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A-1082-87
Sa Majesté la Reine (appelante)
c.
Said Mohammad Attaie (intimé)
RÉPERTORIÉ: M.R.N. c. ATTAIE (CA.)
Cour d'appel, juges Heald, Stone et Desjardins, J.C.A.—Toronto, 6 juin; Ottawa, 14 juin 1990.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu Déductions Le juge de première instance conclut que l'intérêt payé sur un prêt hypothécaire était déductible en vertu de l'art. 20(1)c)(i) Le contribuable investit dans des dépôts à terme rapportant un taux d'intérêt élevé plutôt que de rembourser son prêt hypothécaire comme il avait eu l'intention de le faire lorsqu'il
a contracté le prêt L'appel est accueilli Les fonds empruntés ne sont pas directement reliés à un investissement productif de revenus de façon à rattacher les frais du prêt au revenu produit.
Il s'agit d'un appel interjeté contre le jugement par lequel le juge Collier a conclu que l'intérêt payé sur un prêt hypothécaire était déductible en vertu du sous-alinéa 20(1)c)(i). Lorsque l'intimé a acheté une maison en 1978, il a obtenu une hypothè- que à échéance libre à un taux d'intérêt plus élevé, car il avait l'intention de rembourser la dette dès qu'il pourrait retirer ses fonds de l'Iran. L'intimé a tout d'abord loué sa maison, puis à partir de juin 1980, il l'a habitée avec sa famille à titre de résidence principale. Bien que ses fonds en provenance de l'Iran soient arrivés en mai ou juin 1979, l'intimé a décidé de ne pas rembourser l'hypothèque mais plutôt d'investir l'argent dans des dépôts à terme,•qui rapportaient un intérêt considérable- ment plus élevé que l'intérêt sur le prêt hypothécaire. Le ministre a permis au contribuable de déduire de son revenu locatif les intérêts payés sur le prêt hypothécaire, mais il a rejeté leur déduction de l'intérêt tiré des dépôts à terme. Le juge de première instance a admis la seconde déduction, au motif que c'était l'intention du contribuable lorsqu'il a utilisé l'argent emprunté et non l'intention dans laquelle il l'a emprunté (c.-à-d. l'utilisation présente et non l'utilisation origi- nale) qui importait. L'appelante a avancé que le juge avait commis une erreur en concluant que l'utilisation de l'argent emprunté pour acheter une maison avait pris fin lorsque l'in- timé avait investi d'autres fonds dans des dépôts productifs de revenus. L'intimé a fait valoir qu'à toutes les époques concer- nées, les fonds empruntés avaient réellement été utilisés dans le but de produire un revenu. L'intérêt tiré des fonds investis a toujours excédé l'intérêt sur le prêt hypothécaire. Contraire- ment à ce qui était le cas dans l'affaire Bronfman Trust c. La Reine, le contribuable s'attendait raisonnablement à ce que le revenu tiré du placement des fonds venus de l'Iran excède l'intérêt payable sur la dette au même montant.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli.
Le sous-alinéa 20(1)c)(i) avait pour objet de favoriser l'accu- mulation de capitaux productifs de revenu imposable. Selon l'arrêt Bronfman Trust, les dispositions de la Loi exigent que l'examen porte sur l'utilisation faite de l'argent que le contri- buable a emprunté. L'emploi présent des fonds plutôt que leur
utilisation originale importe lorsqu'il s'agit d'apprécier la déductibilité des paiements d'intérêt. Dès lors que la maison du contribuable a cessé d'être un immeuble locatif, l'intérêt payé sur le prêt hypothécaire n'était plus déductible puisque la maison avait cessé de produire des revenus. L'utilisation pré- sente ne donnait plus lieu à une déduction. Le fait que le contribuable a décidé de conserver le prêt et d'utiliser les fonds venus de l'Iran pour faire un investissement plus avantageux n'a pas fait de l'intérêt sur le prêt un intérêt sur «de l'argent emprunté et utilisé en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien». L'utilisation indirecte des fonds empruntés n'au- torisait pas la déduction de l'intérêt payé à leur égard de façon à permettre au contribuable de conserver son argent personnel pour le placer dans des investissements productifs de revenus. L'argument fondé sur l'utilisation indirecte de l'argent emprunté a été expressément rejeté dans l'arrêt Bronfman Trust. Il a été statué que la Loi exige de rattacher l'emploi de l'argent emprunté à une utilisation admissible précise. En l'es- pèce, il n'y a aucune affectation des fonds empruntés qui les rattache au revenu produit. Ils ont reçu un emploi non admissi ble alors que les fonds personnels ont servi à produire un revenu. Le contribuable devait convaincre la Cour qu'il enten- dait réellement utiliser l'argent emprunté pour produire des revenus. Les fonds empruntés n'ont pas été utilisés par l'intimé en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien, mais en vue de payer sa propre résidence.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 20(1)c)(i), 178(2) (mod. par S.C. 1976-77, chap. 4, art. 64(1); 1980-81-82-83, chap. 158, art. 58; 1984, chap. 45, art. 75).
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Bronfman Trust c. La Reine, [1987] 1 R.C.S. 32; (1987), 36 D.L.R. (4th) 197; [1987] 1 C.T.C. 117; 87 DTC 5059; 25 E.T.R. 13; 71 N.R. 134.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Trans -Prairie Pipelines, Ltd. v. M.N.R., [1970] C.T.C. 537; (1970), 70 DTC 6351 (C. de l'É.); Sinha (BBP) c MRN, [1981] CTC 2599; (1981), 85 DTC 613 (C.R.I.).
DÉCISION INFIRMÉE:
Canada c. Attaie (S.M.), [1987] 2 C.T.C. 212; (1987), 87 DTC 5411; 13 F.T.R. 147 (C.F. 1 fe inst.).
DÉCISIONS CITÉES:
Emerson (R.I.) c. La Reine, [1986] 1 C.T.C. 422; (1986), 86 DTC 6184 (C.A.F.); Attaie (SM) c MRN, [1985] 2 CTC 2331; (1985), 85 DTC 613 (C.C.I.).
AVOCATS:
Ian MacGregor, c.r. et S. Patricia Lee pour
l'appelante.
C. M. Loopstra, c.r. pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour l'appelante.
Loopstra, Nixon & McLeish, Rexdale, Onta- rio, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE DESJARDINS, J.C.A.: La Cour est saisie d'un appel contre la décision de la Section de première instance [[1987] 2 C.T.C. 212] par laquelle le juge Collier a conclu que des intérêts payés sur une somme empruntée pour acheter une résidence familiale étaient déductibles de l'impôt du contribuable pour les années d'imposition 1980, 1981 et 1982 conformément au sous-alinéa 20(1)c)(i) de la Loi de l'impôt sur le revenu' ((< span> Loi»).
Les faits ne sont pas contestés.
L'intimé, natif de l'Iran, est marié et père de deux enfants. Il est tout d'abord venu au Canada sans sa famille en 1978. Ayant alors décidé de s'établir avec sa famille au Canada de façon per- manente, il s'est mis à la recherche d'une maison. En octobre 1978 il a conclu une entente visant l'achat d'une maison dans la région de Don Mills, près de Toronto. La date de signature de l'acte de vente était le 29 décembre 1978, et le prix d'achat s'élevait à 105 000 $. À l'époque, l'intimé disposait de 60 000 5. Il a donc contracté un prêt hypothé- caire afin d'obtenir 54 000 $. Il s'agissait d'une hypothèque à échéance libre, remboursable à volonté et arrivant à échéance le 30 novembre 1983. L'intimé a insisté sur ces conditions, quitte à payer davantage d'intérêt et contre l'avis de son agent immobilier, parce qu'il avait environ 200 000 $ en Iran. Il s'attendait à sortir cet argent de l'Iran dans un délai de quelques mois et il tenait à rembourser le prêt hypothécaire sans avis ni pénalité.
' Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63.
Il est revenu au Canada en 1979. La maison de Don Mills avait été louée jusqu'à la fin mai 1980. Pour ces cinq premiers mois de 1980, le défendeur a inscrit le revenu de location dans sa déclaration d'impôt. Il a déduit les dépenses relatives à l'im- meuble, y compris l'intérêt payé sur le prêt hypo- thécaire. Le ministère du Revenu a accueilli ces frais d'intérêt.
À partir du 1e` juin 1980, le défendeur et sa famille ont fait de la maison leur résidence princi- pale. La somme de 200 000 $ en provenance de l'Iran est arrivée au Canada en mai ou juin 1979. À cette époque, le taux d'intérêt sur les placements dans les dépôts à terme était considérablement supérieur au taux d'intérêt que l'intimé payait sur son prêt hypothécaire. Plutôt que de rembourser l'hypothèque, il a décidé d'investir les 200 000 $. C'est ce qu'il a fait jusqu'en février 1983, lorsqu'il a remboursé le prêt en raison de la baisse du taux d'intérêt versé sur les dépôts à terme.
Dans ses déclarations d'impôt pour les années d'imposition 1980, 1981 et 1982, l'intimé a déclaré à titre de revenu les intérêts qu'ont rapportés ses dépôts à terme. Il a tenté de déduire les intérêts payés sur le prêt hypothécaire. Les sommes récla- mées étaient les suivantes:
1980 3 260,63 $
1981 5 543,33 $
1982 2 739,58 $
Le ministre a rejeté ces déductions.
Le juge de première instance a accueilli les déductions, confirmant de la sorte la décision de la Cour de l'impôt 2 . Il a dit que selon la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Bronf- man Trust c. La Reine', ce n'était pas l'objet du prêt qui importait, mais le but poursuivi par le contribuable lorsqu'il a employé les fonds emprun- tés: l'important était l'emploi actuel et non pas l'emploi original. Puis il a ajouté:
Dans la présente cause, le but initial du défendeur était d'obtenir les fonds pour conclure l'achat d'une maison. Cette utilisation des fonds empruntés a cessé, au sens pratique des affaires, lorsqu'il a reçu ses fonds d'Iran. Il a pris la décision mûrement réfléchie de garder l'emprunt pour investir les fonds
2 Voir Attaie (SM) c MRN, [1985] 2 CTC 2331 (C.C.I.) La décision de la Cour de l'impôt a été rendue à l'époque l'affaire Bronfman Trust c. M.R.N. était devant la Cour d'ap- pel fédérale, mais antérieurement à l'arrêt de la Cour suprême du Canada.
[1987] I R.C.S. 32.
dans des dépôts à termes avantageux et de tirer un revenu. Il a agi avec le sens des réalités commerciales et économiques qui prévalaient à cette époque 4 .
Selon lui, l'intimé se trouvait alors dans la même situation que celle dont traite l'arrêt Sinha (BBP) c MRN 5 cité par le juge en chef Dickson dans l'arrêt Bronfman Trust dans lequel le juge en chef Dick- son a dit ce qui suit à l'égard de l'arrêt Sinha:
Inversement, un contribuable qui utilise ou qui entend utili- ser de l'argent emprunté pour une fin inadmissible, mais qui s'en sert ultérieurement pour tirer un revenu imposable d'une entreprise ou d'un bien, ne devrait pas se voir privé de la déduction à l'égard de l'utilisation actuelle, qui est admissible: Sinha c. Ministre du Revenu national, [1981] C.T.C. 2599 (C.R.I.); Attale c. Ministre du Revenu national, 85 D.T.C. 613 (C.C.I.), qui fait présentement l'objet d'un appel. Par exemple, dans le cas un contribuable emprunte pour acheter un bien meuble qu'il vend par la suite, les intérêts payés deviendront déductibles si le produit de la vente est affecté à l'achat de biens admissibles productifs de revenu 6 .
Le juge de première instance a alors conclu:
L'arrêt Sinha n'a pas été porté en appel. Je constate que l'ensemble des faits dans ces causes était assez semblable à celui de la cause qui nous occupe. Dans cet extrait, la Cour suprême n'a fait aucun commentaire qui s'oppose à ces deux décisions.
À mon avis, le défendeur, en l'espèce, s'est placé lui-même dans la proposition converse exposée par le juge en chef'.
L'appelante fait valoir que l'intimé s'est servi du prêt pour acheter une propriété dont il a fait sa résidence principale au cours des années d'imposi- tion 1980, 1981 et 1982. Le juge de première instance a commis une erreur de fait et une erreur de droit en concluant que cet emploi a pris fin lorsque l'intimé a placé d'autres fonds dans des dépôts productifs de revenus. Dès lors que l'intimé a fait de sa propriété sa résidence principale, on ne pouvait conclure que les fonds empruntés servaient réellement et directement à tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien. Par conséquent, on n'au- rait pas conclure que les intérêts sur le prêt hypothécaire étaient déductibles en vertu des dis positions du sous-alinéa 20(1)c) (i) de la Loi.
Pour sa part, l'intimé soutient qu'à toutes les époques pertinentes, les fonds empruntés ont servi véritablement, comme l'a conclu le juge de pre- mière instance, à produire des revenus. Le contri-
4 A la p. 216.
5 [1981] CTC 2599 (C.R.I.).
6 Bronfman Trust, précité, à la p. 47. ' Alap.217.
buable intimé se trouve dans les circonstances exceptionnelles décrites par le juge en chef Dick- son dans l'arrêt Bronfman Trust. Bien que l'argent emprunté ait servi à l'origine à l'achat d'une rési- dence que le contribuable a par la suite occupée, l'intérêt que ce dernier a pu tirer des fonds qu'il a investis a excédé, en tout temps, l'intérêt sur son hypothèque. L'argent emprunté servait à produire un revenu dans des circonstances telles qu'aucun autre arrangement financier ne pouvait donner un profit aussi élevé, source de revenus nets imposa- bles plus considérables. Si le contribuable avait remboursé l'hypothèque dès qu'il a reçu les fonds en provenance de l'Iran, puis obtenu une nouvelle hypothèque pour lui permettre de faire des place ments, le revenu qu'il aurait tiré aussi bien que son obligation fiscale nette auraient été bien inférieurs au revenu et à la dette fiscale consécutifs à ses efforts en vue d'augmenter ses possibilités de gagner des revenus. L'intimé affirme que ceci répond à l'intention poursuivie par le Parlement lorsqu'il a adopté 'le sous-alinéa 20(1)c)(i) de la Loi. Contrairement à ce qui était le cas dans l'affaire Bronfman Trust, le contribuable en l'es- pèce pouvait raisonnablement s'attendre à ce que les intérêts que lui rapportait l'argent en prove nance de l'Iran soient supérieurs à l'intérêt qu'il devait payer sur la somme équivalente qu'il avait empruntée. Nier la déductibilité de l'intérêt pour insister sur une exigence formelle visant l'absence de revenus, c'est décourager l'accumulation de capitaux productifs de revenus imposables à l'en- contre de l'intention du législateur. La réalité com- merciale et économique justifie de permettre la déduction de l'intérêt payable sur un prêt bien qu'il n'ait pas été contracté à l'origine en vue de tirer ou de produire des revenus.
Je me range à la position de l'appelante.
Les parties pertinentes du sous-alinéa 20(1)c)(i) étaient rédigées comme suit à l'époque concernée:
20. (1) Nonobstant les dispositions des alinéas 18(1)a), b) et h), lors du calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition, peuvent être déduites celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qui peut raisonnablement être considérée comme s'y rapportant:
c) une somme payée dans l'année ou payable pour l'année (suivant la méthode habituellement utilisée par le contribua-
ble dans le calcul de son revenu), en exécution d'une obliga tion légale de verser des intérêts sur
i) de l'argent emprunté et utilisé en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien (autre que l'argent emprunté et utilisé pour acquérir un bien dont le revenu serait exonéré d'impôt ou pour prendre une police d'assurance- vie),
L'objectif que poursuivait le Parlement lorsqu'il a adopté ces restrictions a été qualifié de la façon suivante par le juge en chef Dickson dans l'arrêt Bronfman Trust:
Je partage l'avis du juge Marceau quant au but de la disposition permettant la déduction d'intérêts. Le législateur a conçu le sous-al. 20(1)c)(i) et lui a donné effet nonobstant l'al. 18(1)b) pour favoriser l'accumulation de capitaux productifs de revenus imposables'.
Selon l'arrêt Bronfman Trust, les dispositions de la loi exigent que l'examen qu'il y a lieu de faire se concentre sur l'emploi des fonds empruntés par le contribuable. Leur usage actuel plutôt que leur affectation première importe à l'appréciation de la déductibilité des intérêts versés.
Il n'est pas contesté que les intérêts payés sur le prêt hypothécaire ont été correctement déduits du revenu que l'intimé a tiré de la location de sa maison. Lorsque la maison n'a plus été louée, l'intérêt payé sur l'hypothèque n'était plus déducti- ble puisque la maison avait cessé de produire des revenus. L'emploi courant des fonds était devenu non admissible. Le fait que l'intimé a décidé de conserver le prêt et de se servir de l'argent en provenance de l'Iran pour faire un investissement plus avantageux ne rend pas pour autant les inté- rêts payés sur le prêt «des intérêts sur de l'argent emprunté et utilisé en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien» au sens du sous-alinéa 20(1)c)(i) de la Loi. Dans l'arrêt Bronfman Trust, le juge en chef Dickson a dit ce qui suit:
... on a conclu à maintes reprises qu'un particulier ne peut pas déduire l'intérêt payé sur l'hypothèque grevant une habitation personnelle, même s'il allègue que l'emprunt lui a évité d'avoir à vendre des placements productifs de revenu 9 .
La même conclusion s'applique en l'espèce bien qu'il n'ait pas été question d'emprunter pour pré- venir la vente de placements comme dans l'affaire Bronfman Trust, mais plutôt de contracter un emprunt pour l'utilisation d'une résidence person -
8 Bronfman Trust, précité, à la p. 45.
9 Bronfman Trust, précité, à la p. 50.
nelle de façon à conserver des fonds personnels pour les mettre dans des placements productifs de revenus. L'argent emprunté n'est pas relié directe- ment au placement productif de revenus de façon à .rattacher les frais du prêt au revenu tiré 10 .
L'emploi indirect de l'argent emprunté ne rend pas cette déduction possible. Dans l'arrêt Bronf- man Trust, précité, l'argument fondé sur l'emploi indirect des fonds empruntés a été expressément rejeté. Dans cette affaire, les fiduciaires de fonds en fiducie qui avaient appliqué une politique d'in- vestissement plus axée sur les gains en capital que sur les revenus, avaient contracté un prêt pour faire des versements de capital au bénéficiaire plutôt que de vendre des parts dans le fonds en fiducie parce qu'ils estimaient qu'une telle vente, à l'époque, aurait été malavisée sur le plan commer cial. Ils ont donc tenté de déduire du revenu du fonds en fiducie les intérêts payés sur le prêt. La Cour suprême du Canada a refusé de déterminer la nature de l'opération en fonction de quelque usage indirect de l'argent emprunté dans le but de gagner des revenus donnant lieu à déduction. Selon le juge en chef Dickson:
. ni la Loi de l'impôt sur le revenu ni la jurisprudence n'autorisent les tribunaux à ne pas tenir compte de l'usage direct qu'un contribuable fait d'argent emprunté".
Au contraire, a-t-il dit:
... le texte de la Loi exige que les fonds empruntés aient été affectés à une utilisation admissible précise, car, à l'évidence, le but restreint qu'elle vise est d'encourager les contribuables à améliorer leurs possibilités de produire des revenus. Voilà, selon moi, qui vient empêcher qu'une déduction soit permise à l'égard de l'intérêt payé sur des fonds empruntés qui servent indirecte- ment à conserver des biens productifs de revenu, mais qui ne sont pas utilisés directement «en vue de tirer un revenu ... d'un bien» 12 .
Il n'y a en l'espèce aucune affectation des fonds empruntés qui les rattache au revenu produit. Ils ont reçu une utilisation non admissible alors que les fonds personnels ont servi à produire des revenus.
L'intimé prétend que contrairement à ce qui était le cas dans l'affaire Bronfman Trust, ses actifs produisaient des revenus de sorte qu'il se
10 Voir Emerson (R.I.) c. La Reine, [1986] .1 C.T.C. 422
(C.A.F.).
" Bronfman Trust, précité, à la p. 48.
Z Bronfman Trust, précité, aux p. 53 et 54. C'est moi qui
souligne.
trouve placé dans les circonstances exceptionnelles décrites par le juge en chef Dickson dans l'arrêt Bronfman Trust. Voici ce qu'il a dit:
Même s'il est des circonstances exceptionnelles dans lesquel- les, selon une appréciation réaliste des opérations d'un contri- buable, il pourrait convenir, en raison d'un effet indirect sur sa capacité de gagner des revenus, de lui permettre de déduire l'intérêt sur les fonds empruntés pour un usage inadmissible, je suis convaincu que de telles circonstances n'existent pas en l'espèce. Il me semble qu'à tout le moins, le contribuable doit convaincre la Cour que la fin réelle qu'il visait en utilisant les fonds était de gagner un revenu. À l'inverse de ce qui semble être le cas dans l'affaire Trans -Prairie, les faits en l'espèce sont loin de faire cette démonstration'.
Dans l'arrêt Trans -Prairie Pipelines, Ltd. v. M.N.R. 14 , la société appelante avait pour entre- prise la construction et l'exploitation d'un pipeline. A un moment donné, elle a eu besoin de fonds en vue d'une expansion. Son capital original, lors- qu'elle s'est lancée en affaires en 1954, se compo- sait d'actions ordinaires et d'actions privilégiées. Elle a cependant constaté qu'il lui était impossible, dans la pratique, d'émettre des obligations sans avoir auparavant racheté ses actions privilégiées en raison des exigences afférentes au fonds d'amortis- sement attachées à ses actions privilégiées. Il lui fallait donc racheter ces dernières. Pour ce faire, elle a versé 700 000 $ aux détenteurs des actions privilégiées, puis elle a emprunté 700 000 $ au moyen d'une émission d'obligations et elle a obtenu 300 000 $ additionnels en émettant d'au- tres actions ordinaires. Au cours de ces opérations, la société a racheté ses actions privilégiées en utilisant les 300 000 $ rapportés par la nouvelle émission d'actions ordinaires et en prenant 400 000 $ sur les 700 000 $ tirés de l'émission des obligations. La question s'est posée de savoir si l'appelante avait droit de déduire la totalité ou seulement une partie de l'intérêt payable sur ces obligations en vertu de ce qui était alors l'alinéa 11(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, chap. 148, une disposition analogue au sous- alinéa 20(1)c)(1) de la Loi. Le président Jackett (tel était alors son titre) s'est montré d'avis que l'intégralité des 700 000 $ était de l'argent emprunté utilisé en vue de tirer un revenu de l'entreprise de l'appelante, et non pas seulement les
13 Bronfman Trust, précité, à la p. 54.
14 [1970] C.T.C. 537 (C. de l'É.).
300 000 $ comme le prétendait le ministre, et
qu'en conséquence tous les intérêts empruntés sur les obligations étaient déductibles. Le président Jackett a dit que la totalité des 700 000 $ [TRA- DUCTION] «était destinée à remplir le vide créé par le rachat des actions privilégiées d'une valeur de 700 000 $. 15 » Le juge en chef Dickson a confirmé ce raisonnement 16 .
Le contribuable en l'espèce est loin de se trouver dans les circonstances exceptionnelles dont il est question dans l'arrêt Trans -Prairie Pipelines. Ce qu'a dit le juge en chef Dickson dans l'arrêt pré- cité, c'est que «le contribuable doit convaincre la Cour que la fin réelle qu'il visait en utilisant les fonds était de gagner un revenu». Les fonds empruntés n'ont pas été utilisés par le contribuable pour tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien comme c'était le cas en vertu de l'arrangement financier décrit dans l'arrêt Trans -Prairie. Ils ont servi à payer la résidence personnelle de l'intimé.
Je n'ai pas à décider quelle aurait été la situa tion si l'intimé avait utilisé ses fonds personnels .pour rembourser le prêt hypothécaire, pour ensuite contracter un emprunt à des fins de placement en donnant sa maison en garantie. La prétention de l'intimé voulant que la distinction entre un tel arrangement et celui en l'espèce soit simplement formelle me cause toutefois des problèmes. Mais en dernière analyse, les propos du juge en chef Dickson dans l'arrêt Bronfman Trust régissent l'espèce ":
... les tribunaux doivent tenir compte de ce que le contribuable a réellement fait et non pas de ce qu'il aurait pu faire: Matheson c. La Reine, 74 D.T.C. 6176 (C.F.D.P.I.), le juge Mahoney, à la p. 6179.
En l'espèce, les fonds empruntés ne peuvent être rattachés à une utilisation admissible précise.
L'arrêt Sinha cité par le juge en chef Dickson '$ et sur lequel s'est appuyé le juge de première instance, traite de faits totalement différents de ceux dont il est question en l'espèce. Dans cette affaire, la destination première du prêt avait été modifiée, mais les fonds empruntés avaient reçu un emploi admissible. Le contribuable en question avait emprunté de l'argent à titre de prêt canadien
15 Trans -Prairie Pipelines, Ltd. v. M.N.R., à la p. 541.
16 Bronfman Trust, précité, à la p. 52.
" Bronfman Trust, à la p. 55.
g Bronfman Trust, à la p. 47.
aux étudiants à un taux d'intérêt avantageux. Comme il n'avait pas besoin de la somme emprun- tée, il a décidé de l'investir pour en tirer un revenu, et il a déduit les frais d'intérêt. Le ministre a rejeté la déduction au motif que les fonds, empruntés à l'origine pour un usage personnel, avaient conservé ce caractère au cours de la période concernée. La Commission de révision de l'impôt a statué que bien que la fin originale du prêt ait été modifiée, la somme empruntée avait servi, au cours de l'année en cause, à tirer un revenu et non à payer les frais de scolarité du contribuable. Les exigences du sous-alinéa 20(1)c) (i) étaient respectées puisque l'usage courant des fonds empruntés était un usage admissible 19 .
J'accueillerais l'appel, j'annulerais la décision du juge de première instance et je rétablirais les nou- velles cotisations établies plus tôt par le ministre dans lesquelles il avait rejeté les montants récla- més par l'intimé à titre de déductions d'intérêt pour les années d'imposition 1980, 1981 et 1982, et comme il est décrit plus haut.
Conformément au paragraphe 178(2) de la Loi 20 , j'ordonnerais que l'intimé se voit adjuger ses frais dans l'appel.
19 Dans la même veine, le juge en chef Dickson a mentionné l'arrêt «Attaie (SM) c MRN (1985), 85 DTC 613 (C.C.I.) (actuellement porté en appel).» Cité comme il l'a été, il ne pouvait s'agir d'une approbation de la décision de la Cour de l'impôt. Tout au plus dans son contexte, la citation ne peut viser que la partie non contestée du jugement qui traite de la période pendant laquelle la maison de Attaie a été utilisée comme immeuble locatif.
20 Voici le libellé du paragraphe 178(2) [mod. par S.C. 1976-77, chap. 4, art. 64(1); 1980-81-82-83, chap. 158, art. 58; 1984, chap. 45, art. 75] de la Loi en vigueur au moment du dépôt de l'appel (le 5 novembre 1987):
178... .
(2) Lorsque, sur un appel interjeté par le Ministre, autre- ment que par voie de contre-appel, d'une décision de la Cour canadienne de l'impôt, le montant
a) d'impôt, de remboursement ou du montant payable en vertu du paragraphe 196(2) (dans les cas la cotisation de l'impôt, la détermination du remboursement, ou du montant payable, selon le cas,) qui fait l'objet du litige ne dépasse pas $10,000 ou
b) de la perte dans le cas d'une détermination de la perte)
qui fait l'objet du litige ne dépasse pas $20,000, la Cour fédérale, en statuant sur l'appel, doit ordonner que le Ministre paie tous les frais raisonnables et justifiés du contri- buable afférents à l'appel.
LE JUGE HEALD, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE STONE, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
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