé
aux acheteurs subséquents dans les titres successifs
en tant que taxe et non simplement en tant qu'ac-
croissement du prix d'achat des marchandises.
Devant la Cour, l'appelante insiste sur la
fameuse définition d'imposition directe et indirecte
de John Stuart Mill, laquelle a été adoptée par le
Commité judiciaire du Conseil privé dans Bank of
Toronto v. Lambe (1887), 12 App. Cas. 575
(P.C.), à la page 582:
[TRADUCTION] «L'impôt est ou bien direct ou bien indirect.
L'impôt direct est celui qu'on exige des personnes mêmes qui
doivent l'assumer. Les impôts indirects sont ceux qu'on exige
d'une personne dans l'intention que celle-ci se fasse indemniser
par une autre: c'est le cas des taxes d'accise et des droits de
douane.»
«Le producteur ou l'importateur d'une denrée doit payer un
impôt sur celle-ci non pas parce qu'on veut lui imposer une
contribution particulière, mais afin d'imposer par son entremise
les consommateurs de ladite denrée, en supposant qu'il va leur
faire supporter le fardeau de l'impôt en augmentant ses prix.»
Cette distinction est devenue une distinction classi-
que dans le droit constitutionnel canadien, en
raison de la limitation du pouvoir d'imposition des
provinces prévu au paragraphe 92(2) de la Loi
constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3
(R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada,
1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitu-
tionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), Appen-
dice II, no 5]] à «la taxation directe dans les limites
de la province», et je suis entièrement d'accord
avec l'appelante sur le fait qu'on ne saurait l'écar-
ter dans un cas comme l'espèce soit parce qu'elle
est valide seulement pour les fins du droit constitu-
tionnel, soit parce qu'elle n'est pas maintenant, et
ne l'a jamais été, satisfaisante aux yeux des
économistes.
Toutefois, appliquer cette distinction pour des
fins non constitutionnelles exige une grande préci-
sion dans le concept. Même Mill lui-même n'a pas
affirmé que l'impôt indirect est réellement repassé:
«les impôts indirects sont ceux qu'on exige d'une
personne dans l'intention que celle-ci se fasse
indemniser par une autre» et de nouveau: «afin
d'imposer par son entremise les consommateurs de
ladite denrée, en supposant qu'il va leur, faire
supporter le fardeau de l'impôt en augmentant ses
prix» [c'est moi qui souligne]. Même un impôt
indirect est quand même réellement payé par le
vendeur. Ce qu'il repasse à l'acheteur est le far-
deau ou l'incidence de la taxe, en se faisant indem-
niser au moyen d'une augmentation de prix. C'est,
en fait, la façon dont lord Hobhouse a, dans l'arrêt
Lambe, introduit la distinction, avant de citer Mill
supra, lorsqu'il a tenu les propos suivants (à la
page 581): [TRADUCTION] «les économistes cher-
chent toujours à relever la conséquence de la taxa
tion dans la collectivité, et pour utiliser les mots
«direct» et «indirect», ils se fondent sur le fait que,
selon eux, le fardeau d'une taxe incombe plus ou
moins à la personne qui la paye en premier lieu»
[c'est moi qui souligne]. Bien que lord Hobhouse
n'ait pas voulu laisser aux économistes le soin de
s'occuper de la définition juridique, j'estime qu'il a
néanmoins accepté que la définition visait à relever
l'incidence de la taxation.
L'appelante s'appuie largement sur l'opinion
incidente figurant dans les motifs de jugement
concourants prononcés par le juge Rand dans l'ar-
rêt C.P.R. v. A.G for Saskatchewan, [1952] 2
R.C.S. 231, aux pages 251 et 252; [1952] 4
D.L.R. 11:
[TRADUCTION] Lord Greene dans la même affaire [British
Columbia v. Esquimalt & Nanaimo Railway Company, [1950]
A.C. 87] parle de la «différence fondamentale» entre la «ten-
dance économique» qu'a un propriétaire à faire supporter par
quelqu'un d'autre l'incidence d'une taxe et le fait de «repasser»
la taxe considérée comme portant la marque d'un «impôt
indirect» ... Si la taxe est reliée ou peut être reliée, directement
ou indirectement à une unité de la marchandise ou de son prix,
imposée lorsque la denrée est en voie d'être fabriquée ou
commercialisée, alors la taxe tend à s'attacher comme un
fardeau à l'unité ou à l'opération qui se présente au marché.
Les mots clés sur lesquels s'appuie l'appelante, «la
taxe tend à s'attacher comme un fardeau» consti
tuent clairement, à mon avis, une métaphore, et
connotent l'idée d'un transfert, non pas de la taxe
elle-même, mais de son fardeau. Je ne trouve rien
de contraire à ce point de vue dans l'autre affaire
invoquée par l'appelante, savoir l'affaire Air
Canada c. Colombie-Britannique, [1989] 1 R.C.S.
1161; (1989), 59 D.L.R. (4th) 161; [1989] 4
W.W.R. 97 aux pages 1186 et 1187 R.C.S.:
La question «Qui paye la taxe?», par opposition
à la question «Qui porte le fardeau de la taxe?»
n'est, en fait, nullement abordée dans les affaires
constitutionnelles, et elle doit donc, à mon avis,
être tranchée par une différente jurisprudence,
celle qui porte directement sur les questions de
payement et de recouvrement.
Dans l'arrêt Dominion Distillery Products Co.
Ltd. v. The King, [1938] R.C.S. 458; [1938] 4
D.L.R. 289, où le pétitionnaire, au moyen d'une
pétition de droit, a demandé le remboursement des
sommes d'argent payées à la Couronne à titre de
taxe de vente et de droits d'accise sur les spiritueux
qu'il a achetés à des prix qui, selon lui, compre-
naient ces taxes, le juge Davis s'est prononcé en
ces termes au nom de la majorité de la Cour (à la
page 462 R.C.S.):
[TRADUCTION] Il nous serait difficile de décider, s'il fallait le
faire, que quelqu'un autre que le fabricant ou le producteur, qui
étaient tenus aux droits et aux taxes et qui les ont réellement
payés à la Couronne, pourrait recouvrer les paiements de
celle-ci.
Bien qu'il s'agisse là d'une opinion incidente, cette
observation prévoit l'attitude des tribunaux dans
les affaires à venir.
La question évitée dans l'affaire Dominion Dis
tillery a refait surface dans l'affaire Délisle v.
Shawinigan Water & Power Co. (1941), 79 C.S.
353; [1941] 4 D.L.R. 556 (C.S. Qc), où un décret
en temps de guerre a permis aux fournisseurs
d'électricité de faire payer à leurs clients une
somme additionnelle égale à une taxe de vente en
temps de guerre. Le juge Demers a statué que
cette mesure s'appliquait aussi aux Indiens rési-
dents d'une réserve à l'égard de l'électricité qu'on
leur avait fournie pour être utilisée dans leur
demeure, malgré la disposition de la Loi sur les
Indiens selon laquelle «Les biens meubles ou
immeubles d'un Indien ou d'un Indien non soumis
au régime d'un traité ne peuvent être taxés». Il a
invoqué les motifs suivants (aux pages 356 et 357
C.S.):
[TRADUCTION] Je maintiens qu'aucune taxe n'est imposée au
demandeur [Indien]. Selon Thomas M. Cooley, Taxation
(1924) 4° éd., vol. 1, § 3, p. 68, les caractéristiques essentielles
d'une taxe résident dans le fait qu'il ne s'agit pas d'un paiement
ou donation volontaire, mais d'une contribution forcée.
Le demandeur n'est pas tenu d'utiliser l'électricité. On peut
éclairer sa maison par d'autres moyens. La partie qui fait
l'objet d'une taxe imposée par le décret et la loi est la défende-
resse; personne d'autre.
Nous voyons donc que cette taxe, qui est à l'évidence un
impôt indirect, est imposée, non pas au demandeur, mais à la
défenderesse. C'est ce que dit Cooley, Taxation (1924) 4» éd.,
vol. 1, § 50, p. 141:
Les impôt indirects sont perçus sur les denrées avant qu'elles
ne parviennent au consommateur, et sont payés par ceux à
qui ils incombent en fin de compte, non pas en tant que
taxes, mais comme une partie du prix de la denrée sur le
marché.
Il en est de cette taxe comme des droits de douanes, et de la
taxe d'accise—tous ces impôts indirects sont imposés à l'impor-
tateur ou au fabricant. En fin de compte, c'est le consommateur
ou l'acheteur qui doit payer l'augmentation du coût des mar-
chandises importées ou fabriquées. Les Indiens, lorsqu'ils achè-
tent des marchandises importées passibles de droits de douanes
ou d'accise doivent, comme les autres, payer des prix plus
élevés; ils sont ainsi tenus à cet impôt indirect sur leur électri-
cité, et ils ne sauraient prétendre qu'une taxe est imposée sur
leurs «biens immeubles ou meubles».
Je trouve particulièrement révélateur le point de
vue adopté par le juge Demers selon lequel le
consommateur paye des impôts individuels, non
pas en tant que taxes, mais comme une partie du
prix sur le marché des denrées achetées.
Dans l'affaire Francis v. The Queen, [ 1956]
R.C.S. 618; (1956), 3 D.L.R. (2d) 641; 56 DTC
1077, un indien, résident d'une réserve au Québec
adjacente à une réserve de New York, a introduit
au Canada des articles provenant des Etats-Unis.
Il a payé contre son gré les droits de douane et, au
moyen d'une pétition de droit, il a réclamé le
remboursement de son argent. La Cour suprême,
après avoir statué que les droits prévus au traité
Jay ne pouvaient être appliqués en l'absence de
mesures d'application au Canada, a également
décidé que l'article 86 l'époque [l'actuel article
87] de la Loi sur les Indiens [S.R.C. 1952, chap.
149] ne s'appliquait pas [TRADUCTION] «parce
que les droits de douane ne sont pas des impôts sur
les biens meubles d'un Indien situés sur une
réserve, mais ils sont imposés sur l'importation de
marchandises au Canada» (le juge en chef Kerwin,
à la page 662). À cet égard, le juge Kellock a tenu
les propos suivants (à la page 630): [TRADUC-
TION] «Avant que les biens en question en l'espèce
ne se trouvent à être situés sur une réserve, ils
étaient devenus passibles de droits de douanes à la
frontière.» Je conviens avec l'appelante que cette
affaire ne saurait être considérée comme le dernier
mot pour ce qui est de l'effet de l'article 87 de la
Loi sur les Indiens.
Puis, dans l'affaire The Queen v. M. Geller Inc.,
[1963] R.C.S. 629, où le vendeur de peaux de
mouton apprêtées avait payé une taxe d'accise
dont on a admis qu'elle n'était pas légalement due
mais qui ne pouvait être recouvrée en raison d'une
prescription de deux ans, et l'acheteur a également
demandé le recouvrement, le juge Taschereau
s'est, au nom de la Cour, prononcé en ces termes
(à la page 631):
[TRADUCTION] La personne tenue de payer est l'apprêteur
et, si la taxe a été payée par erreur de droit ou de fait, la
personne fondée à toucher un remboursement est l'apprêteur.
En l'espèce, la taxe a été payée par l'apprêteur, qui était la
Nu -Way, et cette dernière seule a droit au remboursement. La
pétition de droit a été rejetée à bon droit par la Cour de
l'Echiquier, vu ce que stipule l'article 105(6).
L'intimée n'est pas fondée en droit à faire une réclamation. Il
est vrai que la M. Geller Inc. a remboursé la Nu -Way, mais ce
paiement ne donne pas à la M. Geller Inc. un droit d'action que
la loi lui refuse.
L'appelante n'a pas à tenir compte des accords intervenus
entre les deux compagnies susdites. Ces accords sont res inter
alios acta et ne peuvent porter préjudice aux droits de la
Couronne.
L'appelante a tenté d'émettre des doutes sur ces
affaires compte tenu de l'évolution du droit de la
restitution telle qu'elle a été résumée dans l'arrêt
Air Canada précité. Mais ces décisions sur la
restitution portent sur l'enrichissement sans cause
par suite d'une erreur de droit ou de fait de la part
d'un contribuable reconnu, et ne soulèvent aucune
question quant au statut d'un plaideur en tant que
contribuable. J'estime qu'elles n'aident nullement
à résoudre la question de savoir qui a payé la taxe.
Le véritable point litigieux en l'espèce a, à mon
avis, déjà été tranché par cette Cour dans l'affaire
Price (Nfld.) Pulp & Paper Ltd. c. La Reine,
[1974] 2 C.F. 436 (C.A.). Dans cette affaire-là,
l'appelante/acheteuse avait déjà effecté neuf des
douze acomptes, qui, en vertu du contrat, compre-
naient le paiement par l'acheteuse à la vendeuse
des sommes versées par celle-ci à la Couronne à
titre de taxe de vente, avant que les machines
achetées ne fussent exemptées de taxe de vente par
une modification législative. Par suite d'une péti-
tion de droit de l'acheteuse, il a été décidé que la
modification n'avait aucun effet rétroactif sur les
paiements déjà effectués. Toutefois, la Cour a
statué sur le second moyen en décidant que l'ache-
teuse n'avait pas qualité pour demander le recou-
vrement. Le juge Thurlow (tel était alors son titre)
s'est exprimé en ces termes au nom de la Cour
(aux pages 441 et 442):
[L'lappelante n'a pas su établir, à mon avis, qu'elle était
fondée à réclamer à la Couronne le recouvrement du montant
en cause. Le fait que l'appelante, comme l'a affirmé l'avocat,
soit la seule personne intéressée à obtenir le remboursement
de ces sommes ne suffit pas à mon avis à lui conférer un droit
d'action à cet égard à l'encontre de la Couronne puisqu'elle
n'a été assujettie à aucune taxe et n'en a pas payé; j'estime en
outre qu'on ne peut affirmer que l'appelante, et non la
Couronne, ait jamais été propriétaire des sommes versées à la
Couronne par la Dominion Engineering Works Limited à
titre de paiement de la taxe.
La Cour suprême, [1977] 2 R.C.S. 36, a confirmé
cette décision sur le premier moyen seulement,
mais elle n'a pas statué sur le second. Néanmoins,
la décision de la présente Cour sur le deuxième
moyen nous lie.
En conséquence, je suis d'avis de conclure sur ce
point qu'on ne saurait dire que l'appelante est
assujettie à une taxe sous le régime de là Loi sur la
taxe d'accise quand bien même on lui ferait indu-
bitablement supporter le fardeau de la taxe,
comme le montrent plusieurs des factures. Ce que
l'appelante a payé n'était pas la taxe comme telle,
mais le prix des denrées qui comprenait la taxe.
Cela suffit, aux fins constitutionnelles, à faire de la
taxe un impôt indirect. Mais cela ne suffit pas, aux
fins fiscales, à établir que l'appelante est la vérita-
ble contribuable.
Il est vrai que, en vertu de la Loi sur la taxe
d'accise, certains articles jouissent de l'exemption
absolue (par exemple les denrées alimentaires) et
d'autres sont exemptés en raison du statut de
l'acheteur (par exemple diplomates, hôpitaux,
municipalités) ou de leur destination (par exemple
lutte contre la pollution, services de transport en
commun). Si le concessionnaire n'est pas légale-
ment tenu de repasser la taxe et si les utilisateurs
finals ne sont pas assujettis à des taxes, l'appelante
demande pourquoi la Loi accorderait des rembour-
sements et des exemptions en raison du statut des
utilisateurs finals des marchandises ou de l'usage
voulu par ceux-ci? Forte de cet argument, l'appe-
lante soutient donc que l'idée que la taxe est
légalement repassée à l'utilisateur final se dégage
de l'économie même de la Loi.
Cette interprétation repose principalement sur
l'arrêt de cette Cour qui fait autorité: La Reine c.
Stevenson Construction Co. Ltd., [1979] CTC 86;
(1978), 79 DTC 5044; 24 N.R. 390 (C.A.F.).
Dans cette affaire, la taxe de vente fédérale sur les
matériaux de construction qui ont été intégrés ou
autrement consommés aux fins des travaux sur des
débarcadères de bacs avait été payée par les ven-
deurs mais repassée aux intimées dans le prix
qu'elles avaient payé. Parce que les débarcadères
de bacs ont été construits et réparés par le gouver-
nement de la Colombie-Britannique, les disposi
tions relatives au remboursement du paragraphe
44(2) de la Loi sur la taxe d'accise [L.R.C.
(1985), chap. E-15, paragraphe 68(3)] s'appli-
quaient, et la seule question était de savoir si les
intimées, dont les contrats avec le gouvernement
provincial prévoyaient que les taxes de vente fédé-
rales ne devraient pas être comprises dans le coût
des travaux exécutés pour le gouvernement, pou-
vaient réclamer le remboursement. Le paragraphe
44(2) (tel qu'il figure dans S.R.C. 1970, chap.
E-13, par souci de simplicité) est ainsi conçu:
44....
(2) Lorsque des marchandises ont été achetées par Sa
Majesté du chef de quelque province du Canada pour toute fin
autre que
a) la revente;
b) l'utilisation par tout bureau, commission, chemin de fer,
service public, université, usine, compagnie ou organisme
possédé, contrôlé ou exploité par le gouvernement de la
province ou sous l'autorité de la législature ou du lieutenant-
gouverneur en conseil ou
e) l'utilisation par Sa Majesté ou par ses mandataires ou
préposés relativement à la fabrication ou production de mar-
chandises, ou pour d'autres fins commerciales ou mercanti-
les;
un remboursement de taxes payées en vertu de la Partie III, IV
ou V peut être accordé à Sa Majesté ou à l'importateur,
cessionnaire, fabricant, producteur, marchand en gros, intermé-
diaire ou autre commerçant, selon le cas.
Cette Cour a statué que les intimées devraient
avoir gain de cause. Le juge Le Dain, a déclaré au
nom de la Cour (à la page 91 CTC):
En ce qui concerne le quatrième point, à savoir si les intimées
n'ont pas droit au remboursement parce qu'elles n'ont pas payé
elles-mêmes les taxes, je souscris à la conclusion du juge de
première instance, à savoir que le paragraphe 44(2) ne prévoit
pas, comme condition de remboursement, que la personne
réclamant ce remboursement doit avoir payé la taxe elle-même,
mais que selon ce paragraphe, le remboursement peut être fait
à celui qui doit la supporter en fin de compte. C'est ce qui, à
mon avis, ressort de l'expression «selon le cas» figurant au
paragraphe 44(2). [C'est moi qui souligne.]
Il a ajouté (à la page 91 CTC):
[L]e mot «commerçant» figurant au paragraphe 44(2) est
suffisamment large, dans ce contexte, pour englober ceux qui
font un usage commercial de ces marchandises comme l'ont fait
les intimées. L'énumération des personnes ayant droit au rem-
boursement ne vise pas à limiter ce dernier à certaines catégo-
ries expressément prévues, mais plutôt à embrasser tous ceux
qui, du fait de l'usage commercial de ces marchandises, doivent
supporter la taxe en dernière analyse.
Il me semble clair que la Cour n'a nullement
voulu se prononcer de façon générale sur l'écono-
mie de la Loi sur la taxe d'accise, mais qu'elle n'a
fait qu'interpréter la disposition relative au rem-
boursement. A mon avis, cette idée se détache des
mots que j'ai soulignés dans le premier passage
cité, savoir que le paragraphe 44(2) «ne prévoit
pas, comme condition de remboursement, que la
personne réclamant ce remboursement doit avoir
payé la taxe elle-même», mais que selon ce para-
graphe, le remboursement peut être fait à «celui
qui doit la supporter en fin de compte». Il ne s'agit
pas d'un renversement de la décision Price, mais
d'une exception à celle-ci, en ce sens que la disposi
tion particulière relative au remboursement est
généreuse dans ses conditions. Il s'agit, en bref
d'une décision sur le paragraphe 44(2) et non
d'une décision interprétant le paragraphe 44(1),
qui traite généralement de déductions et de
remises.
À mon avis, le fait que plusieurs dispositions de
la Loi accordent des exemptions ou rembourse-
ments à certains utilisateurs finals ne saurait être
interprété comme une règle pour les autres, ni
comme une indication de l'intention de l'ensemble
de la Loi. Dans l'arrêt Price, cette Cour a déjà
établi cette intention. En conséquence, les taxes de
vente prévues à la Loi sur la taxe d'accise doivent
être considérées, non pas comme des impôts sur les
biens, mais comme des taxes sur les opérations
commerciales, lesquelles taxes sont perçues au
moment de l'opération.
L'autre question porte sur l'effet du paragraphe
87(2) de la Loi sur les Indiens. À mon avis,
l'interprétation que j'ai donnée à la Loi sur la taxe
d'accise écarte l'application de l'alinéa 87(1)b)
puisque, la taxe ayant été payée à une phase
antérieure de la chaîne commerciale par une partie
autre que la bande, on ne peut dire qu'elle frappe
«les biens meubles d'un Indien ou d'une bande
situés sur une réserve». L'appelante se retranche
toutefois derrière le paragraphe 87(2) et invoque
particulièrement les mots «ni autrement soumis à
une taxation» pour prétendre que le fardeau d'un
impôt indirect est tel qu'on peut dire que la bande
y est «autrement soumise». À l'appui de cette
prétention, l'appelante fait état de la «clause
nonobstant» qui figure au début de l'article 87, et
de l'arrêt récent de la Cour suprême du Canada
Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29;
(1983), 144 D.L.R. (3d) 193; [1983] 2 C.N.L.R.
89; [1983] CTC 20; 83 DTC 5041; 46 N.R. 41.
L'arrêt Renvoi relatif à la taxe sur le gaz naturel
exporté, [1982] 1 R.C.S. 1004; (1982), 37 A.R.
541; 42 N.R. 361, aux pages 1078 et 1079 R.C.S.,
a également été cité pour étayer l'argument selon
lequel les immunités contre la taxation (en l'occur-
rence celles des gouvernements provinciaux) ne
devraient pas être rendues illusoires par des
moyens purement formalistes.
Dans l'affaire Nowegijick, un Indien habitant
une réserve a prétendu que le revenu qui lui était
versé sur la réserve et qu'il tirait d'un emploi chez
une société indienne, qui avait son siège social sur
la réserve, était exempt d'impôt sur le revenu en
vertu de l'article 87, bien que le lieu de travail fût
en réalité à l'extérieur de la réserve. Accordant
l'exemption pour le motif que l'article 87 devrait
être interprété comme créant une exemption à
l'égard des personnes, ainsi qu'à l'égard de leurs
biens personnels, le juge Dickson (tel était alors
son titre) a posé le principe suivant relatif à l'arti-
cle 87 (à la page 36 R.C.S.):
Selon un principe bien établi, pour être valide, toute exemp
tion d'impôts doit être clairement exprimée. Il me semble
toutefois que les traités et les lois visant les Indiens doivent
recevoir une interprétation libérale et que toute ambiguïté doit
profiter aux Indiens. Si la loi contient des dispositions qui,
suivant une interprétation raisonnable, peuvent conférer une
exemption d'impôts, il faut, selon moi, préférer cette interpréta-
tion à une interprétation plus stricte qui pourrait être utilisée
pour refuser l'exemption. Dans l'affaire Jones v. Meehan, 175
U.S. I (1899), on a conclu que les traités avec les Indiens
[TRADUCTION] «doivent ... être interprétés non pas selon le
sens strict de [leur] langage ... mais selon ce qui serait, pour
les Indiens, le sens naturel de ce langage».
Il a ajouté (à la page 39 R.C.S.):
À mon avis, les mots «quant à» ont la portée la plus large
possible. Ils signifient, entre autres, «concernant», «relativement
à» ou «par rapport à». Parmi toutes les expressions qui servent à
exprimer un lien quelconque entre deux sujets connexes, c'est
probablement l'expression «quant à» qui est la plus large.
L'intimée fait valoir que ce principe général
d'interprétation libérale des traités et lois visant les
Indiens devrait s'appliquer seulement lorsque la loi
est discutable ou ambiguë, mais j'estime qu'il
devrait s'appliquer toutes les fois que le texte
législatif se prête raisonnablement à une interpré-
tation libérale. Tel est le cas dans l'affaire Nowe-
gijick puisqu'un revenu imposable est après tout
un bien personnel, et qu'un tel revenu a été payé à
un Indien habitant une réserve. Ainsi que le juge
Dickson l'a dit (à la page 38 R.C.S.):
Un impôt sur le revenu est en réalité un impôt sur un bien. Si
on peut dire qu'un revenu est un bien, je conçois mal qu'un
revenu imposable ne le soit pas.
Mais, en l'espèce, un motif juridique s'oppose à
une interprétation libérale du paragraphe 87(2),
essentiellement le même que dans le cas du para-
graphe 87(1). L'expression finale du paragraphe
est «quant à l'un ces biens» c'est-à-dire les mêmes
«biens meubles d'un Indien ou d'une bande situés
sur une réserve». La taxe n'a toutefois pas été
payée sur les biens meubles d'une bande sur une
réserve, parce qu'elle n'a pas du tout été payée par
la bande, mais par un fabricant muni de licence,
par un importateur ou par un marchand en gros.
Ainsi donc, même lorsque, comme dans les opéra-
tions 1, 3, 5 et 7, les marchandises ont été transmi-
ses à l'appelante sur la réserve, cela importe peu
parce que la taxe a été imposée au vendeur relati-
vement à la vente des marchandises qu'il a effec-
tuée, et non à la bande en tant qu'acheteur ou sur
les biens de celle-ci. Les faits en cause dans l'arrêt
Brown v. R. in Right of B.C. (1979), 20 B.C.L.R.
64; 107 D.L.R. (3d) 705; [1980] 3 W.W.R. 360
(C.A.), se distinguent des faits en l'espèce parce
que la taxe provinciale en question dans cette
affaire était un impôt direct payé par un Indien
d'une réserve sur un bien meuble (électricité) livré
sur la réserve.
Je me vois dans l'obligation de conclure que le
paragraphe 87(2) n'est d'aucune utilité à l'appe-
lante à l'instance. L'appelante n'a donc pas droit à
une exemption à l'égard de l'une quelconque des
neuf opérations énumérées dans l'exposé conjoint
des faits, et ne saurait, par conséquent, se faire
rembourser les taxes de vente remises.
Puisque les autres questions débattues devant la
Cour dépendaient d'une décision favorable à l'ap-
pelante sur la première question, il est inutile de
les trancher.
L'appel devrait donc être rejeté avec dépens.
LE JUGE HEALD, J.C.A.: Je souscris aux motifs
ci-dessus.
LE JUGE STONE, J.C.A.: Je souscris aux motifs
ci-dessus.
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