A-91-88
J. Stuart Robertson (appelant) (demandeur)
c.
La Reine (intimée) (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: ROBERTSON C. CANADA (CA.)
Cour d'appel, juges Heald, Marceau et Stone,
J.C.A.—Calgary, 14 novembre 1989; Ottawa, 5
janvier 1990.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Avantage
imposable — Option d'achat d'actions accordée en 1974, levée
en 1980, entraînant un profit de 235 500 $ — Profits imposa-
bles uniquement lorsqu'ils se matérialisent (1980).
En 1974, le contribuable était employé à titre de gérant d'un
ranch par M. Jack M. Pierce qui était aussi président et
actionnaire de Ranger Oil (Canada) Limited. Afin d'inciter le
contribuable à conserver son emploi chez lui, Pierce lui a
accordé, dans une convention signée en octobre 1974; l'option
d'achat lui permettant d'acquérir, pendant les cinq années
suivantes, un nombre important d'actions de Ranger Oil, à un
prix correspondant approximativement à leur juste valeur mar-
chande à l'époque (1974).
En 1980, le contribuable a levé l'option et acheté 6 000
actions, réalisant ainsi un profit de 235 500 $. Le ministre du
Revenu national a invoqué le paragraphe 5(1) et l'alinéa 6(1)a)
de la Loi de l'impôt sur le revenu pour établir une nouvelle
cotisation visant l'année d'imposition 1980 du contribuable et
ajouter la somme de 235 500 $ à titre d'avantage imposable. Il
s'agissait d'un appel interjeté d'un jugement de la section de
première instance rejetant l'appel interjeté de cette nouvelle
cotisation par le contribuable.
Arrêt: l'appel devrait être rejeté.
L'appelant a admis avoir reçu des avantages imposables. Le
litige portait sur la question de savoir si ces avantages étaient
imposables en 1980 ou, comme le prétendait le contribuable, en
1974, ou dans chacune des cinq années suivantes en proportion
de l'accroissement du droit d'acheter les actions.
Il s'agissait de déterminer si le contribuable «avait reçu» un
avantage tiré d'un emploi ou «en avait joui» au sens de l'alinéa
6(1)a) de la Loi lorsqu'il a obtenu pour la première fois le droit
d'acheter les actions. Dans l'affaire Abbott v. Philbin, une
majorité de la Chambre des lords a conclu que le droit d'ache-
ter les actions, conféré par une option, est en lui-même un
élément d'actif appréciable et le seul avantage lié directement à
l'emploi. La Cour a toutefois préféré retenir les motifs des deux
lords dissidents dans cette affaire. Lord Keith: [TRADUCTION]
«l'option est une offre que l'appelant (l'employé) peut accepter
ou refuser à son gré et au moment qui lui convient, mais tant
qu'elle n'est pas acceptée, la transaction n'est pas complète et
aucun avantage n'est matérialisé». Lord Denning: [TRADUC-
TION] «l'offre elle-même (l'option) ne serait pas une gratifica
tion ou un profit; en effet, elle n'accorde que la perspective d'un
profit, et non le profit lui-même».
Il ne faudrait évidemment pas qu'une double taxation soit
imposée sur des gains provenant d'une seule opération, ou que
le même avantage soit imposé à deux occasions. Il existe en fait
deux avantages. Un premier avantage découle du fait que
l'employeur s'engage, pendant une certaine période, à vendre
des actions à un prix fixe, peu importe l'appréciation de la
valeur marchande de ces actions; un deuxième avantage se
produit lorsque, le cas échéant, l'employé exerce les droits
découlant du premier avantage et lève l'option. Il reste toutefois
que, si le deuxième avantage peut être mesuré par l'écart entre
le coût de la levée de l'option et la valeur marchande des
actions au moment de leur acquisition, le premier avantage,
même s'il existe réellement, ne peut faire l'objet d'une quantifi-
cation indépendante. Seul le deuxième avantage, celui qui est
quantifiable, est visé par l'alinéa 6(1)a) de la Loi.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Income Tax Act, 1952, 15 & 16 Geo. 6 & Eliz. II, chap.
10, ann. 9, r. 1.
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63,
art. 5(1), 6(1)a) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap.
48, art. 1(1)), 7 (mod. par S.C. 1977-78, chap. 1, art.
3).
JURISPRUDENCE
DÉCISION NON SUIVIE:
Abbott v. Philbin (Inspector of Taxes), [1960] 2 All E.R.
763 (H.L.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Tyrer v Smart (Inspector of Taxes), [1979] 1 All ER 321
(H.L.).
DÉCISION CITÉE:
R. c. Savage, [1983] 2 R.C.S. 428; 83 DTC 5409.
AVOCATS:
John B. Ballem, c.r. et Orville A. Pyrez pour
l'appelant (demandeur).
Robert W. McMechan pour l'intimée (défen-
deresse).
PROCUREURS:
Ballem, McDill, Maclnnes & Eden, Calgary,
pour l'appelant (demandeur).
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée (défenderesse).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU, J.C.A.: Le présent appel
porte sur une cotisation d'impôt établie en vertu de
la Loi de l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72,
chap. 63]. En fixant la nouvelle cotisation du
demandeur pour l'année d'imposition 1980, le
ministre du Revenu national a ajouté la somme de
235 500 $ à son revenu, à titre d'avantage imposa-
ble. Cette somme correspond à l'excédent de la
juste valeur marchande des actions d'une société
publique, acquises par l'appelant en 1980 aux
termes d'une option qui lui avait été accordée
quelques années plus tôt, sur le prix d'achat payé
par celui-ci. L'appelant a intenté une action devant
la Section de première instance [[1988] 2 C.F.
144] pour contester la validité de cette cotisation.
L'action ayant été rejetée, il porte sa cause devant
la présente Cour. Même s'il n'a trait qu'à la
détermination de l'année de la cotisation, le point
en litige est difficile à résoudre et lourd de consé-
quences, et ce n'est qu'après beaucoup d'hésitation
que je suis arrivé à la conclusion exprimée dans les
présents motifs.
Les faits peuvent être résumés brièvement. En
1974, l'appelant était au service de M. Jack M.
Pierce à titre de gérant de ranch, responsable des
activités de l'exploitation. M. Pierce était aussi
président et actionnaire d'une société pétrolière,
Ranger Oil (Canada) Limited. Afin d'inciter l'ap-
pelant à conserver son emploi chez lui à titre de
gérant de ranch, Pierce lui a accordé, dans une
convention signée le 9 octobre 1974, une option
d'achat lui permettant d'acquérir jusqu'à 2 500 des
actions ordinaires de Ranger Oil qu'il possédait, au
prix unitaire de 15 $ correspondant approximative-
ment à la juste valeur marchande des actions à
l'époque. L'option pouvait être levée au rythme
annuel de 500 actions pendant les cinq années
suivantes, sous réserve de certaines conditions, la
principale étant que l'appelant conserve son
emploi.
Cinq ans plus tard, l'appelant était toujours
gérant du ranch de Pierce et il n'avait pas encore
levé la plus grande partie de l'option. Entre temps,
il y avait eu fractionnement des actions ordinaires
de Ranger Oil, ce qui lui donnait le droit, aux
termes de la, convention, d'acheter 6 000 actions au
prix unitaire de 3,75 $. Le 15 septembre 1980, il a
levé l'option et acheté les actions pour le prix total
de 22 500 $. À cette date, les 6 000 actions avaient
une juste valeur marchande de 258 000 $.
La Loi de l'impôt sur le revenu comprend des
dispositions portant expressément sur des conven
tions visant à attribuer des actions à des employés.
Ces dispositions se trouvent à l'article 7 [mod. par
S.C. 1977-78, chap. 1, art. 3] dont voici un extrait:
7. (1) Sous réserve du paragraphe (1.1) lorsqu'une corpora
tion a convenu de vendre ou d'attribuer un certain nombre
d'actions de son capital-actions, ou des actions d'une corpora
tion avec laquelle elle a un lien de dépendance, à un de ses
employés ou à un employé d'une corporation avec laquelle elle a
un lien de dépendance,
a) si l'employé a acquis des actions en vertu de la conven
tion, un avantage, égal à la fraction de la valeur des actions
qui, au moment où il les a acquises, était en sus de la somme
qu'il a payée ou devra payer pour ces actions à la corpora
tion, est réputé avoir été reçu par l'employé en raison de son
emploi dans l'année d'imposition où il a acquis les actions;
Ces dispositions spéciales ne s'appliquent toutefois
pas à l'appelant puisque son employeur n'était pas
une corporation, et le ministre ne pouvait s'ap-
puyer sur elles pour fonder sa nouvelle cotisation.
Le ministre a invoqué les dispositions générales du
paragraphe 5(1) et de l'alinéa 6(1)a) de la Loi
dont voici le libellé tel qu'il était en 1980 [c'est-à-
dire mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 43, art.
1(1)]:
5. (1) Sous réserve de la présente Partie, le revenu d'un
contribuable, pour une année d'imposition, tiré d'une charge ou
d'un emploi est le traitement, salaire ou autre rémunération, y
compris les gratifications, que ce contribuable a reçues dans
l'année.
6. (1) Doivent être inclus dans le calcul du revenu d'un
contribuable tiré, pour une année d'imposition, d'une charge ou
d'un emploi, ceux des éléments appropriés suivants:
a) la valeur de la pension, du logement et autres avantages
de quelque nature que ce soit, sauf un avantage
(i) résultant des contributions de son employeur à une
caisse ou à un régime enregistré de pensions, un régime
d'assurance collective contre la maladie ou les accidents,
un régime de service de santé privé, un régime de presta-
tion supplémentaire de chômage, un régime de participa
tion différée aux bénéfices ou une police collective d'assu-
rance temporaire sur la vie, ou
(ii) résultant d'un régime de prestations aux employés ou
d'une fiducie d'employés,
qu'il a reçus ou dont il a joui dans l'année au titre, dans
l'occupation ou en vertu de la charge ou de l'emploi;
La position adoptée par le ministre comprenait
implicitement deux propositions: en premier lieu,
que la convention d'option d'achat d'actions a
accordé à l'appelant des avantages qui consti-
tuaient une rémunération pour ses services à titre
de gérant de ranch; en deuxième lieu, que ces
avantages imposables s'étaient matérialisés pour
lui en 1980, lorsqu'il a levé la plus grande partie de
l'option et acquis les 6 000 actions.
L'appelant ne conteste pas la première proposi
tion. Il concède qu'elle peut être appuyée par le
sens large des mots employés par la Loi, tout
spécialement les expressions «avantages de quelque
nature» et «au titre, dans l'occupation ou en vertu»,
que les tribunaux ont toujours interprétées comme
des expressions accordant aux dispositions une
portée particulièrement large (cf R. c. Savage,
[1983] 2 R.C.S. 428). Il ne conteste pas avoir
reçu, au moyen de cette convention, des avantages
qui faisaient partie de sa rémunération et qui, à ce
titre, étaient assujettis à l'impôt en vertu du para-
graphe 5(1) et de l'alinéa 6(1)a) de la Loi. Si un
litige existait sur ce point, il n'a pas été porté
devant la Cour.
Selon l'appelant, c'est la deuxième proposition
qui ne serait pas fondée. Il affirme que les avanta-
ges sont devenus imposables non en 1980, mais
plutôt en 1974, soit l'année où la convention a été
conclue, ou dans chacune des cinq années suivan-
tes en proportion de l'accroissement du droit
d'acheter les actions'. Il fait valoir que lorsqu'une
option d'achat d'actions est accordée à un employé
et que les dispositions précises de l'article 7 de la
Loi ne s'appliquent pas, l'employé «reçoit» un
avantage tiré d'un emploi ou «en jouit» au sens de
l'alinéa 6(1)a) de la Loi lorsqu'il obtient pour la
première fois le droit d'acheter les actions, et non
au cours d'une année d'imposition subséquente
lorsqu'il achète effectivement les actions. Pour jus-
tifier son argument, il invoque la décision rendue
par une majorité de la Chambre des lords dans
l'affaire Abbott v. Philbin (Inspector of Taxes),
[ 1960] 2 All E.R. 763 (H.L.), portant que le droit
d'acheter les actions, conféré par l'option, est en
' Devant le juge de première instance, l'appelant semble avoir
insisté sur l'année de la convention, tandis que devant la
présente Cour, il a choisi de parler des cinq années subséquen-
tes. Son argument est toutefois demeuré le même.
lui-même un élément d'actif appréciable et le seul
avantage lié directement à l'emploi.
Le juge de première instance a rejeté l'argument
de l'appelant. Il a convenu avec le ministre que
toute imposition qui aurait lieu avant l'acquisition
des actions contreviendrait à la règle fondamentale
selon laquelle le revenu d'emploi doit être imposé
dans l'année où il est reçu. Il a de plus ajouté [à la
page 152] qu'avant que l'appelant n'acquière les
actions, son «droit était soumis à la condition qu'il
demeure au service de son employeur» et que cela
empêchait que l'imposition ait lieu à une date
antérieure en vertu d'un «principe de l'impôt sur le
revenu» selon lequel «un montant ne peut être
inclus dans le revenu avant que l'incertitude entou-
rant le droit du contribuable à ce moment soit
dissipée». Quant au jugement majoritaire rendu
dans l'affaire Abbott v. Philbin, le juge de pre-
mière instance a déclaré ce qui suit [à la page
154] :
J'estime que la décision Abbott v. Philbin ne constitue pas un
précédent à l'appui de l'affirmation qu'au Canada, de tels
avantages seraient imposables dans l'année où l'option a été
accordée et non dans l'année où elle a été levée. Cette décision
de la Chambre des lords rendue en 1960 est fondée sur le libellé
d'une loi anglaise qui est différent du libellé de l'alinéa 6(1)a)
de la Loi de l'impôt sur le revenu au Canada. Deuxièmement,
une telle interprétation est incompatible avec «la portée la plus
large possible» que la Cour suprême du Canada confère à
l'expression «au titre» dans la décision Savage de 1983. Troisiè-
mement, la décision anglaise susmentionnée fait l'objet de deux
jugements dissidents, dont l'un de lord Denning qui prononça sa
célèbre phrase (à la page 777) selon laquelle «A bird in the
hand is taxable, but a bird in the bush is not» (ce qui signifie
qu'un montant reçu est imposable mais qu'un montant à rece-
voir ne l'est pas). Quatrièmement, dans la décision Tyrer v.
Smart (Inspector of Taxes) rendue récemment (1978), la
Chambre des lords a conclu que le gain qu'un contribuable a
accumulé entre la date de sa demande d'actions et l'acquisition
de celles-ci était attribuable à son emploi et non à «de nom-
breux facteurs qui n'ont aucun rapport avec la charge de
l'employé ou son emploi» comme le vicomte Simonds l'a dit
dans l'arrêt Abbott v. Philbin.
J'ai des réserves à l'égard des motifs donnés par
le juge de première instance à l'appui de sa conclu
sion. En premier lieu, même si l'option accordée à
l'appelant par la convention était soumise à certai-
nes conditions (soit que l'appelant demeure au
service de son employeur et que le transfert des
actions ne contrevienne à aucun règlement de quel-
que commission des valeurs mobilières, bourse ou
autre organisme de réglementation), ces conditions
n'ont jamais empêché l'appelant d'acquérir, le jour
de la conclusion de la convention et à la fin de
chacune des cinq années subséquentes, des droits
qu'il pouvait légalement exercer. Il n'existait
aucune incertitude quant à l'existence de ces
droits. En deuxième lieu, l'époque à laquelle un
avantage facultatif se matérialise pour les fins de
l'impôt n'est pas liée de façon aussi directe et
nécessaire au paiement d'argent ou de valeurs que
lorsqu'il s'agit de revenu. La distinction comptable
entre la méthode de la comptabilité de caisse et la
méthode de la comptabilité d'exercice est facile à
appliquer lorsqu'il s'agit de rémunération en espè-
ces; toutefois, lorsqu'il s'agit d'avantages autres
que de nature pécuniaire, la distinction peut deve-
nir inapplicable. En troisième lieu, il est vrai que le
libellé de la Income Tax Act en Grande-Bretagne
[1952, 15 & 16 Geo. 6 & 1 Eliz. II, chap. 10,'ann.
9, r. 1] diffère de celui de la Loi de l'impôt sur le
revenu au Canada. De fait, la disposition de la loi
britannique correspondant à l'alinéa 6(1)a) de
notre Loi porte:
[TRADUCTION] 1. Conformément à l'annexe E, toute per-
sonne qui exerce une charge ou un emploi mentionné à l'annexe
E ou à qui une rente, une pension ou un traitement visé par
cette annexe est payable, paiera un impôt annuel sur son
salaire, ses honoraires, son traitement, ses gratifications ou sur
les bénéfices qui en découlent pour l'année d'imposition, déduc-
tion faite des montants de tous droits ou autres sommes paya-
bles ou imposables à l'égard de ceux-ci en vertu de toute loi du
Parlement, lorsque ceux-ci ont été effectivement payés de
bonne foi et engagés par la partie visée par l'impôt.
Il y a particulièrement lieu de souligner (j'y revien-
drai par la suite) que l'emploi de l'expression «pour
l'année d'imposition» peut avoir une certaine
importance lorsqu'il s'agit du problème de lier les
avantages imposables aux services rendus par le
contribuable à titre d'employé. Je doute toutefois
que la seule différence de libellé puisse en elle-
même justifier le rejet immédiat du raisonnement
adopté par la majorité dans l'affaire Abbott v.
Philbin. En ce qui a trait à l'affaire Tyrer v Smart
(Inspector of Taxes), [1979] 1 All ER 321 (H.L.),
même s'il est difficile de l'harmoniser à l'opinion
de la majorité des juges dans l'affaire Abbott v.
Philbin, on ne peut prétendre qu'elle a renversé la
décision antérieure puisqu'elle ne portait pas sur la
même question. Dans cette affaire, la High Court
avait été saisie de deux questions présentées par
voie d'exposé de cause, à savoir, a) si l'avantage
conféré au contribuable au moyen d'un droit préfé-
rentiel d'obtenir des actions de la société qui l'em-
ployait constituait une rémunération tirée d'un
poste ou d'un emploi et b) le cas échéant, si la
valeur de cet avantage avait été établie avec exac
titude. Les tribunaux d'instance inférieure ont
répondu par la négative à la première question, de
sorte que la deuxième question, qui aurait néces-
sité l'examen de la décision Abbott v.. Philbin, n'a
pas été soulevée. Lorsque la Chambre des lords a
réformé les décisions des instances inférieures sur
la première question, elle a dû s'attaquer à la
deuxième question, ce qu'elle a fait de façon plutôt
sommaire:
[TRADUCTION] Quant à la question de la valeur de la
rémunération, puisque les commissaires ont entendu des élé-
ments de preuve relatifs à la valeur des actions au jour de leur
émission, qui était le jour précédant l'ouverture du marché et le
jour convenu comme la date à laquelle la valeur de la rémuné-
ration devait être établie, leur conclusion était clairement une
conclusion de fait et je ne puis voir aucune raison pour la
réviser. [Souligné par mes soins.] (Lord Diplock, à la p. 326)
La décision Abbott v. Philbin n'a fait l'objet d'au-
cun examen.
Par conséquent, je dois dire, avec respect, que le
raisonnement du juge de première instance ne me
convainc pas. Et pourtant, j'estime qu'il y a lieu de
retenir sa conclusion.
Comme le juge de première instance l'a perti-
nemment souligné, le raisonnement de la majorité
dans l'affaire Abbott v. Philbin est fortement con
testé par les motifs dissidents de lord Keith et de
lord Denning. Pour lord Keith [à la page 776],
[TRADUCTION] «l'option est une offre que l'appe-
lant [l'employé] peut accepter ou refuser à son gré
et au moment qui lui convient, mais tant qu'elle
n'est pas acceptée, la transaction n'est pas com-
plète et aucun avantage n'est matérialisé». Pour
lord Denning [à la page 777], [TRADUCTION]
«l'offre elle-même [l'option] ne serait pas une gra
tification ou un profit; en effet, elle n'accorde que
la perspective d'un profit, et non le profit lui-
même». J'abonde dans le sens de ces derniers et,
avec respect, j'adopte leurs motifs. J'essaierai
néanmoins d'exprimer ma façon de voir dans mes
propres mots.
Il s'agit en l'espèce de déterminer si l'avantage
provenant d'une option d'achat d'actions à un prix
établi (en supposant qu'il s'agit d'un avantage
imposable) devrait être mesuré et perçu comme s'il
s'était matérialisé au moment où il a été conféré,
ou au moment de la levée de l'option. Dans l'af-
faire Abbott v. Philbin, le jugement de la majorité
me semble reposer sur deux propositions, l'une
fondamentale et l'autre secondaire. Selon , les trois
lords, si l'on peut dire qu'un avantage a été conféré
à un moment donné, plus précisément lorsque
l'option a été accordée, il est impossible d'affirmer
qu'un autre avantage a été accordé à une date
ultérieure. De toute façon, d'ajouter lord Reid,
même si nous pouvons parler d'un avantage réalisé
par la levée de l'option, il ne serait pas possible de
le lier directement à la charge de l'employée.
Ma réaction à la proposition principale est la
suivante. Il ne faudrait évidemment pas qu'une
double taxation soit imposée sur des gains prove-
nant d'une seule opération, ni que le même avan-
tage soit imposé à deux occasions. Nous ne pou-
vons certainement pas avoir deux avantages du
même type, tous deux imposables en vertu de
l'alinéa 6(1)a) de la Loi. Cela dit, il y a lieu de se
demander pourquoi la convention devrait nécessai-
rement être perçue comme ne conférant qu'un seul
avantage. Selon moi, on peut difficilement contes-
ter qu'un premier avantage découle du fait que
2 Motifs du vicomte Simonds, à la p. 767 du recueil:
[TRADUCTION] Mes lords, comme je l'ai dit, pour être
accueilli, l'argument de la Couronne semblait exiger que le
bénéficiaire de l'option n'acquière pas une gratification à la
date où l'option a été accordée. Or, il ne pouvait y avoir une
gratification à la date où l'option a été accordée et une
deuxième gratification lorsque les actions ont été acquises.
Par conséquent, à mon avis, l'argument de la Couronne
échoue dès le départ.
Motifs de lord Reid, aux p. 770 et 771 du recueil:
[TRADUCTION] Il me semble y avoir une autre difficulté à
surmonter pour la Couronne. La règle 1 assujettit à l'impôt
une personne qui exerce un poste ou un emploi à l'égard du
profit «sur son salaire, ses honoraires, son traitement, ses
gratifications ou sur les bénéfices qui en découlent pour
l'année d'imposition». Elle ne dit pas les salaires ou les
gratifications reçues durant l'année de la cotisation. Il peut
être difficile de lier directement une gratification à une année
donnée. Mais si la rémunération est donnée sous forme
d'option et que l'option en elle-même est la gratification, elle
serait généralement suffisamment liée à l'année au cours de
laquelle elle a été accordée pour être proprement considérée
comme une gratification pour cette année. Si, d'autre part,
l'option n'est pas la gratification—s'il n'y a aucune gratifica
tion tant que l'option n'est pas levée et que les actions ne sont
pas émises, et cela peut avoir lieu plusieurs années plus
tard—, comment les actions pourraient-elles être une gratifi
cation pour l'année au cours de laquelle elles ont été émises?
Il n'y aurait aucun lien entre le service au cours de cette
année et la constitution de l'option plusieurs années aupara-
vant ou la levée de l'option au cours de l'année subséquente.
Je ne désire pas exprimer une opinion formelle sur ce point,
mais il me semble étayer la conclusion à laquelle je suis
arrivé pour d'autres motifs.
l'employeur s'engage, pendant une certaine
période, à vendre des actions à un prix fixe, peu
importe l'appréciation de la valeur marchande de
ces actions, et qu'un deuxième avantage se produit
lorsque, le cas échéant, l'employé exerce les droits
découlant du premier avantage et lève l'option. Il
reste toutefois que, si le deuxième avantage peut
être mesuré par l'écart entre le coût de la levée de
l'option et la valeur marchande des actions au
moment de leur acquisition, le premier avantage,
même s'il existe réellement, ne peut faire l'objet
d'une quantification indépendante. On pourrait
prétendre que l'option, même si elle ne peut for-
mellement faire l'objet d'une cession, pourrait tou-
tefois être «transformée en valeur pécuniaire» par
le biais d'une convention entre l'employé et un
tiers (voir les motifs de lord Reid, à la page 770).
Toutefois, une telle convention ne pourrait, en
elle-même, accélérer la réception du deuxième
avantage, pas plus que le fait d'emprunter sur le
versement d'une gratification ne , peut hâter son
imposition d'une année. Plus important encore, la
mesure de l'avantage tiré de la convention avec un
tiers ne devrait pas être prise—on devrait plutôt
parler de méprise—pour la mesure exacte de
l'avantage de l'emploi lui-même, qui ne peut être
déterminée qu'au moment de la réception du
deuxième avantage.
Quant à la proposition secondaire de lord Reid,
je soulignerai simplement que sa force est liée au
libellé spécial de la loi britannique et en particulier
à l'emploi du mot «pour» qui, comme je l'ai dit
antérieurement, a une certaine importance lors-
qu'il s'agit de lier les avantages imposables aux
services rendus à titre d'employé. Le libellé de la
loi canadienne ne permet pas aussi facilement le
même raisonnement. De toute façon, indépendam-
ment de toute difficulté textuelle, je ne puis voir
comment on pourrait contourner le fait que s'il est
possible d'acheter des actions à un prix inférieur à
leur valeur, c'est uniquement en raison de l'exis-
tence d'une promesse faite par l'employeur pour
récompenser les services de son employé. La levée
de l'option est inséparable de la conclusion de la
convention et de la relation employeur-employé.
Nous ne pouvons faire comme si le contribuable
qui lève l'option avait possédé les actions dès le
départ; le pouvoir d'acquérir les actions ne doit pas
être confondu avec la propriété des actions elle-
même. Enfin, n'existait-il pas une condition de la
convention prévoyant que l'option devait être exer-
cée avant la fin de l'emploi ou à quelques jours de
celle-ci: le lien avec les services rendus à titre
d'employé ressort encore une fois très clairement.
À mon avis, il existe donc deux avantages écono-
miques, découlant tous deux de l'emploi, mais seul
le deuxième est quantifiable puisque c'est le seul à
se matérialiser par un transfert d'argent ou de
valeur pécuniaire de l'employeur à l'employé. Il
n'y a aucun transfert au moment où l'employeur
accorde l'option: celui-ci conserve les actions,
exerce le droit de vote qu'elles lui confèrent, reçoit
les dividendes pour son propre compte et peut
disposer des actions, tandis que l'employé n'obtient
que la possibilité d'acquérir éventuellement un
droit de propriété sur ces actions et de réaliser un
profit. À mon avis, l'impôt personnel sur le revenu
d'emploi est fondé sur le transfert d'argent ou de
valeur pécuniaire de l'employeur vers l'employé.
Seul le deuxième avantage, celui qui est quantifia-
ble, est visé par l'alinéa 6(1)a) de la Loi.
L'employé à qui on a accordé une option d'achat
d'actions est dans la même situation que l'employé
à qui on donne l'occasion d'acquérir des produits
fabriqués par son employeur à un prix moindre
que leur juste valeur marchande ou la possibilité
d'emprunter de l'argent de son employeur à un
taux d'intérêt inférieur. Le premier employé n'ob-
tient aucun avantage quantifiable défini tant qu'il
n'a pas acheté les actions; de même, le deuxième
employé n'obtient aucun avantage quantifiable
tant qu'il n'a pas acheté les produits ou emprunté
l'argent. Dans les trois cas, c'est une offre que
l'employé reçoit (une offre que l'employeur peut
faire de façon irrévocable s'il le désire et qui sera
habituellement appelée une «option», mais qui
demeure néanmoins une simple offre), et aucun
avantage quantifiable ne se matérialise tant que
l'offre n'est pas levée. Ce n'est que si l'offre est
levée qu'un avantage peut être reçu par l'employé
et que cet avantage devient imposable à titre de
revenu tiré d'un emploi, peu importe que le lien
avec l'emploi soit encore en vigueur.
Par ces motifs, j'appuie la décision du juge de
première instance de maintenir la nouvelle cotisa-
tion de l'appelant établie par le ministre.
Je rejetterais l'appel avec dépens.
LE JUGE HEALD, J.C.A.: J'y souscris.
LE JUGE STONE, J.C.A.: J'y souscris.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.