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A-211-89
Procureur général du Canada (requérant) c.
Mark Rosin et la Commission canadienne des droits de la personne (intimés)
RÉPERTORIÉ: CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL) c. ROSIN (CA.)
Cour d'appel, juges Heald, Stone et Linden, J.C.A.—Ottawa, 6, 7 novembre et 7 décembre 1990.
Droits de la personne Retrait d'un cours de parachutisme d'un cadet des Forces armées borgne Norme relative à la vue exigeant une excellente vision binoculaire Le fait de refuser l'accès au cours à toutes les personnes borgnes consti- tuait un acte discriminatoire allant à l'encontre des art. 5, 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne Le cours était un «service destiné au public.. au sens de l'art. 5 bien qu'il fût ouvert seulement aux membres des Forces armées et aux cadets Il est «public. si un segment de la population peut se prévaloir du cours Toute personne âgée de 12 à 18 ans peut s'enrôler dans les cadets Les cadets sont des employés au sens des art. 7 et 10 Ils sont en situation d'autorité, sont rémunérés et l'employeur en retire des avanta- ges La preuve vient appuyer la conclusion du tribunal selon laquelle la norme relative à la vue ne constitue pas une exigence professionnelle justifiée Le tribunal a, suivant l'art. 53(3), la compétence voulue pour accorder de l'intérêt L'art. 54(2)a) permet de rendre une ordonnance selon laquelle la réintégration de l'intimé dans le cours ne réduit pas le nombre des autres étudiants inscrits.
Forces armées Retrait d'un cadet borgne d'un cours de parachutisme parce qu'il ne satisfaisait pas à une norme relative à la vue exigeant une excellente vision binoculaire Il s'agissait à première vue d'un acte discriminatoire fondé sur une déficience au sens des art. 5, 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne Le cours était destiné au public au sens de l'art. 5 bien qu'il fût offert seulement aux membres des Forces armées Toute personne âgée de 12 18 ans peut s'enrôler dans les cadets et postuler le cours Les cadets sont des «employés. au sens des art. 7 et 10 Ils sont en situation d'autorité, sont rémunérés, contrairement aux enfants des camps de vacances Les Forces armées en retirent des avantages puisqu'elles cherchent â recruter des militaires parmi ces cadets La norme relative à la vue ne constituait pas une exigence professionnelle justifiée.
Interprétation des lois Art. 5, 7, 10, 15, 53 de la Loi canadienne sur les droits de la personne Les lois sur les droits de la personne sont interprétées de la façon juste, large et libérale la plus propre à assurer la réalisation de leurs objets Signification de «public, de «customarily.. et de «general. utilisés à l'art. 5 ainsi que d'«employé» utilisé aux art. 7 et 10.
Il s'agissait d'une demande en vue de faire infirmer l'ordon- nance par laquelle le tribunal des droits de la personne a déclaré qu'il y avait eu violation des articles 5, 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et que l'existence
d'une exigence professionnelle justifiant les actes discriminatoi- res en conformité avec l'article 15 n'avait pas été établie. Selon l'article 5, constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite (qui comprend la déficience), le fait de priver un individu de l'accès à un service destiné au public; selon l'article 7, constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de défavori- ser un employé en cours d'emploi; selon l'article 10, constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un acte de distinction illicite et s'il est susceptible d'annihiler les chances d'emploi d'une catégorie d'individus, le fait, pour l'employeur, de fixer des lignes de conduite; et l'article 15 justifie de tels actes discriminatoires lorsqu'il existe des exigences professionnelles justifiées (EPJ) ou un motif justifiable. Rosin, cadet de l'armée, avait dix-huit ans lorsqu'on l'a retiré d'un cours de parachu- tisme parce qu'il était borgne. Une norme de l'armée relative à la vue exigeait une excellente vision binoculaire pour être admissible à ce cours, la norme refusant donc l'accès au cours à tous les borgnes. La Commission a statué que Rosin devait être autorisé à s'inscrire au cours, que cela n'aurait pas pour effet de réduire le nombre des autres personnes inscrites et que des dommages-intérêts de 1 500 $ devaient lui être versés au titre de la perte subie de même que de la peine éprouvée, en plus de l'intérêt. Le procureur général a soutenu que l'article 5 ne s'appliquait pas puisque le cours n'était pas «destiné au public» et que les articles 7 et 10 ne s'appliquaient pas parce que les cadets n'étaient pas des employés. La question était de savoir (1) si les articles 5, 7 et 10 étaient applicables au cours de parachutisme, (2) si la norme relative à la vue constituait une EPJ selon l'article 15 et (3) si le tribunal avait outrepassé son pouvoir en ce qui concernait les redressements accordés.
Arrêt: la demande devrait être rejetée.
Les lois sur les droits de la personnes doivent être interpré- tées de la façon juste, large et libérale la plus propre à assurer la réalisation de leurs objets. Le cours était «destiné au public» au sens de l'article 5. Bien que le cours fût destiné seulement aux membres des Forces armées et à certains cadets, toute
personne âgée de 12 18 ans peut s'enrôler dans les cadets et postuler alors ce cours. Pour qu'un service soit destiné au public, il n'est pas nécessaire que tous les citoyens y aient accès. Il suffit qu'un segment de la population puisse se prévaloir du service. Le fait de prescrire certaines exigences ou que certaines conditions soient remplies n'élimine pas le caractère public d'une activité. Tout service offert par un gouvernement est destiné au public. Les mots «customarily» et «general» utilisés dans la version anglaise de l'article 5 ne sont pas importants, car la version française ne contient pas de mots équivalents ou correspondants.
Les cadets sont des «employés» auxquels s'appliquent les articles 7 et 10. Normalement, le rapport employeur-employé existe lorsqu'une rémunération est versée, mais, dans le con- texte des droits de la personne, on applique un critère beaucoup plus souple. Puisque les lois sur les droits de la personne doivent être interprétées de façon à promouvoir leurs vastes objectifs, le mot «emploi» peut être utilisé dans le sens d'«utiliser». Rosin était un employé au sens que visait la loi. Une situation d'autorité existait à son endroit: il était tenu de porter un uniforme, d'obéir aux règles, de suivre les ordres, de manger ce qu'on lui donnait et de se coucher lorsqu'on lui disait de se coucher. Une rémunération était versée sous forme d'un mon- tant d'argent payé à la fin du cours en plus d'être logé et nourri.
On ne pourrait admettre l'allégation du procureur général selon laquelle Rosin se trouvait dans une situation semblable à celle d'un enfant dans un camp de vacances. Les Forces armées pouvaient éventuellement en tirer des avantages, car elles recru- tent de futurs militaires parmi ces cadets qu'elles entraînent. Il y a eu violation prima facie des articles 7 et 10.
Ce n'était pas non plus un acte discriminatoire justifié comme dans le cas d'une EPJ. Lorsqu'une règle crée une discrimination directe, l'employeur doit justifier la règle discri- minatoire dans sa totalité. Contrairement aux cas de discrimi nation indirecte, il n'est pas nécessaire de tenir compte des mesures d'accommodement adoptées à l'égard des personnes. La règle demeure ou tombe en entier, puisqu'elle s'applique également à tous les membres du groupe. Il incombe à l'em- ployeur d'établir au moyen d'une preuve convaincante que la règle ou la norme est une EPJ selon la prépondérance des probabilités. Il est nécessaire de démontrer qu'elle a été faite de bonne foi et qu'elle était «raisonnablement nécessaire» pour assurer l'exécution efficace du travail sans mettre en danger l'employé, ses compagnons de travail et le public. La Cour ne pouvait pas intervenir dans la conclusion du tribunal selon laquelle il n'y avait pas de risque accru justifiant l'EPJ, car il existait suffisamment de preuves à l'appui d'une telle conclu sion. Bien que le tribunal ait mentionné les attributs de Rosin, il ne s'est pas fondé sur ces attributs pour statuer que la norme ne constituait pas une EPJ. Il ressort des motifs que le tribunal aurait conclu que le règlement était de toute façon une généra- lisation illicite.
Le tribunal avait la compétence voulue pour rendre une ordonnance accordant l'intérêt. Bien qu'il n'existe pas de dispo sition conférant expressément aux tribunaux des droits de la personne le pouvoir d'accorder de l'intérêt, ce pouvoir est inclus dans le pouvoir d'«ordonner à l'auteur de l'acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de cinq mille dollars», au paragraphe 53(3). Le tribunal a également la compétence voulue pour prévoir dans son ordonnance que nul ne sera lésé par suite de son ordonnance, afin d'éviter qu'il y ait violation de l'alinéa 54(2)a).
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C.
(1985), chap. H-6, art. 5, 7, 10, 15, 53, 54.
Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. 1-23.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7,
art. 28.
Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), chap. N-5,
art. 46.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpson -Sears Ltée et autres, [1985] 2 R.C.S. 536; (1985), 52 O.R. (2d) 799; 23 D.L.R. (4th) 321; 17 Admin. L.R. 89; 9 C.C.E.L. 185; 86 CLLC 17,002; 64 N.R. 161; 12 O.A.C. 241; Saskatchewan Human Rights Commission v. Saskatchewan (Depart- ment of Social Services) (1988), 52 D.L.R. (4th) 253; [1988] 5 W.W.R. 446; 9 C.H.R.R. D/5181 (C.A. Sask.);
Singh (Re), [1989] I C.F. 430; (1988), 86 N.R. 69 (C.A.); Canada (Procureur général) c. Druken, [1989] 2 C.F. 24; (1988), 53 D.L.R. (4th) 29; 23 C.C.E.L. 15, 9 C.H.R.R. D/5359; 88 CLLC 17,024; 88 N.R. 150 (C.A.); Courtois c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien) (1990), 11 C.H.R.R. D/363; Hobson v. British Columbia Institute of Technology (1988), 9 C.H.R.R. D/4666; Pannu v. Prestige Cab Ltd. (1987), 8 C.H.R.R. D/3909; conf. par (1987), 8 C.H.R.R. D/3911 (Alta. C.A.); Re Prue (1984), 57 A.R. 140; 15 D.L.R. (4th) 700; 35 Alta. L.R. (2d) 169; 6 C.H.R.R. D/2544 (B. R.); Canadien Pacifique Ltée c. Canada (Commission des droits de la personne), [1991] 1 C.F. 1 (C.A.); Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Commission des droits de la personne), [1990] 2 R.C.S. 489.
DÉCISIONS CITÉES:
Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink et autre, [1982] 2 R.C.S. 145; (1982), 137 D.L.R. (3d) 219; [1983) 1 W.W.R. 137; 39 B.C.L.R. 145; 82 CLLC 17,014; [1982] I.L.R. 1-1555; 43 N.R. 168; Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84; (1987), 40 D.L.R. (4th) 577; 87 CLLC 17,025; 75 N.R. 303; Gay Alliance Toward Equality c. Vancouver Sun, [1979] 2 R.C.S. 435; (1979), 97 D.L.R. (2d) 577; [1979] 4 W.W.R. 118; 10 B.C.L.R. 257; Monsoorali Rawala and Victor Souza v. DeVry Institute of Technology (1982), 3 C.H.R.R. D/I057; Anvari c. Canada (Commission de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 10 C.H.R.R. D/5816; Frank Cormier v. Alberta Human Rights Com mission (1984), 5 C.H.R.R. D/2441; Commission onta- rienne des droits de la personne et autres c. Municipalité d'Etobicoke, [1982] I R.C.S. 202; (1982), 132 D.L.R. (3d) 14; 82 C.L.L.C. 17,005; 40 N.R. 159; Canadien Pacifique Ltée c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1988] 1 C.F. 209; (1987), 40 D.L.R. (4th) 586 (C.A.); Canadian Armed Forces v. Morgan, 14 septembre, 1990, encore inédit (T.C.D.P.); Boucher v. Canada (Correctional Service) (1988), 9 C.H.R.R. D/4910; Chapdelaine v. Air Canada (1987), 9 C.H.R.R. D/4449; Hinds v. Canada (Employment and Immigration Commission) (1988), 10 C.H.R.R. D/5683; Kearns v. P. Dickson Trucking Ltd. (1988), 10 C.H.R.R. D/5700; Fontaine c. Canadien Pacifique Ltée (1989), 11 C.H.R.R. D/288; Minister of Highways for British Columbia v. Richland Estates Ltd. (1973), 4 L.C.R. 85 (C.A.C.- B.); Re Westcoast Transmission Co. Ltd. and Majestic Wiley Contractors Ltd. (1982), 139 D.L.R. (3d) 97; [1982] 6 W.W.R. 149; 38 B.C.L.R. 310 (C.A.); Société Radio-Canada c. S.C.F.P., [1987] 3 C.F. 515; (1987), 38 D.L.R. (4th) 617; 76 N.R. 155 (C.A.).
DOCTRINE
Greschner, Donna «Why Chambers is Wrong: A Purpo- sive Interpretation of "Offered to the Public"„ (1988), 52 Sask L. Rev. 161.
Canada. Commission canadienne des droits de la per- sonne. Les effets de la décision Bhinder sur la Com mission canadienne des droits de la personne: rapport
spécial au Parlement. Ottawa: Commission canadienne des droits de la personne, 1986.
Tarnopolsky, Walter Surma, Discrimination and the Law: Including Equality Rights under the Charter, révisé par William F. Pentney, Toronto, Richard De Boo, 1985.
AVOCATS:
Bruce S. Russell et Cap. Kirby Abbott pour le requérant.
René Duval et Margaret Rose Lefèvre pour les intimés.
PROCUREURS:
Le procureur général du Canada pour le requérant.
La Commission canadienne des droits de la personne pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE LINDEN, J.C.A.: Mark Rosin, cadet de l'Armée royale canadienne, avait dix-huit ans lors- que son officier commandant l'a retiré sommaire- ment d'un cours d'été de parachutisme qu'il était en train de suivre après qu'on eut découvert qu'il était borgne. Pendant plusieurs étés précédents, Rosin avait été un cadet exemplaire, souhaitant ardemment être accepté un jour au cours d'initia- tion de trois semaines au parachutisme et gagner ainsi ses épaulettes. L'un de ces cours, dispensé régulièrement aux membres ordinaires des Forces armées, était offert chaque été aux cadets. À l'été de 1984, Rosin figurait parmi les cinquante-quatre cadets choisis. Il avait terminé avec succès les deux premières semaines du cours de trois semaines lorsqu'on a découvert qu'un œil de verre rempla- çait l'oeil qu'il avait perdu à l'âge de sept ans. Bien que les officiers avec qui il avait travaillé aupara- vant fussent au courant de ce fait, le renseigne- ment n'avait pas été indiqué dans le formulaire de demande que Rosin avait rempli pour s'inscrire au cours, d'abord parce que le renseignement n'avait pas été expressément demandé, ensuite parce que lui et son conseiller médical n'estimaient pas que son éborgnement était pertinent. Rosin ignorait, cependant, que l'armée avait établi une norme relative à la vue qu'il fallait remplir pour être admissible au cours de parachutisme. Selon cette norme, chaque participant devait avoir une excel-
lente vision binoculaire. Bref, la norme refusait l'accès au cours à tous les borgnes.
Rosin a déposé auprès de la Commission cana- dienne des droits de la personne une plainte dans laquelle il prétendait que les articles 5, 7 et 10 de la Loi [Loi canadienne sur les droits de la per- sonne, L.R.C. (1985), chap. H-6] avaient été violés. Après audience tenue devant un tribunal formé d'un seul membre [(1989), 10 C.H.R.R. D/6236], il a été statué qu'il y avait eu effective- ment violation des articles 5, 7 et 10, et que l'existence d'une exigence professionnelle justifiée n'avait pas été établie. Divers redressements ont été accordés, notamment une directive précisant que Rosin devait être autorisé à s'inscrire au cours d'initiation au parachutisme et que des dommages- intérêts de 1 500 $, majorés d'intérêts, devaient lui être versés.
La présente demande en vertu de l'article 28 [Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7] a été introduite pour faire infirmer l'ordon- nance du tribunal. Tout en convenant que le fait d'exclure du cours toutes les personnes borgnes constituait à première vue de la discrimination fondée sur une incapacité, l'avocat des Forces armées a soutenu que les articles 5, 7 et 10 n'étaient pas applicables à ce cours de parachu- tisme. L'article 5 ne s'appliquait pas à la situation, puisque le cours n'était pas un «service ... destiné au public». En outre, les articles 7 et 10 ne s'appli- quaient pas parce que les cadets n'étaient pas des «employés» des Forces armées. On a alors prétendu que les normes relatives à la vue constituaient des «exigences professionnelles justifiées» au sens de l'article 15. Le tribunal, a-t-on soutenu enfin, avait outrepassé sa compétence à l'égard de deux des redressements qu'il avait ordonnés.
J'aborderai tour à tour chacune de ces quatre prétentions.
1. Destiné au public
La première question en litige est celle-ci: le cours de parachutisme offert par les Forces cana- diennes à Edmonton constitue-t-il un service ou une installation destinés au public au sens de l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne? Texte de cet article:
5. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour le fournisseur de biens, de services, d'installations ou de moyens d'hébergement desti- nés au public:
a) d'en priver un individu;
b) de le défavoriser à l'occasion de leur fourniture.
Bien que le fait que ce cours constituait une «ins- tallation» ou un «service» n'ait pas été en doute, l'avocat du requérant a vigoureusement soutenu que le cours n'était pas destiné au public. Selon lui, il s'agissait d'un cours militaire spécialisé destiné uniquement aux membres des Forces armées et, à certains cadets, sur une base restreinte. Le public en général, a-t-il laissé entendre, n'avait pas accès au cours. Le tout se déroulait en deux étapes, le public ayant peut-être accès à la première étape, mais non à la deuxième. Pour les intimés, cepen- dant, on a souligné que toute jeune personne ayant entre douze et dix-huit ans pouvait s'enrôler dans les Cadets de l'Armée royale canadienne, qui comptait 24 000 membres puis postuler ce cours. Le tribunal a conclu que l'article 5 s'appliquait à cette installation ou à ce service, et je souscris à cette conclusion.
Dans l'interprétation des codes des droits de la personne, les tribunaux canadiens leur ont invaria- blement donné une interprétation qui permettra de promouvoir leurs fins générales. Nos tribunaux considèrent les codes des droits de la personne non comme des lois ordinaires, mais comme des lois spéciales, des lois fondamentales, des lois de nature «quasi constitutionnelle». Par exemple, le juge Lamer, alors juge puîné, a déclaré que dans l'inter- prétation d'un code des droits de la personne «il ne faut pas le considérer comme n'importe quelle autre loi d'application générale, il faut le reconnaî- tre pour ce qu'il est, c'est-à-dire une loi fondamen- tale». (Voir Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink et autre, [1982] 2 R.C.S.
145, la page 158; voir aussi le juge La Forest dans Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84.) Le juge McIntyre, de la Cour suprême du Canada, a réitéré ce point de vue dans Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpson -Sears Ltd. et autres,
[1985] 2 R.C.S. 536, la page 547, lorsqu'il a écrit:
Les règles d'interprétation acceptées sont suffisamment souples pour permettre à la Cour de reconnaître, en interprétant un code des droits de la personne, la nature et l'objet spéciaux de ce texte législatif ... et de lui donner une interprétation qui permettra de promouvoir ses fins générales. Une loi de ce genre est d'une nature spéciale. Elle n'est pas vraiment de nature constitutionnelle, mais elle est certainement d'une nature qui sort de l'ordinaire. Il appartient aux tribunaux d'en rechercher l'objet et de le mettre en application. Le Code vise la suppres sion de la discrimination.
Le juge en chef Dickson (tel était alors son titre) a souligné la bonne façon d'aborder les lois sur les droits de la personne. Ces lois doivent recevoir non seulement leur sens ordinaire, mais il faut aussi les «reconnaître et [leur] donner effet pleinement» et, conformément à la Loi d'interprétation [S.R.C. 1970, chap. I-23] les interpréter «de la façon juste, large et libérale la plus propre à assurer la réalisa- tion de leurs objets». Le juge en chef Dickson a fait cette mise en garde: «On ne devrait pas chercher par toutes sortes de façons à les minimiser ou à diminuer leur effet». (Voir Compagnie des che- mins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la per- sonne), [1987] 1 R.C.S. 1114, la page 1134.)
En utilisant cette méthode, le tribunal n'a mani- festement pas commis d'erreur lorsqu'il a décidé que ce cours était «destiné au public». Les tribu- naux canadiens ont interprété largement ces mots et d'autres expressions semblables utilisées dans les diverses lois des provinces, du Royaume-Uni et des États-Unis pour exprimer cette idée. Cette formu lation vise essentiellement à interdire aux entrepri- ses qui sont censées servir le public de faire preuve de discrimination. (Voir Tarnopolsky & Pentney, Discrimination and the Law: Including Equality Rights under the Charter (1985), chapitre 11.)
Pour qu'un service ou une installation soit des- tiné au public, il n'est pas nécessaire que tous les citoyens y aient accès. Il suffit qu'un segment de la population soit en mesure de se prévaloir du ser vice ou de l'installation. Le fait de prescrire que certaines exigences ou que certaines conditions soient remplies n'élimine pas le caractère public d'une activité. La jurisprudence a montré que le terme «public» signifie «qui n'est pas privé», ce qui laisse, en vérité, très peu d'activités hors de la portée de la législation.
Un arrêt faisant jurisprudence qui- illustre ces principes, particulièrement dans leur application
au gouvernement, est la décision Saskatchewan Human Rights Commission v. Saskatchewan (Department of Social Services) (1988), 52 D.L.R. (4th) 253 (C.A. Sask.), dans laquelle le juge Van- cise a statué que le ministère des Services sociaux ne pouvait pas établir de discrimination contre des personnes en décidant si elles pouvaient recevoir des prestations sociales en fonction de leur état matrimonial. La loi de la Saskatchewan interdisait d'établir la discrimination contre une personne [TRADUCTION] «à l'égard de l'accès à un lieu habituellement ouvert au public ou à des services offerts au public». Le juge Vancise a, fait remar- quer [aux pages 266 et 268]:
[TRADUCTION] D'une façon générale, tous les citoyens peu- vent se prévaloir des services offerts par la Couronne. La plupart de ces services peuvent être décrits comme des services destinés au public ... Dans la plupart des cas, le bénéficiaire d'un service gouvernemental sera tenu de suivre la procédure prescrite pour faire la demande et de démontrer qu'il est admissible à ce service. La plupart des services gouvernemen- taux sont destinés à avantager une catégorie particulière de personnes selon les politiques et objectifs envisagés du gouver- nement. Les critères d'admissibilité et les formulaires de demande assurent généralement une prestation impartiale et universelle des services plutôt qu'une restriction dans l'offre du service au public.
Le fait qu'un service soit destiné au public ne veut pas dire qu'il doit être offert à tous les citoyens. Le gouvernement peut appliquer des critères d'admissibilité pour s'assurer que le programme ou les services atteignent le groupe client visé. La seule restriction est que le gouvernement ne peut établir de discrimination à l'intérieur du groupe client, c'est-à-dire les personnes âgées, les pauvres ou d'autres, en se fondant sur les caractéristiques énumérées dans le Code.
Pour arriver à cette décision, la Cour d'appel de la Saskatchewan s'est appuyée sur un article du professeur Donna Greschner intitulé «Why Cham bers is Wrong: A Purposive Interpretation of "Offered to the Public" » (1988), 52 Sask. L. Rev. 161, l'auteur écrit la page 183]:
[TRADUCTION] L'interprétation du membre de phrase «offerts au public» ... doit être comme suit: tout service offert par un gouvernement est un service offert au public. Cette interprétation ressortit à la politique du Code d'éliminer la discrimination car tous les services gouvernementaux seraient visés. Elle est également compatible avec la portée générale expansive du Code ... De par sa propre nature, un gouverne- ment n'entretient que des rapports publics avec les particuliers
Ce raisonnement est convaincant. Il est difficile d'imaginer un gouvernement ou un secteur du gouvernement qui prétendrait qu'un service qu'il
offrait était un service privé, non destiné au public. En fait, il serait permis de dire que pratiquement tout ce que fait le gouvernement, il le fait pour le public, est destiné au public, et le public peut s'en prévaloir. De plus, il est inacceptable de permettre au gouvernement d'éluder l'application du Code simplement en imposant des conditions d'admissi- bilité et de prétendre ensuite que le programme n'est pas offert au public. Un programme demeure toujours offert au public, même si tous les citoyens ne peuvent s'en prévaloir.
Il faut noter que la version anglaise de la Loi canadienne sur les droits de la personne examinée ici ne reprend pas exactement la formulation utili sée dans la loi de la Saskatchewan. La loi fédérale parle de services «customarily available to the general public», alors que celle de la Saskatchewan parle de services «offered to the public». Si à première vue, ces différences de formulation peu- vent être importantes et que la loi fédérale doit avoir une portée moins large que la loi de la Saskatchewan, une analyse plus serrée m'amène à conclure que les deux formulations veulent dire essentiellement la même chose.
La première et la plus importante raison à cet égard est que la version française de la Loi cana- dienne sur les droits de la personne, qui jouit d'un statut d'égalité en matière d'interprétation législa- tive, utilise le membre de phrase services «destinés au public». Aucun adverbe ne correspond au terme anglais «customarily» et aucun adjectif qualifiant le mot «public» ne correspond au mot anglais «general». Cela m'amène à conclure que les mots «customarily» et «general» utilisés dans la version anglaise de la Loi canadienne sur les droits de la personne ne sont pas importants.
La deuxième raison qui m'amène à conclure que le mot «customarily» n'est pas important est que la loi de la Saskatchewan l'utilise dans le même article à l'égard du terme anglais «accommoda- tion», mais non à l'égard du membre de phrase «services and facilities». En plus des considérations stylistiques possibles, il se pourrait que l'utilisation du terme «customarily» en rapport avec le mot «accommodation» s'explique par des raisons histo- riques. (Voir Tarnopolsky & Pentney, Discrimina tion and the Law: Including Equality Rights under the Charter (1985), chapitre 11.)
La troisième raison pour laquelle il ne faut pas insister sur les légères différences de formulation de ces dispositions est qu'aucun tribunal ne semble l'avoir fait dans le passé, du moins en ce qui concerne les services gouvernementaux. (Il se pourrait qu'en ce qui concerne les organismes du secteur privé qui offrent au public des services de publicité, différentes considérations entrent en jeu. Voir ce que dit le juge Martland dans Gay Alliance Toward Equality c. Vancouver Sun, [1979] 2 R.C.S. 435, à la page 455). Nous ne devons pas examiner ces lois à la loupe; nous devons plutôt, comme on l'a dit précédemment, leur donner une interprétation large et libérale conforme à leur statut prépondérant dans le con- texte législatif canadien.
Ce point de vue peut trouver un appui supplé- mentaire dans Singh (Re), [1989] 1 C.F. 430, décision de la présente Cour, dans laquelle le juge Hugessen, au nom de la Cour, a affirmé que les services que rendent les fonctionnaires chargés de l'application de la Loi sur l'immigration de 1976 [S.C. 1976-77, chap. 52] pourraient bien être «con- sidérés comme des services destinés au public». Sans trancher la question de façon définitive parce qu'il n'était pas nécessaire de le faire, le juge Hugessen a opiné qu'on pouvait «soutenir» que «par définition, les services que rendent les fonc- tionnaires publics aux frais de l'État sont des services destinés au public» au sens de l'article 5, et a statué [aux pages 440 et 4411:
... il suffit de dire qu'il est loin d'être clair pour moi que les services rendus, tant au Canada qu'à l'étranger, par les fonc- tionnaires chargés de l'application de la Loi sur l'immigration de 1976 ne sont pas des services destinés au public.
Ainsi, selon le juge Hugessen, se faisant l'écho du juge Vancise et du professeur Greschner, on pour- rait dire que ces services gouvernementaux sont destinés au public et, par conséquent, qu'ils tom- bent à juste titre sous le coup de l'article 5.
Une autre décision de la présente Cour, qui va dans le sens de cette conclusion, est l'arrêt Canada (Procureur général) c. Druken, [1989] 2 C.F. 24, on avait d'abord affirmé dans le mémoire du pro- cureur général que les prestations d'assurance-chô- mage ne constituaient pas «des services destinés au public», mais l'argument n'avait pas été maintenu. Le juge Mahoney, J.C.A., prononçant les motifs de la Cour, a expliqué la page 28] que le
«requérant semble avoir trouvé convaincante» l'opi- nion incidente exprimée par le juge Hugessen dans l'arrêt Singh, précité. Les prestations d'assurance- chômage, avait-on alors concédé, étaient un service destiné au public, en dépit de l'admissibilité limitée à ce service.
En plus de ces décisions des tribunaux d'appel, de nombreuses décisions des tribunaux des droits de la personne ont adopté ce point de vue. L'une des plus récentes décisions est Courtois c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien) (1990), 11 C.H.R.R. D/363, dans laquelle le tribunal a statué [aux pages D/383 et D/384] qu'on ne pouvait prétendre que l'école d'une réserve «ne constitue pas un service destiné au public du simple fait que cette école de la réserve est essentiellement une école limitée aux Indiens. En effet, qu'il s'agisse d'une école dite de "Bande", il n'en demeure pas moins que le coût de ces écoles est défrayé essentiellement par les deniers publics. Prétendre qu'il ne s'agit pas d'un service public parce qu'adressé uniquement aux Indiens ce serait de dire ... que toutes les person- nes qui appartiennent à un groupe spécial (soit les Indiens) ne sont plus membres de la collectivité dans son ensemble, ce qui ouvrirait la porte à toute sorte d'actes discriminatoires».
Une explication utile de la signification de ces mots a également été donnée dans Hobson v. British Columbia Institute of Technology (1988), 9 C.H.R.R. D/4666, à la page D/4670:
[TRADUCTION] Je trouve que le simple fait d'être investi du pouvoir d'établir des conditions d'admission ou d'exiger des qualités difficiles pour l'admission à des établissements d'ensei- gnement subventionnés par l'État, tels que l'intimé, les universi- tés ou les collèges, ne veut pas dire que ces établissements et les services qu'ils offrent ne sont pas destinés au public. De plus, il n'est pas nécessaire que tous les citoyens soient en mesure de revendiquer les services ou l'admission à l'établissement pour que ceux-ci soient destinés au public. Dans le cas des établisse- ments d'enseignement public, tel que l'intimé, il suffit, à cet égard, que les services ou installations soient destinés au «public», c'est-à-dire à «toutes les personnes légalement ou dûment qualifiées».
(Voir également Monsoorali Rawala and Victor Souza v. DeVry Institute of Technology (1982), 3 C.H.R.R. D/1057; Anvari c. Canada (Commission de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 10 C.H.R.R. D/5816.)
Vu la façon dont les tribunaux examinent les lois en matière de droits de la personne, l'impor- tance de la version française de la loi susmention- née et les autres facteurs soulignés précédemment, je conclus, que le tribunal était justifié de décider que ce cours était un service ou une installation «destiné au public».
2. Emploi
La deuxième question est la suivante: Mark Rosin était-il un employé des Forces armées lors- qu'il suivait le cours de parachutisme et, par consé- quent, tombait-il sous le coup des articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne? Texte de ces articles:
7. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects:
a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu;
b) de le défavoriser en cours d'emploi.
10. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite et s'il est susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus, le fait, pour l'employeur, l'association patronale ou l'organisation syndicale:
a) de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite;
b) de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation, l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel.
L'avocat du requérant a fait valoir que ces cadets n'étaient pas employés par l'armée. Selon lui, ils ne recevaient aucun «salaire» et ne faisaient aucun travail pour l'armée. Il les a comparés à des adolescents qui recevaient une formation dans un camp d'été. L'avocat des intimés a soutenu pour sa part qu'ils étaient des employés, au service des Forces armées, qui recevaient de l'argent pour leurs services et dont l'armée bénéficiait de la présence. Bien que dans un texte et un raisonne- ment quelque peu confus, le tribunal a semblé conclure que les articles 7 et 10 s'appliquaient à ces circonstances, et j'abonde dans le même sens.
Tenant compte du principe selon lequel il faut accorder à ce genre de loi une interprétation large et libérale, je n'ai aucune difficulté à conclure que Mark Rosin était un «employé» au sens ce terme est utilisé dans les lois en matière de droits de la personne, lorsqu'il était cadet en 1984. Les lois sur les droits de la personne et la jurisprudence elle-même contiennent très peu de définitions pré- cises de ce qu'est un emploi. (Voir Tarnopolsky and Pentney, précité, chapitre 12). Ce qui est clair, cependant, c'est que les tribunaux ont interprété ces mots de façon large, concluant à l'existence de rapports employeur-employé dans ce contexte, alors que dans d'autres contextes, ils ont pu n'en trouver aucun. Normalement, le rapport employeur-employé existe lorsqu'une rémunération est versée à une personne qui travaille pour la personne qui verse la rémunération, mais dans le contexte des droits de la personne, la situation est beaucoup plus souple. La jurisprudence portant sur la responsabilité du fait d'autrui n'est pas particulièrement utile ici. Ce qui est nécessaire est de donner au mot emploi une «interprétation libé- rale». (Voir la décision du juge McDonald dans Frank Cormier v. Alberta Human Rights Com mission (1984), 5 C.H.R.R. D/2441.)
Il existe des cas on a conclu qu'un rapport employeur-employé existait pour les besoins de cette législation, même si un «employeur» ne ver- sait pas de salaire et qu'aucun travail n'était effec- tué directement pour l'employeur. Dans Pannu v. Prestige Cab Ltd. (1987), 8 C.H.R.R. D/3909, par exemple, les adeptes de la religion Sikh s'étaient vu refuser des postes en raison de leur religion, la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta a statué qu'il existait un rapport employeur- employé, même si les chauffeurs de taxi en tant que tels ne travaillaient pas pour le compte de Prestige Cab, l'exploitant d'un parc de taxis, dont ils ne recevaient aucune rémunération. Ils gagnaient de l'argent en travaillant, mais cet argent ne leur était pas versé par l'exploitant du parc de taxis. Le juge Bracco la page D/3911] a conclu que [TRADUCTION] «Le mode de rémunéra- tion ... ne détermine pas le rapport». Cette déci- sion a été confirmée par la Cour d'appel de l'Al- berta [(1987), 8 C.H.R.R. D/3911]. Le juge en chef Laycraft a alors expliqué qu'en raison de la nécessité de procéder à une interprétation libérale,
le mot «emploi» pouvait être utilisé «dans le sens d'utiliser». Encore qu'un rapport employeur- employé n'existait pas au sens traditionnel, il en existait certainement un dans le sens envisagé par ce genre de loi, c'est-à-dire «l'utilisation».
Un autre exemple de cas on a conclu qu'il existait un rapport employeur-employé dans le contexte des lois sur les droits de la personne, conclusion qui n'aurait peut-être pas pu être tirée dans une autre situation, se trouve dans l'affaire Re Prue (1984), 57 A.R. 140 (B.R.), décision ayant trait à la discrimination fondée sur l'âge. Le juge en chef adjoint Miller, s'appuyant sur la tendance récente de la jurisprudence, a conclu qu'une commission de police et un chef de police étaient des employeurs aux fins de la législation sur les droits de la personne, même si les salaires des agents de police étaient versés par la ville d'Edmonton et que le contrat d'emploi lui-même était conclu par la ville d'Edmonton, parce que la Loi était une [TRADUCTION] «loi réparatrice» et [TRADUCTION] «comme telle, elle doit recevoir une interprétation juste, large et libérale». Il n'existait peut-être pas de contrat d'emploi avec les auteurs de la discrimination, mais il existait néan- moins un rapport suffisant employeur-employé. À la page 151, le juge en chef adjoint Miller a déclaré:
[TRADUCTION] Je trouve que les mots ont été utilisés dans un sens qui permet aux albertains d'être protégés contre la distinc tion illicite dans la manière dont ils cherchent à gagner leur vie. Les mots utilisés dans la Loi sont des mots avant-gardistes. Ils cherchent à protéger les albertains contre la distinction illicite, indépendamment du mode particulier que chacun pourrait choisir pour gagner sa vie. Ainsi, les albertains sont protégés quant à leur capacité de se faire concurrence sur un pied d'égalité. On n'aurait pas pu s'attendre à ce que l'ancien rapport employeur-employé de la common law s'applique pour définir la signification de ces mots de manière à permettre à des règles légales techniques de limiter les droits des albertains.
Je ne peux voir aucun intérêt public qui pût favoriser la signification technique étroite qu'on a voulu donner à ces mots. Les avocats prétendent que si je conclus que les mots s'appli- quent au «titulaire d'une charge», alors une personne pourrait se plaindre de distinction illicite, par exemple dans la nomination des juges de la Cour provinciale. Je ne vois aucune raison de redouter une telle application, si le cas devait se présenter. Sûrement, les Palais de justice ne sont pas des endroits la distinction illicite devrait être acceptée alors que le reste de la société albertaine doit être régie par une norme plus élevée. L'administration de la justice doit servir à illustrer l'application de la vérité dans la tribune publique qu'est une salle d'audience. Elle ne devrait pas s'abriter derrière des notions factices et se placer au-dessus de la loi. L'argument s'applique a fortiori aux autres agents de l'administration de la justice, y compris aux
policiers. Comment peut-on dire que la distinction illicite pour- rait être acceptable dans l'administration de la justice? Pour- tant, ce serait l'effet qui en résulterait si on accordait aux mots utilisés dans la Loi la signification étroite qui m'a été proposée.
La présente Cour a récemment indiqué qu'elle accordera également une interprétation large et libérale au mot «emploi» utilisé dans la Loi cana- dienne sur les droits de la personne. Dans Cana- dien Pacifique Liée c. Canada (Commission des droits de la personne), [1991] 1 C.F. 571 (C.A.), un cuisinier avait été congédié par le CP lorsqu'on avait découvert qu'il souffrait du sida. En fait, il n'était pas «lié par contrat» au CP, mais travaillait pour un sous-traitant, Smith (1960) Limited, qui payait son salaire et l'avait affecté à cuisiner pour une équipe de cheminots du CP en Saskatchewan. Le juge en chef Iacobucci s'est dit d'accord avec la «jurisprudence qui a accordé une signification plus large au terme "emploi" que celle qu'offre le rapport technique employeur-employé». Il a cité la décision du juge en chef Laycraft dans l'affaire Pannu (précité) et adopté comme signification du verbe «employer» le sens d'«utiliser», pour conclure que le tribunal avait décidé à juste titre que «CP avait indirectement refusé de continuer d'employer M. Fontaine».
À la lumière de cette jurisprudence, je conclus que le tribunal a statué à bon droit que les articles 7 et 10 étaient applicables à Rosin. Même s'il a pu ne pas être un employé au sens traditionnel d'em- ployeur-employé, il l'était au sens visé par cette législation. Une situation d'autorité existait à son endroit, une certaine rémunération était versée et les Forces armées tiraient manifestement quelque avantage de sa présence. Il était certainement «utilisé» par les Forces armées.
Rosin était placé de diverses façons sous une autorité: il était tenu de porter un uniforme de cadet; il devait obéir à toutes les règles et suivre tous les ordres qu'il recevait; il mangeait ce qu'on lui donnait et se couchait lorsqu'on lui disait de se coucher. Bref, les Forces armées exerçaient une autorité très étroite sur tous ses actes. Cet élément d'autorité est inscrit dans la Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), chap. N-5, qui prévoit en partie comme suit:
46. (1) Le ministre peut autoriser la constitution, sous l'au- torité et la surveillance des Forces canadiennes, d'organisations de cadets dont l'âge se situe entre douze et dix-neuf ans.
(2) Le ministre peut fixer les périodes d'instruction des organisations de cadets, la manière dont elles sont administrées, les conditions auxquelles matériels et logement leur sont four- nis, et désigner les officiers sous l'autorité et le commandement desquels elles sont placées. [Les italiques sont de moi.]
Pour ce qui est de la rémunération, Rosin ne recevait peut-être pas un salaire comme tel, mais il a reçu 240 $ lorsqu'il a été retiré du cours, somme qu'il aurait reçue s'il avait terminé le cours. Les Forces armées appelaient cette somme des hono- raires, mais il s'agissait tout de même d'argent versé aux cadets à la fin des sessions d'été. Les enfants qui vont dans des camps d'été ne reçoivent pas d'argent du tout. Au contraire, ils doivent payer pour y aller. De plus, Rosin était logé et nourri, ce qui, bien que ne constituant pas un paiement au sens usuel, constitue certainement une chose d'une certaine valeur qu'on lui donnait pen dant qu'il assistait au cours.
Pour ce qui est du travail effectué par Rosin, on peut dire qu'il ne faisait aucun travail productif, au sens traditionnel du terme, et qu'il ne recevait simplement qu'une formation et un enseignement. fl convient de noter, cependant, que de nos jours, dans beaucoup d'emplois, les employés reçoivent fréquemment une éducation et une formation qui sont considérés par leurs employeurs comme fai- sant partie de leur travail ou leurs fonctions. Géné- ralement, ils reçoivent un salaire pendant ces périodes d'éducation ou de formation. On ne peut s'empêcher de noter également que, sauf en cas de guerre ou d'urgence, le travail des Forces armées régulières revient en grande partie à être formées à se mettre en état de préparation et à demeurer prêtes de façon à pouvoir répondre rapidement et efficacement en cas de besoin. Par ailleurs, ces camps de cadets ne sont pas organisés uniquement à des fins altruistes; dans leurs règlements, les Forces armées indiquent expressément qu'elles souhaitent recruter parmi ces cadets les futurs membres des Forces armées. C'est probablement ce que voulait dire le tribunal lorsqu'il a examiné [TRADUCTION] «les salaires ... versés implicite- ment» dans le «recrutement des cadets et des gens qui pourraient s'enrôler dans les Forces armées dans l'avenir». En d'autres termes, la participation de ces cadets à ces programmes d'été pouvait éventuellement profiter aux Forces armées.
Je n'ai par conséquent aucune difficulté à con- clure, compte tenu de tous ces facteurs autorité, rémunération et avantages que les Forces armées employaient Rosin, au sens de la Loi cana- dienne sur les droits de la personne au cours de l'été 1984. Il y avait donc, à première vue, viola tion des articles 7 et 10.
3. Exigences professionnelles justifiées (EPJ)
Ayant décidé que la Loi canadienne sur les droits de la personne est applicable et qu'à pre- mière vue, les articles 5, 7 et 10 ont été violés, il est maintenant nécessaire de déterminer si le tribunal avait raison de statuer que la discrimination n'était pas justifiée compte tenu de la preuve présentée à l'audience.
L'article 15 de la Loi canadienne sur les droits de la personne prévoit en partie ce qui suit:
15. Ne constituent pas des actes discriminatoires: a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l'employeur qui démontre qu'ils découlent d'exigences professionnelles justifiées;
g) le fait qu'un fournisseur de biens, de services, d'installa- tions ou de moyens d'hébergement destinés au public, ou de locaux commerciaux ou de logements en prive un individu ou le défavorise lors de leur fourniture pour un motif de distinc tion illicite, s'il a un motif justifiable de le faire.
Il est clair que les actes accomplis en violation apparente de l'article 5 peuvent être justifiés con- formément à l'alinéa 15g) et que les actes contrai- res aux articles 7 et 10 peuvent être justifiés conformément à l'alinéa 15a). Les normes énon- cées dans ces deux dispositions sont très sembla- bles. La Cour suprême du Canada vient de préci- ser qu'il n'existe pas de différence entre les expressions exigences professionnelles réelles et qualifications professionnelles réelles. «il s'agit de termes équivalents et de même portée.» (Voir le juge Wilson dans Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Commission des droits de la personne), [1990] 2 R.C.S. 489, la page 502.) De la même manière, on pourrait conclure que les deux expres sions «exigences professionnelles justifiées» (alinéa 15a)) et «motif justifiable» (alinéa 15g)) ont la même signification, sauf que la première expression est applicable aux situations d'emploi, alors que la deuxième est utilisée dans d'autres contextes. Le choix de ces différents termes pour
justifier une discrimination à première vue ne constitue donc qu'une question de forme plutôt qu'une question de fond. Je mentionnerai par con- séquent les deux expressions sous le sigle d'EPJ.
En matière d'EPJ, le droit a été précisé dans une certaine mesure par la Cour suprême dans la récente décision qu'elle a rendue dans Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Commission des droits de la personne) (précité). Au nom de la majorité (4-3), madame le juge Wilson a statué que, lorsqu'une règle crée une discrimination directe (ce qui était, d'un commun accord, le cas en l'espèce), l'employeur doit justifier la règle discriminatoire dans sa totalité. Il n'est pas néces- saire, comme c'est le cas en matière de discrimina tion indirecte, de tenir compte des mesures d'ac- commodement adoptées à l'égard des personnes en cause. En cas de discrimination directe, la règle demeure ou tombe en entier, puisqu'elle s'applique également à tous les membres du groupe. Pour décider de la validité d'une telle règle, le tribunal doit décider si elle était «raisonnablement néces- saire» pour assurer l'exécution efficace du travail sans mettre en danger l'employé, ses compagnons de travail et le public. Il incombe à l'employeur d'établir que la règle ou la norme est une EPJ. Il ne suffit pas de s'appuyer sur des présomptions et sur le soi-disant bon sens; pour établir la nécessité de la règle discriminatoire, une preuve convain- cante et, si nécessaire, une preuve d'expert est nécessaire pour l'établir suivant la prépondérance des probabilités. Sans cette exigence, la protection offerte par les lois en matière de droits de la personne serait effectivement vide de sens. Par conséquent, il est nécessaire, pour justifier une discrimination directe à première vue, de démon- trer qu'elle a été faite de bonne foi et qu'il était «raisonnablement nécessaire» de le faire, ce qui constitue à la fois un critère subjectif et objectif. (Voir Central Alberta Dairy Pool, précité; le juge McIntyre dans Commission ontarienne des droits de la personne et autres c. Municipalité d'Etobi- coke, [1982] 1 R.C.S. 202; voir également Les effets de la décision Bhinder sur la Commission canadienne des droits de la personne: rapport spécial au Parlement (1986).)
La décision du tribunal concernant la preuve de l'EPJ, est attaquée sur au moins trois moyens. En premier lieu, on prétend que le tribunal a ignoré la
preuve présentée par les experts des Forces armées, selon laquelle les parachutistes borgnes présentaient un risque accru pour eux-mêmes et pour autrui. Si cette preuve était entièrement écar- tée, on a prétendu que cela équivaudrait à une erreur de droit, donnant lieu à une ordonnance infirmant la décision. En revanche, si la preuve n'était pas totalement écartée, mais qu'elle avait été examinée avec les autres éléments de preuve et qu'on l'avait trouvée peu convaincante, le tribunal aurait le pouvoir discrétionnaire de la rejeter. Le Dr (capitaine) L. T. Green, ophtalmologiste, a témoigné, sans être lui-même parachutiste, que les borgnes avaient un champ de vision restreint et que leur perception était affectée, ce qui, à son avis, pouvait accroître le risque d'accident. Le tribunal a cependant estimé que ce témoignage portant sur la question du risque n'était pas néces- sairement son point de vue, mais constituait [TRA- DUCTION] «une chose avancée par quelqu'un et qu'il acceptait de bonne foi». Le requérant a égale- ment fait témoigner deux experts en parachutisme, le lt. col. D. Bondurant et le cap. Vida, qui ont décrit le risque que posaient les parachutistes bor- gnes, mais aucune donnée statistique n'a été pré- sentée pour établir que les parachutistes borgnes étaient plus portés que d'autres à faire des acci dents. Le tribunal a noté que ces soi-disant experts n'avaient aucune formation en gestion des risques, soulignant qu'il n'était pas impressionné par leur témoignage. Il n'a donc pas accepté cette preuve pour le motif qu'elle était «impressionniste», empruntant alors le terme utilisé dans l'arrêt Eto- bicoke. Le tribunal était également saisi de la preuve contradictoire du lt. col. (retraité) A. Bella- vance, qui a témoigné pour le compte de Rosin. Il a convenu que plus un parachutiste peut voir, mieux c'est. Néanmoins, il a également indiqué que des personnes borgnes peuvent se livrer au parachutisme et que d'autres pays n'interdisaient pas aux parachutistes borgnes de s'enrôler dans leurs forces armées. Le tribunal a également exa- miné un article sur l'éborgnement dont les conclu sions relatives aux risques qu'elle présentait dans différentes activités étaient ambiguës. Le tribunal, peut-être avec une certaine négligence linguistique, a conclu qu'il n'y avait «aucune preuve» quant à l'EPJ. Cependant, en lisant soigneusement les motifs, on peut voir que cette formulation était destinée à indiquer non pas qu'il n'y avait «aucune preuve», mais que la preuve présentée par le requé-
rant n'avait pas convaincu le tribunal conclu sion qu'elle était en droit de tirer. Bref, le tribunal n'était pas convaincu, compte tenu de toute la preuve que lui avait présentée le requérant, que la preuve de risque accru justifiant l'EPJ avait été faite. La présente Cour ne peut intervenir dans une telle conclusion fondée comme elle l'était sur la preuve.
La deuxième plainte du requérant est que, si quelque degré de risque est prouvé, quelque minime soit-il, une EPJ est établie. J'ai déjà indi- qué que la preuve n'avait pas convaincu le tribunal de l'existence d'un risque accru. Par conséquent, il n'est pas nécessaire d'aborder cette question. Le cas échéant, il faudrait tenir compte de l'arrêt Central Alberta Dairy Pool, dans lequel le juge Wilson a indiqué que l'arrêt Bhinder était peut- être mal fondé pour le motif que le risque accru dans les circonstances n'était que très léger et, ainsi, n'aurait pas pu fonder la défense d'EPJ. (Voir également dans le même sens que l'arrêt Bhinder, Canadien Pacifique Liée c. Canada (Commission canadienne des droits de la per- sonne), [1988] 1 C.F. 209 (C.A.).)
La troisième critique formulée à l'endroit de la décision est qu'elle avait pris en considération cer- taines caractéristiques personnelles de Rosin en déterminant si une EPJ avait été établie. Il est vrai que dans les cas de discrimination directe, les caractéristiques d'une personne en particulier ne sont pas pertinentes. La disposition doit s'appli- quer soit à toutes les personnes faisant partie du groupe, soit à aucune d'elles. La question en matière de discrimination directe n'est pas de savoir si la personne en cause peut faire le travail, mais de savoir si un parachutiste borgne peut le faire. Bien que le tribunal ait certainement men- tionné les attributs de M. Rosin et qu'il s'en soit inspiré, il ne s'est pas fondé sur ces attributs pour statuer que la norme ne constituait pas une EPJ. Une lecture minutieuse des motifs révèle que le tribunal aurait conclu que le règlement était de toute façon une généralisation illicite. Après tout, les personnes qui portaient des lunettes étaient admises au cours, même s'il avait été établi que certaines d'entre elles retiraient leurs lunettes lors- qu'elles sautaient. D'autres, disait-on, se fermaient les yeux lorsqu'elles sautaient. De plus, même si
dans l'abstrait, on considérait valide la règle excluant les personnes borgnes, elle n'était pas vraie dans le cas des borgnes jouissant des caracté- ristiques, de la vision et de la faculté d'adaptation de gens comme Rosin, plutôt que dans celui de Rosin lui-même.
Le tribunal était saisi d'une preuve suffisante pour tirer comme il a fait ses conclusions sur les faits et pour tirer comme il a fait sa conclusion sur la question de 1'EPJ. Par conséquent, il n'est pas loisible à la présente Cour d'intervenir.
4. Redressements
Parmi les dispositions réparatrices de la Loi canadienne sur les droits de la personne, on compte les paragraphes 53(2) et 53(3), ainsi que l'article 54, dont voici le texte:
53. ...
(2) À l'issue de son enquête, le tribunal qui juge la plainte fondée peut, sous réserve du paragraphe (4) et de l'article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupa- ble d'un acte discriminatoire:
a) de mettre fin à l'acte et de prendre, en consultation avec la Commission relativement à leurs objectifs généraux, des mesures destinées à prévenir des actes semblables, notam- ment:
(i) d'adopter un programme, plan ou arrangement visé au paragraphe 16(1),
(ii) de présenter une demande d'approbation et de mettre en œuvre un programme prévus à l'article 17;
b) d'accorder à la victime, dès que les circonstances le permettent, les droits, chances ou avantages dont, de l'avis du tribunal, l'acte l'a privée;
c) d'indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction qu'il juge indiquée, des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l'acte;
d) d'indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction qu'il juge indiquée, des frais supplémentaires occasionnés par le recours à d'autres biens, services, installations ou moyens d'hébergement, et des dépenses entraînées par l'acte.
(3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le tribunal peut ordonner à l'auteur d'un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de cinq mille dollars, s'il en vient à la conclusion, selon le cas:
a) que l'acte a été délibéré ou inconsidéré;
b) que la victime en a souffert un préjudice moral.
54. (1) Le tribunal qui juge fondée une plainte tombant sous le coup de l'article 13 ne peut rendre que l'ordonnance prévue à l'alinéa 53(2)a).
(2) L'ordonnance prévue au paragraphe 53(2) ne peut exiger:
a) le retrait d'un employé d'un poste qu'il a accepté de bonne foi;
b) l'expulsion de l'occupant de bonne foi de locaux, moyens d'hébergement ou logements.
Le tribunal a rendu une ordonnance accordant les quatre redressements suivants la page D/6257]:
1. Le plaignant sera inscrit dès que l'occasion se présentera à un programme comme celui qu'il suivait, de préférence le cours de cadet, ou à un cours semblables à sa convenance et à celle des mises-en-cause; il devra être autorisé à suivre le cours au complet ou en partie. Nous ordonnons aussi que tout règlement ayant pour effet de rejeter un candidat simplement parce qu'il ne voit que d'un oeil soit modifié de manière à éviter que pareille situation ne se produise; en particulier, les mises-en- cause devront immédiatement modifier tout règlement sur la vision ou sur les critères géographiques et professionnels qui empêcherait une personne borgne de suivre un cours de para- chutisme, ou en suspendre l'application.
2. Bien que le plaignant n'ait pas demandé expressément une indemnisation, le Tribunal lui accorde un montant de 1 500 $, conformément aux dispositions de l'al. 53(3)b), pour pertes et préjudice moral.
3. Le plaignant recevra aussi des intérêts calculés conformé- ment aux dispositions de la Loi sur l'intérêt, à partir du trentième jour suivant la date du présent jugement.
4. Nous ordonnons également aux mise-en cause de défrayer le plaignant de toutes les dépenses qu'il a engagées, notamment pour ses transports, ses repas et ses uniformes. En outre, en faisant une place au plaignant dans le cours de parachutisme, les mises-en-cause ne devront modifier d'aucune façon le nombre de personnes qui pourraient s'inscrire à ce cours, qu'elles viennent ou non de la même région géographique que le plaignant; elles devront aussi faire des efforts justes et raisonna- bles pour permettre au plaignant de réussir toutes les épreuves auxquelles il sera soumis et pour ne plus exercer de discrimina tion contre lui.
Le requérant conteste deux de ces redresse- ments. D'abord, on prétend que le tribunal n'avait pas compétence pour rendre une ordonnance accordant l'intérêt, comme il l'a fait au point 3. Je n'accepte pas cette prétention. Bien qu'il n'existe pas de disposition conférant expressément aux tri-
bunaux des droits de la personne le pouvoir d'ac- corder de l'intérêt, ce pouvoir est inclus dans le pouvoir d'«ordonner à l'auteur de l'acte discrimina- toire de payer à la victime une indemnité maxi- male de cinq mille dollars» (voir le paragraphe 53(3)). Les tribunaux des droits de la personne ont fréquemment accordé des intérêts. (Voir, par exemple, Canadian Armed Forces c. Morgan, 14 septembre 1990 (T.C.D,P.); Boucher v. Canada (Correctional Service) (1988), 9 C.H.R.R. D/4910; Chapdelaine v. Air Canada (1987), 9 C.H.R.R. D/4449; Hinds v. Canada (Employment and Immigration Commission) (1988), 10 C.H.R.R. D/5683.) L'intérêt a été expressément accordé dans le cas de la peine éprouvée et de la perte du respect de soi. (Voir, par exemple, Kearns v. P. Dickson Trucking Ltd. (1988), 10 C.H.R.R. D/5700; Fontaine c. Canadien Pacifique Ltée (1989), 11 C.H.R.R. D/288.)
Les tribunaux, y compris la présente Cour, ont statué que l'intérêt peut être accordé dans d'autres contextes semblables, sous la rubrique «indemnité», car le refuser reviendrait à ne pas indemniser complètement l'auteur de la demande, surtout dans la période actuelle de taux d'intérêt élevés. (Voir Minister of Highways for British Columbia v. Richland Estates Ltd. (1973), 4 L.C.R. 85 (C.A.C.-B.) (cas d'expropriation); Re Westcoast Transmission Co. Ltd. and Majestic Wiley Con tractors Ltd. (1982), 139 D.L.R. (3d) 97 (C.A.C.-B.) (arbitre commercial); le juge Mac- Guigan, J.C.A. dans Société Radio-canada c. S.C.F.P., [1987] 3 C.F. 515 (C.A.), (Code cana- dien du travail).)
En conséquence, il n'est pas justifié d'intervenir dans ce redressement, que les tribunaux des droits de la personne peuvent accorder conformément au libellé de la loi tel qu'il a été interprété dans la jurisprudence.
Bien que le requérant ne conteste pas la plus grande partie du paragraphe 4, il soutient qu'une partie de ce paragraphe outrepasse la compétence du tribunal, lorsque ce dernier a ordonné à l'intimé la page D/6257]:
... ne devront modifier d'aucune façon le nombre de personnes qui pourraient s'inscrire à ce cours, qu'elles viennent ou non de la même région géographique que le plaignant ...
Je ne suis pas persuadé que cet aspect de l'or- donnance outrepassait la compétence du tribunal. Il est tout à fait juste d'aborder cette question de manière à assurer que nul ne sera lésé par suite de l'ordonnance du tribunal. L'absence d'une telle ordonnance pourrait donner lieu à la violation par inadvertance de l'alinéa 54(2)a), par exemple une personne admise au cours de l'année prochaine pourrait être retirée d'un poste accepté de bonne foi, ce que la Loi interdit.
Je suis d'avis que l'ordonnance du tribunal devrait être confirmée et que la requête devrait être rejetée.
LE JUGE HEALD, J.C.A.: Je souscris. LE JUGE STONE, J.C.A.: Je souscris.
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