T-3180-90
Southam Inc., Lower Mainland Publishing Ltd.,
Rim Publishing Inc., Yellow Cedar Properties
Ltd., North Shore Free Press Ltd., Specialty
Publishers Inc., Elty Publications Ltd. (demande-
resses)
c.
Le procureur général du Canada, le Tribunal de la
concurrence et le directeur des enquêtes et recher-
ches en vertu de la Loi sur la concurrence
(défendeurs)
RÉPERTORIÉ: SOUTHAM INC. c. CANADA (PROCUREUR GÉNÉ-
RAL) (1' e INST.)
Section de première instance, juge MacKay —
Toronto, 24 janvier; Ottawa, 13 février 1991.
Coalitions — Demande visant à suspendre toute procédure
en instance devant le Tribunal de la concurrence en attendant
que des tribunaux d'appel rendent leur décision sur la consti-
tutionnalité du Tribunal de la concurrence — Application des
principes régissant les injonctions interlocutoires — Le fait
qu'il existe des décisions contradictoires sur des questions
d'ordre constitutionnel indique que des questions sérieuses ont
été soulevées — Les requérantes risquent de subir un préjudice
irréparable, étant donné qu'elles seront exposées à des procé-
dures qui peuvent s'avérer inutiles, ainsi qu'à des dépenses de
temps et d'argent qui ne pourront être compensées si l'on
tranche les questions d'ordre constitutionnel en leur faveur —
Le préjudice que le public risque de subir l'emporte sur le
préjudice que risquent de subir les requérantes si la suspension
est accordée et que la constitutionnalité du Tribunal est
confirmée.
Pratique — Suspension d'instance — Les mêmes principes
régissent les demandes de suspensions d'instance et les deman-
des d'injonction interlocutoire — Le requérant doit démontrer
qu'il existe une question sérieuse à trancher, qu'il subira un
préjudice irréparable et que la prépondérance des inconvé-
nients favorise la suspension — Lorsque la constitutionnalité
des dispositions législatives qui régissent l'instance est contes-
tée, l'intérêt public est un facteur spécial dont il faut tenir
compte dans l'appréciation de la prépondérance des inconvé-
nients.
Juges et tribunaux — Courtoisie judiciaire — La Cour
supérieure du Québec a statué que l'art. 92 de la Loi sur la
concurrence contrevenait à la Déclaration canadienne des
droits et à la Charte et que le Tribunal de la concurrence
enfreignait les exigences constitutionnelles d'impartialité et
d'indépendance — Le Tribunal de la concurrence a confirmé sa
propre constitutionnalité — Les deux décisions ont été portées
en appel — Requête visant à suspendre toute procédure devant
le Tribunal de la concurrence, en attendant que des tribunaux
d'appel rendent leur décision concernant des questions d'ordre
constitutionnel — La Cour fédérale respecte la décision rendue
dans l'affaire entendue au Québec mais est contrainte d'exer-
cer son propre pouvoir discrétionnaire.
La Southam Inc., qui publie deux quotidiens qui sont diffusés
à Vancouver et dans le Lower Mainland de la Colombie-Britan-
nique, a acquis des intérêts directs et indirects dans plusieurs
autres entreprises de distribution et d'imprimerie du Lower
Mainland. La Southam et d'autres sociétés requérantes ont pris
des engagements tenus pour distincts aux termes desquels elles
ont convenu de maintenir le statu quo qui existait à l'époque où
la Southam avait acquis ses intérêts, en attendant que le
directeur rende sa décision à la suite de son enquête. Après que
la Southam eut donné avis que les engagements en question ne
seraient pas prorogés, le directeur a demandé au Tribunal de la
concurrence de rendre des ordonnances obligeant la Southam à
se départir de ses intérêts dans trois publications.
Il s'agit d'une demande visant à suspendre toute procédure
en instance devant le Tribunal de la concurrence relativement à
une demande présentée par le directeur des enquêtes et recher-
ches aux termes de l'article 92 de la Loi sur la concurrence.
L'article 92 autorise le Tribunal à ordonner la dissolution d'une
fusion ou à empêcher des parties de procéder à une fusion. Les
requérantes sont également les demanderesses dans une action
en jugement déclaratoire portant que l'article 92 de la Loi sur
la concurrence est inconstitutionnel et que le Tribunal, dans la
forme où il est constitué, viole la Charte et est contraire aux
articles 96 et 101 de la Loi constitutionnelle de 1867. La Cour
supérieure du Québec a statué que l'article 92 contrevenait à la
Déclaration canadienne des droits et à la Charte, et que le
Tribunal enfreignait les exigences constitutionnelles d'impartia-
lité et d'indépendance parce qu'il compte parmi ses membres
des personnes gardant des liens avec des institutions publiques
et privées. Mais, dans la décision NutraSweet, le Tribunal de la
concurrence a confirmé sa propre constitutionnalité. Les deux
décisions ont été portées en appel. La Cour d'appel du Québec
a confirmé l'ordonnance suspendant toute procédure en ins
tance devant le Tribunal de la concurrence en attendant qu'une
décision soit rendue au sujet des questions d'ordre constitution-
nel. Les requérantes tentent d'obtenir une ordonnance suspen-
dant toute procédure devant le Tribunal en attendant que soient
tranchées deux affaires en instance devant des tribunaux d'ap-
pel, ou en attendant qu'une décision définitive soit prononcée
au sujet de l'action qu'elles ont introduite devant la présente
Cour.
Jugement: la demande devrait être rejetée.
Les principes qui régissent les demandes de suspension d'ins-
tance sont les mêmes que ceux qui régissent les demandes
d'injonction interlocutoire. La partie qui cherche à obtenir une
suspension doit faire la preuve qu'il existe une question sérieuse
à juger, qu'elle subirait un préjudice irréparable si la suspension
n'était pas accordée et que d'autres facteurs à prendre en
considération dans l'appréciation de la prépondérance des
inconvénients justifient la suspension. Lorsqu'une suspension
est demandée en se fondant sur le motif que les dispositions
législatives qui régissent l'instance font l'objet d'une contesta-
tion constitutionnelle, l'intérêt public doit être considéré comme
un facteur spécial dont il faut tenir compte dans l'appréciation
de la prépondérance des inconvénients.
Le fait qu'il existe des décisions contradictoires sur les ques
tions constitutionnelles indique que des questions sérieuses ont
été soulevées.
En attendant que l'on règle les questions constitutionnelles
soulevées, les requérantes risquent de subir un préjudice irrépa-
rable si l'on ne suspend pas les procédures devant le Tribunal de
la concurrence. Le fait de poursuivre les procédures avant que
soient réglées les questions d'ordre constitutionnel exposerait les
requérantes à des procédures qui peuvent s'avérer inutiles, ainsi
qu'à des dépenses de temps et d'argent qui ne pourront être
compensées si l'on tranche en fin de compte les questions
d'ordre constitutionnel en leur faveur. La Cour prend connais-
sance d'office qu'il est possible que les engagements en question
soient considérables. Il est plus probable que les objections que
les requérantes ont soulevées au sujet des procédures du Tribu
nal soient accueillies, en raison du fait qu'une cour supérieure a
tranché les questions d'ordre constitutionnel d'une manière qui
étaye la position des requérantes. L'inquiétude exprimée au
sujet de la divulgation éventuelle de renseignements commer-
ciaux confidentiels au cours de procédures devant le Tribunal
n'est pas un motif pour conclure à l'existence d'un préjudice
irréparable car le Tribunal est habilité à rendre des ordonnan-
ces de confidentialité. Il est possible que des renseignements
confidentiels soient dévoilés, mais, à ce stade-ci, on peut diffici-
lement considérer que ce risque est une conséquence probable
des procédures du Tribunal. On ne peut présumer que l'issue
des procédures (c.-à-d., celle des ordonnances obligeant la
Southam à se départir de ses intérêts dans certaines publica
tions) est réglée d'avance. Les requérantes pourraient de plus
demander que l'on suspende l'application des ordonnances en
attendant que les questions d'ordre constitutionnel soient
résolues.
Quant à la prépondérance des inconvénients, le risque de
préjudice à l'intérêt public l'emporte sur le risque possible de
préjudice aux requérantes. Si l'on rendait une ordonnance de
suspension mais que la composition du Tribunal était par la
suite confirmée et que le pouvoir légiféré qui lui a été conféré à
l'égard des fusions était jugé valide, cela porterait atteinte de
diverses façons à l'intérêt public. Les prétendus effets anticon-
currentiels de la fusion pourraient ne pas être tous atténués en
dépit des engagements tenus pour distincts. Une ordonnance de
suspension d'instance pourrait avoir valeur de précédent dans
d'autres procédures analogues, au moins dans celles qui mettent
en cause des fusions, engagées devant le Tribunal de la concur
rence. Le fait de suspendre indéfiniment les procédures se
déroulant devant le Tribunal aggraverait les problèmes de
preuve et de plaidoiries aux audiences différées du Tribunal.
Qui plus est, cela ajouterait à l'incertitude qui entoure les
dispositions législatives relatives aux fusions et aux activités du
Tribunal, non seulement en attendant que les questions consti-
tutionnelles soient réglées, mais par la suite jusqu'au règlement
des procédures que la suspension que l'on cherche ici à obtenir
différerait.
Quant au moyen tiré de la courtoisie judiciaire — la Cour
d'appel du Québec a confirmé la suspension de l'instance se
déroulant devant le Tribunal de la concurrence — la Cour
respecte cette décision mais doit exercer son propre pouvoir
discrétionnaire.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 44], art. 2d).
Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appen-
dice I11, art. lc).
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3
(R.-U.) (mod. par Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de
1982, n° 1) [L.R.C. (1985), appendice II, n° 5], art. 96,
101.
Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), chap. C-34 (mod.
par L.R.C. (1985) (2° suppl.), chap. 19, art. 19), art.
1.1 (édicté, idem), 10 (mod., idem, art. 23), 45 (mod.,
idem, art. 30), 45.1 (édicté, idem, art. 31), 92 (édicté,
idem, art. 45), 97 (édicté, idem).
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art.
18.
Loi sur le Tribunal de la concurrence, L.R.C. (1985) (2'
suppl.), chap. 19, art. 8(2), 16.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles
320(1) (mod. par DORS/88-221, art. 5), 332(1).
Règles du Tribunal de la concurrence, DORS/87-373,
Règles 15, 40(2).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores
Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110; (1987), 38 D.L.R. (4th) 321;
[1987] 3 W.W.R. 1; 46 Man. R. (2d) 241; 25 Admin.
L.R. 20; 87 CLLC 14,015; 18 C.P.C. (2d) 273; 73 N.R.
341.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Yri-York Ltd. c. Canada (Procureur général), [1988] 3
C.F. 186; (1988), 30 Admin. L.R. 1; 16 F.T.R. 319; 83
N.R. 195 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Couture Inc. c. Canada (Procureur général) (1990), 69
D.L.R. (4th) 635 (C.S.Qué.); Canada (Directeur des
enquêtes et recherches) c. NutraSweet Co. (1990), 32
C.P.R. (3d) 1 (Trib. cone.); Canada (Procureur général)
c. Alex Couture Inc., [1987] R.J.Q. 1971; (1987), 14
Q.A.C. 259; 18 C.P.R. (3d) 382 (C.A.); General Motors
of Canada Ltd. c. City National Leasing, [1989] 1
R.C.S. 641; (1989), 58 D.L.R. (4th) 255; 24 C.P.R. (3d)
417; 93 N.R. 326; 32 O.A.C. 332.
DOCTRINE
McKenna Christine Boersma «Hold Separate Orders in
Government Antimerger suits» (1982), 70 Georgetown
L.J. 1337.
Note «Preliminary Relief for the Government under Sec
tion 7 of the Clayton Act» (1965), 79 Harv. L.R. 391.
AVOCATS:
G. F. Leslie et R. E. Kwinter pour les
demanderesses.
S. Wong et L. Rhul pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Blake, Cassels & Graydon, Toronto, pour les
demanderesses.
Le sous-procureur général du Canada pour
les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MACKAY: Il est question ici d'une
demande, présentée en vertu de l'article 18 de la
Loi sur la Cour fédérale', pour que soit rendue
une ordonnance de prohibition suspendant toute
procédure en instance devant le Tribunal de la
concurrencez relativement à une demande déposée
auprès du Tribunal, le 29 novembre 1990, par le
directeur des enquêtes et recherches aux termes de
l'article 92 de la Loi sur la concurrence'.
Contexte
Les requérantes sont les demanderesses dans
une action introduite par la voie d'une déclaration
déposée auprès de la présente Cour, le 3 décembre
1990, par laquelle elles cherchent à obtenir qu'il
soit statué que certaines dispositions de la Loi sur
la concurrence, y compris l'article 92, et la Loi sur
le Tribunal de la concurrence contreviennent aux
dispositions de la Charte canadienne des droits et
libertés 4 et de la Déclaration canadienne des
droits 5 , et que le Tribunal, dans la forme où il est
constitué, viole la Charte et est contraire aux
articles 96 et 101 de la Loi constitutionnelle de
1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) (mod. par la
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de
1982, n° 1) [L.R.C. (1985), appendice II, n° 5]].
Les demanderesses cherchent aussi à obtenir une
ordonnance interdisant les procédures engagées
devant le Tribunal de la concurrence à la suite
d'une demande de la part du Directeur. L'avis de
L.R.C. (1985), chap. F-7.
2 Tel qu'établi par la [Loi sur le Tribunal de la concurrence]
L.R.C. (1985) (2' suppl.), chap. 19.
3 L.R.C. (1985), chap. C-34, mod. [par L.R.C. (1985) (2'
suppl.), chap. 19, art. 19, 45].
° Voir la Loi constitutionnelle de 1982, Partie I, telle qu'a-
doptée par la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), annexe B,
(L.R.C. (1985), appendice II, n° 44).
S.C. 1960, chap. 44, Partie I, telle que modifiée. (Voir
L.R.C. (1985), appendice III.)
requête par lequel a été introduite cette demande
d'ordonnance de suspension, initialement déposé le
4 décembre 1990, a été remplacé par un avis de
dépôt de requête, en date du 17 décembre 1990 et
comportant essentiellement les mêmes dispositions
quant au fond. Les requérantes tentent d'obtenir
une ordonnance suspendant toute procédure
devant le Tribunal en attendant que soient tran-
chées deux affaires en instance devant des tribu-
naux d'appel 6 , ainsi que tout appel découlant des
décisions rendues, affaires dans le cadre desquelles
sont analysées les questions principales que les
requérantes ont soulevées dans leur déclaration, ou
en attendant qu'une décision définitive soit pro-
noncée au sujet de l'action que les requérantes ont
introduite devant la présente Cour.
À l'audition de la présente demande, les deman-
deresses, toutes désignées comme intimées par le
Directeur des enquêtes et recherches dans la
demande présentée devant le Tribunal de la con
currence, étaient collectivement représentées par
des procureurs. Les défendeurs, le procureur géné-
ral du Canada et le Directeur des enquêtes et
recherches en vertu de la Loi sur la concurrence,
étaient collectivement représentés par des procu-
reurs. Le Tribunal de la concurrence n'était pas
représenté.
La Southam, société requérante, constituée en
vertu des lois du Canada et ayant son siège à
Toronto, a pour entreprise de publier des journaux
et d'exécuter des activités connexes dans diverses
provinces du Canada. Par l'entremise d'une filiale
en propriété exclusive, constituée en Colombie-Bri-
tannique, la Southam possède et publie deux quoti-
diens, le Province et le Vancouver Sun, tous deux
diffusés dans toute la région métropolitaine de
Vancouver et dans ce que l'on appelle le Lower
Mainland (les basses-terres continentales) de la
Colombie-Britannique. Les procédures entamées
devant le Tribunal de la concurrence découlent de
mesures que la Southam a prises pour étendre ses
activités de publication et d'impression en faisant
l'acquisition d'autres entreprises dans le Lower
Mainland de la Colombie-Britannique.
6 Couture Inc. c. Canada (Procureur général) (1990), 69
D.L.R. (4th) 635 (C.S. Qué.), appel en instance devant la C.A.
Qué.; Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Nutra-
Sweet Co. (1990), 32 C.P.R. (3d) 1, (Trib. conc.), appel en
instance devant la C.A.F.
Dans le cadre d'une série d'opérations conclues
entre les demanderesses et d'autres sociétés le 27
janvier 1989 et, plus tard, le 8 mai 1990, la
Southam acquit des intérêts directs et indirects
dans quelque 13 journaux de portée locale (dont le
Vancouver Courier et le North Shore News), une
revue de publicité immobilière (Real Estate
Weekly), trois entreprises de distribution de pros
pectus et deux imprimeries, toutes exploitées dans
le Lower Mainland de la Colombie-Britannique.
Avant qu'ait lieu la première de ces opérations,
par laquelle la Southam acquit un intérêt minori-
taire dans l'une des sociétés demanderesses, la
Southam fit part au Directeur des enquêtes et
recherches de l'opération en question en décembre
1988. Par la suite, elle communiqua les renseigne-
ments que le Directeur demanda et, au mois de
mars 1989, cclui-ci confirma par écrit, comme la
Southam l'avait demandé, que cette opération ini-
tiale [TRADUCTION] «de l'avis du Directeur des
enquêtes et recherches, ne l'incitera pas à entre-
prendre une enquête en vertu de l'article 10 [mod.,
idem, art. 23] de la Loi sur la concurrence ou de
présenter une demande au Tribunal de la concur
rence en vertu de l'article 92 de la Loi». Cette
opinion était considérée comme soumise aux dispo
sitions de l'article 97 [édicté, idem, art. 45] de la
Loi, qui prescrit qu'une demande peut être faite à
l'égard d'un fusionnement (c'est-à-dire, aux termes
de l'article 92) jusqu'à trois ans après que l'opéra-
tion a été exécutée en substance.
Il semble qu'aucun renseignement n'ait été
fourni au préalable au Directeur au sujet des
opérations qui eurent lieu plus tard, en mai 1990,
et qui menèrent à l'acquisition, par la Southam,
d'intérêts directs et indirects dans les autres socié-
tés requérantes et dans un certain nombre de
publications. Par la suite, à la demande du Direc-
teur, la Southam fournit des renseignements au
sujet de ces opérations et, le 7 juin 1990, la
Southam et d'autres sociétés requérantes prirent,
par l'entremise de leurs dirigeants, des engage
ments tenus pour distincts, par lesquels lesdites
sociétés convinrent de prendre des mesures prescri-
tes, toutes conçues pour maintenir le statu quo, tel
qu'il existait à l'époque où la Southam avait acquis
ses intérêts, sans autre changement aux rapports
ou à l'intégration des diverses sociétés demanderes-
ses et de leurs publications, et ce, en attendant que
le Directeur se prononce, à la suite de son enquête,
sur le fusionnement que constituaient les opéra-
tions. Lesdits engagements, pris transitoirement,
furent prorogés à l'occasion et modifiés, en exemp-
tant apparemment des entreprises et des publica
tions qui, selon le Directeur, ne lui étaient plus
utiles pour son enquête. Avis fut donné au mois de
novembre, pour le compte de la Southam, que les
engagements ne seraient plus prorogés. Par la
suite, ainsi qu'il fut noté, le Directeur demanda au
Tribunal de la concurrence de rendre des ordon-
nances qui, si elles étaient octroyées, obligeraient
la Southam à se départir de ses intérêts dans les
trois publications mentionnées, soit le Vancouver
Courier, le North Shore News et le Real Estate
Weekly.
Quand la demande fut déposée auprès du Tribu
nal de la concurrence, que l'action et la présente
requête des requérantes furent entamées et que
l'affaire fut entendue, des décisions, aujourd'hui en
instance d'appel, avaient été rendues au sujet des
questions principales que les requérantes soule-
vaient dans leur action. Ainsi, dans l'affaire Cou-
ture Inc. c. Canada (Procureur général)', le juge
Philippon, de la Cour supérieure du Québec,
décréta, dans une décision qu'il rendit le 6 avril
1990, que les dispositions de la Loi sur la concur
rence, dont l'article 92, qui autorise le Tribunal de
la concurrence à ordonner la dissolution d'une
fusion ou que des parties ne procèdent pas à une
fusion, violent les droits d'association qui sont
protégés en vertu de l'alinéa Ic) de la Déclaration
canadienne des droits et de l'alinéa 2d) de la
Charte canadienne des droits et libertés. Il statua
aussi que le Tribunal de la concurrence était une
cour investie de pouvoirs étendus en matière d'en-
quêtes et de décisions et qu'il enfreignait les exi-
gences constitutionnelles d'impartialité et d'indé-
pendance par suite de l'inclusion de non-juristes
gardant des liens avec des institutions publiques et
privées. L'affaire fut portée en appel devant la
Cour d'appel du Québec, et elle est actuellement
en instance. La seconde décision, qui est datée du 4
octobre 1990, et que le Tribunal de la concurrence
a lui-même rendue dans l'affaire NutraSweet 8 ,
arriva à la conclusion opposée à celle de la décision
que le juge Philippon rendit dans l'affaire Couture
7 Précitée, note 6.
8 Précitée, note 6.
Inc. relativement à la question de la constitution-
nalité du Tribunal. Cette décision fut portée en
appel, en accord avec la Loi sur le Tribunal de la
concurrence, devant la Cour d'appel fédérale.
Canada (Procureur général) c. Alex Couture
Inc. 9 est une autre décision, rendue par la Cour
d'appel du Québec, qui est pertinente en l'espèce.
Dans cette affaire, la Cour a confirmé l'ordon-
nance accordée par le juge des requêtes de la Cour
supérieure, laquelle ordonnance avait pour objet de
suspendre les procédures engagées devant le Tribu
nal de la concurrence jusqu'à la date fixée pour
l'audition de l'action visant à déclarer nulles et
inopérantes certaines dispositions de la Loi sur la
concurrence, action qui mena à la décision que prit
ultérieurement le juge Philippon. L'ordonnance de
suspension d'instance fut prorogée en attendant
qu'une décision soit rendue au sujet des questions
d'ordre constitutionnel en jeu, à la condition que
les sociétés en cause s'engagent à restreindre l'inté-
gration des opérations constituant la fusion 10 .
La question en litige et le critère permettant de la
régler
La question que soulève la demande est celle de
savoir si la Cour devrait user du pouvoir discré-
tionnaire que lui confère l'article 18 de la Loi sur
la Cour fédérale pour suspendre des procédures du
Tribunal de la concurrence. La Cour d'appel, dans
l'arrêt Yri-York Ltd. c. Canada (Procureur
général) ", a réglé la question de ce pouvoir, ainsi
que celle du pouvoir parallèle prévu à l'article 50.
Les parties sont convenues que le critère qui régit
l'exercice du pouvoir discrétionnaire des juges à
l'égard des demandes de suspension d'instance
pour cause de contestation de dispositions constitu-
tionnelles et celui qu'a énoncé le juge Beetz dans
l'arrêt Manitoba (Procureur général) c. Metropo
litan Stores Ltd 12 . Dans cette affaire, le juge
Beetz, qui s'exprimait au nom de la Cour, a déter-
miné que les principes qui régissent les demandes
de suspension d'instance dans les affaires de cette
nature sont les mêmes que ceux qui régissent les
9 [1987] R.J.Q. 1971; (1987), 18 C.P.R. (3d) 382 (C.A.).
10 Le juge Philippon, dans l'arrêt Couture Inc., précité, note
6, à la p. 640.
" [1988] 3 C.F. 186 (C.A.), juge Heald, J.C.A., aux p. 195 à
200.
12 [1987 1 R.C.S. 110.
demandes d'injonction interlocutoire. C'est-à-dire
que la partie qui cherche à obtenir une suspension
doit faire la preuve qu'il existe une question
sérieuse à juger, qu'elle subirait un préjudice irré-
parable si la suspension demandée n'était pas
accordée et que d'autres facteurs à prendre en
considération dans l'appréciation de la prépondé-
rance des inconvénients étayent la suspension. Le
juge Beetz a déclaré que, lorsqu'une suspension est
demandée en se fondant sur le motif que les dispo
sitions législatives qui régissent l'instance font l'ob-
jet d'une contestation constitutionnelle, l'intérêt
public doit être considéré comme un facteur spé-
cial dont il faut tenir compte dans l'appréciation
de la prépondérance des inconvénients 13 .
Le critère des questions sérieuses
Il est allégué pour les requérantes, et les procu-
reurs des intimés le concèdent, que les questions
constitutionnelles que celles-ci soulèvent dans l'ac-
tion introduite présentent effectivement des ques
tions sérieuses qu'il faut juger. Le fait que la Cour
supérieure du Québec ait tranché les questions
principales en faveur des requérantes, encore que
cette décision soit en instance d'appel, et que le
Tribunal de la concurrence ait déterminé autre-
ment certaines des mêmes questions, une décision
qui est aujourd'hui en instance devant la Cour
d'appel fédérale, est une indication suffisante que
l'on a soulevé des questions sérieuses.
Le préjudice irréparable qu'ont subi les requéran-
tes
La deuxième exigence à laquelle les requérantes
doivent satisfaire, conformément au critère fixé
par l'arrêt Metropolitan Stores, est de convaincre
la Cour que celles-ci subiront un préjudice irrépa-
rable si l'on ne suspend pas les procédures enga
gées devant le Tribunal de la concurrence en atten
dant que soient réglées des contestations d'ordre
constitutionnel à la législation applicable. Un pré-
judice irréparable est bien sûr un préjudice que
l'on ne peut réparer facilement au moyen de
dommages-intérêts.
Le préjudice irréparable qu'anticipent les requé-
rantes, advenant que les procédures engagées
devant le Tribunal de la concurrence se poursui-
vent et qu'il soit déterminé par la suite que ces
13 Idem, à la p. 149.
procédures sont invalides, est exprimé dans un
affidavit établi sous serment par M. Paul Renaud,
vice-président aux finances du Groupe Southam, et
déposé à l'appui de la demande. Le passage perti
nent de ce document (paragraphe 13) est libellé en
ces termes:
[TRADUCTION] Des conseillers juridiques m'ont indiqué et je
crois fermement que, si le Tribunal entendait complètement le
fond de l'affaire, la Southam subirait un préjudice irréparable
et, notamment:
a) la direction consacrera beaucoup de temps et d'argent à se
préparer aux audiences du Tribunal et à y participer, audiences
qui pourraient être considérées au bout du compte comme
nulles et non avenues;
b) lors des audiences du Tribunal seraient largement divul-
gués des renseignements confidentiels sur la Southam et ses
activités commerciales, sous forme de production de documents
et de témoignages verbaux sous serment, un fait qui présente le
risque de porter atteinte à la situation commerciale et concur-
rentielle de la Southam, d'autant plus que l'on pourrait accor-
der le droit d'intervenir à des personnes dont les intérêts sont
contraires à ceux de la Southam; et
c) si la demande du Directeur était retenue, la Southam
pourrait être tenue de se départir d'une partie ou de la totalité
des éléments d'actif auxquels la demande se rapporte. Il ne
serait vraisemblablement pas possible d'acquérir de nouveau
ces éléments d'actif si l'on annulait par la suite les procédures
engagées devant le Tribunal pour des raisons d'ordre
constitutionnel.
A aussi été déposé pour le compte des requéran-
tes, le 23 janvier 1991, soit la veille de l'audition
de la demande, un affidavit de M. John F.
Howard, membre associé du cabinet d'avocats
représentant les requérantes. Cet affidavit relate
l'expérience de son auteur à l'égard d'autres ins
tances prolongées devant le Tribunal de la concur
rence dans le cadre desquelles le Directeur des
enquêtes et recherches visait à obtenir une ordon-
nance d'agrément au sujet d'une fusion. Selon
l'affidavit, les sous-alinéas a) et c) de l'affidavit de
M. Renaud décrivent un préjudice possible qui
[TRADUCTION] «cadre parfaitement avec l'expé-
rience que j'ai des procédures de cette nature», et
le sous-alinéa b) évoque la possibilité que des
renseignements confidentiels soient divulgués,
encore qu'il s'agisse là d'une éventualité qui ne
peut être prévue avec certitude. En fait, en ce qui
concerne ce dernier point, la seule expérience qu'a-
vait M. Howard, laquelle est mentionnée dans son
affidavit, était que le Tribunal avait rendu des
ordonnances protégeant des renseignements com-
merciaux de propriété contre toute divulgation.
Les procureurs des intimés ont formulé un cer
tain nombre d'objections aux «éléments de preuve»
exposés dans ces affidavits. Ils sont réputés contre-
venir à la Règle 332(1) [Règles de la Cour fédé-
rale, C.R.C., chap. 6631' 4 . Les procureurs ont cité
plusieurs causes où des affidavits renfermant des
déclarations par ouï-dire sur l'opinion du témoin
n'avaient pas été admis parce que la source des
renseignements n'avait pas été indiquée (dans la
présente espèce, il a été dit que les «conseillers
juridiques» n'avaient pas été identifiés dans le pas
sage introductif du paragraphe de l'affidavit de M.
Renaud), ou que les motifs de l'opinion exprimée
n'avaient pas été exposés. Le procureur des intimés
a également parlé de décisions où l'on s'était dit
insatisfait d'affidavits qu'avaient fournis des avo-
cats. En outre, il a été indiqué que, dans l'affidavit
de M. Renaud, il n'était pas clair que le «conseiller
juridique», qui n'est pas nommé, indique qu'il y a
un risque de préjudice irréparable, un point dont
les requérantes pouvaient avoir connaissance, et,
pour ce qui est de l'affidavit de M. Howard, il a
été dit que ce dernier n'était pas qualifié comme
expert des procédures devant le Tribunal de la
concurrence et que son expérience dans une autre
cause non liée n'avait aucun rapport avec la situa
tion de la Southam et des autres requérantes.
Enfin, les procureurs s'opposent à l'affidavit de M.
Howard qui, selon eux, ne satisfait pas à la Règle
320(1) des Règles de la Cour fédérale [mod. par
DORS/88-221, art. 5] 15 . Le procureur des intimés
a cependant signalé que, si l'affidavit de M.
Howard était admis et se révélait un facteur
important dans la décision sur cette affaire, il
continuerait de s'opposer à son admission car,
étant donné que l'affidavit avait été produit tardi-
vement, il n'avait pas eu l'occasion d'obtenir des
14 La Règle 332(1) prescrit ce qui suit:
Règle 332. (1) Les affidavits doivent se restreindre aux
faits que le témoin est en mesure de prouver par la
connaissance qu'il en a, sauf en ce qui concerne les requê-
tes interlocutoires pour lesquelles peuvent être admises des
déclarations fondées sur ce qu'il croit et indiquant pour-
quoi il le croit.
15 La Règle 320(1) prévoit ce qui suit:
Règle 320. (1) A moins que la Cour n'en ordonne autre-
ment, qu'il ne s'agisse d'une requête visée à la Règle 321.1
ou que la requête ne soit présentée ex parte, l'avis de
requête accompagné des affidavits à l'appui est déposé au
moins deux jours francs avant le jour qui y est mentionné
pour l'audience.
instructions ou d'envisager d'effectuer un contre-
interrogatoire.
Selon moi, aucune de ces exceptions de procé-
dure suffisent pour que la Cour se prononce contre
l'admission du paragraphe 13 de l'affidavit de M.
Renaud ou de celui de M. Howard. Même si le
premier n'est pas rédigé convenablement et que
l'affidavit de M. Howard ne se rapporte pas direc-
tement à la question du préjudice irréparable dont
pourraient souffrir les requérantes en l'espèce, tous
deux portent sur les motifs pour lesquels les requé-
rantes, par l'entremise de l'affidavit de M.
Renaud, qui exprime l'opinion que ce dernier s'est
fait d'après l'avis de conseillers juridiques sur la
nature des procédures devant le Tribunal, considè-
rent, peut-on dire, qu'elles courent un risque de
préjudice irréparable si les procédures du Tribunal
de la concurrence ne sont pas suspendues. Je suis
d'avis d'admettre cette preuve par affidavit et
d'éviter de régler la demande en me fondant sur
des questions de procédure quand, à l'audience, les
procureurs des intimés ont concédé qu'en l'espèce
les procédures devant le Tribunal de la concur
rence nécessiteront vraisemblablement du temps et
un engagement de la part des membres de la
direction et de leurs avocats, ainsi que des dépen-
ses, qui, quoi qu'il advienne, ne seront pas compen-
sés. Je note aussi que, dans l'exposé des faits et du
droit des intimés (paragraphe 40), au sujet d'un
aspect différent de la demande, il est dit qu'une
demande présentée en vertu de la Partie VIII de la
Loi sur la concurrence [édicté, idem] (qui inclut
les procédures relatives aux requérantes en l'es-
pèce) comporte un examen de questions d'ordre
juridique et économique complexes. Il me semble
qu'il n'y a pas là de désaccord avec l'affirmation,
faite pour le compte des requérantes, que les pro-
cédures devant le Tribunal impliqueront vraisem-
blablement une dépense de temps et d'argent qui
ne sera aucunement compensée, même s'il était
jugé au bout du compte que ces procédures sont
frappées de nullité.
Avant de poursuivre, je voudrais dire que je ne
suis pas convaincu que les autres préoccupations
que soulèvent les requérantes justifient de quelque
façon que l'on conclue à un risque de préjudice
irréparable. Leur inquiétude au sujet de la divulga-
tion éventuelle de renseignements commerciaux
confidentiels au cours de procédures devant le
Tribunal n'est pas un motif pour conclure à l'exis-
tence d'un préjudice irréparable. Le Tribunal est
habilité à rendre des ordonnances de
confidentialité 16 , et le procureur des intimés a fait
référence dans sa plaidoirie, à titre d'exemple, aux
ordonnances rendues dans l'affaire NutraSweet au
sujet du caractère confidentiel de documents. Les
procureurs des requérantes ont fait toutefois res-
sortir l'expérience qu'ils avaient au sujet de la
production de la demande portant sur leurs
accords, lorsqu'elles avaient fait valoir qu'il fallait
apposer le sceau de la confidentialité sur certains
des renseignements que comprenait la demande du
Directeur; cependant, à ce stade, le président du
Tribunal n'avait pas retenu cet argument. Malgré
cette expérience, je crois savoir que le Tribunal
étudiera de façon sérieuse les demandes motivées
qu'on lui soumet pour que l'on traite confidentiel-
lement les preuves documentaires particulières que
produisent les requérantes, voire des témoignages
verbaux, notamment celles qui renferment des ren-
seignements susceptibles de présenter une valeur
commerciale aux yeux de concurrents. C'est ce que
l'affidavit de M. Howard semble étayer implicite-
ment. En bref, il est possible que des renseigne-
ments confidentiels soient dévoilés, mais, à ce sta-
de-ci, on peut difficilement considérer que ce
risque est une conséquence probable des procédu-
res du Tribunal, et les préoccupations que suscite
cette question ne constituent pas un fondement à
une conclusion de préjudice irréparable.
Il est vrai que, si les procédures se poursuivent,
il se peut que le Tribunal de la concurrence rende
les ordonnances que cherche à obtenir le Directeur
des enquêtes et recherches, exigeant que la Sou-
tham et d'autres requérantes se départissent d'inté-
rêts dans certaines publications. Il ne fait aucun
doute que de telles ordonnances auraient de sérieu-
ses conséquences pour les requérantes. Ces ordon-
nances ne seraient toutefois rendues qu'après une
audience où les requérantes, en supposant que ces
16 L'art. 8(2) de la Loi sur le Tribunal de la concurrence,
précitée, note 2, investit le Tribunal des «attributions d'une cour
supérieure d'archives», et l'art. 16 autorise ce dernier à établir
des règles régissant ses pratiques et procédures. L'art. 15 des
Règles du Tribunal de la concurrence, DORS/87-373, prévoit
que le Tribunal peut trancher une demande présentée à lui pour
qu'un document ne soit pas accessible au public ou à des
personnes en particulier; et l'art. 40(2) prévoit que, sur
demande, le Tribunal peut ordonner que des procédures ne
soient pas publiques.
dernières croient que leurs accords ne contrevien-
nent pas à la Loi sur la concurrence, aient toutes
les possibilités voulues de convaincre le Tribunal
du bien-fondé de leur cause. En bref, on ne peut
présumer que l'issue des procédures est réglée
d'avance. En outre, si les procédures se poursui-
vent devant le Tribunal de la concurrence et que
l'on rende les ordonnances que le Directeur cher-
che à obtenir avant que soient réglées les questions
d'ordre constitutionnel qui sont soulevées, rien
n'empêcherait les requérantes de demander que
l'on suspende l'application desdites ordonnances en
attendant que les questions d'ordre constitutionnel
soient résolues. La troisième préoccupation qui est
exprimée dans l'affidavit de M. Renaud, à titre de
motif de préjudice irréparable vraisemblable, est
que, s'il était ordonné aux requérantes de se dépar-
tir d'éléments d'actif et s'il était jugé par la suite,
pour des motifs constitutionnels, que le fait de se
départir des éléments d'actif en question et les
procédures du Tribunal étaient invalides, il y
aurait alors peu de chances d'acquérir de nouveau
les éléments d'actif dont les requérantes se seraient
départies. Cette série de faits conditionnels est,
selon moi, par trop spéculative pour conclure à
l'existence d'un préjudice irréparable.
Reste donc, comme fondement à une conclusion
de préjudice irréparable, la préoccupation des
requérantes au sujet de la participation à des
procédures qui, en fin de compte, peuvent être
considérées comme nulles. Reconnaissant que les
requérantes dépenseront du temps et de l'argent
pour les procédures engagées devant le Tribunal de
la concurrence, et ce, selon toute probabilité, avant
que soient réglées définitivement les questions
d'ordre constitutionnel qu'elles ont soulevées, les
intimés font valoir qu'aucune preuve de fait ou
aucun témoignage d'opinion n'indique si cette
dépense sera considérable. Toutefois, en un sens,
tout avis au sujet d'un préjudice irréparable pros-
pectif, une éventualité future, est inévitablement
une question d'opinion, et la seule question qui se
pose véritablement est celle de savoir si le préju-
dice anticipé est raisonnablement fondé. À ce sta-
de-ci, nul ne pourrait prévoir avec exactitude les
engagements que pourraient nécessiter des procé-
dures que les requérantes contesteront selon toute
probabilité. À mon sens, la Cour, dans les circons-
tances de l'espèce, peut prendre judiciairement
connaissance qu'il est raisonnable d'anticiper que
ces engagements peuvent être considérables avant
que les questions d'ordre constitutionnel soient
définitivement réglées. Même si c'est le cas, la
question qui se pose est celle de savoir si cela
constitue un préjudice irréparable. Il n'est pas
surprenant que les parties diffèrent d'opinion sur
la question.
Dans l'affaire Metropolitan Stores, où l'on cher-
chait à obtenir une suspension d'instance dans des
procédures engagées devant la Labour Relations
Board (Commission des relations du travail) du
Manitoba, procédures dont l'objet était d'imposer
une première convention collective, et où l'on met-
tait en doute la validité des dispositions législatives
investissant ce pouvoir à la Commission, le juge
des requêtes détermina que l'imposition d'une pre-
mière convention collective constituerait en soi un
préjudice irréparable s'il était plus tard déterminé
que les dispositions législatives qui prévoyaient
l'imposition de la convention étaient une nullité
constitutionnelle. Cette conclusion ne fut pas con-
testée en appel ".
Dans l'affaire Yri-York Ltd. 18 , la Cour d'appel
fédérale fit droit à un appel de la décision du juge
des requêtes et rendit une ordonnance suspendant
les procédures engagées devant la Commission sur
les pratiques restrictives du commerce en vertu de
la loi qui a précédé l'actuelle Loi sur la concur
rence. Dans cette affaire, la Cour d'appel conclut à
l'existence d'un préjudice irréparable en ce sens
que, en vertu des dispositions législatives applica-
bles, des registres ou des documents produits dans
les procédures auraient pu constituer le fondement
d'une poursuite criminelle subséquente contre les
parties qui avaient reçu l'ordre de les produire
dans des audiences d'enquête que l'ordonnance
demandée visait à faire suspendre. Ce fondement à
une conclusion de préjudice irréparable ne semble
pas être présent en l'espèce car il est impossible
que les accords conclus par la Southam et d'autres
requérantes fassent l'objet d'une poursuite crimi-
" Affaire précitée, note 12, à la p. 151.
18 Affaire précitée, note 11.
pelle, relativement à l'infraction de complot à
laquelle pourraient donner lieu les accords, étant
donné que des procédures ont été engagées en
vertu de l'article 92 de la Loi sur la concurrence'.
Dans l'affaire Alex Couture Inc., qui se rappor-
tait à l'appel relatif à l'octroi d'une suspension
d'instance devant le Tribunal de la concurrence, la
Cour d'appel du Québec analyse brièvement la
question du préjudice irréparable 20 :
Quant au deuxième critère qu'on appelle le «préjudice irrépa-
rable», on le trouve dans le fait que les intimés, en l'absence
d'un sursis, doivent participer à des procédures devant un
tribunal dont ils contestent la constitutionnalité de même que
sa composition.
Pour les requérantes, il est allégué que la Cour
devrait suivre les instructions de la Cour d'appel
du Québec à cet égard; pour les intimés, il est
allégué que la Cour ne devrait pas le faire.
Il est possible de résumer l'inquiétude des requé-
rantes au sujet du préjudice irréparable auquel
elles s'exposent en disant qu'il s'agit de l'obligation
de prendre part à des procédures devant un tribu
nal dont elles doutent de la constitutionnalité de la
composition ainsi que du pouvoir qu'il a de dispo-
ser des questions qui lui sont soumises, et qu'elles
anticipent que leur participation à ces procédures
exigera du temps, des efforts et des dépenses qui
ne seront pas compensés, même si les questions
d'ordre constitutionnel en jeu sont, en fin de
compte, tranchées en leur faveur. De façon géné-
rale, il ne s'agit pas là d'une préoccupation unique;
toute partie qui prend part à des procédures devant
un administrateur, un conseil ou tribunal quelcon-
que dont on conteste le pouvoir pour des motifs
d'ordre constitutionnel éprouverait le même senti
ment. Toutefois, rares sont les causes où un requé-
rant, qui demande que l'on suspende les procédu-
19 La Loi sur la concurrence, précitée, note 3, prévoit dans
l'art. 45(1) [mod., idem, art. 30] qu'il se commet un acte
criminel de complot lorsque des parties s'entendent pour limiter
ou réduire indûment la concurrence, soit le fondement sur
lequel reposent les ordonnances que l'on demande ici au Tribu
nal de la concurrence de rendre en vertu de l'art. 92. L'art. 45.1
de la Loi, édicté, idem, art. 31, prescrit ce qui suit:
45.1 I1 ne peut être entamé de procédures en application
du paragraphe 45(1) contre une personne qui fait l'objet
d'une demande d'ordonnance en vertu de l'article 79 ou 92
lorsque les faits soulevés au soutien de la demande d'or-
donnance sont les mêmes ou en substance les mêmes que
ceux qui seraient soulevés dans les procédures prévues à ce
paragraphe.
20 Affaire précitée, note 9, à la p. 1974 R.J.Q.
res d'un tribunal, sera en mesure d'invoquer une
décision d'une cour supérieure qui a déjà tranché
les mêmes questions d'ordre constitutionnel que
celles que soulèvent le requérant d'une manière qui
étaye sa position. Il me semble que cette circons-
tance rend la présente cause quelque peu inhabi-
tuelle. Selon moi, il y a maintenant plus de chan
ces que les objections des requérantes aux
procédures du Tribunal soient maintenues, plus
qu'avant que la Cour supérieure du Québec ait fait
réponse à ces objections dans l'affaire Couture Inc.
Le fait de poursuivre les procédures avant que
soient réglées les questions d'ordre constitutionnel
en jeu, qui n'ont pas seulement été soulevées par
les requérantes mais qui sont déjà en instance
devant deux tribunaux d'appel dans d'autres
causes, expose les requérantes à des procédures qui
peuvent s'avérer inutiles, ainsi qu'à des dépenses
de temps et d'argent qui ne pourront être compen-
sées si l'on tranche en fin de compte lesdites
questions d'ordre constitutionnel en leur faveur.
Dans les circonstances de l'espèce, je considère
que, en attendant que l'on règle les questions
constitutionnelles soulevées, il y a un risque que les
requérantes subissent un préjudice irréparable si
l'on ne suspend pas les procédures du Tribunal de
la concurrence.
L'évaluation de la prépondérance des inconvé-
nients
Bien sûr, cela ne tranche pas la question, car il
est indispensable de prendre en considération la
prépondérance des inconvénients. Il faut donc
mettre en balance le risque que les requérantes
subissent un préjudice irréparable si l'on ne rend
pas une ordonnance de suspension d'instance avec
le risque que l'on porte préjudice aux intérêts
publics si une ordonnance de cette nature est
rendue. Dans l'affaire Metropolitan Stores, le juge
Beetz a fait remarquer que, dans les cas où il est
demandé de rendre une injonction ou une suspen
sion d'instance contre des administrations publi-
ques, les tribunaux «ont conclu à bon droit que
c'est une erreur que d'agir à leur égard comme s'ils
avaient un intérêt distinct de celui du public au
bénéfice duquel ils sont tenus de remplir les fonc-
tions que leur impose la loi» 21 . En outre, faisant
référence à l'évaluation de la prépondérance des
inconvénients dans les causes de ce type, le juge
Beetz a dit ceci 22:
Quoique le respect de la Constitution doive conserver son
caractère primordial, il y a lieu à ce moment-là de se demander
s'il est juste et équitable de priver le public, ou d'importants
secteurs du public, de la protection et des avantages conférés
par la loi attaquée, dont l'invalidité n'est qu'incertaine, sans
tenir compte de l'intérêt public dans l'évaluation de la prépon-
dérance des inconvénients et sans lui accorder l'importance
qu'il mérite.
Pour ce qui est des requérantes, il est allégué
que la prépondérance des inconvénients favorise
une ordonnance suspendant les procédures du Tri
bunal. Elles sont disposées à maintenir les accords
ou engagements tenus pour distincts, même avec
des changements, qui visent à maintenir le statu
quo sans prendre de mesures pour intégrer les
publications dont le Directeur cherche à obtenir
qu'elles se départissent, même si elles ne reconnais-
sent pas que leurs accords diminuent la concur
rence. Les requérantes ne cherchent pas à obtenir
que l'on suspende la Loi sur la concurrence ou son
application, sauf en ce qui les concerne et unique-
ment en attendant que des questions d'ordre cons-
titutionnel soient réglées de façon définitive. En
conséquence, selon ce que le juge Beetz a énoncé
dans l'arrêt Metropolitan Stores 23 , les requérantes
font valoir qu'il est question ici d'un cas d'exemp-
tion, que l'octroi d'une suspension des procédures
du Tribunal aurait peu d'importance comme pré-
cédent, sauf en attendant que soient réglées des
questions d'ordre constitutionnel, lorsque les par
ties sont disposées à s'engager à maintenir le statu
quo et à éviter de prendre des mesures qui, selon le
Directeur, sont contraires à la Loi sur la concur
rence. Il est dit, de cette façon, qu'en maintenant
l'économie de la Loi et de son application on
préserve l'intérêt public, en attendant le règlement
de questions constitutionnelles sérieuses.
C'est peut-être ce raisonnement qui sous-tend la
décision qu'a prise la Cour d'appel du Québec de
maintenir la suspension d'instance accordée dans
l'affaire Alex Couture Inc. Dans cette dernière, la
21 Affaire précitée, note 12, à la p. 136.
22 Idem, à la p. 135.
23 Idem, aux p. 135 et 146.
Cour a noté que, même si les requérantes considé-
raient que leur fusion était parfaitement légitime
et ne tombait pas sous le coup de la Loi sur la
concurrence, elles avaient convenu d'arrangements
qui préservaient le statu quo. Dans ce contexte, la
Cour avait déterminé qu'il n'était pas nécessaire,
dans l'intérêt du public, que l'ordonnance suspen-
dant les procédures soit révoquée 24 . Elle n'était pas
disposée à rejeter le pouvoir discrétionnaire dont
jouissait le juge des requêtes dans sa compétence
propre, apparemment pour le motif que l'intérêt
public n'avait pas manifestement plus de poids que
celui des sociétés auxquelles la suspension d'ins-
tance avait été accordée.
Il est indubitable que la situation dont il est
question en l'espèce se compare de façon générale
à celle dont ont été saisis les tribunaux du Québec
dans les procédures relatives à une suspension
d'instance dans l'affaire Alex Couture Inc., sauf
que le pouvoir qu'a la présente Cour de suspendre
les procédures du tribunal est légal plutôt qu'inhé-
rent, que la Cour supérieure du Québec et le
Tribunal de la concurrence ont maintenant rendu
des décisions sur les questions d'ordre constitution-
nel, décisions qui, aujourd'hui, sont toutes deux en
instance d'appel, et qu'il se peut qu'en l'espèce les
arguments des intimés soient différents de ceux qui
ont été présentés pour le compte du procureur
général du Canada dans les affaires Couture. Ces
différences suffisent, selon moi, pour qu'il faille
examiner la question de la prépondérance des
inconvénients à la lumière de tous les arguments
qui ont été invoqués devant la présente Cour, y
compris celui qui concerne la valeur jurispruden-
tielle à accorder aux décisions que les tribunaux du
Québec ont rendues dans les affaires Couture.
Je résumerai comme suit les arguments impor-
tants des intimés au sujet de la prépondérance des
inconvénients.
Tout d'abord, les intimés font ressortir les inté-
rêts publics importants que défend la Loi sur la
24 Affaire précitée, note 9, à la p. 1975 R.J.Q.
concurrence 25 et que le juge en chef Dickson a
implicitement reconnus lorsqu'il a analysé la loi
qui l'a précédée, soit la Loi sur les enquêtes relati
ves aux coalitions, dans l'arrêt General Motors of
Canada Ltd. c. City National Leasing 26 :
... la loi a pour objet d'assurer l'existence d'une saine concur
rence dans l'économie canadienne. Les effets néfastes de prati-
ques monopolistiques dépassent les frontières provinciales. La
concurrence est une question non pas d'intérêt purement local
mais d'importance capitale pour l'économie canadienne.
Deuxièmement, les procureurs font valoir que, si
l'on octroyait une suspension d'instance, on porte-
rait préjudice aux intérêts publics importants que
défend la Loi et que le Directeur cherche à encou-
rager et à protéger en soumettant la demande au
Tribunal. Lcs engagements qu'avaient pris les
requérantes visaient simplement à empêcher la
mise à exécution des opérations de fusion effec-
tuées en attendant que l'on fasse un examen pour
évaluer s'il fallait présenter une demande au Tri
bunal en vertu de l'article 92 de la Loi, et l'on ne
perçoit pas qu'ils préservent l'intérêt public en
maintenant et en encourageant la concurrence
dans les marchés touchés. De tels engagements,
est-il dit, ne peuvent rétablir le degré de concur
rence qui existait avant les opérations de fusion ni
empêcher la survenue de tous les effets anticoncur-
rentiels avant que l'on règle de façon définitive les
procédures contestant la fusion". La question de
savoir si des mesures transitoires, comme des enga
gements tenus pour distincts, contribuent de façon
adéquate à l'intérêt public en maintenant la con
currence peut requérir une décision préliminaire
25 Précitée, note 2; l'art. 1.1 [édicté, idem, art. 19] édicte que:
1.1 La présente loi a pour objet de préserver et de
favoriser la concurrrence au Canada dans le but de stimu-
ler l'adaptabilité et l'efficience de l'économie canadienne,
d'améliorer les chances de participation canadienne aux
marchés mondiaux tout en tenant simultanément compte
du rôle de la concurrence étrangère au Canada, d'assurer à
la petite et à la moyenne entreprise une chance honnête de
participer à l'économie canadienne, de même que dans le
but d'assurer aux consommateurs des prix compétitifs et
un choix dans les produits.
26 [ 1989] 1 R.C.S. 641, à la p. 678.
27 Les intimés font référence à McKenna, Hold Separate
Orders in Government Antimerger Suits (1982), 70 George-
town L.J. 1337, à la p. 1357, et Note, «Preliminary Relief for
the Government under Section 7 of the Clayton Act» (1965), 79
Harv. L. Rev. 391, à la p. 395.
sur le bien-fondé de la demande dont est actuelle-
ment saisi le Tribunal de la concurrence, une
décision qu'il n'appartient pas à la présente Cour
de prendre, mais pour laquelle la compétence et les
fonctions spécialisées du Tribunal de la concur
rence conviennent particulièrement bien.
Troisièmement, les procureurs allèguent que, si
l'on octroyait une suspension d'instance, cette
mesure aurait un effet jurisprudentiel qui pourrait
avoir comme conséquence de porter préjudice à
l'intérêt public général à maintenir et à encourager
la concurrence, relativement à des procédures
similaires dans d'autres causes de fusion, et, plus
sérieusement, relativement à d'autres procédures
dans le cadre de la partie VIII de la Loi sur la
concurrence, ou à des procédures préliminaires
menant à ces dernières, à soumettre à l'examen du
Tribunal de la concurrence.
Les procureurs des requérantes souscrivent à la
première de ces possibilités mais uniquement dans
la mesure où les parties en cause peuvent tomber
dans la catégorie d'exemptions qu'a décrite le juge
Beetz, en prenant l'engagement de maintenir le
statu quo, comme les requérantes sont disposées à
le faire et comme l'ont fait apparemment les par
ties en cause dans l'affaire Alex Couture Inc..
Pour les intimés, cela soulève la possibilité que des
cas d'exemption deviennent des cas de suspension,
de telle sorte que, en attendant que la Cour
suprême du Canada règle de façon définitive des
questions constitutionnelles, les procédures enga
gées en vertu de la Partie VIII seraient effective-
ment suspendues. Comme l'a indiqué le juge Beetz
dans l'arrêt Metropolitan Stores 28 :
Si les cas d'exemption sont assimilés aux cas de suspension,
cela tient à la valeur jurisprudentielle et à l'effet exemplaire des
cas d'exemption. Suivant la nature des affaires, du moment
qu'on accorde à un plaideur une exemption sous la forme d'une
suspension d'instance, il est souvent difficile de refuser le même
redressement à d'autres justiciables qui se trouvent essentielle-
ment dans la même situation et on court alors le risque de
provoquer une avalanche de suspensions d'instance et d'exemp-
tions dont l'ensemble équivaut à un cas de suspension de la loi.
Les requérantes soutiennent que l'octroi d'une telle
suspension dans l'affaire Alex Couture Inc., en
1987, n'a pas provoqué d'avalanche de suspen
sions; cependant, il peut s'agir d'un facteur du
nombre relativement restreint de causes de fusion
qui ont été portées devant le Tribunal de la concur -
28 Affaire précitée, note 12, à la p. 146.
rence, un organisme relativement nouveau auquel
de nouveaux pouvoirs ont été conférés pour dispo-
ser des fusions. Quoiqu'il en soit, cette remarque
n'atténue pas la valeur jurisprudentielle d'une sus
pension d'instance, à supposer que l'on en octroie
une en l'espèce, pour des causes similaires, ce que
les requérantes reconnaissent, si j'ai bien compris,
dans leur arguments.
Le second effet jurisprudentiel possible d'une
suspension d'instance dont font état les intimés, à
savoir qu'elle s'étendrait à d'autres procédures
engagées devant le Tribunal de la concurrence et
même à d'autres procédures préliminaires intro-
duites par le Directeur, par exemple, dans le cadre
d'enquêtes menant à une action possible de sa part
en vertu de la Partie VIII, est trop poussé en
termes d'extension logique. Il omet de tenir
compte du fait que chaque demande visant à res-
treindre des procédures engagées devant le Tribu
nal de la concurrence sera nécessairement exami
née par elle-même et que le tribunal concerné
évaluera l'importance d'autres décisions. Par con-
séquent, par exemple, je conviens avec les intimés
que l'octroi d'une ordonnance de suspension par la
Cour d'appel fédérale dans l'affaire Yri- York Ltd.
peut être considérée d'espèce différente et a peu de
valeur jurisprudentielle pour la prise en compte de
la prépondérance des inconvénients dans les pré-
sentes procédures, car, dans cet arrêt, la disposi
tion législative en question, soit l'article 17 de la
Loi relative aux enquêtes sur les coalitions
[S.R.C. 1970, chap. C-23], a été abrogée, et peu
d'autres parties auraient été en mesure, comme les
requérantes en l'espèce, de demander une suspen
sion d'instance en attendant que soient réglées des
questions constitutionnelles 29 . En fait, toute sus
pension d'instance octroyée à ce moment n'avait
aucune valeur jurisprudentielle. Tel n'est pas le cas
ici.
Enfin, les intimés ont soulevé quelques autres
questions, que je ne tenterai pas de classer. La
première suggère une façon de distinguer l'affaire
Couture Ltd. de la présente espèce en laissant
entendre que, dans le cas où une suspension d'ins-
tance était octroyée en l'espèce et que la Cour
d'appel maintenait cette décision, cela lierait de
manière plus effective le Tribunal de la concur
rence, car la Cour d'appel fédérale est elle-même
29 Affaire précitée, note 11, aux p. 215 et 216.
la cour devant laquelle sont interjetés les appels
relatifs aux décisions du Tribunal. Cela est vrai,
comme ce le serait si la Cour d'appel accordait une
suspension d'instance après que la présente Cour
eut refusé de le faire, mais cela n'aide pas à
déterminer s'il faut user de discrétion pour faire
droit au redressement que les requérantes cher-
chent à obtenir. En contrepoint de cette sugges
tion, les requérantes soulèvent la question de la
courtoisie judiciaire, la reconnaissance de la valeur
convaincante de la manière dont les cours du
Québec ont traité la demande de suspension d'ins-
tance dans l'affaire Alex Couture Ltd., faisant
valoir que dans un état fédéral on devrait pouvoir
disposer du même redressement que celui qui a été
adjugé dans cette affaire relativement à une loi
fédérale et à des questions constitutionnelles, indé-
pendamment du tribunal devant lequel on cherche
à obtenir un redressement. Bien que je souscrive
avec beaucoup de respect aux décisions que les
cours du Québec ont rendues dans cette affaire, je
suis contraint de tenir compte de l'exercice du
pouvoir discrétionnaire de la présente Cour dans
les circonstances de la cause qui m'est soumise,
dans la mesure où il est possible de discerner ces
circonstances dans des procédures interlocutoires.
La seconde question qu'ont soulevée les intimés
se rapporte au temps qui pourrait s'écouler avant
que les questions constitutionnelles soient réglées
de façon définitive, ainsi qu'à l'effet négatif
qu'aura la «suspension» de la Partie VIII de la Loi,
pendant une période prolongée, indéterminée à ce
moment, en attendant que lesdites questions cons-
titutionnelles soient tranchées. Je ne suis pas d'ac-
cord pour dire que l'octroi d'une suspension d'ins-
tance en l'espèce aura effectivement pour effet de
suspendre la Partie VIII de la Loi, mais le temps
incertain, long probablement, qui s'écoulera avant
que les questions constitutionnelles soient réglées
de façon définitive, et qui nécessiteront selon toute
vraisemblance une décision de la Cour suprême du
Canada, même si l'affaire est considérée comme
un cas d'exemption, soulève effectivement la possi-
bilité que l'on porte préjudice à l'intérêt public si
la décision définitive confirme la validité du Tribu
nal et de son pouvoir légal à l'égard des fusions. Le
temps qui s'écoulera occasionnera inévitablement
des difficultés sur le plan de la présentation de
preuves, et ce, tant aux requérantes qu'au Direc-
teur. Il est vraisemblable, selon moi, que cela
compliquera la présentation juste et complète de
preuves et d'arguments au Tribunal si l'on diffère
les procédures jusqu'à ce que les questions consti-
tutionnelles soulevées ici aient été réglées. Il serait
possible de régler ce problème en limitant la
période de suspension, à moins que l'on fasse droit
à une demande de prorogation, ce qui, comme les
requérantes l'ont fait remarquer avec raison, est
une solution qui a été intégrée dans la suspension
d'instance accordée par la Cour d'appel dans l'af-
faire YRI- York Ltd. Selon moi, le Tribunal de la
concurrence lui-même serait peut-être mieux placé
pour envisager l'octroi d'une suspension d'une
durée limitée, à la demande des requérantes, si la
présente Cour ne rend pas d'ordonnance de
suspension.
En résumé, je suis d'avis que, si l'on rendait une
ordonnance de suspension dans la présente affaire
et si l'on réglait les questions constitutionnelles de
manière à ce que la composition du Tribunal de la
concurrence soit maintenue et que le pouvoir légi-
féré qui lui a été conféré à l'égard des fusions soit
valide, cela porterait atteinte de diverses façons à
l'intérêt public. Il y a le danger que les prétendus
effets anticoncurrentiels de la fusion, dans le
marché de la presse écrite et celui de la publicité
imprimée dans le Lower Mainland de la Colombie-
Britannique, ne seront nullement atténués en dépit
d'engagements tenus pour distincts. Il y a l'effet
jurisprudentiel qu'aurait toute ordonnance de sus
pension d'instance dans d'autres procédures analo
gues, au moins celles qui mettent en cause des
fusions, engagées devant le Tribunal de la concur
rence. Il y a aussi le temps indéterminé qui pour-
rait s'écouler avant que les questions constitution-
nelles soient réglées. Les procédures de suspension
qui seront introduites devant le Tribunal jusqu'à ce
moment aggraveront les problèmes de preuves et
d'arguments à toute audience différée du Tribunal.
Qui plus est, elles ajouteront à l'incertitude qui
entoure les dispositions législatives relatives aux
fusions et aux activités du Tribunal, non seulement
en attendant que les questions constitutionnelles
soient réglées, mais, par la suite, jusqu'au règle-
ment des procédures que la suspension que l'on
cherche ici à obtenir différerait.
Le préjudice qui serait porté à l'intérêt public,
advenant qu'une suspension d'instance soit accor-
dée et que l'on juge en fin de compte que le
tribunal est constitutionnellement valide et que son
pouvoir légiféré est confirmé, doit être mis en
balance avec l'éventualité que les requérantes
subissent un préjudice, le temps, l'énergie et les
dépenses incertains mais probablement considéra-
bles qui ne seront pas compensés dans des procédu-
res qui, jugera-t-on peut-être en définitive, sont
inconstitutionnelles. Selon la prépondérance des
inconvénients, je suis d'avis que le risque de préju-
dice à l'intérét public l'emporte sur le risque possi
ble de préjudice aux requérantes.
Conclusion
En définitive, je refuse d'user de discrétion pour
accorder l'ordonnance de suspension que l'on cher-
che à obtenir en l'espèce. La demande est rejetée,
et les dépens sont adjugés aux intimés en tout état
de cause.
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