A-127-90
LA BANDE DE MONTANA, le chef Melvin
Potts et Leo Cattleman, Darrel Strongman et
Maurice Rabbit, conseillers de la bande de Mon-
tana, agissant en leur nom personnel et au nom des
membres de la bande indienne de Montana,
LA BANDE DE SAMSON, le chef Jim Omeasoo
et Arnup Louis, Roy Louis, Lawrence Saddle-
back, George Saddleback, Victor Bruno, Leo
Bruno, Wilson Okeymow, Brian Lightnigh, Frank
Buffalo, Robert Swampy, Floyd Dion et Stanley
Buffalo, conseillers de la bande de Samson, agis-
sant en leur nom personnel et au nom des autres
membres de la bande indienne de Samson,
LA BANDE D'ERMINESKIN, le chef Arthur
Littlechild et Ken Cutarm, Marvin Littlechild,
Eddie Littlechild, Richard Littlechild, Lawrence
Wildcat, Emily Minde, Gerald Wolfe, Rose Maki -
naw, Lester Frayne, Maurice Wolfe, Brian Lee et
Gerry Ermineskin, conseillers de la bande d'Ermi-
neskin, agissant en leur nom personnel et au nom
des autres membres de la bande indienne
d'Ermineskin,
LA BANDE DE LOUIS BULL, le chef Simon
Threefingers et Harvey Roasting, Jonathan Bull,
Theresa Bull, Henry Raine, Stanley Deschamps,
George Deschamps, Jerry Moonais, Herman
Roasting, conseillers de la bande de Louis Bull,
agissant en leur nom personnel et au nom des
autres membres de la bande indienne de Louis
Bull (appelants) (demandeurs)
c.
Sa Majesté la Reine (intimée) (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: BANDE INDIENNE DE MONTANA C. CANADA
(CA.)
Cour d'appel, juges Heald, Hugessen et Stone,
J.C.A.—Vancouver, 29 janvier 1991; Ottawa,
18 février 1991.
Pratique — Plaidoiries — Requête en radiation — Le juge
de première instance a radié la déclaration modifiée parce
qu'elle ne mettait aucun grief en évidence — Requête aux
termes de la Règle 419(1)a) (les plaidoiries ne révèlent aucune
cause raisonnable d'action) — Ordonnance annulée par la
Cour d'appel — La Cour n'est pas convaincue que l'issue de
l'affaire était «évidente» — Les bandes indiennes ont réclamé
des jugements déclaratoires selon lesquels (1) l'engagement
donné par le Canada lorsque la Terre de Rupert a été cédée
par la Compagnie de la Baie d'Hudson fait partie de la
Constitution du Canada (2) l'engagement a donné naissance à
une obligation fiduciaire (3) certains articles du pacte des
Nations Unies relatifs aux droits civils lient le Canada — La
Cour a le pouvoir de rendre des jugements déclaratoires
purement et simplement.
Contrôle judiciaire — Recours en equity — Jugements
déclaratoires — Le juge de première instance a annulé la
déclaration modifiée parce qu'elle ne mettait aucun grief en
évidence — Le pouvoir de la Cour de rendre un jugement
déclaratoire purement et simplement ne fait aucun doute —
Les appelants réclament des déclarations de droit obligatoires
aux termes de la Règle 1723 — Il a été satisfait aux exigences
imposées pour intenter une action visant à obtenir un jugement
déclaratoire — L'ordonnance du juge de première instance est
annulée.
Peuples autochtones — Terres — Une loi avait permis à Sa
Majesté d'accepter la cession de la Terre de Rupert par la
Compagnie de la Baie d'Hudson — Une résolution prévoyait la
protection des tribus indiennes dont les intérêts et le bien-être
étaient intimement liés à la cession — Les bandes indiennes
plaident l'existence de certains instruments constitutionnels
obligatoires pour le Canada — Les appelants réclament un
jugement déclaratoire seulement — La Cour d'appel a infirmé
l'ordonnance du juge de première instance radiant la
déclaration.
Il s'agit d'un appel d'une ordonnance de la Section de
première instance radiant la déclaration. Les bandes appelan-
tes, à l'exception de la Bande de Montana, étaient les occupants
autochtones des terres et territoires dans les limites de la Terre
de Rupert. En 1867, Sa Majesté a été priée d'unir la Terre de
Rupert et le Territoire du Nord-Ouest à la puissance du
Canada, et d'accorder au Parlement du Canada «l'autorité de
légiférer sur leur bien-être futur». En 1868, le Parlement impé-
rial a adopté l'Acte de la Terre de Rupert, 1868, lequel a
permis à Sa Majesté d'accepter la cession par la Compagnie de
la Baie d'Hudson de ses terres, privilèges et droits sur la Terre
de Rupert. Le 28 mai 1869, le Sénat et la Chambre des
communes ont adopté une résolution selon laquelle le gouverne-
ment canadien était tenu d'assurer «la protection des tribus
indiennes, dont les intérêts et le bien-être sont intimement liés à
la cession». La Terre de Rupert et le Territoire du Nord-Ouest
ont été incorporés au Canada à partir du 15 juillet 1870 (Le
décret en conseil sur la Terre de Rupert).
Les appelants ont réclamé des jugements déclaratoires selon
lesquels 1) en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867, les
conditions et obligations du Décret en conseil sur la Terre de
Rupert sont devenues des instruments constitutionnels obliga-
toires pour le Canada et font, par conséquent, partie de sa
Constitution; 2) l'engagement pris par le Canada en 1869
donne naissance à une obligation fiduciaire envers eux; et 3) les
articles 1 et 27 du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques lient le Canada et ils s'appliquent à eux. Selon
eux, bien que, en tant que peuples autochtones, ils ne soient pas
une minorité au sens habituel, ils sont cependant une minorité
aux fins de l'article 27. L'intimée a contredit la plupart des
allégations des appelants qui sont énoncées dans leur déclara-
tion modifiée et a une contestation liée avec eux sur leur
raisonnement juridique et les conclusions de droit en relation
avec la réparation visée.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli.
L'intimée a demandé la radiation de la déclaration modifiée
conformément à la Règle 419(1)a) parce qu'elle ne révèle
aucune cause raisonnable d'action et le juge en chef adjoint a
accueilli la requête parce qu'elle ne mettait aucun grief en
évidence. Un tribunal ne doit accueillir une telle requête que
dans des cas évidents et lorsqu'il est convaincu qu'il s'agit d'une
affaire au-delà de tout doute. L'issue de l'affaire en l'espèce
n'est ni évidente ni au-delà de tout doute. Le pouvoir de la Cour
de rendre un jugement déclaratoire purement et simplement en
l'espèce ne saurait être mis en doute. En vertu de la Règle 1723
des Règles de la Cour fédérale, la Cour peut faire des déclara-
tions de droit obligatoires, qu'un redressement soit ou puisse
être demandé ou non en conséquence. Les appelants ont le droit
d'obtenir ce type de déclaration de droit obligatoire. Le critère
qu'un tribunal doit appliquer en ce qui concerne les jugements
déclaratoires a été exposé dans une décision de la Chambre des
lords dans l'affaire Russian Commercial and Industrial Bank
v. British Bank for Foreign Trade. Les appelants ont satisfait à
ce critère: les litiges qu'ils soulèvent sont réels et non théoriques
puisqu'ils soulèvent la question, très vaste, des droits autochto-
nes, les appelants ont un intérêt vital et réel pour ces questions
et, en dernier lieu, la Couronne est un adversaire valable qui a
un intérêt véritable à s'opposer aux jugements déclaratoires
visés. Il a été satisfait aux exigences imposées pour intenter une
action visant à obtenir un jugement déclaratoire et il n'est pas
nécessaire que les appelants établissent un manquement parti-
culier à l'engagement pris en 1869, ou s'appuient sur ce point.
Les énoncés de l'arrêt de la Cour suprême dans l'affaire
Operation Dismantle sur lesquels s'est fondé le juge de pre-
mière instance ne s'appliquent pas au cas en l'espèce, lequel
n'est pas lié à la Charte. Les appelants ont satisfait aux règles
générales sur les jugements déclaratoires présentées par Bor -
chard dans l'ouvrage Declaratory Judgments et citées avec
approbation dans l'arrêt Operation Dismantle. Le juge de
première instance a erré en radiant la déclaration modifiée.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Acte de la Terre de Rupert, 1868 [L.R.C. (1985), appen-
dice II, n° 6].
Décret en conseil sur la Terre de Rupert et le Territoire
du Nord-Ouest [L.R.C. (1985), appendice II, n° 9]
(mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap.
11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982,
n° 3).
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3
(R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de
1982, n° 1) [L.R.C. (1985), appendice II, n° 5], art.
146.
Loi constitutionnelle de 1871, 34 & 35 Vict., chap. 28
(R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, n° 11].
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur
le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985),
appendice II, n° 44].
Loi de 1870 sur le Manitoba, S.C. 1870, chap. 3 [L.R.C.
(1985), appendice II, n° 8].
Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), chap. I-5.
Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
19 déc. 1966, [1976] Can. R.T. n° 47, art.
1 ( 1 ),( 2 ),( 3 ), 27.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles
419, 1723.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS SUIVIES:
Dyson v. Attorney -General [No. 1], [1911] 1 K.B. 410
(C.A.); Dyson v. Attorney -General [No. 2], [1912] 1 Ch.
158 (C.A.); Russian Commercial and Industrial Bank v.
British Bank for Foreign Trade, [1921] 2 A.C. 438
(H.L.); Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821;
(1979), 105 D.L.R. (3d) 745; 50 C.C.C. (2d) 495; 16
C.R. (3d) 294; 30 N.R. 380; Jabour c. Law Society of
British Columbia et autre, [1982] 2 R.C.S. 307; (1982),
137 D.L.R. (3d) I; [1982] 5 W.W.R. 289; 37 B.C.L.R.
145; 19 B.L.R. 234; 66 C.P.R. (2d) I; 43 N.R. 451;
Dumont c. Canada (Procureur général), [1990] 1 R.C.S.
279; [1990] 4 W.W.R. 127.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres,
[1985] 1 R.C.S. 441; (1985), 18 D.L.R. (4th) 481; 12
Admin. L.R. 16; 13 C.R.R. 287; 59 N.R. 1.
DÉCISION INFIRMÉE:
Bande indienne de Montana c. Canada, [1990] 2 C.F.
198 (1"° inst.).
DÉCISION CITÉE:
Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of
Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735; (1980), 115
D.L.R. (3d) 1; 33 N.R. 304.
DOCTRINE
Borchard, Edwin. Declaratory Judgments, 2nd ed.,
Cleveland: Banks - Baldwin Law Publishing Co., 1941.
AVOCATS:
Thomas R. Berger et R. J. Shulman, pour les
appelants (demandeurs).
Duff Friesen, c.r., pour l'intimée (défende-
resse).
PROCUREURS:
Thomas R. Berger, Vancouver, pour les appe-
lants (demandeurs).
Le sous-procureur général du Canada, pour
l'intimée (défenderesse).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HEALD, J.C.A.: Il s'agit d'un appel
d'une ordonnance de la Section de première ins
tance [[1990] 2 C.F. 198] radiant la déclaration
modifiée des appelants en l'instance, en date du 25
août 1989.
FAITS
Les principaux faits allégués dans la déclaration
modifiée peuvent être résumés de la façon sui-
vante: les bandes appelantes, à l'exception de la
bande de Montana, sont des tribus indiennes qui,
pendant toute l'époque en cause, étaient les occu
pants autochtones des terres et territoires dans les
limites de la Terre de Rupert'. La bande de Mon-
tana s'est établie en tant que bande dans la Terre
de Rupert en vertu de la Loi sur les Indiens
[maintenant L.R.C. (1985), chap. I-5] après 1870.
Les appelants qui sont des particuliers sont les
chefs et les conseillers des bandes appelantes et ils
agissent en leur nom personnel et au nom de tous
les membres de leurs bandes respectives.
En 1867, pendant la première session du Parle-
ment du Canada, le Sénat et la Chambre des
communes ont adopté une adresse collective
demandant à Sa Majesté «d'unir la Terre de
Rupert et le Territoire du Nord-Ouest à la puis-
sance du Canada, et d'accorder au Parlement du
Canada l'autorité de légiférer sur leur bien-être .. .
futur». Le Parlement impérial a ensuite adopté
l'Acte de la Terre de Rupert, 1868 [L.R.C.
(1985), appendice II, n° 6] en 1868, lequel a
permis à Sa Majesté d'accepter la cession par la
Compagnie de la Baie d'Hudson, à certaines con
ditions, de ses terres, privilèges et droits sur la
Terre de Rupert. Un accord a été conclu entre le
gouvernement du Canada et la Compagnie de la
Baie d'Hudson en 1869 pour l'acquisition de la
Terre de Rupert.
Le 28 mai 1869, après la signature de cette
convention, le Sénat et la Chambre des communes
ont adopté un certain nombre de résolutions sur
' Par une Charte royale en date du 2 mai 1670, le roi Charles
II a accordé au gouverneur et à la Compagnie d'Aventuriers
d'Angleterre, faisant la traite à la Baie d'Hudson, certains
droits, y compris certains privilèges en matière de commerce,
sur une grande étendue de terres qui entourait la Baie d'Hud-
son. Ce territoire s'est appelé par la suite la Terre de Rupert.
l'admission dans le Canada de la Terre de Rupert
et du Territoire du Nord-Ouest. L'une de ces
résolutions qui s'appliquaient à toutes les tribus de
la Terre de Rupert disait:
Que lors de la cession des territoires en question au Gouverne-
ment Canadien, il sera de notre devoir de prendre des mesures
efficaces pour la protection des tribus indiennes, dont les inté-
rêts et le bien-être sont intimement liés à la cession.
Les 29 et 31 mai 1869, le Sénat et la Chambre des
communes ont adopté une deuxième adresse à Sa
Majesté dans laquelle la résolution ci-dessus a été
répétée 2 . Le 19 novembre 1869, la Compagnie de
la Baie d'Hudson a cédé, par acte, à la Couronne
britannique, tous les droits sur la Terre de Rupert
qui lui avaient été accordés par la Charte de 1670.
Le 23 juin 1870, la Terre de Rupert et le Terri-
toire du Nord-Ouest ont été admis dans le Canada
à partir du 15 juillet 1870 (le Décret en conseil sur
la Terre de Rupert et le Territoire du Nord-Ouest
[L.R.C. (1985), appendice II, n° 9] (mod. par la
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de
1982, n° 3)).
Les appelants plaident qu'en vertu de l'article
146 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31
Vict., chap. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur
le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la
Loi constitutionnelle de 1982, n° 1) [L.R.C.
(1985), appendice II, n° 5]], les conditions et
obligations du Décret en conseil sur la Terre de
Rupert ont été assumées par le gouvernement du
Canada en ce qui concerne les tribus indiennes de
la Terre de Rupert et sont donc devenues des
instruments constitutionnels obligatoires pour le
Canada ainsi que pour les provinces canadiennes.
Les appelants plaident, en outre, que le Décret en
conseil sur la Terre de Rupert est devenu partie
intégrante de la Constitution du Canada, confor-
mément à la Loi constitutionnelle de 1867. De
l'avis des appelants, leur position à cet égard est
appuyée par le fait que l'article 52 de la Loi
constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982
sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C.
(1985), appendice II, n° 44] prévoit que les actes et
ordonnances prévus à l'annexe I de la Loi font
partie de la Constitution du Canada (et sont, par
conséquent, la loi suprême du Canada) et aussi par
2 La déclaration modifiée allègue (paragraphe 20) que l'en-
gagement de la part du gouvernement du Canada qui figurait
dans cette résolution a été approuvé par Sa Majesté.
le fait que le Décret en conseil sur la Terre de
Rupert se trouve à l'annexe I.
Les appelants s'appuient aussi sur les articles 1
et 27 du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques [ 19 déc. 1966, [ 1976] R.T. Can. No
47] des Nations Unies et prétendent que ces arti
cles lient le Canada et qu'ils s'appliquent à eux 3 .
Selon leur prétention, bien que, en tant que peuple
autochtone, ils ne soient pas une minorité au sens
habituel, ils sont cependant une minorité aux fins
de l'article 27. Sur ce point, leur culture a un
fondement important qui leur donne droit au béné-
fice de l'article 27 puisque la terre et les possibili-
tés économiques traditionnelles sont essentielles au
maintien de cette culture. Les appelants soutien-
nent que le pacte international des Nations Unies
a été ratifié par le Canada le 16 mai 1976 et que,
selon le droit international coutumier, le Canada
est lié par le Pacte.
Les appelants ont réclamé les jugements décla-
ratoires suivants, entre autres, dans leur déclara-
tion modifiée:
a) que l'engagement donné par le Canada en
1869 était incorporé par renvoi au Décret en
conseil sur la Terre de Rupert de 1870 et fait,
par conséquent, partie de la Constitution du
Canada;
3 Les articles I et 27 sont libellés ainsi:
ARTICLE PREMIER
1. Tous les peuples ont le droit de disposer d'eux-mêmes. En
vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique
et assurent librement leur développement économique, social et
culturel.
2. Pour atteindre leurs fins, tous les peuples peuvent disposer
librement de leurs richeses et de leurs ressources naturelles,
sans préjudice des obligations qui découlent de la coopération
économique internationale, fondée sur le principe de l'intérêt
mutuel, et du droit international. En aucun cas, un peuple ne
pourra être privé de ses propres moyens de subsistance.
3. Les États parties au présent Pacte, y compris ceux qui ont
la responsabilité d'administrer des territoires non autonomes et
des territoires sous tutelle, sont tenus de faciliter la réalisation
du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, et de respecter ce
droit, conformément aux dispositions de la Charte des
Nations-Unies.
ARTICLE 27
Dans les États où il existe des minorités ethniques, reli-
gieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces
minorités ne peuvent être privées du droit d'avoir, en
commun avec les autres membres de leur groupe, leur
propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur
propre religion, ou d'employer leur propre langue.
b) que l'engagement pris par le Canada en 1869
donne naissance à une obligation fiduciaire
envers les appelants et
c) que les articles 1 et 27 du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques lient le
Canada et qu'ils s'appliquent aux appelants.
La demande de réparation des appelants ne porte
que sur un jugement déclaratoire. L'intimée, dans
sa défense, contredit la plupart des allégations des
appelants qui sont énoncées dans la déclaration et
a une contestation liée avec les appelants sur leur
[TRADUCTION] «raisonnement juridique et les con
clusions de droit en relation avec la réparation
visée».
LE JUGEMENT DE LA SECTION DE PREMIÈRE
INSTANCE
Le juge en chef adjoint a décidé de radier la
déclaration modifiée, en l'espèce, parce qu'elle ne
mettait aucun grief en évidence. Après avoir abon-
damment cité les motifs du juge Dickson [alors
juge puîné] dans l'arrêt Operation Dismantle Inc.
et autres c. La Reine et autres 4 , il a poursuivi en
ces termes:
L'avocat reconnaît que, si les demandeurs obtiennent gain de
cause dans la présente demande en jugement déclaratoire, ils
ont l'intention de fixer la prochaine étape, peut-être des négo-
ciations, peut-être une autre contestation. Mais les tribunaux de
première instance doivent éviter ce genre de processus en deux
phases. La défenderesse a le droit de prendre connaissance de
l'ensemble de la cause à laquelle elle a à faire face. En effet, les
parties doivent bien comprendre les conséquences qu'entraîne-
rait le fait de ne pas se défendre ou d'admettre la défaite sur
tout aspect du litige. Le rôle du tribunal de première instance
est de résoudre les différends que les parties ne peuvent pas
régler elles-mêmes. Comment est-ce possible si le différend
n'est pas identifié dans la déclaration?
Par conséquent, j'en suis arrivé , à la conclusion qu'il ne peut
être donné suite à l'action sous sa forme actuelle, car elle est
dénuée de toute réclamation entre les parties.
ANALYSE
La requête de radiation de l'intimée s'appuie sur
la Règle 419(1)a) [Règles de la Cour fédérale,
C.R.C., chap. 663] parce que la déclaration modi-
fiée ne révèle aucune cause raisonnable d'action.
Sur une requête comme celle-ci, il faut tenir tous
4 [1985] 1 R.C.S. 441, aux p. 456 et 457.
les faits allégués dans la déclaration pour avérés'.
De plus, un tribunal ne doit rejeter l'action ou
radier une déclaration du demandeur que dans des
affaires évidentes et lorsqu'il est convaincu qu'il
s'agit d'une affaire «au-delà de tout doute» 6 .
En toute déférence, je ne puis accepter la con
clusion à laquelle est parvenu le juge en chef
adjoint. D'après les faits allégués dans la déclara-
tion modifiée, je ne suis pas convaincu que l'issue
de l'affaire soit «évidente» ou qu'elle soit «au-delà
de tout doute». Dans le récent arrêt Dumont c.
Canada (Procureur général)', les questions soule-
vées par la déclaration en litige concernaient l'in-
terprétation qu'il faut donner aux dispositions
applicables de la Loi de 1870 sur le Manitoba,
S.C. 1870, chap. 3 [L.R.C. (1985), appendice II,
n° 8] et de la Loi constitutionnelle de 1871, 34 &
35 Vict., chap. 28 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appen-
dice II, n° 11] et l'effet qu'a sur elles la mesure
législative accessoire contestée. Lorsqu'elle a rendu
les motifs du jugement de la Cour suprême du
Canada, le juge Wilson a établi que de telles
questions «seraient mieux tranchées en première
instance où il est possible d'établir un bon fonde-
ment factuel». Elle a aussi ajouté (à la page 280):
La Cour est également d'avis que l'objet du litige, dans la
mesure où il comporte la constitutionnalité de la mesure législa-
tive accessoire à la Loi de 1870 sur le Manitoba, peut être réglé
devant les tribunaux judiciaires et qu'un jugement déclaratoire
peut être accordé à la discrétion de la Cour à l'appui de
revendications extrajudiciaires dans un cas qui se prête à cela.
L'affaire en l'espèce n'est pas sans ressemblance
avec celle-là. Comme l'a noté le juge en chef
adjoint, les appelants s'appuient sur des séries
d'instruments constitutionnels complexes pour jus-
tifier les jugements déclaratoires réclamés.
Il s'agit aussi d'une affaire où l'avocat des appe-
lants a établi clairement que, si les jugements
déclaratoires réclamés étaient obtenus, ils pour-
raient bien être utilisés à l'appui de «revendications
extrajudiciaires». Dans un tel cas, il pourrait ne
jamais y avoir une deuxième étape au processus,
comme l'a décrit le juge en chef adjoint. Le règle-
ment négocié des demandes autochtones constitue
5 Voir l'arrêt Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat
of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735, à la p. 740, par le
juge Estey.
6 Voir l'arrêt Inuit, précité, à la p. 740, le juge Estey.
7 [1990] 1 R.C.S. 279, aux p. 280 et 281.
une autre possibilité dans le contexte contempo-
rain.
Le pouvoir de la Cour de rendre un jugement
déclaratoire purement et simplement dans l'affaire
en l'espèce ne saurait être mis en doute. La Règle
1723 des Règles de la Cour fédérale dispose:
Règle 1723. Il ne peut être fait opposition à une action pour le
motif que cette action ne vise qu'à l'obtention d'un jugement ou
d'une ordonnance purement déclaratoires; et la Cour pourra
faire des déclarations de droit obligatoires, qu'un redressement
soit ou puisse être demandé ou non en conséquence.
Ces appelants demandent précisément le type de
déclarations de droit obligatoires prévu par la
Règle 1723. Les décisions qui font autorité en
common law, en ce qui concerne le jugement
déclaratoire sont les décisions Dyson 8 . La décision
Dyson [No. 1] a jugé que la règle en litige dans
cette affaire (qui est virtuellement identique à la
Règle 1723) permettait à la Cour de rendre un
jugement purement déclaratoire. La décision
Dyson [No. 2] a jugé que, puisqu'un appelant a le
droit de poursuivre la Couronne pour obtenir un
jugement déclaratoire, il a le droit de le faire pour
un jugement déclaratoire pur et simple, sans cher-
cher de redressement additionnel.
La décision de la Chambre des lords dans l'af-
faire Russian Commercial and Industrial Bank v.
British Bank for Foreign Trade 9 va dans le même
sens. Dans cette affaire, une banque anglaise avait
obtenu un prêt d'une banque russe sur nantisse-
ment de certaines obligations. Le litige concernait
l'interprétation d'une stipulation contractuelle, à
savoir, si le prêt était remboursable en roubles ou
en livres sterling. Les emprunteurs ont intenté une
action à l'encontre des prêteurs pour qu'il soit
déclaré qu'ils avaient le droit de reprendre posses
sion des obligations sur paiement du montant du
prêt en roubles.
Lord Dunedin a exposé en ces termes le critère
qu'un tribunal doit appliquer en ce qui concerne
les jugements déclaratoires [à la page 448]:
[TRADUCTION] La question doit être réelle et non théorique,
celui qui la soulève doit avoir un intérêt réel à le faire et il doit
8 Dyson v. Attorney -General [No. 1], [1911] 1 K.B. 410
(C.A.), à la p. 417, le maître des rôles Cozens -Hardy. Voir
aussi Dyson v. Attorney -General [No. 2], [1912] 1 Ch. 158
(C.A.), aux p. 166 à 168.
9 [1921] 2 A.C. 438 (H.L.), à la p. 448.
pouvoir présenter un adversaire valable, c'est-à-dire quelqu'un
ayant un intérêt véritable à s'opposer à la déclaration sollicitée.
Je n'ai pas de difficulté à conclure que les appe-
lants en l'espèce ont satisfait à ce critère. Les
litiges soulevés par ces appelants sont certainement
réels et non théoriques puisque, à tout le moins, la
principale question soulevée est celle, très vaste,
des droits autochtones. Les appelants ont certaine-
ment un intérêt vital et réel pour ces questions
puisqu'ils sont les chefs, les conseillers et les mem-
bres des bandes indiennes qui résident dans les
régions du Canada visées dans le Décret en conseil
sur la Terre de Rupert. En dernier lieu, la Cou-
ronne intimée est certainement un adversaire vala-
ble qui a un intérêt véritable à s'opposer aux
jugements déclaratoires visés.
Comme l'a démontré l'avocat des appelants, il
n'y avait aucun manquement dans la décision de la
Russian Bank. Je suis d'accord avec l'avocat qu'en
l'espèce, ces appelants n'ont pas à prouver, dans
cette action pour obtenir un jugement déclaratoire,
un manquement précis à l'entente de 1869. II a été
satisfait aux exigences imposées pour intenter une
action visant à obtenir un jugement déclaratoire et,
à mon avis, il n'est pas nécessaire que les appelants
établissent un manquement ou s'appuient sur ce
point. Les questions en litige en l'espèce sont réel-
les, les appelants ont un intérêt substantiel, et un
contradicteur logique et opportun est présent. De
plus, l'on doit se souvenir que l'intimée a une
contestation liée avec les appelants sur leurs droits
et privilèges allégués. J'ajouterais aussi que la
Cour suprême du Canada a, dans l'arrêt Solosky
c. La Reine 10 , approuvé le critère exposé par lord
Dunedin dans l'affaire Russian Commercial Bank.
M. le juge Dickson a fait précédé son approbation
du critère exposé dans la décision. Russian Com
mercial Bank des commentaires suivants (à la
page 830):
Le jugement déclaratoire est un recours qui n'est pas restreint
par la forme ni limité par le fond et qui appartient à des
personnes ayant un lien juridique dont découle une «véritable
question» à trancher concernant leurs intérêts respectifs.
À mon avis et pour les motifs mentionnés ci-des-
sus, il ne peut être allégué raisonnablement que les
appelants en l'espèce ne satisfont pas à cette
définition.
10 [1990] 1 R.C.S. 821, à la p. 830, le juge Dickson.
J'ai déjà fait mention que le juge en chef adjoint
s'est largement appuyé sur le jugement majoritaire
de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Ope
ration Dismantle. Dans cette décision, les appe-
lants alléguaient que la décision du gouvernement
du Canada d'autoriser les États-Unis à procéder
aux essais des missiles de croisière au Canada
violait l'article 7 de la Charte. Les appelants pré-
tendaient que la mise au point de missiles de
croisière augmentait le danger de guerre nucléaire.
Ils ajoutaient ensuite que la présence militaire et
les intérêts américains se trouvant accrus au
Canada par suite des essais, cela augmenterait la
probabilité pour le Canada d'être la cible d'une
attaque nucléaire. Un jugement déclaratoire, une
injonction et des dommages-intérêts furent deman
dés par les appelants. Le passage sur lequel s'est
fondé le juge en chef adjoint extrait du jugement
du juge Dickson, à la page 456, est rédigé dans un
contexte où il s'agissait de savoir si les obligations
du pouvoir exécutif, en vertu de l'article 7 de la
Charte, peuvent être ou non interprétés de façon si
vaste qu'elles englobent une obligation, d'après
«des conjectures et des hypothèses sur les effets
possibles de l'action gouvernementale». Il semble
évident que, dans tous les cas, lorsqu'il est allégué
que la législation est incompatible avec la Charte,
une violation d'un droit en vertu de la Charte doit
être alléguée. Le juge Wilson a présenté cette
question succinctement dans la décision Operation
Dismantle en ces termes (à la page 481):
... chaque fois qu'un plaideur soulève une «importante question
constitutionnelle» mettant en cause une violation de la Charte
ou de la Déclaration canadienne des droits, puisqu'on se plaint
de la violation prétendue d'un droit, il s'ensuit, par définition
pour ainsi dire, que la nature de la violation alléguée doit être
énoncée.
À mon avis, les énoncés sur lesquels s'est fondé
le juge en chef adjoint dans l'arrêt Operation
Dismantle ne s'appliquent pas au cas en l'espèce.
Le cas en l'espèce n'est pas lié à la Charte. Je crois
plutôt que ce sont les règles générales sur les
jugements déclaratoires qui devraient s'appliquer
en l'espèce. Ces règles générales sont bien exposées
aux pages 48 et 49 de Borchard, Declaratory
Judgments (2e éd. 1941):
[TRADUCTION] Le droit de recourir à la justice est assorti de
la condition essentielle que le demandeur ait un intérêt à
protéger. Le fait que la procédure de jugement déclaratoire
permet de connaître de multiples questions de droit pour les-
quelles il n'existe aucune autre forme de recours a dès le début
exigé des tribunaux qu'ils déterminent d'abord si les faits
justifient qu'un redressement judiciaire soit accordé et, plus
particulièrement, si le demandeur a un «intérêt juridique» au
redressement qu'il demande. Dans le cas mieux connu de
l'action exécutoire, l'intérêt juridique est recherché dans la
«cause d'action» mais, comme on l'a déjà observé, la portée
restreinte souvent donnée à cette expression ambiguë a permis
d'occulter les nombreux cas et situations dans lesquels le
demandeur, alors qu'il n'a subi encore aucun dommage maté
riel ou alors qu'il cherche à échapper à un dilemme ou à une
situation juridique incertaine en la faisant clarifier, a besoin
d'une intervention judiciaire non traditionnelle. La nouvelle
possibilité qu'offre le jugement déclaratoire et sa nécessité sur
le plan de l'utilité judiciaire exigent soit une acception plus
flexible et plus large de l'expression «cause d'action», soit
l'emploi d'une expression moins caméléon pour indiquer quand
le requérant peut obtenir la protection judiciaire. Sans perdre
de vue la nécessité de l'existence de faits attributifs de compé-
tence, nous pensons que l'expression «intérêt juridique» répond
à ce besoin.
À mon avis, les appelants ont satisfait à la règle
générale présentée par Borchard, précité, et cité
avec approbation par le juge Wilson dans l'arrêt
Operation Dismantle, à la page 480. Pour ces
motifs, j'ai donc conclu que le juge en chef adjoint
a erré en radiant la déclaration modifiée des appe-
lants en l'instance.
La situation, dans la présente affaire, n'est pas si
différente de celle de l'arrêt Jabour" où la répara-
tion demandée consistait en certains jugements
déclaratoires et une injonction restreignant la con-
duite d'une enquête. Lorsque M. le juge Estey a
rendu le jugement de la Cour, il a fait le commen-
taire suivant en ce qui concerne les actions décla-
ratoires à la page 323:
L'action en jugement déclaratoire est depuis longtemps
connue des cours tant du Canada que du Royaume-Uni. On en
retrouve un exemple moderne dans l'affaire Dyson v. Attorney -
General, [1911] 1 K.B. 410 (C.A.), où les cours ont reconnu au
demandeur le droit d'intenter une action en jugement déclara-
toire contre la Couronne, sans qu'il soit nécessaire de recourir à
une pétition de droit. Le maître des rôles Cozens -Hardy, à la p.
416, a reconnu la compétence de la cour pour entendre pareille
affaire [TRADUCTION] « ... même si l'action a pour objet
immédiat et unique de porter atteinte aux droits de la Cou-
ronne en faveur des demandeurs». Cette forme d'action revêt
une importance d'autant plus grande dans un régime fédéral où
elle s'est révélée un moyen efficace de contester la constitution-
nalité de lois. Voir l'arrêt Thorson c. Le procureur général du
Canada, [1975] 1 R.C.S. 138, le juge Laskin (alors juge puîné),
à la p. 162, et Wade, Administrative Law, 4' éd., à la p. 500.
Il a ensuite ajouté, à la page 326:
Les demandes de déclaration faites en l'espèce, loin d'être
assorties d'une demande de récupération de biens ou de droits
" Jabour c. Law Society of British Columbia et autre,
[1982] 2 R.C.S. 307.
dirigée contre les défendeurs, constituent le fond même de
l'action, le seul objet visé par les demandeurs (intimés).
CONCLUSION
Pour tous les motifs précédents, je conclus que
l'appel devrait être accueilli avec dépens et que
l'ordonnance de la Section de première instance,
en date du 16 février 1990 radiant la déclaration
modifiée des appelants, devrait être infirmée.
LE JUGE HUGESSEN, J.C.A.: Je souscris à ces
motifs.
LE JUGE STONE, J.C.A.: Je souscris à ces
motifs.
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