T-71-88
Canadian Marconi Company (demanderesse)
c.
Sa Majesté la Reine du chef du Canada
(défenderesse)
RÉPERTORIÉ: CANADIAN MARCONI CO. C. CANADA (1" INST.)
Section de première instance, juge Joyal—Ottawa,
14 juin et 5 juillet 1989.
Impôt sur le revenu — Nouvelle cotisation — Le M.R.N. a
établi une nouvelle cotisation dans laquelle il tient pour un
revenu tiré de biens le revenu d'investissement de la demande-
resse de 1977 1981 — La nouvelle cotisation est contraire à
la décision de la Cour suprême du Canada selon laquelle le
revenu d'investissement de 1973 à 1976 est un revenu d'entre-
prise — La demanderesse, s'attendant que soit fixée une
nouvelle cotisation conforme à la décision de la Cour, n'a pas
produit d'avis d'opposition ni de renonciation — Le M.R.N. a,
en vertu de la loi, le pouvoir de fixer des impôts et d'établir de
nouvelles cotisations à n'importe quel moment, en dépit des
dispositions de l'art. 152(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu
relatives aux délais et à la renonciation — La déclaration
portant que le M.R.N. a le pouvoir d'établir une nouvelle
cotisation ne lui impose pas le devoir de le faire — Le ministre
a le pouvoir discrétionnaire d'établir une nouvelle cotisation —
La décision d'établir ou non une nouvelle cotisation doit être
prise conformément à l'intérêt public — La décision fondée sur
l'intérêt public est à l'abri de toute intervention judiciaire.
La demanderesse fabrique et transforme de l'équipement
électronique. Au cours des années 1973 à 1976, elle a déclaré
les revenus tirés de valeurs à court terme comme des revenus
d'entreprise. Le ministre du Revenu national a décidé qu'il
s'agissait de revenus tirés de biens. Dans un jugement rendu en
1986, la Cour suprême du Canada a déclaré que le revenu
d'investissement de la demanderesse constituait un revenu tiré
d'une entreprise exploitée activement et qu'il entrait dans le
calcul des «bénéfices de fabrication et de transformation au
Canada».
Pendant que la question en litige était soumise aux tribu-
naux, la demanderesse a continué à produire ses déclarations de
revenu pour les années 1977 à 1981. Le 4 juillet 1983, le
ministre a établi la nouvelle cotisation de la demanderesse pour
ces années-là conformément à la position adoptée relativement
aux années 1973 à 1976. La demanderesse, croyant que le
ministre établirait de nouvelles cotisations conformes à la déci-
sion de la Cour suprême, n'a pas produit d'avis d'opposition ni
de renonciation à l'égard des années 1977 à 1981. Le ministre a
plus tard avisé la demanderesse qu'en raison de l'absence de
renonciation, il n'était pas habilité à délivrer des avis de
nouvelle cotisation pour ces années, ni à accepter la renoncia-
tion que produit maintenant la demanderesse une fois expiré le
délai de quatre ans.
La demanderesse sollicite un jugement déclaratoire portant
que le ministre est habilité par la loi à établir une nouvelle
cotisation en conformité avec l'arrêt de la Cour suprême. Elle
soutient que le paragraphe 152(4) n'empêche pas le ministre
d'établir une nouvelle cotisation. La Couronne prétend que le
paragraphe 152(4) empêche le ministre d'établir des cotisations
en dehors du délai de quatre ans, sauf en cas de fraude ou de
renonciation.
Jugement: un jugement devrait être rendu déclarant que le
ministre n'est pas empêché par la loi d'établir une nouvelle
cotisation de l'impôt de la demanderesse à l'égard des années
d'imposition 1977 à 1981.
Le paragraphe 152(4) n'a pas pour but d'empêcher l'établis-
sement d'une cotisation en tout temps si le contribuable renonce
à la protection qu'il lui accorde. Les délais prévus au paragra-
phe 152(4) visent à protéger le contribuable contre le pouvoir
vaste et illimité de fixer des impôts qui est conféré au ministre
par les mots «à une date quelconque» au début du paragraphe.
Cette protection ne constitue pas une garantie reposant sur
l'intérêt public; c'est plutôt un droit personnel auquel le contri-
buable peut renoncer.
Cette solution correspond aux dispositions du paragraphe
152(8) qui prévoit qu'une cotisation est réputée être valide et
exécutoire nonobstant toute erreur, vice de forme ou omission
dans cette cotisation ou dans toute procédure s'y rattachant en
vertu de la Loi. Une cotisation est donc présumée valide jusqu'à
ce qu'il soit fait droit à l'opposition ou à l'appel du contribua-
ble, ou jusqu'à ce que celui-ci renonce à la protection que lui
accorde le paragraphe 152(4). La cotisation est annulable sans
toutefois être intrinsèquement nulle. Il semble qu'il est loisible
au ministre d'établir une cotisation à n'importe quel moment, à
la demande et avec le consentement du contribuable. C'est
l'opinion qu'a émise la Commission d'appel de l'impôt dans
l'affaire Gunnar au sujet d'une version antérieure du paragra-
phe 152(8).
L'interprétation donnée par la Couronne au paragraphe
152(4), c'est-à-dire que le législateur a voulu donner un carac-
tère définitif à la relation créancier-débiteur, ne saurait être
acceptée, étant donné les premiers mots de ce paragraphe,
«peut, à une date quelconque, fixer des impôts», et étant donné
la présomption de validité de toute cotisation en vertu du
paragraphe 152(8). L'argument selon lequel le ministre pour-
rait être inondé de demandes ne saurait non plus être accepté.
Le pouvoir illimité du ministre de fixer des impôts et d'établir
de nouvelles cotisations implique le fardeau d'exercer ce pou-
voir conformément à l'intérêt public.
Dans le cas où le contribuable n'aurait pas présenté d'avis
d'opposition ou d'appel et demanderait au ministre, dans le
délai prescrit, d'établir une nouvelle cotisation, celui-ci pourrait
établir une nouvelle cotisation fondée sur une interprétation
judiciaire récente ayant fait droit à la demande d'un autre
contribuable, cela faisant partie de son pouvoir résiduaire. Le
ministre peut exercer son pouvoir discrétionnaire conformément
à l'intérêt public. Il a toutefois déjà précisé sa politique dans sa
Circulaire d'information IC75-7R3, dans laquelle il déclare
qu'il n'établira pas de nouvelles cotisations fondées uniquement
«sur un appel devant les tribunaux d'un autre contribuable
ayant eu gain de cause».
L'omission du contribuable de déposer une renonciation
n'empêche pas le ministre, en vertu de la loi, d'établir ce qui
serait autrement une cotisation hors délai. Il faut éviter de
confondre la légalité d'un acte avec son défaut apparent d'effi-
cacité. À cet égard, il n'y a aucune distinction entre la renon-
ciation au droit d'appel comme dans l'affaire Smerchanski et la
sorte de renonciation anticipée présentée par la demanderesse.
Il s'agit dans les deux cas de choix qui s'offrent à tout
contribuable.
Le ministre a le pouvoir en vertu de la loi de fixer des impôts
et d'établir de nouvelles cotisations à n'importe quel moment.
Le pouvoir discrétionnaire du ministre d'accéder à la demande
de la demanderesse qui l'invite à établir une nouvelle cotisation
conformément à l'arrêt de la Cour suprême du Canada n'est
toutefois pas touché. Sa décision fondée sur l'intérêt public est
à l'abri de toute intervention de cette Cour ou de toute autre
cour.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63,
art. 125.1(1) (ajouté par S.C. 1973-74, chap. 29, art.
1), 150(1), 152 (mod. par S.C. 1978-79, chap. 5, art.
5(1); 1984, chap. 1, art. 84(3)).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Charron c. M.R.N. (1981), 81 DTC 271 (C.R.I.);
Gunnar Mining Limited c. Le ministre du Revenu natio
nal (1969), 70 DTC 1020 (C.A.I.); Morch, Jacob John v.
Minister of National Revenue, [1949] R.C.É 327; 49
DTC 649; Davis, W.W. c. La Reine (1984), 84 DTC 6518
(C.F. 1` 0 inst.); Smerchanski c. Le ministre du Revenu
national, [1974] 1 C.F. 554; 74 DTC 6197 (C.A.); conf.
[ 1977] 2 R.C.S. 23; 76 DTC 6247.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Reckitt and Colman (New Zealand) Ltd. v. Taxation
Board of Review and Another, [1966] N.Z.L.R. 1032
(C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Canadian Marconi Company c. La Reine (1982), 82
DTC 6236 (C.F. 1" inst.); conf. (1984), 84 DTC 6267
(C.A.F.); inf. [1986] 2 R.C.S. 522; 86 DTC 6526; Minis-
tre du Revenu national c. Parsons, [1984] 2 C.F. 331; 84
DTC 6345 (C.A.); Grand Trunk Pacific Railway Co. v.
Dearborn (1919), 58 R.C.S. 315; Lechter, Ben v. Minis
ter of National Revenue, [1965] 1 R.C.É. 413; 64 DTC
5311; Bronze Memorials Ltd. [No. 2] v. M.N.R. (1969),
69 DTC 5420 (C. de 1'É.); Galway c. Le ministre du
Revenu national, [1974] 1 C.F. 593; 74 DTC 6247
(C.A.); Cohen c. La Reine (1980), 80 DTC 6250
(C.A.F.); Thyssen Mining Construction of Canada Ltd.
c. La Reine, [1975] C.F. 81 (1'O inst.); Melahn, Elmer M.
v. Commissioner of Internal Revenue, 9 T. C. 769 (1947
U.S.T.C.); Kammins Ballrooms Co Ltd v Zenith Invest
ment (Torquay) Ltd, [1970] 2 All E.R. 871 (H.L.);
Howard v Secretary of State for the Environment,
[1972] 3 All E.R. 310 (Q.B.); R. c. Taylor, [1985] 1 C.F.
331; 84 DTC 6459 (1 r° inst.); Whitney v. Inland Revenue
Commissioners, [1926] A.C. 37 (H.L.); Fasken, David v.
Minister of National Revenue, [1948] R.C.E. 580;
[1949] 1 D.L.R. 810; Stubart Investments Ltd. c. La
Reine, [1984] 1 R.C.S. 536; 84 DTC 6305; Galway c.
Ministre du Revenu national, [1974] 1 C.F. 600; (1974),
74 DTC 6355 (C.A.).
DOCTR IN E
Driedger, E. A. Construction of Statutes, 2nd ed.
Toronto: Butterworths, 1983.
Halsbury's Laws of England, vol. 1, 4th ed. London:
Butterworths, 1973.
AVOCATS:
Wilfrid Lefebvre, c.r. et Patrice Marceau
pour la demanderesse.
Pierre Barsalou pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Ogilvy, Renault, Montréal, pour la demande-
resse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE JOYAL: La demanderesse invite cette
Cour à prononcer un jugement déclaratoire. La
question en litige porte sur l'interprétation de la
Loi de l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72,
chap. 63]. Elle demande plus précisément une
interprétation de cette Loi en ce qui a trait au
pouvoir du ministre du Revenu national d'établir
de nouvelles cotisations visant un contribuable.
Ironiquement, ce qui est en cause, ce n'est pas la
résistance du contribuable devant le pouvoir du
ministre d'établir de nouvelles cotisations, mais le
contraire. En l'espèce, c'est le contribuable qui
demande au ministre d'établir de nouvelles cotisa-
tions tandis que le ministre s'y refuse en alléguant
qu'il n'est pas habilité à le faire.
Pour mieux cerner ce revirement anormal et
improbable de la situation, il faut en connaître
quelque peu le contexte. Des renseignements sur le
contexte figurent dans l'exposé conjoint des faits
présenté par les parties au procès. En voici un
résumé.
LES FAITS
La demanderesse est une société bien connue
engagée dans la fabrication et la transformation
d'équipement électronique. Au cours de chacune
des années d'imposition de 1973 1976, elle a tiré
un important revenu de valeurs à court terme. Au
cours de chacune de ces années, la demanderesse a
déclaré ces revenus comme du revenu d'entreprise.
Le ministre du Revenu national n'a pas accepté
cette qualification. Il a décidé qu'il s'agissait de
revenus tirés de biens, ce qui a eu pour effet de
modifier l'assiette fiscale de la demanderesse, éta-
blie en vertu du paragraphe 125.1(1) de la Loi de
l'impôt sur le revenu [ajouté par S.C. 1973-74,
chap. 29, art. 1], et d'assujettir celle-ci à un impôt
plus élevé.
La demanderesse a produit ses avis d'opposition
à l'égard de ces nouvelles cotisations. Le ministre a
refusé de changer d'avis. La demanderesse s'est
alors présentée devant la Division de première
instance de la Cour fédérale [(1982), 82 DTC
6236], qui a rejeté l'appel, puis devant la Cour
d'appel fédérale [(1984), 84 DTC 6267] où elle a
encore une fois été déboutée.
Dans un dernier recours, la demanderesse s'est
adressée à la Cour suprême du Canada. Dans un
jugement unanime rendu le 6 novembre 1986 et
publié au [1986] 2 R.C.S. 522; 86 DTC 6526, la
Cour a accueilli le pourvoi de la demanderesse et
déclaré que le revenu d'investissement tiré par la
demanderesse constituait un revenu tiré d'une
entreprise exploitée activement pour les fins de la
Loi de l'impôt sur le revenu et qu'il entrait par
conséquent dans le calcul des «bénéfices de fabri
cation et de transformation au Canada».
Pendant que la question en litige était portée
successivement devant les trois instances judiciai-
res, la demanderesse a continué à produire ses
déclarations de revenu. Elle l'a fait pour les années
1977 1981 inclusivement. Le 4 juillet 1983, le
ministre a établi une nouvelle cotisation visant le
revenu de la demanderesse pour chacune de ces
années conformément à la position adoptée au
cours des quatre années précédentes, de 1973 à
1976.
À la date de cette nouvelle cotisation de 1983, le
délai de quatre ans prévu au paragraphe 152(4) de
la Loi de l'impôt sur le revenu n'était pas encore
expiré. Croyant que le ministre, conformément à la
politique présentée dans la Circulaire d'informa-
tion IC75-7R3, établirait de nouvelles cotisations
de l'impôt de la demanderesse pour les cinq derniè-
res années d'une façon qui corresponde à la déci-
sion que rendrait finalement la Cour à l'égard des
quatre années antérieures, la demanderesse n'a pas
produit d'avis d'opposition ni de renonciation à
l'égard de ces années.
Il est admis que durant toute cette période, le
ministre savait que la demanderesse interjetait
appel à l'égard des quatre années antérieures et
que la politique de la demanderesse à l'égard de
toutes les années de 1973 1981 était de chercher
à obtenir une décision finale d'une façon ou de
l'autre sur la question en litige.
Après avoir finalement eu gain de cause devant
la Cour suprême du Canada à l'égard des années
d'imposition 1973 1976, la demanderesse s'atten-
dait que le ministre fixe pour les cinq années
subséquentes une nouvelle cotisation qui soit con-
forme à l'arrêt de la Cour suprême et qui corres-
ponde à l'obligation fiscale de la demanderesse au
cours des années antérieures.
C'est en octobre 1987 que la demanderesse a été
avisée qu'en raison de l'absence de renonciation à
l'égard de ces cinq années, le ministre n'était pas
habilité à émettre des avis de nouvelle cotisation
pour ces années, ni à accepter une renonciation
une fois expiré le délai de quatre ans.
LA QUESTION EN LITIGE
Il s'agit de savoir si la Couronne est fondée dans
l'interprétation qu'elle donne de la Loi de l'impôt
sur le revenu ou si le ministre dispose du pouvoir
résiduaire d'accorder un redressement à la deman-
deresse. Il s'agit d'un cas où, contrairement à la
tradition et à la pratique, la Couronne semble
s'accommoder facilement d'avoir pour ainsi dire
les mains liées, et la demanderesse semble s'em-
presser de renoncer aux droits que lui confère la
Loi et d'accorder à la Couronne une discrétion
illimitée pour établir de nouvelles cotisations à
volonté.
Les parties invitent la Cour, appelée à trancher,
à examiner minutieusement les dispositions perti-
nentes de la Loi de l'impôt sur le revenu, à les
interpréter conformément aux règles actuelles et à
déterminer quel côté de la question en litige cor-
respond le mieux à l'économie de la Loi et à
l'intention du législateur.
Dans tout ce processus, il faut se rappeler que la
demanderesse ne sollicite qu'un jugement déclara-
toire. La demanderesse reconnaît que la Cour ne
peut ordonner à la Couronne d'établir une nouvelle
cotisation même si elle lui reconnaissait le pouvoir
de le faire.
LA LOI
Les dispositions pertinentes de la Loi de l'impôt
sur le revenu figurent à la Partie I, Section I—
Déclarations, cotisations, paiement et appels.
Le paragraphe 150(1) prévoit qu' «Une déclara-
tion de revenu pour chaque année d'imposition ...
doit, sans avis ni mise en demeure, être adressée au
Ministre en la forme prescrite et renfermer les
renseignements exigés.» Le paragraphe 152(1)
[mod. par S.C. 1978-79, chap. 5, art. 5(1)] prévoit
très clairement que le «Ministre doit, avec toute la
diligence possible, examiner la déclaration de
revenu d'un contribuable pour une année d'imposi-
tion, fixer l'impôt pour l'année, l'intérêt et les
pénalités payables, s'il en est».
Le paragraphe 152(2) impose une autre obliga
tion au ministre, soit « [d'envoyer] un avis de coti-
sation à la personne qui a produit la déclaration».
Cette disposition est complétée par le paragraphe
152(3) qui prévoit que «Le fait qu'une cotisation
est inexacte ou incomplète ou qu'aucune cotisation
n'a été faite n'a pas d'effet sur les responsabilités
du contribuable à l'égard de l'impôt prévu par la
présente Partie.»
Des dispositions plus précises sur les cotisations
et les nouvelles cotisations figurent au paragraphe
152(4) [mod. par S.C. 1984, chap. 1, art. 84(3)].
Il peut être utile de reprendre la teneur de ce
paragraphe:
152... .
(4) Le Ministre peut, à une date quelconque, fier des
impôts, intérêts ou pénalités en vertu de la présente Partie, ou
donner avis par écrit, à toute personne qui a produit une
déclaration de revenu pour une année d'imposition, qu'aucun
impôt n'est payable pour l'année d'imposition, et peut,
a) à une date quelconque, si le contribuable ou la personne
produisant la déclaration
(i) a fait une présentation erronée des faits, par négli-
gence, inattention ou omission volontaire, ou a commis
quelque fraude en produisant la déclaration ou fournissant
quelque renseignement sous le régime de la présente loi, ou
(ii) a adressé au Ministre une renonciation, en la forme
prescrite, dans un délai de 4 ans à compter du jour de
l'expédition par la poste d'un avis de première cotisation
ou d'une notification portant qu'aucun impôt n'est payable
pour une année d'imposition,
b) dans un délai de 7 ans à compter du jour visé au sous-ali-
néa a)(ii) lorsque
(i) une cotisation ou une nouvelle cotisation de l'impôt du
contribuable a été exigée conformément au paragraphe
(6), ou l'aurait été, en application de ce paragraphe, si ce
n'avait été de la production par le contribuable de la
formule prescrite visée à ce paragraphe au plus tard à la
date qui y est mentionnée, ou
(ii) il y a lieu, à la suite de l'établissement de la cotisation
ou d'une nouvelle cotisation de l'impôt d'un autre contri-
buable conformément au présent alinéa ou au paragraphe
(6), d'établir une cotisation ou une nouvelle cotisation de
l'impôt du contribuable pour toute année d'imposition
pertinente, et
c) dans un délai de 4 ans à compter du jour visé au sous-ali-
néa a)(ii), dans tous les autres cas,
procéder à de nouvelles cotisations ou en établir de supplémen-
taires, ou fixer des impôts, intérêts ou pénalités en vertu de la
présente Partie, selon que les circonstances l'exigent, sauf
qu'une nouvelle cotisation, une cotisation supplémentaire ou
une cotisation peuvent être établies en vertu de l'alinéa b) plus
de 4 ans après la date visée au sous-alinéa a)(ii) seulement si
cette mesure peut être raisonnablement considérée comme se
rapportant à la cotisation ou à la nouvelle cotisation visée à cet
alinéa 1 .
Enfin, le paragraphe 152(8) prévoit que «Sous
réserve de modifications qui peuvent y être appor-
tées ou d'annulation qui peut être prononcée lors
d'une opposition ou d'un appel fait en vertu de la
présente Partie et sous réserve d'une nouvelle coti-
sation, une cotisation est réputée être valide et
exécutoire nonobstant toute erreur, vice de forme
ou omission dans cette cotisation ou dans toute
procédure s'y rattachant er vertu de la présente
loi.»
LES ARGUMENTS DE LA COURONNE
Dans la demande dont je suis saisi et qui est
adressée à la Couronne, la demanderesse prétend
que le ministre du Revenu national a le pouvoir
d'établir une nouvelle cotisation pour les années
d'imposition 1977 à 1981 en conformité avec l'ar-
rêt de la Cour suprême du Canada dans lequel elle
a obtenu gain de cause. La Couronne prétend que
son ministre n'est pas habilité par la Loi à agir
ainsi.
Des modifications apportées à la Loi de l'impôt sur le
revenu, S.C. 1984, chap. 45, paragraphe 59(1), ont réduit les
délais de sept et de quatre ans à six et trois ans respectivement,
mais les autres dispositions n'ont pas été modifiées.
Pour plus de clarté, j'aborderais les arguments
de la défenderesse en premier lieu. Cette façon de
faire est peut-être inhabituelle, mais après avoir
étudié tous les arguments présentés à la Cour par
les savants avocats, je suis convaincu que les argu
ments de chaque partie peuvent être mieux com-
pris si je procède de cette façon.
L'argument fondamental présenté par la Cou-
ronne est que la demanderesse cherche à contour-
ner les exigences expresses de la Loi de l'impôt sur
le revenu en matière de production d'une renoncia-
tion, de même que son défaut de produire des avis
d'opposition ou d'appel. La production d'une
renonciation par la demanderesse à ce moment
vise clairement cette fin et de toute façon, la
renonciation ne peut conférer au ministre plus de
pouvoirs que ceux qu'il détient légitimement en
vertu de la Loi.
L'avocat de la Couronne prétend que le pouvoir
du ministre d'établir des cotisations est clairement
limité par la disposition du paragraphe 152(4).
Cette disposition n'est pas ambiguë et elle empê-
che clairement le ministre d'établir des cotisations
en dehors du délai de quatre ans sauf dans les
circonstances précises prévues aux alinéas
152(4)a) et b), soit en cas de fraude ou de renon-
ciation. Il ressort clairement de la lecture du para-
graphe 152(4) que le contribuable qui ne produit
aucun avis d'opposition ou d'appel à l'égard d'une
cotisation conformément aux dispositions expresses
de la Loi ne dispose d'aucun autre recours pour
s'opposer à cette cotisation et que la question est
réglée à jamais. C'est la position adoptée par la
Cour d'appel fédérale dans Ministre du Revenu
national c. Parsons, [1984] 2 C.F. 331; 84 DTC
6345, où le juge Pratte a conclu que, la Loi
prévoyant certains droits d'appel à l'égard d'une
cotisation, aucune autre procédure de réparation
ou de dégrèvement n'est disponible.
Selon l'avocat, puisque la demanderesse n'a pas
suivi la voie prévue, elle ne peut maintenant réta-
blir rétroactivement ses droits qui, s'ils avaient été
exercés adéquatement, auraient pu permettre l'éta-
blissement de nouvelles cotisations.
L'autre argument présenté par la Couronne est
que le contexte législatif du paragraphe 152(4)
impose des limites aux pouvoirs du ministre d'éta-
blir des cotisations. L'avocat demande à la Cour
d'appliquer la règle énoncée par E. A. Driedger
dans son ouvrage Construction of Statutes (2° éd.
1983), la page 87, et reprise par le juge Estey de
la Cour suprême du Canada dans Stubart Invest
ments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, la
page 578; 84 DTC 6305, la page 6323:
[TRADUCTION] Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou
solution: il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte
global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmo-
nise avec l'esprit de la loi ...
Selon l'avocat, le contexte de l'article 152, et
tout particulièrement celui du paragraphe 152(4),
indique que le ministre ne peut établir de nouvelles
cotisations en dehors du délai prévu par la Loi sauf
si certaines conditions sont remplies. Toute mesure
prise par lui en dehors des limites de cette disposi
tion est manifestement invalide. L'intention du
législateur est clairement d'imposer une telle limite
au pouvoir, par ailleurs illimité, du ministre d'éta-
blir des cotisations en tout temps. Cette limite,
prévue dans la Loi, empêche le ministre de procé-
der à toute cotisation en dehors de la règle des
quatre années sauf lorsque le contribuable a
adressé une renonciation dans la forme prescrite à
l'intérieur du délai. En demandant à la Cour d'in-
tervenir, la demanderesse cherche dans les faits à
retrancher l'alinéa 152(4)a) de la Loi.
À cet égard, l'avocat de la Couronne cite une
autre règle d'interprétation énoncée par la Cour
suprême du Canada dans l'arrêt Grand Trunk
Pacifie Railway Co. v. Dearborn (1919), 58
R.C.S. 315, où le juge en chef a déclaré ce qui suit,
aux pages 320 et 321:
[TRADUCTION] Lorsque les termes d'une loi sont clairs et
dépourvus d'ambiguïté, je ne peux admettre que les tribunaux
aient le droit de la modifier pratiquement, soit en retranchant
des mots, soit en apportant des restrictions, à moins que le sens
grammatical et ordinaire du texte édicté conduise à quelque
absurdité, ou à quelque incompatibilité ou contradiction avec
les autres dispositions de la loi et, en ce cas, seulement dans la
mesure nécessaire pour éviter cette absurdité, incompatibilité
ou contradiction.
Selon l'avocat de la Couronne, il ressort claire-
ment du libellé de la Loi que toute tentative par le
ministre d'établir une cotisation ou une nouvelle
cotisation en dehors des limites prévues serait
déclarée invalide ou illégale par les tribunaux.
Telle est la conclusion des décisions Lechter, Ben v.
Minister of National Revenue, [1965] 1 R.C.E.
413; 64 DTC 5311, Bronze Memorials Ltd. [No.
2J v. M.N.R. (1969), 69 DTC 5420 (C. de l'E.) et
Galway c. Le ministre du Revenu national, [1974]
1 C.F. 593; 74 DTC 6247 (C.A.). Dans l'affaire
Galway, le juge en chef de la Cour fédérale a
déclaré ce qui suit, aux pages 596 C.F.; 6249
DTC:
Il semble évident qu'en établissant une nouvelle cotisation, le
Ministre ne peut rien faire d'autre que l'établir en conformité
du pouvoir que lui confère la Loi de l'impôt sur le revenu.
Le juge en chef ajoute ce qui suit, aux pages 598
C.F.; 6250 DTC:
Dans ces circonstances, nous émettons des doutes sérieux quant
à savoir si le Ministre est fondé en droit à établir une nouvelle
cotisation pour ne réclamer qu'une partie du montant de l'im-
pot en cause. S'il n'est pas fondé en droit à le faire, la Cour ne
peut exiger qu'il le fasse.
Dans l'affaire Cohen c. La Reine (1980), 80
DTC 6250 (C.A.F.), le juge Pratte a adopté le
raisonnement de l'arrêt Galway à l'égard de l'ap-
pel d'un contribuable visant une nouvelle cotisa-
tion fondée sur une convention préalable avec le
ministre. La Cour d'appel avait conclu [dans
Galway c. Ministre du Revenu national, [1974] 1
C.F. 600, à la page 602; (1974), 74 DTC 6355, à
la page 6357] que «le Ministre a l'obligation, aux
termes de la Loi, de fixer le montant de l'impôt
exigible d'après les faits qu'il établit et en confor-
mité de son interprétation de la loi. Il s'ensuit qu'il
ne peut établir une cotisation pour un certain
montant fixé afin de donner effet à un compro-
mis». Le juge Pratte a ajouté ce qui suit, à la page
6251:
La convention par laquelle le ministre accepterait de cotiser
pour les fins de l'impôt sur le revenu autrement que suivant la
loi serait à mon avis illicite. Il s'ensuit que même si le dossier
corroborait la prétention de l'appelant lorsqu'il affirme que le
ministre a accepté de considérer le gain en cause comme un
gain de capital, cette convention ne saurait obliger le ministre
et ne lui interdirait pas de cotiser la contribution que doit verser
l'appelant conformément aux exigences de la loi.
Selon l'avocat de la Couronne, il faut déduire de
ces décisions le principe selon lequel le ministre ne
peut, sciemment, établir des cotisations en contra
vention des dispositions de la Loi.
Dans un autre argument, la Couronne prétend
que, si l'on interprète fidèlement le régime prévu
par la loi pour établir l'assujettissement à l'impôt,
il est d'intérêt public de donner un certain carac-
tère définitif à l'assujettissement à l'impôt. Voilà
pourquoi il existe des «délais dans les mécanismes
d'imposition et d'appel», comme a conclu le juge
Addy dans Thyssen Mining Construction of
Canada Ltd. c. La Reine, [ 1975] C.F. 81 (1 re
inst.), à la page 89. Par conséquent, le jugement
déclaratoire sollicité par la demanderesse déroge-
rait et contreviendrait à l'intention du législateur
manifestée dans la Loi et irait à l'encontre de la
jurisprudence portant sur les limites du rôle du
ministre en matière d'établissement de cotisations.
L'avocat de la Couronne mentionne également
la renonciation signifiée hors délai par la deman-
deresse. Il fait valoir qu'une telle renonciation ne
peut augmenter les pouvoirs du ministre puisque,
pour reprendre les mots de l'avocat,
[TRADUCTION] (i) la renonciation aurait pour effet d'éliminer
les limites claires auxquelles la Loi assujettit les pouvoirs de
cotisation du ministre et viserait à valider des actes qui sont
au-delà des pouvoirs du ministre;
(ii) le fait d'accorder une renonciation après l'expiration du
délai de 3 ans dérogerait clairement à l'intention du législateur
qui a expressément prévu un temps limité pour la production de
la renonciation;
(iii) la disposition pertinente n'a pas été adoptée pour le béné-
fice exclusif de la demanderesse.
En citant les paragraphes 23 à 25 du volume 1
de la 4e édition d'Halsbury, l'avocat fait valoir
qu'en règle générale, une renonciation ne peut
donner à une autorité publique plus de pouvoir que
celui dont elle dispose légitimement en vertu de la
législation pertinente. Une personne ne peut faire
une renonciation que lorsque la disposition est
manifestement un mécanisme procédural adopté
uniquement pour son bénéfice. Selon l'avocat, la
Cour peut s'inspirer à cet égard de la décision
Melahn, Elmer M. v. Commissioner of Internai
Revenue rendue en 1947, 9 T. C. 769 (1947
U.S.T.C.). Dans cette affaire, la Cour a rejeté la
notion selon laquelle les dispositions prévoyant des
délais avaient été adoptées pour le bénéfice du
contribuable, qui pouvait y renoncer. La Cour a
déclaré ce qui suit, à la page 777:
[TRADUCTION] La nature même de la question dont est
saisie la Cour montre de plus que le délai de prescription en
cause n'est pas établi exclusivement pour le bénéfice du contri-
buable, comme le prétend le requérant. Il importe beaucoup
pour le commissaire et pour la stabilité du revenu public que la
renonciation aux délais n'ait lieu que de la façon prévue par la
loi. Un principe d'interprétation législative ancien prévoit que,
lorsqu'une loi prescrit limitativement la façon d'accomplir un
acte, elle élimine par le fait même d'autres façons.
Au Royaume-Uni, la Chambre des lords a
conclu dans l'affaire Kammins Ballrooms Co Ltd
v Zenith Investment (Torquay) Ltd, [1970] 2 All
E.R. 871 (H.L.), que les délais de prescription
prévus par la Landlord and Tenant Act 1954
visaient uniquement la procédure et qu'ils pou-
vaient faire l'objet d'une renonciation par une
partie. Dans l'affaire Howard y Secretary of State
for the Environment, [1972] 3 All E.R. 310
(Q.B.), toutefois, le juge Bristow, de la Division du
Banc de la Reine, a conclu que le délai prévu pour
présenter un appel en vertu de la Town and Coun
try Planning Act 1968 était une disposition impé-
rative et que le secrétaire d'État n'avait aucun
pouvoir pour entendre l'appel interjeté après l'ex-
piration du délai.
L'avocat de la Couronne prétend que la disposi
tion de renonciation prévue dans la Loi de l'impôt
sur le revenu n'est pas exclusivement au bénéfice
du contribuable. Elle s'y trouve pour des raisons de
politique publique et la renonciation doit nécessai-
rement respecter les conditions strictes prévues
dans la Loi. Une renonciation qui serait présentée
dans d'autres circonstances que celles qui sont
prévues dans la Loi n'entraînerait aucun effet et ne
pourrait avoir pour conséquence de conférer au
Ministre un pouvoir qu'il n'aurait pas autrement.
LES ARGUMENTS DE LA DEMANDERESSE
L'avocat de la demanderesse fait valoir à titre
d'argument général qu'il n'existe dans la Loi
aucune disposition empêchant le ministre d'établir
une nouvelle cotisation. Selon l'avocat, ce principe
est reflété dans la Circulaire n° 75-7R3 du minis-
tre, datée du 9 juillet 1984, dont nous reproduisons
le paragraphe 4:
Nouvelle cotisation visant à réduire l'impôt à payer
4. Sur réception d'une demande écrite du contribuable, le
Ministère établit ordinairement une nouvelle cotisation pour
donner un remboursement, même si un avis d'opposition n'a pas
été produit dans le délai prescrit, pourvu:
a) que le contribuable ait produit la déclaration de revenu
dans le délai de quatre ans mentionné au paragraphe 164(1);
b) que le Ministère soit convaincu que la cotisation ou
nouvelle cotisation précédente était inexacte;
c) qu'il soit possible d'établir une nouvelle cotisation dans le
délai de quatre ans ou de sept ans, selon le cas, dont il est fait
mention au numéro 1 précédent ou, s'il n'est pas possible de
remplir cette condition, que le contribuable ait produit une
renonciation en la forme prescrite;
d) que la réduction du revenu imposable établi ne résulte pas
uniquement d'une majoration des déductions pour amortisse-
ment ou d'autres déductions laissant une marge de manoeu
vre au contribuable, lorsque ce dernier a demandé au départ
une déduction inférieure au maximum déductible; et
e) que la demande de remboursement ne se fonde pas uni-
quement sur un appel devant les tribunaux d'un autre contri-
buable ayant eu gain de cause.
D'ordinaire, le contribuable doit indiquer avec précision ce qu'il
juge inexact dans la cotisation de l'année en cause.
La demanderesse prétend qu'il faut tenir compte
de la réalité en cause. Elle est injustement dépossé-
dée de certains montants. Elle a injustement été
forcée de payer des impôts auxquels elle n'était pas
assujettie selon l'arrêt de la Cour suprême du
Canada. De 1982 1986, au moment où l'opposi-
tion de la demanderesse faisait laborieusement son
chemin dans le système judiciaire, la Couronne et
la demanderesse savaient toutes deux que l'ensem-
ble des faits donnant lieu au différend sur l'inter-
prétation de la Loi à l'égard du revenu d'investisse-
ment de la demanderesse se répétait d'année en
année. La Couronne était partie aux appels interje-
tés par la demanderesse devant la Cour fédérale du
Canada, Division de première instance et Division
d'appel, tout comme devant la Cour suprême du
Canada. La Couronne savait que la décision finale,
dans un sens ou dans l'autre, réglerait la question
non seulement pour les années visées par l'appel
mais également pour les années subséquentes.
Il serait par conséquent logique, compte tenu de
tout le régime de l'impôt sur le revenu, que la
Couronne ait à tout le moins le droit légal d'établir
de nouvelles cotisations même si elle n'y était pas
obligée aux termes de la Loi.
L'avocat de la demanderesse fait de plus valoir
qu'à la lecture des dispositions du paragraphe
152(4), qui prévoient expressément des délais,
force est de conclure que les délais visent à proté-
ger le contribuable. Ils constituent des garanties
nécessaires compte tenu du pouvoir vaste et illi-
mité de fixer des impôts qui est conféré au ministre
par les mots «à une date quelconque» au début du
paragraphe. S'il n'y avait aucun délai, le contri-
buable serait dans l'incertitude permanente quant
à son assujettissement à l'impôt pour bon nombre
d'années. L'impôt constitue une dette envers la
Couronne et par conséquent, le contribuable ne
serait jamais en mesure de définir ou de préciser le
montant exact de ses obligations.
L'avocat demande à la Cour de conclure que les
garanties prévues au paragraphe 152(4) consti
tuent un bouclier visant à protéger le contribuable.
En dehors des délais prévus, le ministre doit prou-
ver qu'il y a fraude ou qu'il y a renonciation. En
l'absence de ces deux circonstances, le contribua-
ble peut s'opposer à tout avis de cotisation et le
faire casser. Cela ne signifie toutefois pas que cet
avis de cotisation soit intrinsèquement nul. Il serait
plutôt simplement annulable et l'annulation ne se
cristalliserait que si le contribuable décidait de se
prévaloir des moyens de défense que lui accorde la
Loi.
Selon l'avocat, cette façon d'aborder la question
correspond à d'autres dispositions de la Loi,
notamment au paragraphe 152(8) qui prévoit
qu'aune cotisation est réputée être valide et exécu-
toire». Elle correspond également à l'obligation
légale du ministre de fixer l'impôt payable en vertu
de la Loi. Ni plus ni moins. A titre de principe
général, par conséquent, la garantie accordée au
contribuable aux termes du paragraphe 152(4) ne
constitue pas une garantie en vertu de la politique
publique, mais plutôt un droit personnel que le
contribuable peut exercer à son gré.
En fait, selon l'avocat de la demanderesse, la
situation est analogue à celle d'une action intentée
à l'égard d'une lettre de change une fois expirés les
délais applicables. Le défendeur est parfaitement
libre d'invoquer ou non ce fait comme moyen de
défense. S'il ne le fait pas, l'action peut être enten-
due sur le fond. De toute façon, fait valoir l'avocat,
la réclamation fondée sur la lettre de change est
toujours valable. Seul le droit d'action peut être
prescrit.
Pour étayer son argument selon lequel le para-
graphe 152(4) est un bouclier qui a pour objet de
protéger le contribuable et auquel ce dernier peut
renoncer, l'avocat de la demanderesse cite la déci-
sion Charron c. M.R.N., de la Commission de
révision de l'impôt, publiée au (1981), 81 DTC
271, dans laquelle D. E. Taylor, membre de la
Commission, déclare, à la page que l'article 152 de
la Loi accorde une «protection spéciale ... au
contribuable», protection qui ne peut être retirée à
la légère par le ministre.
L'avocat cite également la décision Gunnar
Mining Limited c. Le ministre du Revenu national
(1969), 70 DTC 1020, dans laquelle J. O. Welden,
c.r., de la Commission d'appel de l'impôt déclare, à
la page 1026, que «la disposition relative à la
renonciation contenue au paragraphe 46(4) de la
Loi a été manifestement édictée pour les seuls
bénéfice et protection des contribuables et non
dans le but de frustrer une demande de cotisation
de la part de ceux-ci».
La décision de la Commission dans cette affaire
se poursuit ainsi [à Tage page 1026]:
... il est manifeste que l'article 46 exprime la volonté du
législateur de donner au Ministre les pouvoirs de cotisation les
plus étendus possibles et que, par conséquent, il était loisible à
ce dernier, en raison de la situation quasi inattaquable dans
laquelle le place le paragraphe 7 de l'article 46 (qui vise à
corriger toute erreur, tout vice de forme ou toute omission dans
une cotisation), d'établir une cotisation à n'importe quel
moment, à la demande et avec le consentement du contribuable
en cause. Il m'est impossible de comprendre comment une
cotisation établie dans ces circonstances pourrait aller à l'en-
contre de l'article 46 ou de la fin générale et manifeste recher-
chée par cet article 2 .
La demanderesse s'appuie également, à l'égard
de la validité présumée de toute cotisation d'impôt,
sur la décision Morch, Jacob John v. Minister of
National Revenue, [1949] R.C.É. 327; 49 DTC
649, dans laquelle le président de la Cour de
l'Échiquier, aux pages 333 et 334 R.C.É.; 652
DTC, a déclaré que tant qu'un contribuable ne
peut s'acquitter du fardeau de prouver que la
cotisation est erronée en fait ou en droit, celle-ci
demeure une cotisation valide, déclaration qui a
été reprise en substance par la Division de pre-
mière instance de la Cour fédérale dans l'affaire
R. c. Taylor, [1985] 1 C.F. 331, la page 336; 84
DTC 6459 (1" inst.), à la page 6461.
L'avocat fait de plus valoir que la décision du
juge Reed de cette Cour dans l'affaire Davis, W.
W. c. La Reine (1984), 84 DTC 6518 (C.F. 1"°
inst.), donne une bonne indication de l'attitude des
tribunaux à l'égard du caractère légal d'une cotisa-
tion et de la nature des moyens de défense que le
contribuable peut invoquer. Dans cette affaire, le
contribuable a fait l'objet d'une nouvelle cotisation
en 1966 l'égard de son année d'imposition 1950;
à cette occasion, la Couronne a prétendu que le
contribuable avait fait de fausses déclarations, ce
qui le privait de la protection du délai prévu au
paragraphe 152(4). Les parties ont conclu une
2 L'article 46 de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952,
chap. 148, modifiée par S.C. 1956, chap. 39, art. 11, et par S.C.
1960, chap. 43, art. 15, prévoyait un délai de six ans. Une
modification apportée en 1960 a introduit la règle de la renon-
ciation dans les quatre ans.
transaction avant le procès et, en 1968, les termes
de la transaction ont été produits devant la Cour et
ratifiés par jugement. En décembre 1969, un avis
de nouvelle cotisation conforme au jugement a été
émis et le contribuable a interjeté appel de cet avis
en prétendant que le ministre, avant le dépôt du
jugement, n'avait pas prouvé les fausses déclara-
tions du contribuable et que la nouvelle cotisation
était prescrite en vertu de la Loi.
Voici ce que le juge Reed a déclaré à ce sujet, à
la page 6519:
J'estime que cette prétention n'est pas fondée. Le ministre
n'est pas tenu de prouver les fausses déclarations avant d'en-
voyer un avis de nouvelle cotisation établi après l'expiration du
délai de quatre ans prévu par la loi. Les fausses déclarations
n'ont à être prouvées que si l'affaire est instruite.
Plus loin, à la page 6520, le juge Reed déclare
ce qui suit: «Si, comme le prétend le demandeur, le
ministre était tenu de prouver les fausses déclara-
tions avant que la Cour ne ratifie par jugement la
transaction, le ministre n'aurait aucune raison de
signer une telle transaction ... Si on doit admettre
la prétention formulée par le contribuable à cet
égard, on sape à sa base tout l'objectif et la raison
d'être des règlements à l'amiable.»
L'avocat de la demanderesse me demande de
conclure de ce qui précède que la protection accor-
dée au contribuable en vertu du paragraphe 152(4)
se limite à des intérêts personnels. Le contribuable
peut, à son gré, convenir de respecter une nouvelle
cotisation même si celle-ci est établie longtemps
après le délai et sans qu'il y ait preuve de fausses
déclarations ou de fraude.
Il s'agit là, bien sûr, de la position adoptée par la
Cour d'appel fédérale dans l'affaire Smerchanski
c. Le ministre du Revenu national, [1974] C.F.
554; 74 DTC 6197 (C.A.), où le contribuable avait
consenti à une transaction portant sur les cotisa-
tions de près de quinze années, admis l'exactitude
des cotisations et renoncé à ses droits d'appel.
Après avoir conclu, selon les faits, que rien dans
les termes de la transaction ne pouvait être consi-
déré comme déjouant la Loi ou l'économie de la
Loi ou comme substituant l'imposition par contrat
à l'imposition selon la Loi, le juge Thurlow (tel
était alors son titre) a déclaré ce qui suit, aux
pages 566 C.F.; 6203 et 6204 DTC:
Passons à la deuxième façon dont la prétention de l'appelant
a été présentée. À nouveau, il me semble, d'un point de vue
général, qu'il n'est pas loisible au Ministre de stipuler, comme
condition pour établir une nouvelle cotisation, que le contribua-
ble reconnaisse qu'il est débiteur du montant à déterminer ou
qu'il renonce à son droit d'appel. Rien dans la loi ne lui interdit
expressément ou tacitement de faire une telle stipulation, mais
d'autre part rien dans la loi ne me semble l'autoriser expressé-
ment ou tacitement à exercer ses pouvoirs de cette façon. Dans
cette mesure, je partage le point de vue de l'appelant. Cepen-
dant, s'il est valable, il me semble que le droit de s'opposer à
cette stipulation appartient au contribuable concerné et que si,
pour quelque motif personnel, comme l'espoir d'éviter une
poursuite publique, le contribuable consent à une telle stipula
tion ou renonce à son droit de s'opposer, il me semble n'exister
aucun principe d'ordre public ou de bonnes moeurs qui pourrait
intervenir pour le protéger des conséquences de son propre acte
de consentement ou de renonciation. J'estime également que le
droit d'un contribuable d'interjeter appel d'une cotisation en
vertu de la Loi ne constitue pas un droit d'ordre public ou un
droit conféré à l'avantage du public, mais plutôt un droit
personnel auquel il peut renoncer s'il juge bon de le faire.
Aux pages 567 C.F.; 6204 DTC du jugement, le
juge Thurlow a ajouté ce qui suit:
Appliquant ces considérations à la situation actuelle, il m'ap-
paraît que, si l'on peut dire, avec raison je crois, qu'avant de
procéder par voie de nouvelles cotisations en vue de recouvrer
les pénalités encourues, ainsi que les impôts et l'intérêt, le
Ministre a fixé comme condition que l'appelant se reconnaisse
débiteur, paie sans délai les montants exigibles et renonce à son
droit d'appel, l'appelant ne s'y est pas opposé mais, au con-
traire, comme l'ont prouvé sa signature de l'engagement du 2
juillet 1964 et du document du 10 juillet 1964 ainsi que son
paiement immédiat des montants exigibles, qu'il y a consenti et
qu'il a approuvé la stipulation. En chaque cas, il l'a fait en
pleine connaissance de cause et sur les conseils d'avocats com-
pétents et, à mon sens, le fait d'établir les cotisations en se
fondant sur cette stipulation et sur ce consentement ne porte
atteinte à aucun principe d'ordre public, de bonnes moeurs ni
aux principes contenus dans la loi; et aucun de ces principes ne
saurait soustraire l'appelant aux conséquences de son consente-
ment ou de sa renonciation formelle à son droit d'interjeter
appel des cotisations ainsi établies. Je souscris donc à la conclu
sion du savant juge de première instance que l'appelant est lié
par la renonciation au droit d'appel que comporte le document
qu'il a signé et remis le 10 juillet 1964.
Ce droit illimité du contribuable de renoncer à
son droit d'appel, même lorsque pèse sur lui la
menace de poursuites criminelles, a été reconnu
par la Cour suprême du Canada lorsqu'elle a été
saisie du pourvoi dans l'affaire Smerchanski. L'ar-
rêt de la Cour, [1977] 2 R.C.S. 23; 76 DTC 6247,
a été rendu par le juge en chef qui a déclaré ce qui
suit, aux pages 31 R.C.S.; 6251 DTC:
Comme il n'est pas contesté qu'un contribuable peut valide-
ment renoncer à son droit d'appel contre une cotisation d'impôt
et que l'intérêt public ne s'oppose pas à pareille renonciation, la
seule question importante en litige dans le présent appel est de
savoir si le fisc, lorsqu'il envisage sérieusement des poursuites,
par voie d'acte d'accusation comme c'est le cas en l'espèce,
peut, sur l'offre faite par le contribuable, imposer comme
condition préalable au règlement d'une dette fiscale indubitable
la renonciation au droit d'appel et, par voie de conséquence,
renoncer lui-même à toute poursuite.
Le juge en chef ajoute ce qui suit, aux pages 34
R.C.S.; 6252 DTC:
La conclusion à laquelle j'arrive en l'espèce fait l'objet de
dispositions statutaires d'ordre général en droit anglais aussi
bien qu'américain. En effet, depuis 1944, le droit fiscal anglais
autorise le recours aux règlements financiers au lieu de poursui-
tes criminelles, solution aujourd'hui consacrée par la Taxes
Management Act, 1970 (U.K.), c. 9., art. 105. Aux États-Unis,
les art. 7121 et 7122 du Internai Revenue Code de 1954
autorisent les règlements et les transactions en matière de
dettes fiscales par opposition aux poursuites civiles ou criminel-
les, avant qu'il y ait renvoi au ministère de la Justice aux fins
de poursuites ou de défense. Je ne crois pas que ces dispositions
indiquent nécessairement l'invalidité en common law de tous les
règlements contractuels conclus dans la crainte de poursuites
possibles et dans l'intention de les éviter. Elles reflètent plutôt
la pratique suivie, et ont pour but de soustraire à toute contes-
tation le pouvoir du percepteur de conclure un règlement ou un
compromis en matière de dette fiscale, même lorsque le contri-
buable s'expose à des poursuites possibles ou probables par
suite de fraude délibérée.
Je suis d'avis de rejeter les pourvois avec dépens.
CONCLUSIONS
Sans vouloir trop flatter les avocats des parties,
je dois reconnaître qu'ils m'ont tous deux con-
vaincu de l'ambiguïté de la Loi en ce qui a trait au
droit du ministre d'établir de nouvelles cotisations
dans les circonstances de l'espèce. Lever cette
ambiguïté n'est pas tâche facile.
Le paragraphe 152(1) prévoit clairement que le
ministre doit examiner la déclaration de revenu
d'un contribuable et fixer l'impôt pour l'année. Par
ailleurs, le paragraphe 152(4) énonce que le minis-
tre peut, à une date quelconque, fixer des impôts.
De même, le paragraphe 152(1) parle de la
déclaration de revenu d'un contribuable, tout
comme les paragraphes 152(4), 152(5) et 152(6).
Toutes ces dispositions indiquent que le devoir du
ministre en vertu du paragraphe 152(1) ou son
pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe
152(4) ne peut être exercé que lorsque des déclara-
tions de revenu ont été produites. Seul le paragra-
phe 152(7) prévoit que le ministre peut fixer l'im-
pôt à payer même en l'absence d'une déclaration.
Cela pourrait donner à penser que le ministre a
l'obligation d'établir une cotisation lorsqu'une
déclaration de revenu a été produite, mais qu'il a
un pouvoir discrétionnaire dans le cas contraire.
Les observations qui précèdent ne sont pas
nécessairement pertinentes à la question dont je
suis saisi, mais elles illustrent néanmoins les diffi-
cultés découlant d'expressions dichotomiques à
l'intérieur du même article de la Loi. Il en est de
même des dispositions en matière de délai et de
renonciation figurant au paragraphe 152(4).
Voici ma perception initiale de l'argument de la
Couronne: si le ministre ne peut établir des cotisa-
tions qu'à l'intérieur de certains délais, sauf s'il y a
présentation erronée des faits, fraude ou produc
tion d'une renonciation, il ne peut établir de cotisa-
tion en tout 'autre temps. Une fois expirés les délais
prévus par ce paragraphe, les pouvoirs du ministre
sont prescrits et, peu importe que la situation
appelle un redressement en faveur du receveur
général ou en faveur du contribuable, l'obligation
fiscale est déterminée une fois pour toutes, avec
une irrévocabilité que ni la réalité ni la logique ne
peuvent entamer.
Aux yeux de la demanderesse toutefois, le point
en litige n'est pas aussi noir sur blanc. La deman-
deresse interprète le délai prévu au paragraphe
152(4) comme l'expression de l'intention du légis-
lateur de protéger le contribuable contre l'exercice
abusif du pouvoir du ministre d'établir à volonté
des cotisations ou de nouvelles cotisations. La dis
position n'a pas pour but d'empêcher l'établisse-
ment d'une nouvelle cotisation en tout temps si le
contribuable renonce à la protection qu'elle lui
accorde.
À la lumière des arguments présentés par les
deux parties, je décomposerais ainsi les points en
litige:
1. Pour lever l'ambiguïté de la formulation du
paragraphe 152(4), faut-il voir dans cette dispo
sition l'intention du législateur de mettre un
point final à tout le mécanisme de l'établisse-
ment d'une cotisation si les délais qui y sont
prévus ne sont pas respectés? Dans l'affirmative,
la question serait tranchée.
2. Par contre, s'il s'avère que les délais prévus
existent pour le bénéfice du contribuable, le
pouvoir du ministre d'établir des cotisations à
une date quelconque serait toujours en vigueur,
et il serait loisible au contribuable d'invoquer les
moyens de défense que lui accorde la Loi, s'il le
désire.
Pour trancher cette alternative, il y a lieu de
tenir compte, à tout le moins en partie, de la
situation factuelle qui a donné lieu à la présente
demande. Il est reconnu en fait que les cotisations
établies par le ministre pour les années 1973 à
1976 de même que pour les années 1977 à 1981
sont erronées, à tout le moins en ce sens qu'elles ne
sont pas conformes à la loi. Les parties ont admis,
et j'ai déjà cité des décisions à cet égard, que les
pouvoirs conférés au ministre se limitent à l'éta-
blissement de l'obligation fiscale conformément à
la Loi. Par conséquent, que la demanderesse soit
ou non aux prises avec les cotisations visées par la
présente demande, pour les années 1977 à 1981, la
réalité c'est que lorsque l'arrêt de la Cour suprême
a été rendu en 1986, il est devenu évident que
l'obligation fiscale imposée à la demanderesse était
erronée en droit et que les cotisations n'avaient pas
été établies conformément à la Loi. Dans ses
déclarations de revenu pour chacune de ces années,
la demanderesse a déclaré son obligation fiscale.
Cette déclaration était parfaitement convenable.
Puis ont suivi les cotisations de 1983. Comme l'a
déclaré lord Dunedin dans l'affaire Whitney v.
Inland Revenue Commissioners, [1926] A.C. 37
(H.L.), à la page 52, [TRADUCTION] «il y a
d'abord la déclaration d'obligation fiscale ... Puis
il y a la cotisation. L'obligation ne dépend pas de
la cotisation. En théorie, cela est déjà établi. Tou-
tefois, la cotisation précise la somme exacte qu'une
personne asujettie à l'impôt est tenue de payer.» Il
s'ensuit donc que l'obligation fiscale de la deman-
deresse correspond au montant que celle-ci a
déclaré et non au montant fixé dans les cotisations
du ministre.
L'autre élément qui m'étonne quelque peu est la
position adoptée par la Couronne lorsque la
demanderesse a produit sa renonciation et
demandé l'établissement de nouvelles cotisations
conformément à l'arrêt de la Cour suprême. À
première vue, il me semble que la décision de la
Couronne d'acquiescer ou de s'opposer à cette
demande était purement discrétionnaire. J'ai déjà
mentionné le pouvoir impératif et facultatif du
ministre d'établir des cotisations en vertu de l'arti-
cle 152. Ce pouvoir semble être impératif en vertu
des paragraphes 152(1) et 152(2), mais facultatif
en vertu du paragraphe 152(4). Le ministre aurait
fort bien pu simplement refuser d'exercer son pou-
voir discrétionnaire en faveur de la demanderesse.
Il aurait eu pour ce faire des motifs convaincants:
la demanderesse ayant omis de produire les avis
d'opposition, d'appel ou de renonciation prévus, ces
recours sont prescrits et le ministre, pour des rai-
sons de politique ou autres, n'est pas prêt à prendre
quelque initiative qui puisse apporter un dégrève-
ment.
Toutefois, la Couronne n'a pas adopté cette
position. Elle a refusé de procéder à une nouvelle
cotisation en prétendant que le ministre n'était pas
habilité à le faire. Elle se trouvait essentiellement à
donner le message suivant à la demanderesse:
nonobstant l'erreur manifeste dans les cotisations
pour les années 1977 à 1981, une obligation fiscale
erronée ou un enrichissement sans cause, le minis-
tre, qui avait profité injustement de cet enrichisse-
ment, était empêché d'agir en vertu de la Loi et
n'avait pas le pouvoir d'accorder un dégrèvement.
Ainsi qu'il ressort des arguments présentés, le
débat sur la question en litige semble s'éloigner
quelque peu du domaine étroit de l'interprétation
des lois pouvant fonder un jugement déclaratoire.
La renonciation d'un contribuable à ses droits en
vertu du paragraphe 152(4) peut être une question
de politique publique ou tout simplement une ques
tion de choix personnel. Ce point ne permet pas de
trancher la question de savoir si le ministre a un
pouvoir résiduaire de «fixer des impôts à une date
quelconque».
De la même façon, si la Loi prévoit, au paragra-
phe 152(8), qu'une cotisation est réputée être
valide et exécutoire, il ne s'ensuit pas nécessaire-
ment que l'établissement hors délai d'une nouvelle
cotisation se situe à première vue au-delà des
pouvoirs du ministre.
Finalement, toute déclaration de cette Cour por-
tant que le ministre n'est pas empêché par la Loi
d'établir une cotisation ne signifie pas nécessaire-
ment qu'il a le devoir de le faire.
Ces observations ou ces ruminations en tête, la
Cour doit maintenant trancher les questions. Il y
aurait lieu de procéder comme suit:
(1) Conformément aux décisions citées par la
demanderesse, je conclus que la protection accor-
dée au contribuable en vertu du paragraphe 152(4)
peut faire l'objet d'une renonciation par la deman-
deresse. Les décisions Charron c. M.R.N., Gunnar
Mining Limited c. Le ministre du Revenu natio
nal, Davis, W. W. c. La Reine, Morch, Jacob John
v. Minister of National Revenue, et Smerchanski
c. Le ministre du Revenu national précitées
reprennent systématiquement ce principe et l'ex-
priment de diverses façons.
(2) Je souscris à l'avis exprimé par J. O.
Welden, c.r., dans l'affaire Gunnar, selon lequel en
raison de la situation quasi inattaquable dans
laquelle le paragraphe 46(7), maintenant le para-
graphe 152(8), place le ministre, il était loisible au
ministre d'établir une cotisation à n'importe quel
moment, à la demande et avec le consentement du
contribuable. J'ai souligné les mots qui précèdent
pour indiquer que la décision ne vise pas à imposer
une obligation au ministre.
(3) Il y a lieu d'analyser à fond le paragraphe
152(8). Ce paragraphe prévoit qu'une cotisation,
qui peut toujours faire l'objet d'une nouvelle coti-
sation, est réputée être valide et exécutoire nonob-
stant toute erreur, vice de forme ou omission dans
cette cotisation ou dans toute procédure s'y ratta-
chant en vertu de la présente Loi. À mon avis,
cette disposition exprime l'intention du législateur
d'accorder une présomption de validité à toute
mesure prise par le ministre pour établir une coti-
sation, sous réserve des recours du contribuable.
Cette présomption de validité ne peut être réfutée
qu'au moyen d'une opposition ou d'un appel
auquel il est fait droit ou de la renonciation par le
contribuable à la protection que lui accorde le
paragraphe 152(4). Je conclus donc de ce qui
précède que toute cotisation du ministre est annu-
lable sans toutefois être intrinsèquement nulle.
(4) Le point fort de l'argumentation de l'avocat
de la Couronne porte sur la politique publique. La
portée principale de cet argument est que par
l'adoption du- paragraphe 152(4), le législateur a
manifestement voulu couper court à toute impréci-
sion prolongée quant à l'assujettissement du con-
tribuable à l'impôt, en d'autres termes, donner un
certain caractère définitif à la relation créancier-
débiteur. Je dois reconnaître qu'en elle-même, une
telle interprétation du paragraphe 152(4) est plau-
sible. Toutefois, cette disposition doit être interpré-
tée à la lumière de ses premiers mots, «le Ministre
peut, à une date quelconque, fixer des impôts», et à
la lumière de la présomption de validité de toute
cotisation en vertu du paragraphe 152(8) dont j'ai
traité plus haut. De plus, je ne perçois pas de
politique publique clairement définie à l'égard de
la question dont je suis saisi. La déclaration que
cherche à obtenir la demanderesse n'est pas de
nature à imposer au ministre l'obligation d'établir
une nouvelle cotisation. Elle vise uniquement à
faire déclarer que le ministre a le pouvoir en vertu
de la Loi d'établir des cotisations s'il juge qu'il est
approprié et opportun de le faire, compte tenu des
normes de la politique publique. Pour refuser
l'exercice de son pouvoir discrétionnaire de fixer
des impôts, le ministre peut tout aussi bien invo-
quer les impératifs de la politique que les disposi
tions de la Loi. Dans l'un et l'autre cas, je ne vois
aucun vice dans le contexte de la politique qui peut
être tiré de la Loi à cet égard.
(5) Sur la question de la renonciation, l'avocat
de la Couronne m'a demandé d'analyser une déci-
sion de la Nouvelle-Zélande. Il s'agit de Reckitt
and Colman (New Zealand) Ltd. v. Taxation
Board of Review and Another, [1966] N.Z.L.R.
1032 (C.A.). Cette décision porte sur le pouvoir du
commissaire du Revenu national de renoncer à
l'application stricte du délai de 30 jours prévu à
l'article 29 de la loi pertinente, à l'intérieur duquel
le contribuable peut interjeter appel, devant la
Cour suprême, de la décision d'une commission de
révision. La décision cite un arrêt de la Cour de
l'Échiquier du Canada dans l'affaire Fasken,
David v. Minister of National Revenue, [1948]
R.C.É. 580; [1949] 1 D.L.R. 810, dans lequel le
président Thorson a déclaré ce qui suit, aux pages
605 R.C.É; 834 D.L.R.:
[TRADUCTION] L'appel interjeté d'une cotisation d'impôt ne
constitue pas un différend privé entre le contribuable appelant
et le ministre, ou un litige au sens ordinaire du terme ...; le
public a un intérêt à ce que l'appel soit entendu et que les
contribuables soient reconnus débiteurs de l'impôt auquel le
législateur les a assujettis ...
La Cour d'appel de la Nouvelle-Zélande a
conclu que la règle du délai de 30 jours constitue
une question de politique publique et que le com-
missaire du Revenu national ne peut y renoncer.
La Cour a déclaré ce qui suit, à la page 1039:
[TRADUCTION] En acceptant de renoncer au délai, le com-
missaire met encore une fois la Couronne en mauvaise posture
et cela, de façon générale, peut causer un inconvénient aux
autres contribuables. Par conséquent, à mon avis, le commis-
saire ne peut, légalement, renoncer à la première exigence de
l'article 29.
Il se peut que cette décision corresponde à notre
jurisprudence. Toutefois, en l'espèce, il ne s'agit
pas de savoir si la Couronne peut renoncer à un
délai de prescription prévu par la Loi et non
respecté par le contribuable. Il s'agit en l'espèce de
la situation contraire. Toute renonciation par la
demanderesse aux droits que lui confère le para-
graphe 152(4) de la Loi et qui, selon une jurispru
dence constante, existent pour sa protection ne
permet pas de trancher la question. La question ne
peut être tranchée que si le ministre, le cas échéant
et à sa discrétion, décide d'établir une nouvelle
cotisation. C'est à cette étak:, à mon avis, que les
principes relatifs à la politique s'appliquent, s'il en
est.
(6) L'autre argument invoqué par la Couronne
à l'égard de la politique publique est le suivant: si
la Cour conclut que le ministre peut effectivement
fixer des impôts en tout temps, l'obligation fiscale
ne serait jamais réglée définitivement et le ministre
pourrait être inondé de demandes visant à obtenir
de nouvelles cotisations, comme on pourrait le
craindre, parfois pour des motifs qui ne sont pas
aussi convenables que ceux de la demanderesse en
l'espèce. On peut rapidement répondre à cette
crainte en affirmant que le ministre doit s'accom-
moder de la Loi comme elle est. Si le législateur
lui a accordé un pouvoir illimité de fixer des
impôts et d'établir de nouvelles cotisations, cela
suppose implicitement que le ministre a le fardeau
d'exercer ce pouvoir conformément aux normes de
la politique publique. Si la politique publique le
porte à conclure qu'il ne devrait pour aucune
raison établir de nouvelles cotisations en dehors du
délai prévu au paragraphe 152(4), peu importe
l'effet pour le contribuable, il lui serait loisible de
s'en tenir à cette décision.
(7) II est facile d'imaginer des circonstances
dans lesquelles un contribuable, qui n'a présenté
aucun avis d'opposition ou d'appel, demande au
ministre, dans le délai prescrit, d'établir une nou-
velle cotisation fondée sur une interprétation judi-
ciaire récente ayant fait droit à la demande d'un
autre contribuable. Il me semble que le ministre a
le pouvoir discrétionnaire de le faire. Cela fait
partie de son pouvoir résiduaire. Il peut exercer
son pouvoir discrétionnaire conformément à la
politique publique. À cet égard, il convient de
souligner que le ministre a déjà précisé sa politique
dans sa Circulaire d'information IC75-7R3, dans
laquelle il déclare, au paragraphe 4(3), qu'il n'éta-
blira pas de nouvelles cotisations en pareil cas.
(8) En ce qui a trait à nouveau à la question
d'une cotisation nulle par opposition à une cotisa-
tion annulable, il y a lieu de mentionner le sous-
alinéa 152(4)a)(1) de la Loi en vertu duquel le
ministre peut, à une date quelconque, fixer des
impôts dans les cas de présentation erronée des
faits ou de fraude. Dès le moment où une cotisa-
tion est établie pour ces motifs, le ministre doit en
faire la preuve. Jusqu'à l'issue du litige, toutefois,
la cotisation demeure valide et elle oblige le contri-
buable à agir. La cotisation ne peut être attaquée
sous prétexte qu'elle serait intrinsèquement nulle.
Elle est annulable uniquement si le ministre ne
peut s'acquitter du fardeau de la preuve. Par con-
séquent, le ministre peut, de la même façon, établir
une cotisation à une date quelconque et cette
cotisation est présumée valide, sous réserve unique-
ment du droit du contribuable d'invoquer les
moyens de défense que lui accorde la Loi, auquel
cas la cotisation cesse d'avoir effet.
(9) J'interprète les dispositions de la Loi relati
ves à la renonciation comme un signal indiquant
au ministre que le contribuable n'invoquera pas les
délais comme moyen de défense. Cela permet aux
deux parties de procéder à une analyse approfon-
die de façon à établir une cotisation plus appro-
priée. En l'absence d'une renonciation, le contri-
buable risque d'être confronté à une cotisation plus
tranchante. Je ne puis toutefois conclure que
l'omission du contribuable d'adresser une renon-
ciation empêche le ministre en vertu de la Loi
d'établir ce qui serait autrement une cotisation
hors délai.
Il faut éviter de confondre la légalité d'un acte
avec son défaut apparent d'efficacité. À cet égard,
je ne vois aucune distinction entre la renonciation
au droit d'appel comme dans l'affaire Smer-
chanski et la sorte de renonciation anticipée pré-
sentée par la demanderesse en l'espèce. Il s'agit
dans les deux cas de choix qui s'offrent à tout
contribuable. Comme dans l'affaire Gunnar, la
demanderesse invite simplement le ministre à éta-
blir une nouvelle cotisation conformément à l'in-
terprétation de la loi donnée par la Cour suprême
du Canada. Le pouvoir discrétionnaire du ministre
d'agir à cet égard n'est toutefois pas touché et sa
décision politique est à l'abri de toute intervention
de cette Cour ou de toute autre cour.
JUGEMENT
Je déclarerais par conséquent que, selon l'inter-
prétation que je donne à la Loi de l'impôt sur le
revenu, le ministre du Revenu national n'est pas
empêché par la Loi d'établir une nouvelle cotisa-
tion de l'impôt de la demanderesse à l'égard des
années d'imposition 1977 1981, nonobstant les
dispositions relatives aux délais et à la renonciation
du paragraphe 152(4) de la Loi.
Compte tenu des motifs susmentionnés, je n'ai
pas à me prononcer sur la validité de toute renon-
ciation produite en dehors des délais prescrits par
la Loi.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.