T-1971-86
Sa Majesté La Reine (demanderesse)
c.
J. U. Merten (défendeur)
RÉPERTORIÉ: CANADA c. MERTEN (J' e INST.)
Section de première instance, juge Strayer —Cal-
gary, 24 septembre; Ottawa, 9 octobre 1990.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Déductions —
Appel d'une décision de la Cour canadienne de l'impôt qui
avait autorisé la déduction des frais d'automobile du défen-
deur pour ses déplacements entre les chantiers de construction
temporaires et son domicile — Le contribuable, chef de projet
d'une compagnie de construction, se rendait au «bureau per
manent» de son employeur et en repartait, sauf lorsque sa
première ou sa dernière tâche de la journée se trouvait à un
chantier de construction, auquel cas il s'y rendait directement
de son domicile ou rentrait directement à son domicile —
A-t-il effectué ces déplacements «pour exercer les fonctions de
son emploi» au sens de l'art. 8(1)h)? — La Cour canadienne de
l'impôt s'est considérée liée par la décision de la Section de
première instance dans La Reine c. Chrapko (G.R.) — Appel
rejeté — La Cour d'appel a modifié la décision de première
instance dans l'affaire Chrapko, en permettant seulement au
contribuable de déduire ses frais de déplacement entre son
domicile et le lieu de son travail autre que celui «où il exerce
habituellement ses fonctions» — Le raisonnement suivi dans
l'affaire Luks, Herman v. Minister of National Revenue, qui
interdisait la déduction des frais de déplacement entre le
domicile et le lieu de travail à moins que le déplacement
lui-même ne consiste en une prestation de services, n'est plus
applicable — La déduction relative au lieu «habituel» de
travail découle du libellé de l'exposé conjoint des faits.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63,
art. 8(1)h), 178(2) (mod. par S.C. 1980-81-82-83,
chap. 158, art. 58, numéro 2; 1984, chap. 45, art. 75).
JURISPRUDENCE
DÉCISION NON SUIVIE:
Luks, Herman v. Minister of National Revenue, [1959]
R.C.É. 45; (1958), 58 DTC 1194.
DÉCISION APPLIQUÉE:
Chrapko (G.R.) c. La Reine, [1988] 2 C.T.C. 342;
(1988), 88 DTC 6487 (C.A.F.); mod. La Reine c.
Chrapko (G.R.), [1984] CTC 594; (1984), 84 DTC 6544
(C.F. 1fe inst.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Healy c. R., [1979] 2 C.F. 49; [1979] CTC 44;
(1979), 79 DTC 5060; 25 N.R. 429 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Klue, J T c. MRN, [1976] CTC 2401; (1976),
76 DTC 1303 (C.R.I.); Dale (JB) c. MRN, [1977] CTC
2208 (C.R.I.).
AVOCATS:
Carman R. McNary et David I. Besler pour
la demanderesse.
R. Kipp Craig pour le défendeur.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la
demanderesse.
Atkinson, McMahon, Calgary, pour le défen-
deur.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE STRAYER:
Redressement demandé
Le présent appel a été interjeté par le ministre
du Revenu national contre une décision rendue le 6
mai 1986 par la Cour canadienne de l'impôt, qui a
alors accueilli l'appel du défendeur à l'encontre
d'une nouvelle cotisation de son obligation fiscale.
Cette décision a eu pour effet de permettre au
défendeur de déduire de son revenu d'emploi la
somme de 2 172,67 $ à titre de frais de
déplacement.
Les faits
Les parties s'entendent quant à l'exposé des faits
suivant:
[TRADUCTION] 1. De 1977 au printemps de 1988, y compris
l'année d'imposition 1981 qui est en cause, J.U. Merten
(«Merten») était employé par la Western Electrical Construc
tors Limited («Western») à titre de chef de projet.
2. Durant toute la période visée, le bureau permanent de
Western était situé au 330 - 11th Avenue S.W., Calgary. La
direction de Western, y compris Merten, exerçait ses activités
quotidiennes de gestion générale à cet endroit.
3. Au cours de l'année d'imposition 1981, Western exerçait
l'activité d'entrepreneur et exploitait deux chantiers de cons
truction dans la ville de Calgary: à l'hôtel Delta situé au 209 - 4
Avenue, S.E., et à Heritage Square au 8500 Macleod Trail
South.
4. Merten devait se trouver régulièrement au bureau perma
nent, puisqu'il participait à la gestion de Western, notamment
aux fonctions de préparation des estimations de coût et des
soumissions, ainsi qu'aux discussions avec les fournisseurs, avec
les promoteurs des projets, les ingénieurs et les membres de
l'administration générale. Par ailleurs, il devait aussi travailler
aux divers chantiers temporaires de construction de Western
mentionnés ci-dessus. Sur les chantiers, ses fonctions compre-
naient les réunions de chantier, l'inspection du chantier, les
relations avec les fournisseurs de produits et de services relati-
vement à l'acheminement ou à la réalisation des composantes
principales et secondaires du projet, les relations ouvrières ainsi
que la supervision et la coordination globales du travail de
construction de Western.
5. Lorsque sa première tâche de la journée obligeait Merten à
se présenter à l'un des chantiers temporaires de construction de
Western, il conduisait son véhicule directement à ce chantier
après avoir quitté son domicile situé au 983, chemin Edgemont
N.W., à Calgary, plutôt que de se rendre d'abord au bureau
permanent.
6. Lorsque sa dernière tâche de la journée obligeait Merten à
se présenter à l'un des chantiers temporaires de construction de
Western, il conduisait son véhicule directement à son domicile
plutôt que de se rendre d'abord au bureau permanent de
Western.
7. Dans tous les autres cas, Merten se rendait au, bureau
permanent et en repartait.
8. En vertu de son contrat d'emploi, Merten était tenu d'utili-
ser son propre véhicule pour ses déplacements dans le cadre de
ses fonctions et d'en acquitter les frais.
9. Pour ses déplacements entre le bureau permanent mentionné
au paragraphe 2 et les chantiers temporaires de construction
mentionnés au paragraphe 3, Merten a acquitté des frais
d'automobile et d'autres frais connexes s'élevant à 4 617,43 $;
le ministère du Revenu national a accepté la déduction de cette
somme contre le revenu de Merten.
10. Pour ses déplacements entre son domicile situé au 983,
chemin Edgemont N.W., à Calgary, et les chantiers temporai-
res de construction mentionnés au paragraphe 3, Merten a
acquitté des frais d'automobile s'élevant à 2 172,67 $; le minis-
tère du Revenu national a refusé de permettre la déduction de
cette somme en entier contre le revenu de Merten.
11. Merten a reçu de Western une allocation pour frais de
déplacement s'élevant à 4 800,00 $, qui fut comprise dans le
revenu déclaré pour l'année d'imposition 1981.
12. Les montants réclamés par le contribuable ne sont pas
arbitraires ni excessifs si leur déductibilité est autrement admis
sible en vertu de l'alinéa 8(1)h) de la Loi de l'impôt sur le
revenu (Canada).
Les points en litige
La disposition litigieuse de la Loi de l'impôt sur
le revenu [S.C. 1970-71-72, chap. 63] est l'alinéa
8(1)h). De façon générale, le paragraphe 8(1)
énumère les déductions que les contribuables peu-
vent faire sur leur revenu d'une charge ou d'un
emploi, notamment
8. (1) ...
h) lorsque le contribuable, dans l'année,
(i) a été, d'une manière habituelle, tenu d'exercer les fonc-
tions de son emploi ailleurs qu'au lieu même de l'entreprise
de son employeur ou à différents endroits,
(ii) a été tenu, en vertu de son contrat d'emploi, d'acquitter
les frais de déplacement engagés par lui pour l'accomplisse-
ment des fonctions de sa charge ou de son emploi, et
(iii) n'a pas reçu d'allocation pour frais de déplacement qui,
en vertu du sous-alinéa 6(1)b)(v), (vi) ou (vii), n'était pas
incluse dans le calcul de son revenu, et n'a pas réclamé de
déduction pour l'année en vertu de l'alinéa e) j) ou g),
les sommes qu'il a dépensées pendant l'année aux fins de
déplacements pour exercer les fonctions de son emploi;
Dans cette cause, on ne met pas en doute que le
défendeur ait satisfait aux critères énoncés dans les
sous-alinéas 8(1)h)(ii) et (iii). À quelques repri
ses, l'avocat de la demanderesse a semblé remettre
en question le fait que le défendeur se conformait
aux critères de l'alinéa 8(1)h)(i), même s'il avait
indiqué plus tôt au cours des procédures que le
point en litige était de savoir si les frais de déplace-
ment payés par le défendeur pour le transport
entre son domicile et les deux chantiers de cons
truction temporaires constituaient vraiment des
sommes dépensées «aux fins de déplacements pour
exercer les fonctions de son emploi» comme on
l'exige à la fin de l'alinéa h). Dans sa plaidoirie
écrite, le défendeur a repris la même définition du
litige que la demanderesse, et je me confinerai
donc à cet aspect de la question.
Conclusions
Dans sa décision confirmant l'appel du défen-
deur, la Cour canadienne de l'impôt a indiqué qu'à
son avis la décision Luks, Herman v. Minister of
National Revenue' aurait dans le passé interdit la
déduction des frais de déplacement entre le domi
cile et n'importe quel lieu de travail, notamment le
bureau permanent et les chantiers de construction,
mais que depuis la décision du juge en chef adjoint
Jerome dans la cause La Reine c. Chrapko (G.R.) 2
il existait un précédent contraignant qui l'autori-
sait à déduire ces frais. Le raisonnement à l'appui
de cette opinion reposait sur le fait que dans la
décision Luks on avait considéré qu'une personne
ne pouvait répondre à l'exigence «aux fins de
déplacements pour exercer les fonctions de son
' [1959] R.C.É. 45.
2 [1984] CTC 594 (C.F. 1" inst.).
emploi» précisée à la fin de l'alinéa 8(1)h) que si le
déplacement comprenait réellement la prestation
d'un service et non pas seulement le fait de se
rendre à son lieu de travail. Toutefois, dans la
décision Chrapko, la Section de première instance
de la Cour fédérale du Canada a considéré que
l'expression «pour exercer les fonctions de son
emploi» n'interdisait pas la déductibilité des frais
dans un cas semblable. La Cour canadienne de
l'impôt s'est considérée liée par, la plus récente
décision dans l'affaire Chrapko.
Depuis que la décision a été rendue par la Cour
canadienne de l'impôt, la Cour d'appel fédérale du
Canada a rendu une décision en appel dans l'af-
faire Chrapko 3 . Les deux parties au présent appel
interprètent de façon quelque peu différente la
décision de la Cour d'appel fédérale. Selon le
défendeur, la Cour d'appel fédérale a implicite-
ment adopté les motifs du juge de première ins
tance mais en aurait modifié l'application. De
l'avis de la demanderesse, la Cour d'appel fédérale
aurait «renversé» la décision du tribunal de pre-
mière instance.
Il n'est pas nécessaire d'interpréter ici la déci-
sion de la Cour d'appel fédérale; il suffit d'en saisir
l'effet pratique. En première instance, le juge en
chef adjoint avait déclaré que le contribuable dans
l'affaire Chrapko avait le droit de déduire ses frais
de déplacement entre son domicile et trois diffé-
rentes pistes de course où il travaillait comme
guichetier des paris mutuels pour le compte de
l'Ontario Jockey Club. Le contribuable habitait à
Niagara Falls. Il devait se rendre à deux pistes de
course différentes à Toronto; il y passait en tout
environ les trois quarts de ses heures de travail. Il
devait aussi se rendre à Fort Erie où il passait le
reste de ses heures de travail. La Cour d'appel a
infirmé la décision du juge de première instance en
permettant au contribuable de déduire uniquement
ses frais de déplacement entre son domicile et la
piste de course de Fort Erie parce que, de l'avis de
la Cour, le contribuable n'avait le droit de déduire
que ses frais de déplacement
[TRADUCTION] ... engagés ... pour se rendre ailleurs qu'aux
lieux où il exerçait habituellement ses fonctions ... 4
3 Chrapko (G.R.) c. La Reine, [1988] 2 C.T.C. 342 (C.A.F.).
4 Ibid., à la p. 344.
Il est vrai que le raisonnement adopté par le juge
en chef adjoint en première instance dans la déci-
sion Chrapko semblerait accorder bien peu ou pas
d'importance à l'expression «aux fins de déplace-
ments pour exercer les fonctions de son emploi»,
pourvu que les autres critères de l'alinéa 8(1)h)
soient respectés. En appel, la Cour d'appel a
implicitement limité la portée de cette expression
en reconnaissant qu'un contribuable peut déduire
ses frais de déplacement entre son domicile et son
lieu de travail, pourvu que ce lieu soit autre que
celui où il travaille «habituellement». Dans le
passé, la Commission de révision de l'impôt avait
rendu des décisions semblables par lesquelles elle
permettait de déduire des frais de déplacement de
son domicile à son lieu de travails. Ces décisions
ne semblent guère conformes aux motifs invoqués
par le juge Thurlow (alors juge puîné) dans la
décision Luks» qui interdiraient la déduction des
frais de déplacement entre le domicile et le lieu de
travail à moins que le déplacement lui-même ne
consiste en la prestation de services, par exemple la
livraison. Néanmoins, il est manifeste dans la
décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire
Chrapko 7 et implicite dans la décision antérieure
de la Cour dans Healy c. R. 8 que les motifs de la
décision Luks ne s'appliquent plus de façon à
interdire toute déduction des frais de déplacement
dans les cas où le déplacement ne constitue pas la
prestation d'un service pour l'employeur.
En application de la règle établie par la Cour
d'appel fédérale dans la décision Chrapko, j'ai
conclu que le défendeur en l'instance était tenu de
se rendre à des lieux de travail, c'est à dire les
chantiers de construction, autres que son lieu habi-
tuel de travail qui était le bureau permanent de
Western Electrical Constructors Limited. L'avo-
cat de la demanderesse a allégué qu'on ne m'avait
pas présenté de preuve indiquant quel était le lieu
de travail habituel du défendeur. Je crois que je
peux déduire ce fait à partir du texte de l'exposé
5 Voir Klue, JT c. MRN, [1976] CTC 2401 (C.R.I.); et Dale
(JB) c. MRN, [1977] CTC 2208 (C.R.I.), par exemple.
6 Précité, note 1.
'Précité, note 3.
s [1979] 2 C.F. 49 (C.A.): à la page 55 de cette décision,
l'affirmation que l'objectif de l'alinéa 8(1)h) est de permettre à
l'employé qui travaille de temps à autre «ailleurs qu'aux lieux
mêmes de l'entreprise de son employer» de déduire ses frais de
déplacement a été explicitement confirmée par la Cour dans la
décision Chrapko.
conjoint des faits: il s'agit du «bureau permanent»
de l'employeur situé au 330 - 11th Avenue S.W., à
Calgary, alors que les «chantiers de construction
temporaires» étaient l'hôtel Delta et Heritage
Square. Il est convenu que le défendeur exerçait
au bureau des fonctions de gestion bien plus
importantes que ses responsabilités sur les deux
chantiers de construction temporaires. Je crois
que je peux conclure que le «bureau permanent»
serait l'endroit où le défendeur. travaillait «habi-
tuellement» durant les années passées au service de
Western, c'est-à-dire de 1977 à 1988, et que sa
participation à deux chantiers de construction
«temporaires» était d'une nature moins régulière.
J'accepte les arguments avancés par l'avocat du
défendeur, qui propose que pour définir ce qui est
«habituel> on puisse regarder au-delà de l'année
d'imposition en question de manière à déterminer
les caractéristiques à long terme du travail du
défendeur.
Par conséquent, je rejette l'appel. Il avait été
convenu avec le ministre que, conformément au
paragraphe 178(2) [mod. par S.C. 1980-81-82-83,
chap. 158, art. 58, numéro 2; 1984, chap. 45, art.
75] de la Loi de l'impôt sur le revenu (que ce
paragraphe soit ou non encore en vigueur), les
dépens seraient à la charge du ministre quelle que
soit la décision de la Cour. De toute façon,
comme l'appel est rejeté, les dépens sont à la
charge du ministre et pour le défendeur.
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