A-5-90
Sergio Rene Urroz Rios (requérant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
RÉPERTORIÉ: Rios c. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE
L'IMMIGRATION) (CA.)
Cour d'appel, juges Pratte, MacGuigan et Desjar-
dins, J.C.A.—Toronto, 21 juin; Ottawa,
4 juillet 1990.
Immigration — Expulsion — Le requérant n'a pas comparu
à l'enquête tenue à Montréal étant donné qu'il n'avait pas
l'argent nécessaire pour assumer les frais de transport depuis
Toronto — Rapport déposé en vertu de l'art. 27(2)f) de la Loi
sur l'immigration — Mesure d'expulsion prise — L'arbitre a
commis une erreur en définissant l'expression «'se dérober»
comme une simple non-comparution volontaire — L'expres-
sion «se dérober» comporte un élément intellectuel — Les
définitions figurant dans les dictionnaires montrent que l'ex-
pression «elude» («se dérober») laisse entendre l'intention de se
soustraire de façon générale à la loi.
Il s'agit d'une demande visant à faire examiner et annuler
une mesure d'expulsion. Le requérant a omis de comparaître à
l'enquête qui devait avoir lieu à Montréal car il n'avait pas
l'argent nécessaire pour se rendre de Toronto à Montréal. Selon
l'alinéa 27(2)f) de la Loi sur l'immigration, l'agent d'immigra-
tion qui a en sa possession des renseignements selon lesquels
une personne s'est dérobée à l'interrogatoire ou à l'enquête
envoie au sous-ministre un rapport dans lequel il donne des
détails à ce sujet. Un rapport de ce genre a été rédigé et un
mandat a été décerné en vue de l'arrestation du requérant.
Trois jours après la date d'audience, le requérant a demandé à
un ami de téléphoner aux fonctionnaires de l'immigration pour
expliquer son absence. Il a été arrêté à Toronto et une enquête
a été tenue. L'arbitre a décidé que le requérant s'était dérobé à
l'enquête en omettant d'y assister de son propre gré. Il s'agit de
savoir si un élément intellectuel ou une intention doit exister
lorsqu'une personne «se dérobe» à une enquête.
Arrêt (dissidence du juge Desjardins): la demande devrait
être accueillie.
Le juge MacGuigan (avec l'appui du juge Pratte): Selon les
définitions figurant dans les dictionnaires, l'expression «elude»
(«se dérober») laisse entendre un élément d'artifice ou de
subreptice, ou l'intention de refuser d'honorer une obligation et
d'échapper de façon générale aux conséquences de la loi. Cela
correspond à l'expression «s'est dérobée» utilisée dans la Loi. La
version anglaise de la disposition («eluded examination or
inquiry»), où ne figure aucun article, laisse entendre quelque
chose de plus général que le simple fait de ne pas assister à une
enquête. Les deux autres actes mentionnés à l'alinéa 27(2)f),
soit l'entrée illégale au pays ou l'évasion, sont des actes graves
avec lesquels une intention générale de se soustraire s'accorde-
rait davantage qu'une simple non-comparution. Enfin, la peine,
soit l'expulsion, laisse entrevoir une infraction plus grave que
celle qui a été commise en l'espèce.
L'arbitre a commis une erreur en omettant de tenir compte
de l'excuse donnée par le requérant, pour le motif qu'à son avis,
une excuse qui n'était pas une «excuse légale» n'était pas
acceptable. Pour tirer sa conclusion, il aurait dû se demander si
le requérant avait des motifs raisonnables de croire qu'il avait
une bonne excuse de ne pas comparaître à l'enquête. Le présent
jugement ne devrait pas nuire à l'application de la Loi. L'omis-
sion de comparaître à une enquête donne lieu à une preuve
prima facie en vertu de l'alinéa 27(2)f), laquelle permettrait la
prise de mesures d'exécution. L'affaire devrait être déférée à
l'arbitre pour qu'il rende une décision en partant du principe
qu'une personne ne se dérobe pas à une enquête au sens de
l'alinéa 27(2)f) si elle a des motifs raisonnables de croire qu'elle
a une bonne excuse de ne pas y comparaître.
Le juge Desjardins (dissidente): Certaines définitions de
l'expression «elude» («se dérober») ne semblent pas comporter
un élément d'artifice, mais toutes les définitions laissent enten-
dre la nécessité d'examiner toutes les circonstances pour déter-
miner si une personne avait l'intention de ne pas se conformer à
une obligation de la loi. L'arbitre a eu raison de décider que
l'expression «s'est dérobée» figurant dans la Loi sur l'immigra-
tion ne veut pas dire que la personne cherchera toujours à éviter
l'enquête ou à y échapper. Lorsque l'arbitre a ajouté que le
requérant n'avait aucune excuse légitime, il laissait entendre
que celle-ci n'avait pas la «substance morale» qui en ferait une
excuse «non interdite par la loi». Le critère appliqué par l'arbi-
tre était le même que celui qu'a proposé le juge MacGuigan,
J.C.A. En concluant que le requérant s'était dérobé à l'enquête
en omettant de son propre gré d'y assister, l'arbitre exprimait
son appréciation finale des faits en fonction de la preuve.
Compte tenu des conséquences graves en découlant, la personne
qui se trouve dans la situation du requérant doit trouver un
moyen de se présenter au bureau de l'immigration le plus près
de chez elle avant la date fixée pour l'enquête.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7,
art. 28.
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), chap. I-2,
art. 27(2)f), 32(6) (mod. par L.R.C. (1985) (4» suppl.),
chap. 28, art. 11), 82.1 (mod., idem, art. 19), 94.
DOCTRINE
Black's Law Dictionary, 5th ed., St. Paul, Minn.: West
Publishing Co., 1979, «evasion» («fait de se sous-
traire»), « lawful» («légitime»).
Concise Oxford Dictionary, 7th ed., Oxford: Clarendon
Press, 1982, « avoid» («éviter»), «elude» («se dérober»),
«evade» («se soustraire»).
Consolidated Webster Encyclopedic Dictionary, [S.1:
s.n.: s.d.], «elude» («se dérober»).
Robert, Paul Dictionnaire alphabétique et analogique de
la langue française (Le Grand Robert), tome III, 2» éd.
Paris: Société du nouveau Littré, 1986, «se dérober».
Robert, Paul Dictionnaire alphabétique et analogique de
la langue française (Le Petit Robert), Paris: Société du
nouveau Littré, 1973, «se dérober».
Shorter Oxford English Dictionary, 3rd éd., Oxford:
Clarendon Press, 1973, «elude» («se dérober») «evade»
(«se soustraire»).
AVOCATS:
Douglas Lehrer pour le requérant.
Claire A. LeRiche pour l'intimé.
PROCUREURS:
Douglas Lehrer, Toronto, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada, pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A.: Il s'agit d'une
demande fondée sur l'article 28, qui est introduite
avec l'autorisation de la Cour en vertu de l'article
82.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985),
chap. I-2, et ses modifications [L.R.C. (1985) (4e
suppl.), chap. 28, art. 19] («la Loi»), en vue de
faire réviser et annuler la mesure d'expulsion prise
par un arbitre contre le requérant le 3 novembre
1989.
À son arrivée au Canada à l'aéroport de Dorval
le 26 juillet 1988, le requérant, qui est un citoyen
du Nicaragua, a reçu l'ordre de la part d'un agent
d'immigration de comparaître à une enquête de
l'immigration à Montréal le 25 novembre 1988. À
la suite du défaut du requérant de se présenter à
l'enquête, un agent d'immigration a déposé en
vertu de l'article 27 de la Loi un rapport dans
lequel il a déclaré qu'il possédait des renseigne-
ments indiquant que le requérant s'était «dérobé à
l'interrogatoire ou l'enquête» au sens de l'alinéa
27(2)f).
En conséquence, le 30 décembre 1988, un
mandat d'arrêt a été délivré à Montréal, et le
requérant a été arrêté à un bureau d'immigration
de Toronto le 24 avril 1989. Il a été libéré sous
condition, et une enquête a été ouverte à Toronto
le le' juin 1989.
Au cours de l'enquête qui a eu lieu à Toronto, le
requérant a expliqué qu'il s'était rendu à Toronto
le lendemain de son arrivée à l'aéroport de Dorval,
qu'il n'était jamais retourné à Montréal, et qu'en
fait, il n'avait pas l'argent nécessaire pour retour-
ner à Montréal. Il a également affirmé qu'il avait
demandé à un ami de téléphoner aux fonctionnai-
res de l'immigration à Montréal pour expliquer les
raisons de sa non-comparution, encore qu'il faille
reconnaître que cela a eu lieu le 28 novembre
1988, trois jours après la date prévue de l'enquête
de Montréal. Son ami aurait été informé qu'une
nouvelle enquête aurait lieu à Toronto à l'intention
du requérant. Le requérant a également témoigné
que le lei décembre 1988, il s'était présenté à un
bureau de l'immigration de Toronto pour expliquer
plus en détail sa non-comparution à Montréal.
L'alinéa 27(2)f) de la Loi est ainsi libellé:
27....
(2) L'agent d'immigration ou l'agent de la paix doit, sauf si
la personne en cause, arrêtée sans mandat, est détenue en vertu
de l'article 103, faire un rapport circonstancié au sous-ministre
de renseignements concernant une personne se trouvant au
Canada autrement qu'à titre de citoyen canadien ou de résident
permanent et indiquant que celle-ci, selon le cas:
f) a pénétré au Canada sans passer par un point d'entrée et
sans se présenter immédiatement à un agent d'immigration
ou s'est dérobée à l'interrogatoire ou l'enquête prévus par la
présente loi ou encore s'est évadée alors qu'elle était légale-
ment retenue ou détenue en vertu de la présente loi;
La question clé dont l'arbitre de Toronto était
saisi était celle de savoir si le requérant s'était
«dérobé à l'enquête» au sens de l'alinéa 27(2)f).
Son avocat prétend que le mot «se dérober» impli-
que un élément intellectuel, une intention de
passer dans la clandestinité, de ne jamais se pré-
senter à l'enquête. Cette interprétation a été reje-
tée par l'arbitre, qui en est arrivé à la conclusion
suivante (dossier, à la page 103):
[TRADUCTION] Or, suivant la preuve, vous saviez que vous
deviez vous présenter à une enquête à Montréal le 25 avril...
novembre 1988. Je suis persuadé que l'expression «se dérober»
qu'on trouve dans la Loi sur l'immigration ne veut pas dire que
vous pouvez indéfiniment vous soustraire ou échapper à l'en-
quête. Vous aviez reçu l'ordre légal de vous présenter à une
enquête à Montréal le 25 novembre 1988 et vous n'aviez
aucune excuse légitime de ne pas y assister. Vous avez délibéré-
ment choisi de ne pas comparaître à l'enquête pour vos propres
raisons, que vous avez exposées au cours de la présente enquête,
à savoir que vous n'aviez pas l'argent nécessaire pour vous
rendre à Montréal pour assister à l'enquête.
Comme vous n'aviez aucune excuse légitime de ne pas assis-
ter à l'enquête—c'est-à-dire que vous n'aviez pas le droit de ne
pas y participer—même si vous aviez pu, c'est-à-dire si vous
aviez eu l'argent, vous y auriez participé, je conclus que vous
vous êtes effectivement dérobé à cette enquête en omettant
simplement de votre propre gré d'y assister. Comme vous
n'aviez aucune excuse légitime de ne pas y participer, je conclus
que vous vous êtes dérobé à une enquête au sens de la Loi sur
l'immigration.
Vous vous rendez bien compte que j'en suis venu à la
conclusion que vous relevez du cas prévu à l'alinéa 27(2)f) de la
Loi sur l'immigration?
Devant notre Cour, le débat a porté sur la
question de savoir si l'arbitre avait commis une
erreur en définissant l'expression «se dérober»
comme une simple non-comparution volontaire. Le
requérant a réitéré sa prétention qu'un élément
intellectuel était requis pour qu'on puisse conclure
qu'une personne «se dérobe» à une enquête.
Le sens pertinent de «elude» («se dérober») dans
le Shorter Oxford English Dictionary, 3e éd.,
1973, est: [TRADUCTION] «se soustraire à (son
devoir, ses obligations)», ou simplement «se sous-
traire» («to evade»). «Evade», à son tour, est défini
comme «échapper par adresse à quelque chose».
L'intimé nous a cité la définition du Consolida
ted Webster Encyclopedia Dictionary:
[TRADUCTION] se soustraire ou se dérober à quelque chose en
recourant à un artifice, un stratagème, la ruse, la tromperie ou
l'adresse. N'être pas vu, découvert ou expliqué.
À nouveau, l'intimé a cité la définition que l'on
trouve du mot «evasion» dans le Black's Law Dic
tionary, 5e éd., 1979:
[TRADUCTION] Fait de se dérober, d'esquiver, d'éviter ou de se
soustraire au moyen d'artifices ... Manoeuvres subtiles visant à
se détourner de la vérité ou à échapper à un châtiment prévu
par la loi.
Il me semble donc que le terme anglais «elude»
(«se dérober») implique soit l'adresse ou la fuite,
soit l'intention de refuser d'honorer ses obligations
ou d'échapper de façon générale aux conséquences
de la loi, ce qui, dans le présent contexte, signifie-
rait non seulement ne pas assister à une enquête
donnée, mais également de ne pas se conformer
aux prescriptions de la loi. La version française
(s'est dérobée à l'interrogatoire ou l'enquête prévus
par la présente loi) me semble aller dans le même
sens.
Cette analyse de définitions semble s'accorder
avec l'emploi du mot anglais «elude» dans la Loi
elle-même. En premier lieu, l'expression employée
à l'alinéa 27(2)f) est «s'est dérobée à l'interroga-
toire ou l'enquête», et non «à un interrogatoire» ou
«à une enquête». Il est donc permis de penser qu'il
s'agit de quelque chose de plus général que le
simple fait de ne pas assister à une enquête. En
deuxième lieu, à l'alinéa f), le fait de se dérober à
l'enquête est associé à la tentative de pénétrer au
Canada à un endroit non autorisé sans se présenter
à un point d'entrée et à celui de s'évader alors
qu'on est légalement détenu ou retenu; ce sont
deux actes graves avec lesquels une intention géné-
rale de se dérober s'accorderait davantage qu'une
simple non-comparution à une enquête. En troi-
sième lieu, aux termes du paragraphe 32(6) [mod.
par L.R.C. (1985) (4e suppl.), chap. 28, art. 11], la
peine prévue lorsqu'on conclut que l'intéressé
relève d'un des cas visés au paragraphe 27(2) est
l'expulsion, ce qui laisse entrevoir une infraction
plus grave que celle qui a été commise en l'espèce'.
Je dois donc conclure que l'arbitre a commis une
erreur en concluant que le requérant s'était «effec-
tivement dérobé à cette enquête en omettant sim-
plement de [son] propre gré d'y assister». La
volonté du requérant ne constitue pas un élément
intellectuel suffisant, ni la simple absence d'excuse
légitime; ces deux éléments seraient réunis par
exemple dans le cas d'une maladie personnelle ou
familiale qui pourrait aussi empêcher l'intéressé
d'assister à une enquête. Il faut tenir compte de
l'excuse du requérant, même si elle n'est pas une
«excuse légale», pour déterminer s'il avait l'état
d'esprit nécessaire pour qu'on puisse conclure qu'il
se dérobait à l'enquête. Il en est ainsi même si les
tentatives qu'il a faites pour informer les autorités,
si on y ajoute foi, ont eu lieu après la date de
l'enquête, parce que cela permettrait quand même
d'élucider son état d'esprit au moment où il a fait
défaut de comparaître à l'enquête.
Évidemment, les prescriptions de la loi compor-
tent l'obligation d'être présent à l'enquête à la date
fixée (et non simplement à la date et à l'heure
choisies par l'intéressé), à défaut de circonstances
atténuantes. L'erreur de l'arbitre a été de ne pas
examiner l'excuse du requérant, parce qu'il était
d'avis que toute excuse qui n'était pas légitime
n'était pas acceptable. À mon avis, il aurait dû se
' En plus d'être frappée d'une mesure d'expulsion, la per-
sonne qui se dérobe à une enquête est, aux termes de l'article
94, susceptible d'être déclarée coupable d'une infraction pour
laquelle elle encourt, sur déclaration de culpabilité par mise en
accusation, une amende de 5 000 $ et un emprisonnement de
deux ans, mais cette disposition ne s'applique pas en l'espèce.
faire une opinion, non pas sur le droit mais sur les
faits, en se demandant si le requérant avait des
motifs raisonnables de croire qu'il avait une bonne
excuse de ne pas comparaître à l'enquête.
L'intimé a fait valoir devant nous que si la Cour
devait statuer en ce sens, cela rendrait l'application
de la Loi extrêmement difficile en diminuant le
respect de la loi associé aux enquêtes. Je ne vois
pas toutefois comment une telle difficulté pourrait
s'ensuivre. Le défaut de comparaître à un interro-
gatoire ou une enquête donnerait certainement
lieu, à mon sens, à une preuve qui, pour l'applica-
tion de l'alinéa 27(2)f), serait suffisante à pre-
mière vue pour permettre à un agent d'immigra-
tion de penser que l'intéressé se dérobait à
l'interrogatoire ou l'enquête, et l'on pourrait alors
prendre des mesures pour faire respecter la Loi. La
différence réside dans le fait qu'avec la présente
décision, l'intéressé pourrait faire trancher sa
cause par la suite en fonction de ses intentions
réelles. Je ne saurais croire que cela rend l'applica-
tion de la Loi difficile ni, en fait, qu'il faille, en
toute justice, traiter autrement l'intéressé, eu
égard aux conséquences éventuelles.
La demande fondée sur l'article 28 devrait donc
être accueillie, la décision rendue par l'arbitre le 3
novembre 1989 devrait être annulée et l'affaire
devrait être déférée à l'arbitre pour qu'il rende une
décision en partant du principe qu'une personne ne
se dérobe pas à une enquête au sens de l'alinéa
27(2)f) de la Loi sur l'immigration si cette per-
sonne a des motifs raisonnables de croire qu'elle a
une bonne excuse de ne pas comparaître à
l'enquête.
LE JUGE PRATTE, J.C.A.: Je suis du même avis.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE DESJARDINS, J.C.A.: (dissidente):
Mes remarques porteront tant sur le critère juridi-
que à appliquer lorsqu'on a affaire à l'alinéa
27(2)f) de la Loi sur l'immigration 2 (la «Loi») que
sur la manière dont il a été appliqué en l'espèce.
2 L.R.C. (1985), chap. I-2.
Je constate que le sens que le Concise Oxford
Dictionary' donne du mot «elude» (se dérober) est
légèrement différent de celui qu'on trouve dans le
Shorter Oxford English Dictionary, 3e éd. 1973,
cité par mon collègue le juge Mark MacGuigan,
J.C.A. Le Concise Oxford donne la définition
suivante: [TRADUCTION] «éviter («avoid») de se
conformer à (la loi, une demande), de remplir (une
obligation)». Le mot «avoid», à son tour, est défini
comme suit: [TRADUCTION] «s'abstenir de (penser,
faire); échapper à, se soustraire à» («evade»). Le
sens donné au mot «evade» est le suivant: [TRA-
DUCTION] «échapper à («escape»), éviter».
«Escape» signifie «avoid» (éviter).
«Se dérober», suivant Le Petit Robert 4 , c'est:
«échapper, soustraire (se) ... éviter, fuir ... Fig.
Se dérober à ses devoirs, à ses obligations.»
L'élément d'adresse ou de ruse n'est pas présent,
du moins dans ces définitions. Ce qui est implicite
cependant, selon moi, dans toutes les définitions
citées, y compris celles qu'on trouve dans les
motifs du jugement du juge MacGuigan, J.C.A.,
c'est la nécessité de tenir compte de toutes les
circonstances pour déterminer si, en faisant défaut
de comparaître à l'enquête, une personne avait
l'intention de ne pas respecter les prescriptions de
la loi.
Ce que la loi prescrit, c'est qu'une personne ne
doit pas se dérober à «l'enquête prévu[e] par la
présente loi» (elude «inquiry under this Act»). En
l'espèce, l'enquête prévue par la loi a été fixée au
25 novembre 1988 lorsque le requérant est entré
au Canada à l'aéroport de Dorval le 26 juillet
1988.
L'arbitre a eu raison, selon moi, de dires:
[TRADUCTION] Je suis persuadé que l'expression «se dérober»
qu'on trouve dans la Loi sur l'immigration ne veut pas dire que
vous pouvez indéfiniment vous soustraire ou échapper à l'en-
quête ... [C'est moi qui souligne.]
Il a ensuite ajouté:
Vous aviez reçu l'ordre légitime de vous présenter à l'enquête à
Montréal le 25 novembre 1988 et vous n'aviez aucune excuse
légitime de ne pas y assister ... [C'est moi qui souligne.]
The Concise Oxford Dictionary, 7e éd., 1982.
Le Petit Robert, 1973; Le Grand Robert de la langue
française, 2e éd., 1986, est équivalent.
5 Dossier d'appel, à la page 103.
Le Black's Law Dictionary définit comme suit le
mot «lawful» (légitime) 6 :
[TRADUCTION] La principale distinction qui existe entre les
termes «lawful» (légitime) et «legal» (légal) est que le premier
touche le fond du droit, tandis que le second touche la forme du
droit. Dire d'un acte qu'il est «légitime» implique qu'il est
autorisé, approuvé, ou du moins qu'il n'est pas interdit, par la
loi. Dire qu'il est «légal» implique qu'il est accompli ou exécuté
conformément aux formalités et usages de la loi, ou d'une
manière technique. En ce sens, le mot «illegal» (illégal) s'appro-
che du sens du mot »invalid» (invalide). Par exemple, on peut
dire d'un contrat ou d'un testament qui a été passé sans
respecter les formalités requises qu'il est invalide ou illégal,
mais on ne pourrait le qualifier de «unlawful» (illégitime). En
outre, le mot «lawful» (légitime) implique plus nettement un
contenu moral que le terme «legal» (légal). Celui-ci se borne à
dénoter l'observation de règles positives, techniques ou de pure
forme, tandis que celui-là a habituellement une substance
morale ou se réfère à une justification éthique. [C'est moi qui
souligne.]
Lorsque l'arbitre a dit que l'excuse donnée par
le requérant n'était pas une excuse légitime, il
sous-entendait qu'elle n'avait pas la «substance
morale» qui ferait qu'elle ne serait pas «interdite
par la loi». Le critère qu'il a appliqué équivaut, à
mon avis, mais en des mots différents, à la direc
tive qui, selon ce que laisse entendre mon collègue
le juge MacGuigan, J.C.A., devrait être donnée à
l'arbitre si l'affaire lui était déférée et qu'il for-
mule [à la page 638] dans les termes suivants et
avec laquelle je suis d'accord: «une personne ne se
dérobe pas à une enquête au sens de l'alinéa
27(2)f) de la Loi sur l'immigration si cette per-
sonne a des motifs raisonnables de croire qu'elle a
une bonne excuse de ne pas comparaître à l'en-
quête». Les deux termes renferment un élément
subjectif et un élément objectif.
En déclarant:
[TRADUCTION] ... je conclus que vous vous êtes effectivement
dérobé à cette enquête en omettant simplement de votre propre
gré d'y assister.
l'arbitre exprimait son appréciation finale des faits
en fonction de la preuve. A son avis, c'est parce
qu'il ne voulait pas y assister que le requérant a
fait défaut de comparaître à l'enquête.
6 Black's Law Dictionary, 5» éd., 1979.
Vu la gravité des prescriptions de la loi', la
personne qui se trouve dans la situation du requé-
rant doit trouver un moyen de se présenter au
bureau d'immigration le plus près de chez elle,
avant la date fixée pour son enquête, et expliquer
la situation dans laquelle elle se trouve.
J'aurais rejeté la demande fondée sur
l'article 28.
' L'expression «s'est dérobée à [...] l'enquête prévue par la
présente loi», se trouve à l'alinéa 27(2)f) avec deux autres
situations, à savoir faire défaut de se présenter immédiatement
à un agent d'immigration après avoir pénétré au Canada sans
passer par un point d'entrée, et s'évader alors qu'on est légale-
ment détenu. Aux termes du paragraphe 32(6) de la Loi, une
mesure d'expulsion est prise dans le cas où le paragraphe 27(2)
s'applique.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.