T-386-90
May Bros. Farms Ltd. (demanderesse)
c.
Sa Majesté la Reine (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: MAY BROS. FARMS LTD. c. CANADA (1" INST.)
Section de première instance, juge Reed—Vancou-
ver, 11 et 14 décembre 1990.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Allocation du
coût en capital — Contrat relatif aux droits d'agriculture
accordant au contribuable un profit à prendre visant quelque
198 acres de champs de canneberges et l'autorisant à cultiver
et à cueillir des canneberges — Le contrat appartient à la
catégorie 14 de l'annexe II de la Loi de l'impôt sur le revenu
— Acquisition subséquente par le contribuable d'un fief simple
visant 200 acres des mêmes parcelles de terrain — Y a-t-il eu
fusion entre les droits du contribuable aux termes du contrat
relatif aux droits d'agriculture et le fief simple, et le contri-
buable possède-t-il toujours des biens de la catégorie 14? —
Le cas échéant, le contribuable a droit à une perte finale pour
l'année d'imposition 1981 — Répartition de la somme versée
en contrepartie du contrat relatif aux droits d'agriculture —
Non-respect des conditions relatives à la fusion — Action
rejetée.
Biens immeubles — L'acquisition d'un droit de propriété
franche visant 200 acres de champs de canneberges a-t-elle
emporté la fusion de ce droit avec le profit à prendre accordé
précédemment? — Définition du mot «fusion» en droit
immobilier — La fusion requiert plus qu'une simple coïnci-
dence — Les droits sous-jacents aux domaines doivent se
fondre, et le domaine moins étendu doit être englobé par le
plus grand — En l'espèce, il existe un domaine interposé vu
que les deux intérêts fonciers ne se sont pas fondus l'un avec
l'autre.
LOTS ET RÈGLEMENTS
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63,
art. 20(16) [mod. par S.C. 1977-78, chap. 1, art. 14;
1980-81-82-83, chap. 48, art. 10].
Règlement de l'impôt sur le revenu, C.R.C., chap. 945,
annexe II, catégorie 14.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC;
Re The Queen in right of Manitoba and Senick (1982),
134 D.L.R. (3d) 586; [1982] 3 W.W.R. 589; 17 Man. R.
(2d) 257 (C.A. Man.); R. du chef de la province de la
Colombie-Britannique c. Tener et autre, [1985] 1 R.C.S.
533; (1985), 17 D.L.R. (4th) I; [1985] 3 W.W.R.
673; 32 L.C.R. 340; 59 N.R. 82; 36 R.P.R. 291; Burton
v. Barclay and Another (1831), [1824-34] All E.R. Rep.
437 (C.P.); R. c. Compagnie Immobilière BCN Ltée,
[1979] 1 R.C.S. 865; (1979), 97 D.L.R. (3d) 238; [1979]
CTC 71; 79 DTC 5068; 25 N.R. 361.
DOCTRINE
Cheshire, Geoffrey Chevalier and Burn, E. H. Cheshire
and Burn's Modern Law of Real Property, 14° éd.,
London; Edinburgh: Butterworths Co. Ltd., 1988.
Oosterhoff, A. H. and Rayner, W. B. Anger et Hons-
berger Law of Real Property, 2° éd., vol. 2, Aurora,
Ontario: Canada Law Book Inc., 1985.
AVOCATS:
Gordon S. Funt pour la demanderesse.
M. J. Weder pour la défendresse.
PROCUREURS:
Fraser & Beatty, Vancouver, pour la deman-
deresse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE REED: La question en litige est très
simple: l'acquisition par la demanderesse, le
14 octobre 1980, d'un droit de propriété franche
sur deux cents acres destinés à la culture des
canneberges a-t-elle entraîné la fusion de ce droit
avec le profit à prendre que détenait déjà la
demanderesse à l'égard des mêmes parcelles de
terrain? Si tel a été le cas, la demanderesse ne
possédait plus, au cours de son année d'imposition
1981, de biens de la catégorie 14 et elle avait droit
à une perte finale à cet égard.
Le 13 décembre 1977, une corporation appelée
Bell Farms Limited («Bell») a loué deux cents
acres de terrain destinés à la culture des canneber-
ges appartenant à Wingly Enterprises Ltd.
(«Wingly»). Le bail, dont la durée était de cinq
ans, a expiré le 31 décembre 1983. Par la suite,
Bell a sous-loué une infime partie des parcelles de
terrain (soit deux acres) à M. Sidhu. Ce bail
devait expirer le 31 décembre 1983, c.-à-d. au
même moment que le bail principal. Au mois de
mars 1980, Bell a tenté de sous-louer le reste des
parcelles de terrain à la demanderesse, mais
Wingly a exercé le droit que lui conférait le bail la
liant à Bell de refuser de consentir à la sous-loca
tion. Le 27 juin 1980, la demanderesse et Bell ont
par conséquent conclu deux contrats, l'un relatif
aux droits d'agriculture et l'autre prévoyant une
option et une indemnisation. Le deuxième contrat
n'étant jamais devenu opposable, les deux avocats
conviennent qu'il peut être écarté aux fins des
présentes.
Les deux parties conviennent que le contrat
relatif aux droits d'agriculture accordait à la
demanderesse un profit à prendre visant les quel-
ques cent quatre-vingt-dix-huit acres en cause. La
demanderesse a versé à Bell 1 000 000 $ en contre-
partie des droits ainsi obtenus. Voici un extrait du
contrat:
4.00 CULTURE ET CUEILLETTE
4.01 Jusqu'à l'expiration du bail, May Bros, ses préposés, ses
mandataires, ses titulaires de permis et ses invités ont accès aux
parcelles de terrain non assujetties à Sukhminder Sidhu et à
Gill Growers Ltd. (les «champs de canneberges»), peuvent
occuper celles-ci et y apporter les machines et le matériel
requis, aux fins de cultiver et de cueillir les canneberges qui y
poussent, notamment pour procéder aux contrôles voulus,
répandre les insecticides et les herbicides nécessaires, épandre
des engrais, irriguer, désherber et cultiver ainsi que pour cueil-
lir les fruits, et la demanderesse engage tous les frais qui se
rattachent à ces activités et touche le produit qui en découle.
4.02 Bell conserve la possession juridique des champs de canne-
berges, mais elle s'abstient de nuire de quelque manière que ce
soit, sauf ce que prévoit la clause 4.03, aux activités de May
Bros qui sont liées à la culture et à la cueillette.
4.03 Bell peut effectuer toutes les tailles d'arbustes de canne-
berges de type Bergman qui ne sont pas nécessaires à l'utilisa-
tion optimale des champs de canneberges; May Bros a toute-
fois le pouvoir discrétionnaire, à la fois inconditionnel et
illimité, de déterminer le moment, l'ampleur et le mode de la
taille.
5.00 INCESSIBILITÉ DU BAIL
Si Wingly Enterprises Ltd. y consent, Bell cède le bail à May
Bros; le bail ne peut faire l'objet ni d'une cession ni d'une
sous-location à May Bros ou à une autre personne, physique ou
morale, avant l'obtention de ce consentement.
6.00 LIEN DE DROIT
6.01 Aucune disposition des présentes ni aucun acte accompli
par les parties n'est réputé lier les parties à titre de bailleur et
de preneur.
6.02 Bell n'a droit, aux termes des présentes, à aucune autre
rétribution que le prix et les droits conférés à la clause 4.03.
6.03 La possession juridique des parcelles de terrain et le droit
d'occuper celles-ci sont dévolus à Bell; May Bros n'a pas la
possession juridique des parcelles de terrain.
Le 14 octobre 1980, la demanderesse a fait
l'acquisition auprès de Wingly d'un fief simple
visant les deux cents acres (y compris les deux a
cres que Bell avait cédés à bail à M. Sidhu).
Les parties s'entendent sur le fait que les droits
de la demanderesse aux termes du contrat relatif
aux droits d'agriculture appartiennent à la
catégorie 14 de l'annexe II du Règlement de
l'impôt sur le revenu [C.R.C., chap. 945]. Voici la
description de la catégorie 14 alors applicable:
CATÉGORIE 14
Les biens constitués par un brevet, une concession ou un
permis de durée limitée à l'égard des biens, sauf
a) une concession ou permis à l'égard de minéraux, de
pétrole, de gaz naturel, d'autres hydrocarbures connexes ou
de bois et des biens y afférents (excepté une concession pour
la distribution de gaz aux consommateurs ou un permis
d'exportation de gaz du Canada ou d'une province) ou à
l'égard d'un droit d'exploration, de forage, de prise ou d'enlè-
vement concernant des minéraux, du pétrole, du gaz naturel,
d'autres hydrocarbures connexes ou du bois;
b) une tenure à bail; ou
c) un bien compris dans la catégorie 23.
La demanderesse soutient qu'au moment de
l'acquisition du fief simple auprès de Wingly, ses
droits aux termes du contrat relatif aux droits
d'agriculture se sont fondus avec le fief simple de
sorte qu'elle ne possédait plus, dès lors, de biens de
la catégorie 14. Elle prétend en outre que le
paragraphe 20(16) [mod. par S.C. 1977-78, chap.
1, art. 14; 1980-81-82-83, chap. 48, art. 10] de la
Loi de l'impôt sur le revenu [Loi] [S.C. 1970-
71-72, chap. 63] lui permet, par conséquent, de
déduire une perte finale pour l'année d'imposition
1981. Voici le libellé du paragraphe 20(16) alors
applicable:
20....
(16) Nonobstant les alinéas 18(1)a),b) et h), lorsque, à la fin
d'une année d'imposition,
a) le total des montants déterminés en vertu des sous-alinéas
13(21)f)(1) à (ii.1), à l'égard des biens amortissables d'une
catégorie prescrite donnée qui appartiennent à un contribua-
ble, est supérieur au total des montants déterminés en vertu
des sous-alinéas 13(21)f)(iii) à (viii), â l'égard des biens
amortissables de cette catégorie qui appartiennent au contri-
buable, et
b) que ce dernier ne possède plus de biens de ladite
catégorie,
dans le calcul de son revenu pour l'année
c) il doit déduire l'excédent déterminé en vertu de l'alinéa
a), et
d) il ne doit déduire aucun montant pour l'année en vertu de
l'alinée (1)a) à l'égard des biens de ladite catégorie,
et, l'excédent déterminé en vertu de l'alinéa a) est réputé avoir
été déduit en vertu de l'alinéa (1)a) dans le calcul du revenu,
pour l'année, qu'il a tiré d'une entreprise ou d'un bien. [C'est
moi qui souligne.]
La demanderesse soutient que la somme de
1 000 000 $ versée en contrepartie du contrat rela-
tif aux droits d'agriculture devrait être répartie de
telle manière que 3 117,70 $ et 996 882,30 $ soient
déductibles pour ses années d'imposition 1980 et
1981 respectivement.
La défenderesse estime pour sa part qu'aucune
fusion n'a eu lieu et que la contrepartie de
1 000 000 $ doit être répartie sur toute la période
de validité du contrat relatif aux droits d'agricul-
ture, suivant l'alinéa 20(1)a) de la Loi, le Règle-
ment 1100 de la Loi et la catégorie 14 de l'an-
nexe II du Règlement de l'impôt sur le revenu. La
défenderesse a d'ailleurs réparti la somme comme
suit:
1980 2 341 $
1981 284 711
1982 284 711
1983 284 711
1984 143 526
1 000 000 $
Les calculs de chacune des parties ne sont pas
contestés. La seule question en litige consiste à
savoir si l'acquisition du fief simple en
octobre 1980 a emporté fusion.
Voici un extrait, à la page 875, de Modern Law
of Real Property (14e édition, 1988), dont les
auteurs sont Cheshire et Burn:
[TRADUCTION] Lorsqu'il y a fusion, c.-à-d. lorsqu'un domaine
moins étendu et un domaine plus étendu sur un même bien-
fonds sont réunis et sont dévolus comme un seul droit, à
l'exclusion de tout domaine intermédiaire, à une même per-
sonne, le domaine moins étendu disparaît automatiquement en
application de la loi. On dit alors que celui-ci se .fond» avec le
plus étendu, qu'il est absorbé par ce dernier. [C'est moi qui
souligne.]
On peut également lire, dans Law of Real Pro
perty (2e édition, 1985), dont les auteurs sont
Anger et Honsberger, à la page 1493:
[TRADUCTION] En common law, lorsqu'un domaine particu-
laire et un domaine subséquent plus étendu sont dévolus à une
même personne, à l'exclusion de tout domaine interposé dévolu
à autrui, le domaine particulaire ou le domaine précédent se
fond avec le domaine subséquent plus étendu ou est englobé par
celui-ci. [C'est moi qui souligne.]
L'avocat de la demanderesse s'appuie sur les
arrêts suivants: Re the Queen in right of Manitoba
and Senick (1982), 134 D.L.R. (3d) 586 (C.A.
Man.); R. du chef de la province de la Colombie-
Britannique c. Tener et autre, [1985] 1 R.C.S.
533; Burton v. Barclay and Another (1831),
[1824-34] All E.R. Rep. 437 (C.P.); R. c. Compa-
gnie Immobilière BCN Liée, [1979] 1 R.C.S. 865.
Or, cette jurisprudence n'appuie nullement la
thèse de la demanderesse. Dans l'affaire Senick,
tout ce qui a été établi c'est que le profit à prendre
peut être irrévocable en ce sens qu'il ne peut être
annulé à volonté comme un permis. Dans l'arrêt
Tener, la Cour suprême a statué que le titulaire de
droits miniers (droits d'extraction en soi) qui ne
peut exploiter ceux-ci parce que Sa Majesté refuse
de lui délivrer un permis d'utilisation de parc lui
permettant d'avoir accès aux minéraux, a droit à
une indemnisation pour l'«expropriation» des droits
miniers qui en résulte. En rendant jugement,
Madame le juge Wilson a déclaré, à titre d'opinion
incidente, à la page 542:
Les droits d'extraction en soi s'éteignent par la confusion,
c.-à-d. si le titulaire du droit
a) y renonce en faveur du propriétaire du fonds assujetti au
droit; ou
b) devient propriétaire du fonds assujetti au droit.
L'extinction résulte du fait que lorsque la propriété du droit et
celle du bien-fonds qui y est assujetti sont réunies sur la même
personne, le droit d'extraction ne peut plus subsister comme
droit immobilier distinct. Le droit d'extraction se confond avec
la propriété et est éteint. [C'est moi qui souligne.]
Je ne crois pas que cette explication vienne en
aide à la demanderesse. En effet, le profit à pren-
dre de la demanderesse était assorti d'un droit
d'accès au terrain afin qu'elle y exerce le droit de
cultiver et de cueillir des canneberges qui lui était
conféré. Mais, ce qui est plus déterminant encore,
c'est que l'observation de Madame le juge Wilson
a été faite relativement à une affaire qui excluait
toute possibilité d'un domaine interposé. On ne
peut invoquer les propos du juge Wilson hors de
leur contexte et leur donner une portée plus éten-
due, comme le voudrait la demanderesse.
Quant à l'affaire Burton, il s'agit d'un cas où
aucune fusion n'a eu lieu à cause du droit réversif
dont le preneur demeurait titulaire aux termes
d'un bail de sous-location qui n'avait pas la même
durée que le bail principal du preneur. Le tribunal
a statué qu'il y avait un domaine interposé parce
qu'il existait un droit réversif pendant vingt et
un jours. L'arrêt Compagnie Immobilière BCN
portait sur un cas où la fusion avait eu lieu sans
qu'il ait été question de la possibilité d'un domaine
interposé.
Si l'on en croit la demanderesse, la fusion aurait
eu lieu parce que le contrat relatif aux droits
d'agriculture liant Bell et la demanderesse a expiré
le même jour que le bail principal de Bell, ce que
viendraient appuyer les observations formulées par
le juge Wilson dans Tener. Compte tenu du droit
applicable, je ne suis pas de cet avis. Comme je l'ai
mentionné précédemment, je ne crois pas que l'on
puisse interpréter ainsi les propos de Madame le
juge Wilson. De plus, une simple coïncidence ne
suffit pis pour qu'une fusion intervienne. Les
droits sous-jacents aux domaines eux-mêmes doi-
vent également se fondre, et comme Cheshire et
Burn le précisent, le domaine moins étendu doit
disparaître et être englobé par le plus étendu.
Dans la présente espèce, Bell conserve, aux
termes du bail principal et du contrat relatif aux
droits d'agriculture, la possession juridique des
parcelles de terrain et le droit de tailler certains
arbustes de canneberges (clause 4.03 du contrat
relatif aux droits d'agriculture). Il existe donc un
domaine interposé puisque les deux intérêts fon-
ciers ne se sont pas fondus l'un avec l'autre. Le
domaine moins étendu n'a pas «disparu» ni n'a été
«englobé» par le plus étendu.
Pour ces motifs, l'action de la demanderesse est
rejetée.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.