A-440-89
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (requé-
rant)
c.
Norbert Timothy Letshou-Olembo (intimé)
RÉPERTORIÉ: CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'IM-
MIGRATION) c. LETSHOU-OLEMBO (CA.)
Cour d'appel, juges Marceau, Hugessen et Mac-
Guigan, J.C.A.—Montréal, 28 mars; Ottawa, 8
mai 1990.
Immigration — Statut de réfugié — Demande d'annulation
du renvoi de la revendication du statut de réfugié à la section
du statut de réfugié — Le demandeur s'est vu accorder le
statut de réfugié en Angleterre — L'arbitre et le membre de la
section du statut de réfugié ont conclu que la revendication
était recevable puisque la crainte de l'intimé d'être persécuté
en Angleterre par ses anciens compatriotes avait un minimum
de fondement et ce, même si le demandeur ne cherchait pas à
obtenir la protection de la police — La crainte d'être persécuté
est liée aux moyens de protection — Le manque de protection
disponible est de l'essence même de la crainte qui anime le
réfugié — Une preuve positive et digne de foi de l'existence
d'un fondement du caractère raisonnable de la crainte d'être
persécuté était nécessaire pour conclure à la recevabilité de la
revendication.
Contrôle judiciaire — Demandes d'examen — Demande
d'annulation du renvoi de la revendication du statut de réfugié
à la section du statut de réfugié après que la revendication en
cause fondée sur la crainte d'être persécuté dans son pays de
refuge eut été déclarée recevable — Le contrôle judiciaire de la
décision positive portant sur la recevabilité fondé sur l'excep-
tion de l'art. 46.01(2) de la Loi sur l'immigration est légitimée
par le caractère définitif de la décision elle-même — La
révision est restreinte à une erreur de droit manifeste qui
aurait suscité une conception erronée de l'objet de l'enquête.
Il s'agit en l'espèce d'une demande du ministre en vue
d'annuler le renvoi d'une revendication du statut de réfugié à la
section du statut de réfugié après qu'il eut été décidé qu'elle
possédait un minimum de fondement. L'intimé, un zaïrois, a
d'abord obtenu le statut de réfugié au Congo et, par la suite, en
Angleterre. Alors qu'il était à Londres, il a collaboré avec
Amnistie Internationale et a été secrétaire du Zairean Refugee
Action Group, activités qui étaient mal vues des autorités
zaïroises. Il a appris l'existence d'un complot visant à l'enlever
et même à l'assassiner, mais il n'a pas cherché à obtenir la
protection des autorités policières anglaises. Après avoir obtenu
un titre de voyage en vertu de la Convention des Nations-Unies
relative au statut de réfugié, il est venu au Canada et a
revendiqué le statut de réfugié. La prétention de l'intimé selon
laquelle il craignait d'être persécuté au Royaume-Uni a été
acceptée et référée pour adjudication. En vertu du droit cana-
dien, la revendication de celui qui a obtenu ailleurs le statut de
réfugié est irrecevable, sauf dans des circonstances précises. En
vertu du paragraphe 46.01(2) de la Loi sur l'immigration, un
réfugié qui revendique le statut de réfugié au sens de la
Convention est admis à faire déterminer sa demande par la
section du statut s'il craint avec raison d'être persécuté du fait
de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance
à un groupe social ou de ses opinions politiques dans le pays qui
lui a reconnu le statut de réfugié au sens de la Convention.
L'intimé a prétendu que puisque le sous-alinéa 2(1)a)(i) de la
définition de «réfugié au sens de la Convention»: (qui requiert
l'impossibilité de demander la protection de son pays) n'est pas
repris dans le paragraphe 46.01(2), les enquêteurs n'auraient
pas dû tenir compte de l'absence de demande de protection des
autorités du pays de refuge. Il s'agissait de déterminer si la
Cour avait compétence pour réviser une décision qui aurait
prononcé la recevabilité d'une revendication et si cette décision
devrait être annulée.
Arrêt: la demande devrait être accueillie.
Une décision favorable quant à la recevabilité d'une réclama-
tion est sujette à un contrôle judiciaire. Une décision favorable
n'est pas une conclusion uniquement préparatoire comme la
décision de renvoi dans laquelle elle s'insère, mais elle constitue
en elle-même une décision finale qui produit des effets substan-
tifs immédiatement, et sur laquelle la section du statut ne
reviendra pas. La vérification du bien-fondé de l'allégation de
crainte dont dépend cette décision finale doit se faire sur la
base du même critère de «minimum de fondement» applicable
pour juger de la crédibilité de la revendication elle-même. Les
enquêteurs n'avaient qu'à rechercher s'ils pouvaient déceler un
fondement quelconque d'une crainte d'être persécuté dans son
pays de refuge. L'ampleur d'une révision doit être limitée à une
erreur de droit manifeste qui peut avoir suscité une conception
erronée de l'objet de l'enquête.
La conclusion quant à la recevabilité de la revendication de
l'intimé n'était pas fondée sur une vérification adéquate de
l'existence d'un minimum de fondement quant au caractère
raisonnable de la crainte qu'il disait avoir. La crainte d'être
persécuté est indissociable des moyens de protection. Le
manque de protection disponible est de l'essence même de la
crainte qui anime le réfugié. Pour déclarer recevable la revendi-
cation de l'intimé, une certaine preuve positive et digne de foi
du caractère raisonnable de la crainte d'être persécuté au
Royaume-Uni devait exister, et non pas uniquement un simple
raisonnement abstrait de vraisemblance quant à l'impuissance
du Royaume-Uni de garantir à l'intimé une protection
complète.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Convention des Nations-Unies relative au statut des
réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. n° 6, art. 28.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7,
art. 28.
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), chap. I-2, art. 2
(mod. par L.R.C. (1985) (4» suppl.), chap. 28, art. 1),
46(1) (mod., idem, art. 14), 46.01 (édicté, idem), 46.04
(édicté, idem).
DOCTRINE
Goodwin-Gill, Guy S. The Refugee in International Law,
Oxford: Clarendon Press, 1983.
AVOCATS:
Joanne Granger pour le requérant.
William Sloan pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada, pour
le requérant.
Sloan, Deveaux & Associés, Montréal, pour
l'intimé.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE MARCEAU, J.C.A.: La décision qu'at-
taque cette demande d'examen et d'annulation a
été rendue en vertu de la Loi sur l'immigration,
L.R.C. (1985), chap. I-2, telle qu'amendée. Elle
vient d'un arbitre et d'un membre de la section du
statut qui, après avoir déclaré recevable la revendi-
cation de l'intimé au statut de réfugié, l'ont référée
à la section du statut puisqu'elle possédait le mini
mum de fondement requis pour être soumise à
adjudication. Il s'agit donc d'une décision rendue
en vertu du paragraphe 46(1) [mod. par L.R.C.
(1985) (4e suppl.), chap. 28, art. 14] de la Loi sur
l'immigration (ci-après la Loi) dont je rappelle le
texte:
46. (1) Les règles suivantes s'appliquent aux enquêtes ou
audiences tenues devant un arbitre et un membre de la section
du statut:
a) dans le cas d'une enquête, l'arbitre détermine si le deman-
deur de statut doit être autorisé à entrer au Canada ou à y
demeurer, selon le cas;
b) l'arbitre et le membre déterminent si la revendication est
recevable par la section du statut;
c) si au moins l'un des deux conclut à la recevabilité, ils
déterminent ensuite si la revendication a un minimum de
fondement.
C'est la première partie de la décision, celle qui
avait trait à la recevabilité, que le ministre précisé-
ment conteste, mais l'attaque rejoint naturelle-
ment, par ricochet, la deuxième partie qui lui était,
de par la Loi, directement assujettie. On verra
mieux une fois les faits connus.
L'intimé est né au Zaïre, en Afrique, en 1954 et
il a toujours conservé sa nationalité zaïroise. Au
cours de l'année 1980, il quitta son pays par
crainte de représailles de la part des autorités et
chercha asile au Congo où le Haut Commissariat
des Nations-Unies pour les réfugiés lui accorda un
statut de réfugié. En juin 1986, il laissa le Congo
avec sa femme et leur enfant pour se rendre en
Angleterre, et aussitôt réclama des autorités du
pays le statut officiel de réfugié. Sa réclamation
fut finalement accordée en 1988. Peu après, il se
faisait délivrer un titre de voyage aux termes de
l'article 28 de la Convention des Nations-Unies
relative au statut des réfugiés, et partait sans sa
famille pour le Canada'.
L'intimé arriva au Canada en février 1989. Bien
que muni d'un titre de voyage en cours de validité,
il s'empressa de revendiquer de nouveau le statut
de réfugié. Or il existe, en vertu de la loi cana-
dienne (ce qui d'ailleurs est conforme à la pratique
de plusieurs autres juridictions 2 ), une irrecevabi-
lité de principe à l'égard de la revendication de
celui qui s'est déjà fait reconnaître ailleurs le
statut de réfugié et cette irrecevabilité ne peut être
levée que dans des circonstances précises, les règles
applicables en l'espèce étant contenues à l'alinéa
46.01(1)a) [édicté, idem] et au paragraphe
46.01(2) [édicté, idem] de la Loi qui se lisent
comme suit:
46.01 (I) La revendication de statut n'est pas recevable par
la section du statut si le demandeur se trouve dans l'une ou
l'autre des situations suivantes:
a) il s'est vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la
Convention par un autre pays, lequel lui a délivré un titre de
' Cet article 28 de la Convention, signée à Genève le 28
juillet 1951, prévoit comme suit:
Article 28
TITRES DE VOYAGE
1. Les États Contractants délivreront aux réfugiés résidant
régulièrement sur leur territoire, des titres de voyage destinés
à leur permettre de voyager hors de ce territoire à moins que
des raisons impérieuses de sécurité nationale ou d'ordre
public ne s'y opposent; les dispositions de l'Annexe à cette
Convention s'appliqueront à ces documents. Les États Con-
tractants pourront délivrer un tel titre de voyage à tout autre
réfugié se trouvant sur leur territoire; ils accorderont une
attention particulière aux cas de réfugiés se trouvant sur leur
territoire et qui ne sont pas en mesure d'obtenir un titre de
voyage du pays de leur résidence régulière.
2. Les documents de voyage délivrés aux termes d'accords
internationaux antérieurs par les Parties à ces accords seront
reconnus par les États Contractants, et traités comme s'ils
avaient été délivrés aux réfugiés en vertu du présent article.
2 Voir: Guy S. Goodwin-Gill, The Refugee in International
Law (Oxford University Press, 1983), à la p. 52 sous le titre
«THE COUNTRY OF FIRST ASYLUM PRINCIPLE».
voyage en cours de validité aux termes de l'article 28 de la
Convention;
(2) L'alinéa (l)a) ne fait pas obstacle à la recevabilité de la
revendication si l'arbitre ou le membre de la section du statut
estime que le demandeur craint—et cette crainte a un mini
mum de fondement—d'être persécuté du fait de sa race, de sa
religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe
social ou de ses opinions politiques dans le pays qui lui a
reconnu le statut de réfugié au sens de la Convention.
À l'enquête initiale sur sa revendication, l'intimé
fit valoir naturellement qu'il tombait sous le coup
de l'exception du paragraphe 46.01(2). Le membre
de la section du statut qui procédait à l'enquête
avec l'arbitre accepta la prétention de l'intimé qu'il
craignait d'être persécuté au Royaume-Uni de
sorte que, même si l'arbitre était d'opinion con-
traire, la revendication fut immédiatement référée
pour adjudication, le ministre reconnaissant for-
mellement que la crainte de l'intimé d'être persé-
cuté dans son propre pays avait un minimum de
fondement'. Une décision de renvoi à la section du
statut fut donc immédiatement rendue.
Le ministre s'adressa alors à cette Cour pour
demander la nullité de la décision de renvoi en
invoquant que la conclusion favorable du membre
était erronée et venait d'une mauvaise appréciation
des exigences d'application de l'exception du para-
graphe 46.01(2) de la Loi.
C'est la première fois, à ma connaissance, que la
Cour est saisie d'une demande en rapport avec
cette disposition du paragraphe 46.01(2) de la Loi
qui permet exceptionnellement à celui qui a déjà
trouvé un pays de refuge de réclamer ici le statut
de réfugié, disposition que prévoyait sous sa forme
actuelle la toute première version du projet de loi
C-55, tel que déposé en 1987. Aussi est-il compré-
hensible que l'on soit porté à s'interroger un
moment sur le sens d'une révision judiciaire por-
tant sur une décision qui aurait prononcé la rece-
vabilité d'une revendication en application de cette
disposition d'exception. Car si une décision néga-
3 Comme l'y autorisait le paragraphe 46.01(7) [édicté, idem]:
46.01 .. .
(7) Si le ministre informe l'arbitre et le membre de la
section du statut qu'il est d'avis que la revendication du
demandeur a un minimum de fondement ceux-ci concluent
que la revendication a un minimum de fondement.
tive quant à la recevabilité d'une réclamation ou sa
crédibilité est certes sujette à révision en vertu de
l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C.
(1985), chap. F-7], il est sans doute permis d'en
douter pour une décision favorable. Étant donné le
processus de la Loi qui, pour fin d'efficacité admi
nistrative, cherche simplement, à ce premier stade,
à repérer les demandes qui méritent considération
parce qu'elles ont quelque chance de réussite et
entend se contenter pour cela de l'opinion favora
ble d'un seul de deux officiels, il est, au premier
abord, difficile de voir pourquoi il faudrait procé-
der à un contrôle judiciaire avant que la section du
statut ne se soit prononcée. On comprend cepen-
dant dès qu'on réalise que la conclusion de l'arbitre
et du membre de la section du statut sur la receva-
bilité n'est pas—aussi inattendu que ce soit—une
conclusion uniquement préparatoire comme la
décision de renvoi dans laquelle elle s'insère, mais
qu'elle constitue en elle-même une décision finale
qui produit des effets substantifs immédiatement
et sur laquelle la section du statut ne reviendra
paso.
Il importe de bien noter aussi, au départ, que la
vérification du bien-fondé de l'allégation de crainte
dont dépend cette décision finale doit se faire sur
la base du même critère de «minimum de fonde-
ment» applicable pour juger de la crédibilité de la
revendication elle-même. Les enquêteurs n'ont pas
à rechercher si le revendicateur a une crainte bien
fondée de persécution dans son pays de refuge,
mais uniquement s'ils peuvent déceler quelque fon-
dement à sa prétention. Cela aussi est quelque peu
étonnant, mais on a pensé, je suppose, que le
caractère expéditif et sommaire que l'on voulait
Que la section du statut ne soit pas habilitée a revenir sur la
conclusion de recevabilité ressort de ce que la Loi, à l'art.
46.01(2), ne parle pas d'une recherche d'éléments de preuve
«sur lesquels la section du statut peut se fonder», comme elle le
fait à l'art. 46.01(6) relatif à la crédibilité. On peut voir aussi
qu'à l'art. 46.04(2) [édicté, idem] on se réfère à l'avis, non de la
section du statut, mais des enquêteurs de l'étape initiale; en
voici le texte:
46.04.. .
(2) L'alinéa (1)b) ne fait pas obstacle à la demande du
droit d'établissement si, de l'avis de l'arbitre ou du membre
de la section du statut qui ont étudié la revendication du
demandeur, celui-ci craint—et cette crainte a un minimum
de fondement—d'être persécuté du fait de sa race, de sa
religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe
social ou de ses opinions politiques dans le pays qui lui a
reconnu le statut de réfugié au sens de la Convention. [Je
souligne.]
donner à ce stade préliminaire du processus serait
autrement mis en péril et qu'il valait mieux en cas
d'incertitude favoriser le revendicateur, car rien
n'exigeait en somme que l'on prenne soin de n'ad-
mettre que dans les cas de stricte nécessité le
réfugié qui ne viendrait pas directement de son
pays.
En tout cas, ce qui est certain pour nous c'est
que si la révision judiciaire d'une décision positive
d'admissibilité basée sur l'exception du paragraphe
46.01(2) de la Loi est légitimée par le fait que la
décision est finale, l'ampleur de cette révision ne
peut néanmoins qu'en être fort restreinte. Seule
l'identification d'une erreur de droit manifeste qui
aurait suscité une conception erronée de l'objet de
l'enquête pourrait autoriser la Cour à intervenir.
J'ai beaucoup hésité avant d'admettre avec le
ministre requérant que le cas ici en cause en était
un qui, effectivement, requérait l'intervention de
cette Cour. La difficulté vient de ce que l'erreur de
droit ou de conception que l'on doit finalement
reprocher au membre de la section du statut, non
seulement n'est pas commise par lui ouvertement,
mais est même présentée dans ses remarques ini-
tiales comme étant à éviter. On verra tout de suite
ce que je veux dire.
L'intimé expliqua aux enquêteur: qu'il avait
poursuivi au Congo et en Angleterre des activités
sociales et humanitaires à incidences politiques qui
étaient mal vues des autorités du Zaïre. Il avait agi
comme représentant à Londres d'un mouvement
connu sous le nom de Massada; il avait aussi
collaboré avec Amnistie Internationale et, surtout,
il avait été secrétaire d'une organisation groupant
les réfugiés zaïrois appelée Zairag (Zairian Refu
gee Action Group). Or, le président du Zairag et
lui-même avaient appris l'existence d'un plan d'un
ancien attaché militaire du Zaïre visant à les
enlever et même à les assassiner. L'intimé lui
n'avait jamais cherché à obtenir une protection
spéciale de la part des autorités policières anglai-
ses. C'est le président du Zairag qui s'était chargé
de demander pour lui et tous les membres de son
groupe un permis de port d'arme, mais la demande
pour le groupe n'avait pas été accordée et lui-
même l'intimé n'avait pas fait d'autres démarches.
Quant à savoir si les autorités policières de l'An-
gleterre voulaient ou pouvaient le protéger contre
les dangers qu'il appréhendait, il était incapable de
le dire mais, de toute façon, il se sentirait en
meilleure sécurité au Canada.
C'est cette absence de recherche de protection
dans son pays de refuge qui frappa les deux enquê-
teurs et devint le point central de leur préoccupa-
tion, car ni l'un ni l'autre ne mettait en doute la
crédibilité de l'intimé comme témoin ou la plausi-
bilité de son récit.
Pour le procureur de l'intimé, cette préoccupa-
tion des enquêteurs n'était pas légitime. Sa thèse—
qui fut reprise de nouveau devant nous—était que
l'élément protection n'avait rien à voir, puisque le
sous-alinéa a)(i) de la définition de «réfugié au
sens de la Convention» du paragraphe 2(1) [mod.,
idem, art. 1] 5 , où il est question de la possibilité ou
de la volonté du revendicateur de demander la
protection de son pays, n'était pas repris par réfé-
rence ou autrement au paragraphe 46.01(2). La
vérification, sur la base du minimum de fonde-
ment, que les enquêteurs du stade initial étaient
tenus de faire ne devait porter, d'après lui, que sur
les autres éléments de la définition de réfugié, i.e.:
l'existence d'une crainte d'être persécuté, sa rai-
sonnabilité, son objet soit sa race, sa religion, sa
nationalité, ses opinions politiques ou son groupe
social, mais sans égard aux possibilités ou recher-
, ches de protection des autorités du pays de refuge.
La thèse du procureur de l'intimé était intena-
ble: on ne voit pas comment on pourrait parler de
crainte raisonnable d'être persécuté sans avoir
égard aux moyens de protection à sa disposition.
Le manque de protection disponible est de l'es-
sence même de la crainte qui anime le réfugié. Si
le sous-alinéa a)(i) de la définition de réfugié n'a
pas été reproduit au paragraphe 46.01(2), c'est
qu'il ne pouvait évidemment pas être question
d'une personne qui «ne pourrait pas ou ne voudrait
pas se réclamer de la protection» du pays où il s'est
rendu pour obtenir refuge.
Dont je rappelle le texte:
2. (1) ...
«réfugié au sens de la Convention» Toute personne:
a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de
sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son apparte-
nance à un groupe social ou de ses opinions politiques:
(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité
et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se
réclamer de la protection de ce pays,
Non seulement l'arbitre mais le membre de la
section du statut lui-même s'empressa de rejeter la
thèse du procureur de l'intimé et ce en des termes
très clairs:
Dans le domaine qui nous préoccupe, celui de réfugié, il nous
semble que le concept de «persécution» qui lui est central est
indissociable de celui de «protection» et qu'il est arbitraire de les
séparer en jouant et avec les mots et avec les paragraphes
comme on vient de le faire ici.
Il arrive cependant que, malgré ce rejet de départ,
le membre de la section du statut ne semble pas
s'être dégagé de l'influence de la thèse du procu-
reur de l'intimé. On a vu que l'intimé avait admis
n'avoir jamais personnellement recouru à la pro
tection des autorités policières de son pays de
refuge et n'être pas en mesure de dire si ces
autorités policières avaient ou non, et étaient dis
posées à prendre ou non, les moyens de lui assurer
une protection adéquate. Si cette absence totale de
preuve sur la disponibilité de la protection que
l'intimé pouvait obtenir dans son pays de refuge
n'a pas paru de conséquence pour le membre de la
section du statut, c'est sur la base du raisonnement
que voici:
Il y a des actes de persécution que même des états aussi
vigilants que celui du Royaume-Uni ne peuvent empêcher, des
actes de terrorisme, par exemple, dont précisément le deman-
deur se sent menacé.
Dans un tel contexte, il importe peu, selon nous, que les
exigences du demandeur soient réalistes ou pas ou encore qu'il
se sentira persécuté dans chaque pays où il ira. Il nous semble
vraisemblable que le Royaume-Uni ne puisse protéger le reven-
dicateur comme il nous semble raisonnable que celui-ci cherche
la protection du Canada, car il n'est pas impensable que la
société canadienne, tout simplement parce qu'elle est plus
éloignée des présumés agents persécuteurs ou et parce qu'elle
est moins liée au Zaïre que le Royaume-Uni--voir le témoi-
gnage du demandeur et le plaidoyer de son conseil—pour
apporter à monsieur Letshou—Olembo une meilleure protection.
Ce que le membre de la section du statut était
tenu de vérifier pour déclarer recevable la revendi-
cation de l'intimé, c'était qu'il existait un mini
mum de fondement du caractère raisonnable de la
crainte qu'il disait avoir d'être persécuté au
Royaume-Uni. Il lui fallait, pour cela, à mon sens,
une certaine preuve positive et digne de foi, et non
pas uniquement un simple raisonnement abstrait
de vraisemblance quant à l'impuissance du
Royaume-Uni de garantir à l'intimé une protection
complète même si on l'appuyait de l'idée qu'il ne
serait pas totalement impensable que le Canada
puisse offrir une protection meilleure.
À mon avis, la conclusion du membre de la
section du statut quant à la recevabilité de la
revendication de l'intimé n'était pas fondée sur une
vérification adéquate de l'existence d'un minimum
de fondement quant au caractère raisonnable de la
crainte qu'il disait avoir. Sa décision et celle
qu'elle a entraîné à sa suite n'ont pas été rendues
conformément à la Loi.
C'est pour ces raisons qu'à mon avis la Cour
doit accueillir cette demande d'examen et d'annu-
lation, annuler la décision de premier stade rendue
le 27 juillet 1989 sur la recevabilité et le minimum
de fondement de la revendication de l'intimé, et
retourner l'affaire à un arbitre et à un membre de
la section du statut pour qu'ils la décident de
nouveau sur la base du dossier tel que constitué
mais en tenant compte des remarques contenues
aux présents motifs.
LE JUGE HUGESSEN, J.C.A.: J'y souscris.
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A.: J'y souscris.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.