T-1175-89
Pizza Pizza Limited (demanderesse)
c.
Little Caesar International Inc., Little Caesar
Enterprises Inc., Little Caesar of Canada Inc.,
Little Caesar's Pizza (faisant affaire au n° 1091,
rue Lauzon, Windsor (Ontario)), Little Caesar's
Pizza (faisant affaire au n° 1304, Grand Marais
ouest, Windsor (Ontario)), Little Caesar's Pizza
(faisant affaire au n° 1930, boulevard Tecumseh
ouest, Windsor (Ontario)), Little Caesar's Pizza
(faisant affaire au n° 3749, rue Tecumseh est,
Windsor (Ontario)), Little Caesar's Pizza (fai-
sant affaire au n° 3123, chemin Forest Glade,
Windsor (Ontario)), Michael Ilitch, Denise
Ilitch-Lites, Malina Ilitch, David H. Deal, Gerald
M. Pasternak, Charles P. Jones, Robert Massey,
Kim Pollack, et Alan R. Thompson (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: PIZZA PIZZA LTD. c. LITTLE CAESAR INTERNA
TIONAL INC (1" INST.)
Section de première instance, juge Dubé—
Toronto, 19 octobre; Ottawa, 31 octobre 1989.
Marques de commerce — Contrefaçon — Demande visant à
obtenir une injonction interlocutoire qui interdirait aux défen-
deurs d'utiliser la marque de commerce «Pizza Pizza» — La
demanderesse exploite 194 restaurants-traiteurs de pizza en
Ontario et au Québec ou accorde des franchises à ceux-ci, et
tous ces restaurants utilisent l'expression «Pizza Pizza» en
liaison avec ceux-ci — Elle s'attend à ouvrir, dans l'année, des
restaurants franchisés à Windsor — Little Caesar exploite
2 600 points de vente de pizza aux É.-U. et à Windsor — Elle
utilise l'expression «Pizza! Pizza!» dans la signalisation et
dans la publicité pour annoncer la vente de deux pizzas pour le
prix d'une — Dans les cinq années qui ont suivi le rejet d'une
demande semblable mettant en cause les mêmes parties, la
situation factuelle a changé, et la jurisprudence sur le préju-
dice irréparable dans le domaine des marques de commerce a
évolué — Une fois rempli le critère préliminaire de la question
importante, la simple violation du droit de propriété sur une
marque de commerce suffit à constituer un préjudice irrépara-
ble — L'emploi non autorisé par Little Caesar dans la région
de Windsor de la marque enregistrée de la demanderesse cause
un préjudice irréparable, puisque la diminution du droit légal
de propriété du titulaire pourrait être perçu et non mesuré.
Injonctions — Action en contrefaçon de marque de com
merce — Demande d'injonction interlocutoire — Une fois
rempli le critère préliminaire de la question importante à
trancher, la simple violation du droit de propriété sur une
marque de commerce suffit à constituer un préjudice
irréparable.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Maple Leaf Mills Ltd. c. Quaker Oats Co. of Can.
(1984), 2 C.I.P.R. 33; 82 C.P.R. (2d) 118 (C.F. 1" inst.);
Joseph E. Seagram & Sons Ltd. c. Andres Wines Ltd.
(1987), 16 C.I.P.R. 131; 16 C.P.R. (3d) 481; 11 F.T.R.
139 (C.F. 1" inst.); I.B.M. Corp. c. Ordinateurs Spirales
Inc. (1984), 2 C.I.P.R. 56; 80 C.P.R. (2d) 187 (C.F. 1"
inst.); Syntex Inc. c. Novopharm Ltd. (1989), 26 C.P.R.
(3d) 481; 28 F.T.R. 124 (C.F. 1"° inst.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Pizza Pizza Ltd. c. Little Caesar Enterprises Inc. et
autres (1984), 1 C.P.R. (3d) 154 (C.F. 1" inst.).
AVOCATS:
M. M. Field -Marsham et J. C. Cotter pour la
demanderesse.
Peter Y. Atkinson et John Longo pour les
défendeurs.
PROCUREURS:
Osler, Hoskin & Harcourt, Toronto, pour la
demanderesse.
Aird & Berlis, Toronto, pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française de l'ordon-
nance rendue par
LE JUGE DUBÉ: Il s'agit d'une requête introduite
par la demanderesse («Pizza Pizza») en vue d'obte-
nir une injonction interlocutoire qui interdirait aux
défenderesses («Little Caesar») d'utiliser ou d'an-
noncer la marque de commerce «Pizza Pizza» ou
toute autre désignation semblable aux marques de
commerce ou aux noms commerciaux de la
demanderesse, et d'indiquer, directement ou indi-
rectment, un rapport entre Little Caesar et Pizza
Pizza dans la pratique du commerce.
Au 18 octobre 1989, Pizza Pizza exploite, dans
les régions urbaines de Toronto, d'Ottawa et de
Montréal, ainsi que dans d'autres endroits de la
province d'Ontario, 194 restaurants-traiteurs, ou
accorde des franchises à ces restaurants. Elle est la
propriétaire inscrite de plusieurs marques de com
merce au Canada, la première ayant été enregis-
trée le 3 mars 1972. Tant dans ses magasins
constitués que dans ses points de vente franchisés,
la marque de commerce «Pizza Pizza» est utilisée
depuis décembre 1967. Dans l'année, Pizza Pizza
s'attend à ouvrir des restaurants franchisés dans
plusieurs autres collectivités, dont Windsor et
London (Ontario). Son chiffre d'affaires net
approximatif est passé de 170 000 $ en 1968 à
100,4 millions de dollars en 1988. Son budget
d'annonce pour 1988 était de 6,3 millions de
dollars.
Little Caesar exploite plus de 2 600 restaurants
de pizza qui appartiennent à une chaîne dont le
centre d'opérations se trouve aux États-Unis, par
l'entremise de restaurants constitués et de points
de vente franchisés. Pour les dix-huit mois passés,
elle a exploité cinq restaurants-minutes qui offrent
des mets à emporter dans la région de Winsdsor
(Ontario). Dans le cadre de son programme d'an-
nonce et de signalisation, elle emploie l'expression
«Pizza! Pizza!» combinée avec sa marque de com
merce «Little Caesar». Cette expression exclama-
tive vise à annoncer la vente de deux pizzas pour le
prix d'une, prix de lancement.
En exerçant ses activités commerciales, Pizza
Pizza utilise une méthode très différente de celle
de Little Caesar. Celle-ci ne livre pas ses produits
dans la région de Windsor. Toutes les ventes sont
effectuées aux magasins isolés, et approximative-
ment 90 % des clients de Little Caesar appellent à
l'avance pour commander des pizzas qu'ils vien-
dront chercher. Chaque magasin a son propre
numéro de téléphone.
Par contre, les activités commerciales de Pizza
Pizza consistent essentiellement dans la livraison
de ses produits. On utilise un système téléphonique
informatisé pour recevoir toutes les commandes de
livraison des produits de la demanderesse. Le
numéro de téléphone utilisé pour la livraison est la
combinaison 967-1111 dans la région torontoise. Il
est bien connu grâce aux efforts déployés par la
demanderesse pour faire une annonce de grande
envergure. D'autres numéros de téléphones sont
utilisés en dehors de la Communauté urbaine de
Toronto.
En juin 1983, la demanderesse a saisi cette Cour
d'une action semblable contre Little Caesar et
Viking Restaurants Incorporated, une franchise de
Little Caesar qui exerce ses activités à London
(Ontario). La demanderesse a prétendu qu'il y
avait eu contrefaçon et elle a conclu à une injonc-
tion interlocutoire fondée essentiellement sur les
mêmes allégations et les mêmes arguments présen-
tés dans la requête introduite en l'espèce. Le 3
octobre 1984, le juge en chef adjoint a rejeté la
demande, surtout pour le motif que la demande-
resse n'avait pas démontré l'existence d'un préju-
dice irréparable. Le dernier paragraphe de ses
motifs est ainsi conçu (à la page 156)':
Aussi bien le point de vue de la demanderesse que celui des
défenderesses jouissent d'un appui considérable et j'ai nette-
ment l'impression que la décision du juge saisi de l'affaire sera
difficile. Il n'y a aucune raison de croire que tout préjudice subi
par la demanderesse en attendant l'instruction ne pourra pas
être pleinement compensé en argent. Compte tenu des faits
particuliers de l'espèce, savoir que la demanderesse limite ses
activités presque exclusivement à un seul marché, que les
défenderesses limitent les leurs presque exclusivement à un
autre et que la renonciation manifeste au mot descriptif «pizza»
influera sur la décision rendue, il me semble préférable que
toutes lès questions en litige soient tranchées à l'instruction.
Par conséquent, la demande interlocutoire est rejetée avec
dépens.
Apparemment, l'affaire a été réglée entre les
parties et on n'a pas donné suite à cette action.
Toutefois, dans les cinq années suivantes, la situa
tion factuelle a connu un changement important,
et la jurisprudence sur le préjudice irréparable en
matière de marques de commerce a évolué consi-
dérablement. En conséquence, je me propose main-
tenant d'accorder l'injonction interlocutoire pour
les motifs suivants.
En 1983, la demanderesse exerçait ses activités
commerciales surtout dans la Communauté
urbaine de Toronto, et elle exploitait quelque 50
points de vente, alors que Viking Restaurants
Incorporated exploitait quatre points de vente de
pizza à London (Ontario). Ainsi qu'il a été men-
tionné ci-dessus, la demanderesse exploite ou est
sur le point d'exploiter quelque 200 points de vente
à Montréal et en Ontario, notamment dans le
sud-ouest de l'Ontario. En raison de l'accroisse-
ment de son budget de publicité et du gros volume
des ventes, ses activités actuelles couvrent prati-
quement toute la province d'Ontario, notamment
Windsor. La conclusion tirée par le juge en chef
adjoint selon laquelle «la demanderesse limite ses
activités presque exclusivement à un seul marché
et les défenderesses limitent les leurs presque
exclusivement à un autre» n'est plus valable.
' Pizza Pizza Ltd. c. Little Caesar Enterprises Inc. et autres
(1984), 1 C.P.R. (3d) 154 (C.F. 1" inst.).
Il est constant que le critère préliminaire pour
l'octroi d'une injonction interlocutoire, savoir
l'existence d'une question importante à trancher, a
été rempli. La deuxième condition, c'est-à-dire le
préjudice irréparable, examinée dans la jurispru
dence récente, laisse supposer que la simple viola
tion du droit de propriété sur une marque de
commerce suffit en soi à constituer un préjudice
irréparable.
Dans l'affaire Maple Leaf Mills Ltd. c. Quaker
Oats Co. of Can. 2 , le juge Cattanach a accordé
une injonction interlocutoire pour la contrefaçon
de la marque de commerce «Pounce» en liaison
avec des aliments pour chats. Selon lui (à la page
43 C.I.P.R.) [TRADUCTION] «La simple violation
du droit de propriété sur une marque de commerce
suffit en soi à constituer un préjudicie irréparable
qui ne peut être compensé au moyen de domma-
ges-intérêts». Il a dit que la marque de commerce
était présumée valide, et il a conclu qu'il existait
[TRADUCTION] «un risque de préjudice qu'on ne
peut quantifier, qui n'a pas à être prouvé mais qu'il
faut prévoir seulement, pour la demanderesse si
l'injonction interlocutoire n'est pas accordée et que
la demanderesse ait gain de cause au procès». Il a
conclu (aux pages 43 et 44 C.I.P.R.) que le statu
quo devrait être maintenu:
[TRADUCTION] Le maintien du statu quo s'effectue au
moyen d'une injonction interlocutoire. Voilà son objet et son
effet.
Dans l'affaire Joseph E. Seagram & Sons Ltd.
c. Andres Wines Ltd. 3 , mon collègue le juge Cullen
a accordé une injonction interlocutoire interdisant
à la défenderesse de vendre une vodka panachée
sous la marque de commerce «Wildberry». Il s'est
prononcé en ces termes (à la page 145 C.I.P.R.):
Il me semble tout à fait évident qu'il s'agit d'un cas où il
existe des arguments défendables pour prouver la contrefaçon
d'une marque de commerce déposée et qu'il y a donc lieu
d'accorder l'injonction interlocutoire demandée. La loi indique
clairement que cela peut être fait sans avoir à examiner la
répartition des inconvénients ni à déterminer s'il existe un
préjudice irréparable (Duomo Inc. c. Giftcraft Ltd. (1984), 3
C.I.P.R. 70, 1 C.P.R. (3d) 165, la page 169 (C.F. 1" inst.);
Maple Leaf Mills Ltd. c. Quaker Oats Co., précité; Universal
City Studios c. Zellers (1983), 73 C.P.R. (2d) 1 (C.F. 1"
inst.), aux pages 8 et 9; I.B.M. Corp. c. Ordinateurs Spirales
Inc. (1984), 2 C.I.P.R. 33, 80 C.P.R. (2d) 187, la page 198
(C.F. 1" inst.)).
s (1984), 2 C.I.P.R. 33; 82 C.P.R. (2d) 118 (C.F. 1" inst.).
3 (1987), 16 C.I.P.R. 131; 16 C.P.R. (3d) 481; 11 F.T.R. 139
(C.F. 1" inst.).
Le juge a cité notre collègue Madame le juge
Reed dans I.B.M. Corp. c. Ordinateurs Spirales
Inc. 4 , où elle a accordé une injonction interlocu-
toire, même s'il était «difficile de conclure que la
demanderesse subirait un préjudice irréparable à
cause des agissements de la seule défenderesse».
Toutefois, elle a fait état d'«effet d'avalanche» ou
«mort à coups d'épingle» qui découlerait du défaut
d'accorder l'injonction, ce qui encourage «nombre
d'autres sociétés [à] de se lancer dans l'importa-
tion et la vente d'ordinateurs comportant le pro
gramme pour lequel la demanderesse détient un
certificat de droit d'auteur».
Dans une décision plus récente rendue dans
l'affaire Syntex Inc. c. Novopharm Ltd.S, le juge
MacKay de cette Cour a examiné toute la juris
prudence récente sur le préjudice irréparable, et il
a tiré la conclusion suivante (à la page 502
C.P.R.):
À la lumière de cette jurisprudence, il me semble évident que
l'emploi non autorisé d'une marque de commerce déposée cause
au propriétaire de celle-ci un préjudice irréparable, que ce
préjudice soit perçu comme une atteinte au droit à l'emploi
exclusif reconnu par la loi, une perte de caractère distinctif de
la marque, la reconnaissance implicite d'une licence obligatoire
ou encore la perte inévitable d'une part d'un marché bien
établi, développé grâce à des marchandises faisant l'objet d'une
marque de commerce déposée, au profit d'un tiers qui y entre
en utilisant cette marque sans autorisation. Dans tous ces cas
où le préjudice est défini en termes non pécuniaires, l'octroi de
dommages-intérêts ne saurait représenter une indemnisation
adéquate.
En l'espèce, il est clair que l'emploi non autorisé
par Little Caesar dans la région de Windsor
(Ontario) de la marque enregistrée de la demande-
resse causerait à celle-ci un préjudice irréparable,
en ce sens que la diminution du droit de propriété
légal du titulaire pourrait être perçue mais ne
pourrait être mesurée. Il s'ensuivrait également
une perte du caractère distinctif de la marque de
commerce «Pizza Pizza», qu'on doit présumer
valide à ce stade des procédures, ainsi qu'une perte
inévitable d'une partie du marché dans les régions
où la demanderesse exerce déjà ses activités et
dans les régions où elle a l'intention de le faire. Un
comptable ne saurait mesurer facilement ces préju-
dices en termes pécuniaires, mais n'importe qui
peut les prévoir et les percevoir. Les deux mots de
4 (1984), 2 C.I.P.R. 56; 80 C.P.R. (2d) 187 (C.F. 1" inst.), à
la p. 70 C.I.P.R.
5 (1989), 26 C.P.R. (3d) 481; 28 F.T.R. 124 (C.F. 1" inst.).
la marque de commerce «Pizza Pizza» qui figurent
sur les signalisations et les marchandises de Little
Caesar dans la région de Windsor portent, à l'évi-
dence, atteinte à la marque de commerce de la
demanderesse, dont l'enregistrement demeure
valable dans tout le Canada.
D'autre part, le préjudice que subirait Little
Caesar si l'injonction était accordée semblerait
minimal. La signalisation «Pizza! Pizza!» pour les
points de vente de Windsor devrait être remplacée,
au coût de 8 000 $. Toutefois, les enseignes peu-
vent être retournées si l'injonction est levée. Cer-
tains des objets de publicité ne peuvent être utilisés
durant cette période, mais on peut obtenir les
objets non contrefaits des restaurants de Little
Caesar dans la région de Détroit. Il n'y aurait pas
lieu à confusion inévitable, puisque l'expression
«Pizza! Pizza!» peut être remplacée par le propre
slogan de Little Caesar: «Two Great Pizzas for
One Low Price» (deux délicieuses pizzas pour un
prix modique)».
Par ces motifs, il sera rendu une injonction
interlocutoire interdisant aux défenderesses, par
l'entremise de leurs dirigeants, préposés, travail-
leurs, mandataires et employés, de contrefaire et
de dévaloriser les marques de commerce «Pizza
Pizza» et «Pizza Pizza Design» et ce, jusqu'à ce que
la présente affaire ait été instruite ou jusqu'à ce
qu'il ait été autrement statué sur celle-ci, selon la
formule demandée par la demanderesse. Les
dépens suivront l'issue de la cause.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.