T-2233-90
Conseil de la radiodiffusion et des télécommunica-
tions canadiennes ( «CRTC») et Brien Rodger
(requérants)
c.
Daniel A. Soberman, Carol Joan Block, Joseph A.
Sanders, siégeant comme membres du tribunal des
droits de la personne, Richard Deegan, le plai-
gnant, et la Commission canadienne des droits de
la personne (intimés)
RÉPERTORIÉ: CONSEIL DE IA RADIODIFFUSION ET DES TÉLÉ-
COMMUNICATIONS CANADIENNES C. CANADA (TRIBUNAL DES
DROITS DE IA PERSONNE) (1 1s INST.)
Section de première instance, juge MacKay—
Ottawa, 30 août et 17 septembre 1990.
Droits de la personne — Demande d'annulation de l'ordon-
nance ayant pour effet d'exclure le représentant désigné du
CRTC de l'audience du tribunal des droits de la personne
concernant une plainte de discrimination jusqu'à ce que ledit
représentant témoigne — Le représentant a été assigné comme
témoin — La demande est accueillie, étant donné que l'ordon-
nance est contraire à l'art. 50(1) de la Loi canadienne sur les
droits de la personne, qui garantit aux parties le droit de
présenter des éléments de preuve et de formuler des observa
tions — Une entreprise ou un organisme créé en vertu d'une loi
peut être représenté et donner des directives à un avocat
uniquement par l'entremise d'une personne naturelle — Le
droit de choisir un représentant ne devrait pas être entravé par
la possibilité que ledit représentant témoigne — La demande
visant à annuler l'ordonnance d'exclusion concernant l'employé
dont la conduite a donné lieu à la plainte est rejetée — Le rôle
du tribunal n'est pas de punir, mais de réparer — Étant donné
que l'ordonnance visait uniquement le CRTC, qui était le seul
intimé désigné, les principes de la justice naturelle et l'obliga-
tion d'équité n'ont pas été violés.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et
sécurité — Demande d'annulation de l'ordonnance ayant pour
effet d'exclure de l'audience du tribunal des droits de la
personne un employé du CRTC dont la conduite a donné lieu à
une plainte de discrimination jusqu'à ce que cet employé ait
témoigné — Étant donné que le CRTC est le seul intimé
désigné, l'ordonnance du tribunal vise uniquement cet orga-
nisme — Le traumatisme personnel découlant de l'enquête du
tribunal ne constitue pas une privation de la sécurité de la
personne qui est garantie par l'art. 7 de la Charte.
Déclaration des droits — L'exclusion de l'audience du tri
bunal des droits de la personne d'un employé du CRTC dont la
conduite a donné lieu à une plainte de discrimination jusqu'à
ce que cette personne ait témoigné ne constitue pas une entrave
au droit à une audience impartiale conformément aux princi-
pes de la justice fondamentale, laquelle violation serait con-
traire à l'art. 2e) de la Déclaration canadienne des droits —
L'employé en question n'est pas un intimé désigné et n'a pas
encore obtenu le statut de partie intéressée — Il n'est pas plus
habilité que d'autres témoins à répondre aux accusations ou
aux reproches.
Pratique — Preuve — Audience du tribunal des droits de la
personne — L'employé du CRTC dont la conduite a donné lieu
à une plainte de discrimination et l'agent du CRTC qui a
donné des directives à l'avocat ont été exclus jusqu'à ce qu'ils
aient témoigné L'ordonnance est annulée quant à l'agent et
confirmée quant à l'employé — Il s'agit de savoir si le pouvoir
discrétionnaire du tribunal d'exclure des témoins s'étend aux
personnes en question — But de l'exclusion des témoins —
Crédibilité — Renvoi aux ouvrages sur la preuve, aux règles
de procédure civile et au droit d'origine législative de divers
territoires — Lé tribunal examinerait avec soin le poids à
accorder au témoignage d'un témoin non exclu — Lorsqu'il
choisit une personne pour donner des directives à l'avocat,
l'organisme doit comprendre que la Cour peut ne pas tenir
compte du témoignage de cette personne.
Il s'agissait d'une demande d'annulation d'une ordonnance
ayant pour effet d'exclure Joseph Horan, directeur général du
personnel du CRTC, et Brien Rodger, l'employé du CRTC
dont la conduite avait donné lieu à la plainte de discrimination,
de l'audience du tribunal des droits de la personne jusqu'à ce
qu'ils aient témoigné. Le CRTC a jugé que Horan était la
personne la plus compétente et la mieux informée pour conti-
nuer à donner des directives à l'avocat et à le représenter
pendant l'enquête, étant donné que les responsabilités de Horan
portaient sur les questions en litige et qu'il avait donné des
directives à l'avocat avant l'enquête. Bien que son nom appa-
raisse dans le texte de la plainte, Rodger n'était pas partie à
l'enquête tenue devant le tribunal et il n'a pas encore obtenu le
statut de partie intéressée. Seul le CRTC a été désigné comme
intimé. Le tribunal a assigné Horan et Rodger à titre de
témoins possibles. Le CRTC a soutenu que l'exclusion de
Horan allait à l'encontre du paragraphe 50(1) de la Loi cana-
dienne sur les droits de la personne et des règles de la justice
naturelle. Le paragraphe 50(1) identifie les parties à une
enquête qui doivent recevoir un avis de celle-ci et avoir la
possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter des
éléments de preuve et leurs observations. Ces arguments étaient
fondés sur le droit du CRTC de choisir le représentant qui
donnera des directives et des conseils à l'avocat au cours de
l'audience, lequel droit existerait de façon concomittante avec
celui d'être représenté par un avocat, élément essentiel du droit
à une audience impartiale. Dans le cas de Rodger, on a soutenu
que son caractère et sa réputation étaient en jeu et que son
perfectionnement au sein de la fonction publique serait touché
par les conclusions du tribunal. On a allégué que, selon les
règles de la justice naturelle, il devait avoir le droit d'entendre
les accusations portées contre lui et d'y répondre. On a ajouté
que l'enquête et les conclusions du tribunal pourraient violer les
droits de Rodger qui sont reconnus par l'article 7 de la Charte,
lesquels droits comprendraient celui de ne pas être soumis à un
choc émotif à la suite de la perte de dignité ou de l'estime de soi
ou d'une stigmatisation. Les intimés ont soutenu que d'autres
membres de l'administration de l'organisme pouvaient le repré-
senter et donner des directives à l'avocat. La question en litige
consistait à savoir si le pouvoir discrétionnaire du tribunal
d'exclure des témoins s'étend aux personnes se trouvant dans la
situation de Horan et Rodger.
Jugement: la demande devrait être accueillie en partie,
c'est-à-dire que l'ordonnance devrait être annulée quant à
Horan, mais confirmée quant à Rodger.
L'exclusion de Horan allait à l'encontre du paragraphe 50(1)
de la Loi. Une partie qui est une entreprise ou un organisme
créé en vertu d'une loi ne peut être représentée à une audience
et donner des directives à son avocat que par l'entremise d'une
personne naturelle. Selon le paragraphe 50(1), un organisme
créé en vertu d'une loi a le droit d'être représenté et de donner
des directives à son avocat au cours de l'audience par l'entre-
mise de la personne qu'il a désignée. La possibilité qu'il a de
participer à l'audience ne peut être restreinte par l'exclusion de
ce représentant désigné, même si cette personne est un témoin
possible. Le fait qu'une personne soit un témoin possible parce
que la plainte concerne ses responsabilités normales ne devrait
pas entraver le droit d'un organisme ou d'une entreprise de se
choisir un représentant aux fins des audiences d'un tribunal.
Cette conclusion était appuyée par les aspects pratiques de la
cause. Étant donné que la tâche de répondre au rapport d'en-
quête et de conciliation incombait à Horan, celui-ci était au
courant d'une grande partie de la preuve. Le fait de l'empêcher
d'entendre le témoignage des autres ne garantirait pas de la
même façon qu'il le ferait pour les autres témoins que son
témoignage ne serait pas influencé par la preuve présentée
devant le tribunal. Lorsque la personne désignée pour donner
des directives à l'avocat est également un témoin possible et
qu'elle est exemptée de l'application d'une ordonnance générale
d'exclusion des témoins, le tribunal examinera avec soin le
poids à accorder à son témoignage. La possibilité que le tribu
nal ne tienne pas compte du témoignage de cette personne
pourra être un élément dont l'organisme se préoccupera au
moment de choisir le représentant qui donnera des directives à
l'avocat en son nom.
Rodger ne sera pas directement touché par une ordonnance
du tribunal, puisqu'il n'est pas partie à l'enquête. Son perfec-
tionnement dépend d'autres démarches d'évaluation. Étant
donné qu'aucune ordonnance ne sera rendue directement contre
Rodger, qu'aucune sanction ne lui sera imposée et qu'aucune
mesure réparatrice ne sera prise contre lui à la suite d'une
ordonnance du Tribunal, il n'y a pas violation des principes de
justice naturelle et de l'obligation d'équité. Comme témoin
possible, il n'est pas plus habilité que d'autres témoins à
répondre aux «accusations» ou aux reproches. Même s'il ne peut
entendre la preuve concernant les allégations formulées contre
lui avant d'être appelé à témoigner, il ne sera pas privé pour
autant de son droit à une audience impartiale conformément
aux principes de la justice fondamentale, ce qui serait contraire
à l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits. L'article
7 de la Charte ne s'applique pas non plus aux faits. Le
traumatisme que Rodger peut subir à la suite de l'enquête est
un des risques de la vie et ne constitue pas une atteinte à la
sécurité de sa personne.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Alberta Rules of Court, Alta. Reg. 390/68, R. 247.
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 44] art. 7, 24(1).
Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, chap. 44,
Partie I [L.R.C. (1985), appendice I11], art. 2e).
Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C.
(1985), chap. H-6, art. 49 (mod. par L.R.C. (1985)
(1" Supp.), chap. 31, art. 66), 50, 52, 53, 54.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7,
art. 18.
Règles de procédure civile, Régl. de l'Ont. 560/84,
R. 52.06.
The Saskatchewan Human Rights Code, S.S. 1979,
chap. S-24.1.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Fishing Vessel Owners' Assn. of B.C. c. P.G. Can. (1985),
1 C.P.C. (2d) 312; 57 N.R. 376 (C.A.F.); American
Airlines, Inc. c. Canada (Tribunal de la concurrence),
[1989] 2 C.F. 88; (1988), 54 D.L.R. (4th) 741; 33
Admin. L.R. 229; 23 C.P.R. (3d) 178; 89 N.R. 241
(C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Kodellas v. Sask. Human Rights Comm., [1989] 5
W.W.R. 1; (1989), 77 Sask. R. 94 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30; (1988), 63 O.R.
(2d) 281; 44 D.L.R. (4th) 385; 37 C.C.C. (3d) 449; 62
C.R. (3d) 1; 31 C.R.R. l; 82 N.R. 1; 26 O.A.C. 1;
Homelite, a division of Textron Can. Ltd. c. Tribunal
canadien des importations (1987), 26 Admin. L.R. 126;
15 F.T.R. 10 (C.F. 1"e inst.).
DÉCISIONS CITÉES:
R. c. Rahey, [1987] 1 R.C.S. 588; (1987), 78 N.S.R.
(2d) 183; 39 D.L.R. (4th) 481; 193 A.P.R. 183; 33
C.C.C. (3d) 289; 57 C.R. (3d) 289; 75 N.R. 81; Re
Alberta Liquor Control Board and A.U.P.E., Loc. 50
(1989), 6 L.A.C. (4th) 252 (Alb.); Re Inland Natural
Gas Co. Ltd. and Intl Brotherhood of Electrical Wor
kers, Local 213 (1985), 22 L.A.C. (3d) 104 (C.-B.);
Chamberlain v. Aetna Life & Cas. Ins. Co., Tenn., 593
S.W. 2d 661 (C.S., 1980); Lenoir Car Co. v. Smith, 100
Tenn. 127; 42 S.W. 879 (Tenn. C.S., 1897); Robichaud c.
Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84; (1987),
40 D.L.R. (4th) 577; 87 C.L.L.C. 17,025; 75 N.R. 303.
DOCTRINE
Schiff, Stanley Evidence in the Litigation Process, Vol. 1,
3rd éd. Toronto: Carswell Co. Ltd., 1988.
Sopinka, John & Lederman, Sidney N. The Law of
Evidence in Civil Cases, Toronto: Butterworths, 1974.
Wigmore, John Henry Evidence in Trials at Common
Law, Vol. 6, rev. by James H. Chadbourn. Boston:
Little, Brown & Co., 1976.
AVOCATS:
Russell G. Juriansz et Avrum Cohen pour les
requérants.
Stephen B. Acker et Mundy McLaughlin
pour l'intimée, la Commission canadienne des
droits de la personne.
Michael W. Swinwood pour le plaignant
Richard Deegan.
Personne n'a comparu pour le tribunal des
droits de la personne.
PROCUREURS:
Blake, Cassels & Graydon, Toronto, pour les
requérants.
Johnston & Buchan, Ottawa, pour l'intimée,
la Commission canadienne des droits de la
personne.
Lang, Michener, Lawrence & Shaw, Ottawa,
pour le plaignant.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MACKAY: Il s'agit d'une demande
fondée sur l'article 18 de la Loi sur la Cour
fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, en vue d'obte-
nir des ordonnances de certiorari, de prohibition et
de mandamus à l'égard de la décision par laquelle
le tribunal des droits de la personne a exclu de la
salle d'audience certaines personnes assignées
comme témoins au cours d'une enquête qu'il
menait au sujet d'une allégation de discrimination.
Les personnes qui ont été exclues de la salle d'au-
dience et dont la présence serait autorisée, si les
ordonnances demandées étaient rendues, étaient
Joseph Horan, le directeur général du personnel du
Conseil de la radiodiffusion et des télécommunica-
tions canadiennes («CRTC») que celui-ci avait
désigné comme son mandataire pour donner des
directives à l'avocat en son nom, et Brien Rodger,
employé du CRTC dont la conduite avait donné
lieu à une plainte. La plainte de discrimination
fondée sur l'invalidité a été présentée à la Commis
sion canadienne des droits de la personne confor-
mément à la Loi canadienne sur les droits de la
personne, L.R.C. (1985), chap. H-6, par l'intimé
Richard Deegan.
Au cours de l'audience relative à cette question,
le CRTC et Rodger étaient tous deux représentés
par des avocats, chacun des intimés, Deegan et la
Commission canadienne des droits de la personne,
était représenté par son propre avocat et les inti-
més désignés membres du tribunal des droits de la
personne n'étaient pas représentés.
Les requérants désirent, par la présente
demande, obtenir une ordonnance de certiorari et
de prohibition en vue d'annuler la décision par
laquelle le tribunal a exclu, le 18 juin 1990, le
représentant du CRTC et Rodger de la salle d'au-
dience et d'interdire au tribunal de poursuivre
l'enquête tant que la présence de ces personnes ne
sera pas autorisée. Les requérants demandent éga-
lement une ordonnance de mandamus enjoignant
au tribunal de permettre au représentant du
CRTC et à Brien Rodger d'être présents pendant
l'enquête. En outre, ils demandent des ordonnan-
ces enjoignant au tribunal de mener l'enquête con-
formément aux règles de justice naturelle et aux
principes de justice fondamentale qui sont garantis
par l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des
droits, S.C. 1960, chap. 44, Partie I, et ses modifi
cations (L.R.C. (1985), appendice III) et, enfin, en
ce qui a trait à Rodger, une ordonnance fondée sur
le paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des
droits et libertés [qui constitue la Partie I de la
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 44]] en vue d'en-
joindre au tribunal de mener l'enquête conformé-
ment au droit à la justice fondamentale de Rodger
qui est garanti par l'article 7 de la Charte.
Au soutien de la requête, on allègue que le
tribunal a commis une erreur de droit, violé les
règles de justice naturelle, le droit des requérants à
la justice fondamentale, qui est garanti par l'alinéa
2e) de la Déclaration canadienne des droits, et le
droit de Brien Rodger à la justice fondamentale,
qui est garanti par l'article 7 de la Charte, et qu'il
a outrepassé ses pouvoirs en ordonnant l'exclusion
du représentant du CRTC et de Brien Rodger de
la salle d'audience.
Le contexte
Le tribunal a été nommé pour examiner une
plainte de discrimination fondée sur l'invalidité qui
avait été déposée par Deegan, employé du CRTC.
La plainte porte explicitement sur la conduite du
superviseur de Deegan, Brien Rodger, dont le nom
apparaît dans le texte de la plainte, bien que seul
l'organisme, le CRTC, y soit nommé comme
intimé.
Horan est le gestionnaire principal chargé de
l'administration du personnel et de la politique
afférente au sein du CRTC. Ses responsabilités
comprennent les litiges portés devant le tribunal et
il avait donné des directives à l'avocat du CRTC
avant l'enquête. Le CRTC le considérait égale-
ment comme la personne la plus informée et la
plus compétente pour continuer à donner des
directives à l'avocat et à le représenter pendant
l'enquête.
On soutient que le plaignant, Deegan refuse de
reconnaître que les allégations, de discrimination
sont fondées entièrement, sur les actions du requé-
rant Rodger. Apparemment, Deegan et peut-être
aussi la Commission intimée sont préoccupés par
la façon dont Horan s'est conduit au cours de
l'enquête qu'a menée ladite Commission au sujet
de l'allégation de discrimination.
La démarche prévue par la loi pour l'examen et
le règlement d'une plainte a été suivie dans le cas
de la plainte de Deegan, mais elle n'a pas permis
de trancher le litige. Finalement, le tribunal a été
créé conformément à l'article 49 [mod. par L.R.C.
(1985) (1e` suppl.), chap. 31, art. 66] de la Loi
canadienne sur les droits de la personne pour
examiner la plainte. Lorsque l'avocat du CRTC â
refusé d'indiquer s'il appellerait ou non MM.
Horan et Rodger comme témoins à l'enquête, le
tribunal a assigné chacun d'eux à la demande de la
Commission intimée. L'avocat de la Commission a
ensuite refusé de dire, avant l'enquête, s'il appelle-
rait l'un d'eux comme témoin. Au début de l'en-
quête, le 18 juin 1990, l'avocat de la Commission
intimée a demandé une ordonnance d'exclusion des
témoins et l'avocat du plaignant a appuyé cette
demande. L'avocat du CRTC était d'accord avec
la demande, mais il a proposé que MM. Horan et
Rodger ainsi que le plaignant Deegan soient
exemptés de l'application de l'ordonnance. L'avo-
cat de la Commission et celui de Deegan se sont
alors opposés à l'exclusion de MM. Horan et
Rodger.
Après avoir entendu les arguments sur cette
question, le tribunal a décidé que les témoins, y
compris MM. Horan et Rodger, devaient être
exclus de la salle d'audience jusqu'à ce qu'ils aient
témoigné, s'ils étaient appelés à le faire. Une
bonne partie des arguments présentés devant le
tribunal portaient sur l'application de l'ordonnance
proposée à Horan qui, comme dirigeant supérieur
du, CRTC, avait conseillé la direction au sujet du
litige et avait donné des directives à l'avocat au
cours de la préparation relative à l'enquête. On a
également soutenu que la présence de Rodger était
nécessaire pour le motif qu'en raison des principes
de justice fondamentale, toute personne doit avoir
la possibilité d'entendre ce qui est dit contre elle et
de se défendre. Le président du tribunal a résumé
comme suit la question essentielle et la décision:
[TRADUCTION] Nous avons donc ici un conflit entre le droit
d'une personne d'être présente à l'audience et d'entendre ce qui
se passe et la possibilité de tenir une audience qui permet de
faire ressortir la vérité conformément aux règles de la preuve
générales. (Transcription, audience du tribunal, p. 15.)
Plus tard, le président a dit ce qui suit:
[TRADUCTION] ... nous admettons que la possibilité de connaî-
tre la vérité et les faits sans tenir compte des risques pour les
personnes ici présentes, l'emporte à notre avis et nous exclu-
rions M. Horan et M. Rodger jusqu'à ce qu'ils témoignent ...
nous estimons qu'il est important qu'ils soient exclus et nous
exclurions toutes les personnes, sauf M. Deegan lui-même,
avant qu'elles ne témoignent. (Transcription, audience du tribu
nal, p. 17.)
Le CRTC a alors demandé un ajournement pour
contester la décision du tribunal devant notre Cour
et le tribunal a accordé la demande d'ajournement
lorsque l'avocat du CRTC a indiqué qu'il s'oppo-
sait à la poursuite de l'enquête avant que cette
question préliminaire ne soit tranchée.
Le tribunal et l'exclusion des témoins
Selon la Loi canadienne sur les droits de la
personne, lorsqu'un tribunal est constitué, il a cer-
tains pouvoirs et responsabilités qui comprennent,
en ce qui a trait à l'examen d'une plainte, la
responsabilité d'aviser les parties, qui auront alors
la possibilité de comparaître devant le tribunal, de
présenter une preuve et de lui soumettre des obser
vations; le pouvoir d'assigner des témoins et d'exi-
ger leur présence et d'exiger la présentation d'une
preuve verbale ou écrite sous serment de la même
façon qu'un tribunal d'archives supérieur et le
pouvoir de recevoir et d'accepter la preuve et les
renseignements comme bon lui semble (paragra-
phes 50(1) et (2)). Le tribunal doit mener une
enquête publique, mais il peut exclure des mem-
bres du public, si cette exclusion est dans l'intérêt
public (article 52). À la fin de son enquête, le
tribunal peut rejeter la plainte ou, s'il juge que la
plainte est bien fondée, il peut ordonner une répa-
ration à l'intérieur des conditions fixées par la loi
(articles 53 et 54).
Pendant l'audience relative à la présente
demande, personne n'a contesté le pouvoir général
du tribunal d'établir sa propre procédure, dans la
mesure où elle n'est pas déjà précisée par la Loi.
Le principe général selon lequel les tribunaux sont
maîtres de leur propre procédure est maintenant
bien établi, selon la règle qu'a énoncée le juge
Addy dans Fishing Vessel Owners' Assn. of B.C. c.
P.C. Can. (1985), 1 C.P.C. (2d) 312 (C.A.F.), à la
page 319 et qui a été affirmée à nouveau dans
American Airlines, Inc. c. Canada (Tribunal de la
concurrence), [1989] 2 C.F. 88 (C.A.), à la page
95:
Chaque tribunal est investi du pouvoir fondamental de contrô-
ler sa propre procédure afin d'assurer que la justice est rendue.
Ce pouvoir est toutefois assujetti à toute limitation ou disposi
tion prévue soit par le droit en général, soit par une loi, soit par
les règles de la Cour. [Souligné par le juge en chef lacobucci]
En outre, au cours de l'audience relative à la
présente demande, aucune partie n'a contesté le
pouvoir du tribunal des droits de la personne d'ex-
clure des témoins de l'audience tenue devant lui
avant que ceux-ci ne soient appelés à témoigner.
La seule question à trancher est celle de savoir si
ce pouvoir discrétionnaire s'applique à l'exclusion
des personnes dont la présence est demandée en
l'espèce. Les requérants dans la présente demande
soutiennent que, selon les dispositions de la loi
habilitante ou du droit général, le pouvoir qu'a le
tribunal d'exclure des témoins ne s'étend pas à
l'exclusion de MM. Horan et Rodger. Chacun de
ces cas et les arguments invoqués à leur égard
seront examinés à tour de rôle.
Les tribunaux reconnaissent depuis longtemps le
pouvoir d'exclure des témoins, que ce pouvoir
découle de la common law, d'un texte législatif ou
des règles des tribunaux eux-mêmes. Cette procé-
dure permet à l'organisme qui préside l'audience
de s'assurer qu'il a toutes les chances possibles
d'entendre le témoignage de chacun des témoins
sans que ceux-ci ne soient influencés en entendant
la version des autres, que ce soit en étant incités à
témoigner de façon à contrer le plus efficacement
possible la version des témoins de la partie adverse
ou à présenter un témoignage qui correspondra à
celui des témoins de la même partie qui ont déjà
témoigné. Cette procédure est utilisée notamment
lorsque la crédibilité est en litige'.
Dans certains territoires, les règles de pratique
accordent au tribunal le pouvoir discrétionnaire,
dans les causes civiles, d'exclure les parties qui
sont des témoins possibles (voir, par exemple, la
Règle 247 des Alberta Rules of Court [Alta. Reg.
390/68]). Dans d'autres territoires, les parties ne
peuvent être exclues, même si elles sont des per-
sonnes qui seront appelées à témoigner (voir, par
exemple, la Règle 52.06 des Règles de procédure
civile de l'Ontario [Règl. de l'Ont. 560/84]). Dans
le cas de plusieurs autres territoires et de nom-
breux tribunaux administratifs, il s'agit simple-
ment d'une question laissée à la discrétion du
tribunal, sous réserve des règles de droit générales
qui s'appliquent. Lorsqu'un témoin, même dans le
cas d'une personne qui est une partie, est exempté
de l'application d'une ordonnance d'exclusion des
témoins ou que cette personne est présente par
inadvertance malgré cette ordonnance et qu'elle
est appelée à témoigner après avoir entendu la
version d'autres personnes, le tribunal étudiera
avec soin l'importance à accorder à son témoi-
gnage. En outre, l'organisme qui préside l'audience
voudra peut-être faire témoigner cette personne en
premier parmi celles qui sont appelées à témoigner
au nom d'une partie.
Dans l'affaire qui nous occupe, il est évident que
le tribunal a conclu que tous les témoins possibles,
sauf le plaignant, devaient être exclus, y compris
MM. Horan et Rodger, même si le premier était
présent pour conseiller l'avocat qui représentait le
CRTC et pour lui donner des directives. Le tribu
nal voulait ainsi avoir la meilleure chance possible
de déterminer les faits à la lumière du témoignage
de chacun des témoins sans que ceux-ci ne soient
influencés par la version des autres.
Exclusion du représentant du CRTC, M. Horan
L'avocat du CRTC soutient que le pouvoir du
tribunal d'exclure l'ensemble des témoins ne
s'étend pas à M. Horan, même si celui-ci est un
témoin possible, puisque l'organisme l'a désigné
comme son représentant chargé de conseiller l'avo-
' Voir, généralement, Wigmore, Evidence in Trials at
Common Law, Vol. 6 (Chadbourn ed. rev., 1976) chap. 63;
Sopinka & Lederman, The Law of Evidence in Civil Cases
(1974), à la p. 461; Schiff, Evidence in the Litigation Process
(1988, 3e éd.) à la p. 55.
cat pendant la préparation à l'audience et lors de
l'audience elle-même et de lui donner des directi
ves. Le CRTC fait valoir que l'exclusion de ce
témoin serait contraire au paragraphe 50(1) de la
Loi canadienne sur les droits de la personne et,
sans tenir compte des restrictions législatives, aux
règles de justice naturelle.
Ces arguments sont fondés sur le droit du
CRTC de choisir le représentant qui sera chargé
de conseiller l'avocat et de lui donner des directives
au cours de l'audience, lequel droit existerait de
façon concomittante avec celui d'être représenté
par un avocat, élément essentiel à l'audience
impartiale.
Les intimés n'admettent pas que l'on identifie
Horan avec le CRTC aux fins de l'audience. Ils
soutiennent que d'autres personnes faisant partie
de l'administration de l'organisme, dont «l'avocat
interne» qui était présent à l'audience comme
avocat représentant lui aussi le CRTC, pourraient
représenter l'organisme et donner des directives à
l'avocat. Ils n'admettent pas que le fait d'exclure
M. Horan comme témoin possible équivaut à
exclure le CRTC comme partie. Selon eux, le
pouvoir du tribunal couvre l'exclusion de
M. Horan, malgré la présence de celui-ci pour
donner des directives à l'avocat. Ils se fondent sur
la décision que mon collègue le juge Strayer a
rendue dans Homelite, a division of Textron Can.
Ltd. c. Tribunal canadien des importations
(1987), 26 Admin. L.R. 126 (C.F. lfe inst.), où
celui-ci a refusé d'intervenir pour infirmer la déci-
sion par laquelle un autre tribunal avait refusé
d'exclure des témoins, et ils allèguent que notre
Cour ne devrait pas intervenir en l'espèce à l'égard
du pouvoir discrétionnaire exercé par le tribunal
des droits de la personne.
L'exclusion, comme témoin possible, de la per-
sonne qu'une société ou un organisme a désignée
pour le représenter et donner des directives à
l'avocat au cours de l'audience dans une cause où
la société ou l'organisme en question est partie au
litige est peut-être bien inhabituelle. Les requé-
rants sont d'avis que cette personne est normale-
ment exemptée de l'application d'une ordonnance
d'exclusion générale et cite à titre d'exemples ce
qui semble être la pratique générale dans les litiges
d'arbitrage en droit du travail, la Règle 52.06(2)
des Règles de Procédure Civile de l'Ontario, qui
interdit maintenant l'exclusion de cette personne,
et les décisions rendues dans le Tennessee, bien
que je constate que, dans ces arrêts-là, des disposi
tions législatives interdisaient explicitement l'ex-
clusion de la personne désignée pour donner des
directives à l'avocat'. D'autre part, on pourrait
penser que, dans les territoires où les règles de
pratique ou les lois accordent au tribunal le pou-
voir discrétionnaire d'exclure des témoins, y com-
pris les parties qui sont des témoins possibles, ce
pouvoir comprend implicitement celui d'exclure la
personne que l'entreprise ou l'organisme désigne
pour donner des directives à l'avocat, si cette per-
sonne est elle aussi un témoin possible. Je suis donc
d'avis qu'il n'y a tout simplement aucune règle
générale reconnue que l'on peut appliquer quant à
la limite du pouvoir discrétionnaire du tribunal.
Une des dispositions-clés de la loi par laquelle le
tribunal a été créé en l'espèce est le paragraphe
50(1) de la Loi canadienne sur les droits de la
personne, qui se lit comme suit:
50. (1) Le tribunal, après avis conforme à la Commission,
aux parties et, à son appréciation, à tout intéressé, examine
l'objet de la plainte pour laquelle il a été constitué; il donne à
ceux-ci la possibilité pleine et entière de comparaître et de
présenter, en personne ou par l'intermédiaire d'un avocat, des
éléments de preuve ainsi que leurs observations.
Cette disposition identifie les parties à une
enquête comme étant la Commission canadienne
des droits de la personne, le plaignant, la personne
contre laquelle la plainte a été faite, en l'espèce, le
CRTC, et «à son appréciation [du tribunal], ...
tout intéressé». Un avis conforme de l'enquête doit
être remis à chacune de ces parties et celles-ci
doivent avoir «la possibilité pleine et entière de
comparaître et de présenter, en personne ou par
l'intermédiaire d'un avocat, des éléments de preuve
ainsi que leurs observations». Comment cette possi-
bilité est-elle offerte dans les circonstances du
présent litige et en ce qui a trait à M. Horan? La
2 Voir, par exemple, Re Alberta Liquor Control Board and
A.U.P.E., Loc. 50 (1989), 6 L.A.C. (4th) 252 (Alb.); Re Inland
Natural Gas Co. Ltd. and Int'l Brotherhood of Electrical
Workers, Local 213 (1985), 22 L.A.C. (3d) 104 (C.-B.).
3 Voir Chamberlain v. Aetna Life & Cas. Ins. Co., Tenn., 593
S.W. 2d 661 (C.S., 1980); et Lenoir Car Co. v. Smith, 100
Tenn. 127; 42 S.W. 879 (Tenn. C.S., 1897).
décision qu'a rendue le juge en chef Iacobucci dans
American Airlines, Inc. c. Canada (Tribunal de la
concurrence) (précité), aux pages 96 et 97, est
éclairante. Dans cet arrêt-là, interprétant le para-
graphe 9(3) de la Loi sur le Tribunal de la
concurrence [S.C. 1986, chap. 26], qui permettait
aux personnes d'intervenir avec l'autorisation du
Tribunal de la concurrence «afin de présenter des
observations qui se rapportent [aux] procédures et
qui concernent des questions touchant cette per-
sonne», le juge en chef a dit ce qui suit:
Pour connaître la signification des mots utilisés dans cette
disposition, il y a lieu non seulement d'en vérifier la définition
dans le dictionnaire et d'en examiner le contexte, mais égale-
ment de tenir compte de la nature des questions soulevées dans
l'action, ainsi que des objectifs globaux de la loi.
Entre autres définitions du terme «representation», The
Shorter Oxford English Dictionary donne la suivante que
j'estime applicable au paragraphe 9(3):
[TRADUCTION] Un exposé formel et sérieux de faits, de
motifs ou d'arguments visant à apporter des changements, à
prévenir certaines actions, etc.... [C'est le juge en chef qui
souligne.]
Le rôle du tribunal en l'espèce est de mener une
enquête sur une plainte de discrimination au
moyen d'une audience qui est généralement publi-
que, de déterminer les faits, de tirer ses conclusions
et, s'il juge la plainte justifiée, d'ordonner l'adop-
tion de mesures qui mettront fin à la pratique
discriminatoire et permettront de réparer le tort
causé au plaignant. Son rôle n'est pas d'imposer
une sanction, mais plutôt, dans le contexte d'une
loi correctrice, d'éduquer dans un sens très large,
d'inciter la partie fautive à modifier sa conduite,
sinon son attitude, et d'offrir une réparation lors-
que la plainte est fondée°.
Dans ce contexte, la Loi prévoit que les parties
qui sont désignées par la loi ou que le tribunal
reconnaît comme étant des parties intéressées doi-
vent avoir «la possibilité pleine et entière de com-
paraître et de présenter, en personne ou par l'inter-
médiaire d'un avocat, des éléments de preuve ainsi
que leurs observations». À mon avis, la possibilité
de présenter des éléments de preuve et des observa
tions sous-entend la nécessité de connaître les élé-
ments de preuve et les observations des autres pour
y répondre de façon pertinente dans le contexte de
l'enquête menée par le tribunal. Cela signifie que
Voir les commentaires du juge La Forest dans Robichaud c.
Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84, aux p. 94
et 95.
les parties à une plainte devraient pouvoir assister
à l'audience et entendre la preuve présentée et ne
devraient pas être exclues sans leur consentement
en vertu d'une ordonnance d'exclusion générale des
témoins, qu'elles se représentent elles-mêmes ou
qu'elles soient représentées par un avocat, et que
l'efficacité de celui-ci ne devrait pas être restreinte
par l'exclusion comme témoin possible d'une partie
qui seule peut donner des directives à l'avocat. Je
suis d'avis que, si la personne contre laquelle une
plainte est formulée conformément à la Loi est un
particulier, cette personne ne peut être exclue de
l'audience pour le motif qu'elle est un témoin
possible. À mon sens, l'exclusion de cette personne
serait contraire au paragraphe 50(1) de la Loi
ainsi qu'à l'obligation d'équité à laquelle le tribu
nal doit se conformer pendant son enquête.
On soutient pourtant que le CRTC, qui n'est pas
une personne naturelle, peut demander que la per-
sonne qu'il a choisie pour le représenter et donner
des directives à l'avocat soit exclue lorsque ce
représentant est un témoin possible. Je ne suis pas
convaincu que c'est le cas par l'argument selon
lequel le CRTC aurait pu choisir d'autres person-
nes pour le représenter ou qu'il pourrait mainte-
nant choisir quelqu'un d'autre pour remplacer M.
Horan. Cette décision concerne certainement le
CRTC et non le tribunal ou notre Cour.
Lorsqu'une partie est une société ou un orga-
nisme créé par un texte législatif, elle ne peut être
représentée à l'audience et donner des directives à
son avocat que par l'entremise d'une personne
naturelle qui, à toutes fins utiles, est présumée
représenter la société ou l'organisme à l'enquête.
Si cet organisme n'est pas libre de choisir son
représentant comme bon lui semble, la personne
qui se trouve à l'audience et dont la présence a
pour but principal de donner des directives à l'avo-
cat n'aura peut-être pas toute la confiance de ceux
qui sont responsables de l'organisme ou de l'entre-
prise en question. Cette liberté est sûrement la
condition sur laquelle l'organisme se fonde pour
choisir son représentant et l'élément-clé qui lui
permet de considérer le représentant nommé
comme étant la personne devant s'acquitter de la
responsabilité que lui a confiée la société ou, en
l'espèce, le CRTC, soit celle de donner des directi
ves à l'avocat pour son compte. À mon avis, selon
le paragraphe 50(1) de la Loi, un organisme créé
par une loi, en l'espèce, le CRTC, a le droit d'être
représenté et de donner des directives à l'avocat au
cours de l'audience du tribunal par l'entremise de
la personne qu'il a désignée et la possibilité qu'il a
de participer à l'audience selon le paragraphe
50(1) ne peut être restreinte par l'exclusion de ce
représentant désigné, même si cette personne est
un témoin possible.
Pour en arriver à cette conclusion, je me fonde
un peu sur les aspects pratiques de la question
libellée en l'espèce. Il me semble que, dans bien
des cas où les tribunaux doivent statuer sur des
plaintes ou des griefs découlant d'un lien d'emploi,
l'administrateur principal du personnel d'une
entreprise ou d'un organisme sera peut-être la
personne toute désignée pour représenter cette
entreprise ou cet organisme et donner des directi
ves à l'avocat en son nom et, par la même occasion,
il pourra être appelé à témoigner, si la plainte ou le
grief concerne ses responsabilités générales de tous
les jours. Cette dernière circonstance ne devrait
pas entraver le pouvoir de l'entreprise ou de l'orga-
nisme de choisir son représentant pour les audien
ces d'un tribunal faites selon la Loi canadienne sur
les droits de la personne. Dans la présente cause,
compte tenu des observations de l'avocat de
M. Deegan, j'ai cru comprendre que la procédure
d'enquête et de conciliation prévue par la Loi était
terminée avant la nomination du tribunal. La
Commission a remis au CRTC un rapport complet
de l'enquête et le CRTC a donné une réponse
complète à ce rapport. Je présume que la tâche de
répondre à ce rapport au sein du CRTC incombait
surtout à M. Horan, comme directeur général du
personnel, et que celui-ci connaît déjà les aspects
généraux et précis de la plainte ayant fait l'objet
de l'enquête et peut-être même ceux qui pourront
être présentés au tribunal. Il serait fort étonnant
que la majeure partie de la preuve devant être
présentée soit nouvelle pour lui. Le fait de l'empê-
cher d'entendre les autres en ordonnant qu'il soit
exclu avant d'être appelé à témoigner, le cas
échéant, ne garantirait pas à ce stade-ci, de la
même façon qu'il le ferait pour les autres témoins,
que son témoignage ne sera pas influencé par la
preuve présentée devant le tribunal, ce qui est le
but de l'exclusion des témoins possibles.
Un point mérite d'être souligné. Lorsque,
comme c'est le cas en l'espèce, la personne que
l'organisme, le CRTC, désigne pour donner des
directives à l'avocat est également un témoin possi
ble et qu'elle est exemptée de l'application d'une
ordonnance générale d'exclusion des témoins, sa
présence au cours du témoignage des autres per-
sonnes entraîne nécessairement une évaluation soi-
gneuse par le tribunal du poids à accorder au
témoignage du représentant, lorsqu'il est appelé à
témoigner. L'organisme, le CRTC, aura peut-être
intérêt à se rappeler, lorsque vient le temps de
choisir un représentant qui donnera des directives
à l'avocat, que, si son représentant est un témoin
possible, il se peut que le tribunal n'accorde
aucune importance au témoignage que cette per-
sonne donnera, à moins que le représentant n'ac-
cepte d'être exclu avec les autres témoins possibles
selon une ordonnance d'exclusion générale.
Compte tenu de l'interprétation du paragraphe
50(1) de la Loi, j'en viens à la conclusion que le
pouvoir discrétionnaire du tribunal d'exclure des
témoins de l'audience qu'il préside avant que ces
personnes ne soient appelées à témoigner ne s'ap-
plique pas à la personne que le CRTC a désignée
pour le représenter et pour donner des directives à
l'avocat au cours de l'audience, en l'occurrence,
M. Horan.
Exclusion de M. Rodger
Le requérant Rodger n'est pas partie à l'enquête
devant le tribunal. L'avocat a indiqué qu'on pourra
présenter au tribunal une demande en vue de
permettre à Rodger de rester comme partie inté-
ressée au sens du paragraphe 50(1). On soutient
que, même s'il n'est pas un intimé désigné, Rodger
est la personne visée par la plainte et la personne
qui sera touchée par toute conclusion défavorable.
On allègue que son caractère et sa réputation sont
en litige et que [TRADUCTION] «son perfectionne-
ment dans la fonction publique serait touché par
les conclusions du tribunal». On ajoute qu'une
personne identifiée par son nom dans une plainte
sur les droits de la personne est «une partie intéres-
sée» au sens de l'article 50 de la Loi canadienne
sur les droits de la personne.
Ce dernier argument et la décision concernant
une demande de statut relèvent entièrement du
pouvoir discrétionnaire du tribunal conformément
au paragraphe 50(1), sous réserve de la restriction
selon laquelle une personne pouvant être directe-
ment touchée par une ordonnance possible devrait
être considérée comme une partie intéressée, si la
plainte est bien fondée. Dans ce cas, comme toute
autre partie intéressée au sens de ce paragraphe,
une personne ayant ce statut devrait avoir la possi-
bilité de comparaître et de présenter des éléments
de preuve et des observations au tribunal. Ces
circonstances ne s'appliquent pas à M. Rodger. Il
ne sera pas directement touché si la plainte est
jugée bien fondée et qu'une réparation est ordon-
née. Cette ordonnance touchera uniquement le
CRTC, l'intimé désigné dans la plainte, qui est
l'organisme responsable de la conduite de l'ensem-
ble de ses employés en ce qui a trait aux relations
de travail, soit le domaine général visé par la
présente plainte.
On soutient que le caractère et la réputation de
Rodger sont en jeu et que son perfectionnement
dans la fonction publique pourrait être entravé par
les conclusions du tribunal. Aucune ordonnance du
tribunal ne peut nuire directement à Rodger ou à
son perfectionnement dans la fonction publique; ce
perfectionnement dépend des autres démarches
d'évaluation dans le cadre desquelles il est possible
de contester des décisions, d'interjeter appel de
celles-ci, de déposer un grief à leur égard ou
d'inscrire une dissidence. Comme aucune ordon-
nance ne sera rendue directement contre Rodger,
qu'aucune sanction ne lui sera imposée et qu'au-
cune mesure réparatrice ne sera prise contre lui sur
ordonnance du tribunal, je ne suis pas convaincu
que les autres motifs invoqués en son nom justi-
fient que l'on restreigne le pouvoir discrétionnaire
du tribunal de l'exclure comme témoin avant qu'il
ne donne son témoignage.
On allègue que les règles de la justice naturelle
exigent ici qu'on lui permette d'entendre les accu
sations portées contre lui et d'y répondre, si c'est
nécessaire et approprié, et d'aviser son avocat au
sujet du contre-interrogatoire possible du plai-
gnant et des témoins de celui-ci. Je présume qu'il
aura la possibilité d'être représenté par un avocat
uniquement s'il obtient le statut de partie intéres-
sée. Si tel n'est pas le cas, son statut demeurera
simplement celui de témoin possible. Même si je
peux comprendre qu'une personne se préoccupe
des plaintes adressées à son endroit dans un cas de
discrimination, ces plaintes mènent plutôt à une
réparation qu'à une punition, si elles sont bien
fondées et, en l'espèce, cette réparation serait
requise du CRTC. Le statut de Rodger comme
témoin possible devant le tribunal ne lui permet
pas plus à lui qu'à d'autres de répondre aux accu
sations ou aux reproches. Son exclusion de la salle
d'audience jusqu'à ce qu'il soit appelé à témoigner
ne viole pas les principes de la justice naturelle ou
l'obligation d'équité à laquelle le tribunal doit se
conformer envers lui. Pour des raisons à peu près
identiques, je ne suis pas convaincu que l'impossi-
bilité pour Rodger d'entendre la preuve concernant
les allégations formulées contre lui avant qu'il ne
soit appelé à témoigner le prive, comme l'avocat l'a
dit, de son droit à une audience impartiale confor-
mément aux principes de justice fondamentale,
contrairement à l'alinéa 2e) de la Déclaration
canadienne des droits 5 .
On soutient également que l'enquête et les con
clusions du tribunal peuvent avoir pour effet de
violer les droits de M. Rodger qui sont reconnus à
l'article 7 de la Charte 6 , lesquels droits compren-
draient celui de ne pas être soumis à un choc
émotif à la suite de la perte de l'estime de soi ou de
la dignité ou d'une stigmatisation. Je ne suis pas
convaincu que l'article 7 de la Charte s'applique
au présent litige. L'avocat invoque les arrêts
Kodellas v. Sask. Human Rights Comm.,
[1989] 5 W.W.R. 1 (C.A. Sask.), aux pages 40 et
41, et R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30, à la
page 173. Dans l'arrêt Kodellas, le juge Vancise,
J.A., fait allusion à l'article 7 de la Charte et à
l'opinion que le juge Lamer, maintenant juge en
chef, a formulée dans R. c. Rahey, [1987] 1
Cette disposition de la Déclaration canadienne des droits se
lit comme suit: -
2. Toute loi du Canada, à moins qu'une loi du Parlement
du Canada ne déclare expressément qu'elle s'appliquera
nonobstant la Déclaration canadienne des droits, doit s'inter-
préter et s'appliquer de manière à ne pas supprimer, restrein-
dre ou enfreindre l'un quelconque des droits ou des libertés
reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la
suppression, la diminution ou la transgression, et en particu-
lier, nulle loi du Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer
comme
e) privant une personne du droit à une audition impartiale
de sa cause, selon les principes de justice fondamentale,
pour la définition de ses droits et obligations;
6 Cette disposition de la Charte se lit comme suit:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa
personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en
conformité avec les principes de justice fondamentale.
R.C.S. 588, la page 605, pour en venir à la
conclusion que l'anxiété et la perte de la dignité et
de l'estime de soi pourraient constituer une priva
tion de la sécurité de la personne qui est envisagée
à l'article 7 de la Charte. Cependant, il s'agissait
d'un cas découlant du The Saskatchewan Human
Rights Code [S.S. 1979, chap. S-24.1], où l'intimé
était un particulier désigné et la question en litige
était celle de savoir si le retard à déposer une
plainte devant un tribunal avait pour effet de
vicier les droits prévus à l'article 7 de la Charte.
Dans la présente cause, aucune plainte n'est for-
mulée contre M. Rodger, dans la mesure où
celui-ci n'est pas l'intimé dans la plainte et où il
n'est pas assujetti à une ordonnance que le tribunal
pourra rendre. Dans R. c. Morgentaler, Madame
le juge Wilson dit que l'article 7 de la Charte
couvre tant l'intégrité physique que l'intégrité psy-
chologique de la personne. Bien que l'enquête du
tribunal puisse être difficile à supporter pour lui,
M. Rodger ne pourra être puni ou faire l'objet
d'une ordonnance de réparation à la fin de l'en-
quête. Le traumatisme personnel qu'il peut subir à
la suite de l'enquête est tout simplement un des
risques de la vie et ne constitue pas une privation
de la sécurité de la personne qui est garantie à
l'article 7 de la Charte.
Conclusion
Pour ces motifs, j'accueille la demande en
partie, de façon à annuler l'ordonnance du tribu
nal, dans la mesure où elle s'applique au représen-
tant désigné du CRTC, M. Horan, par laquelle il a
été exclu de l'audience avant d'être appelé à témoi-
gner, le cas échéant, et je rends une ordonnance
enjoignant au tribunal de permettre au représen-
tant du CRTC, s'il s'agit encore de M. Horan,
d'être présent tout au long de l'audience de l'en-
quête. La demande est rejetée en ce qui a trait à la
décision du tribunal concernant M. Rodger.
Aucune ordonnance de prohibition ne semble
appropriée, puisque le tribunal a ajourné l'enquête
jusqu'à la présente décision. Il ne semble pas
approprié non plus de rendre des ordonnances
enjoignant au tribunal de mener son enquête con-
formément à la Loi, aux règles de justice naturelle
et aux principes de justice fondamentale garantis
par l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des
droits.
Une ordonnance sera rendue en conséquence.
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